PAGES PROLETARIENNES

dimanche 12 mars 2017

LA FORÊT DES GOULAGS PEUT-ELLE EFFACER LA REVOLUTION EN RUSSIE ?


« Si la classe ouvrière ne nous montre pas le bon exemple, à quoi diable peut-elle bien servir ? Elle donne l’impression, dans l’ensemble, de n’avoir aucun sens de la responsabilité morale ». Oscar Wilde


L'histoire comme l'information en régime de mondialisation heureuse dépend des modes idéologiques. On révisionne selon les exigences de domination du moment. Les historiens ad hoc, intellectuels de gouvernement, assaisonnent ou caricaturent l'histoire comme passé pendable ou amendable s'il sent suffisamment le moisi ou peut être noyé sous les mensonges incontestables. Le livre de Eric Aunoble n'est pas inintéressant pour ses rappels des cuistreries des auteurs staliniens passés aux normes de réécriture bourgeoise moderne, tel Furet et Courtois1. Les transfuges sont toujours meilleurs pour brûler ce qu'ils sont adoré servilement ; Jeannine Verdès-Leroux en dévoile la longue et édifiante liste2. Pourquoi une telle fixation et autant d'aller et retour sur l'histoire passée ? Parce que l'histoire reste une matière inflammable. « Qui possède le passé contrôle l'avenir » a piqué à un autre auteur Georges Orwell. Parce que l'histoire reste un combat. Parce que le passé reste présent. Parce que, et je le montre en cours de démonstration, la bourgeoisie s'inspire ou copie toujours son passé, notamment ses périodes les plus réactionnaires. La négation des camps staliniens a longtemps précédé la négation des chambres à gaz des nazis, mais a procédé du même type d'aveuglement volontaire et intéressé3.

La difficulté d’écrire une histoire véridique ou mieux la résonance historique de la révolution en Russie4 ne réside pas dans le fait qu'on ait voulu nous faire croire que Soljenitsyne aurait révélé l'existence des goulags au début des années 1970, point barre5. Des goulags il y en eût jusqu'à la fin des années 1970 (ciel de notre vivant!), le dernier aurait été fermé en 1991. D'aucuns disent que le système concentrationnaire de Poutine conserve de vastes prisons...
Qu'il faudrait être capable de la tâche incommensurable de décrypter toutes les affabulations qui ont été superposées au long des années pour pénétrer au cœur des ténèbres « bolcheviques » ou « staliniennes », ou se féliciter que les archives russes soient accessibles ; point virgule. La difficulté tient dans le fait qu’il faut comprendre que information n'est pas conscience, que l'empirisme est encore ce qui permet aux pouvoirs bourgeois de mentir sans vergogne.

Le site Smolny, qui fournit une liste d'études (non exhaustives et en langue française seulement sur le phénomène des goulags, cite un éditeur dont la présentation dit ceci:
« Contrairement aux camps nazis, le gigantesque univers concentrationnaire propre au régime soviétique demeure largement méconnu. Les Kontslaguer apparurent en Russie dès 1918, comme instrument de répression politique et bientôt comme réservoir de main-d’œuvre forcée pour l’industrialisation soviétique. De la Révolution à la Glasnost, 18 millions d’individus en furent les victimes ; 4,5 millions n’en revinrent jamais. Si Soljenitsyne, avec son Archipel du Goulag, en a donné un inoubliable témoignage littéraire, aucun historien n’en avait encore entrepris la relation globale. Anne Applebaum, puisant dans une masse encore à peine explorée d’archives, de témoignages et interviews de survivants, nous propose ici une étude sociologique minutieuse de la vie quotidienne des millions de zeks : l’absurdité des arrestations, la cadence infernale des travaux, la terreur, les violences inouïes et la mort omniprésente, les effroyables conditions d’hygiène mais aussi les stratégies de survie, les tentatives d’évasion, l’espoir et la solidarité qui, en dépit de tout, subsistent ».
D'abord, ce n'est pas vrai que l'univers des camps nazis est bien connu6, et de même la surabondance de chiffrages hallucinants du « livre noir du communisme » qui s'est voulu LA référence incontournable est une immense supercherie « informative »7 ; tout ces tombereaux excessifs de cadavres peuvent être revus à la baisse (même si cela n'atténue pas la barbarie du capitalisme d'Etat) comme le remarque notre ami Jo de Smolny :
« Les russes ont connu un long et tragique hiver : entre les 7 ans de guerre [1914-1921 = au moins 10 millions de morts ?], le Goulag ["18 millions d’individus en furent les victimes ; 4,5 millions n’en revinrent jamais", d’après Applebaum, alors que l’encyclopédie Encarta : "Le nombre de citoyens soviétiques déportés a fait l’objet d’estimations variées, qui ont été révisées à la lumière des informations recueillies à la fin de la guerre froide, puis grâce à l’ouverture des archives soviétiques, consécutive à la perestroïka (« restructuration »). Au sortir de la guerre, l’inflation avait prévalu. Dans un contexte où l’horreur du système concentrationnaire émouvait l’opinion occidentale, certains témoins ou analystes parlaient de plusieurs millions de morts au goulag. Aujourd’hui, on considère qu’environ 900 000 personnes y ont succombé."],les Grandes famines de 1921-22 et 1932-33 (au moins 10 autres millions de morts) et la Seconde Guerre mondiale [27 millions de morts ?], c’est pratiquement 50 millions de personnes qui ont disparu, sans parler des autres vies brisées ... avant la guerre d’Afghanistan, la catastrophe de Tchernobyl !Si la Révolution mondiale, commencée en Russie, l’avait emportée, Poutine et le patriarche Cyrille seraient encore des êtres humains, et l’hiver des russes serait bien plus doux ! »8.


