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dimanche 14 janvier 2018

LA GUERRE REVOLUTIONNAIRE DES CAMISARDS



De Uzès à Florac, peut-être verrez-vous quelques analogies avec le temps présent dans ce coup d'oeil sur la pensée intime des camisards. Dieu est présent presque dans chaque phrase. Leur "désert" désigne les lieux inhabités où ils se réunissaient secrètement. Ils sont persuadés d'être dictés par le seigneur suprême imaginaire. Mentalement ne fonctionnent-ils pas comme nos islamistes modernes ou comme les militants trotskiens ? A vous d'en juger.
Vous serez étonnés de voir que les femmes n'ont pas attendu le féminisme bourgeois pour défier la société mais qu'elles se sont servies de la religion pour se battre à leur façon. Vous découvrirez que l'encre invisible des révoltés camisards ne fût pas le citron mais « le lait de femme ». Etrangetés et bien des similitudes trois siècles plus tard... même si leur « guerre révolutionnaire » a échoué comme toutes les guerres révolutionnaires, leur combat nous apparaît respectable.

Pour un résumé : http://www.lemonde.fr/voyage/article/2011/02/02/dans-les-cevennes-les-resistants-du-desert_1471547_3546.html



                        RELATION D'ELIE MARION1

Relation abrégée concernant la guerre des Cévennes et de ce qui est arrivé particulièrement à moi Elie Marion du lieu de Barre dans les Hautes-Cévennes, fils de Jean Marion et de Louise Parlier , né le dernier jour du mois de Mai 1678.

Non seulement mon père et ma mère étaient du lieu de Barre mais aussi mes aïeux de deux ou trois générations, ainsi que je l'ai toujours ouï dire, et qui ont tous fait profession de la religion protestante selon la confession de France. Mon père faisait travailler son bien : il vivait honnêtement, lui et sa famille, du revenu de celui-ci ; il n'avait pas d'autre profession. Nous étions six enfants, savoir cinq garçons et une fille...
… Je n'ai jamais su, ainsi que je viens de le dire, que dans notre famille, il n'y eût aucun papiste2 ni aucun qui ait professé autre religion que la protestante, suivant la confession des Eglises de France jusqu'en l'année 1685 que le Roy, comme l'on sait par les dragons, par le clergé et les bourreaux, força tout son peuple protestant à embrasser le papisme. J'étais alors âgé de sept ans. Je n'ai jamais fait aucune abjuration ni acte de la Religion romaine que d'aller quelquefois à la messe, étant forcé comme tous les autres enfants par les maîtres d'école que le Roy avait envoyé dans tous les endroits protestants pour instruire la jeunesse. Les instructions secrètes que je recevais tous les jours par mon père et ma mère, augmentaient si fort mon aversion pour l'idolâtrie, et pour les erreurs du papisme, qu'étant parvenu en âge de connaissance, je ne pratiquai plus que les assemblées de protestants qui se
Assemblée de camisards (ou dans les bois)


