PAGES PROLETARIENNES

samedi 23 septembre 2017

Péguy, Jaurès, les juifs et la guerre



« Nous ne partirons point pour le front, en laissant ces traîtres vivants, derrière notre dos ».
Péguy
« Les curés se méfient, quand je serai mort ils commenceront à avoir confiance ».
le même

Le lieutenant Péguy, comme beaucoup, pense que la guerre sera courte — pas plus de trois mois — et annonce avec une emphase naïve à une amie, le 4 août 1914 : « Je pars soldat de la République pour le désarmement général et la dernière des guerres ». Le 15 août, il assiste à la messe de l’Assomption à Loupmont ; le lendemain, il écrit à sa femme, à Blanche Raphaël-Bernard (son grand amour platonique) et à Jeanne Maritain (la soeur de Jacques) leur demandant, s’il ne revenait pas, de faire chaque année le pèlerinage de Chartres ; il prie aussi Blanche Raphaël de réciter chaque jour le Notre Père, la Salutation angélique et le Salve Regina. Sanglé dans son uniforme de lieutenant voilà sur le champ de bataille tant attendu le fan de sa « Jeanne d'Arc des batailles » dans la pose du commandement suicidaire. L'expérience héroïque sera fort brève, et il n'aura pas le loisir de la romancer ou de la mettre en quatrain, le soir de la première journée de la bataille de la Marne.
Le capitaine Guérin donne l’ordre de traverser le champ de betteraves qui se trouve de l’autre côté. A peine a-t-il parlé qu’il s’effondre. Péguy hurle : « Je prends le commandement ! » Debout, il dirige le tir de ses hommes et les exhorte : « Tirez ! Tirez ! Nom de Dieu ! » Refusant de se mettre à couvert, une balle l’atteint en plein front. Les officiers ne s'abaissaient pas à l'époque pour « ramper » comme les hommes du rang, et étaient donc généralement les premiers flingués au-dessus des tranchées. Dans un souffle, il murmure : « Ah ! mon Dieu !… mes enfants !… » Il est cinq heures et demie.
Le capitaine d’Estre, envoyé sur le champ de bataille, note le lendemain : « Premier de la ligne, le chef de section, un lieutenant, est tombé à sa place règlementaire. Je l’examine avec un soin particulier, minutieusement, pieusement (…). C’est un petit homme d’apparence chétive (…). Il est couché sur le ventre, le bras gauche replié sur la tête. Ses traits (…) sont fins et réguliers, encadrés d’une barbe broussailleuse, teintée de blond, mais paraissant grisâtre du fait de la poussière, car il est jeune encore, trente-cinq à quarante ans tout au plus ».

Le 24 octobre 1914, le revue hebdomadaire de Berlin Die Action rendit un hommage paradoxal à « la morta d'un poeta », lui consacrant sa page de couverture avec un portrait de Egon Shicle, qui fût diffusé en cartes postales. Le directeur de la revue Franz Pfemfert écrivit :
« Charles Péguy – en qui nous, allemands, nous honorons la force morale la plus puissante et la plus pure, qui s'exprime aujourd'hui dans les lettres françaises, cet apôtre et éducateur, est tombé sur le champ de bataille. Nous déplorons la mort de ce grand homme, qui a dû porter les armes contre nous, comme celle d'un de nos meilleurs écrivains propres. Son héritage nous le revendiquons. Charles Péguy a vécu pour l'humanité, et il est mort pour l'idée grotesque, que les pires de ses compatriotes se faisaient de l'honneur national ».

Le révolutionnaire allemand Pfemfert, internationaliste fondateur du parti socialiste antinational puis du KPD, se plante en beauté, Péguy était bien devenu un enragé nationaliste revanchiste. Pas de quoi en faire un grand homme ni revendiquer son héritage. Cela fait des années que l'anarchiste brouillon passé brièvement au socialisme a épousé le nationalisme via sa bigoterie. Péguy symbolise l'intellectuel girouette du XX e siècle et l'aboutissement réactionnaire de leur radicalisme initial, après avoir joué un rôle éminent comme centre de la vie intellectuelle à Paris1. Péguy vivant aurait été outré de cet hommage par un communiste « apatride » et « incroyant ». Ancien admirateur de la Commune, et qui fulminait encore en 1913 contre les Versaillais, Péguy conchie ensuite toute guerre civile et révolution.