UN PROBLEME DE METHODE
Sans aucun souci de la chronologie des strates successives de la mystification et de l'accumulation des mensonges (un mensonge peut en cacher un autre) Eric Aunoble pose le problème de la « connaissance » des horreurs concentrationnaires (attribuées par la bourgeoisie au fait révolutionnaire) d'un point de vue universitaire, académiste, et plutôt de type gauchiste trotskien. La question des camps de travail russes, comme celle des camps de travail nazis n'est pas une question d'information bonne ou mauvaise. A ce titre la dénonciation du terrorisme étatique par Rosa et Gorter est anticipatrice de la transformation des camps de prisonniers contre-révolutionnaires et terroristes tsaristes et anarchistes en goulags d'accumulation capitaliste d'Etat.
L'auteur en est conscient partiellement puisqu'il évoque les grands défricheurs isolés, les Souvarine et Victor Serge comme « pionniers d'une historiographie indépendante des pouvoirs mais par là même peu diffusée ». Alors il se propose de « retracer le destin de la révolution russe » ; ce qui peut être louable mais échoue par manque de méthode. Sans connaissance (théorique celle-là) des réflexions de la gauche communiste maximaliste il passe un peu vite sur comment l' »Etat prolétarien » se dresse immédiatement contre la classe ouvrière, brise ses grèves et massacre à Kronstadt : il ne connaît pas les critiques internes au parti bolchevique, celles des premiers oppositionnels non trotskystes, celles du KAPD, etc. Ce n'est pas d'information qu'on a besoin mais d'explicitation d'un processus de dégénérescence.
Anton Ciliga, auteur – certes lui aussi peu diffusé malgré un ouvrage au titre retentissant « Dix ans au pays du mensonge déconcertant »9 - n'est cité que page 9110, il informait mais pas seulement, il indiquait les critiques politiques à « l'Etat prolétarien » par les premiers prisonniers politiques ni tsaristes ni anarchistes, mais souvent bolcheviques de la première heure ; c'est pourtant des rangs de ces premiers prisonniers qualifiés à tort de « trotskystes » que provient la dénonciation des camps au début des années 1920, et qui se sentent reniés par la position défensiste de l'URSS par l'ancien ministre d'Etat « prolétarien » ; des anarchistes et Bertrand Russel avaient déjà dénoncé les premiers camps, lesquels n'étaient pas encore des camps de travail comme les futurs goulags staliniens. Il faut faire la différence entre camps d'emprisonnements pour les divers ennemis de la révolution, terroristes anarchistes et curés comploteurs (mais personne ne la fait cette différence) et les goulags que le capitalisme d'Etat stalinien va mettre en place dans la crise mondiale qui précède la guerre : l'exploitation totale du travail gratuit par des millions de prolétaires prisonniers. Une trouvaille dont s'est inspirée par après une partie de la hiérarchie nazie.
Absence de questionnements donc sur les mécanismes de la conscience que n'aborde pas Eric Aunoble en restant sur un plan académique propret et pas trop risqué. L'hémiplégie des hommes et les oublis des classes à chaque époque. Comment critiquer ceux qui n'ont pas voulu voir ou nié les goulags en leur temps quand nous ignorons tant de massacres qui se déroulent devant nos yeux à la télé en ce moment ? Des milliers qui meurent de faim ou se noient en Afrique ?

LES LECONS DU GOULAG REPRISES PAR LA MONDIALISATION HEUREUSE

On se permettra une parenthèse ici, de deux ordres : le goulag n'a pas disparu et le mondialisme heureux des Merkel, Obama et Macron s'inspire des « migrations paysannes » à l'ère stalinienne pour des « migrations » actuelles dites humanitaires.
Vingt ans après la chute de l'URSS, le goulag n'a que changé de nom. Le système pénitentiaire russe conserve les usages de l'époque : discipline militaire, humiliations, administration toute puissante, traitements dégradants allant jusqu'à la torture. Avec le retour au pouvoir de Vladimir Poutine, tous les opposants sont menacés de se retrouver emprisonnés sous des prétextes souvent fallacieux.
Le monde capitaliste actuel a considérablement réduit le nombre de paysans en pays riches, et la Russie capitaliste d'Etat à accumulation à marche forcée a aussi grandement liquidé le problème du nombre, mais les paysans restent très nombreux dans les pays du « sud », et constituent de Chine en Arabie un important réservoir de main d'oeuvre (et de chantage) taillable et corvéable à merci. Les maoïstes ont toujours été choqués du mépris (voilé) des bolcheviques et de la « gauche occidentale » (comme disaient les bordiguistes) en général pour les paysans11. Les amis de Charles Bettelheim déploraient encore au début des années 1980 que Lénine, Gorki et bien d'autres « n'ont pas été avares de jugements les plus méprisants pour les paysans russes »12, laissant de côté la concession de la terre aux paysans et l'effort d'éducation dans les campagnes. Mais il y a un autre aspect, qui scandalisait les maoïstes universitaires, c'était l'utilisation de la « migration paysanne » vers les zones urbaines, l'intérêt de faire du paysan arriéré un ouvrier docile, ce que décrivait lucidement pourtant Claude Lefort :
« En URSS, jusqu'à la guerre, le prolétariat a reçu l'afflux régulier d'éléments arrachés aux campagnes, étrangers donc à la tradition de la classe ouvrière, habitués à un niveau de vie très bas et à des besoins rudimentaires, dépourvus de culture technique. La force d'inertie que constitue une telle couche sociale dans la production a été cent fois soulignée. Elle est prête à endurer l'exploitation la plus dure et en un sens elle la provoque, en raison de son ignorance technique ; elle est dépourvue des réflexes de solidarité, caractéristiques du milieu ouvrier. Il n'est pas douteux que l'efficacité de la législation du travail – sans cesse aggravée de 1930 à 1940 – ait dépendu de ce prolétariat arriéré. A cette époque, la coercition brutale (…) se révélait rentable (…) S'il faut des générations et quelques fois des siècles pour que s'effectue une transformation de la mentalité paysanne dans le cadre de la vie agricole, il ne faut que des années pour que les hommes s'adaptent à l'industrie (…) instruits qu'ils sont par le progrès insatiable de la technique, et (…) s'approprient un besoin jusqu'alors inconnu, le besoin social, le besoin d'une existence sociale en tant que telle »13.

