PAGES PROLETARIENNES

mercredi 26 octobre 2016

NOUVELLES ESPAGNOLADES HONTEUSES



1

(Docteur Guillamon et Mister Rotman)

Certains historiens, en descendant de leur chaire académique feraient mieux d'y remonter pour ne pas se ridiculiser comme de vulgaires politiciens anarchistes ou staliniens. Agustin Guillamon publia naguère d'intéressants travaux sur la Gauche italienne (plus compilations que compréhension réelle) et de médiocres ouvrages sur la guerre d'Espagne, assez localistes et sentimentaux. Qui eût pu penser qu'il sombrerait dans l'ignominie concernant la prise de position de la Fraction politique communiste maximaliste la plus claire au moment de ce terrible « tumulte sanglant » où tant de prolétaires des deux camps furent massacrés inutilement dans un combat filandreux contre un fascisme version féodalo-ibérique, en réalité nœud gordiens
 d'enjeux impérialistes en vue de la délimitation des blocs dans la future guerre mondiale.
Monsieur Guillamon, de sa chaire descendu, se piqua soudain de politique rétroactive, tel un donneur de leçon minimaliste, bien au chaud derrière son clavier devant le portrait encadré de son grand-père anarchiste. Notre pisse-copie qui voudrait passer pour un spé de la « révolution espagnole », titra son lâche libelle « anti-Bilan » : « le défaitisme révolutionnaire »2. Parodiant l'exergue à la Bordiga voici la définition inventée par notre professeur en espagnolade :
« Hier
Le défaitisme est une tactique politique ayant pour objectif de propager le découragement dans son propre pays par des communiqués ou des idées pessimistes quant à l’issue d’une guerre ou de toute autre entreprise. Le défaitisme révolutionnaire est impulsé par quelques minorités dans un pays en guerre contre leur propre gouvernement, avec le but de favoriser le mouvement révolutionnaire. Il s’oppose résolument à l’union sacrée, c’est-à-dire, à l’unité nationale de toutes les classes avec le seul but d’obtenir la victoire de la "Nation" sur l’ennemi. Le défaitisme révolutionnaire rompt avec cette union sacrée entre classes et lutte contre sa propre bourgeoisie afin de parvenir à la défaite de sa propre nation. Il n’y a pas d’autre horizon que l’internationalisme, la paix et la révolution sociale ».
D'une part il n'existe aucune définition du défaitisme révolutionnaire claire, comme concept reconnu ou applicable en tout temps et tout lieu. Depuis 1968 la plupart des groupes gauchistes et maximalistes immatures ont bien sûr usé et abusé d'un concept qui tient plus de l'Arlésienne et qui figure au niveau des slogans platement radicaux comme « abolition du salariat », « destruction de l'Etat bourgeois », slogans qui, sans argumentation évitent de penser, ou même de prouver qu'il y a quelque chose de consistant derrière. La description de Guillamon est totalement fantaisiste, digne d'un potache encore lycéen à l'âge de la retraite ou d'un espion venu du froid. C'est une description complètement imbécile et irréfléchie. Il eût mieux valu que notre historien d'opérette consulte les débats dans le parti socialiste russe, examine les altermoiements de Lénine sur le sujet, ses doutes (il consulta largement, sachant que Rosa Luxemburg et Trotsky trouvaient bizarre et inopérant ce concept). Que ma bourgeoisie ou celle d'en face gagne la guerre n'a pas pour conséquence en soi l'apparition ou la victoire d'une révolution prolétarienne ! Le concept disparaît même des textes de l'IC, après avoir été remis en cause comme confus par Lénine lui-même. Il est rétabli ultérieurement comme moulin à vents par stalinistes et anarchistes. (Les lecteurs peuvent lire l'excellent article de Jean-P. Joubert3, pour appréhender la complexité du sujet et se rendre compte que dans la lutte du mouvement ouvrier contre la guerre les choses ne sont jamais simples.
Lorsque notre pote ibérique catalaniste s'engage ensuite à historiciser le concept, c'est le pur idéalisme de philosophe anarchiste qui suinte : les ouvriers vont spontanément « lutter contre la guerre au nom de l'internationalisme » ! Spontanément car ils se sont débarrassés d'une pichenette de leurs échecs sociaux avant guerre, de tout nationalisme de bifteck et des conditions opaques du déroulement de la guerre.
Il convient que le défaitisme n'a pas trop bien marché ni existé en France, voire ailleurs, mais, dans une logique infantile, il va faire porter la tunique d'âne à des minorités qui défendaient le concept plus dans le sens de faire tomber l'Etat bourgeois que de grenouiller avec de petites bandes d'agités idéalistes diffusant « communiqués ou idées pessimistes », imaginant un défaitisme permettant de rompre avec l'union sacrée, tel par exemple que celui de l'impérialisme russe appelant les prolétaires français ou anglais à contribuer (aussi avec des espions industriels) à faire chuter leurs propres nations … au profit de l'armée rouge ! Il ne m'étonne point qu'en cette année commémorative de la petite guerre impérialiste en Espagne, anarchistes et vieux staliniens soient à la pointe de l'exaltation d'une « guerre de classe » (nouvelle version PCF qui succède à la version guerre nationale antiF), et des remerciements conjoints pour l'envoi par le Kremlin de fusils rouillés de 14-18 en même temps que d'instructeurs tortionnaires et assassins d'anarchistes honnêtes et de poumistes « complices de Franco » ! Pour Guillamon, dans sa vision catalano-localiste le slogan « défaitiste » pour sa propre bourgeoisie signifiait dès lors.... : défaite du gouvernement bourgeois-républicain, donc (si vous m'avez suivi) soutien à Franco ! Donc (deuxième donc) seuls quelques illuminés voire louches complices de Franco pouvaient encore défendre un tel poignard dans le dos antifasciste !
Citons la saillie digne d'un gauchiste émeutier français sans éducation politique marxiste :
