PAGES PROLETARIENNES

mardi 19 mars 2019

ENCORE SUR LES GJ MAIS SUR LA QUESTION DU PARTI

Le drapeau tricolore au fond est celui, officiel, du port d'Etaples
Voici une lettre de réponse à quelques critiques que j'avais portées aux conceptions du camarade Claude Bitot séduit lui aussi par le mouvement des gilets jaunes malgré ses incohérences (je parle des GJ). Nous avons l'habitude de la polémique fraternelle lui et moi depuis une vingtaine d'années. Claude varie l'intonation et l'adresse soit en s'adressant à moi directement soit à la troisième personne, comme s'il était sûr qu'un public nous écoute au même moment, mais il n'est jamais hautain ni abaissant. N'étant pas un curé rouge ni un disciple de Marc Chirik (contrairement à ce qu'il affirme) j'apprécie toujours ses démonstrations vivantes et bien plus en prises avec les modifications du monde capitaliste actuel que nos radoteurs marxistes des sectes ou individus maximalistes, même si je ne suis pas d'accord avec l'orientation hors du marxisme qu'il a choisi depuis pas mal d'années lui, ancien disciple de Bordiga (je provoque!) en s'enfonçant singulièrement dans le même bourbier imaginaire et "moyenniste" que les bourgeois de Terra Nova (voir mon article précédent). Claude tu ne démontres pas vraiment comme plausible ton invention d'un parti sans prolétariat, aussi te répondrai-je plus tard. Ne prends pas froid.
Bien amicalement à toi, JLR
LETTRE AU CAMARADE ROCHE

Sur son site il a publié mon texte sur les « gilets jaunes » et je l’en remercie. Il l’a accompagné d’un certain nombre de commentaires auxquels je désire répondre.
Il me fait remarquer, « qu’on ne peut pas miser sur ce mouvement qui en effet est une non-classe, typique des classes intermédiaires sans culture politique et incapable de prendre une orientation claire ». Tout d’abord je constate qu’au début du mouvement des « gilets jaunes » ce n’était pas ce langage qu’il tenait s’excitant à son propos, y voyant le plus grand mouvement ayant eu lieu depuis 68, donc dans son esprit le prolétariat en action, ou presque, quitte pour cela à justifier le drapeau tricolore qu’on voyait fleurir dans les manifestations, lui considérant qu’il s’agissait là d’un symbole encore révolutionnaire alors que le drapeau rouge était celui des staliniens !!! Maintenant qu’il voie que ce mouvement ne répond pas ses espérances, il est beaucoup moins enthousiaste, découvrant qu’il est « sans culture politique » et n’est capable d’aucune « orientation claire ». Belle découverte ! Qu’attendait-il de lui ? Qu’il fasse la révolution parce qu’au tout début du mouvement il s’était pris « de vouloir marcher sur l’Elysée » ?! Celui-ci était un mouvement remettant à l’ordre du jour la question sociale que le capitalisme après 1945 avait à sa manière résolue, mais que maintenant entré pour de bon dans sa phase terminale il ne peut plus empêcher le retour, donc il était complètement illusoire d’en attendre monts et merveilles du point de vue politique et idéologique. Le principal mérite de la Commune de Paris disait Marx c’est son existence, toute proportion gardée moi je dis de même à propos du mouvement des « gilets jaunes », son mérite c’est d’avoir existé et cela en dehors des partis et des syndicats qui se sont vus rejetés. Voilà un bon point pour lui.