Où l'on voit que les caïds libéraux du monde occidental, très anti-étatistes, ne font que reprendre la même « force d'inertie » que le très étatiste régime stalinien sous sa propagande humanitaire en faveur d'une ouverture sans limite aux migrants chassés par les guerres des impérialismes rivaux ; avec en prime l'idéologie de soumission de l'islam, plus forte que la faim qui fît accourir le paysans russe en zone urbaine.

LES PREMIERS VISITEURS DU GRAND SOIR REVOLUTIONNAIRE

Ils n'ont pas été aveugles les premiers invités passionnés à venir visiter le creuset de la révolution mondiale, communisme en gestation bien que toujours relié au cordon ombilical d'un curieux Etat bâtard. Ils voient bien la misère, les privilèges de certains des « comitards », les militants séducteurs, une nouvelle race de profiteurs et de jouisseurs, les repos en datcha privée de Lénine, les parties de chasse du ministre Trotsky, etc14.
Mais, par solidarité avec « l'expérience en cours » les plus valeureux admirateurs gardèrent entre soi leurs considérations sur l'état de misère du prolétariat russe et la répression terrible des grèves, et c'est tout à l'honneur de certains anarchistes de n'avoir pas celé la vérité. Les trois envoyés de France, Vergeat, Lepetit et Lefebvre, auraient été noyés parce qu'ils n'emportaient pas un rapport idyllique avec eux, selon certains.

Les premiers constats honnêtes ne proviennent pas des « partisans » bien sûr ni de leurs émules occidentales, mais de ceux qui sont sur le côté : le menchevique Soukhanov, témoin respecté par l'historiographie bolchevique au début, Souvarine déjà mis de côté, mais surtout l'excellent Bertrand Russell. Une dizaine d'années avant Gide et son retour d'URSS, il a tout vu et tout décrit dès 1920 dans "La pratique et la théorie du bolchévisme", en étant totalement compréhensif des bolcheviques, en montrant (comme la GCF le fera bien plus tard) que l'Etat échappait aux mains de ceux qui crurent le contrôler. Une des couches récentes de l'historiographie officielle, qui esquive de creuser la dénonciation (inaudible et confinée) par les premiers révolutionnaires bolcheviques assassinés, passant allègrement sur les années 1920 et 1930, se fait complice du dégel Khrouchtchévien et fait démarrer la « révélation » des goulags au début des années 1960 avec le premier roman de Soljenitsyne (Une journée d'Ivan Denissovitch, 1962, que j'ai lu encore adolescent). C'est se faire complice du vieux compère étatique stalinien en Europe depuis la fin de la boucherie mondiale de 1945, et féconder la blague de l'ignorance.
Les écrits témoignages véridiques et complémentaires des Rousset et Kravchenko de l'époque sont judiciarisés, conchiés à longueur de colonnes par les organes staliniens, salis, traînés dans la boue ; Kravchenko donne des bâtons pour se faire battre avec des chiffres exagérés qui font sensationnels pour la propagande américanophile.

Anastasie après 1945 est stalinienne et trotskienne. Tout ce qui se publie remettant en cause la dictature stalinienne est soupçonné de collusion avec la CIA. Les militants atteints par les « mensonges pernicieux de la presse bourgeoise » sont éjectés du PCF (cf. Verdès-Leroux), mais les massacres en Hongrie et en Pologne en 1956 ouvriront les yeux à beaucoup, et ne pourront être des mensonges – non sur l'existence ou non des goulags – mais sur la terreur en Russie et satellites « frères ». Un livre comme celui de Guy Vinatrel – L'univers concentrationnaire en URSS, travail forcé et esclavage en Russie soviétique – (édité par les cahiers Spartacus en 1950) est considéré comme un abject produit de la CIA par staliniens et trotskiens15

LA POLITIQUE DE L'AUTRUCHE DES APPARATCHIKS

Pour tout individu conscient apte à raisonner, l'existence de grands camps de travail n'avait pas besoin de photographie mais d'une théorie d'analyse politique du rapport des classes, du type de domination et de la façon dont la domination diffuse histoire et informations. Certes les minorités révolutionnaires marxistes et anarchistes n'avaient pas le pouvoir de nos modernes lanceurs d'alerte (qui auraient été zigouillés rapidos à coups de piolet) et s'attachaient plus à dénoncer l'assassinat des « militants » ou personnages en vue comme Trotsky et Kyrov16.

Au cours des années 1930 les témoignages et récits sur ce qui se passait derrière le « rideau de fer » (expression surtout popularisée comme la notion vague de totalitarisme, après 1945), étaient systématiquement dénoncées comme « mensonges bourgeois » par les partis staliniens occidentaux. Une des forces de la propagande dans la contre-révolution, encore utilisée de nos jours, était de culpabiliser les sources, de faire de l'information un critère de pensée, en réalité d'empêcher de réfléchir avec cette méthode si bien décryptée par Orwell en Espagne, la novlangue. Idem de 1945 à 1968, chaque fois qu'un quidam, croyant contrarier un stalinien ou un trotskien, objectait qu'il y avait des camps de prisonniers au « pays du socialisme réel », il s'entendait dire qu'il était victime du Figaro ou du Parisien Libéré17 ; suivi d'une mixture d'attaques personnelles, et d'allusions policières et sexuelles base d'argumentation apolitique de tout stalinien ou trotskien de base (du niveau PCF 1950 : « si tu trompes ta femme, tu trompes le parti » cf. J.Verdès-Leroux)..