faisaient dans les déserts, dans les lieux cachés. L'abbé du Chayla qui avait été établi Inspecteur Général de nos Cévennes, et le curé de notre lieu l'ayant appris, menacèrent mon père plusieurs fois, à cause de moi, d'exécution militaire.
Je fus demeurer à Nîmes pour éviter à mon père les effets de leurs menaces, et aussi pour me former un peu aux affaires en vue de quelque établissement honnête, espérant que la religion serait un jour rétablie en France... CE fut en Octobre 1695 que je fus à Nîmes, jusqu'en juillet 1698, il est vrai que pendant les termes – ou les vacances – je remontais ordinairement en Cévennes pour voir mes parents. Pendant cet espace de temps que je suis resté à Nîmes, j'y ai servi en qualité de clerc chez Messieurs Pastre, Durant et Teissonnière, procureurs au Présidial. J'étais en auberge chez une femme très bonne protestante, nommée Blanque, qui demeurait près du Temple au coin de Saint-Véran.
La paix de Ryswick3 ayant été faite, on redoubla les persécutions contre les protestants. Je quittai donc Nîmes et m'en fus à Barre, où, malgré les persécutions, je restai jusqu'au mois de novembre suivant, que j'en partis pour Toulouse après avoir prévenu heureusement un détachement de soldats que l'abbé du Chayla avait envoyé pour me prendre. Ces soldats restèrent quelques temps chez mon père à discrétion, où, par conséquent ils firent beaucoup de dépense et de désordre.
En l'année 1701 Dieu répandit une grande mesure de son Esprit, dans notre province, sur plusieurs personnes de tout âge, de tout sexe. Dans moins de six mois notre pays fût comme enfanté de nouveau par la vertu de ce divin Esprit, soit les personnes qui en furent honorées que ceux qui les fréquentèrent. Nous vîmes des plaideurs obstinés renoncer à leurs procès, d'autres qui avaient des inimitiés mortelles se réconcilier avec larmes, d'autres qui semblaient que leurs bouches étaient des fontaines de blasphèmes se changèrent en prières, en louanges et cantiques d'actions de grâces ; on vit un amendement presque général de toutes les sortes de vices et péchés. On vit la plus tendre jeunesse et la caducité des vieillards, résister aux plus terribles persécutions, à la mort même la plus cruelle. Nos saintes assemblées se continuaient jour et nuit dans les différents endroits du pays, malgré les cruautés barbares de l'Intendant Baville, de l'abbé du Chayla et leurs semblables que le Roy avait autorisé pour nous persécuter. Grand nombre ont soutenu et soutiennent encore, mais il y en a eu qui ont dégénéré de cette première ardeur.
Au mois de septembre de cette même année 1701 je revins de Toulouse à la maison de mon père où je restai environ six semaines fréquentant les assemblées que les inspirés faisaient malgré les grandes persécutions. On emprisonnait tous les jours ce pauvre peuple qu'on soupçonnait ou qu'on savait suivre lesdites assemblées. Ce cruel abbé découvrit enfin que je suivais ces assemblées, de sorte que pour éviter de tomber entre ses mains, je m'en retournai à Toulouse. Ainsi j'échappai aux poursuites de l'abbé du Chayla. Outre les désordres et les dépenses que firent les soldats à cause de moi chez mon père, il fut encore obligé de donner vingt pistoles audit abbé du Chayla.
J'ai demeuré à Toulouse en diverses fois depuis le mois de novembre 1698 jusqu'au mois de juillet 1702 que je retournais à Barre chez mon père...
… Le premier jour de cette année 1703 Dieu m'honora de la visite de son Esprit, et par la première inspiration que ma bouche prononça, il me fut dit entre autres choses que Dieu m'avait choisi dès le ventre de ma mère pour sa gloire. Je reçus aussi l'ordre d'aller joindre mes frères dans le désert, ce que je fis dans le mois de février de la même année. Pendant un mois et demi ou environ je fus avec Antoine Atgier surnommé La Valette qui avait don de prédication. Nous faisions des assemblées dans nos Hautes-Cévennes le plus fréquemment qu'il nous était possible. C'ets à quoi nous nous occupions uniquement La Valette et moi.
Le jour de Pâques suivant nous joignîmes, La Valette et moi, ladite troupe qui était conduite par Abraham Mazel, et Salomon Couderc était avec lui. Ce même jour de Pâques, Salomon Couderc, par ordre des inspirations, administra au peuple le Sacrement de la Cène ; l'assemblée était, je crois, de plus de deux ou trois mille âmes, Thomas Valmalle, surnommé La Rose, vint joindre ladite troupe, avec celle de Castanet que ledit Castanet lui avait remise, lui en voulant plus s'occuper qu'à faire des assemblées, à prêcher la Parole de Dieu, ce qui était son talent principal...

