PAGES PROLETARIENNES

jeudi 22 février 2018

ROBIN SANS GOODFELLOW


Les murs du lycée Buffon ont encore les reflets d'heures de gloire, ses lycéens résistants fusillés par les nazis comme des traces de vedettariat de cette ribambelle de personnages célèbres, l'idiot politique Sartre, le curé philosophe Clavel (que nous avons failli avoir pour prof) et le lycéen Cohn-Bendit. Ce fût surtout un des principaux lycées « agités » en mai 68 où écrémèrent de futurs journalistes et caricaturistes, où l'idée de coordination des comité d'action estudiantins prit naissance. Ce fût aussi le creuset de la vocation révolutionnaire d'une poignée de lycéens pour toute une vie. Le lycée Buffon aujourd'hui ne ressemble plus qu'à un couvent de jeunes filles en fleurs, devenu mixte et bcbg.
Que les débats politiques y furent intenses, que ces jeunes lycéens firent preuve d'une maturité
politique rarement vue en milieu scolaire petit bourgeois est indéniable, parce qu'ils étaient le produit d'une époque particulière ébranlée par la force tranquille de la classe ouvrière dont mai 68 ne fût que le pic, parce qu'il entra beaucoup de dérision dans le lycée et ses alentours. Notre éveil à la politique mûrit en effet contre le système paternaliste dans les moqueries, moquerie des profs ringards, moqueries des aspirants chefs gauchistes et du vieux barnum stalinien ; pitié pour les années de guerres et de galère de nos parents. Nous ne nous sentions pas anarchistes pour autant, même si on en comptait déjà un, notoire pervers narcissique avant l'heure (il y en a toujours dans les mouvements contestataires).

Là se trouve l'origine de nos « Robin Goodfellow » et leurs limites oserai-je ajouter... Après la disparition de son alter ego, Dominique Cotte, Robin nous refile sur farce book un texte commémoratif à la gloire de leur couple méconnu : « 1976-2016 regards sur les 40 ans écoulés » avec la couverture de « Communisme ou Civilisation »1. Triste anniversaire plutôt mystifié et peu mystifiant pourtant.
La trajectoire de « C ou C » jusqu'à « RG » est pourtant restée fort académique comme à leurs 2.
débuts lycéens. Le questionnement de ce groupe de jeunes lycéens intelligents, brillants et moqueurs procède par une démarcation avec les trois pôles politiques dominant le milieu politique prolétarien post-68 et en référence à la révolution russe, hors du charivari des pitres trotskiens et gauchistes en tout genre : Pouvoir Ouvrier (issu de S ou B), le bordiguisme et RI