De 1936 aux années 1970, le credo sûr reste « les éditions sociales », tout le reste est à vomir, y compris Maspéro et les Cahiers Spartacus compromis par leur long cheminement à l'ombre des raclures de la SFIO les Blum et de Pivert, et le terrible « d'où venait l'argent ? ». Aunoble nous dit que le débat est « gelé » et que l'extrême gauche est marginalisée ; tout cela est faux, le débat est interdit, toute critique à l'URSS stalinienne est un blasphème et l'extrême gauche trotskienne communie dans le même sens...critique invraisemblable.
Quand un délégué CGT négocie dans le bureau du patron, il commence par poser l'Huma sur le bureau dudit patron « en matière » d'entrée en matière, ce qui ravit les adhérents d'un tel culot ! Un syndiqué qui se pointe au boulot avec Libération ou Le Monde... : « tu lis la presse bourgeoisie maintenant ? ».

Les camps de prisonniers hostiles au régime n'étaient pas cachés de toute façon. Lénine et Trotsky y font référence dans leurs écrits pour « punir les contre-révolutionnaires ». Le perspicace mathématicien Russell a très bien vu cette étrange religiosité bolchevique si comparable à l'islam ; certes le capitalisme a fait plus reculer la foi religieuse que tous ses dénonciateurs laïques :

« C'est l'industrialisme, plutôt que les arguments des darwiniens et les critiques de la Bible, qui ont amené la décadence de la foi religieuse parmi les ouvriers des villes. Dans le même temps, l'industrialisme a réveillé cette foi religieuse chez les riches. Au XVIII e siècle, les aristocrates français étaient devenus pour la plupart libres penseurs ; aujourd'hui, leurs descendants sont pour la plupart catholiques, parce qu'il est devenu nécessaire que toutes les forces de la réaction s'unissent contre le prolétariat révolutionnaire. Prenons encore l'émancipation des femmes. Platon, Mary
Wolstonecraft et John Stuart Mill ont développé d'admirables arguments, mais n'ont agi que sur un petit nombre d'idéalistes impuissants. La guerre est venue ; elle a obligé d'employer les femmes dans l'industrie sur une vaste échelle, et immédiatement les arguments en faveur du vote des femmes ont paru irrésistibles. Mieux que cela, la moralité traditionnelle des sexes a disparu, parce qu'elle reposait entièrement sur la dépendance économique des femmes vis à vis de leurs pères et de leurs maris. De tels changements dans la moralité sexuelle amènent de profondes altérations dans les pensées et les sentiments des hommes et des femmes en général ; ils modifient les lois, la littérature, l'art, et toutes sortes d'institutions qui semblent fort éloignées du domaine économique »(p.136).
« Les marxistes supposent que le « groupe » pour un homme, du point de vue de l'instinct collectif, c'est sa classe, et qu'il s'unira à ceux dont l'intérêt économique de classe est le même que le sien. Cela n'est que partiellement vrai en fait. La religion a été le facteur le plus décisif pour déterminer le groupement humain pendant de longues périodes de l'histoire du monde. Même maintenant un ouvrier catholique votera pour un capitaliste catholique plutôt que pour un socialiste incroyant. En Amérique, les divisions pour les élections se font presque toujours selon les croyances religieuses. Evidemment cela fait l'affaire des capitalistes, et tend à les rendre religieux ; mais les capitalistes seuls ne pourraient amener ce résultat. Le résultat provient du fait que beaucoup d'ouvriers préfèrent le progrès de leur foi à l'amélioration de leur existence. Quelque déplorable que soit cet état d'esprit, il n'est pas nécessairement dû aux mensonges capitalistes ».

Et le capitalisme d'Etat, croyez-vous qu'il n'a comme seule perversion la possession, l'accaparement d'objets ?
« Toute la politique est dominée par les désirs des hommes. La théorie matérialiste de l'Histoire, en dernière analyse, implique le postulat que toute personne politiquement consciente est dominée par un unique désir : celui d'augmenter sa propre part d'avantages matériels (…) Cette supposition est loin de la vérité. Les hommes désirent le pouvoir ; ils désirent des satisfactions pour leur orgueil et leur propre considération. (…) Tous ces mobiles se mettent en travers des motifs purement économiques. Il est nécessaire de traiter les motifs politiques par des méthodes de l'analyse psychologique. En politique, comme dans la vie privée, les hommes créent des mythes pour rationaliser leur conduite (…) pour Marx qui a hérité de la psychologie nationaliste du 18e siècle des économistes orthodoxes britanniques, l'enrichissement paraissait le but naturel des actes politiques d'un homme. Mais la psychologie moderne a pénétré beaucoup plus profondément dans l'océan de la folie sur lequel la petite barque de la raison humaine flotte à l'aventure. L'optimisme intellectuel d'un âge révolu n'est plus possible pour un moderne qui étudie la nature humaine. Il s'attarde encore dans le marxisme ; il rend les marxistes rigides et semblables à Procuste dans leur façon d'envisager la vie instinctive » (p.141)
(…) « ...quatre passions : désir d'acquérir, vanité, rivalité, amour du pouvoir sont, après les instincts fondamentaux, les premiers moteurs de tous les événements politiques ».

Or, acquérir, en pays de misère ou dans une misère généralisée, n'est-ce pas le propre des «militants religieux » ? Sans compter que l'expansion de l'islam n'est pas due en soi à cette religion mais à la... sécheresse :

« « L'action des conditions matérielles peut être illustrée par le fait que quatre des plus grands mouvements de conquête sont dus à la sécheresse de l'Arabie, laquelle a forcé les nomades de ce pays d'émigrer dans des régions déjà habitées (L'Aube de l'histoire, de Myer). Le dernier de ces mouvements, ce fut le soulèvement de l'islam. Dans ces quatre faits, les besoins primitifs de manger et de boire ont suffi pour mettre les événements en marche ; mais comme ces besoins ne pouvaient être satisfaits que par la conquête, les quatre passions secondaires ont dû bientôt entrer en jeu. Dans les conquêtes de l'industrialisme moderne, les passions secondaires ont presque toujours été dominantes étant donné que ceux qui les entreprenaient n'avaient à redouter ni la faim ni la soif (…) Le progrès ou la régression du monde dépendent, d'une manière générale, de la balance que l'on peut établir entre le désir d'acquérir et la rivalité. Le premier est facteur de progrès, le second de régression (…) Jusqu'en 1914, le désir d'acquérir l'a emporté, d'une manière générale, depuis la chute de Napoléon ; tandis que ces six dernières années ont vu la prédominance de l'instinct de rivalité. (…) L'habitude du pouvoir intensifie la passion de rivalité ; donc un Etat où le pouvoir est concentré sera plus belliqueux ».

