PAGES PROLETARIENNES

samedi 23 septembre 2017

Péguy, Jaurès, les juifs et la guerre



« Nous ne partirons point pour le front, en laissant ces traîtres vivants, derrière notre dos ».
Péguy
« Les curés se méfient, quand je serai mort ils commenceront à avoir confiance ».
le même

Le lieutenant Péguy, comme beaucoup, pense que la guerre sera courte — pas plus de trois mois — et annonce avec une emphase naïve à une amie, le 4 août 1914 : « Je pars soldat de la République pour le désarmement général et la dernière des guerres ». Le 15 août, il assiste à la messe de l’Assomption à Loupmont ; le lendemain, il écrit à sa femme, à Blanche Raphaël-Bernard (son grand amour platonique) et à Jeanne Maritain (la soeur de Jacques) leur demandant, s’il ne revenait pas, de faire chaque année le pèlerinage de Chartres ; il prie aussi Blanche Raphaël de réciter chaque jour le Notre Père, la Salutation angélique et le Salve Regina. Sanglé dans son uniforme de lieutenant voilà sur le champ de bataille tant attendu le fan de sa « Jeanne d'Arc des batailles » dans la pose du commandement suicidaire. L'expérience héroïque sera fort brève, et il n'aura pas le loisir de la romancer ou de la mettre en quatrain, le soir de la première journée de la bataille de la Marne.
Le capitaine Guérin donne l’ordre de traverser le champ de betteraves qui se trouve de l’autre côté. A peine a-t-il parlé qu’il s’effondre. Péguy hurle : « Je prends le commandement ! » Debout, il dirige le tir de ses hommes et les exhorte : « Tirez ! Tirez ! Nom de Dieu ! » Refusant de se mettre à couvert, une balle l’atteint en plein front. Les officiers ne s'abaissaient pas à l'époque pour « ramper » comme les hommes du rang, et étaient donc généralement les premiers flingués au-dessus des tranchées. Dans un souffle, il murmure : « Ah ! mon Dieu !… mes enfants !… » Il est cinq heures et demie.
Le capitaine d’Estre, envoyé sur le champ de bataille, note le lendemain : « Premier de la ligne, le chef de section, un lieutenant, est tombé à sa place règlementaire. Je l’examine avec un soin particulier, minutieusement, pieusement (…). C’est un petit homme d’apparence chétive (…). Il est couché sur le ventre, le bras gauche replié sur la tête. Ses traits (…) sont fins et réguliers, encadrés d’une barbe broussailleuse, teintée de blond, mais paraissant grisâtre du fait de la poussière, car il est jeune encore, trente-cinq à quarante ans tout au plus ».

Le 24 octobre 1914, le revue hebdomadaire de Berlin Die Action rendit un hommage paradoxal à « la morta d'un poeta », lui consacrant sa page de couverture avec un portrait de Egon Shicle, qui fût diffusé en cartes postales. Le directeur de la revue Franz Pfemfert écrivit :
« Charles Péguy – en qui nous, allemands, nous honorons la force morale la plus puissante et la plus pure, qui s'exprime aujourd'hui dans les lettres françaises, cet apôtre et éducateur, est tombé sur le champ de bataille. Nous déplorons la mort de ce grand homme, qui a dû porter les armes contre nous, comme celle d'un de nos meilleurs écrivains propres. Son héritage nous le revendiquons. Charles Péguy a vécu pour l'humanité, et il est mort pour l'idée grotesque, que les pires de ses compatriotes se faisaient de l'honneur national ».

Le révolutionnaire allemand Pfemfert, internationaliste fondateur du parti socialiste antinational puis du KPD, se plante en beauté, Péguy était bien devenu un enragé nationaliste revanchiste. Pas de quoi en faire un grand homme ni revendiquer son héritage. Cela fait des années que l'anarchiste brouillon passé brièvement au socialisme a épousé le nationalisme via sa bigoterie. Péguy symbolise l'intellectuel girouette du XX e siècle et l'aboutissement réactionnaire de leur radicalisme initial, après avoir joué un rôle éminent comme centre de la vie intellectuelle à Paris1. Péguy vivant aurait été outré de cet hommage par un communiste « apatride » et « incroyant ». Ancien admirateur de la Commune, et qui fulminait encore en 1913 contre les Versaillais, Péguy conchie ensuite toute guerre civile et révolution.

Avec la fin des grandes idéologies dominantes à cheval sur le 19 e et le 20 e siècle, des figures d'excentriques comme Péguy nous séduisent. Iconoclastes, inclassables, délirants mais séduisants, plusieurs auteurs nous intéressent encore mais pour un moment de leur trajectoire ou pour leur art, les Nietzsche et Baudelaire par exemple. Ils ont été à la fois révolutionnaires et réactionnaires. Ce ne sont pas des penseurs systémiques mais, comme poètes, ils touchent souvent juste et profond ; c'est pourquoi j'ai souvent cité ponctuellement Péguy et compris que le pèlerin de Chartres plaise encore à chaque nouvelle génération. Il a une rigueur et un style cassant, peu phrasé, elliptique, parfois épileptique, marqué par la répétition, la litote, l'anaphore systématique, en un mot il sort de l'ordinaire littérateur dixneuviémiste même dans ses derniers délires religieux2. C'est un éternel moderne psychorigide malgré un parcours politique chaotique qui a mal fini. Au propre et au figuré.

DE LA MYSTIQUE DREYFUSISTE A LA MYSTIQUE PATRIOTIQUE

Il a fait et défait la plupart de ses combats. Il a été courageux en se portant en première ligne pour la défense du capitaine Dreyfus, mais il a finalement regretté ce combat, considérant qu'il avait nui à l'unité nationale... en vue de la guerre sanctifiée, alors que l'affaire Dreyfus, comme je n'ai cessé de le dire depuis plus de trente années a servi surtout de ciment à l'Union nationale, et que le capitaine a été (en partie) exonéré des accusations fourbes de la camarilla militaire pour aller commander lui aussi dans les tranchées. La querelle tout au long de l'affaire, qui dura dix ans, fût terrible dans Paris surtout, elle divisait les familles3. Péguy enterre l'Affaire mais ses explications sont très confuses4 :

« L'Affaire Dreyfus est bien morte, elle ne nous divisera plus... Tout le travail des politiciens (ILS AVAIENT PEUT-ETRE RAISON puisque de cette réconciliation est tout de même sortie cette nouvelle grandeur de la France) a été de nous réconcilier sur cette affaire... Quand on se réconcilie sur une affaire c'est qu'on n'y entend plus rien... PERDRE LE GOUT DU PAIN, c'est mourir. FAIRE PERDRE... exactement FAIRE PASSER LE GOUT DU PAIN, c'est tuer. Exactement dans ce sens nous ayant fait passer le goût de l'affaire Dreyfus, ils nous ont fait littéralement mourir à l'Affaire Dreyfus et au Dreyfusisme. RESTAIT A SAVOIR SI CE FUT UN BIEN GRAND DOMMAGE ».

Ce que j'en comprends c'est que, ayant plongé complètement dans la bigoterie nationaliste et dans
le fou patriotique aux manoeuvres (1913) à droite
le nationalisme bigot, Péguy, qui ne passe plus son temps qu'à se confesser5 retourne sa veste et donne raison à ses supérieurs militaires, ces salopards de généraux falsificateurs et assassins, qui vont envoyer au massacre des centaines de milliers de Dupont et de Cohen.
A lire les jérémiades de Péguy on peut interpréter, avec nos connaissances actuelles, son involution comme liée à une grave dépression alliée à sa mégalomanie et à son grave égocentrisme. Son délire mystique patriotique est d'un désespéré, mais d'un désespéré qui croit., mais d'une pensée incertaine Quelque part, à un point nommé le bigot se prend pour le créateur soi-même, comme le fan du chanteur de variétés s'identifie à celui-ci, comme le membre d'une secte (religieuse comme politique) se mire dans le gourou6.
Lorsque Péguy est touché par « la grâce », le miracle n'est pas bien épais malgré la confusion mentale qu'il étale avec force répétitions comme un moine psalmodiant. L'illumination baigne en réalité dans l'idéologie du revanchisme qui fouette la marche à la guerre. Il n'est plus original dans ses excentricités verbales. A peine âgé de quarante ans il est atteint précocement de gériatrie aiguë, se replongeant dans l'espérance perdue pour Jeanne d'Arc lors de sa première communion, et révisant pour se laisser happer par elle à nouveau, une religion dont il flétrissait « l'imagination perverse ».
Dans son panégyrique de Bergson il dévoile le militaire hystérique qui sommeillait en lui (comme on dit aujourd'hui que dort en chacun de nous un facho). Romain Rolland le moque :
« Quelle conception de vieux routier de la guerre de cent ans ! Péguy se croit toujours au siège d'Orléans ! Son Dieu est le roi de France, qui a besoin de la Pucelle. Péguy est nécessaire à Dieu. Il le lui affirmerait face à face, si Dieu se permettait de le contester, - comme il le fait, par l'intermédiaire de son Eglise. Ah ! La Jeanne d'Arc, au front butté, qui baisse ses cornes de jeune taure contre Mme Gervaise, est bien sa fille et son portrait... »7.