Avec la fin des grandes idéologies dominantes à cheval sur le 19 e et le 20 e siècle, des figures d'excentriques comme Péguy nous séduisent. Iconoclastes, inclassables, délirants mais séduisants, plusieurs auteurs nous intéressent encore mais pour un moment de leur trajectoire ou pour leur art, les Nietzsche et Baudelaire par exemple. Ils ont été à la fois révolutionnaires et réactionnaires. Ce ne sont pas des penseurs systémiques mais, comme poètes, ils touchent souvent juste et profond ; c'est pourquoi j'ai souvent cité ponctuellement Péguy et compris que le pèlerin de Chartres plaise encore à chaque nouvelle génération. Il a une rigueur et un style cassant, peu phrasé, elliptique, parfois épileptique, marqué par la répétition, la litote, l'anaphore systématique, en un mot il sort de l'ordinaire littérateur dixneuviémiste même dans ses derniers délires religieux2. C'est un éternel moderne psychorigide malgré un parcours politique chaotique qui a mal fini. Au propre et au figuré.

DE LA MYSTIQUE DREYFUSISTE A LA MYSTIQUE PATRIOTIQUE

Il a fait et défait la plupart de ses combats. Il a été courageux en se portant en première ligne pour la défense du capitaine Dreyfus, mais il a finalement regretté ce combat, considérant qu'il avait nui à l'unité nationale... en vue de la guerre sanctifiée, alors que l'affaire Dreyfus, comme je n'ai cessé de le dire depuis plus de trente années a servi surtout de ciment à l'Union nationale, et que le capitaine a été (en partie) exonéré des accusations fourbes de la camarilla militaire pour aller commander lui aussi dans les tranchées. La querelle tout au long de l'affaire, qui dura dix ans, fût terrible dans Paris surtout, elle divisait les familles3. Péguy enterre l'Affaire mais ses explications sont très confuses4 :

« L'Affaire Dreyfus est bien morte, elle ne nous divisera plus... Tout le travail des politiciens (ILS AVAIENT PEUT-ETRE RAISON puisque de cette réconciliation est tout de même sortie cette nouvelle grandeur de la France) a été de nous réconcilier sur cette affaire... Quand on se réconcilie sur une affaire c'est qu'on n'y entend plus rien... PERDRE LE GOUT DU PAIN, c'est mourir. FAIRE PERDRE... exactement FAIRE PASSER LE GOUT DU PAIN, c'est tuer. Exactement dans ce sens nous ayant fait passer le goût de l'affaire Dreyfus, ils nous ont fait littéralement mourir à l'Affaire Dreyfus et au Dreyfusisme. RESTAIT A SAVOIR SI CE FUT UN BIEN GRAND DOMMAGE ».

Ce que j'en comprends c'est que, ayant plongé complètement dans la bigoterie nationaliste et dans
le fou patriotique aux manoeuvres (1913) à droite
le nationalisme bigot, Péguy, qui ne passe plus son temps qu'à se confesser5 retourne sa veste et donne raison à ses supérieurs militaires, ces salopards de généraux falsificateurs et assassins, qui vont envoyer au massacre des centaines de milliers de Dupont et de Cohen.
A lire les jérémiades de Péguy on peut interpréter, avec nos connaissances actuelles, son involution comme liée à une grave dépression alliée à sa mégalomanie et à son grave égocentrisme. Son délire mystique patriotique est d'un désespéré, mais d'un désespéré qui croit., mais d'une pensée incertaine Quelque part, à un point nommé le bigot se prend pour le créateur soi-même, comme le fan du chanteur de variétés s'identifie à celui-ci, comme le membre d'une secte (religieuse comme politique) se mire dans le gourou6.
Lorsque Péguy est touché par « la grâce », le miracle n'est pas bien épais malgré la confusion mentale qu'il étale avec force répétitions comme un moine psalmodiant. L'illumination baigne en réalité dans l'idéologie du revanchisme qui fouette la marche à la guerre. Il n'est plus original dans ses excentricités verbales. A peine âgé de quarante ans il est atteint précocement de gériatrie aiguë, se replongeant dans l'espérance perdue pour Jeanne d'Arc lors de sa première communion, et révisant pour se laisser happer par elle à nouveau, une religion dont il flétrissait « l'imagination perverse ».
Dans son panégyrique de Bergson il dévoile le militaire hystérique qui sommeillait en lui (comme on dit aujourd'hui que dort en chacun de nous un facho). Romain Rolland le moque :
« Quelle conception de vieux routier de la guerre de cent ans ! Péguy se croit toujours au siège d'Orléans ! Son Dieu est le roi de France, qui a besoin de la Pucelle. Péguy est nécessaire à Dieu. Il le lui affirmerait face à face, si Dieu se permettait de le contester, - comme il le fait, par l'intermédiaire de son Eglise. Ah ! La Jeanne d'Arc, au front butté, qui baisse ses cornes de jeune taure contre Mme Gervaise, est bien sa fille et son portrait... »7.