Mais venons-en au premier reproche que Roche me fait : celui de miser sur un tel type de mouvement et non plus sur le prolétariat pour dans l’avenir faire la révolution, cela parce que je limite le prolétariat à la seule classe ouvrière, elle, concède-t-il, « en effet rabougrie et paralysée depuis des décennies par ses illusions syndicales ». « Rabougrie » en effet mais pas à cause des syndicats. Roche leur attribue une puissance qu’ils n’ont plus depuis belle lurette, eux qui tous additionnés ne regroupent que 10% des salariés et parmi ces derniers les ouvriers se comptent sur les doigts d’une main, ceux-ci ayant depuis longtemps abandonné ces misérables organisations – comme d’ailleurs ils ont laissé tomber avec le « grand parti des travailleurs » qu’était le PCF. Dans leurs manifs poussives avec ballons géants, sono tonitruante, fumigènes colorés, pour leur donner artificiellement un aspect spectaculaire et imposant, ils ne mobilisent que les planqués des services publics pour la défense de leurs statuts. En fait, si la classe ouvrière est devenue « rabougrie » c’est en raison d’une tout autre cause. C’est parce que dans le capitalisme en phase terminale (importante cette appréciation du capitalisme sans laquelle on ne peut comprendre ce qui se passe) elle est devenue une classe fondant en même temps que les grands sites industriels du capitalisme. Et les ouvriers complètement désemparés perdant tout reflexe de classe se sont mis alors en bonne partie à voter pour un parti classé à « l’extrême droite » (sous-entendu « fascistes » par les médias capitalistes). C’est dire le désarroi qui a saisi la classe ouvrière celle-ci ne faisant pas davantage preuve que les « gilets jaunes » de « culture politique » et de capacité « à prendre une orientation claire » pour parler comme Jean-Louis. Désarroi, il est vrai, à la mesure de ce qui lui arrivait, celle-ci se voyant remise en cause par le système qui l’avait fait naître. Bien sûr il reste des ouvriers, peut-être 3 à 4 millions, comme d’ailleurs il reste 1 million de paysans. Mais il y a dans cette classe quelque chose de cassé : celle-ci ne se syndique plus et ne vote même plus pour des partis de gauche, cela attestant chez elle non pas une prise de conscience mais un dégoût propre à une classe finissante pour ne pas dire décadente. Mais pour Jean-Louis rien de grave, oui la classe ouvrière est « rabougrie », mais il reste « l’autre prolétariat », tellement nombreux que c’est à lui que l’avenir appartient. Mais quel prolétariat au juste ? Celui qui bosse chez Mc Do ? Qui livre à domicile des pizzas ? Celui qui à la sortie des grands temples de la consommation vous dit d’ouvrir votre sac pour voir si vous n’avez pas fraudé ? Plus généralement, une masse de vendeurs dans les magasins, d’employés dans les municipalités et les banques, et, pourquoi pas, de fonctionnaires dans l’Etat, eux aussi salariés comme d’ailleurs le sont les flics et les soldats de carrière ? Bref, tout un « tertiaire », qui effectivement pullule car très nombreux ? 

Et c’est ce prolétariat-là, qui prenant le relais du prolétariat industriel « rabougri », serait la classe qui porte « l’avenir dans ses mains », pour parler comme Marx dans son manifeste ? Si c’est ça maintenant le prolétariat, un prolétariat qui n’est plus dans la production, mais dans la vente, le nettoyage, la surveillance, la livraison et je ne sais quoi encore, alors le vieux Marx qui en 1856 disait dans son Appel au prolétariat anglais que l’époque moderne avait produit en même temps que les machines, les hommes nouveaux, les prolétaires d’usines, doit se retourner dans sa tombe ! Il est vrai, en ce qui concerne la définition du prolétariat le Marx du Manifeste avait simplement dit qu’était prolétaire celui qui pour vivre est contraint de vendre sa force de travail. Mais le Marx du Capital allait, lui, être plus précis : « il faut entendre par prolétaire le salarié qui produit le capital et le fait fructifier ». Donc était prolétaire pas n’importe quel salarié, seulement le salarié qui dans la production était en mesure d’engraisser le capital, lui procurer une survaleur, faire de telle sorte que A, l’argent engagé dans la production, devienne A’, c’est-à-dire se voit augmenté d’un profit. Ce qui n’est pas le cas du salariat du tertiaire, lui improductif pour le capital car ne le faisant fructifier en rien, au contraire celui-ci lui en coûte, tellement car devenu si nombreux, qu’il projette une automatisation d’une bonne partie de ses activités (exemple, le remplacement des caissières dans les supermarchés par des caisses automatiques), ce qui permettra au capital de réduire ses faux-frais et du même coup d’augmenter ses gains. Jean-Louis me dira que cette distinction entre travailleurs productifs et travailleurs improductifs n’a pas beaucoup d’importance, tous sont esclaves