Le délire du chrétien Péguy est celui du raté social, de l'étudiant qui a échoué à tous ses examens, et c'est pourquoi il s'identifie à la mystique juive, au peuple d'Israël « cette race même de la non réussite », et sa défaite éternelle « depuis septant et nonante siècles ». Mais plane au-dessus de sa tête malade la disqualification nationale depuis 1870, la haine du boche qui veut détruire la France qui seule a succédé à la légendaire Grèce pour l'époque moderne. Face à « l'immense appareil de l'empire » (allemand) « la première race de la guerre » (la France) « n'a pas été exterminée ». Péguy a fait le front unique avec Dieu contre l'Allemagne, avec Jésus, un homme comme les autres mais fait premier baron.
Il psalmodie tant de fois avec le mot race qu'il pourrait passer pour un néo-nazi auprès de nos gentils antiracistes réformateurs patentés du vocabulaire, lequel est décrié désormais comme plus raciste que la grammaire française et les noms de rue de colonialistes non éradiqués de la langue hexagonale et du fronton des lycées.
Les allemands sont plutôt protestants n'est-ce pas ? Ils ne peuvent pas comprendre comme les juifs ce qu'est un vrai croyant catholique : IL « sait qu'ils ne peuvent pas se représenter ce que c'est un catholique. Et les protestants sont encore plus éloignés, plus incapables de se le représenter que les juifs ». Son dernier manuscrit se termine ainsi : « Samedi, 1er août 1914 ». Les déclarations de guerre mutuelle entre puissances coloniales se succèdent du 31 juillet à la première semaine d'août.

A la nouvelle du meurtre de Jaurès, Péguy exulte, hurle de joie, comme tous les antisémites d'extrême droite qui vont s'ingénier à récupérer le Péguy soldat chrétien mort au combat pour la défense de la patrie, oubliant ses amitiés juives, comme le rapporte Romain Rolland :
« Or, si Péguy est resté fidèle jusqu'au dernier jour à des sympathies – on pourrait dire, à des préférences, - ç'a été son penchant déclaré pour les juifs. Il l'affichait. Il revendiquait avec respect, avec tendresse, ses grandes amitiés juives : Bernard Lazare, Marix, Bergson. Johannet8, qui n'était point suspect de partager son goût, observait sans plaisir qu'aux Cahiers, « il circulait un air juif ». Péguy poussait la forfanterie jusqu'à se montrer fier du patronage juif, sans lequel les Cahiers n'auraient pu vivre. C'est l'argent juif, dit Johannet, qui a payé les éditions des poèmes catholiques, d'Eve et des Tapisseries. J'ai entendu moi-même Péguy se vanter du soutien de Rothschild, pour la diffusion de ses Cahiers en Orient. Il se targuait d'une initimité avec les juifs, qu'aucun chrétien n'avait jamais eugoogle e, n'aurait jamais »9. Il assure que le juif est plus attaché à la France que le français. Ce qui fonde cet amitié et cette solidarité est la commune loyauté nationale où Péguy invite tous à aller rigoler, à son poste de combat, en attendant de se retrouver pour rigoler au paradis (cf. Note testamentaire).
Péguy, imbu de Kant, est l'homme de l'idéalisation lyrique sans nuances. Il généralise hâtivement à partir de cas particuliers, ce qui est paraît-il typique des crânes d'oeuf normaliens. Sa culture est restreinte :
« Intellectuel autant, mais sur un autre plan que le « Parti intellectuel », objet constant de ses invectives, il se disait « peuple » ; et il ne l'était point, nullement peuple paysan, sinon par miracle (instable) du génie. Par son enfance, par ses souvenirs et par son milieu direct, il appartenait tout au plus à un certain peuple citadin, qui est bien plus près de la petite bourgeoisie, qui y aspire et qui, dans le cercle de son horizon, ne va pas plus loin » (Romain Rolland).

DE LA MYSTIQUE ANTISEMITE A LA MYSTIQUE PACIFISTE

Une réflexion de Péguy est indubitable, les juifs (riches) aiment la France mieux que les français...
et les socialistes. Dans ses aspects primaires le mouvement ouvrier en France est marqué par un antisémitisme, assez général au début du dix-neuvième siècle et qui connaît des horreurs (les pogroms en Russie). L'absence de claire dénonciation de cette mystique perverse héritée de l'époque féodale et monarchique explique la lenteur voir l'absence de réactions des six partis et syndicats ouvriers au début de l'Affaire Dreyfus, voire l'attitude équivoque des intellectuels leaders de partis comme Guesde et Jaurès10. Avec la même attitude psychorigide de Péguy, Guesde et Jaurès ont refusé d'abord de prendre partie dans la lutte « entre deux camps bourgeois ». Le revirement de Jaurès en faveur de Dreyfus est plus le produit d'un questionnement petit bourgeois qu'une claire prise de conscience du combat politique qui n'est pas ouvriériste : « Jaurès adopte les mots d'ordre politique de la bourgeoisie de gauche » (Bruhat) dans une optique réformiste et sans lendemain ; ce combat visant à défendre la République (préparant l'union nationale toutes confessions confondues) sera la matrice de l'antifascisme (pour partie c'est Guesde qui avait raison mais flancha). Pour Lénine, décriant comme Rosa l'antisémitisme, la république en France « était un fait, et aucun danger sérieux ne la menaçait ». Dénoncer la forfaiture judiciaire n'impliquait pas de défendre la république bourgeoise, c'est que que firent pourtant la majorité des dreyfusards.
La veille de Noël 1894 (année où Dreyfus est déporté), Jean Jaurès avait été expulsé de la Chambre des députés. On lui reprochait des propos antisémites tenus à la tribune. Le parlementaire a en effet dénoncé « la bande cosmopolite », en se moquant des « foudres de Jéhovah maniées par M. Joseph Reinach »11.Joseph Reinach faisait partie d'un groupe de juifs qui furent largement éclaboussés par le scandale financier de la Compagnie de Panama, au cours duquel son beau-père fut très compromis. Ancien secrétaire de Gambetta, Reinach était député des Basses-Alpes depuis 1893. Le journal La Petite République, qui fut l'un des premiers grands quotidiens socialistes et l'organe de liaison des divers groupes socialistes de l'époque, était animé par Jaurès, avec Alexandre Millerand, Viviani, Jules Guesde. Le journal avait surnommé Joseph Reinach "Youssouf" et le désignait comme un « Juif ignoble »... La Petite République s'intéressait beaucoup à « Rothschild, le tout-puissant milliardaire, ce roi de la République bourgeoise ». En 1895, le quotidien socialiste dénonce les « Juifs rapaces comme cette bande de Rothschild qui écrasent l'Europe entière de leur tyrannie et de leurs milliards (...) ces financiers cosmopolites ». La même année, évoquant le cas d'Isaïe Levaillant, ancien préfet et directeur de la Sûreté générale, démis brutalement de ses fonctions en raison d'une sombre affaire de prévarication et devenu un dirigeant du Consistoire central, le journal déplore la « formidable puissance malfaisante des juifs, en matière administrative et judiciaire ».
Jaurès, ne déroge pas à la mystique antisémite répandue dans le mouvement ouvrier (comme s'en flatte le blogueur qui répercute cette info). Le 7 juin 1898, il écrit : « La race juive, concentrée, passionnée, subtile, toujours dévorée par une sorte de fièvre du gain quand ce n'est pas par la fièvre du prophétisme, manie avec une particulière habileté le mécanisme capitaliste, mécanisme de rapine, de mensonge, de corruption et d'extorsion ». Bof cela démontre que Jaurès a toujours été très limité en marxisme et en politique.
Quand l'Affaire Dreyfus aboutit, dans un premier temps, à la condamnation de l'accusé, Jaurès estima que celui-ci avait échappé à la peine de mort grâce au « prodigieux déploiement de la puissance juive » (notre blogueur masqué ne cite pas ses sources). Mais, dans les derniers mois de 1898, Jaurès changea de cap et se rangea dans le camp des dreyfusards, en lui apportant un concours très actif, ce que l'extrême droite ne lui pardonna jamais. Un Jaurès antisémite viscéral et invariant sur le sujet leur aurait bien convenu. Mais pour les fanatiques de tout bord il est inconvenant de changer d'avis.
L'interprétation facho suit : « Jaurès fut récompensé de cette évolution lorsqu'il fonda, en 1904, le quotidien L'Humanité auquel collaboraient entre autres René Viviani, Aristide Briand, Léon Blum, Tristan Bernard, Lucien Herr. Pour financer son journal, Jaurès eut l'appui du banquier Louis Dreyfus, de Lévy-Bruhl, de Salomon Reinach et d'autres membres de leur communauté ».
Notre facho de l'ombre s'appuie sur un nationaliste juif, Emile Cahen qui : «  s'en expliqua en 1906 dans Les Archives israélites : « Les grands services rendus à la cause de la justice et de la vérité par M. Jaurès lui ont créé des titres indiscutables à la reconnaissance de tous les Israélites français. Ce sont eux qui, en très grande partie, l'avaient, il faut bien le dire, aidé à fonder son journal.12 »
Et voilà comment se restaure la mystique antisémite, même si nous, on se fout qu'il y ait eu des contributions d'origine.. israélite, d'ailleurs tout à fait compréhensibles dans l'enfer de la polémique et des risques encourus pour les personnes injustement accusées.
Mais ce qu'il importe de comprendre ici - c'est que bien sûr Jaurès avait sorti des conneries, lesquelles participaient du patriotisme rance des blanquistes et des anciens communards ralliés au général Boulanger (un des massacreurs de la Commune également)13 – et même en abandonnant un soutien antisémite aux généraux menteurs, sa revendication de la paix servait à préparer la guerre, car dans la logique pacifiste : si vis pacem para bellum ! Même s'il n'avait pas été zigouillé. Jaurès n'avait pas le calibre d'un Liebknecht.

