PAGES PROLETARIENNES

dimanche 23 septembre 2018

UNE PERIODE DE TRANSITION APOLITIQUE?



le g.i.c. et l'economie de la periode de transition

ou "l'apolitisme des litterateurs'?

Une présentation partielle, économiste et conseilliste de l'histoire et des questionnements en vue d'une période de transition du capitalisme au communisme. La présentation qui suit (traduite par Jean-Pierre Laffitte) nous pose problème ici. Je ne nie pas l'intérêt du travail fourni par le courant maximaliste hollandais mais il est réducteur de ne mentionner que ce courant et d'évacuer rapidement le courant bordiguiste, et surtout la contribution et les débats entre le CCI et le CWO. Il est encore plus ridicule de nier tout travail « de parti » sur ces questions, en particulier en feignant d'ignorer tout le travail de recherche et de débats qui fût mené à la fin des années 1970 par le CCI (cf.http://fr.internationalism.org/french/brochure/PdT_origine), travail qui est resté malheureusement en friche, une deuxième brochure compilant débats et divergences n'a jamais vu le jour ou a disparu depuis que le groupe est retombé à l'état de secte.On peut retrouver un historique plus large du débat sur la « P de T » dans mon livre « Dans quel 'Etat' est la révolution? ». Franchement polémiquer avec un petit personne sans intérêt comme Dauvé sur une aussi vaste question, révèle les limites de cette introduction ronflante. Quant au vœu que les « travailleurs de l'avenir » - de « nouvelles générations de travailleurs révolutionnaires » - s'occupent de la question, c'est pisser dans un violon. Qui peut nous expliquer ici que le « pouvoir des conseils ouvriers » resterait la recette, quelle forme devraient prendre les organismes du prolétariat ressurgissant comme classe révolutionnaire à l'avenir ? L'encensement de l'intéressant travail du GIC dessert toute réelle réflexion POLITIQUE sur les moyens de succéder au capitalisme. En faisant confiance au « spontanéisme » de « nouvelles générations de travailleurs » on nie toute nécessité de relier aux générations de théoriciens et d'organisations de combat les cercles et éléments en recherche qui voudront reprendre l'écheveau là où il s'est arrêté ; on dénie tout rôle aux partis révolutionnaires ou à divers organismes minoritaires dynamiques mais éminemment politiques et non pas vagues assemblées de délibérations économiques plus ou moins anarchiques.
Que cela ne vous empêche pas de lire « Une introduction », mais en gardant un œil critique malgré des fanfaronnades d'intellectuel de salon qui sait tout mais ne sait rien, et nous balade dans la sphère éhontée de l'ultra-gauche soixantehuitarde mais pas du tout dans le cadre du marxisme politique maximaliste..
JLR


Une introduction




Cet article introduit le travail politique-théorique majeur du GIC, et il essaie de clarifier les principales incompréhensions qui marquent encore sa réception.



Origine et signification
des “Principes fondamentaux”


L’ouvrage : “Principes fondamentaux de la production et de la distribution communistes” (plus tard abrégé en “Principes fondamentaux”) du Group of International Communists (GIC) est un texte important de la Gauche communiste sur les problèmes économiques de la période de transition du capitalisme au communisme. Le GIC décrit l’intérêt des “Principes fondamentaux” ainsi :

« Dès que le gouvernement de la classe ouvrière est devenu un fait dans un pays industrialisé, le prolétariat se trouve confronté à la tâche de mener à bien la transformation de la vie économique sur de nouvelles bases, celles du travail collectif. L’abolition de la propriété privée est facilement déclarée, et ce sera la première mesure du système politique instauré par la classe ouvrière. Mais ce n’est là qu’un acte juridique qui est destiné à fournir des bases légales au processus économique réel. La transformation réelle et le véritable travail révolutionnaire ne fait alors que commencer. »1.

La signification courante de ce texte ne se limite pas à la réponse apportée aux questions qui se poseront immédiatement lorsque la classe ouvrière se sera emparée du pouvoir politique. Les “Principes fondamentaux” présentent un intérêt supplémentaire dans le débat entre les jugements portés par la Gauche italienne et par la Gauche germano-hollandaise sur leçons des révolutions ouvrières de 1917-1923. Ce débat se heurte encore à une mutuelle ignorance des opinions de chacune d’elles. En raison du manque de traductions complètes de l’édition finale des “Principes fondamentaux” de l’année 1935, et parfois à cause de l’existence d’extraits limités et de l’absence de connaissance des études préliminaires aux “Principes fondamentaux2, toutes sortes de malentendus sont nés qui ont fait obstacle à la discussion jusqu’à aujourd'hui.