Le délire du chrétien Péguy est celui du raté social, de l'étudiant qui a échoué à tous ses examens, et c'est pourquoi il s'identifie à la mystique juive, au peuple d'Israël « cette race même de la non réussite », et sa défaite éternelle « depuis septant et nonante siècles ». Mais plane au-dessus de sa tête malade la disqualification nationale depuis 1870, la haine du boche qui veut détruire la France qui seule a succédé à la légendaire Grèce pour l'époque moderne. Face à « l'immense appareil de l'empire » (allemand) « la première race de la guerre » (la France) « n'a pas été exterminée ». Péguy a fait le front unique avec Dieu contre l'Allemagne, avec Jésus, un homme comme les autres mais fait premier baron.
Il psalmodie tant de fois avec le mot race qu'il pourrait passer pour un néo-nazi auprès de nos gentils antiracistes réformateurs patentés du vocabulaire, lequel est décrié désormais comme plus raciste que la grammaire française et les noms de rue de colonialistes non éradiqués de la langue hexagonale et du fronton des lycées.
Les allemands sont plutôt protestants n'est-ce pas ? Ils ne peuvent pas comprendre comme les juifs ce qu'est un vrai croyant catholique : IL « sait qu'ils ne peuvent pas se représenter ce que c'est un catholique. Et les protestants sont encore plus éloignés, plus incapables de se le représenter que les juifs ». Son dernier manuscrit se termine ainsi : « Samedi, 1er août 1914 ». Les déclarations de guerre mutuelle entre puissances coloniales se succèdent du 31 juillet à la première semaine d'août.

A la nouvelle du meurtre de Jaurès, Péguy exulte, hurle de joie, comme tous les antisémites d'extrême droite qui vont s'ingénier à récupérer le Péguy soldat chrétien mort au combat pour la défense de la patrie, oubliant ses amitiés juives, comme le rapporte Romain Rolland :
« Or, si Péguy est resté fidèle jusqu'au dernier jour à des sympathies – on pourrait dire, à des préférences, - ç'a été son penchant déclaré pour les juifs. Il l'affichait. Il revendiquait avec respect, avec tendresse, ses grandes amitiés juives : Bernard Lazare, Marix, Bergson. Johannet8, qui n'était point suspect de partager son goût, observait sans plaisir qu'aux Cahiers, « il circulait un air juif ». Péguy poussait la forfanterie jusqu'à se montrer fier du patronage juif, sans lequel les Cahiers n'auraient pu vivre. C'est l'argent juif, dit Johannet, qui a payé les éditions des poèmes catholiques, d'Eve et des Tapisseries. J'ai entendu moi-même Péguy se vanter du soutien de Rothschild, pour la diffusion de ses Cahiers en Orient. Il se targuait d'une initimité avec les juifs, qu'aucun chrétien n'avait jamais eugoogle e, n'aurait jamais »9. Il assure que le juif est plus attaché à la France que le français. Ce qui fonde cet amitié et cette solidarité est la commune loyauté nationale où Péguy invite tous à aller rigoler, à son poste de combat, en attendant de se retrouver pour rigoler au paradis (cf. Note testamentaire).
Péguy, imbu de Kant, est l'homme de l'idéalisation lyrique sans nuances. Il généralise hâtivement à partir de cas particuliers, ce qui est paraît-il typique des crânes d'oeuf normaliens. Sa culture est restreinte :
« Intellectuel autant, mais sur un autre plan que le « Parti intellectuel », objet constant de ses invectives, il se disait « peuple » ; et il ne l'était point, nullement peuple paysan, sinon par miracle (instable) du génie. Par son enfance, par ses souvenirs et par son milieu direct, il appartenait tout au plus à un certain peuple citadin, qui est bien plus près de la petite bourgeoisie, qui y aspire et qui, dans le cercle de son horizon, ne va pas plus loin » (Romain Rolland).