Les masses allaient se la farcir fraîche, joyeuse et bien sanguinolente. Les deux anciens amis sont frères siamois dans la mort14. Jaurès a été zigouillé dans un café et Péguy flingué connement et sans bavures au champ d'honneur du sacrifice patriotique.






NOTES


1J'espère pouvoir vous faire lire ici la première traduction d'une grande part de l'ouvrage du Guy Debord américain, Christopher Lasch – seul de ses ouvrages et le premier à ne pas avoir été traduit, curieux. Comme les écrits de Herbert Marcuse pendant la guerre, trop dérangeants pour le système ? Lasch démonte les virevoltes de la diva Norman Mailer – un excentrique à la Péguy - et en particulier cet épisode dans l'immédiat après-guerre où, dans une réunion de la bonne bourgeoisie US au Waldorf-Astoria il se la joue marxiste affirmant que seul le socialisme pouvait sauver le monde et que la Russie n'était pas socialiste. Provoquant la stupeur de ses congénères, il fera marche arrière - « ne revenant plus s'aventurer dans le sectarisme politique » - et la jouera excentricité voire border line avec tous les nouveaux gadgets féministes, sexualité, etc. Mailer était influencé par Malaquais qui lui rapportait les analyses de la Gauche Communiste de France, donc de Marc Chirik. Militants du CCI et ex-militants, et tout ce milieu dispersé qui me lit en cachette, découvriront dans ce texte les zig-zags d'une diva pour accéder à la célébrité en se servant par petites touches du radicalisme prolétarien des héritiers français de l'IC. Les camarades américains devaient pourtant connaître ce livre de Lasch, pas lâche du tout, que j'ai exhumé d'une benne poubelle de la bibliothèque de Brooklyn en 1988 lors de mon séjour à New York en 1988. Des deux côtés de l'Atlantique on aura eu cet « anti-intellectualism of the intellectuels » dont se moque si bien Lasch, dont je ne saurais trop recommander « culture du narcissisme » et « révolte des élites » (ed Champs Flammarion). Ce « New radicalism in America (1889-1963) » pourrait être classé pourtant dans la tradition des grands critiques réactionnaires comme Burke et Tocqueville, qui ont pourtant n'en déplaise à la gauceh à oeillères, produit de très pertinentes critiques des « radicalismes » au pouvoir ou des commis culturels d'Etat à leurs époques respectives.
2Notamment son dernier poème kilométrique qui a proprement fait chier ses meilleurs amis écrivains, contient des perles littéraires incontestables (cf. « Eve »). Dans le film de Bruno Dumont - Jeannette l'enfance de Jeanne d'Arc - qui vient de sortir, et qui est un soap opéra musical et visuel (tourné à côté de chez moi ici dans le ch' nord) que j'adore ; ce cinéaste atypique fait chanter à une magnifique petite fille les textes les plus calotins de Péguy, c'est con mais c'est beau, cela peut séduire un croyant comme un incroyant. Comme l'a remarqué le cinéaste, les textes chantés de Péguy sont plus « buvables ».
3Ainsi que me le rapporta Marcel Cerf dans l'interview que je lui ai consacrée (cf. le blog archives maximalistes). Cerf était un petit bonhomme charmant, prolétaire et écrivain juif français, petit-fils de communard, mort au début des années 2000 à plus de cent ans. Il fût secrétaire des Amis de la Commune de Paris (assoc de néo-staliniens) ; avec Goupil (ne pas confondre avec le guru gauchiste de Coluche) et Sabatier on avait été leur porter la contradiction dans une salle très houleuse de la mairie du 13 ème . Je sortais à l'époque avec sa petite-fille, qui est cantatrice.
4Les majuscules semblent être de Péguy et pas de Romain Rolland dans son étonnante biographie en deux tomes, Albin Michel 1948.
5La confession est une démarche typiquement religieuse, qui vise à se faire pardonner. En gros,
Derrière la Sorbonne 2016 (photo JLR)
Péguy reconnaît avoir « péché » en soutenant un étranger à la croyance catholique, comme il avait « péché » avec ses croyances précédentes anarchistes et socialistes. Longtemps après l'autocritique stalinienne aura la même fonction que la triviale confession de la curaille.
6Le phénomène du fascisme reste incompréhensible si l'on oublie qu'il y avait des centaines de milliers de petits Hitler. C'est pareil pour les religions, quelle fierté et outrecuidance que de nommer son enfant Mohamed pour la religion musulmane, et chez les cathos nos tonnes de Jean, Paul, et même Jésus (Brésil, Portugal) etc.
7Ceux qui ont vu « Jeannette » de Bruno Dumont, ont pu se marrer du dédoublement de Mme Gervaise.
8René Johannet, ami de Péguy et journaliste de l'Action française.
9Péguy, p.196.
10Lire l'honnête article de Jean Bruhat dans les Cahiers du bolchevisme, plus politiques que ceux de Péguy mais très opportunistes staliniens : http://archivescommunistes.chez-alice.fr/pcf2/doc37.pdf
11Je repique ce passage, avec des pincettes, d'un blog d'extrême droite, Mythes et antimythes (http://anti-mythes.blogspot.fr/2010/01/24-decembre-1894-jean-jaures-antisemite.html). Ce blogueur masqué est tout heureux de se cacher derrière les conceptions erronées et finalement déjà plutôt nationalistes des Guesde et Jaurès. Guesde finit ministre d'Etat bourgeois en guerre, Jaurès pacifiste d'Etat, ce qui était l'autre mâchoire de l'Union nationale !
12J'en connais qui font encore de nos jours les mêmes généralisations hâtives à la Péguy et Jaurès : « Macron comme Pompidou est un produit des Rothschild », la banque « juive » Goldman&Sachs. Oui cela est vrai mais partiel et partial et n'explique pas la marche du capital.
13Voilà qui met à mal une vision évangélique de la classe ouvrière par les militants fanatiques des sectes marxistes léninistes qui s'étonnent par exemple du vote de nombreux ouvriers pour le FN. Le prolétariat n'est pas une classe pure, voire sacrée !
14Au tout début de l'affaire Dreyfus et face à la prise de position odieuse de Jaurès, Péguy est tout aussi odieux contre ce « traître au socialisme », « ce gros bourgeois ventru, aux bras de poussah ». "Nous savons bien que la race juive, concentrée, passionnée, subtile, toujours dévorée par une sorte de fièvre du gain quand ce n'est pas par la force du prophétisme, nous savons bien qu'elle manie avec une particulière habileté le mécanisme capitaliste, mécanisme de rapine, de mensonge, de corset, d'extorsion".

( Discours de J. Jaurès au Tivoli en 1898 ; cité par B. Poignant, Ouest-France 13 décembre 2005 )

lundi 18 septembre 2017

Le catéchisme de Besancenot


Librairie Le Globe, bd Beaumarchais: squelette entouré de l'OC de Lénine
(aucune nécrologie du trotskisme)
Post-scriptum: le pire avec le renégat Besansky c'est qu'il veut bien commémorer Octobre 17 comme on commémore les morts mais il ne  nous dit pas qu'il faudra recommencer l'insurrection ni armer le prolétariat, et il passe à la trappe la notion marxiste de période de transition. En effet, selon la vision de ce radical réformiste les deux pieds dans le système et chouchou des médias, il suffira aux "gens" de la planète altermondialiste après avoir dûment rempli leur figuration d'électeurs, de passer benoîtement à la phase supérieure du communisme, "l'autogestion individualiste" et localiste. Ce vieux rêve anarcho-syndical!


« L'idéal, c'est quand on peut mourir pour ses idées, la politique c'est quand on peut en vivre ». Charles Péguy
« Cent ans après la révolution russe, tout reste à faire ». Olivier Besancenot

Depuis le dix huitième siècle, et surtout après la révolution française, sont apparus régulièrement des catéchismes politiques. D'ailleurs la première mouture du Manifeste communiste fût l'oeuvre d'Engels et s'intitulait « Catéchisme communiste ». La catéchèse est un discours qui s'inscrit à l'intérieur d'une démarche pédagogique, où l'auteur procède par une série de questions et de réponses. Ainsi la plupart des militants de tout bord ne comprennent pas qu'on les taxes parfois de « curés »
Le dernier ouvrage de Monseigneur Olivier Besancenot s'est visiblement inspiré de la catéchèse - faisant alterner entre ses chapitres de restauration de la pureté d'une révolution « ensevelie sous les décombres du stalinisme avant d'être asphyxiée par l'avalanche d'attaques et de préjugés de la pensée dominante »1 du « vécu » - à partir des mémoires (romancées) de l'ouvrier Vassili Nikolaïevitch Kaïourov et d'un français un certain Chapouilly. Exercice obligé de tout créateur mais pas d'un historien chevronné ni d'un figurant du PAF.
Vieille ficelle de la propagande politique de Victor Hugo à Gorki, la personnalisation du révolté exemplaire a du plomb dans l'aile, et ce n'est pas le Vassili d'Olivier Besancenot qui en renouvellera le genre2. Besancenot n'est pas Balzac non plus et il dût plutôt souffrir à rédiger les pages sortant du discours de propagande directe3. Cette façon de tourner la page de la faconde propagandiste trotskiste – que j'ai décrite dans mes « Trotskiens » - n'est-elle pas plutôt un nouveau déguisement d'un trotskisme increvable, éternel caméléon du stalinisme, changement de maillot et de sponsor des petits cyclistes de la gauche bourgeoise ? On sent que Monseigneur Besancenot avait quelque chose d'important à nous révéler. Vous le saurez en lisant son livre ou en allant jusqu'au bout de cet article.