Par-delà Marx, Engels et Lénine

Les “Principes fondamentaux” sont une élaboration du concept d’une nouvelle société, concept que Karl Marx et Friedrich Engels ont tiré des contradictions internes du capitalisme et de l’action autonome de la classe ouvrière de leur époque, en particulier dans les révolutions bourgeoises de 1848 et dans la Commune de Paris de 1871. Dans la première édition des “Principes fondamentaux” (en allemand), les rédacteurs du GIC relatent que ce n’est qu’après avoir achevé leurs études qu’ils avaient eu connaissance de la Critique du programme de Gotha de Marx. En conséquence les mesures économiques que le GIC a proposées avaient déjà été avancées par Marx3. Détestant toute scolastique, le GIC a analysé de manière critique les idées réformistes d’économie planifiée qui avaient été développées après Marx et Engels. Le GIC montre dans les six premiers chapitres que les bolcheviks ont appliqué en Union soviétique une conception capitaliste d’État de l’économie planifiée, conception qu’ils avaient empruntée au réformisme. En outre, dans son édition finale de 1935 en néerlandais, le GIC critique la variante d’économie planifiée du communisme libertaire telle qu’elle avait été appliquée par l’anarcho-syndicalisme en 1936 en Espagne4. Mais au-dessus de tout, le GIC se fonde sur les mouvements révolutionnaires des conseils en Russie et en Allemagne de 1917 à 1923.
Pour une bonne compréhension des “Principes fondamentaux”, il est nécessaire d’appréhender le cadre politique dans lequel le GIC propose ses mesures économiques. Comme cela est clair d’après la citation susmentionnée, le GIC présuppose une révolution prolétarienne triomphante dans laquelle les travailleurs dominent un territoire industriel de taille raisonnable. Dans cette révolution, la classe ouvrière, massivement organisée en conseils, a écrasé l’État bourgeois et, à partir de ce moment-là, elle exerce la dictature du prolétariat au moyen de ces mêmes conseils sur une société et une économie qui affichent encore presque toutes les caractéristiques du capitalisme. Dans la mesure où la résistance de la classe capitaliste et des autres classes vaincues faiblit et où la révolution prolétarienne se répand de par le monde, cet “État ouvrier” dépérit. Tel est brièvement le cadre politique que le GIC, pense-t-on souvent à tort, a négligé en faveur de l’aspect “économique”. Il faudrait noter que l’opposition conceptuelle de l’“économie” et de la “politique” est typiquement une approche léniniste. Les Principes fondamentaux” ne négligent pas l’aspect “politique”, mais le GIC prend une position différente de celle de Lénine en mettant l’accent sur le fait que la dictature du prolétariat est l’exercice massif du pouvoir de la classe ouvrière par les conseils, et non pas la dictature d’un parti avec l’aide de l’État. Le lecteur des “Principes fondamentaux” ne devrait pas s’attendre à une analyse plus poussée de la Révolution russe parce que ce n’était pas le but de ce texte. Les “Principes fondamentaux” ne s’intéressent à aucune des formes supérieures du communisme, mais ils se concentrent sur la période qui suit immédiatement la révolution et sur les mesures économiques qui doivent assurer que les travailleurs continueront à exercer le pouvoir sur la société.
C’est dans ce cadre politique que le GIC se focalise sur les aspects économiques de la phase de transition. La classe ouvrière utilise le pouvoir qu’elle détient sur les moyens de production pour abolir le travail salarié dans tous ses aspects. Elle fait cela en tant que classe révolutionnaire, en commençant résolument à mettre fin à la division entre le travail intellectuel et le travail manuel et en révolutionnant les relations sociales en tant que masse organisée en assemblées générales d’entreprise et en conseils. Marx pensait à cette organisation quand il écrivait sur « l’association des producteurs libres et égaux ». Avec cette association, les rapports de production effectuent un saut immédiat de la production pour le profit à la production pour les besoins sociaux. À long terme, la classe ouvrière amènera l’économie de la pénurie à l’abondance : elle permettra ainsi l’intégration des autres classes dans « l’association des producteurs libres et égaux », dans laquelle le travail se transformera en développement de la personnalité unique de chaque individu. Le principe de la consommation de chacun en fonction des besoins s’étendra à une partie toujours plus large de la population productive.

Jan Appel et le GIC

La première étape de ce texte, issu de la Gauche communiste germano-hollandaise, a été effectuée par l’ouvrier révolutionnaire allemand expérimenté Jan Appel qui fut membre du SPD, puis président des “revolutionäre Obleute” à Hambourg, cofondateur de la Ligue Spartacus, membre du KPD(S), cofondateur du KAP, cofondateur du GIC en 1927 aux Pays-Bas, et après la Seconde Guerre mondiale, membre du Communistenbond “Spartacus”5. Ses premières idées lui en sont venues en raison du chaos économique qui a régné à la fois en Allemagne immédiatement après la Première Guerre mondiale et en Russie après la Révolution d’Octobre. En tant que délégué du KAPD au CEIC de 1920 ainsi qu’au III° Congrès de l’Internationale Communiste en 1921, il a vu que les ouvriers de l’usine de textile Prokhorov et de la gigantesque usine métallurgique Poutilov étaient impuissants face au chaos que les bolcheviks provoquaient dans l’économie, et en particulier que le travail salarié continuait à exister6.
Une interview de Paul Mattick montre qu’il avait entretenu des contacts réciproques à la suite de la vague révolutionnaire qui s’est produite dans la zone de la Ruhr en Allemagne. Jan Appel a été arrêté par la police pour avoir volé un commerçant du marché noir. Ses camarades du KAPD s’inquiétaient du fait qu’il soit reconnu comme un révolutionnaire recherché par la police, et qui serait alors condamné à une longue peine de prison, pour avoir détourné un bateau vers la Russie en 1920. Armé de pistolets et de grenades, les camarades d’Appel, y compris Paul Mattick, étaient venus au tribunal dans l’intention de le libérer si cela avait été nécessaire. Mais cela n’a pas été nécessaire, car il n’a pas été reconnu comme “pirate” et il n’a été condamné dans un premier temps qu’à une courte peine de prison7. C'est à cette occasion qu’Appel a pu lire Das Kapital et qu’il a était à même de rassembler et d’élaborer ses idées sur la base des fragments de Marx portant sur la période de transition. Ultérieurement, il a été reconnu et il a dû purger une sévère condamnation à la prison à Hambourg pour “piratage”. À la suite d’une amnistie générale, il a été libéré et il a émigré aux Pays-Bas au tournant des années 1925-1926 pour travailler au chantier naval Conrad d’Haarlem. Appel a emmené avec lui aux Pays-Bas ses notes sur ce qui deviendrait les “Principes fondamentaux”. En 1926, il présentait ses idées en faveur d’une production et une distribution communistes lors de deux réunions. La première, dans laquelle Appel a fourni une introduction, a eu lieu à la Pentecôte, et la seconde s’est tenue deux semaines plus tard. Les participants étaient des membres ou des ex-membres du KAPN : Henk Canne Meijer, Piet Coerman (Bussum), l’ingénieur Jordens (KAPN de la section Zwolle) et Hermann Gorter. Ce dernier a réagi de manière extrêmement critique. Gorter a fait appel à L’État et la révolution de Lénine et il a dit que la production devait être organisée comme le service de la poste et les chemins de fer. Selon Appel, Gorter s’était mis dans tous ses états, de sorte qu’Appel a demandé aux autres participants ce qui n’allait pas avec lui. Gorter était alors déjà malade8. Il est mort le 15 septembre 1927. Le GIC était alors constitué en particulier de Coerman, Canne Meijer, Appel et Herman de Beer. Ensuite, le GIC a développé le texte de base de Jan Appel, et c'est Canne Meijer qui a pris soin de sa rédaction.