… Vers la fin du mois d'avril le chef Cavalier monta dans nos Cévennes avec sa troupe, qui était d'environ mille hommes, dont environ la moitié sans armes, et nous fûmes le rejoindre à Saint-Privat de Vallongue, où il avait fait assembler le peuple des environs pour entendre la Parole de Dieu. Ledit Cavalier lui-même fit la prédication. Cette assemblée était des plus nombreuses que nous ayons eu dans ce pays-là.
Nous demeurâmes ensemble pendant trois jours que nous roulâmes dans nos Hautes-Cévennes, sans rien entreprendre. Voilà la seule fois que nous nous sommes vus en France avec ledit Cavalier.
Après ces trois jours, Cavalier et Salomon ayant résolu de descendre vers les Basses-Cévennes et Languedoc, nous nous séparâmes. Le frère La Valette et moi trouvâmes à propos de rester dans nos quartiers pour continuer à y faire des assemblées et repaître le peuple de la Parole de Dieu. Environ les deux tiers de la troupe que conduisait Salomon ne voulurent point descendre avec les autres. D'ailleurs, voyant que le temps de la récolte était proche, la plupart était bien aise d'aider à la recueillir ; ce qu'ils faisaient pourtant avec toute la circonspection possible à cause des garnisons qu'on avait déjà établies presque partout ; je parle de ceux qu'on savait être camisards.
La même nuit du jour que La Valette et moi nous fûmes séparés de Cavalier, celui-ci et Salomon furent surpris par leur faute dans un lieu appelé le Tour de Billot...
… Quelque temps après l'affaire de la Tour de Billot, Cavalier et Salomon se laissèrent encore surprendre dans le bois de Fontcouverte.
Après quoi les deux troupes se séparèrent, Salomon et Joini remontèrent dans leurs quartiers avec environ trente hommes qui leur restaient, les autres s'étant retirés chez eux où ils se tinrent secrètement et vaquèrent du mieux qu'il leur fût possible à leurs affaires en attendant un temps plus favorable pour se rassembler. Salomon laissa tout à fait la conduite de la troupe à Joini qui, dès ce moment, porta son nom. Salomon s'en fût avec quelques uns de çà et de là, faisant des assemblées, selon le talent que Dieu lui avait donné. Il revenait quelque fois à la troupe de Joini comme prêcheur et non pas pour la commander.
Ceux de la troupe de Cavalier se retirèrent de même, parce que c'était le temps de la récolte. Les troupes du Roy ou les habitants papistes qu'on avait armés se trouvaient partout en si grand nombre que nous ne pouvions pas subsister étant de grosses troupes ensemble. Enfin Dieu voulut que dans ce temps-là nous fûmes fort dispersés. De cette manière, il ne resta à Cavalier qu'environ cent cinquante hommes que les ennemis obsédaient presque jour et nuit. Voilà ce que j'appris par des gens qui avaient été témoins oculaires de ce que je viens de rapporter.
Quoique les troupes fussent ainsi dispersées, on ne laissait pas de faire des assemblées continuellement, soit dans les maisons ou dans les bois, car Dieu avait suscité des inspirés ou de ceux qui avaient le don de prédication et de prières généralement partout où il y avait des protestants, dans les Cévennes et en Bas-Languedoc.
Pendant ces entrefaites Moulines qui avait le don de prédication ne s'occupait, non plus que nous, qu'à faire des assemblées, quoiqu'il eût vingt ou trente hommes avec lui qui aussi travaillaient à la récolte de temps en temps. Le frère Rolland qui était demeuré malade et caché depuis l'action de Pompignan, commençant à bien se rétablir, commença aussi à rassembler du monde pour former une troupe ; ceux qui avaient été, avant sa maladie, avec lui, revinrent le joindre, les uns plus tôt, les autres plus tard. La Rose se trouvant presque remis de sa blessure, rassembla aussi ce qu'il put trouver des siens dispersés et se joignit avec Rolland. Tout le temps de la récolte se passa sans qu'il arrivât rien de considérable de part ni d'autre dont je puisse avoir mémoire, de sorte que le Maréchal de Montrevel avec son armée ne fît d'autres prouesses que de faire massacrer, pendre ou rouer des moissonneurs et d'autres paysans qu'ils pouvaient attraper dans les champs sous prétexte qu'ils étaient camisards eux-mêmes dans les occasions, ou qu'ils étaient de leurs amis. Il fît brûler plusieurs maisons, des métairies, des hameaux.
Vers la fin août, étant avec le frère Rolland, il me dit que depuis quelques jours un homme, Monsieur Flotard, était venu de la part de la Reine d'Angleterre, et de Messieurs les Estats d'Hollande s'informer de notre état, nous promettant de leur part tout le secours possible soit par mer ou par terre ; que Monsieur le Marquis de Miremont sollicitait pour nous, lequel était prêt de répandre son sang pour notre délivrance ; que Cavalier et lui avaient donné plein pouvoir à M. Flotard d'agir au nom de nous tous auprès des Puissances protestantes et que nous reconnaissions Monsieur le Marquis de Miremont pour notre Général, etc. - cette commission fût signée par nous ayant été écrite avec du lait de femme ; et ledit député ayant vu les deux troupes, convenu et réglé les moyens pour correspondre ensemble, il partit quelques jours après pour les pays étrangers. IL me dit de plus que le sieur Flotard4 leur avait dit que la flotte anglaise et hollandaise viendraient dans le Golfe de Lion, qu'on ferait tels et tels signaux, que si nous étions en état de descendre sur la côte on nous communiquerait des armes, munitions, etc. Mais les ennemis avaient déjà pris les mesures nécessaires pour nous empêcher de descendre. Environ trois mois après, deux vaisseaux seulement vinrent devant le port de Sète et firent des signaux comme Flotard avait dit. J'en parlerai ci-après en son lieu.
Rolland voulut me persuader de rester avec lui pour entretenir la correspondance et agir ensemble pour le reste des affaires, mais comme j'étais joint avec La Valette, comme je l'ai dit, je ne pus lui promettre. Le nommé Malplach fut alors avec Rolland qui avait soin d'écrire les lettres pour ladite correspondance.