DE LA MYSTIQUE ANTISEMITE A LA MYSTIQUE PACIFISTE

Une réflexion de Péguy est indubitable, les juifs (riches) aiment la France mieux que les français...
et les socialistes. Dans ses aspects primaires le mouvement ouvrier en France est marqué par un antisémitisme, assez général au début du dix-neuvième siècle et qui connaît des horreurs (les pogroms en Russie). L'absence de claire dénonciation de cette mystique perverse héritée de l'époque féodale et monarchique explique la lenteur voir l'absence de réactions des six partis et syndicats ouvriers au début de l'Affaire Dreyfus, voire l'attitude équivoque des intellectuels leaders de partis comme Guesde et Jaurès10. Avec la même attitude psychorigide de Péguy, Guesde et Jaurès ont refusé d'abord de prendre partie dans la lutte « entre deux camps bourgeois ». Le revirement de Jaurès en faveur de Dreyfus est plus le produit d'un questionnement petit bourgeois qu'une claire prise de conscience du combat politique qui n'est pas ouvriériste : « Jaurès adopte les mots d'ordre politique de la bourgeoisie de gauche » (Bruhat) dans une optique réformiste et sans lendemain ; ce combat visant à défendre la République (préparant l'union nationale toutes confessions confondues) sera la matrice de l'antifascisme (pour partie c'est Guesde qui avait raison mais flancha). Pour Lénine, décriant comme Rosa l'antisémitisme, la république en France « était un fait, et aucun danger sérieux ne la menaçait ». Dénoncer la forfaiture judiciaire n'impliquait pas de défendre la république bourgeoise, c'est que que firent pourtant la majorité des dreyfusards.
La veille de Noël 1894 (année où Dreyfus est déporté), Jean Jaurès avait été expulsé de la Chambre des députés. On lui reprochait des propos antisémites tenus à la tribune. Le parlementaire a en effet dénoncé « la bande cosmopolite », en se moquant des « foudres de Jéhovah maniées par M. Joseph Reinach »11.Joseph Reinach faisait partie d'un groupe de juifs qui furent largement éclaboussés par le scandale financier de la Compagnie de Panama, au cours duquel son beau-père fut très compromis. Ancien secrétaire de Gambetta, Reinach était député des Basses-Alpes depuis 1893. Le journal La Petite République, qui fut l'un des premiers grands quotidiens socialistes et l'organe de liaison des divers groupes socialistes de l'époque, était animé par Jaurès, avec Alexandre Millerand, Viviani, Jules Guesde. Le journal avait surnommé Joseph Reinach "Youssouf" et le désignait comme un « Juif ignoble »... La Petite République s'intéressait beaucoup à « Rothschild, le tout-puissant milliardaire, ce roi de la République bourgeoise ». En 1895, le quotidien socialiste dénonce les « Juifs rapaces comme cette bande de Rothschild qui écrasent l'Europe entière de leur tyrannie et de leurs milliards (...) ces financiers cosmopolites ». La même année, évoquant le cas d'Isaïe Levaillant, ancien préfet et directeur de la Sûreté générale, démis brutalement de ses fonctions en raison d'une sombre affaire de prévarication et devenu un dirigeant du Consistoire central, le journal déplore la « formidable puissance malfaisante des juifs, en matière administrative et judiciaire ».
Jaurès, ne déroge pas à la mystique antisémite répandue dans le mouvement ouvrier (comme s'en flatte le blogueur qui répercute cette info). Le 7 juin 1898, il écrit : « La race juive, concentrée, passionnée, subtile, toujours dévorée par une sorte de fièvre du gain quand ce n'est pas par la fièvre du prophétisme, manie avec une particulière habileté le mécanisme capitaliste, mécanisme de rapine, de mensonge, de corruption et d'extorsion ». Bof cela démontre que Jaurès a toujours été très limité en marxisme et en politique.
Quand l'Affaire Dreyfus aboutit, dans un premier temps, à la condamnation de l'accusé, Jaurès estima que celui-ci avait échappé à la peine de mort grâce au « prodigieux déploiement de la puissance juive » (notre blogueur masqué ne cite pas ses sources). Mais, dans les derniers mois de 1898, Jaurès changea de cap et se rangea dans le camp des dreyfusards, en lui apportant un concours très actif, ce que l'extrême droite ne lui pardonna jamais. Un Jaurès antisémite viscéral et invariant sur le sujet leur aurait bien convenu. Mais pour les fanatiques de tout bord il est inconvenant de changer d'avis.
L'interprétation facho suit : « Jaurès fut récompensé de cette évolution lorsqu'il fonda, en 1904, le quotidien L'Humanité auquel collaboraient entre autres René Viviani, Aristide Briand, Léon Blum, Tristan Bernard, Lucien Herr. Pour financer son journal, Jaurès eut l'appui du banquier Louis Dreyfus, de Lévy-Bruhl, de Salomon Reinach et d'autres membres de leur communauté ».
Notre facho de l'ombre s'appuie sur un nationaliste juif, Emile Cahen qui : «  s'en expliqua en 1906 dans Les Archives israélites : « Les grands services rendus à la cause de la justice et de la vérité par M. Jaurès lui ont créé des titres indiscutables à la reconnaissance de tous les Israélites français. Ce sont eux qui, en très grande partie, l'avaient, il faut bien le dire, aidé à fonder son journal.12 »
Et voilà comment se restaure la mystique antisémite, même si nous, on se fout qu'il y ait eu des contributions d'origine.. israélite, d'ailleurs tout à fait compréhensibles dans l'enfer de la polémique et des risques encourus pour les personnes injustement accusées.
Mais ce qu'il importe de comprendre ici - c'est que bien sûr Jaurès avait sorti des conneries, lesquelles participaient du patriotisme rance des blanquistes et des anciens communards ralliés au général Boulanger (un des massacreurs de la Commune également)13 – et même en abandonnant un soutien antisémite aux généraux menteurs, sa revendication de la paix servait à préparer la guerre, car dans la logique pacifiste : si vis pacem para bellum ! Même s'il n'avait pas été zigouillé. Jaurès n'avait pas le calibre d'un Liebknecht.