Trois études préliminaires

Cela a conduit à trois études préliminaires dont des parties ont été incluses dans la première édition imprimée du texte, lequel a été publiée en 1930 par l’Allgemeine Arbeiter Union de Berlin. Ces études préliminaires sont extrêmement importantes étant donné qu’elles montrent le cadre politique des “Principes fondamentaux” de manière plus claire que l’ajout de 1930 au texte principal.
Le texte source de Jan Appel est paru en 1928 en trois épisodes dans “Klassenstrijd” sous le pseudonyme de Piet de Bruin sous le titre de : Aantekeningen over communistische economie. Ce texte fait directement référence à l’expérience pratique de la révolution en Russie :

« Les tentatives qui ont été effectuées en Russie pour construire le communisme ont dessiné un domaine dans le champ de la pratique qui ne pouvait être traité jusqu’ici que par la théorie. La Russie a essayé de développer une vie économique, du moins en ce qui concerne l’industrie, selon les principes communistes… et elle a complètement échoué en le faisant. »9.

Dans un deuxième temps, le GIC a publié une étude portant sur le problème des relations entre l’industrie et le secteur agricole, et donc entre les ouvriers er les paysans, un obstacle majeur dans la Révolution russe. Le GIC a complété l’expérience russe avec l’attitude des paysans dans la Révolution allemande. Le GIC tire de cette étude la conclusion politique importante suivante :

« La révolution sociale, que le communisme considère comme une nouvelle loi de mouvement pour la distribution des produits, a quelque chose à offrir aux paysans. Outre l’exemption de tous les baux, hypothèques et dettes d’entreprise, la distribution uniforme du produit national entraîne l’égalité directe ente la ville et la campagne, ce qui a pour conséquence pratique de favoriser l’agriculteur. Mais c’est le prolétariat agricole, le paria de la société capitaliste, qui fait un puissant bond en avant, de sorte qu’il a tout intérêt à faire entrer l’agriculture dans la production communiste. »10.

Cette approche des paysans est complètement différente de l’attitude incohérente des bolcheviks : assurances apportées, peu avant Octobre 1917, sur la distribution de la propriété de la terre aux paysans ; approvisionnement obligatoire des villes après la révolution ; concessions à la propriété privée de la terre au cours de la NEP ; finalement, collectivisation forcée sous Staline et, par voie de conséquence, problèmes durables d’approvisionnent alimentaire. La perspective politique mentionnée ci-dessus découlait des recherches du GIC sur les récents développements dans le secteur agricole. Ce sujet faisait suite à une vieille discussion datant d’avant la Première Guerre mondiale dans la social-démocratie hollandaise11 et à la remarque bien connue de Gorter, dans sa Lettre ouverte au camarade Lénine, sur la différence d’importance des paysans dans la révolution à l’est et à l’ouest. Ces recherches ont fourni au GIC les idées suivantes :

« (…) que l’agriculture actuelle est caractérisée par la spécialisation et qu’ainsi elle s’est complètement transformée en une “production de marchandises”. Une augmentation de la productivité a été obtenue grâce à la technologie moderne sans que des sociétés la concentrent en une seule main. Ce développement est parallèle à celui des coopératives agricoles qui associent des exploitations agricoles en communautés d’intérêts, mais les agriculteurs perdent souvent leur “liberté” (par exemple, comme dans beaucoup de cas, de disposer de leur production). Il est caractéristique, bien que très compréhensible, que le mouvement ouvrier actuel ne désire pas voir ce développement capitaliste dans l’agriculture. Compréhensible parce que ces perspectives de croissance ne correspondent pas à leur théorie du communisme d’État. L’exploitation agricole est socialisée, les fermes sont rassemblées et elles agissent collectivement, et pourtant elles ne sont absolument pas appropriées à une administration d’État. Naturellement, le mouvement ouvrier soi-disant socialiste ne déduit pas de cela que c'est la théorie communiste d’État qui est erronée, mais il conclut que le communisme est impossible à moins que l’agriculture ne se développe selon les perspectives qu’elle doit suivre selon le marxisme scolastique.
« (…) La position du Groupe des Communistes Internationaux (GIC) par rapport à la nature de la révolution prolétarienne tire son origine, pour une part non négligeable, du développement que l’entreprise paysanne a connu dans les pays capitalistes hautement développés. C'est précisément le fait que l’agriculture se soit impliquée de manière optimale dans le travail social, que l’agriculture ait été intégrée dans le processus de la division sociale du travail, qu’elle ait avancé en direction de la production industrielle et que pourtant elle ne puisse pas être incorporée organiquement dans le “socialisme” ou le “communisme”, qui jette de forts doutes sur la cohérence des théories “communistes”. Toutes les théories relatives à la “nationalisation” ou à la “socialisation” apparaissent comme rien d’autre qu’une distorsion réformiste des buts prolétariens. »12.

La troisième étude préliminaire du GIC a été publiée seulement en 1932 aux Pays-Bas, en même temps que la brochure Marxisme en staatscommunisme; het af sterven van de staat13. Jan Appel avait déjà publié ce texte en allemand en 1927. Dans Marxisme en staatscommunisme, le GIC critique l’identification de la nationalisation à la socialisation et du capitalisme d’État au socialisme, identification que Lénine avait empruntée au réformisme dans L’État et la révolution. Contrairement au renforcement de l’État qui en découlait et qui contrastait avec le dépérissement de l’État qu’espérait Lénine, le GIC colle à l’opinion de Marx selon laquelle c’est l’association des producteurs libres et égaux, c'est-à-dire les conseils ouvriers, qui prendra le contrôle des moyens de production. Il n’était donc que naturel pour le GIC que les conseils ouvriers exercent leur dictature sur la société également en matière économique, à savoir en contrôlant la production et la distribution en tant qu’association des producteurs libres et égaux. De cette manière-là, il est possible que cette dictature (l’“État prolétarien”) s’éteigne vraiment dans le développement ultérieur du communisme.