« Pendant la guerre civile espagnole, il y a eu quelques tentatives d’application du défaitisme révolutionnaire. La plus importante était celle promue par Bilan et Les Amis de Durruti. Bilan a appliqué un défaitisme abstrait et idéaliste, entre autres parce qu’ils n’avaient pas la capacité d’intervenir ou d’influencer un minimum la classe ouvrière espagnole ».
Avec ce raisonnement, en 1915, les impuissants Lénine, Trotsky et Rosa et leurs compagnons n'étaient que des personnages abstraits sans « la capacité d'intervenir ou d'influencer un minimum la classe ouvrière... » en guerre mondiale !
On éclate de rire quand notre docteur défaitiste idéaliste catalan nous explique la philosophie des trois ânes que nous venons d'évoquer vers 1915 : «  un marxisme critique sans la capacité opérationnelle d’intervenir dans la réalité sociale et historique n’est pas du marxisme : c’est de la philosophie ».
Avec cet air du connaisseur impartial, Guillamon compacte sa guimauve national-antifasciste pour nous expliquer que la dénonciation des deux camps par Bilan (et un travail de sabotage des industries de guerre, désavoué par l'opportuniste Trotsky) « impliquait la collaboration avec les fascistes » et ouvrait les portes à Franco !4 C'est minable, c'est le même genre d'accusation que ses amis néo-staliniens des médias ou des Cahiers Spartacus qui l'accueillent à bras ouverts peuvent laisser passer : Hitléro-trotskystes ! Trotsky Staline manqué ! On imagine que Guillamon aurait fait zigouilller ceux de la Fraction en Espagne qui eurent le courage de défendre ces positions. S'il est un reproche à faire à Bilan c'est, bien qu'après avoir identifié l'inexistence d'une révolution comparable à Octobre 1917, ils aient continué à penser pouvoir appliquer un mot d'ordre en effet devenu non simplement abstrait mais caduque dans le cadre de cette impitoyable guerre impérialiste dans le creuset centripète espagnol. Mais que le mot d'ordre soit devenu depuis longtemps non abstrait mais obsolète ne faisait pas des militants de Bilan des complices de Franco.
Guillamon a complètement viré sa cuti – s'il eût jamais la vraie tuberculose communiste – et explique que le seul choix était – puisque le mot d'ordre de défaitisme révolutionnaire était abstrait – d'être concret, s'engager dans la louche lutte antifasciste en reniant au passage cet autre défaitisme dévastateur des zigotos dits « Amis de Durruti » traîtres à la « militarisation des milices »... alors que le bon patriotisme espagnol pur jus antifa a été illustré de longs mois durant par la volonté des « miliciens populaires » de continuer à se faire tuer pour le beau Serge antifasciste et libertaire dans le bordel d'armées incapables et sans orientation5.
Docteur Guillamon qui n'a aucun sens non pas de la dialectique (qui peut être une sauce aigre ou sucrée) mais de la cohérence marxiste dans le raisonnement, après avoir aussi méprisé les Amis de Durruti (moins abrutis que Durruti dans le ciné « guerre révolutionnaire intempestive et antifa « ) il se sert d'eux à nouveau pour insulter Bilan « verbeux et réactionnaire », et « indigent » quand les Amis de Durruti, dans une pagaille indescriptible ont tourné casaque pour aller se balader à Barcelone et... ne rien faire contre la bourgeoisie républicaine6. C'est la diatribe de sergent recruteur néo-stalinien et confusionniste de Guillamon qui se révèle finalement si indigente qu'elle en est méprisable tant elle sue le régionalisme catalan aussi chauvin que la nationalisme espagnol, si on nettoie les garnitures insultantes du carabin Guillamon, plus charlatan que docteur finalement.
Enfin, alors que le texte délirant a été incapable d'analyser du point de vue du mouvement réel marxiste et des véritables organisations révolutionnaires un concept à la dérive – se bornant à cracher sur Bilan (groupe lointain... non catalan ni espagnol) – notre concierge antifa veut bien nous causer d'un nommé Munis, plutôt mexicain qu'espagnol d'ailleurs, « sans influence sociale réelle » mais pendant 39-45, exit les excellentes critiques et analyses de Munis PENDANT LA GUERRE D'ESPAGNE, parce qu'elles visaient tous les faux-culs militaristes à la Guillamon (dans mon dernier livre je rappelle les géniales réflexions de Munis sur la fumisterie de la croyance anarchiste en la victoire par les armes...). Il raconte ensuite la petite histoire des anarcho-léninistes RKD qui ont fait des actes de bravoure mais en aucune façon enrichi la théorie marxiste sur la théorie ampoulée du défaitisme.
Ce charlatan sans principe conclut en indiquant cinq grandes propositions filandreuses pour une restauration anarchiste du mythe confus du défaitisme, digéré par l'idéologie bourgeoise où on apprend que la menace terroriste est exagérée et cache (horreur) « une offensive politique et militaire contre toutes les libertés et les droits démocratiques dans les pays occidentaux », qu'on va vers « un autoritarisme politique sans limite » (nouveau fascisme néo-espagnol?), que le freinage des migrations (orchestrées pour pourrir l'Europe par les amis démocratiques américains et turcs de Guillamon) sont « des massacres de masse » ! Que l'assistanat est abstrait mais « la guerre sociale contre les marginalisés » le vrai du vrai. Enfin il nous livre la vraie tactique révolutionnaire du no-border bordélique moyen (concrétisation de l'anarchiste lambda modernisé et équipé de chaussures et de lunettes pour émeute syndicale), on ne citera pas toute la litanie d'une conception qui marche sur la tête du retour du refoulé anarchiste chez un vieux gratte-papier : «  La tactique défaitiste signifie aujourd’hui la dissolution de toutes les armées, de toutes les polices, de toutes les frontières, de tous les États, comme seule solution de survie pour tous ceux qui n’ont aucun pouvoir de décision sur leur propre vie et qui subissent la farce de quelques élections ... ».