LA DEVASTATION DES CEVENNES
(fin août 1703 – mai 1704)

La récolte étant faite comme je viens de dire, mêlée de cruautés horribles de la part des troupes du Roy et des autres persécuteurs, voyant qu'il n'y avait plus de relâche et ces pauvres gens étant d'ailleurs ranimés par les inspirations qu'on entendait presque partout, chacun reprit ses armes à qui en avait et rejoignirent leurs chef.
L'Intendant Baville et le Maréchal de Montrevel ayant appris que les Camisards se renforçaient crurent qu'il n'y avait pas de plus court moyen pour terminer bientôt cette guerre que de nous ôter toute sorte de moyens de subsister. On avait déjà fait plusieurs enlèvements des familles des paroisses toutes entières, qu'on envoya dans les prisons, ou hôpitaux de Perpignan où presque tout a péri misérablement ; les prisons de la province regorgeaient de prisonniers de tout âge et de tout sexe. On ordonna que tout le monde eût à se retirer avec leurs effets dans les places closes, sous peine d'exécution militaire. L'on abattit et l'on brûla tous les moulins et les fours de la campagne. On redoubla les défenses sous de terribles peines, sur ceux qui donnèrent quelque secours que ce puisse être aux rebelles comme ils nous appelaient. On proposa de couper tous les bois châtaigniers, d'arracher les vignes et de brûler tout le pays ouvert, c'ets à dire tout ce qui se trouvait hors de places murées. On n'exécuta pas ces dernières propositions, mais le brûlement fut exécuté en partie.
Vers le commencement d'octobre, l'Intendant Baville et le Maréchal de Montrevel montèrent dans les Hautes-Cévennes avec environ huit mille hommes de troupes réglées pour exécuter le projet d'abattre et de brûler. Ils firent camper ces troupes près de Barre d'où ils faisaient déjà des détachements pour les lieux qui devaient être détruits ; on avait même commencé à démolir les maisons de la paroisse de Saint-Laurent de Trèves. Mais les nouvelles étant venues au Maréchal de Montrevel et à l'Intendant que deux vaisseaux de guerre anglais étaient sur la côte près de Sète, des destructeurs redescendirent avec toute la diligence possible et furent sur les côtes de la mer.
Environ un mois après que la crainte qu'ils avaient eu de ces vaisseaux fût dissipée, Julien monta avec beaucoup de troupes et vint brûler et détruire ce qui avait été projeté. Toutes les paroisses protestantes du diocèse de Mende furent brûlées excepté ces cinq bourgs, savoir : Florac, Barre, le Pont de Montvert, SaintGermain de Calberte et Saint-Etienne (Valfrancesque) qu'on avait fermés, et où on tenait de fortes garnisons.