Les masses allaient se la farcir fraîche, joyeuse et bien sanguinolente. Les deux anciens amis sont frères siamois dans la mort14. Jaurès a été zigouillé dans un café et Péguy flingué connement et sans bavures au champ d'honneur du sacrifice patriotique.






NOTES


1J'espère pouvoir vous faire lire ici la première traduction d'une grande part de l'ouvrage du Guy Debord américain, Christopher Lasch – seul de ses ouvrages et le premier à ne pas avoir été traduit, curieux. Comme les écrits de Herbert Marcuse pendant la guerre, trop dérangeants pour le système ? Lasch démonte les virevoltes de la diva Norman Mailer – un excentrique à la Péguy - et en particulier cet épisode dans l'immédiat après-guerre où, dans une réunion de la bonne bourgeoisie US au Waldorf-Astoria il se la joue marxiste affirmant que seul le socialisme pouvait sauver le monde et que la Russie n'était pas socialiste. Provoquant la stupeur de ses congénères, il fera marche arrière - « ne revenant plus s'aventurer dans le sectarisme politique » - et la jouera excentricité voire border line avec tous les nouveaux gadgets féministes, sexualité, etc. Mailer était influencé par Malaquais qui lui rapportait les analyses de la Gauche Communiste de France, donc de Marc Chirik. Militants du CCI et ex-militants, et tout ce milieu dispersé qui me lit en cachette, découvriront dans ce texte les zig-zags d'une diva pour accéder à la célébrité en se servant par petites touches du radicalisme prolétarien des héritiers français de l'IC. Les camarades américains devaient pourtant connaître ce livre de Lasch, pas lâche du tout, que j'ai exhumé d'une benne poubelle de la bibliothèque de Brooklyn en 1988 lors de mon séjour à New York en 1988. Des deux côtés de l'Atlantique on aura eu cet « anti-intellectualism of the intellectuels » dont se moque si bien Lasch, dont je ne saurais trop recommander « culture du narcissisme » et « révolte des élites » (ed Champs Flammarion). Ce « New radicalism in America (1889-1963) » pourrait être classé pourtant dans la tradition des grands critiques réactionnaires comme Burke et Tocqueville, qui ont pourtant n'en déplaise à la gauceh à oeillères, produit de très pertinentes critiques des « radicalismes » au pouvoir ou des commis culturels d'Etat à leurs époques respectives.
2Notamment son dernier poème kilométrique qui a proprement fait chier ses meilleurs amis écrivains, contient des perles littéraires incontestables (cf. « Eve »). Dans le film de Bruno Dumont - Jeannette l'enfance de Jeanne d'Arc - qui vient de sortir, et qui est un soap opéra musical et visuel (tourné à côté de chez moi ici dans le ch' nord) que j'adore ; ce cinéaste atypique fait chanter à une magnifique petite fille les textes les plus calotins de Péguy, c'est con mais c'est beau, cela peut séduire un croyant comme un incroyant. Comme l'a remarqué le cinéaste, les textes chantés de Péguy sont plus « buvables ».