du capitalisme. Oui, bien sûr, mais Marx dans son Appel cité plus haut ne s’adressait pas à n’importe quel groupe social d’opprimés, à une masse de domestiques du tertiaire comme cela se passe aujourd’hui dans le cadre du capitalisme en phase terminale devenu effectivement désormais décadent, il s’adressait à une classe nouvelle que le capitalisme industriel avec les machines avec créé, les prolétaires modernes qui utilisaient ces machines, et qui dans l’esprit de Marx seraient à mêmes dans le communisme de les faire fonctionner pour le compte de la société et non plus pour le compte du capital. Cela fait donc une sacrée différence entre le salariat relié à la production industrielle et le salariat relié à des « services » comme cela se passe aujourd’hui, qui lui n’est jamais entré dans une usine, ne connaît rien de la production et serait bien en peine de la prendre en main si d’aventure on lui demandait d’exercer une telle tâche. Bien sûr, le capitalisme avec son machinisme avait mutilé la classe ouvrière en multipliant en son sein les simples OS travaillant à la chaîne, isolant ainsi le plus beau fleuron de cette classe : les ouvriers métallurgistes professionnels en bleu de chauffe dont maintenant on se moque bien content qu’ils aient disparu, mais qui eux étaient bien souvent à l’origine des conflits avec le capital, car les plus qualifiés, les plus conscients, les plus révolutionnaires. Avec son ultra-machinisme, son automatisation de la production, ne laissant subsister que quelques ouvriers complètement robotisés, le capitalisme en a terminé avec cette couche dangereuse du prolétariat et du même coup réduit à néant les espoirs révolutionnaires qui avaient été fondé à partir de la classe ouvrière.
Je n’ai donc « pas abandonné le marxisme » comme Jean-Louis le claironne dans la présentation de mon texte, ce sont les analyses de Marx sur le prolétariat qui m’ont abandonnées lorsque je me suis rendu compte de ce que le capitalisme avait fait d’une telle classe la réduisant avec son ultra-machisme à une portion congrue, ne laissant subsister qu’une mince couche d’ouvriers tous les autres ayant été virés car trop chers leur emplois se voyant délocalisés vers d’autres cieux, c’est-à-dire ces jeunes et pimpants pays capitalistes que sont la Chine, le Brésil, le Mexique, l’Inde, les pays de l’est, où, tout aussi robotisés ils ont cet avantage de coûter beaucoup moins chers, donc de rapporter beaucoup plus. Mais je n’ai pas abandonné l’idée de révolution, qui elle se posera lorsque le capitalisme finira par s’écrouler car évidemment économiquement il n’est pas éternel. Seulement, il fallait la repenser. C’est ce que j’ai commencé à faire en 2013 avec un livre intitulé Repenser la révolution avec laquelle celle-ci n’aurait plus pour sujet le prolétariat, mais une immense majorité qui ne pourrait plus être assimilée au prolétariat vu que c’était le capitalisme lui-même qui dans ses pays de vieille souche s’était mis à le liquider. Ce qui me valut une cinglante diatribe de la part de Jean-Louis. Je passe dessus, lui aussi d’ailleurs. Tournons la page. Mon tort dans cet essai ce fut, je le confesse, de n’avoir pas suffisamment mis en avant le rôle du PARTI COMMUNISTE. En écrivant un Manifeste communiste pour le XXIe siècle, j’ai rectifié le tir, remettant au premier plan le rôle de celui-ci. Bien qu’il n’ait pas lu mon manifeste, c’est ce que Jean-Louis a perçu quand il a vu que dans mon texte sur le mouvement des « gilets jaunes » je soulignais fortement la nécessité de ce parti en ce qui concerne l’avenir d’un tel mouvement qui n’est pas fini mais va renaître avec plus de force et d’intensité, alors que lui semble avoir tiré un trait dessus attendant que le « prolétariat » entre en scène.
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Ce qui me vaut un autre reproche de la part de Jean-Louis Roche : je serai le promoteur d’un « parti rédempteur » c’est-à-dire d’un « léninisme caricatural », celui du Que faire ? du Lénine de 1902, celui qui avec ses intellectuels apporte de l’extérieur la conscience à la classe, pense à sa place comme le font tous les partis bourgeois, pour ainsi « intégrer les masses à un parti unique », comme l’ont fait les partis hitlérien et stalinien, lui me faisant « une fleur » en disant qu’avec ma conception « idéaliste » du parti c’est seulement celle stalinienne dont il s’agit. Merci Jean-Louis ! Je reconnais là tes dons de polémistes mais qui parfois manquent de perspicacité et de délicatesse car ne faisant pas toujours dans la nuance… Aussi, je vais donc répondre à Jean-Louis sur comment je comprends le parti, mais auparavant, en tâchant de n’être pas trop polémique à mon tour et que cela ne devienne un cassage de gueule idéologique, je vais lui signifier à partir de quel point de vue, lui, il parle pour me faire une telle critique.