Le capitalisme peut bien être dominé par le fait religieux finalement, au bout du compte, dans une décomposition finale où le meurtre ne deviendra plus que la seule loi de référence :

« « Prétendre que c'est la propagande capitaliste qui empêche l'adoption du communisme par les salariés n'est vrai que très partiellement. (…) Elle (la propagande capitaliste) a été incapable de tenir tête au sentiment religieux. (…) La vérité est que le socialisme n'éveille pas chez la plupart des citoyens le même intérêt passionné que le sentiment nationaliste et le sentiment religieux ».
« Il y a beaucoup de minorités en dehors des communistes : minorités religieuses, minorités de tempérants, minorités militaristes, minorités capitalistes. Chacune de ces minorités pourrait adopter la méthode préconisée par les bolcheviks, et pourrait espérer réussir aussi bien que ceux-ci. Ce qui arrête ces minorités, plus ou moins actuellement, c'est le respect de la loi et de la constitution. (…) la renonciation à la loi, si elle devient générale, déchaîne la bête humaine et lâche la bride aux désirs primitifs et aux instincts que la civilisation contient dans une certaine mesure. Tout homme qui a étudié le Moyen Age doit avoir été frappé par l'extraordinaire valeur attribuée à la loi durant cette période. Cela venait de ce que dans des pays attaqués par des barons pillards, la loi était la première exigence du progrès (…) La guerre de classe mondiale prévue par la troisième Internationale, survenant après l'abandon de toute contrainte par suite de la dernière guerre, et jointe au mépris délibérément inculqué de la loi et d'un gouvernement constitutionnel, pourrait bien amener et amènerait certainement, à mon avis, une situation telle qu'il deviendrait naturel de tuer un homme pour une croûte de pain et que les femmes ne pourraient être respectées que si elles étaient protégées par des hommes armés ». (p.161)

Non content de décrire par anticipation – l'époque fait encore la part belle aux romanciers d'anticipation, à Jules Verne comme à Huxley qui va publier Le meilleur des mondes en 1931 18, bréviaire de l'anti-communisme « totalitaire » - le retour de l'aliénation religieuse, et pas de façon perverse et eugéniste à la Huxley, Russell met en garde indirectement contre la décomposition capitaliste si la classe ouvrière ne prend pas ses responsabilités comme le lui enjoignait Oscar Wilde ! Bertrand Russell a eu des entretiens avec les divers chefs bolcheviques, dont il dresse des portraits peu flatteurs mais compatissants, étant donné les remarques contenues dans son étonnant petit livre, je pense que c'est lui qui a poussé Lénine à sauver les meubles, et à éviter un nouveau Kronstadt, en lui conseillant de créer une NEP, nouvelle politique économique donnant du lest à l'économie emprisonnée et à la petite bourgeoisie.

LE TEMPS EST VENU OU LES REVELATIONS NE SONT PLUS SCANDALEUSES MAIS OU LE SCANDALE SE TROUVE DANS LA PERPETUATION DU GRAND MENSONGE CAPITALISTE

La mondialisation heureuse et le Macron, Mozart de l'économie qui considère les ouvrières comme illettrées et les ouvriers incapables de se payer un beau costume, n'ont plus que la Corée du Nord et le djihadisme masqué à se mettre sous la dent. Il n'y a plus à dénoncer la forfaiture d'un « socialisme réel », est-ce à dire qu'un authentique socialisme, puis communisme n'a aucune prétention à exister ?

Question de conscience de classe mon cher Watson ! Faites marcher votre tête et pas vos pieds !

La prise de conscience de la farce tragique du « socialisme réel », décrié partout comme « communisme totalitaire » n'a pas dépendu fondamentalement d'une révélation journalistique, ni d'une information, plus ample ou indépendante (qui n'existe pas) ni des murmures de poignées de militants de la vieille et de la veille qui « savent », qui « ont vécu » ou qui « en sont revenus », ni de la pantalonnade des gouvernements Mitterrand ou Walesa, mais des événements. 1956 et 1968 ont plus fait pour déniaiser la croyance entretenue par les buses staliniennes au service d'un parti national bourgeois financé par Moscou. Malgré le rapport (préventif) secret de Khrouchtchev en février195619, c'est la répression « soviétique » qui a plus fait pour dévoiler les camps de travail et de torture - et faire taire apparatchiks menteurs du PCF et des sectes trotskistes - que les écrits des Ciliga, Souvarine, Kravchenko puis, si tard, Soljenitsyne le bigot.

La réflexion sur les causes qui ont enclenché la révolution en Russie, ne nous est pas étrangère, et n'est pas obsolète à cent ans de distance. Il n'y a pas que le Kremlin actuel qu'elle mette encore mal à l'aise. Pour ceux qui sont arrivés au pouvoir en Russie juste après l’effondrement de l’URSS, l’explication était toute trouvée : ils ont adopté la théorie libérale du complot ourdi par des éléments profondément étrangers au peuple russe, soit les bolcheviks, une bande de criminels stipendiés par l’Allemagne, qui n’avaient aucune légitimité populaire… Ce qui permettait de condamner le communisme. (sic! d'où mes deux articles contre le faussaire tsarcophile Loupan).