Malentendus et anti-critique


Dans ce qui précède, il a été fait référence aux malentendus qui sont nés au fil du temps et qui étaient dus aux médiocres traductions et résumés de “Principes fondamentaux”, ainsi qu’à la méconnaissance des trois études préliminaires. Cette section présente les plus importants de ces malentendus et elle les corrige avec des références à la version de 1935 des “Principes fondamentaux”.
La première critique a été celle d’Hermann Gorter lors de la présentation de la première ébauche de Jan Appel. Malheureusement, cette critique n’a été transmise que par voie orale. Le recours de Gorter à L’État et la révolution de Lénine pour appuyer son opinion selon laquelle la production devrait être organisée à la façon du service des postes et à celle des chemins de fera a reçu sa réponse dans la critique de Lénine par Appel dans la version originale en allemand de 1927 de la brochure du GIC : Marxisme en staatscommunisme; het afsterven van de staat14.


Idéaux présupposés d’absolue égalité

Anton Pannekoek a été lui aussi tout d’abord sceptique et il n’a d’ailleurs pas voulu rédiger une introduction à ce qu’il considérait comme un plan utopique. Après lecture, il s’est très facilement avéré que c’était davantage une critique de l’opinion selon laquelle l’organisation de la production devait être le fait de l’État15. Dans son livre Worker’s Councils (1946), Pannekoek a consacré dix pages à résumer les “Principes fondamentaux16. Dans son ouvrage de référence sur la Gauche communiste hollandaise et allemande, Bourrinet suggère que Pannekoek critique “implicitement” les “Principes fondamentaux” dans Worker’s Councils. Parmi beaucoup d’autres idées fausses, qui montrent que l’auteur ne connaît pas la version des “Principes fondamentaux” revue et corrigée en 1935, Bourrinet présuppose faussement que le GIC emploie une idée absolue de “justice” et de “distribution égale”17.
Dans son introduction à la réédition de la première édition allemande, Paul Mattick était déjà critique en 1970 à l’égard de la distribution fondée sur les heures de travail que le GIC proposait au début de la phase de transition. De plus, cette introduction contient toutes sortes de points qui sont intéressants pour la discussion, mais qui dépassent le cadre de ce texte. « Les possibles injustices d’une distribution liée au temps de travail » que Mattick indiquait, à savoir qu’en dépit de l’égalité formelle il n’y a d’égalité ni du travail, ni des conditions de vie des travailleurs, étaient connus aussi bien du GIC que de Marx, et la solution essentielle en était l’évolution vers un stade supérieur du communisme où ce qui prévaudra c'est de prendre en fonction des besoins et de donner en fonction des capacités. Mattick simplifie le problème en partant de l’hypothèse que « dans les pays capitalistes avancés (…) les forces sociales de production sont suffisamment développées pour produire des moyens de consommation en abondance » et que « dans les conditions d’une économie communiste, il est possible de produire une abondance de moyens de consommations, ce qui rend le calcul de la participation individuelle [au travail collectif] superflu »18. Premièrement, nous ne savons pas quelle sera dévastation due à la destruction de l’environnement, aux guerres impérialistes, aux crises économiques et à la guerre civile entre le capital et le travail, qui sera héritée du capitalisme par la classe ouvrière victorieuse. Deuxièmement, Mattick ne pose pas la question : « qui travaillera si la consommation est libre ? ». La transition de la rareté à l’abondance dans les formes supérieures du communisme n’est pas seulement une question de développement technique des forces productives. La révolution est également l’“auto-éducation” des forces productives humaines grâce à laquelle le prolétariat peut « réussir à balayer toute la pourriture du vieux système qui lui colle après et de devenir apte à fonder la société sur des bases nouvelles »19.
C'est à l’intérieur du groupe Daad & Gedachte, sur la base étroite de son propre résumé des “Principes fondamentaux”, que des discussions ont émergé à la fin des années 1970 sur les inégalités existantes en matière de paye, si celle-ci est calculée en fonction des heures travaillées. Outre des propositions intéressantes destinées à compenser ces inégalités, le groupe avançait cependant des idéaux qui étaient absents dans les écrits du GIC20.
Au début de la période transitoire, lorsque la société a encore les caractéristiques du capitalisme, le terme de “liberté”, qui figure dans « l’association des producteurs libres et égaux », a une connotation négative en tant qu’il est opposé à celui d’oppression, et pas encore la connotation du libre développement des qualités unique de chaque individu. De la même façon, le terme d’“égalité”, immédiatement après la révolution prolétarienne, nous rappelle que l’égalité formelle du droit civil des “producteurs égaux” dissimule toutes sortes de formes réelles d’inégalité. L’égalité est traitée dans les “Principes fondamentaux” de 1935 au chapitre IX sous le titre : “‘Rechtvaardige’ verdeling ?”.

