PAGES PROLETARIENNES

samedi 16 juillet 2016

La civilisation de la douleur médiatisée et une guerre dans la guerre


Suivi d'apologie du crime par Karl Marx et Trois interprétations petites bourgeoises de la Commune par le journal bordiguiste en 1971.

Ce qui est frappant avec chaque attentat terroriste, comme en ce moment pour la détresse des proches et victimes du débile qui a foncé sur la foule avec un camion « pour livrer des glaces à la réception de la mairie » et qui a liquéfié des vies humaines d'enfants en bas âge, sans vergogne (même Hitler ne se vantait pas de l'assassinat des enfants juifs par exemple), c'est l'indifférence générale dans un monde virtuel aseptisé. Bien sûr on prend connaissance des infos. On compatit mais on reprend immédiatement ses activités quotidiennes. Toutes les activités humaines ne semblent plus être distraites, en toute bonne indifférence, que par ce voyeurisme prégnant, et cette aptitude primaire à faire voir, avec cette froideur du voyeuriste, pour « partager des images » même les plus horribles. Tout le monde peut filmer un événement désormais avec caméra permanente embarquée à bord, le portable multifonction au point qu'on a oublié sa première fonction téléphonique de prise de contact ou d'échange.
Lorsque le débile eût écrasé les premières personnes, l'on vit certains, non pas se préoccuper des chairs écrasées, du sang qui giclait, des mères qui hurlaient la perte de leur enfant, mais dont le premier souci était de filmer les cadavres et l'infinie douleur des proches (voyeurisme auquel contribuèrent immédiatement aussi les journalistes d'Etat).
Quelques jours auparavant, nous avions déjà halluciné lors du meurtre d'un noir américain par la police démocratique ; non au spectacle, presque banal du meurtre sans vergogne commis par le cochon de flic... Assis à côté de la conductrice, probable compagne, le jeune homme agonisait et la fille, au lieu de lui porter secours, de faire un garrot à celui qui pissait le sang, se mettait en scène avec son portable, se filmant en selfie comme pour témoigner au monde entier de l'agonie secondaire de son compagnon, lui fournissant trois minutes de célébrité sans un geste affecteux pour celui dont la vie s'éteignait sous le revolver pointé du flic, hébété lui-même de son crime impulsif, lui-même terrorisé comme si le mort pouvait potentiellement se révolter et lui cracher à la gueule.
Il était mort. Point barre. Encore un flic américain qui avait tué un noir. On pouvait gloser désormais sur le racisme de la police américaine et l'inutilité d'Obama en faveur d'un monde moins inégalitaire pour la population noire quoique coïncée dans une désespérante société de cowboys bouseux.

Après chaque drame, la véritable opération de secours psychologique, de dégrisement des conséquences du terrorisme à bon compte, est politique. S'adressant au plus grand nombre, les politiques occupent le devant de la scène à la place des médecins, chirurgiens et autres psychologues pour victimes directes, polytraumatisés, handicapés à vie, détruits à jamais psychologiquement. Pour retrouver autant de polytraumatisés, écorchés vifs, amputés il n'existe qu'une comparaison : les tranchées de 1914. Et personne n'en parle, parce que ce serait reconnaître que la guerre de M. Hollande est mondiale et touche en priorité les civils innocents, et en priorité – un must comparé à Verdun – femmes et enfants. Comment lutter contre une telle guerre mondiale, si opaque dans les tranchées médiatiques alors que les intérêts et compétiteurs impérialistes crèvent les yeux, où le front est plus intérieur qu'extérieur, où le principal théâtre des opérations « psychologiques » vise les zones présumées en paix ? Cette guerre dont les ramifications opaques sont pratiquement impossibles à dénoncer sans passer immédiatement pour révisionniste galeux ou être qualifié de pochtron fasciste. Naguère pour le meurtre d'un archiduc ou une invasion militaire d'un pays, l'entrée en guerre mondiale était automatique car les civils de tout acabit avaient suivi sans oser une révolution.
Si l'on massacre tant les civils de nos jours, et en particulier les civils prolétaires, c'est évidemment de leur faute, parce qu'ils ne veulent plus faire la guerre mondiale, y participer ou la cautionner au nom d'une civilisation indéfendable. Mais ce refus reste dominé par l'indifférence et la croyance que la tuerie n'arrive qu'aux autres. Dangereux attentisme ! La tuerie est désormais si près de chez vous que soit vous accepterez qu'elle devienne quotidienne comme dans tant d'Etats du Proche Orient ou du lointain Afghanistan (votre portable vous tiendra au courant des moindres détails ou comment rechercher vos proches disparus), soit vous poserez les responsabilités politiques des dominants (ce qui signifie que vous éteigniez votre portable, cette télé big brother qui couche avec vous toutes les nuits). Vous verrez alors qu'il n'y a pas meilleure « thérapeutique ».

