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mercredi 5 décembre 2018

Colletlivo 48 ohm : Une analyse du mouvement des gilets jaunes depuis l'Italie



Ce texte sans titre a été mis en circulation par plusieurs camarades de la « gauche italienne » historique, complètement étrangère au stalino-gauchisme italien, et par notre ami Xavier. L'importance et la qualité de ce texte n'échapperont qu'aux imbéciles, outre d'être d'une finesse d'analyse marxiste indéniable, il fait tomber par terre le black out des médias qui laissent supposer que le prolétariat international resterait spectateur. Rien n'est plus faux, les événements de Paris et des provinces sont vécus dans leur chair par les prolétaires du monde entier et les noyaux des véritables communistes débarbouillés de tout stalinisme et de toute utopie. Merci tout plein à ces camarades italiens. On se sent moins seul désormais sur les réseaux sociaux et dans la vie nous les maximalistes en France. 

Une analyse de Mario Gangarossa.


« Imaginer la révolution comme un affrontement ordonné entre les phalanges organisées du prolétariat et les forces de la répression au service de la bourgeoisie est au plus loin de la réalité que l’on puisse l’imaginer. Il n’existe pas de processus linéaire qui aurait comme inéluctable débouché, prévu et désiré, la palingénésie sociale. Infinis sont les carrefours, les choix à faire, les décisions à prendre, et ce sont des choix que des millions de femmes et d’hommes font poussés par la nécessité, parfois par hasard, presque toujours inconscients du résultat que leur action produira. Les « théoriciens » (au bénéfice de leur capacité à distinguer entre science et fausse conscience) sont un pas en avant par rapport au mouvement réel parce qu’il ont fait trésor de la praxis , des expériences, de l’histoire du passé mais risquent l’impuissance et l’incompétence s’ils ne réussissent pas à s’engager dans la vive expérience quotidienne, à interagir avec la pratique quotidienne, à faire les comptes « avec celui qui passe les couverts ».
 Il n’y a aucune possibilité que, dans une société basée sur l’hégémonie économique politique et culturelle de la bourgeoisie, la classe antagoniste puisse acquérir (dans sa majorité) la conscience du rôle et des tâches que l’histoire, la science et la connaissance des communistes imposent. Les idées dominantes restent les idées de la classe dominante. Dans le cadre des expériences possibles, à l’intérieur des rapports sociaux bourgeois, le maximum que l’on puisse atteindre c’est une conscience « syndicale » revendicative, trade-unioniste, réformiste, quand bien même sous une forme rebelle et même violente. Et les groupes et partis qui naissent sur ce terrain et qui en assument la direction ne peuvent être que marqués par les mêmes limites et les mêmes erreurs. Ce n’est pas une question liée aux opportunismes individuels et aux « trahisons » qui ne sont pas les causes mais les effets de la matérialité de l’affrontement social qui - dans cette phase - est limité , dévoyé vers des objectifs partiels ou souvent mystifiants, laissé à la spontanéité produite par les individus et les expériences individuelles partielles.

Discuter si un mouvement serait « révolutionnaire » ou s’il est « plus ou moins révolutionnaire » , d’un autre côté cela signifie seulement de ne pas avoir compris (ou de ne pas reconnaître ) que le caractère , la conscience, l’ossature idéologique qui donne substance à toute révolte sociale c’est une avant-garde consciente et organisée capable de le guider au-delà et parfois contre les limites intrinsèques qui sont inhérentes aux luttes et rébellions populaires.

Les révoltes spontanées sont le signe que les contradictions existent et sont irrémédiables à l’intérieur du système économique et politique existant, elles sont un effet de la crise, la riposte immédiate à une situation de malaise. Mais quand nous parlons de spontanéité, nous devons toujours avoir clairement en tête que, qui se rebelle spontanément a des racines bien implantées dans sa propre classe et porte derrière lui tout entière sa propre histoire personnelle et l’histoire collective de sa part sociale, l’expérience des années qu’il a vécues (souvent bien) , son rôle dans le mécanisme économique qui gouverne la vie de chacun d’entre nous. Victimes des mêmes erreurs et des mêmes illusions qui traversent, comme un courant diffus, tous les acteurs de la représentation qui à l’intérieur de l’affrontement capital-travail voit le continuel choc de multiples intérêts opposés.