Jean-Louis n’est pas un « conseilliste », il ne dit pas qu’il ne faut pas de parti, il dit, comme son maître à penser Marc Chiric, qu’il en faut un, mais point trop n’en faut, car c’est la classe qui compte. Tellement, que lorsqu’il s’agira de prendre le pouvoir il ne faudra pas que celle-ci se salisse les mains avec le pouvoir nouveau qui se sera mis en place, elle devra rester prudemment dans l’opposition. En quelles mains sera-t-il alors ? Mystère et boule de gomme ! Tout ça je l’ai entendu lorsque j’ai quelque peu fréquenté Chiric. Moi j’appelle ça de l’anarchisme, l’anarchisme de celui qui honteux d’être un anarchiste voudrait se faire passer pour quelqu’un d’autre, un marxiste par exemple. Jean-Louis en bon élève de Chiric a écrit un livre là-dessus intitulé Dans quel Etat est la révolution ? même si à la fin du livre on ne sait toujours pas dans quel Etat est la révolution. Autrement dit, la position de Jean-Louis comme celle de son mentor Chiric c’est l’anarcho-marxisme. Position très commode qui consiste à aboyer contre l’anarchisme quand il a affaire à des bobos libertaires « antifas » dont il a une sainte horreur – moi de même d’ailleurs – cela en faisant appel à Lénine, Bordiga même (il n’a peur de rien, mais si Bordiga avait connu sa position…) et en même temps d’envoyer dans les cordes un zigoto de mon genre avec un bon direct du droit appelé « léninisme caricatural » ! On peut dire ça autrement : il est pour le parti contre tous ceux qui sont contre, et contre le parti contre tous ceux qui sont un peu sérieusement pour. Après ça allez savoir ce qu’il pense exactement de la nature et de la fonction du parti et vous aurez bien de la chance….
Cela dit, cette question du parti devait quand même titiller Jean-Louis car j’avais remarqué lors d’une réunion en janvier 2017 à propos d’un livre sur Bordiga, que c’est lui qui avait demandé qu’on aborde cette question. Moi je m’étais proposé de l’exposer mais comme personne ensuite n’a donné suite à une telle proposition, je me suis tenu prudemment sur la réserve, ce qui fait que tout ça est resté dans le vague. Aussi, allons-y sur cette question. Je ne vais pas m’étendre mais aborder deux points essentiels : 1) qu’est-ce que le parti communiste, c’est-à-dire sa nature et sa fonction ; 2) comment le comprendre historiquement.
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Le communisme, en tant qu’utopie, philosophie, existe depuis la nuit des temps. Mais avec le capitalisme un changement se produit : il devient mouvement agissant. Quand ? Lorsque dans la société capitaliste il se passe de très violentes crises, des cataclysmes, et donc des malheurs extrêmes pour les hommes qui sont sous la coupe d’un tel système. Pourquoi une telle apparition du communisme dans le capitalisme ? Dans les sociétés qui ont précédées celui-ci il y avait également de grandes calamités (famines, épidémies, guerres, impôts de l’Etat écrasant les manants, etc.), et même si parfois il y avait des révoltes de gueux, cela faisait partie de l’ordre des choses, ou bien c’était Dieu qui l’avait voulu ainsi, ce qui fait que ces calamités étaient acceptées avec fatalité. Ce n’est plus ce qui passe avec le capitalisme. Celui-ci avec son développement des forces productives bouleversant sans cesse la société, lui étant « révolution permanente », les désastres qui sous son règne arrivent apparaissant non plus comme appartenant à la nature des choses, mais comme engendrés directement par lui, ce qui les rend beaucoup moins acceptables. D’où le communisme se présentant comme solution. C’est arrivé plusieurs fois dans l’histoire : en 1796, dans le cadre de la grande crise de l’Ancien Régime précapitaliste, dans les années 1840 en raison de la misère noire engendrée par les débuts