« Dans la production communiste, nous demandons par conséquent que le temps de travail soit la mesure de la consommation. Chaque travailleur détermine par son travail en même temps sa part dans les stocks sociaux de biens de consommation.
« Ou bien, comme le dit Marx : “ Il reçoit de la société un bon constatant qu'il a fourni tant de travail (défalcation faite du travail effectué pour les fonds collectifs) et, avec ce bon, il retire des stocks sociaux d'objets de consommation autant que coûte une quantité égale de son travail. Le même quantum de travail qu'il a fourni à la société sous une forme, il le reçoit d'elle, en retour, sous une autre forme.” (Voir la fin du chapitre III).
« Cela est mal interprété comme étant une distribution “juste” du produit national. Et c'est vrai dans ce sens que personne ne peut manger s’il se roule les pouces, comme les actionnaires le font quand leur seule occupation est d’encaisser les dividendes. Mais la justice ne va pas plus loin qu’avec ce cas-là. À première vue, il semble que toute différence de salaire soit abolie, et que toutes les fonctions de la vie sociale, que le travail soit intellectuel ou manuel, donne des droits égaux aux stocks sociaux. Mais si l’on y regarde de plus près, la loi de l’égalité fonctionne de manière très injuste.
« Prenons deux travailleurs, tous deux donnant à la société le meilleur de leurs capacités. Mais l’un est célibataire, tandis que l’autre a une famille avec cinq enfants. Un autre est marié, mais le mari et la femme travaillent tous les deux de sorte qu’ils ont un “double” revenu21. En d’autres termes, le même droit aux ressources sociales devient une grande injustice dans la consommation pratique.
« La distribution selon la règle du temps de travail ne peut donc jamais découler de la justice. La règle du temps de travail a les mêmes défauts que toute autre règle. Cela signifie : une règle juste n’existe pas et ne peut jamais exister. Quel que soit le critère que l’on choisisse, il sera toujours injuste. Et cela parce qu’employer un barème signifie ignorer les différences individuelles en matière de besoins. Une personne a peu de besoins, une autre en a beaucoup. Un homme peut ainsi satisfaire tous ses besoins avec son allocation de fournitures, tandis qu’un autre manque de toutes sortes de choses. Ils donnent tout ce qu’ils peuvent à la société, et pourtant le premier peut satisfaire ses besoins et le second ne le peut pas.
« Cette imperfection est inhérente à tout barème. En d’autres termes, la définition d’une mesure de la consommation est une expression de l’inégalité de la consommation. La demande de droits égaux sur les stocks sociaux n’a rien à voir avec la justice. Au contraire, c’est une revendication politique par excellence que nous posons en tant que travailleurs salariés. Pour nous, l’abolition du travail salarié est le point central de la révolution prolétarienne. Tant que le travail n’est pas la norme de la consommation, il y a un “salaire”, qu’il soit élevé ou faible. Dans tous les cas, il n’y a pas de lien direct entre la quantité de biens produits et le salaire. En conséquence, la gestion de la production, la distribution des biens et aussi la valeur ajoutée ainsi produite, échoient nécessairement aux “instances supérieures”. Cependant, si le temps de travail est le critère pris pour la consommation individuelle, cela veut dire que le travail salarié a été aboli, qu’il n’y a plus de plus-value produite, et que par conséquent il n’y a plus besoin d’“instances supérieures” pour distribuer le “revenu national”.
« Le besoin d’un droit égal sur les ressources sociales ne dépend donc pas de la “justice” ou de tout autre sorte d’évaluation. Il est fondé sur la conviction que c’est seulement de cette manière-là que les travailleurs salariés pourront conserver le contrôle de l’économie. C'est à partir de l’“injustice” du droit égal que la société communiste commencera à se développer. »22.


Incompréhension du cadre politique

Concernant la Gauche italienne en exil, c'est une critique plus politique qui a été faite par elle des “Principes fondamentaux”. Cependant Mitchell, dans un très long écrit dans “Bilan”, de 1936 à 1937, a ignoré les prémisses politiques trouvées à la fois dans les études préliminaires et dans l’édition de 1935 des Principes fondamentaux”. En conséquence, sa conclusion équivaut en partie à constater une évidence :

« Dans la prochaine révolution, le prolétariat vaincra indépendamment de son immaturité culturelle et de ses lacunes économiques, à condition qu’il ne compte pas sur la “construction du socialisme” mais sur le développement de la guerre civile internationale. »23.

Hennaut avait déjà rédigé en 1936 pour “Bilan” un résumé en français des “Principes fondamentaux”. Connaissant l’édition hollandaise, Hennaut a formulé en 1935 dans “Bilan” de manière beaucoup plus prudente et plus précise ce à quoi “Bilan” pensait, à savoir à la question de l’État prolétarien :

« C’est pour cela qu’une révolution, si “mûre” fût-elle, ne peut jamais être un processus mécanique. Il est possible que telle ne soit pas non plus l’opinion de nos camarades hollandais et que la lacune que nous signalons ne résulte que de la nécessité qu’il y avait d’abstraire en quelque sorte et de montrer, pour la clarté de l’exposition, l’évolution économique comme étant complètement séparée de l’intervention politique, mais il importe quand même de faire plus de clarté sur ce point. Il est vrai qu’ils affirment quelque part que l’État reste nécessaire au prolétariat après la prise du pouvoir. Il s’agit d’un “État” d’une nature particulière, qui n’est déjà plus, en réalité, un État, comme Lénine, après Marx, le montrait d’ailleurs. Il s’agit d’un État qui « ne puisse pas ne pas dépérir », alors que le marxisme a mis en relief que l’État était toujours l’instrument d’oppression d’une classe sur une autre. Il est possible que, pour la clarté de l’exposition, il faille remplacer dans la terminologie l’expression d’“État prolétarien” par une autre plus adéquate. Mais, avec ces explications, on comprendra nos critiques. L’exposé des Hollandais énonce la nécessité d’un “État prolétarien” qui ne pourrait pas s’évader de sa fonction d’instrument de répression de la contre-révolution. »24.
La Gauche italienne a présenté dans “Bilan” et dans “Internationalisme” d’intéressantes positions sur l’État dans la phase de transition. Malheureusement, la discussion entre les positions de la Gauche communiste italienne et de la Gauche communiste hollandaise a été bloquée pendant des décennies en raison du mépris pour le cadre politique que la GIC a utilisé25. Certains de ces malentendus persistants ont été propagés par Gilles Dauvé.
Après Mai 1968, la Gauche germano-allemande a été redécouverte en France. Cette redécouverte s’est produite sous le couvert des illusions petites-bourgeoises et artisanales de l’“autogestion ouvrière” économique dans des usines occupées isolées - par exemple, l’usine de montres LIP - au sein du capitalisme. Après que certains textes communistes des conseils ont été nouvellement traduits ou republiés à partir de sources avant cela obscures, Authier et Barrot (ce dernier nom étant le pseudonyme de Gilles Dauvé) ont publié en 1976 une première historiographie en français de La gauche communiste en Allemagne 1918-1921. Les auteurs reprenaient la critique formulée par Bordiga concernant l’obsession supposée de la Gauche communiste allemande pour les formes d’organisations (conseils, parti) au détriment de leur contenu, c'est-à-dire du programme communiste. Bordiga indiquait que tant que le Parti Communiste de Russie au pouvoir adhérerait ne serait-ce que “programmatiquement” à la révolution mondiale, la Russie serait gouvernée par une dictature du prolétariat26. Bordiga n’identifiait pas le capitalisme d’État et le socialisme, comme Lénine le fait dans L’État et la révolution avant la Révolution d’Octobre. Bordiga en appelait aux déclarations de Lénine à l’époque de la lutte contre les communistes de gauche, et plus tard dans la défense de la NEP. Lénine, qui était devenu plus analytique après la Révolution d’Octobre, défendait le capitalisme d’État comme une avancée économique vers le socialisme, mais il ne le qualifiait pas de capitalisme. À propos de ces subtilités non négligeables dans la défense du capitalisme d’État par Lénine et par Bordiga, il est important de souligner que Bordiga acceptait le remplacement léniniste de l’activité de masse et de l’organisation de masse par l’organisation minoritaire du parti, tandis que les Gauche hollandaise et allemande partageaient le fait de considérer les conseils ouvriers comme des organes de masse de la dictature du prolétariat. Mais cette vision des choses est rejetée, dans un style léniniste, du point de vue substitutionniste du bordiguisme comme représentant la priorité de la forme organisationnelle sur le contenu programmatique, si ce n’est simplement comme un “économisme”. Avec le recours bordiguiste à la primauté du programme, Authier et Barrot ont qualifié toute la Gauche germano-hollandaise de “conseilliste”27, lui déniant son caractère “communiste”.
Le plus grand crime que le GIC a commis aux yeux d’Authier et de Barrot est de proposer d’introduire l’heure de travail moyenne socialement nécessaire comme unité de calcul dans une économie qui connaît encore la pénurie. En introduisant une unité générale de comptabilité, les rapports de valeur seraient maintenus. Pour prouver cela, ils invoquent Bordiga qui avait été le seul pendant longtemps à avoir répété que le communisme ne connaît plus de valeur. Les calculs ne devaient être appliqués qu’à des quantités physiques, « mais non pas en vue de quantifier, de réguler, un échange qui n’existe plus »28. C'est dans ce contexte qu’Authier et Barrot font référence à deux fragments du vaste ouvrage de Bordiga sur la Structure économique et sociale de la Russie d’aujourd'hui29. Cependant, il est dit en premier lieu dans ces fragments que, dans le socialisme, l’accumulation de valeur est remplacée par la production de valeurs d’usage (p. 191). Deuxièmement, Bordiga indique que les bolcheviks utilisaient la monnaie comme moyen de calcul dans leur planification, et il est d’accord avec Boukharine lorsque ce dernier exprime sa préférence pour une planification en nature ou en quantités physiques (p. 205). Les bolcheviks ont appliqué cette planification en nature au cours du Communisme de guerre, ce qui a été généralement reconnu comme un échec complet, après lequel la NEP a été introduite. La planification en quantités physiques a été analysée par le GIC dans “Les principes fondamentaux30.
Authier et Barrot se réfèrent à la critique de Proudhon par Marx comme second argument contre le temps de travail en tant qu’unité de calcul. Cependant, en 2013, David Adam a montré que les propositions du GIC sont parfaitement conformes à Marx. Dans ses aventures politiques, Barrot/Dauvé s’était transformé en principal idéologue du courant de la “communisation”31.
Confronté à l’argument d’Adam, Dauvé a tourné le dos à Marx :