Comme littérateur Besancenot ne pourra jamais être pris au sérieux tant qu'il restera un homme d'appareil. Il ne nous fera jamais avaler que ses brouillons de chapitres ne sont pas passés au peigne fin des critiques des membres des comités centraux et parallèles du NPA, que papy Krivine et grosse tête Löwy ne se sont pas penchés sur son épaule et sa plume en souffrance4.
S'il y a une idée qui se dégage positivement de l'ouvrage, malgré les critiques que je vais lui porter, c'est l'insistance de l'auteur Besancenot à démontrer que l'insurrection d'Octobre 17 ne fût pas un coup d'Etat. Il y revient à plusieurs reprises et tape juste. Je le félicite sur ce point où généralement anarchistes faussaires et bourgeois hâbleurs radotent et pataugent sans rien comprendre au déroulé des événements, et en refaisant l'histoire à l'abri des balles de la guerre mondiale.

Quoiqu'il en soit, cette démarche éditoriale en apparence personnelle de Besancenot, comme auparavant celles des Laguiller et Krivine, par un langage châtié, vise à se servir des éditions bourgeoises comme une tribune pour un programme révolutionnaire communiste – pourquoi pas et plus intéressante que la tribune parlementaire – mais de programme révolutionnaire il n'y a point. Et ce qui est sans doute le plus évident, aucune remise en cause ni du trotskisme comme idéologie ayant fait faillite en se mettant à la remorque de la gauche bourgeoise, ni principalement cette branche tiers-mondiste et girouette de toutes les modes du gauchisme qui s'auréolait être une quatrième internationale. Car Besancenot est bien un fils de cette quatrième internationale sectaire, dévoyée et inutile au prolétariat. Il ne renie d'ailleurs pas qu'il lui doit sa formation politique.

A sa façon, maladroite et un peu innocente, Besancenot exprime que, face à la crise de la dogmatique stalinienne et trotskienne, il y a aussi une crise de la transmission. Ses « anciens » formateurs, toujours vivant, préfèrent mettre un jeune, plus tout jeune, en avant. Mais la camelote est la même comme je vais le montrer. Loin de me réjouir de ces difficultés d'adversaires politiques dans le domaine de la prétention révolutionnaire, je sais aussi que la crise de la transmission touche aussi tout le milieu révolutionnaire maximaliste qui se réclame de la Gauche communiste (italienne, hollando-allemande). Il y a autant marre de cette langue de bois marxisante et finalement éternellement utopiste qui est aussi rasoir que les litanies des politiciens bourgeois.
Jadis dans ses espaces de vie la classe ouvrière générait des militants qui, même vieillissant transmettaient leur expérience et leur savoir. Il y eût même des écoles où l'on enseignait le socialisme. Les partis ouvriers ont longtemps organisé des stages de formation, etc.5 Avec la disparition d'un certain nombre de groupes vraiment révolutionnaires, ou réduits à de simples individualités, sans plus de réelles discussions et confrontations publiques, ne nous reste-t-il plus qu'à errer sur le Web ? Et notre ami Besancenot qui, avec son nouveau catéchisme bancal, rêve de nous refiler l'enthousiasme qui a été celui des prolétaires du monde entier un certain mois de 1917.

L'anniversaire de l'insurrection de 1917 a donné lieu à nouveau à une avalanche d'interprétations négatives où, même des historiens aussi intéressants que Marc Ferro - qui avait dépouillé tant d'interprétations du parti infaillible glorieusement prolongé par Staline (et invariant bordiguien) - ont révélé au fond qu'ils restaient des ennemis de cette révolution6. C'est le premier manquement de Besancenot, d'en référer à des gens, comme Victor Serge qui avait renié la révolution russe, et tous ces historiens critiques superficiels d'un léninisme mythique ; et de se passer d'un bibliographie au fin de volume.

Le livre n'est pas long, mais cela n'obligeait pas à faire court pour en référer aux « espérances communistes depuis le manifeste de 1848 », en nous refourguant les pires clichés sur les « merveilleuses » révolutions du 19e siècle. Page 31 on nous ressort le mythe de la démocratie communarde où la révocation des élus a été une fable comme le soi-disant alignement des rémunérations des élus sur celles des ouvriers7. La « forme d'émancipation enfin trouvée » imaginée par Marx se résuma à une débandade militaire. Jamais en outre la ville de Paris n'a été « libérée pendant deux mois du joug du capital et de l'appareil d'Etat », comme l'imagine un peu imprudemment Besancenot. Enfin, comme explication de l'échec de la Commune de Paris reprendre la thèse de Lénine et des staliniens à la suite qu'il suffisait de « marcher sur Versailles » c'est faire fi des conditions de l'époque, de l'aspect accidentel de l'événement, de son déroulement dans un cadre de guerre, et des sévères critiques ultérieures de Reclus et Marx8. Il y a une étranger succession de demi pages blanches comme si un développement avait été supprimé trop catéchisant sans doute ou trop vieille idéologie trotskienne.
Ce premier chapitre minus de quatre pages est une insulte à tous les débats dans le mouvement révolutionnaire depuis le programme de Gotha jusqu'aux polémiques sur la période de transition des Trotsky, Bilan et tutti quanti, et même du CCI et de la CWO pour l'époque moderne. Il ne s'est rien passé depuis la « merveilleuse » Commune de Paris, à part cette belle insurrection de 1917 et le génial Lénine ? La catéchèse stalinienne obéissait ainsi à l'effacement.
Plus révélateur est le fait que la pensée néo-trotskiste raisonne toujours dans un cadre national. La Russie « maillon faible des Etats capitalistes », et alors ? Cette révolution n'était-elle que le produit de conditions internes à la Russie ou d'une situation de guerre mondiale et comme expression du prolétariat international ? Au lieu d'analyser les superstructures, l'auteur nous ramène au niveau de conscience d'un syndicaliste de base, j'allais dire d'un facteur de base. La révolution ? Mais c'est un truc toujours imprévu où à chaque fois des « minorités agissantes » malmènent les masses. Et de nous exhiber le petit chef syndicaliste Vassili, parfait prototype modèle pour un type de SUD encarté au NPA. En pleine nuit à l'institut Smolny : « La cigarette aux lèvres, il se dirigea vers la fenêtre pour contempler le paysage comme s'il voulait fixer une dernière fois le vieux monde avant qu'il ne meure9 ». C'est beau comme un camion.
Chapitre très bref sur un véritable coup d'Etat en effet, celui de Kornilov, mais là aussi l'auteur oublie ou n'a pas connu nombre d'interprétations délirantes de justifications du libéralisme démocratique sur cet épisode par ses pères en trotskisme, et justifications abusives pour valider l'idéologie mortifère du Front unique, consistant à marcher toujours "unis" derrière la bourgeoisie au nom d'un danger pire (le front unique au moment de l'épisode Kornilov était valable pour le prolétariat parce qu'il était "devant" et dominant par rapport au désir d'unité des fractions bourgeoises affolées).
Les premiers conseils ouvriers, dont la description est recopiée du filou Ferro comme « galaxie de comités expression patente du pouvoir populaire » qui « exerçaient le pouvoir ». Voilà que notre ami Besancenot se mue en conseilliste anarchiste tout en restant conseiller trotskien ! Ce bla-bla dans le déroulé des événements n'explique pas pourquoi ce pouvoir temporaire ne pouvait pas durer ni le fait que les conseils ne pouvaient pas être tout le pouvoir d'Etat. On agite « le pouvoir des conseils » comme recette face à la montée de la « bureaucratie », toujours dans la cadre national10.
Le « génial » Lénine « a su garder le cap sur la prépondérance des idées, notamment celle des assemblées dans cette formule : « Tout le pouvoir aux soviets » (p.97). Prépondérance sur les idées, quel euphémisme bizarre ! Lénine, nouveau chef d'Etat ne s'est pas gêné pour s'asseoir sur ladite formule qui est devenue « tout le pouvoir au parti », pas par méchanceté comme le lui reproche l'historiographie bourgeoise mais parce qu'il ne pouvait pas faire autrement. Dans la durée le pouvoir des Conseils ne pouvait pas s'éterniser (non du fait du simple isolement mais parce que l'Etat transitoire ne peut pas être une simple délégation de la classe ouvrière), comme il ne pourrait pas opérer à un remake identique de nos jours (sociétés multinationales, temporalité et immédiateté des réseaux sociaux). En quoi une assemblée de comités d'usine aurait-elle légitimité pour gérer l'ensemble de la société qui a encore besoin d'un Etat ? Un Etat transitoire qui serait uniquement l'émanation des Conseils ouvriers deviendrait aussi dictatorial que l'Etat du seul parti bolchevique, quoique Besancenot ignore toute la problématique de l'Etat transitoire11. Tout à sa recette de la fable hippie autogestionnaire il ne traite même pas du fait que le premier Etat post tsarisme n'était pas celui d'un parti et que le parti SR de gauche y était associé, ce qui est à réfléchir plus que les jérémiades des démocrates anarchistes sur la dissolution de la Constituante. Besancenot fait montre d'une incroyable incohérence ou plutôt d'une tentative de séduction électorale en direction des libertaires de tout poil en soutenant la revendication localiste d'autonomie des (ou de certains) comités d'usine, ce qui était combattu par son « génial Lénine » à juste titre comme corporatisme étroit incapable de permettre la gestion du territoire acquis à la transformation révolutionnaire ; et finalement c'est bien Besancenot qui lâche en cours de route le gouvernement bolchevique en s'étalant sur la conception irresponsable et abstraite des anarchistes terroristes ; dans sa formulation, de même qu'il utilise la notion de français, comme pour nos actuels sondages bourgeois il se soucie des russes : « les russes avaient fait un choix qu'il s'agissait de respecter : ils désiraient que le pouvoir revienne aux soviets plutôt qu'à un gouvernement qui s'était avéré inapte à régler les questions sociales, incapable de gérer le front et seulement bon à défendre ses intérêts boutiquiers »12. Pour les questions sociales fait sans doute allusion à son idole historique après Guévara, Trotsky qui voulait militariser les syndicats. Pour gérer le front, incapable le parti bolchevique, mais qui était capable à l'époque ? Et cet Etat bolchevique n'était bon qu'à défendre « ses intérêts boutiquiers », donc le ver Staline était déjà dans le fruit bolchevique ? Quelle série d'âneries de petit mec qui ne comprend rien à l'immense complexité d'une société en transition, à son mode de gestion international, et qui ne sera jamais, lui et son parti trotskien qu'un figurant de la petite bourgeoisie « radicale ». En vérité, cette branche loufoque du trotskisme, ayant perdu toute crédibilité avec un alignement sur les positions staliniennes bien connues (le pouvoir au parti, les nationalisations, le contrôle syndical, etc.) ses chefs se précipitent sur les publications de ceux qu'ils décriaient naguère comme ultra-gauchistes, pas chez les bordiguistes ni le CCI, mais chez les zéros intellos du conseillisme complètement hors de la réalité et des charlots en théorie politique pratique et organisationnelle. La théorie « conseilliste » est récupérable comme variante de l'autogestion hippie, et fait bon chic bon genre en référence aux « communistes de Gauche » et autres intellos dans les nuages comme Rubel et Cie. Mais Besancenot sera un mauvais « conseilliste » parce qu'il reste un trotskien de première.