du capitalisme, en 1917 à cause de l’horrible guerre industrielle capitaliste entraînant des hécatombes jamais vu dans l’histoire, le communisme devenant alors pour les possédants cet horrible « spectre » menaçant leur société. C’est donc d’une situation que surgit le communisme. Et alors que constate-t-on ? A chaque fois que celui-ci surgit se crée une organisation appelée le Parti communiste avec lequel, sous une forme plus ou moins développée, s’incarne le communisme: en 1525, de façon tout à fait embryonnaire, c’est le parti avec Münzer, en 1796 celui avec Babeuf, en 1848 celui avec Marx, en 1917 celui avec Lénine, eux chefs de parti. Quel est le groupe social dont le parti communiste se fait le porte-parole ? Cela peut être une classe, le prolétariat, mais aussi une plèbe comme en 1796, voire des paysans en révolte comme cela eut lieu en 1525. Quelle est sa composition sociale en interne ? Elle est hors-classes : le parti est cette minorité d’individus qui ne se préoccupant pas de la fiche d’état civile avec laquelle les range la société existante, ont fait du communisme la solution à la crise violente qui frappe alors la société. Autrement dit, il est le parti des communistes, car lui seul est communiste, pas la classe, pas la plèbe en révolte contre ses conditions d’existence. Etant en interne hors-classes il est du même coup une anticipation de la société sans classe communiste. Voilà pour la nature du parti. Passons maintenant à sa fonction. Celui-ci a une tâche unique : celle d’œuvrer à l’accomplissement de la révolution et par-delà à celui du communisme. En d’autres termes il n’est pas de ces partis qui tout se disant socialiste ou communiste passent leur temps et consacrent toute leur énergie à l’obtention de réformes et qui de ce fait n’ont à leur actif aucune action révolutionnaire, tout en prétendant qu’ils font cela en attendant la révolution. On peut être sûr que jamais ils ne la feront ! Telles furent l’AIT et la IIe Internationale qui dans leur pratique ne furent en rien des partis communistes révolutionnaires agissants. Un parti communiste c’est fait pour faire la révolution et rien d’autre ! Ce qui signifie pour lui éclairer les masses en diffusant parmi elles un programme clair répondant à leurs attentes, prendre la direction de leurs luttes et une fois le pouvoir pris jouer un rôle central dans son exercice. Voilà pour ce qui concerne la fonction du parti. Maintenant passons au deuxième point, c’est-à-dire sa présence historique.
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En 1851 Engels, en conclusion de son livre sur La guerre des paysans de 1525 en Allemagne, écrivait que « c’est le pire qui puisse arriver à un chef d’un parti extrême que d’être obligé de prendre le pouvoir en main à une époque où le mouvement n’est pas mûr pour la domination de la classe qu’il représente ». Ce « parti extrême » c’était le parti communiste de Münzer (lui tout à fait embryonnaire) qui prenait la tête de la révolte de malheureux paysans contre les princes féodaux qu’avait trahi le parti bourgeois de Luther s’alliant avec les princes. En 1847 dans La critique moralisante et la morale critisante, Marx notait que Babeuf et son groupe de conjurés avaient été en 1796 « la première apparition d’un parti communiste réellement agissant ». Parti qui projetait de se mettre à la tête de la plèbe des faubourgs qui avait subi un sort cruel durant l’hiver 1795-96 et s’était déjà révoltée en germinal et prairial 1796. Dans les deux cas observés par Engels et Marx il y a donc l’existence d’un parti communiste, même si c’est d’une façon encore embryonnaire, surtout en 1525, sans que la classe ouvrière moderne soit présente. Maintenant voyons ce qu’il en fut du parti lorsque celle-ci entra en scène.