Pendant le temps de ces ravages, de ces incendies, La Valette et moi consultâmes de les arrêter s'il était possible. Pour cet effet, nous le proposâmes à Rolland, à Moulines et à La Rose, lesquels vinrent aussitôt avec leurs troupes. Nous nous trouvâmes environ six cent hommes très résolus d'attaquer l'ennemi. Un projet si bien concerté nous promettait un bon succès ? Les flammes de nos maisons ou de nos frères augmentaient l'ardeur de notre impatience que nous avions de fondre sur ces malheureux incendiaires, mais je fus bien surpris d'entendre par ma propre bouche un avertissement tout opposé à un dessein dont j'avais déjà conçu de si heureuses espérances. La substance de cette inspiration fut que c'était en vain que nous avions formé le dessein d'empêcher des brûlements, que si nous l'entreprenions nous n'y réussirions pas, car Dieu l'avait ainsi décrété. Nonbstant cela, la chose leur tenait si fort à cœur qu'ils s'en furent du côté de Vrebon pour attaquer Julien ; mais étant sur le point de commencer le combat, Moulines eût une inspiration qui confirma celle que j'avais eue, et dit de plus que si on entreprenait d'empêcher cette exécution Dieu les livrerait à l'ennemi, mais qu'on eût à être trois jours en prières et en jeûnes sans manger ni boire pendant ce temps-là de sorte que les troupes retournèrent chacune vers son quartier. Julien s'était préparé à l'attaque, mais Dieu voulut qu'il ne branla pas de son poste pour nous poursuivre, comme naturellement il aurait dû le faire. On compte qu'il eût quarante-cinq paroisses de brûlées...
Monsieur le Brigadier Planque, avec quelques bataillons, accompagné du Sieur Viala qui était un misérable apostat, lequel l'Intendant Baville avait fait un de ses subdélégués montèrent dans nos Cévennes pour exécuter les ordres du Maréchal de Montrevel, touchant ceux qui ne s'étaient pas retirés dans les places fermées. Etant arrivés à Saint-André de Valborgne, Monsieur du Fesquet, dont il sera parlé ci-après, le curé du lieu et quelques bourgeois apostats donnèrent une liste au Sieur Planque de ceux qu'il leur plut d'accuser de malversation, de fanatisme – ainsi qu'ils appelaient les inspirés et les autres qui nous favorisaient. Il fit massacrer de la manière la plus barbare vingt-sept ou vingt-huit personnes des deux sexes, jeunes et vieux. Il en fit jeter la plupart, encore vivants, du haut du pont en bas (ordinairement tels autres étaient jetés à la voirie). On remarqua que le bras droit d'un de ceux qu'on jeta dans la rivière demeura toujours hors de l'eau et si raidement tendu qu'on ne put jamais le plier ; ce qui fit dire par les uns, que c'était un signe que Dieu vengerait leur sang. Il se passa encore une chose assez remarquable. Une jeune fille, paysanne, inspirée, âgée de dix-huit ans, d'un hameau appelé Combassous, tout près de Saint-André, son innocence et sa jeunesse ayant ému la compassion d'un soldat, celui-ci pour lui sauver la vie se jeta aux pieds de Monsieur Planque, le suppliant de vouloir donner la vie à cette jeune fille, et qu'il l'épouserait. Planque se laissa toucher aux prières du soldat et lui accorda sa demande, mais comme le soldat avait fait cette démarche de lui-même, ne doutant en aucune façon de l'acquiescement de la jeune paysanne, on fût extrêmement surpris d'entendre ses réponses, lorsqu'on lui déclara la prétendue grâce que le Général venait de lui accorder, avec les conditions. Elle n'hésita pas un instant à leur dire que Jésus-Christ était le cher époux de son âme et puisqu'aujour'hui il lui tendait les bras, son grand désir était de mourir au plus tôt pour sa gloire, afin d'aller jouir de l'immortalité bienheureuse ; que si ses frères et ses sœurs avaient courageusement soufferts le martyre, on ne trouverait point en elle cette lâcheté que la faiblesse de son âge et de son sexe leur pouvait avoir fait présumer. On la mit sur le champ au rang des autres, irrités d'une telle constance qu'ils appelaient d'un nom bien différent de nous.