L’histoire des révolutions passées (et des révoltes, des rébellions qui n’ont pas eu l’honneur, dans le jugement posthume, d’être transcendées en mouvements révolutionnaires) c’est une histoire de confusions, de désordres, de défaites ou victoires partielles ou souvent provisoires. Les partis qui représentent les classes ou groupes en luttes, de petits groupes compacts croissent et deviennent direction politique révolutionnaire pas avant une fatidique heure suprême mais dans le cours de la lutte. Une lutte dans laquelle qui y participe n’a jamais a priori ni certitude ni garantie de succès.
Après… quand un nouvel ordre nait des cendres des journées qui renversent le cours naturel de l’Histoire, seulement après, arrivent les « relevés de notes » et se comprend vraiment qui a vaincu, qui a perdu, qui même en ayant perdu a renforcé ses positions et acquis une connaissance supérieure et qui en revanche, bien qu’ayant vaincu, a abandonné des places-fortes désormais sans influence quant aux réels intérêts de l’ennemi.

Dans les années où, dans l’occident capitaliste, le développement d’après guerre permettait l’avancée pacifique des classes subordonnées, les grandes organisations social-démocrates (dans toutes leurs déclinaisons) représentaient un point d’agrégation et de référence pour qui sentait le besoin de lutter, la conscience spontanée coïncidait avec la direction politique réformiste. Les partis de masse et les organisations syndicales étaient l’instrument pour les conquêtes partielles qui donnaient le sens d’un continuel et inarrêtable développement pacifique mais en même temps aussi d’une soupape capable d’atténuer les tensions les plus destructrices, d’un frein aux pulsions révolutionnaires, un remblai au « terrorisme » et à la rébellion.

Les « révolutionnaires » firent de l’entrisme dans les partis de gauche et travaillèrent au sein des syndicats « réactionnaires », dans l’illusion qu’il suffisait de changer la direction politique d’un mouvement, déjà en soi organisé sur le terrain de la consciente recherche du compromis social, pour en changer le signe et le transformer en une force capable de rompre les équilibres que, patiemment, le capital avait édifié dans les années d’hégémonie indiscutée et sans contraste.

Les classes intermédiaires étaient attirées par la force de la gauche aussi parce qu’elle était une gauche « alliée et amicale » qui en reconnaissait le rôle et en garantissait le bien-être. Les conflits étaient œcuméniquement recomposés et transformés en inoffensifs affrontements parlementaires. Quand le mécanisme du consensus se rompit, les armées ouvrières organisées par le réformisme descendirent dans la rue par millions pour réaffirmer le pacte entre les classes et la coexistence pacifique garantie par la démocratie.

L’écroulement du réformisme advenu , non par une victoire de la critique des révolutionnaires, mais par son intrinsèque faiblesse, la fin de la société du « bien-être » diffus qui avait accompagné les années de la cogestion démocratique, l’écroulement de l’illusion de pouvoir cogérer le capital sans mettre en discussion sa propriété n’ont pas amené à une majeure conscience ni à une majeure connaissance. Berlinguer a été remplacé par Bertinotti. Les « révolutionnaires » n’ont rien trouvé de mieux que de languir pour un retour au passé « héroïque » dans lequel la mare magnum d’une « gauche » responsable et grande du statu quo aurait pu continuer à nager en se vantant dans les révolutions passées et futures et surtout dans celles éloignées de leur propre arrière- cour.

Mais l’écroulement d’une hégémonie politique, soit même une hégémonie qui aille en sens contraire de la direction prévue par nous, ne crée pas le vide du tableau noir propre sur lequel ils serait possible d’écrire seulement des solutions correctes à la preuve de la baguette de la maîtresse. Le vide politique laisse un champ ouvert aux errements de n’importe quelle classe sociale en souffrance qui chercherait mais qui trouverait toujours de nouveaux « capitaines » prompts à en chevaucher les aspirations. Il laisse aussi un espace aux révoltes spontanées qui, par leur nature hétérogène et interclassiste, peuvent servir à accentuer la crise du Capital ou bien, paradoxalement, à le renforcer.

Nous, nous ne savons pas et nous ne pouvons savoir comment cela finira. La théorie nous indique l’objectif et la direction mais le parcours à suivre, les innombrables virages et impasses que nous pourrions suivre, nous devons le découvrir dans le cours de notre pratique politique.