Un parti communiste ayant pour base la classe ouvrière et la conduisant pour faire la révolution cela n’eut lieu qu’une fois. En Russie en 1917, à l’occasion de l’épouvantable guerre industrielle qui s’était déclenchée en 1914. Auparavant existait bien un petit noyau, la fraction de Lénine se rattachant plus ou moins au Parti ouvrier social-démocrate russe (POSDR) mais c’est entre avril et octobre 17 que naquit véritablement dans cette grande cité ouvrière de meurt la faim et de soldats refusant de continuer d’aller à la guerre qu’était Petrograd, le parti qui allait ensuite être mondialement connu sous le nom de Parti bolchevik celui-ci profitant par la même occasion de s’appeler communiste – pendule remise à l’heure donc. Qu’est ce qui avait engendré un tel parti ? Le prolétariat ? La lutte des classes qui s’était enclenchée du fait des privations de la guerre ? Les intellectuels révolutionnaires ? On peut voir ça comme ça, mais c’est la situation catastrophique qui avait entrainé une telle lutte à mort des ouvriers et des soldats contre le capitalisme et sa guerre qui permit au Parti bolchevik d’exister vraiment, sinon pfft ! de parti il y en aurait peut-être eu un, mais de type frelaté, semi réformiste, semi révolutionnaire, inachevé donc, la révolution avec lui se terminant en eau de boudin. C’est la situation de guerre et l’impossibilité de la bourgeoisie d’y mettre fin en raison de son alliance avec les pays belligérants de l’ouest, la France et l’Angleterre, qui amena les ouvriers les plus avancés, les plus intelligents, les plus révoltés, à s’organiser en parti de classe révolutionnaire. Seulement voilà, ce parti-là, communiste, révolutionnaire, plein d’ouvriers, mais aussi armé d’intellectuels (car il en faut bien pour instruire les ouvriers avancés comme disait Lénine, c’est-à-dire cette petite fraction dissidente des classes aisées ayant eu, elle, accès à l’instruction, ceux qui prétendent s’en passer n’étant que des petits bourgeois intellectuels ouvriéristes démagogues et irresponsables), en mesure de fiche en l’air le pouvoir capitaliste (car évidemment sans le Parti bolchevik pas d’Octobre 17, seulement des soviets collaborationnistes du pouvoir de Kerenski et à la fin liquidés manu militari par un autre Kornilov qui aurait, lui, cette fois réussi), ce parti-là donc, hors de Russie, fit pschitt ! En Allemagne la paix revenue des évènements révolutionnaires eurent bien lieu mais qui bien vite se dégonflèrent. Le Parti communiste qui s’était constitué à la fin de décembre 1918 n’eut jamais de prise véritable sur les masses ouvrières. Dominé à ses débuts en son sein par ses gauchistes majoritaires qui ne voulaient pas entendre parler d’un « parti de chefs »(en fait qui ne voulaient pas de parti dirigeant la lutte - la révolution n’est pas une affaire de parti » disait l’ultragauchiste Otto Rhüle), dut rapidement scissionner pour ensuite chercher à se reconstituer artificiellement sur une « base élargie » avec tout un pan du Parti socialiste soit disant indépendant, ce qui signa sa fin comme parti révolutionnaire. En fait, mort-né fut un tel parti. En Italie le parti faux cul socialiste qui durant la guerre ne voulait ni adhérer ni saboter, arriva avec son pseudo « maximalisme » à faire trainer suffisamment les choses en longueur, afin que durant le bienno rosso de 1919-20 rien de vraiment révolutionnaire n’ait lieu, ce qui fait qu’une fois la vague de colère passée, le parti fasciste soudoyé par les industriels n’eut plus qu’à entrer dans la danse, liquidant avec ses « expéditions punitives », parti socialiste réformiste, bourses du travail, coopératives, et bien sûr le parti communiste avec à sa tête Bordiga, qui n’avait pu se constituer qu’en 1921, et qui lui aussi fut un parti communiste mort-né (après 1923 il se fait gramsciste, puis staliniste). Ailleurs, en France, Angleterre, Espagne, Belgique, Hollande, Suède, Norvège, Suisse, Autriche, Yougoslavie, Grèce, ne parlons pas des USA, en guise de parti presque rien, en fait que dalle ! Pas l’ombre d’un vrai parti communiste ouvrier, que des pseudos qui allaient vite se faire staliniens. Tel est le bilan qu’il est possible de faire du parti communiste à base prolétarienne qui depuis n’a jamais refait surface.
Que faut-il en conclure ? Qu’avec un tel parti c’est fini ? Oui. Car depuis un siècle de l’eau a passé sous les ponts. Le capitalisme après 1945, avec son Etat-providence, sa société de consommation, intégra complètement la classe ouvrière, ce qui rendit tout à fait impossible sa résurrection, toutes les tentatives de créer un parti tombant misérablement à l’eau, y compris celles qui plus modestement se bornaient à créer de petits groupes visant à préparer la voie à sa création. Mais ce n’était pas fini. A partir de 1975, le capitalisme entré dans sa phase terminale se mit à démanteler par pans entiers le prolétariat le remplaçant par du « tertiaire », ce qui fait qu’aujourd’hui celui-ci en tant que classe n’est plus qu’une ombre, n’existant même plus comme classe prolétarienne réformiste, et que vouloir que ressuscite un tel parti de classe n’est plus maintenant qu’un rêve donquichottesque.