Refusant « l'activisme », ils vont se consacrer à une étude de l'oeuvre de Marx, projet qui me fît fuir. J'en avais terminé avec le lycée et, rapidement marié, père de famille et engagé dans la vie active, je n'avais nulle envie de retourner à la scholastique. L'époque est favorable aux célèbres doctrinaires inconnus, c'est ainsi que ce « petit noyau » bute d'abord sur les fous furieux semi-alcooliques de « Groupe Communiste Mondial » pour ensuite prendre son envol sous des cieux brésiliens plus cléments. Tout en se proposant un « retour à Marx » (le vrai, l'infaillible) le petit noyau se démarque des erreurs prévisionnistes des derniers mohicans bordiguistes et surtout de ces « ultra-gauches » de RI « qui se consacrent principalement à des questions d'organisation ». La saga d'emblée a aussi un parfum d'invariance quoiqu'ils en disent. Le remake bordiguien n'est pas loin, surtout sur les positions les plus avalées par les activistes gauchistes : la défense du militantisme syndical retors et des libérations nationales frauduleuses ; en revanche, ce qui donne un semblant de radicalité « ultra-gauche » (à l'époque, maintenant on peut dire maximaliste) à nos académistes qui viennent de quitter le lycée pour l'université, c'est une saine critique du capitalisme russe et de la comédie éternelle du front unique antifasciste qui les démarque du gauchisme bourgeois et néo-stalinien. Il est curieux que dans ce bilan de 40 ans nos mémorialistes narcissiques n'analysent pas plus leurs fonds baptismaux. Je me souviens des discussions nuitamment assis sur le plancher de mon deux pièces à Vanves où les pères de RG polémiquaient vivement en tonnant « le parti c'est la classe » air bordiguiste impayable contre Hébert qui, imbibé de la réflexion critique des vieux de Pouvoir Ouvrier (Véga, Souyri, Vouvray, etc.), se moquait de ces sentences bordiguiennes. Etrange que nos mémorialistes en herbe estiment que PO disparaît « parce qu'il n'aurait pas vu ses effectifs croître comme ceux des gauchistes ». Que certains des vieux de PO se soient rêvés de nouveaux Lénine, je suis là pour en témoigner, mais ce n'est pas la raison de la fin de PO. Pouvoir Ouvrier est certainement ce qui est sorti de mieux de S ou B, mais il fut aussi son chant du cygne ; S ou B comme PO ont constitué dans les années de contre-révolution prolongée un effort incontestable de réappropriation de la théorie marxiste hors du stalinisme et du trotskysme queuiste, mais avec leurs limites : Chaulieu avait pompé le conseillisme ringard de Pannekoek avant de tout renier, et ses ex-collègues de PO, intellectuels distingués eux aussi, ne croyaient plus au rôle révolutionnaire de la classe ouvrière. Nos mémorialistes en herbe n'ont pas un mot pour l'épisode de la fondation par les jeunes de PO de la « Gauche marxiste », et c'est dommage, non pas pour l'inutilité et la misère théorique de ce groupuscule3, qui ne fut qu'une variante du gauchisme, mais parce que c'est face à ce marais politique qu'ils ont grandi. Leur mentor Hébert avait été à la fondation de ce groupe, ce à quoi je poussais moi aussi contre la mollesse de vieux de PO. Hébert était notre mentor à
Hébert et moi dans le film "Le spectre du communisme" 1973
tous, mais un mentor dans le genre d'époque, c'est à dire pratiquant le terrorisme intellectuel. Je l'ai dit plus haut, c'est la dérision qui amène à la conscience contre l'existant conservateur, mais la dérision contient un défaut, la persécution ou la calomnie ; l'époque n'était pas débarrassée de l'esprit stalinien, ainsi un « bon marxiste » se devait d'être cynique, c'est à dire en vérité althussérien – Al tu sers à rien ou Al tu sais rien ! - alors qu'en même temps nous nous moquions du dogmatisme et de la fossilisation du futur féminicide de la rue d'ULM père de tant de couillons à la BHL ou July.
En réalité de la dérision au cynisme on ne peut sauter que dans l'académisme. Refusant « l'activisme » des bordiguistes et du CCI, nos mémorialistes ne font que perpétrer un marxisme en chambre. Bien sûr ils ont beau jeu de dire que l'activisme n'a servi à rien, que les minorités activistes « ultra-gauches » ont perdu leur temps quand la « priorité était au travail théorique ».

Or ce n'est pas tout à fait vrai. Si les bordiguistes ne peuvent qu'ânonner les mêmes textes sacrés tout en restant souvent, et étonnamment, proches de la réalité de la classe ouvrière, le CCI tout en étant très actif dans les dernières vagues de luttes ouvrières classiques, a poursuivi un indéniable travail d'approfondissement politique malgré les quolibets des sectaires et les aléas de ses scissions, et ses textes restent référentiels même si ce qu'il en reste n'est plus qu'une secte policière de ses affidés. Preuve en tout cas qu'une activité de propagande envers la classe ouvrière n'empêchait pas en même temps de réfléchir au futur communiste, plus projeté que clairement réaliste à la fin du XXe siècle.

LE LUXEMBURGISME, voilà l'ennemi !

Nos mémorialistes narcissiques se flattent d'avoir systématisé une analyse moderne du capitalisme dégagée de la césure luxemburgiste de 1914. L'étude d'ampleur sur les crises du capital au XX e
Marc Chirik
siècle est sans nul doute fort intéressante, loin de moi de vouloir nier cet effort, mais un intérêt au plan purement académique comme le Capital financier de Hilferding, et qu'on espère que des étudiants thésards la consulteront (l'étude d'ampleur) dans les bibliothèques numériques de demain.
Le dit luxemburgisme reste cependant au plus près de la réalité des contradictions, crises et de la décadence du capitalisme actuel4 que les chiffrages abscons de nos économistes en chambre. Sous l'aspect orthodoxe pointe hélas à nouveau la névrose invariante néo-bordiguienne qui fait rhabiller Marx en tenue de rap. Puisque Marx et Engels n'ont fait que des bonnes analyses du même capitalisme (déjà affirmé) à leur époque donc du nôtre 150 ans après ! Je rappelle qu'au temps de Marx on dansait plutôt la valse que le Lindy Hop. Marx reste donc un invariable sur les questions syndicales, parlementaires et nationales puisque la date fatidique de 1914 a volé en éclats et ne justifierait plus un déplacement des conceptions politiques « tactiques ».
Bon je veux bien... admettons que 1914 ne signifie plus qu'une longue (et malheureuse) succession d'épisode d'un capitalisme unilatéral fait de guerres, de crises et de moins en moins de révolutions, nos mémorialistes égotistes peuvent-ils nous expliquer comment le prolétariat et ses défenseurs pourraient à nouveau aller caracoler à la tribune de n'importe quel parlement, nous montrer quelle grève n'a pas été trahie par un seul syndicat radical et nous expliquer leur lamentable soutien à l'indépendance de la Catalogne ?