CHASSEZ L'ISLAMO-GAUCHISTE IL REVIENT AU GALOP

C'est sur la religion que Besancenot est le plus complaisant. Il nous dépeint son deuxième héros concret, Chapouilly, en roi de la tolérnace de toutes les religions « assidu aux différentes cérémonies religieuses... sans distinction ». Un croyant inter-catégories quoi. Car il sentait le vent du changement « dans la maison de dieu » : « Après tout n'était-elle pas par excellence le lieu sacré de l'entraide et du partage ? (…). On sent l'islamisme pointer, et la possibilité de faire évoluer les gens dans le cadre de leurs religions respectives avec la réflexion prêtée au « français » Chapouilly : « La fracture entre le socialisme et le christianisme lui semblait aussi factice que le schisme qui séparait l'église catholique de l'église orthodoxe ». Il me rappelle un gros type de 1936 qui tendit aussi la main aux cathos. On apprend, et notre rire est inextinguible à ce moment du catéchisme, que Chapouilly, apprenant l'attentat contre Lénine : « avait prié pour le responsable bolchevique car « il était en un certain sens de l'âme de l'église »13.
C'est lorsque la dimension internationale est enfin abordée (p.117 et suiv.) que la supercherie du catéchisme de Monseigneur Besancenot va jeter un curieux éclairage dans l'église trotskienne. Jusque là on raisonnait sur la révolution en vas clos, russe et orthodoxe, allait-on développer sur les actions sociales dans les autres pays ? Non, rapidement évoquées elles sont secondaires car on a procédé à un enrôlement militaire forcé de quatre millions de russes14. A-t-il éta informé lors de ses cours de trotskisme que le vrai coup d'arrêt à la révolution aurait lieu en Allemagne ? Non l'important est le congrès de Bakou en 1920 en direction des peuples d'Orient. Et comme ce congrès masque déjà la renaissance de l'impérialisme russe sous couleur de « libérations nationales », et que poser une regard critique sur ce congrès postiche rappelerait que le trotskisme de la Quatrième s'est assez ridiculisé dans les sixties par son soutien à toute une série de dictatures sanglantes, Besancenot se mue à nouveau en romancier. L'ineptie totale sur le contenu de ce congrès des dupes commence par satisfaire au clan des féministes hard du NPA en mettant en scène une « femme libérée » Nadja Khanoum, voilée mais venant « hâter la libération des femmes en Orient15.
Le plus scandaleux est la façon dont il masque la colère de John Reed qui a été outré par la démagogie « tiers-mondiste » de ce congrès16 et raconte qu'il a simplement blagué sur le mot oil dans cette région pétrolifère. En application des thèses du parti bolchevique sur la question coloniale (septembre 1920), ce congrès, où un quart des délégués ne sont pas communistes et en partie carrément islamistes, tourne en vérité le dos à la révolution mondiale qui dépendait de l'extension aux pays développés pas d'une dérive opportuniste envers les prétendues libérations nationales. On peut comprendre la joie de monseigneur Besancenot quand ses anciens évêques lui ont révélé qu'au fond la LCR et le NPA étaient depuis toujours dans la ligne de l'islamo-bolchevisme ! Le congrès commence par saluer le nationaliste turc Mustapha Kemal, qui reste mal vu des communautaristes trotskiens de nos jours pour avoir fait tomber tant de voiles (mais en vain finalement). Le petit télégraphiste de l'Etat de Moscou Radek appelle à la « guerre sainte » et ne tarit pas d'éloges sur le djihad. Cette démagogie sert d'épate pour la galerie de futurs chefs d'Etats vassaux de tel ou tel impérialisme. Derrière les appels idiots de Radek, c'est toute la nouvelle diplomatie russe qui se réorganise après le coup d'arrêt de Brest Litovsk en 191817. Il ne s'agit pas de simplement desserrer l'encerclement de la Russie par les principaux impérialismes européens, comme le note un rédacteur du CCI. Sur le plan international Lénine est plus proche de la politique allemande contre les anglais et les français. L'Etat russe se rapproche de la Turquie en même temps que l'Allemagne. Mais Lénine passe étrangement à côté de la question kurde, qui ne semble pas avoir été évoquée lors de ce congrès.
A l'époque de la Première Guerre mondiale – effondrement de l'empire ottoman - les Kurdes se battirent pour mettre fin au pouvoir ottoman dans la région. Ils furent encouragés déjà par le soutien de Woodrow Wilson et ils avaient soumis leur revendication d’indépendance à la conférence de paix de Paris (1919). L'impérialisme britannique leur avait promis leur liberté sans y donner suite18. Lénine aurait pu prendre de l'avance sur l'époque en soutenant la fondation d'un Etat kurde, chose que veut l'impérialisme américain à notre époque. Les kurdes sont pratiquement la moitié de la Turquie et cette population est présente dans la plupart des pays de la région .
Lénine ne veut conserver que les pays producteurs de pétrole dans la zone géographique de la Russie : Astrakhan et Azerbaïdjan. Il ne peut rien faire pour empêcher l'impérialisme anglais d'occuper le nord de ce qui n'est pas encore l'Irak et ensuite procéder au découpage de cette région avec l'impérialisme français, créant deux entités artificielles, l'Irak et la Syrie donc ; en Irak sont logés dans le même sac trois peuples distincts... le découpage n'avait de sens que pour le pillage colonialiste de l'or noir19.
Si j'ai fait ce long aparté sur les kurdes, grands oubliés de la politique « étrangère » de l'Etat « ouvrier », c'est pour montrer qu'en cultivant à présent la démagogie déjà stalinienne et pro-islamique d'un Radek, le clan des trotskiens Quatrième, via son curé syndicaliste Besancenot, confirme sa nature bourgeoise de souteneur historique à l'impérialisme russe, fusse-t-il bolchevique, et aux fausses libérations nationales des sixties à aujourd'hui. Un soutien intemporel au trotskisme... dégénéré.
CE N'EST PAS EN RECOPIANT LES HISTORIENS BOURGEOIS QU'ON DEFEND LA REVOLUTION EN RUSSIE


Le passé et le présent sont inséparables. Ce que nous devons à la révolution française et à la révolution russe ne peut pas être bradé ni jugé à la petite semaine. Besancenot se permet soudain de réviser le passé et ses conditions particulières en s'appuyant sur l'historien bourgeois Marc Ferro, qui, en critique souvent juste et courageux de l'intelligentsia universitaire française (composée d'ex-maos et des pères putatifs de Besancernot qui le conchiaient jusque là comme « anticommuniste ») n'avait ni la compétence politique ni sociale pour comprendre le fonctionnement de la société en révolution. Le ridicule du recopiage d'un historien bourgeois à la vue limitée, parcellaire et socilogique, éclate dans le titrage de al seconde partie du catéchisme : « Les soviets victimes de la contre-révolution ». C'est un non sens et c'est faux. Je dirai, et j'y reviendrai, que les soviets ont été plutôt victimes d'eux-mêmes.