                                           oOo


… Outre les avertissements particuliers que Dieu nous donnait pour notre conduite, envers nos ennemis dans des occasions importantes, nous étions soigneux de veiller autant qu'il nous était possible sur la leur par rapport à nous. Pour cet effet nous tenions des partis (patrouilles) sur les chemins, qui arrêtaient tous ceux qu'on soupçonnait de porter des dépêches, tellement que nos ennemis ne pouvaient que très difficilement se communiquer. Mon père avait échappé miraculeusement des mains sanguinaires de Julien, était toujours en grande suspicion, d'autant plus que mon frère Pierre, un peu avant le brûlement, était venu nous joindre dans le désert, sur un ordre qu'il en avait eu de l'Esprit par sa propre bouche, l'avertissant en même temps que les ennemis avaient résolu de le faire prendre. On força mon père de suivre Julien dans ses incendies, qui l'envoya porter des lettres au Gouverneur d'Alais, avec telles menaces que sa vie en répondrait si elles n'étaient pas fidèlement rendues ; on en avait puni plusieurs très sévèrement sur le même sujet. Mon père fût arrêté par une partie de la troupe de Rolland qui, ne le connaissant pas personnellement, ouvrirent les lettres et le menèrent devant le nommé Sales qui commandait le détachement. Sales reconnut bien mon père et voulut lui rendre les lettres pour les porter à leur adresse. Mais comme Julien avait assuré mon père qu'il le ferait mourir si telle chose arrivait, il jugea à propos de me venir trouver, et de tenir le désert avec nous. Julien ayant appris par quelque autre voix que ses lettres n'avaient pas été rendues, il envoya ordre au Commandant de Barre de saisir mon père et de le faire fusiller sans rémission.

Ne le pouvant trouver ils foulèrent notre maison par des soldats qu'ils y envoyèrent en plus grand nombre. Et comme on menaçait tous les jours notre maison de pillage et de brûlement, mon père et ma mère firent si bien par moyen de quelques amis qu'ils mirent à couvert une partie de leurs meilleurs effets et vendirent sous main leurs bestiaux. Nonobstant les frayeurs continuelles qu'on donnait à ma pauvre mère qui avait encore avec elle quatre de ses enfants, Dieu lui donna assez de force pour soutenir ces grandes épreuves et malgré les défenses terribles des ennemis et leur vigilance elle ne cessa point de nous communiquer tous les secours possibles par des voix qu'ils ne purent jamais pénétrer, parce qu'elle était dirigée par les inspirations que mon frère Antoine recevait et autres inspirés qui allaient secrètement à la maison.