Ce qui ne signifie pas qu’un autre parti communiste ne puisse voir le jour. Comment ça ? A partir de quelle base sociale il se constituera ? A partir d’une non-classe (déjà perceptible avec le mouvement aclassiste des « gilets jaunes ») qui ne pourra plus se reconnaître dans une classe du fait de la décomposition complète de toutes les classes, demi-classes, pseudo-classes (« nouvelles classes moyennes » comprises qui comme tout le monde se retrouveront le bec dans l’eau), elle consécutive à la chute du capitalisme qui surviendra à la suite de sa phase terminale. Non-classe qui sera au fond une classe, la classe des laissé-pour-compte que le capitalisme dans son effondrement aura engendrés et précipités dans la misère, elle devenant l’immense majorité de la société. Parti par conséquent qui ne sera en rien une création « idéaliste » (comme me l’attribue Jean-Louis) mais qui verra le jour en raison de la situation de détresse, elle bien matérielle, qui saisira cette non-classe.
Ce qui toutefois distinguera ce parti c’est qu’il devra être un fort parti communiste. Pourquoi ça ? Comme je l’ai rapidement signalé dans mon texte sur les « gilets jaunes », depuis un siècle le capitalisme ne s’est pas contenté de se développer économiquement, il a mis en place un système de domination que même les Mussolini, Hitler, Staline n’avaient pas réussi à mettre au point, ceux-ci n’arrivant pas à la cheville de ce capitalisme totalitaire qui gouverne désormais la planète. « Les fascistes ont perdu la guerre, mais c’est le fascisme qui l’a gagné » disait Bordiga. Tout à fait pertinente cette appréciation. Ce que l’on peut ajouter, c’est qu’en guise de totalitarisme le capitalisme dit « libéral » est allé en la matière bien au-delà des espérances du fascisme. Désormais, c’est dans tous les domaines de la vie des hommes que sa domination s’exerce : pas seulement dans la politique comme c’était le cas avec le fascisme, mais dans leur travail, leurs loisirs, leur environnement urbanistique, leur imaginaire. Il en a résulté une humanité affaiblie, diminuée, effectivement « inculte » politiquement comme dit Jean-Louis à propos des « gilets jaunes », donc plus influençable que celle qui l’a précédée, car ayant été complètement intoxiquée par ce système capitaliste moderniste possédant des moyens d’assujettissements autrement plus puissants – propagandistes (télés), techniques (confort) économiques (consommation) – pour attacher les hommes à son système que n’en avait l’ancien capitalisme d’il y a un siècle, lui beaucoup moins perfectionné. Si l’on ne comprend pas ça on ne comprend rien au capitalisme auquel on a désormais affaire. Et du même coup on ne comprend pas pourquoi désormais la présence du parti communiste sera plus que jamais nécessaire pour éclairer et guider cette masse qui aura été abêtie, décervelé, rendue décadente par un tel capitalisme. Ce qui impliquera un fort parti communiste pour combattre les fétichismes que celui-ci avait promu et divulgué, à commencer par celui de la démocratie, qui elle n’est pas autre chose que l’instrument politique de sa domination totalitaire ; et aussi un fort parti communiste sur le plan interne qui devra se faire compact, monolithique même, pour pouvoir mener à bien une telle tâche.
Voilà mon cher Jean-Louis ce que je pense de la nature et de la fonction du parti. J’espère ne pas avoir été trop long et ennuyeux. Ce faisant, je n’ai pas trop fait dans la théorie abstraite. J’ai voulu traiter ce sujet d’une manière vivante, historique, faisant valoir que le parti communiste après avoir eu une vie dans le précapitalisme, puis dans le plein capitalisme, en aura encore une dans le post-capitalisme. Je sais, tu ne seras pas convaincu, tu continueras de penser autrement, néanmoins j’espère de toi un peu d’honnêteté pour ne pas dire n’importe quoi à propos de ma conception du parti – conception qui à défaut d’être « hitlérienne » serait « stalinienne »….
Bien à toi
CB










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