UNE ANALYSE PLUS NUANCEE DE LENINE...


Dès le 24 août 1914, Lénine écrit que la social-démocratie russe a pour tâche essentielle de mener un combat impitoyable contre le chauvinisme grand-russe et que le «moindre mal» serait la défaite des armées tsaristes. Il reprend alors le positonnement classique contre le tsarisme, cette «prison des peuples», et pour la libération des nations opprimées et la démocratie. De nombreux socialistes reprochent alors à Lénine cette formule en faisant remarquer qu'elle pouvait être interprétée comme le souhait d'une victoire de l'Allemagne.
Lénine n'a pas vraiment théorisé d'arrache-pied cette position, en prônant le défaitisme dans chaque pays, il avance d'autres arguments :
  • les conditions de la guerre et la désobéissance des troupes menacent le gouvernement bourgeois de défaite (d'où sa politique de répression pour haute trahison) mais il faut appeler l'armée adverse également à combattre son propre gouvernement.
  • les défaites semblaient faciliter la révolution du prolétariat (se basant sur l'exemple de la Commune de Paris et sur la défaite russe face au Japon).
Selon Lénine, pour toute une époque, le défaitisme était l'affirmation du contre-pied total des positions chauvines, vu comme complément de la lutte de classe. Mais à part quelques formules qui le laissent entendre, il ne fera pas du défaitisme un mot d'ordre destiné aux masses. D'ailleurs il précise qu'il ne s'agit pas de préconiser des sabotages de ponts ou autres actions de ce type, à la manière des réistants ou des anarchistes nationaux. Rosa comme Trotsky critiquait le défaitisme de Lénine, en soutenant que la victoire ou la défaite étaient deux issues mauvaises. Lénine lui répond en juillet 1916 mais abandonne finalement cette conception, d'autant que la Russie devient paradoxalement un territoire national délimité où il n'est pas souhaitable de voir le nouveau gouvernement défait... face aux autres.


TRAGEDIE DES BRIGADES INTERNATIONALES OU MYSTIFICATION
CENTRIPETE NATIONALISTE DE LA PSEUDO "REVOLUTION ESPAGNOLE?"


Hier soir Arte avait convoqué un fabricant d'histoire homologué tout public, Patrick Rotman pur illustrer un épisode tragique d'internationalisme "retourné", et même ridiculisé dans la guerre nationale espagnole, la saga tragique des brigades internationales inventées par Staline. Hé oui le commun des mortels anarchistes ou de gauche bcbg ignore en général que cette armada de bric et de broc, de généreux dévouement, parfois composée d'aventuriers peu scrupuleux, ne fût qu'une armée supplétive du nationalisme espagnol divisé en deux provisoirement. Loin de nous expliquer la big différence avec la révolution russe - révolution centrifuge - le scénario du préposé aux retransmissions historiques bâclées et truquées, nous entraîna soporifiquement dans les méandres d'une guerre civile cruelle, rythmé par les opérations publicitaires des plumitifs Malraux et Hemingway, sans aucune méthode d'analyse comme un vulgaire Guillamon, délaissant le sujet pour le noyer dans des épisodes de combats militaires aveugles avec litanie du nombre des morts, sans prise de distance avec la croyance lycéenne qu'il s'est agi d'une juste lutte contre le fascisme, cette bête immonde.