CHASSEZ LE TROTSKIEN : IL REVIENT AU GALOP

Entre-temps on a droit à un sous-titre (intéressant) mais non développé : « 1917 prise au piège de la guerre civile » !? C'est bien de rappeler que la révolution se fait contre la guerre mondiale capitaliste, mais outre de ne pas traiter de la problématique des Conseils ouvriers, on se permet juste une éraflure du pape Pierre Frank concernant sa phrase « malencontreuse » sur le massacre de Kronstadt (injustifiable) qui aurait été une « tragique nécessité », ce sur quoi les bordiguistes anciens étaient d'accord d'ailleurs ; mais ce sera là la seule critique osée du trotskisme, sans pour autant que Besancenot étaye sur le drame de Kronstadt.
Pour se faire pardonner d'avoir un peu griffé le pape de la Quatrième, Besancenot évoque l'évêque Bensaïd qui était persuadé avoir trouvé le filon de la dégénérescence dans la « bureaucratisation », celle-ci étant générée par les conditions de la guerre civile. En effet pour une bonne part la guerre civile, le militarisme de l'Etat assiégé entraîne violences et décuplement du nombre d'embrigadés militaires au détriment de la composition de la classe ouvrière et de son nombre dans les villes. Les Conseils se trouvent amoindris en nombre de participants et la population est régie par les tickets de rationnement ; la circulation de l'argent est rétablie en vitesse après qu'on ait cru pouvoir s'en passer20. On a droit à cette curieuse sentence, digne d'un anarchiste ignorant : « Dans un tel cadre (la guerre civile et le communisme de guerre) le communisme étatique (!?) prend, lui aussi, inexorablement le pas sur le communisme autogestionnaire des premières heures » (p.137). Là on assiste à deux inventions extraordinaires. D'une part c'est quoi ce communisme étatique ? Une autre invention de ce loufoque Bensaïd ? Et ce « communisme autogestionnaire des premières heures » ? Quand il n'était pas question d'autogestion mais où une variété de corporations voulaient gérer selon leurs caprices en défiant la centralisation étatique (qu'elle ait été tenue ou pas par un parti est secondaire) mais, Monsieur Besancenot, selon votre marxisme anarchisé, il n'y a plus nécessité d'un Etat ? Les Conseils ouvriers peuvent-ils représenter toute la population ?
Mais voilà que, après les avoir vilipendé 60 ans avec leurs amis staliniens, le principal porte-parole du trotskisme français avachi salue les critiques de Communistes de gauche21, lesquels bien que leurs critiques ne soient pas infondées sont de doux rêveurs dans le cadre d'une révolution qui ne peut pas s'internationaliser et où ses acteurs en sont réduits à gérer un capitalisme d'Etat. Mot horrible qu'un trotskien même ayant refait la peinture ne saurait prononcer.
On nous explique que la « bureaucratisation » s'effectue par une « autonomisation » des divers corps de l'Etat : administration centrale (sovnarkom), armées et « polices révolutionnaires » (sic ! La tchéka révolutionnaire?) qui « s'affranchissent rapidement des règles démocratiques » ; lesquelles s'étaient enfuies depuis belle lurette pourtant !
Besancenot confond tout – Etat, parti, comités – il imagine que l'Etat transitoire peut fonctionner comme un Conseil ouvrier sur la base de discussions et décisions qui remonteraient de la « base ». Or cette base au début ne voit pas plus loin que le bout de son nez, reste très localiste, comme l'est au niveau syndicaliste le facteur trotskien lui-même, quoique enfermé désormais dans un bureau « bureaucratique ».
Le révérend Besancenot ne change pas un iota à la conception militariste de la révolution par le gauchisme et l'ultra-gauche en général, tout en semblant intégrer que le militarisme tue le développement révolutionnaire ou favorise ce qu'il appelle l'autonomisation de certains services de l'Etat, pas tout l'Etat. Bien sût puisque la référence, comme Guévara, est Durruti, chef des armées anarchistes espagnoles aux ordres de Staline22.
Ferro sert toujours de référent au révérend. Ferro s'arroge de juger tous les partis socialistes d'époque comme jacobins et porteur d'une « mentalité révolutionnaire unique ». Quel bla-bla prétentieux de larbin de télévision d'Etat ! Et Besancenot de se laisser happer par ce discours de faussaire et dans ses généralités de sociologue voyeur et creux. Mais Ferro, tout historien qu'il fût, ne fait que raisonner dans le cadre strictement russe où le terme de bureaucratisation, repris à Trotsky, n'explique rien. C'est de repli qu'il faut parler, de retour en arrière aux anciennes formes de hiérarchisation, repli inévitable du fait de l'échec de la révolution mondiale pas du simple arrivisme des méchants ouvriers arrivistes staliniens. La « bureaucratisation par le haut identifiée par Marc Ferro » peut être aussi identifiée comme une « bureaucratisation par le bas » ; comme les maximes de la Rochefoucauld toute combinaison de mots et possible sans rien expliquer. C'est d'ailleurs ce que fait Ferro juste après, avec l'aval naïf de Besancenot. Ce pitre de télévision fait même pire que ceux qui dénonçait la terreur du parti bolchevique, il charge maintenant la collaboration de la classe ouvrière à la « bureaucratisation » ; sans aucune prudence critique, Besancenot recopie cette ânerie de Ferro sur la montée des apparatchiks (que Ferro avait lui-même recopié de la vision tronquée de Trotsky) : « une plébéianisation du pouvoir » ! A la place de cet affreux néologisme il n'avait pas osé à la place le terme « prolétarisation » du pouvoir, ce qui eût démasqué ce cuistre d'historien de télé exhib.
La chapitre « du bureaucratisme à la contre-révolution bureaucratique », s'intitule dans le même sens que les quolibets des bourgeois du genre « le stalinisme est fils du léninisme ». Et en des termes que les auteurs du livre noir salueraient de joie : « Le tournant qui s'opère est autant marqué par l'avènement d'un système policier sanguinaire que par l'extinction de la souveraineté populaire » ; et cela concerne les dix années qui suivent Octobre. Bon anniversaire Octobre 17 !
Le grand découvreur de la bureaucratie de la bureaucratie, Daniel Bensaïd, dévoile les limites des Conseils (hi hi) quand l'antithèse ( ?) de révolution lui « substitue un pouvoir centralisé (horreur!JLR) et totalitaire ». Comme l'argument de la bureaucratie finit par ne plus rien signifier, Bensaïd réplique par une tautologie : « La bureaucratie n'est pas un vain mot. Elle devient une force sociale : l'appareil bureaucratique d'Etat dévore ce qu'il restait de militants dans le parti ». Otez de ma vue l'atroce terme de capitalisme d'Etat et continuons à danser avec la notion bien-aimée de bureaucratie. Soit, Bensaïd était un universitaire qui avait l'art de ne rien expliquer et de tout justifier avec un vocabulaire abscons en restant ancré dans un léninisme indécrottable, mais notre bon facteur, secrètement contestataire de ce léninisme avec son adhésion soudaine au conseillisme syndicaliste, comment peut-il se contenter sans critique de recopier les âneries sociologiques de Moshe Lewin, qui ne sont pas politiques, et enferment à nouveau dans le cadre russe, sans permettre de comprendre qu'on a tout simplement affaire, comme le constata Lénine lui-même, à une constitution d'un capitalisme d'Etat par repli sur soi et isolement, et dont la bureaucratisation n'est qu'un avatar et pas le principal, niun élément qui permettrait de comprendre quels doivent être les rôles respectifs à l'avenir des institutions révolutionnaires, partis, organismes de lutte immédiate et représentants des couches non exploiteuses.
Besancenot s'accoude encore sur le tombeau de son maître à penser Bensaïd en nous refaisant le coup de la « contre révolution bureaucratique » ; évitez ce sein capitaliste d'Etat que je ne saurais voir ! Notre chanoine trotskien ne peut décidément renier ni renouveler aucune des catégories de la pensée trotskienne. C'est pourquoi je m'en vais le catéchiser à mon tour en recopiant ce que j'ai déjà écrit sur Thermidor.

THERMIDOR MON AMOUR

Trotski est dans l’erreur lorsqu’il imagine que les thermidoriens « redoutaient avant tout un nouveau soulèvement populaire » (cf. son « Staline » p.319) ; comme en Russie dans les années 1920, les masses étaient épuisées et indifférentes au sort du « terroriste » victime du coup d’Etat, Trotski n’est pas très cohérent dans ses multiples comparaisons du « prototype  thermidor » français  avec « l’inexplicable Staline ». Rien n’est comparable : ni Hitler, ni Mussolini ni les tsars. La seule raison qui explique selon lui le fait que le « thermidor russe » ne signifie pas « une nouvelle ère du règne de la bourgeoisie » est que « ce règne est devenu caduc dans le monde entier ». Certes, mais un siècle plus tard la bourgeoisie se porte pourtant bien aussi en ex-URSS. Trotski vérifie le fait qu’on ne peut point être juge et partie, historien et acteur. Il ne peut se défaire de cette expérience où il a tout donné de lui-même et cela reste par conséquent, quand même… « un Etat ouvrier  thermidorien» !