Un de mes lecteurs, ex-membre du Groupe communiste mondial, qui republie sur Face book des textes ronéotés bordiguiens classiques, n'est pas aussi borné puisqu'il est estomaqué lui aussi par ce conservatisme irréaliste et finalement très réac, aboutissement de tout académisme qu'il se proclame marxiste ou sportif : « Ils ont fumé la moquette quand ils ont rédigé leur texte sur la Catalogne » !
Reprenant la notion fumeuse de Marx et Trotsky de « révolution permanente », alors que la révolution ne peut pas être permanente en soi, « la république démocratique est l'ultime champ de bataille pour le prolétariat » !? C'est du gradualisme ou inconséquent ? Supposons que la révolution éclate lors d'un début de guerre mondiale, dans cette configuration le régime le plus démocratique équivaut aux pires régimes de dictature sur la société, donc l'ultime confrontation n'a pas lieu alors sur mettons le terrain parlementaire ou des rigolos syndicalistes, mais les armes à la main ! On a pu lire au cours de ces 40 années de zig-zags académiques tant de bizarres annotations. Que la révolution ne pourra se produire que dans la plus pure démocratie est une de ces bizarreries qui reflète bien plutôt un état d'esprit petit bourgeois loin des réalités mouvantes, et cet aveuglement à ne voir le capitalisme que dans des colonnes de chiffres mais pas les gangs même plus nationalistes qui revendiquent une indépendance nationalo-régionale pour s'en mettre plein les poches.

Il n'y a pas de quoi se moquer de la disparition ou de l'étiolement des groupuscules (ou couples d'individus) révolutionnaires les plus sérieux. C'est comme ça. C'est surtout le produit de l'impuissance du prolétariat à relever la tête et de son appétence à se laisser encore acheter. Une réflexion est à mener publiquement sur cet échec et sur des inquiétudes légitimes pour la perpétuation de la tradition révolutionnaire. Vous pouvez être d'accord, et moi aussi, avec le dernier paragraphe, promettant l'abolition du capitalisme, sauf avec le radotage du parti léniniste qui doit prendre le pouvoir, et le vague prolétariat se servir surtout de sa force militaire (?). Car tout n'est pas si simple. Un coup de clairon « optimiste » sur 40 ans d'académisme dans son petit coin de banlieue, ne peut remplacer une estimation de la place réelle du prolétariat aujourd'hui (hors de la forfanterie sur son nombre majoritaire présumé par Robin veuf) ni empêcher une réflexion sur son atonie. Et la dernière trouvaille – rallier les classes moyennes - n'est pas de nature à nous rassurer d'autant que toutes les révolutions jusqu'à nos jours ont été menées par la petite bourgeoisie.

NOTES:

1http://www.robingoodfellow.info/pagesfr/rubriques/Anniversaire.pdf
2Révolution Internationale, actuel CCI. J'ai su par Raoul qu'à l'époque ce groupe de Toulouse, absent en mai à Paris, tint des permanences post 68 dans un café du boulevard Pasteur près de Buffon, preuve que l'ébullition dans ce lycée attirait aussi nos révolutionnaires de tradition marxiste. Je ne sais si Robin et Hébert ont été à ces permanences, mais leurs attaques contre le « décadencisme » n'en étaient pas moins virulentes, et m'ont longtemps fait hésiter à rejoindre les « fossiles » de RI.
3Voir mon histoire de ce groupe sur mes archives maximalistes.
4L'insistance du CCI sur la notion de décadence (notion définie par la première Internationale communiste) est un apport fondamental, je dirai même indiscutable pour qui connaît un peu l'histoire antique des sociétés humaines. Chaque société successive détruit la précédente tombée en décadence, c'est à dire en faiblesse et incapable de préserver ses plus belles réalisations. La bourgeoisie mondiale moderne procède de même, elle règne par le mensonge « humaniste » le plus éhonté mais, à la différence des sociétés archaïques, détruit systématiquement moralement et psychologiquement ce que le capitalisme originel avait produit de meilleur : le prolétariat.

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