D'histoire cohérente de la mystification du faux internationalisme des brigades internationales on n'aura point. Que la révolution russe ait été une révolution centrifuge, c'est à dire appelée à s'étendre internationalement, appelant les prolétaires de tous les pays à faire la révolution chez eux et non pas à venir servir de chair à canon pour une guerre interne russe ; que la guerre d'Espagne ait été une tragédie centripète, c'est à dire n'appelant pas à faire la révolution ailleurs mais réquisitionnant des prolétaires partout pour qu'ils viennent défendre la nation espagnole – c'est à dire dans une démarche pas du tout internationaliste, mais supposant que le seul ennemi était les factieux militaires avec Franco, nécessitant un embrigadement de type international face à une menace locale... toute cette énorme différence entre une révolution internationaliste et une guerre nationaliste était esquivée dès le départ. La présentatrice résumait sobrement le projet de Mister Rotman : « ...des combattants venus du monde entier pour combattre le fascisme... une guerre qui inspira Malraux, Dos Passos, Hemingway, Orwell... des hommes prêts à mourir pour une autre nation que la leur. »
La fin du pitch était étonnante de vérité, mais le scénario, entrecoupé de constats objectifs, ne poussera jamais le télespectateur de base à s'interroger sur la fabrique et les raisons de la fabrique de ces fameuses brigades par le « petit père des peuples »... en guerre. Pourquoi Staline attend-il le 18 septembre 1936 pour inventer ces brigades de soutien à une guerre « nationale révolutionnaire » ?
Le chaos s'était développé depuis la mi-juillet, l'Etat s'était décomposé. On avait réquisitionné boutiques et abattoirs. Malraux et Saint Exupéry étaient venus faire les beaux. Franco était aidé (à prix élevés) par ses amis Mussolini et Hitler. Les tueurs maures de Franco avaient déjà pas mal égorgé dans une volonté de « purification politique », "couteau entre les dents"(?) (cf. Rotman). La terreur balnche avait déjà fait pas mal de ravages et de deuils. Pour la petite histoire on avait droit à un couplet sur le siège de l'Alcazar, épopée franquistophile. Les armées républicaines et anarchistes agissaient comme un cheval sans tête, dans une pagaille inouïe, comme des foules que l'on voit courir dans tous les sens lors des premiers bombardements franquistes. Le Poum dispose de sa propre police composée à 80% d'allemands (dont Willy Brandt) ; on ne nous dit pas pourquoi les partis sont armés, contrairement à la révolution en Russie.
Le désir d'aide militaire de la part de Staline part d'un bon fond impérialiste. Comme Poutine pour Bachar El Assad, ou l'Arabie Saoudite pour daech, ou Hollande pour une fraction islamiste quelconque, Staline veut bien aider avec l'argent des autres et la chair à canon des autres. Il est magnifique et généreux ce dictateur résolument antifasciste ! La foule espagnole rugit d'enthousiasme à l'arrivée des 650 avions soviétiques, 347 chars soviétiques et 20.000 mitrailleuses ultra-soviétiques. Que du bonheur. Sauf que la plupart des enthousiastes ne savent pas que le bon père Staline fait sauter la banque espagnole. Mais là reprenons le feuilleton bancal de Mister Rotman : « Moscou dépêche Marcel Rosenberg et dans son ombre un millier de conseillers militaires russes, sans oublier les têtes de cons du NKVD, Orlov et Mikael Koltsov.