Tout en défendant justement le Trotski pourchassé, Bordiga se moque à son tour de la comparaison avec le Thermidor de la révolution française en renvoyant la balle sur le personnage de Trotski.[9] Il raconte comment lui et les prisonniers communistes du camp d’Agramante, geôle de Mussolini, récusèrent la notion de Thermidor dès 1924 :
« Etant donné que, d’après le lieu commun scolastique, l’histoire est maîtresse de vie, dans le sens banal qu’elle débite des répertoires d’obligation, le philistin de 1924 n’attendait pas seulement le Thermidor russe, mais encore le bonapartisme. La figure de Napoléon paraissait belle et toute prête ; c’était celle d’un Trotski, chef de l’armée révolutionnaire qui avait écrasé toutes les coalitions, homme riche à foison de toutes les qualités les plus brillantes à la figure resplendissante comme l’aigle dans les tableaux de David parmi les aurores de gloire du 19e ». Après avoir rappelé que Trotski n’avait recherché ni gain ni gloire personnelle, Bordiga assène la vision des militants emprisonnés : « Si, dans notre vision de l’histoire, chaque révolution a raison, il ne serait par contre pas exact de dire que toute idéologie révolutionnaire est juste et possède une valeur définitive en regard du passé et du futur »23.

S'il y eût tant de fraternité et de solidarité même avec le Robespierre de Kronstadt, de la part des autres fractions considérées comme « ultra-gauches » au cours de ces années 1920, il n'y a plus rien de commun entre cet altermondialisme radical réformiste du trotskisme décati et les beaux restes de la Gauche communiste internationaliste (beaux restes sur le papier hélas). Cela n'empêche pas le dernier bedeau de la Quatrième déguisée en NPA, de s'aligner sur les positions de cette Gauche opposée au léninisme-stalinisme depuis le début, en reprenant (blasphème marxiste-léniniste) la critique de l'ahurissante répression de Kronstadt, au risque de passer pour un banal anarchiste au sein de son comité central ; mais cela révèle encore le caméléon car les termes « glaciation du parti » comme « ère du parti unique » sont des termes repiqués aux bourgeois et qui n'expliquent rien du point de vue de notre camp prolétarien.

Le dernier chapitre – Le droit à la diversité soviétique – n'est qu'un monstrueux galimatias libéral-libertaire où l'on apprend que « le prolétariat est pétri de contradictions sociales », que « les élections libres et le multipartisme ont une portée stratégique fondamentale, que Rosa Luxemburg fût la mère de tous les grands démocrates, que le jeune Trotsky avait raison contre le vieux, que l'autogestion est une colonne vertébrale ; et, dans la partie littéraire ultime que « le socialisme a en lui-même des germes de réaction ». On a fini par comprendre que les séquences témoignages bruts servaient à éviter au nonchalant promeneur trotskien de se livrer à un bilan de l'effondrement du trotskisme.
La conclusion au titre si équivoque - « éloge de l'autogestion soviétique »24 (Brejnev es-tu là?) - signifie-t-il que Besancenot est devenu un « conseilliste stalinien » ? Un obstétricien d'une autogestion enceinte ? Quand à la suite du philosophe néo-stalinien Rancière il veut « calibrer la place des organisations du mouvement ouvrier au sein du processus autogestionnaire » où devront être partie prenante du processus d'émancipation le carnaval suivant : « les partis , les syndicats, les organisations du mouvement social, féministe, écologique ou les collectifs de quartier ». En avant la zizique pour la prochaine manif ! Et en attendant que « la population puisse établir en conscience et en amont ses besoins réels », avec une échelle mobile du temps de travail et un emploi. Rien de révolutionnaire donc, un simple aménagement de l'horreur existante.

Enfin, car on a vu que monseigneur Besancenot n'avait pas l'intention de choquer dans la sacristie trotskienne ni de souiller la trinité Trostky-Guevara-Zapatta, et qu'il avait tout de même osé certaines piques contre les vieilleries trotskiennes, il commence à nous révéler un petite autocritique :
« Au fond, la révolution russe, à laquelle je fus pourtant abondamment biberonné depuis mes premiers pas militants en raison de mon appartenance politique, n'avait, en fait, jamais été ma clé d'entrée préférentielle en matière d'émancipation. La Commune de Paris ou l'épopée de Che Guevara avaient jusqu'alors focalisé mon attention et mes faveurs instinctives. Grâce aux écrits de Daniel (Bensaïd, le théoricien ampoulé de la Quatrième) j'ai... redécouvert la part autogestionnaire lumineuse de 1917... qui gît cachée sous l'ombre envahissante de la contre-révolution bureaucratique ». Il est honnête au moins de reconnaître qu'on peut passer du trotskisme à l'anarchisme, c'est à dire à rien... quoiqu'il se dise "communiste", quoiqu'un de ses anciens, Krivine n'ait cessé de proposer d'abandonner le terme (cf. p.177  de mes Trotskiens). Et pour remercier au final ses « anciens » qui n'ont jamais fait ni participé à une révolution... les Pierre Frank, Krivine, Sabado, Michaloux et on en passe.

Il est des soutiens dont la révolution russe peut se passer.

LA CONFERENCE DE BAKOU (décrite par le biographe de John Reed, Robert Rosenstone (1976, ed Maspéro)

... La conférence de Bakou issue directement du Second congrès, était née de l'idée que le colonialisme représentait le point faible du capitalisme. Les communistes, après avoir constaté que la guerre avait ouvert les yeux du Moyen-Orient et de l' Exrême-Orient, espéraient prendre la direction des luttes qui se préparaient pour l'indépendance. (...) il (John Reed) s'émerveillait que la révolution ait pu avoir un aussi grand retentissement et rêva à nouveau d'enfourcher un cheval et de suivre ses nouveaux amis dans les montagnes sur les traces d'Attila, de Tamerlan et de Gengis Khan.
De même qu'à Moscou, le congrès le fit revenir sur terre. Organisé par Zinoviev, aidé de Radek et de Bela Kun (chef du bref régime soviétique hongrois), ce n'était pas un congrès marxiste, mais plutôt anti-impérialiste. Les chefs du Komintern jouèrent sur les sentiments et voulurent susciter une grande haine contre les occidentaux. Zinoviev entendait faire déclarer aux huit cent millions d'asiatiques "une véritable guerre sainte" et ressusciter "l'esprit belliqueux qui autrefois avait animé les peuples de l'Est lorsqu'ils marchaient sur l'Europe, sous la direction de leurs grands conquérants". Toute l'assistance lui répondit par une gigantesque ovation, se leva, brandissant des fusils et des sabres et appelant à la vengeance contre les Infidèles. Malgré son efficacité assez théâtrale, le moment semblait mal choisi. La guerre sainte n'avait pas grand chose à voir avec la révolution du prolétariat; masquer la différence qui les séparait, c'était aveugler les masses. Lorsque vint le tour de John de parler, il fût moins éloquent mais plus précis...".


NOTES

1In introduction p.13. On note l'euphémisme « pensée dominante », plutôt que classe dominante ou domination idéologique bourgeoise, termes qui auraient trop paru « marxistes-léninistes ». Grâce aux éditions « autrement » et à la promo dans les médias, Besancenot espère bien toucher un lectorat plus large et donc gomme systématiquement toute une ancienne phraséologie militaro-marxiste. Pour mieux faire passer la catéchèse.

2Avec la personnalisationn romancée on peut tout aussi bien inventer un héros quer se servir d'un personnage ayant réellement existé. Le dernier à avoir excellé dans le genre est Michel Ragon avec son Jospeh Barthélémy, plagié sur le Jean-Christofe de Romain Rolland (La mémoire des vaincus, ed A.Michel 1989) mais lui, mécène de la FA, en profitant pour romancer l'anarchisme comme s'élevant au-dessus du cadavre du stalinisme. J'ai eu l'occasion de le rencontrer. Le 14 février 1990, il m'écrivait ceci : Cher Jean-Louis Roche/Pierre Hempel, Merci de cette bonne lettre et de ces deux livraisons , si bien documentées. De vrais dossiers utiles. Je ne suis pas « sculpteur », ni peintre, ni architecte. Critique et historien de l'art et de l'architecture, militant de la littérature prolétarienne, romancier d'expression populaire, je l'espère. Autodidacte, travailleur manuel depuis mes 14 ans jusqu'à... trente (avec des intervalles de bohèmes, de voyages). 7 ans bouquiniste sur les quais de la Seine. Devenu écrivain « professionnel » à l'âge de la retraite. Comme vous le voyez, tout pour que votre lettre se justifie par l'instinct. Cette petite brochure vous en dira un peu plus ». Amitiés, Michel Ragon.