3Ainsi que me le rapporta Marcel Cerf dans l'interview que je lui ai consacrée (cf. le blog archives maximalistes). Cerf était un petit bonhomme charmant, prolétaire et écrivain juif français, petit-fils de communard, mort au début des années 2000 à plus de cent ans. Il fût secrétaire des Amis de la Commune de Paris (assoc de néo-staliniens) ; avec Goupil (ne pas confondre avec le guru gauchiste de Coluche) et Sabatier on avait été leur porter la contradiction dans une salle très houleuse de la mairie du 13 ème . Je sortais à l'époque avec sa petite-fille, qui est cantatrice.
4Les majuscules semblent être de Péguy et pas de Romain Rolland dans son étonnante biographie en deux tomes, Albin Michel 1948.
5La confession est une démarche typiquement religieuse, qui vise à se faire pardonner. En gros,
Derrière la Sorbonne 2016 (photo JLR)
Péguy reconnaît avoir « péché » en soutenant un étranger à la croyance catholique, comme il avait « péché » avec ses croyances précédentes anarchistes et socialistes. Longtemps après l'autocritique stalinienne aura la même fonction que la triviale confession de la curaille.
6Le phénomène du fascisme reste incompréhensible si l'on oublie qu'il y avait des centaines de milliers de petits Hitler. C'est pareil pour les religions, quelle fierté et outrecuidance que de nommer son enfant Mohamed pour la religion musulmane, et chez les cathos nos tonnes de Jean, Paul, et même Jésus (Brésil, Portugal) etc.
7Ceux qui ont vu « Jeannette » de Bruno Dumont, ont pu se marrer du dédoublement de Mme Gervaise.
8René Johannet, ami de Péguy et journaliste de l'Action française.
9Péguy, p.196.
10Lire l'honnête article de Jean Bruhat dans les Cahiers du bolchevisme, plus politiques que ceux de Péguy mais très opportunistes staliniens : http://archivescommunistes.chez-alice.fr/pcf2/doc37.pdf
11Je repique ce passage, avec des pincettes, d'un blog d'extrême droite, Mythes et antimythes (http://anti-mythes.blogspot.fr/2010/01/24-decembre-1894-jean-jaures-antisemite.html). Ce blogueur masqué est tout heureux de se cacher derrière les conceptions erronées et finalement déjà plutôt nationalistes des Guesde et Jaurès. Guesde finit ministre d'Etat bourgeois en guerre, Jaurès pacifiste d'Etat, ce qui était l'autre mâchoire de l'Union nationale !
12J'en connais qui font encore de nos jours les mêmes généralisations hâtives à la Péguy et Jaurès : « Macron comme Pompidou est un produit des Rothschild », la banque « juive » Goldman&Sachs. Oui cela est vrai mais partiel et partial et n'explique pas la marche du capital.
13Voilà qui met à mal une vision évangélique de la classe ouvrière par les militants fanatiques des sectes marxistes léninistes qui s'étonnent par exemple du vote de nombreux ouvriers pour le FN. Le prolétariat n'est pas une classe pure, voire sacrée !
14Au tout début de l'affaire Dreyfus et face à la prise de position odieuse de Jaurès, Péguy est tout aussi odieux contre ce « traître au socialisme », « ce gros bourgeois ventru, aux bras de poussah ». "Nous savons bien que la race juive, concentrée, passionnée, subtile, toujours dévorée par une sorte de fièvre du gain quand ce n'est pas par la force du prophétisme, nous savons bien qu'elle manie avec une particulière habileté le mécanisme capitaliste, mécanisme de rapine, de mensonge, de corset, d'extorsion".

( Discours de J. Jaurès au Tivoli en 1898 ; cité par B. Poignant, Ouest-France 13 décembre 2005 )

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