Super commercial Staline n'envoie pas ses propres pioupious mais accomplit le casse du siècle en matière de chair à canon, il fait appel à la chair à canon des pays démocratiques.Ils arrivent aussitôt par milliers à pôle emploi Albacete et sans formation professionnelle ni stage de reconversion, on les envoie illico au front de Madrid. Pendant que Staline joue les docteur Kouchner de la mobilisation humanitaire anti-fasciste, les autochtones espagnols et catalans mettent au turbin femmes et enfants pour hérisser les faubourgs de barricades. Les troupes du PCE-Assad disposent de leur propre régiment le 5ème alaouite dirigé par un sous-fifre nommé Lister. La popularité du petit parti stalinien ne connait plus de bornes civiles avec l'arrivée des chars T54 made in Russia.
La robuste cougar Ibarruri fait des moulinets avec ses gros bras et débitent des conneries militaristes. Malraux « soulage les troupes au sol » (cf. Rotman). Quand le 10 novembre les brigades de Staline entrent dans Madrid, on les applaudit à tout rompre mais dans la mesure où elles sont expédiées immédiatement au casse-pipe au front. Rotman nous glisse à l'oreille que la 11e brigade internationale, composée de pauvres français et de pauvres allemands, fonce au front avec des fusils rouillés de 1914, sans grenades ni masques à gaz.
Franco entre deux bombardements de Madrid, dénonce un nouveau danger bolchevique : « Je détruirai Madrid plutôt que de la laisser aux marxistes ».Pourtant à la même heure il n'y avait aucun marxiste à Madrid. La 12e brigade internationale déboule à son tour à Madrid pour se faire égorger dans les murs de la cité U. Le cinéaste Frank Capra débarque avec tout son matos en pleine bataille.
Le 15 novembre les 3000 miliciens de la colonne Durruti déboulent franchement machos mais sont mis en déroute illico. Le 21 Durruti est tué par on ne sait qui ou quoi.
Pause : au prix de pertes élevées les brigades de Staline (sans soldats russes) ont sauvé provisoirement Madrid.
Le docu insiste à plusieurs reprises sur la formation militaire sommaire, mais ne s'interroge jamais sur l'utilité d'envoyer tant de volontaires non espagnols se faire tuer inutilement face à une armée de Franco qui gagne à peu près toutes les batailles irrésistiblement. A Malaga des milliers de femmes et d''enfants sont abattus. Si au début du reportage on a évoqué les milliers de prêtres assassinés côté républicain, on évite de parler des règlements de compte et des crimes des anarchistes intra-muros et de leurs exactions contre la population.
L'aviateur héroïque Super Mario Malraux protège les fuyards au-dessus de Valence. Personne ne pense qu'il finira ministre de la culture gaulliste.
Détail picrocholin, la 14e brigade internationale a pris la défense d'un pont. Cela fait une belle jambe à l'antifascisme.
La bataille de Jarama est enfin décrite comme un « Verdun espagnol » et pas une prise du Palais d'Hiver. Les brigadistes se sont fait hacher menu : 2000 hommes hors de combat, c'est à dire allongés par terre dans la position mort subite. A la bataille de Guadalaraja les miliciens chair à canon de Staline sont encore en première ligne, mais ce serait presque drôle ou purement figuratif, cette milice est composée surtout d'italiens antifascistes qui combattent donc une milice fasciste ; Hemingway avec son stylo d'observateur en vadrouille note que les meilleurs meurent comme des toreros. Quelle plume antifacsciste de talent ! Il dort à l'hôtel sauf au moment des bombardements. Mister Rotman ne cesse pas d'en référer à son navet : Pour qui sonne le glas. En effet, titre génial, le glas sonne le plus souvent à l'église pour les morts. 1000 hommes de la 14e brigade sont zigouillés, Rotman est laconique, sans être ironique : « des combattants sacrifiés pour rien ». De plus en plus de déserteurs sont abattus par la police du maréchal Poutine, pardon Staline. Franco entre à Bilbao bien accueilli par la population, probablement des fascistes de la dernière heure.
A Barcelone, « ville de la révolution » (dixit Rotman) les collectivisations vont bon train. Le 28 avril 1937 Orwell rencontre Dos Passos, lequel lui dit : « Staline fournit des armements et la terreur, ce qui est une recette pour aider Franco ». Nin n'est qu'un révolutionnaire romantique.
Putch de la Telefonica à Barcelone le 3 mai. Titrages staliniens : « Des gens de Hitler et Franco se déchainent à Barcelone » ; « une tentative de putsch hitlérien à Barcelone ».
Le parti stalinien plaide pour une bataille décisive à Brunete en juillet, ce sont encore les brigades de moins en moins internationales qui sont envoyées au casse-pipe. 23.000 morts : « les volontaires étrangers ont l'impression d'être traités comme chair à canon » (dixit Mister Rotman), il n'est jamais trop tard pour ne pas se faire zigouiller pour rien. Comme les mutineries se développent en particulier dans la 13e brigade, elle est dissoute. La direction stal des brigades ouvre un camp spécial où sont détenus 4000 brigadistes réfractaires. Probablement des amis de Franco.
Fin 1937 les brigades ont le moral et le trouillomètre à zéro. Franco a déjà l'avantage. Hemingway prend des notes et Capra des photos. C'est Teruel, un Mossoul espagnol ! Mais Assad-Franco contre-attaque, et, avec le froid en plus c'est 30.000 qui vont tenir compagnie à Allah.
Eté 38, bataille de l'Ebre, la 14e brigade perd 1200 hommes en vingt quatre heures.
A Munich France et Angleterre se moquent des morts et des antifascistes conventionnés. Staline en tire la conclusion qu'il ne peut plus faire confiance dans les démocraties et se rapproche de son pote Hitler. L'Etat russe appelle les brigades à plier bagage, et Marty est chargé de les féliciter lors de leur ultime défilé d'adieu à Barcelone. Deux ans après leur fondation et des milliers de morts, les brigades ne sont plus rien qu'une armée décimée sans patrie, sans autre conscience que la martyrologie. Capra photographie, Hemingway rédige et la passionaria les bénit : « vous pouvez partir fièrement, vous êtes l'histoire, l'horizon ». Oui l'horizon de la mystification impérialiste russe, antifasciste un jour, pro-fasciste le lendemain. Malraux en conclut avec ses lunettes de myope : « c'est toute la révolution qui s'en allait ». Les réfugiés sont accueillis sans pompes en France mais en grande pompe stalinienne. Puis logés gracieusement... aux camps de Gurs, Argelès...
23 août 1939, le grand maréchal Staline qui avait tant fait pour aider Franco à conquérir toute l'Espagne tend la main à Hitler. Nos quatre écrivains, Hemingway, Dos Passos, Malraux et Orwell se jettent sur leur machine à écrire.