3Je ne lui jette pas la pierre sur cet aspect, où il y a un réel effort d'écriture. Moi-même je m'étais essayé à la littérature au tout début des années 1970, voulant faire (comme le rêvaient les Gorki et Malaquais) le livre qui soulèverait les masses. Je vis plusieurs fois André Puig (l'avant-dernier secrétaire de Sartre avant le salaud de comploteur Benny Levy) au café La Liberté, rue Edgar Quinet. Sartre habitait en face rue Delambre. Puig avait communiqué mon manuscrit à Arlette Elkaïm (fille adoptive et amante de Sartre), laquelle m'avait appuyé au comité de lecture de Gallimard, mais n'avait pas obtenu la majorité pour me faire publier. En fait je me trouvais très mauvais, avec ce choix que j'avais fait depuis l'adolescence d'écrire comme je parle, et de suivre plutôt le style des Céline et Cavanna, et de Puig aussi. Heureusement s'ouvrit pour moi à l'époque la voie (pas royale ni éditoriale, R.Paris me comprendra) du militantisme maximaliste. Nombre de militants ne seraient-ils donc que des littérateurs ratés ?

4Besancenot a déjà co-écrit un livre à la gloire de Guévara, l'aventurier stalinien, en compagnie de ce Löwy, lequel est membre de toutes sortes de think tanks de la gauche réformiste radicale, ou gauche radicalement réformiste, dont Attac. Il est aussi apparemment un sous-marin du NPA. Cela dit, j'aime à lire ce puits de science qui fait partie de l'école marxiste historiciste. D'une culture phénomènale, il a le don de révéler à chaque fois des choses extraordinaires concernant le marxisme et le mouvement ouvrier.

5Très vite au début du XXe siècle ces écoles sont apparues ridicules. On n'enseigne pas la conscience de classe. Par contre les sectes staliniennes, syndicales et gauchistes ont maintenu cette tradition morte des écoles de... déformation et d'embrigadement.

6Cf. Comme larbin de télévision, Ferro s'est associé à une émission ordurière sur arte faisant passer Lénine pour un « planqué » ; cette émission a été critiquée sur ce blog, et il y a eu aussi un article sur le site du CCI.

7Un certain nombre d'historiens ont honnêtement révisé et démontré nombre de travestissements idéologiques de Marx et des anarchistes, mais tenus à la marge et insultés par le gotha universitaire gauchiste, qui continue à jouer le même rôle d'effaceur que le stalinisme:,lire ici : La Commune et ses petits branleurs juin 2016 https://proletariatuniversel.blogspot.fr/2016/06/la-commune-et-ses-branleurs.html


8Le titre est pas mal « Que faire... de 1917 ? J'avais moi-même en 2008, dans un ouvrage autrement fourni, parodier un ouvrage de Lénine : Dans quel « Etat » est la révolution ?

9Page 75 de la version romancée, le futur boucher de Kronstadt est dépeint, tel un clone de Besancenot (identification-fusion du fan) juste à la veille de se rendre sur un plateau de télé : « .. il s'attabla à son bureau un bref instant afin de rédiger des instructions urgentes, sans oublier de coucher sur le papier deux ou trois idées qu'il entendait développer durant l'intervention qu'il ne manquerait pas d'effectuer dans moins de vingt quatre heures... ». Il applique en revanche au passé bolchevique la machinerie militante trotskienne moderne, sur la base du confusionniste Alexander Rabinowitch, avec les notions « d'implantation militante » qui auraient assuré la victoire « autant que le talent de Lénine » ; ça sent le recrutement LO et LCR vintage. Quand, il ajoute peu après que le parti « a ouvert ses portes à des dizaines de milliers de nouveaux adhérents », ce qui serait le résultat du bon quadrillage antérieur du parti, un peu comme la « promotion Lénine » ultérieurement qui en recrutant massivement n'importe qui n'a fait qu'accélérer non pas la bureaucratie mais le contrôle militaire de l'Etat.

10On note à plusieurs reprises des clins d'oeil pénibles au lectorat du PCF, L'Huma citée comme page de réflexion sur le bilan de la révolution russe. On apprend aussi que Auguste Blanqui était « un révolutionnaire français » ! (p.89)

11Il n'a évidemment pas lu autant de livres que moi bien que la librairie La brèche lui fournisse à peu près les principaux éléments (ed Smolny, mes ouvrages et ceux de Michel Olivier), ni participé à autant de débats sur la période de transition et la question de l'Etat que nous avons eu la chance de connaître dans le CCI. Tout se résume pour lui à rejeter finalement les vraies questions en 1917 (rôle de l'Etat remis en place, place du parti et rapports aux Conseils ouvriers).

12C'est dans la partie romancée concernant le français Chipouilly, p.111.

13La laïcité étant inconvenante de nos jours pour les curés trotskiens, monseigneur Besancenot renvoie l'ascenseur commjunautariste et pro-voile cent ans en arrière pour mieux stigmatiser tous ces faux révolutionnaires qui se permettent de conchier les religions de nos jours (certains y verront un appel aux électeurs des cités) : « Le matérialisme ambiant de la « colonie française » l'accablait, alors que l'épopée soviétique secrétait une quête spirituelle qui l'ensorcelait » (p.111). Et si la révolution en Russie n'avait été qu'une croisade religieuse, hein ?

14L'auteur a-t-il réfléchi à moitié sur madénonciation du mythe de la guerre révolutionnaire, du fait de son admiration pour le Che il semblerait que même pas.

15Il recopie un commentaire du procès-verbal très opportuniste (et révélateur du dogmatisme musulmaniaque, et omet de d'informer que le gouvernement bolchevique n'a rien pu négocier ultérieurement avec les factions politico-religieuses musulmanes, ingérables et inintégrables (comme je le rappelle dans mon livre « Immigration et religion) et qui va si bien à la tolérance (éléctorale) de l'islamo-compatibilité démocratique : « Les femmes de l'Orient ne luttent pas seulement pour le droit de sortir sans voile. Pour la femme de l'Orient, avec son idéal moral si élevé (sic), la question du voile est au dernier plan ».

16Lire l'excellent article du CCI : Islamisme : un symptôme de la décomposition du capitalisme, revue internationale de 2005, article sur leur site web.

17Coup d'arrêt obligé à une extension « militaire » de la révolution prolétarienne, qui ne peut être reproché à l'Etat des Lénine et Trotsky, mais qui l'est par la naïve Rosa Luxemburg et ses resucées de conceptions anarcho-jacobines.

18Le traité de Sèvres stipula la création d’un état kurde autonome en 1920 mais le traité de Lausanne, qui lui fit suite en 1923, ne fit aucune mention des Kurdes. En 1925 et 1930, des révoltes kurdes furent réprimées par la force par le gouvernement turc de l'époque. Le mouvement kurde ethno-nationaliste qui émergea après la chute de l’Empire ottoman fut largement une réaction aux changements qui avaient alors lieu en Turquie : la sécularisation radicale à laquelle les Kurdes, musulmans convaincus, s'opposaient, la centralisation de l’autorité, qui menaçait le pouvoir des chefs locaux et l’autonomie kurde, et un nationalisme turc rampant au sein de la nouvelle république turque, qui menaçait de les marginaliser.

19Soutenus en sous-main par l'impérialisme américain – qui veut contrôler toute la Méditerranée et affaiblir la Turquie - les nationalistes kurdes avancent plus vite par leur diplomatie internationale que par leurs actions terroristes. Ainsi pour le 24 septembre de cette année, ils ont proposé un référendum dans les cinq pays de la région où existe une immense population kurde : Irak, Iran, Turquie, Jordanie, Syrie. D'abord référendum pour l'autonomie, en attendant de demander plus tard l'autodétermination. Le cinéma autour de l'atteinte à la liberté de la presse concernant l'emprisonnement du journaliste Loup Bureau, cache évidemment une des manœuvres, en complicité avec la bourgeoisie française, pour faire avancer le « dossier kurde ». Mais tout cela est étranger aux enfantillages radicaux réformistes du NPA qui ne se prononce jamais contre les attentats de Daesch (rien sur celui de Barcelone et de Londres). Ce qu'il reste du trouble Etat islamique, composé au début des seuls officiers largués de Saddam Hussein, peut compter sur le silence complice de l'autodétermination trostkiste ! On peut dire que les frontières de la région sont redessinées par Exxon Mobil, dont le patron est ministre des affaires étrangères de Trump.


20Il nous cite son principal gourou encore, Bensaïd déplotant « un socialisme arriéré, édifié sur des ruines », ce qui n'a pas empêché les diverses sectes trotskiennes d'afficher 50 ans leur soutien « critique ». Ni de radoter qu'elles nous feraient repasser par la dictature du parti en s'imaginant qu'un jour la destinée leur servirait le pouvoir comme à Saint Lénine.

21Je comprends finalement pourquoi les éditions Smolny ont tout de suite intéressé les chefs trotskiens, face à leur vide théorique. Sans un solide appareil critique les publications smolniesque sont tout à fait récupérable par le trotskisme désarmé. S'appuyer sur Guérin et Bensaïd sur la transition est en outre une franche galéjade, ce sont des nuls comparés aux travaux de Lucien Laugier, de Bilan et de nombreux rédacteurs du CCI dont surtout Marc Chirik.

22Ou encore ce comique jeu de mot typique de cette variété d'altermondialisme folklorique de l'armée zapatiste, variante de l'idiotie autogestionnaire : « Obéir en commandant », oui à son arme !

23(voir toute l'argumentation à ce sujet sur ce blog où est publié l'intégralité de mon livre sur le mythe de la guerre révolutionnaire) https://proletariatuniversel.blogspot.fr/p/le-mythe-de-la-guerre-revolutionnaire.html



24On comprend pourquoi Bordiga s'est toujours refusé d'utiliser le terme « soviétique ».