« Dans Marx’s Critique of Socialist-Money Schemes & the Myth of council Communism’ Proudhonism, libcom.org, 2013, David Adam réfute mon ancienne critique de la vision conseilliste du communisme en arguant que la notion de valeur du GIC est la même que celle de Marx. Que la discussion soit devenue plutôt difficile n’est ni de la faute de David Adam ni de la mienne, c'est seulement dû au fait que la question est compliquée. Dans le passé, j’ai voulu contester le GIC au nom de l’analyse de la valeur de Marx en faisant une référence particulière aux Grundrisse. Je mets maintenant en avant l’argument selon lequel il y a quelque chose de hautement discutable dans la vision même de Marx, à la fois dans Le Capital et dans les Grundrisse, que le GIC a marché sur les traces de Marx et qu’il a eu tort de le faire : loin d’être un instrument utile et juste de mesure, le temps de travail est consanguin au capitalisme. C’est davantage qu’un lien causatif : le temps de travail est la substance de la valeur. Marx était certainement un précurseur du projet conseilliste. »32.

Par souci d’exhaustivité, il faut noter ici que l’ouvrage de Bordiga : Structure économique et sociale de la Russie d’aujourd'hui contient un chapitre dans lequel il mentionne les certificats de travail (avec le nombre d’heures travaillées) que Marx, dans sa Critique du programme de Gotha, proposait comme un droit à la consommation au cours du premier stade de la société socialiste. Bordiga dit qu’il a rencontré en Union soviétique toutes sortes de catégories purement capitalistes telles que l’argent, l’épargne, les comptes bancaires, l’intérêt, le crédit, mais jamais ces certificats de travail33. Ceci rend l’appel de Dauvé à Bordiga pour le moins discutable.
Assez parlé maintenant des malentendus persistants sur les “Principes fondamentaux” par manque de connaissance du texte concerné, en particulier dans le monde francophone. Et pour finir, laissons le GIC parler pour lui-même.


La dictature économique du prolétariat

C'est sous le titre de : “La dictature économique du prolétariat” que le GIC a présenté sa vision politique dans l’édition de 1935 des “Principes fondamentaux” :