Voilà le galimatias tout public, avec un bout de gras pour chaque fraction d'opinion, qui nous fût servi mais sans aucune réflexion d'ensemble sur la fonction militariste et contre révolutionnaire des brigades du bloc impérialiste russe, sur le détournement de la volonté de révolution et non d'embrigadement militariste capitaliste et fasciste par ces milliers de jeunes travailleurs ou désoeuvrés. Enfin rien contre l'exaltation acritique de ces pauvres brigades par tout ce que la gauche bourgeoise et le milieu anar comportent de hâbleurs.

NOTES

1J'ai eu l'occasion de dénoncer un reniement similaire à Guillamon, par P.Bourrinet : PAS TOUCHE A BILAN ! (Bourrinet s'appuyant sur le petit chef Belge concurrent de Bilan, Hennaut) sur ce blog ; Robert Camoin, malgré ses délires habituels et ubuesques sur le parti mystique, a également fait une réponse cinglante à ces deux révisionnistes dogmatistes démocrato-anarchistes.
2Cette missive de dénonciation néo-stalinienne est lisible sur le site http://pantopolis.over-blog.com/contact
3Cahiers Léon Trotsky n°23 où est décrassée l'outrance de ce genre de petit falsificateur ignorant. Joubert connaît bien l'histoire de ce concept, en décrit les méandres interprétatifs / https://www.marxists.org/francais/clt/1979-1985/CLT23-Sep-1985.pdf ; SUR WIKIROUGE on trouve aussi une explication, peut-être moins claire, mais plus raisonnée que le simplisme anarchiste de docteur Guillamon.
4Voici ce ramassis d'âneries imbitables :« La Fraction italienne de la Gauche communiste, publiait Bilan en français et Prometeo en italien, considérait que la guerre civile espagnole était une guerre impérialiste entre la bourgeoisie démocratique et la bourgeoisie fasciste. Les mots d’ordre de Bilan sur le sabotage de l’industrie de guerre, la fraternisation sur le front avec les fascistes, de ne prendre parti pour aucune des bandes impérialistes en lutte, etc., étaient des mots d’ordre abstraits, idéologiques et dans la pratique réactionnaires, dont le principal défaut était son inefficacité, son incapacité à les transformer en action concrète : ils étaient sans valeur. Mais, oui, c’étaient des thèses théoriques très brillantes, qui avait l’air très bien dans les pages de Bilan. Son application pratique, absolument impossible pour le petit groupe d’étrangers de la Fraction, sans aucune influence sur la classe ouvrière barcelonaise ou catalane, était réactionnaire parce qu’elle impliquait la collaboration avec les fascistes et les aidait à rompre le front républicain, ouvrant les portes à l’armée de Franco ».
5Avec un argumentaire tout à fait stalinien, voici la prose du « milicien antifasciste » Guillamon : « Bilan a fait la seule chose qu’il pouvait faire: défendre ses positions sur le papier. Ceux qui ont mis en pratique un défaitisme révolutionnaire dévastateur et actif ont été Les Amis de Durruti. Le fondement même de l’Association des Amis de Durruti a pris naissance comme point final d’un processus de défaitisme révolutionnaire : Le 20 octobre, 1936, a été décrétée la militarisation des milices, qui devait prendre effet le 1er novembre. Les miliciens de la Fraction décidèrent de quitter le front parce qu’ils considéraient que la guerre civile espagnole s’était transformée définitivement en une guerre impérialiste. Les différentes colonnes anarchistes, comme dans tant d’autres domaines, ont résisté plusieurs mois à l’application de ce décret ».
6Je vous joins l'argumentaire pour vous éviter le déplacement sur le site : « Le défaitisme révolutionnaire des Amis de Durruti était quelque chose de très concret et réel, et donc révolutionnaire; en comparaison, le défaitisme abstrait et idéaliste de Bilan était inutile ou verbeux, et donc réactionnaire.L’indigence de Bilan était telle qu’il a toujours ignoré qui étaient et que faisaient Les Amis de Durruti: de Paris tout était théoriquement parfait et il était très facile de pontifier dans de beaux articles sur des événements et des choses qui étaient très lointaines et étrangères.
Il n’y a là aucun doute, aucune nuance: Les Amis de Durruti mirent en pratique l’un des épisodes de défaitisme révolutionnaire les plus remarquables de l’histoire du mouvement ouvrier et révolutionnaire: 800 miliciens ont quitté le front d’Aragon, les armes à la main, pour aller à Barcelone avec l’objectif de lutter pour la révolution fondant l’Agrupacion des Amis de Durruti qui, en mai 1937, a tenté de donner une orientation révolutionnaire au soulèvement des travailleurs contre le stalinisme et le gouvernement bourgeois de la Generalitat. Ce fut ainsi, cela s’est passé ainsi. Les militants de la Fraction, à Paris, se sont contentés de pontifier dans des articles publiés dans Bilan et Prometeo, avec un succès variable, sur cette insurrection lointaine et étrangère ».

mardi 25 octobre 2016

L'Ancienne hégémonie du Socialisme Allemand par Roberto Michels (1911) deuxième partie