Question de méthode ai-je dit en introduction, qui est absente de la plupart des recensements tant sur les causes profondes de la révolution que sur l'utilité et la fonction des goulags. Absence de méthode comme si tout n'était question que d'information et pas de conscience ; conscience de classe bien entendu qui est à la fois un sentiment et un raisonnement déductif, qui se nourrit de ce qui est possible et impossible, qui calcule le pourquoi d'une impuissance à régler les malheureux du monde par le cerveau d'un individu ou celui de toutes les bonnes volontés de l'univers. Un monde révoltant qui, à chaque époque, hérisse des murs sociaux et psychologiques, qui masquent misères, guerres, injustices, spoliations diverses.

La méthode pour appréhender le monde capitaliste d'aujourd'hui n'est surtout pas l'oubli de ce que nous avons fini par savoir, mais de voir ce qui se déroule sous nos yeux, les enjeux ; c'est de comprendre qu'il existe des armes pour la réflexion et que celles-ci étaient utilisées toujours et déjà par ces petites minorités maximalistes pourchassées avant la répétition de la guerre mondiale non parce qu'elles menaçaient au bout du compte à ce moment-là le capitalisme – quoique l'assassinat de Trotsky vaille la comparaison avec celui de Jaurès, quoique les Etats aient été complices de l'Amérique à l'Espagne, de Moscou à Berlin pour éradiquer la théorie révolutionnaire et ses porteurs en chair et en os – il faut le répéter : sans théorie révolutionnaire pas de mouvement révolutionnaire.



LE SPECTACLE QUE DONNE STALINE EN PATURE AU CAPITALISME DE TOUS LES PAYS

LE PROCES DE MOSCOU (BILAN n°39)

(…) Et, en Russie comma dans les autres pays, la course effrénée de l'industrialisation, conduit inexorablement à faire de l'homme une pièce de l'engrenage mécanique de la production industrielle. Le niveau vertigineux atteint par le développement de la technique impose une organisation socialiste de la société. Le progrès incessant de l'industrialisation doit s'harmoniser avec les intérêts des travailleurs, autrement ces derniers deviennent les prisonniers, et, enfin, les esclaves des forces de l'économie. Le régime capitaliste est l'expression de cet esclavage car, au travers de cataclysmes économiques et sociaux, il peut y trouver la source de sa domination de la classe ouvrière. En Russie, c'est sous la loi de l'accumulation capitaliste que se réalisent les constructions gigantesques d'ateliers, et les travailleurs sont à la merci de la logique de cette industrialisation : ici accidents de chemins de fer, là explosion dans les mines, ailleurs catastrophes dans les ateliers. Devant cette situation, Staline ne peut pas laisser les masses dans le doute : ce n'est ni lui, ni l'économie basée sur les lois capitalistes, qui en sont les responsables. D'un autre côté, une lueur pourrait éclairer les masses ; elle pourrait jaillir de l'Octobre 1917, et c'est pour cela que l'on se jette cyniquement sur les vieux bolchéviks : après les avoir précipités au dernier degré de la mortification, on les tue comme des chiens ». (le reste du texte est sublime mais je demande à être relayé à la saisie).

Contrairement à Bordiga, incapable même après guerre de caractériser la Russie comme capitalisme
d'Etat, Bilan décrit bien la nécessité intrinsèque des « camps de travail » sans les nommer au régime étatique russe ; ils sont consubstantiels de l'industrialisation à marche forcée et esclavagiste du système en marche vers la reprise de la guerre mondiale. L'horrible « agent de la CIA » Kravchenko avait fait une révélation scandaleuse, valable aussi pour les camps hitlériens, et qui ne supposait pas un « racisme d'Etat » comme disent nos gauchistes modernes embrigadés, les camps de la mort staliniens étaient nécessaires avant tout pour l'industrie de guerre de l'impérialisme russe ! Car l'on sait qu'en économie il faut choisir entre beurre et canons, mais pas entre goulags et canons !

Bilan est le seul de plus à montrer nettement le besoin de bouc-émissaires, et il montre l'exemple à Hitler : ce sont les vieux bolchéviks puis ce sera les juifs ; Staline ne donnera les preuves de son antisémitisme que lors du procès des blouses blanches. Bilan se fait cependant beaucoup d'illusions sur le danger réel des vieux bolchéviks torturés et voués à la mort en cette fin des années 1930, depuis l'échec en Allemagne en 1923, le bannissement de Trotsky et la proclamation du socialisme dans un seul pays en 1924, le gros du sale boulot est maîtrisé par un appareil d'Etat encadré par tant de parvenus ouvriers et paysans qui ont tant oublié leurs origines qu'ils se félicitent d'en être sortis ! A ce propos, je repense à ces sociologues qui semblent regretter de façon aléatoire au gré de leur sondagerie qu'il n'y ait plus d'ouvriers au Parlement en France... il n'y a pas de quoi dramatiser, quand on pense aux « ouvriers du PCF » ignares et mannequins de Thorez et Marchais, qui étaient si lamentables (cf. témoignages édifiants dans « Au service du parti », de Verdès-Leroux.) Un ouvrier élu peut être aussi pourri qu'un bourgeois de souche ! Mais comme on dissoudra le Parlement et que l'ouvrier moderne n'est plus un plouc ni en condition pour devenir un sale arriviste...


NOTES:

1« La révolution russe, une histoire française, Lectures et représentations depuis 1917 » (La fabrique, 2016). dont j'ai déjà parlé ici comme d'un recensement hémiplégique.
2« Au service du Parti » (Fayard 1983), livre épais qui contient toutes les vilenies des girouettes successives du PCF, dont les témoignages révèlent la même maladie sénile et paranoïaque qui régit l'ensemble des petites sectes trotskiennes, et même maximalistes lorsqu'elles dégénèrent. Un bémol, Verdès-Leroux s'appuie un peu trop souvent sur une nullité politique, girouette entre toutes, ce pauvre Sartre.
3Gilles Dauvé a très bien vu la nuance contrairement à ses détracteurs anars ignares : « « Le goulag ne livre pas la clé théorique de l’URSS ni les camps d’extermination celle de l’hitlérisme. Crises, guerres et massacres de masse expriment des paroxysmes, mais n’élucident pas les logiques qui y conduisent. »