Dieu permit qu'elle continu de la sorte jusqu'au commencement de mai 1704, qu'elle fut enfin obligée, pour sauver sa vie et celle de ses enfants, de tout abandonner et de se retirer dans le désert avec nous, où elle mourut environ quinze jours après, dans une antre de rocher. Elle eut le contentement, pat la grâce de Dieu, de participer à la Cène du Seigneur six jours avant sa mort, par le ministère du Frère La Valette qui la donna à mille personnes ou environ sur les masures du Temple de Saumane, où comme à l'ordinaire je fus assistant. Ma pauvre mère eut aussi la satisfaction de voir mon père et ses enfants, grands et petits, auprès d'elle qui la servirent jusqu'à son dernier soupir, et l'ensevelîmes auprès de cette caverne. Nos larmes furent enfin essuyées par une inspiration consolante que Dieu en ses infinies compassions nous envoya. Son Esprit vint tout à coup sur moi, dans ce temps que nos âmes étaient des plus affligées pour la considération de la perte que nous venions de faire et la complication de nos malheurs. Ma bouche s'étant enfin ouverte par la vertu du Saint-Esprit, elle prononça ce qui suit :

« Mes enfants, que vos cœurs ne s'affligent plus pour la perte que vous venez de faire, et que vos larmes cessent de couler, car son âme repose dans mon sein, mais pleurez et soyez affligés pour l'affliction et la désolation de mon Eglise ».

Grâces immortelles soient rendues à Dieu de ce qu'en son infinie miséricorde, il lui plut de retirer ma chère mère de cette vallée de misère et de larmes pour l'établir dans son repos éternel, et qu'il fit trouver dans le désert un refuge assuré à mes frères, tandis que nos malheureuses bourgades étaient dans la plus triste désolation dont on ait jamais ouï parler. Les dragons, les soldats, les autres sortes de gens papistes du pays qu'on avait armés contre nous et les miquelets auxquels on avait donné toute licence sur les pauvres protestants, ces gens, dis-je, le splus inhumains du monde, violaient les femmes et les filles et les égorgeaient impitoyablement. Ils massacraient indifféremment les vieillards, les infirmes, les jeunes gens et les enfants à la mamelle, tous ceux qui tombaient sous leurs cruelles mains. Rien n'échappait à leur fureur, ils saccageaient, ils brûlaient, ils exterminaient tout, n'épargnant que ceux qui, suivant l'ordre du Roy, les proclamations de Messieurs les Maréchaux de France et du cruel Intendant Baville, se retiraient dans les villes murées et allaient à la messe. Malgré tout cela il y eût grand nombre de familles qui aimèrent mieux encourir les rigueurs des Ordonnances, abandonner leurs maisons et se retirer dans les déserts avec ce qu'ils pouvaient sauver de leurs familles et de leurs meilleurs effets. Ils habitaient de caverne en caverne, selon qu'on était poursuivis. Les rigueurs des saisons, la disette, ni les autres souffrances ne les étonnaient point ; au contraire ils louaient Dieu avec nous et bénissaient son grand nom de ce qu'il repaissait abondamment leurs âmes de sa divine parole, s'estimant heureux d'être appelés à souffrir quelque chose pour l'amour de lui. Ces pauvres gens cueillaient des fruits de la terre autant qu'ils pouvaient, ils ne s'épargnaient point, et nous faisaient part du peu qu'ils avaient. Comme notre pays est abondant en vin, en châtaigniers, Dieu n'ayant pas permis que l'ennemi l'y touchât, c'était de cela aussi que nous tirions notre subsistance principale...