« Pour finir, nous devons consacrer quelques mots à la dictature du prolétariat. La dictature est une chose évidente pour nous, et l’on n’a donc pas nécessairement besoin de parler d’elle, étant donné que la structure de la vie économique communiste n’est pas différente de la dictature du prolétariat. La mise en œuvre de l’économie communiste ne signifie rien d’autre que l’abolition du travail salarié, ce qui entraîne le droit égal aux stocks sociaux pour tous les producteurs. C'est également l’abolition des privilèges de certaines classes. L’économie communiste ne donne à personne le droit de s’enrichir aux dépens du travail des autres. Celui qui ne travaille pas, ne mange pas. L’application de ces principes n’est en aucun cas “démocratique”. La classe ouvrière les met en œuvre avec la plus violente et sanglante des luttes. Il ne peut pas être question de “démocratie” dans le sens d’une coopération des classes, telle qu’on la connaît aujourd'hui dans les systèmes parlementaire et syndical.
« Mais si nous regardons la dictature du prolétariat du point de vue de la transformation des relations sociales, des relations réciproques entre les hommes, alors la dictature est la véritable conquête de la démocratie. Le communisme ne veut pas dire autre chose que le fait que l’humanité entre dans une phase culturelle supérieure, étant donné que toutes les fonctions sociales sont placées sous la direction et le contrôle de tous les travailleurs, et qu’ainsi ceux-ci prennent leur destin en main. Autrement dit, la démocratie est devenue le principe de vie de la société. De ce fait, une démocratie essentielle, enracinée dans la gestion de la vie sociale par les masses laborieuses, est exactement la même chose que la dictature du prolétariat.
« Il était de nouveau réservé à la Russie de faire de cette dictature une caricature en présentant la dictature du parti bolchevik comme la dictature de la classe prolétarienne. De cette manière, il a fermé la porte à une véritable démocratie prolétarienne, c'est-à-dire à l’administration et à la direction de la vie sociale par les masses elles-mêmes. La dictature du parti est la forme dans laquelle la dictature du prolétariat est en réalité contrecarrée. 
« En plus de la signification sociale de la dictature, jetons un regard sur son contenu économique. Dans la sphère économique, la dictature agit de telle manière qu’elle impose une application générale des nouvelles règles sociales auxquelles la vie économique est sujette. Les travailleurs eux-mêmes peuvent ajouter toutes les activités sociales à l’économie communiste s’ils acceptent ses principes, s’ils mettent en œuvre la production pour la communauté sous la responsabilité de la communauté. C'est tous ensemble qu’ils mettent en pratique la production communiste.
« Il est évident que les différents domaines du secteur agricole ne suivront pas immédiatement les règles de la vie économique communiste, c'est-à-dire qu’ils ne se joindront pas à la communauté communiste. Il est également probable que certains travailleurs comprendront le communisme de telle manière qu’ils voudront gérer les entreprises de manière indépendante, et non pas sous le contrôle de la société. Au lieu du capitaliste privé du passé, ce sera alors l’organisation des affaires qui agira en tant que “capitaliste”.
« À cet égard, la dictature économique a pour fonction spécifique d’organiser le secteur économique selon les règles générales, et, dans le bureau général de comptabilité, la comptabilité sociale remplit une fonction importante. Nous trouvons dans les comptes sociaux l’enregistrement des flux de biens dans la vie économique communiste. Cela ne signifie rien d’autre que ceux qui ne font pas partie du système de comptabilité sociale ne peuvent pas obtenir de matières premières. En effet, dans le communisme, rien n’est “acheté” ni “vendu”. Les producteurs ne peuvent obtenir des produits et des matières premières de la part de la communauté que pour une distribution ou une transformation supplémentaire. En revanche, ceux qui ne désirent pas inclure leur travail dans le processus de travail régulé socialement s’excluent de la communauté communiste. C'est ainsi que la dictature économique mène à l’auto-organisation de tous les producteurs, qu’ils soient petits ou grands, qu’ils soient industriels ou agricoles. En réalité, cette dictature s’abolit immédiatement à partir du moment où les producteurs intègrent leur travail dans le processus social et où ils travaillent selon les principes du contrôle social et de l’abolition du travail salarié. C'est donc aussi une dictature qui “meurt” automatiquement dès que la vie sociale tout entière est établie sur les nouvelles fondations de l’abolition du travail salarié. C'est également une dictature qui n’exerce pas son pouvoir en employant la baïonnette, mais qui procède avec les lois économiques du développement du communisme. Ce n’est pas “l’État” qui s’acquitte de la dictature économique, mais c'est quelque chose de plus puissant que l’État : les lois économiques du développement. »34.

Les “Principes fondamentaux” ne fournissent certes pas le dernier mot concernant les mesures que les conseils ouvriers pourront prendre après leur conquête du pouvoir politique. Mais c'est le GIC qui jusqu’à présent a produit l’analyse la plus complète et la plus profonde des expériences révolutionnaires de la période 1917-1923. C'est aux nouvelles générations de travailleurs révolutionnaires qu’il revient d’aller de l’avant en utilisant comme marchepied ce qui a été accompli il y a cent ans.
 
Fredo Corvo, mai 2018.
Relecture : Jacob Johanson, 12 mai 2018.
Résumé de l’article



Les “Principes fondamentaux de la production et de la distribution communistes” par le Groupe des Communistes Internationaux (GIC) n’est pas seulement un texte historique. Sur la base des idées de Marx et des expériences effectuées dans les révolutions de 1905-1923 en Russie et en Allemagne, le GIC aborde les problèmes qui surviendraient immédiatement après la prise du pouvoir par la classe ouvrière. Le texte du GIC a été publié pour la première fois en 1930, en allemand. Plusieurs traductions et extraits en diverses langues sont fondés sur cette première édition. L’on sait moins que le GIC a publié une dernière édition revue, corrigée et augmentée, en néerlandais, en 1935, dans laquelle il répond à un certain nombre de critiques.
Par manque de traductions et en raison d’extraits partiels, et aussi par manque de connaissance des trois études préliminaires aux “Principes fondamentaux”, le débat relatif à la période de transition entre les positions de la Gauche communiste hollandaise et de la Gauche communiste italienne est resté bloqué jusqu’à aujourd'hui. Pour la première fois, l’on a tenté d’éliminer les deux plus importants malentendus et critiques en résumant ces textes qui étaient jusqu’alors inconnus à l’extérieur de l’aire linguistique néerlandaise, et ce au moyen de citations.
Cela concerne en premier lieu les idéaux d’“égalité absolue” qui sont faussement attribués au GIC alors que celui-ci a fait remarquer l’inégalité réelle dans la distribution fondée sur le nombre d’heures travaillées, de la même manière que Marx l’avait fait dans sa Critique du programme de Gotha.
Deuxièmement, sur la base des études préliminaires et de l’édition de 1935, le cadre politique dans lequel le GIC a posé les problèmes économiques est esquissé, ce qui est contradictoire avec l’approche économique unilatérale supposée de la période de transition.
Une attention particulière est prêtée aux malentendus qui ont été d’abord répandus par Authier et Barrot (Dauvé) dans l’aire francophone, et qui ont été relayés par les idées du mouvement de “communisation”. En réponse, David Adam a déjà montré que le GIC n’est pas proudhonien, mais que ses idées sur la fin du travail salarié coïncident avec celles de Marx. Il est ici démontré que la référence d’Authier et de Barrot à Bordiga est douteuse et que, dans les dernières pages de son ouvrage : “Structure économique et sociale de la Russie d’aujourd'hui”, Bordiga a précisément recours aux “bons de travail” qui ont été condamnés par Authier et Barrot.
* * * * *