4J'évite tant que je peux de formuler « révolution russe », car ce qualificatif sert trop bien la réaction et les faussaires du système actuel pour en faire une spécificité « cosaque », alors qu'elle fût le début de l'insurrection mondiale généralisable face à la guerre mondiale.
5Aunoble, sans aucun souci de chronologie et sans se relire, nous dit en page 144 que : « Les premières dénonciations de la répression bolchevique (…) sont rééditées en 1975 sous le titre « La terreur sous Lénine », puis Besançon et tutti quanti on suivi... Ah bon ! « D’abord, il convient d’évoquer la genèse des camps de travail forcé en URSS et de mentionner la spécificité géographique et historique des camps de la république des Komi. Aussi la question suivante se pose-t-elle : comment apparurent en URSS les camps de concentration et les camps de redressement par le travail (camps de travail forcé) ? À l’origine, le camp de concentration et le camp de redressement par le travail étaient deux éléments indépendants, mais ils se sont confondus pour former un vaste système concentrationnaire sous l’autorité de la police politique. Michel Heller, historien et enseignant à la Sorbonne (de 1969 à 1990), affirme que le terme « camp de concentration », invention inconnue de la Russie tsariste, fut adopté par les Bolcheviks dans la première décade du mois d’août 1918, tandis que l’historien français Nicolas Werth, dans l’article Révolution des archives soviétiques paru dans un numéro spécial d’Historia, insiste sur le fait que les camps de concentration apparurent en Russie soviétique dès les premiers mois du régime bolchevique sur ordre de Trotsky ». Ekaterina SHEPELEVA-BOUVARD (thèse de doctorat 2006)

6La mode de la shoah depuis la fin des sixties édulcore les questions de fond sur le nazisme-capitalisme et le déroulement dans les camps de l'horreur concentrationnaire, Primo Levi reste la référence avec Kershaw et Hillberg, mais l'ouvrage de Henry V.Dicks « Les meurtres collectifs » (Calmann-Lévy, 1973) est plus troublant.
7Dont Aunoble démontre le mieux la supercherie à partir de la page 152.
8Sur le site Smolny. L'ampleur du système soviétique de travail forcé sous Staline a donné lieu à des débats animés dans les milieux universitaires depuis la seconde guerre mondiale. Pendant des dizaines d'années, le silence imposé en U.R.S.S. par les autorités a laissé le champ libre à une grande diversité d'approches méthodologiques et de résultats. En 1947, Viktor Kravchenko, qui avait travaillé comme chef de département du Sovnarkom pendant la guerre, déclarait que le chiffre communément admis parmi ses collègues en ce qui concernait le nombre de condamnés aux travaux forcés en Union soviétique pendant la guerre était de vingt millions, exagération notoire infondée mais reprise par les Courtois (ancien mao-stal) et Cie. L'année suivante, N.S.Timasheff estimait, en se basant sur un décompte des personnes privées du droit de vote aux élections de 1937 en U.R.S.S., que le nombre de détenus à la fin de la guerre atteignait 2,3 millions. Ces deux chiffres, établis il y a environ quarante-cinq ans,. marquent les limites supérieure et inférieure des estimations qui ont suivi. Ils montrent également la récurrence des différentes approches méthodologiques de cette question. Les estimations les plus élevées de la population du système du Goulag sont celles qui se basent sur une expérience personnelle.
9Dix ans au pays du mensonge déconcertant, Paris, Champ Libre, 1977 (première édition en 1938). Et lire : Philippe BTexte à propos de l'itinéraire de Ciligaourrinet, Ante Ciliga 1898-1992, Nationalisme et Communisme en Yougoslavie,  [archive] (PDF) . Les récits de la Kolyma de Chalamov ne sont publiés qu'en 1980 chez Maspéro.

10Mais au milieu d'éditions louches ou très CIA, la revue Preuves et les éditions Les Iles d'or, milieu où participe Ida Mett, qui sera éditée aussi par les cahiers Spartacus. Anté Ciliga naît à Chegotichi en Yougoslavie en 1898. Dès 1919 il participe à la lutte des éléments progressistes de ce pays contre l'oppression des Kagageorgévitch. Devient secrétaire du parti communiste de Croatie à 24 ans. Membre du Politbureau du comité central du parti communiste yougoslave, il en est le délégué à Vienne. Envoyé en 1926 à Moscou, il enseigne à l'école du parti yougoslave. Travaille également dans la section balkanique du Komintern. En 1929 il adhère à l'opposition. Arrêté en 1930 et sans avoir été entendu, il est jugé et condamné par le Guépéou. Il passe trois ans en prison à Leningrad dans l'isolateur de Vierkhné-Ouralsk avant d'être déporté en Sibérie. Échappe à la mort par une mesure d'expulsion ordonnée par Vichinski en 1936. La même année Ciliga entreprend la rédaction de ce qui deviendra Dix ans au pays du mensonge déconcertant. La première édition publiée par Gallimard porte le titre : Au Pays du mensonge, et se voit amputée par l'éditeur des 4/5èmes du chapitre sur Lénine. Publiée en 1950 par Les Iles d'Or, la deuxième édition parait sous le titre : Au pays du mensonge déconcertant suivi de Sibérie terre d'exil et de l'industrialisation. Cette fois le chapitre sur Lénine figure dans son entier, mais c'est l'ensemble du texte qui se trouve abrégé. Ce n'est qu'en 1977 que les éditions Champ Libre publient intégralement les deux textes, écrits respectivement en 1936 et 1941. Anté Ciliga est également l'auteur de : Lénine et la révolution, publié par les éditions Spartacus en 1948. La Révolution Prolétarienne a publié : De Mussolini à De Gasperi en juin 1948 et Les slaves du Sud entre l'est et l'ouest en novembre 1950. La crise de l'État dans la Yougoslavie de Tito est paru à Paris en 1974. La discussion sur Cronstadt et sur là responsabilité de Trotsky dans ce massacre fut lancée par Victor Serge, Boris Souvarine, Ida Mett, Wendelin Thomas, Emma Goldman et autres. En 1931, un oppositionnel allemand déclarait : le groupe trotskyste est un petit bateau surmonté d'un grand mât. Boris Souvarine, reprenant cette métaphore écrivit : le bateau est pourri et le mât porte une girouette.