Suite et fin de l'article lumineux de Roberto Michels sur les tares de la Seconde Internationale, surtout façonnée par le culte de l'organisation et le suivisme des différentes sections secondaires et bien moins nombreuses des autres pays par rapport au géant allemand, qui resta longtemps considéré comme preuve de la force du prolétariat allemand. Jusqu'à nos jours nombre de révolutionnaires maximalistes croient encore à cette vieillerie de prolétariat allemand référentiel (du fait qu'il avait donné naissance à des géants de la pensée comme Marx, Engels et leurs disciples); or le prolétariat allemand n'a pas confirmé depuis un siècle les espérances internationalistes que nous pouvions nourrir à son égard. Le solide financement de l'organisation social-démocrate allemande ne fût en outre pas une garantie de son indestructibilité, ni ne l'empêcha d'éclater en 1914. Elle fût néanmoins une école pour la génération révolutionnaire des Lénine, Rosa, et Bordiga et Pannekoek.

La vertu du socialisme allemand de l'emporter toujours dans l'Internationale socialiste, qui lui permit de se défendre dans tous les congrès internationaux contre toutes les oscillations de droite ou de gauche, non seulement contre les théoriciens non-allemands comme le hollandais Christian Cornelissen et l'italien F.Saverio Merlino, mais aussi, ce qui est plus important, contre des personnalités politiques aussi influentes que F.Domela Nieuwenhuis (Zurich 1893), Enrico Ferri (Paris 1900) et Jean Jaurès (Amsterdam 1904), a ses raisons dans les circonstances suivantes :

La social-démocratie allemande est devenue le modèle de tous les partis socialistes :

1° Parce que, depuis le commencement de 1880, il fut de plus en plus évident que les autres doctrines et théories étaient de plus en plus éclipsées et remplacées, dans la littérature socialiste, par le marxisme. Des théories, dont les rayons consolants ont pénétré jusqu'aux profondeurs les plus cachées de l'humanité, comme les idées d'un Proudhon, d'un Bakounine, d'un Blanqui, perdaient de plus en plus de leur efficacité. A leur place, beaucoup de groupes marxistes se fondèrent, qui minaient, pour ainsi dire, les autres systèmes socialistes, qui avaient la faveur des masses ouvrières, par une pénétration aussi lente qu'intensive. Cela arriva en Italie, en Autriche, et dans les pays scandinaves, dans une mesure moins grande en Belgique, en Hollande et en Suisse ; souvent même en Angleterre, en France, en Russie et en Espagne, où les autres tendances socialistes ont encore gardé assez de vitalité pour opposer une résistance énergique à « l'infiltration pacifique » des idées marxistes, par la formation de véritables partis marxistes autonomes et conscients. Presque partout, les chefs du mouvement ouvrier international en appelaient à Marx et beaucoup d'anarchistes se déclaraient ouvertement ses disciples. Au fur et à mesure, et dans la même proportion que s'élargissait l'influence du marxisme dans le mouvement ouvrier, grandissait aussi le prestige international de la social-démocratie allemande. Car la social-démocratie était considérée comme le représentant le plus autorisé du marxisme. Les causes en sont palpables. Le hasard a voulu que Marx fut allemand. Son activité littéraire et scientifique, et en grande partie sa culture, étaient exclusivement allemandes. L'homme qui, après la mort prématurée de Marx, fut considéré, dans le socialisme international, pendant longtemps comme l'exécuteur testamentaire de ce géant de la pensée, et qui devait jouer le rôle d'un Nestor auprès duquel les travailleurs de toutes les langues et de toutes les races allaient en pèlerinage pour demander des conseils ; Frédéric Engels, était, par son origine, par son sang et par son esprit, un allemand authentique.
C'est en Allemagne que vivaient et agissaient les plus grands disciples de Marx et d'Engels : Karl Kautsky et Edouard Bernstein.

La littérature allemande marxiste, longtemps la plus riche en nombre et en importance, traduite dans toutes les langues, devint le trésor classique du socialisme international, la source à laquelle doivent puiser tous ceux qui travaillent dans les domaines des questions sociales. En outre, le grand débat théorique sur la tactique, qui remuait le socialisme scientifique et qui fut caractérisé par l'orientation de Berstein vers le révisionnisme et eut son point de fépart en Allemagne, contribua plutôt à renforcer le parti allemand qu'à l'affaiblir. Et la croyance, que nulle part qu'en Allemagne la doctrine marxiste n'avait mieux pénétré dans la conscience ouvrière, fut généralement acceptée.