NOTES

1 GIC, Marxism and State Communism : The Witherings Away of the State [Marxisme et communisme d’État : le dépérissement de l’État] - Amsterdam : Groepen van Internationale Communisten, 1932 - 18p. La citation est identique au premier paragraphe de Max Hempel (pseudonyme de Jan Appel), Marx-Engels-Lenin : Über die Rolle des Staates in der proletarischen Revolution [Marx-Engels-Lénine : Sur le rôle de l’État dans la révolution prolétarienne], inProletarier” (Berlin) n° 4-6, mai 1927. Les deux textes correspondent amplement aux Principes fondamentaux et ils peuvent en être considérés comme une étude préliminaire.
2 Pour une vue d’ensemble exhaustive des différentes publications ayant des liens avec les textes complets, voir aaap.be. Si vous cherchez un bref résumé des “Principes fondamentaux”, vous pouvez choisir parmi les titres suivants qui sont rangés ici du plus simple au plus complexe : Spartacus 1961 (original en néerlandais), Mattick 1938 partie 1, partie 2 (original en anglais), ou Mattick 1934 (original en anglais).
3 Voir : “Principes fondamentaux de production et de distribution communistes”, 1930, chap. XIX.
4 GIC, “Principes fondamentaux de production et de distribution communistes”, 1930, chap. I à VI. GIC, “Les fondements théoriques de l’ouvrage : “Principes fondamentaux de production et de distribution communistes””, 1931. L’édition de 1935 est augmentée de réponses à plusieurs critiques. Malheureusement, elle n’a jamais été traduite du néerlandais dans d’autres langues.

5 Jan Appel (1890-1985).
6 Notes d’une conversation de F. O. avec Appel en 1977 (collection AAAP).
7 Plutte, Geoffroy (sous la direction de), Die Revolution war für mich ein grosses Abenteur. Paul Mattick in Gespräch mit Michael Buckmiller, Münster, 2013, pp. 41/43. La révolution fut une belle aventure : Des rues de Berlin en révolte aux mouvements radicaux américains (1918-1934) / Paul Mattick ; traduit de l’allemand par Laure Batier et Marc Geoffroy ; préface de Gary Roth ; notes de Charles Reeve. - Montreuil : L’Échappée, 2013.
8 Sur la base des notes prises lors de la conversation de F. O. avec Appel (collection AAAP).
9 Pour le texte original complet en néerlandais voir Aantekeningen over communistische economie. La première partie a été publiée dans AFRD vol. 1#04, 22 août 2017 : “Extracts from : ‘Notes on communist economy’ by Piet de Bruin (Jan Appel), 1928 (Partie 1 à 3)”.
10 GIC, Ontwikkelingslijnen in de landbouw (Ontwikkeling van het boerenbedrijf), 1930. Voir pour une position récente : Over het agrarische vraagstuk.
11 Voir : Eenige opmerkingen bij de voorstellen van de agrarische commissions / Ant[on]. Pannekoek [Met een antwoord van H. Gorter] in: “De Nieuwe Tijd”, 1904, p. 409-420
12 GIC, Ontwikkelingslijnen in de landbouw (Ontwikkeling van het boerenbedrijf) 1930.
13 GIC, Marxism and State Communism; The Withering Away of the State – Amsterdam: Groepen van Internationale Com munisten, 1932. – 18 p.
14 GIC, Marxism and State Communism; The Withering Away of the State – Amsterdam: Groepen van Internationale Com munisten, 1932. – 18 p.
15 Anton Pannekoek, Herinneringen, 1982, p. 215
16 Anton Pannekoek, Workers' Councils, 1946 Shop organization.
17 Pour la plus récente édition en anglais, en partie revue et corrigée, voir The Dutch and German Communist Left (1900-68), Brill, p. 358/363. La première édition de cette Thèse a également été distribuée par le CCI comme étant son propre “travail collectif”. Voir aussi la critique de Corvo : Council communism or councilism? - The period of transition.
18 Voir : Introduction / Paul Mattick.
19 Marx/Engels : L’idéologie allemande.
20 Daad & Gedachte, Maar hoe dan? Enige gedachten over een socialistische samenleving: Discussie.
21 Note de F. C. : Cet exemple indique erronément que le mariage bourgeois et la famille bourgeoise continueront à exister durant la période transitoire. Mais les communistes proposeront une individualisation des revenus qui assurera que ceux qui forment un ménage le font sur la base seulement de l’affection personnelle et non pas contraints par une dépendance économique mutuelle.
22 Principes fondamentaux”, 1935, chapitre IX sous le titre : “‘Rechtvaardige’ verdeling ?”.
23 Mitchell, Problèmes de la période de transition.
24 A. Hennaut, Discussion sur les “Principes fondamentaux” du GIC, 1935.
25 A. Hennaut, De Nederlandse Internationale Communisten over het program van de proletarische revolutie.
26 Voir en particulier : Bilan d’une révolution (1967-1991), conclusion de la partie I : Les grandes leçons d’Octobre 1917.
27 Authier/Barrot, La Gauche Communiste en Allemagne 1918-1921, Paris, 1976 p. 18.
28 Ibidem, p. 227.
29 Bordiga, Structure économique et sociale de la Russie d’aujourd’hui ; II Développement des rapports de production après la révolution bolchevique, Paris.
30 GIC, The Basic Theoretical Foundations of the Work “Fun damental Principles of Communist Production and Distribu tion”, Ch. III The Distribution of Means of Production and Consumption “in Natura” (by Barter) as a Bolshevik Ideal, en hollandais : GIC, Grondbeginselen van de communistische produc tie en distributie, Ch. XII De opheffing van de markt.
31 Sur cette histoire peu ragoûtante, voir : Bourrinet, Dictionnaire biographique d’un courant internationaliste, lemme Dauvé.
32 Gilles Dauvé, Value, time and communism : re-reading Marx.
33 Bordiga, idem, Le ‘bon’ de Marx, p. 221 et suivantes.
34 Principes fondamentaux, 1935, in Ch. XVI sous le titre : De economische dictatuur van het proletariaat.

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