11Le paysan russe il est vrai en tient une couche, comme en témoigne aussi Bertrand Russell : « Le paysan russe typique n'a jamais entendu parler ni des Alliés, ni de la Grande-Bretagne. Il ne sait pas que le blocus existe ; tout ce qu'il sait, c'est qu'il possédait autrefois six vaches, mais que le gouvernement l'a réduit à n'en avoir plus qu'une seule, et cela au profit des paysans plus pauvres encore (…) son horizon ne dépasse pas les limites de son village » (p.115 de La pratique du bolchévisme, 1920).
12Réflexion sur la collectivisation forcée par Paulette Vanhecke-Tomasini, colloque du Centre d'Etudes des Modes d'industrialisation de l'EHESS (10 décembre 1981) ; L'industrialisation de l'URSS dans les années trente, sous la direction de Charles Bettelheim.
13Claude Lefort, Eléments d'une critique de la bureaucratie, Gallimard 1971.
14Je n'ai jamais admiré le personnage de Trotsky, qui est à mon sens le Robespierre russe, à cette différence que Robespierre n'a jamais pris de vacances pendant la révolution, ni ne s'est livré à des distractions de bourges. Mais malgré ce passé ministériel bourgeois, Trotsky a été capable de transmettre un « capital » théorique honorable bien que foireux à la fin.
15En 1970, un recruteur de LO me « confie » que les éditions Spartacus ont été mouillés à l'anti-stalinisme primaire et qu'il faut éviter de les lire ! Par contre se contenter de lire Gorki et l'oeuvre complète de Léon, c'est pas louche ?
16En 1935, Bilan n°14 titre : « L'assassinat de Kyrov » et en deuxième lieu : « la suppression de la carte de pain en URSS », ce deuxième titre est peu développé contrairement au premier. On parle plus des « défaites du prolétariat » que de ses conditions de vie lamentables (lire extrait à la fin de cet article). Je crois qu'à l'époque il n'y a que Albert Treint pour insister sur le sort des masses dans sa brochure « Le capitalisme d'Etat ». Les trotskystes oppositionnels se consacrent plus à déplorer leur état d'isolement et pas à comprendre ce qui fait que les masses se sont éloignées ; Marc Ferro et Eric Aunoble montrent bien que le stalinisme n'est pas venu de Staline ni d'un échec du marxisme, mais de la société russe elle-même, de l'individualisme paysan et petit bourgeois calotin (Reclus a vu le même défaut chez les Communards) : « … dès avant octobre 1917, la professionnalisation des membres des comités est extrêmement rapide, de même que leur croissance numérique. Ces organes populaires pratiquent également la terreur, sans avoir besoin d'une directive du Comité Central du Parti, et leur conception du processus de décision est assez éloignée des canons de la démocratie, même « directe » ou « sauvage ». Sur le fond d'une tradition de fonctionnarisme héritée du tsarisme, la rencontre de ces processus « d'en bas » avec un absolutisme et un bureaucratisme spécifiquement bolcheviques rend largement compte de l'évolution ultérieure du régime, sans faire appel à la notion de contre-révolution, qu'elle fût « communiste » ou « stalinienne » (Aunoble, p. 117). Les premiers tchékistes sont les anciens permanents syndicalistes licenciés des usines, dans l'obligation de trouver un nouveau gagne-pain (p.159) pas très éloigné de celui qu'ils exerçaient avant !Et par contre Souvarine a de ce fait une analyse en effet « conspirationniste » comme Trotsky d'ailleurs et la plupart des critiques de gauche du stalinisme ; dans le même ordre d'idée, contre l'hystérie anti-bolchevique, Aunoble rappelle l'excellente contribution d'Arno J. Mayer, que j'ai souvent utilisée, contre ces idiots de Furet, Jean Krauze, Courtois et Werth, que la terreur ne naît pas d'une idéologie « mais de la déstabilisation de l'ordre social ».
17Jusque tardivement j'eus à subir ce genre d'oellières ; ainsi ce collègue lors d'un stage au milieu des années 1980 qui me répondit : « d'où tiens-tu cette information ? » ; j'eus la bêtise de lui répondre : « de mes lectures de témoignages d'authentiques révolutionnaires ». Ce à quoi il me fût répondu sans fard : « forcément tu crois les conneries que tu lis ». Ma connerie avait été en effet de croire qu'on pouvait discuter rationnellement et honnêtement avec un type qui venait de quitter la secte lambertiste et dont le portrait s'affichait dans les rues de Villejuif pour être élu conseiller municipal PCF !
18http://www.agoravox.fr/culture-loisirs/extraits-d-ouvrages/article/la-face-cachee-d-aldous-huxley-183372

19 Dans ses Mémoires, écrits dans les années 1970 mais publiés seulement en 1999, Anastase Mikoian affirme avoir été le premier à presser Nikita Khrouchtchev de préparer un rapport "sur les crimes de Staline envers les cadres communistes" . "Si nous ne le faisons pas au cours du premier congrès qui suivra la disparition de Staline, nous prenons le risque que quelqu'un le fasse avant nous et alors nous serons collectivement tenus responsables de ce qui s'est passé . [...] Il faut expliquer que nous ignorions beaucoup de choses, qu'on ne pesait pas lourd face à Staline. Si nous prenons les devants, disons la vérité aux délégués du congrès, on nous pardonnera la part de responsabilité que nous portons tous . [...] N'oublions pas que chaque jour, des personnes injustement réprimées reviennent du Goulag et que l'information sur ce qui s'est passé va se répandre peu à peu dans la société" .

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