2° Parce que la social-démocratie allemande exerça sur les partis socialistes des autres pays une influence extraordinaire, par sa tactique, qui, bien qu'aussi loin des tentatives folles de révolte anarchiste que de l'opportunisme qui perdait de vue le but final, savait pourtant se tenir dans les limites de la légalité. Ce qui imposait tant d'admiration aux socialistes étrangers, c'était ce parti socialiste, parti d'opposition, lutteur infatigable et logique, comme le voulait Marx, critique inlassable au parlement, parti d'isolement voulu et conscient dans les luttes électorales, bref, vrai combattant de la lutte de classe, et en théorie et en pratique.
Pas de politique d'alliances, pas d'appui à un ministère comme en France, même pas de collaboration politique avec des éléments ouvriers indéterminés comme en Angleterre, mais la logique de fer des déductions marxistes appliquées à l'action du parti. En réalité, cet étrange mélange de bonheur et de malheur pour la social-démocratie allemande s'explique par ce fait qu'elle agissait dans un pays semi-absolutiste, sans parlementarisme, sans responsabilité ministérielle, sans opinion publique et par dessus le marché comme minorité, en d'autres termes « bon gré mal gré » préservée des dangers du ministérialisme ou d'une participation, sous quelque forme que ce soit, à un gouvernement quelconque : voilà la situation qui lui permettait de faire à son aise des déclarations socialistes au parlement et de se donner ainsi comme la gardienne du trésor marxiste.

3° Parce que les succès évidents dont la social-démocratie allemande pouvait se vanter, n'étaient pas le moins du monde possibles dans un autre pays. Elle qui a eu la bonne chance d'avoir plus tôt que les partis socialistes des autres pays, un système électoral favorable et d'avoir ainsi devancé tous les autres partis socialistes dans la lutte parlementaire et légale, devait servir à tous de modèle. Les grandes et fréquentes victoires électorales, par conséquent l'augmentation des députés socialistes au Reichstag, exercèrent une influence magique. Le chiffre des voix recueilli par le parti étant bien supérieur à celui recueilli par les partis socialistes réunis du monde entier, devait enchanter les socialistes étrangers comme une légende d'utopie, en les déterminant ainsi à renoncer peu à peu aux allures révolutionnaires et à l'idéalisme fervent, pour s'adonner à une action pratique qui, à leurs yeux, n'était que l'action électorale. Jusqu'à la fin de 1870, les députés socialistes allemands sont les seuls dans tout le monde qui ont recueilli des voix socialistes, et meme en 1878, dans le chiffre total de 438.231 voix socialistes de tous les pays, le parti socialiste allemand figurait pour 437.158.

4° Parce que l'épaisseur et la solidité, non réalisées ailleurs, d'une organisation unitaire quoique ramifiée dans toute l'Allemagne, avec son brillant décor bureauratique et sa discipline volontaire, qui semblait avoir donné au parti une grande puissance, complètement inconnue aux autres partis, inspirait partout une admiration mêlée d'un profond respect.

5° Parce que les qualité admirables que possédait la classe ouvrière allemande, grâce à son organisation exemplaire, la rendaient indispensable en beaucoup de questions, lui assurant ainsi une hégémonie, au point de vue de l'organisation, sur les autres classes ouvrières. Elle possédait avant tout la qualité la plus admirable parmi toutes : l'esprit de sacrifice financier. Certes, la social-démocratie allemande a prêté toujours son concours aux partis socialistes étranger, et beaucoup plus qu'elle n'en pouvait recevoir d'eux. Combien ridicule apparaît la modique somme de 50 lires votée par le groupe socialiste parlementaire italien, comme subside aux grévistes allemands du bassin minier de la Ruhr, à côté du fort subside accordé par le parti socialiste allemand au journal socialiste français L'Humanité, et à côté des sommes énormes données pour la révolution russe !
La supériorité du parti socialiste allemand se manifestait, non seulement dans les questions d'argent, mais aussi et plus encore dans les congrès internationaux et dans sa manière d'établir des rapports internationaux, en somme partout où il est besoin non seulement de supériorité financière, mais aussi de supériorité bureaucratique, d'exactitude scrupuleuse et de discipline. Tandis que les français ne sont pas capables d'organiser un congrès et les anglais de diriger un secrétariat central, les organisations ouvrières allemandes peuvent servir de modèle dans l'art d'organiser des Congrès et de s'acquitter de leurs devoirs internationaux. Ce sont ces qualités nécessaires, techniques surtout, qui nous donnent la clef du rôle dirigeant des allemands dans le domaine syndical.

6° Parce que l'histoire même a voulu que la social-démocratie allemande jouât le rôle de directeur dans le mouvement socialiste international. La victoire des allemands en 1870-71, qui a eu une importance décisive sur les destinées de l'Internationale, n'était, au fond, qu'une victoire de l'organisation sur la désorganisation. Quoi d'étonnant, alors, que le socialisme du pays victorieux ait pris cette leçon de l'histoire pour exemple ?
C'est ainsi que l'esprit de l'organisation forte, de la centralisation de l'Empire allemand, qui, pendant 30 ans, aspira à l'unification de ses petits Etats anémiques, fut transplanté dans l'Allemagne ouvrière qui espérait pouvoir, par la concentration de ses propres forces, vaincre la concentration des forces ennemies, l'Etat. Le parti socialiste allemand devint, comme l'a très bien dit un observateur portugais, un parti de gouvernement, c'est à dire un parti qui, organisé comme un gouvernement en miniature, crût pouvoir prendre le gouvernement en bloc. Cette méthode sembla bonne et les autres partis socialistes l'adoptèrent sans hésitation.