… Si le pauvre peuple dont je viens de parler nous assistait du peu que Dieu leur faisait trouver dans le désert, nous avions soin d'en faire le semblable. Ce que nous prenions dans le pays papiste, soit grain ou bétail, nous leur amenions. Nous interceptions souvent les convois qu'on envoyait en Bas-Languedoc pour la subsistance des garnisons, tout cela était commun, car nous ne faisions qu'une même famille. J'ai dit que l'ennemi avait détruit les moulins et enterrés les meules et les fours de la campagne ouverte, mais en quelques endroits particuliers, de nos amis les avaient prévenus ; ils avaient démonté les moulins et enterré les meules, et lorsque nous avions du grain pour moudre, dans quelques heures de temps on avait remonté les moulins, qu'on remettait dans leur cache comme auparavant. Les ennemis n'avaient pas touché aux chaussées ni aux écluses parce que, d'ailleurs, les eaux servaient à arroser les prés. Il y avait des fours qu'on n'avait fait que crever ; nous avions des maçons parmi nous qui les avaient bientôt mis en état de servir, et lorsque nous savions que des troupes devaient passer de ce côté-là nous remettions les fours dans l'état qu'eux les avaient laissés. Par ces moyens-là nous avions souvent du pain, outre ce que nous recevions de la part de ceux qui n'avaient pas été brûlés dans d'autres diocèses...

… Le chef Rolland étant avec sa troupe, l'Esprit du Seigneur vint sur lui avec ses signes et paroles prophétiques. Il dit qu'il ne resterait qu'un petit nombre d'entre eux, de six parties l'une, et qu'ils seraient dispersés, que les ennemis chanteraient victoire, croyant avoir mis fin à tout, mais que le temps viendrait que Dieu enverrait un petit nombre de serviteurs, mais bien choisis, qui viendraient d'un pays éloigné et qu'eux, et les autres que Dieu susciterait avec le résidu, feraient choses grandes et merveilleuses, que tout plierait devant eux et qu'ils se répandraient sur toute la France...

Etant dans un champ près du château de Marouls avec notre troupe qui était de quatre-vingt hommes ou environ, je fus saisi de l'Esprit qui nous déclara par ma bouche que de tous ceux qui étaient là présents, ils ne resteraient pas cinq qui vissent la délivrance.



NOTES :


1Relation, au sens ancien, ici employé au sens de relater. Abraham Mazel donne la définition suivante : « Ce fut après la mort de Poul que l'on commença à nous appeler Camisards. Je ne sais si
c'est parce que nous donnions souvent la camisade (attaque de nuit) qu'on nous donna cet épithète, ou parce que d'ordinaire nous nous battions en chemise ou en camisole. On nous appelait aussi « fanatiques » à cause de nos inspirations ». L'inspiration était bien entendu divine : « Tout à coup on entendit sonner l'alarme et crier : « Aux armes, aux armes ! ». Cela venait, comme nous le sûmes ensuite, premièrement de ceci : on s'aperçut que nos gens ne blasphémaient pas le saint nom de Dieu, comme font presque à tout moment les gens de guerre ce qui est même fort ordinaire à la jeunesse de notre pays, sans être enrôlés, mais au lieu des jurements qui servent pour l'ordinaire à affermir, et qui marquent de la passion, on leur entendait dire : « J'adore Dieu », « j'aime Dieu » et autres semblables expressions, que nos gens employaient en guise de serment ».
2Soumis aveuglément au pape, terme péjoratif utilisé contre les catholiques par les protestants du 17 et 18 e siècle.
3Le traité de Ryswick, ville des Pays-Bas, est signé en juillet et octobre 1697, entre les puissances européennes et la France, traité humiliant pour Louis XIV qui perd des colonies avec la fin de la guerre de Cent ans.
4Sous l'Ancien régime, le terme de sieur pouvait être un terme honorifique synonyme de seigneur, mais aussi péjoratif (sans le préfixe mon) comme cela semble être le cas de la part de nos parpaillots révoltés contre le « papisme ».

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