Mais nous devons aussi essayer d’être clairs sur cela aussi avant tout avec nous-mêmes et avec le rôle que nous imaginions pouvoir assumer. La pratique politique ne signifiera pas se mettre à la tête (souvent à la queue) des révoltes des strates sociales en décomposition destinées à disparaître même au travers de furieux sursauts. Agiter leurs propres mots d’ordre, imaginer que la direction d’un mouvement soit. Décidée seulement et exclusivement de la détermination des chefs et non de la réelle nature sociale des combattants.

La question de la direction (et des objectifs futurs) des révoltes et des rebellions sui explosent à un rythme désormais croissant en occident un temps privilégié, ce n’est pas une question que pourrait résoudre un groupe autant de « gauche » qui puisse porter de l’extérieur une conscience qui s'affronterait à la sensibilité et à la conscience spontanée des révoltés. C’est une question qui englobe le rôle des classes et leur capacité de pouvoir s’homogénéiser à l’occasion. Je comprends ce qui rend tout plus complexe et difficile, mais la question ne réside pas dans la mobilisation des classes intermédiaires ou des secteurs plus désagrégés (et pour cela plus combatifs) mais dans la capacité de mobilisation du prolétariat, dans sa possibilité de devenir point d’attraction et d’agrégation pour tous ceux qui ressentent cette société comme injuste. Si nous voulions le dire avec des paroles plus claires, la question pour les communistes ne réside pas dans la direction des révoltes populaires mais dans l’influence et dans la direction du prolétariat qui est l’unique classe capable de transformer une ou cent révoltes en révolutions.

La petite-bourgeoisie qui forme l’ossature des classes intermédiaires est dans la tourmente mais, par sa propre nature, ne lutte pas pour changer les rapports entre les classes et elle combat pas pour abattre le système fondé sur l’exploitation. Elle lutte pour continuer à tirer son « morceau de viande » de la survaleur produite dans la société.
De classe amortie, de toujours barrière dans l’affrontement entre capital et travail, elle revendique le « juste prix » pour son rôle en un moment où le capital pense pouvoir se passer de ses services ou bien n’a pas les ressources pour s’en garantir la confiance.

La « révolution » petite-bourgeoise ne regarde pas le futur mais le passé. Elle ne pose pas la question de la fin de l’exploitation mais celle de la redistribution plus « honnête » des fruits de cette exploitation. La prise de conscience du rôle du prolétariat auquel ces strates sociales sont destinées peut advenir seulement en présence d’une activité politique autonome retrouvée de la classe ouvrière. La petite-bourgeoisie peut devenir révolutionnaire seulement à la suite de la révolution prolétarienne. Et aujourd’hui c’est le positionnement sur le terrain de la lutte de classe de couches toujours plus amples d’ouvriers qui est l’unique chose qui puisse garantir la transformation en réserve de la révolution des « révoltés » que la société en crise produit.

La question n’est pas de savoir ce que feront et ce que deviendront les gilets jaunes. La question est de savoir ce que fera la la classe ouvrière : comment évolueront les prolétaires ; comment les communistes réussiront à en influencer les choix. Et c’est une question vitale pour le labeur en lutte contre le capital, vital aussi par rapport ses intérêts immédiats parce que la route d’une alliance renouvelée entre la bourgeoisie et les groupes que la crise désagrège n’est pas une possibilité éloignée et la résolution des conflits sur la base de solutions anti ouvrières n’est jamais à exclure a priori. De même qu’il ne faut pas exclure une redistribution de la richesse destinée à retrouver le consensus perdu, mise en prospective ou pratiquée, sur le dos non du profit mais des ouvriers actifs, des ouvriers pensionnés, de la nouvelle classe ouvrière composée de précaires et d’immigrés soumis au chantage qui finiraient par payer le coût que le retour à « la normale » du fonctionnement du système capitaliste (y compris les dépenses nécessaires à garantir la « sécurité » de la propriété) comporte.
 Le prolétariat ne peut rester à regarder par la fenêtre et déléguer à d’autres l’honneur de ses propres batailles Il risque d’y perdre son honneur et de soutenir les coûts des « solutions » aux contradictions internes du front bourgeois.



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