L'incurie du personnel politique bourgeois gouvernemental et oppositionnel :

Ne cherchez pas de prise de position du milieu maximaliste sur la tuerie de Nice, nos braves révolutionnaires de clavier sont en vacances, en retraite ou publieront une énième dénonciation du terrorisme en général et du capitalisme en général. Les prises de position des deux principales formations d'extrême gauche radicales réformistes NPA et LO sont brèves mais relativement correctes et insipides. On est impuissant devant tant de sang et on le reste. Aucune discussion nulle part sur ces événements tragiques successifs. C'est la politique des bras qui nous « en tombent » devant tant de tombes. Le personnel politique bourgeois nous apparaît pourtant carrément et scandaleusement coupé de la réalité, plus apte à coasser qu'à prévoir. La gauche bourgeoise au gouvernement a étalé son impuissance avec le relatif ridicule des plates condoléances radoteuses et la recette pourrie de « la cohésion nationale » quand les flics ne sont plus les héros qu'on voulait nous faire croire. La droite sarkozienne s'est une nouvelle fois ridiculisée dans la surenchère.
Contrairement aux massacres précédents (massacre des dessinateurs de Charlie, carnage au bataclan et aux terrasses des cafés parisiens, meurtre de la jeune Aurélie, décapitation d'un patron, égorgement d'un policier et de sa femme) la réaction « thérapeutique » du sommet de l'Etat n'a pas été « éviter l'amalgame » (entendez protégez la population musulmane injustement ciblée) mais : « nous sommes en guerre et nous allons la continuer ». L'indifférence de ce sommet de l'Etat à la succession ininterrompue des crimes de sang sur des personnes sans défense, qui est lui-même dans une logique de meurtre militaire, fait penser au bourreau sur l'échafaud qui demande d'accélérer la cadence pour faire circuler plus vite les futurs décapités, dans un système où le despote était supposé figurer le soleil. Ce père putatif du néant Macron est caractéristique de l'indifférence de l'élite bourgeoise aux conséquences (indirectes) de leur gouvernance dans leurs mic-macs avec les exigences américaines et les banques telle Goldman&Sachs, aux conséquences de « l'esprit destructeur du capitalisme ». Pour gouverner il faut accepter d'avoir du sang sur les mains. Aucun gouvernant n'a les mains propres ; saint Rocard lui-même avait amnistié les massacreurs des kanaques par les gendarmes (blessés achevés mains attachées dans le dos).
La parade du sous-fifre de Hollande, Cazeneuve prêterait à rire si cette nouvelle boucherie n'exigeait pas des réponses plus sérieuses : « Cazeneuve enchaîne confirmant que nous sommes face « un attentat de type nouveau ». « Il n'etait pas connu des services de renseignements, il semble qu'il se soit radicalisé trés rapidement. Par ailleurs la modalité est aussi nouvelle car il n'avait ni arme lourde, ni explosifs. Cela nous montre l'extrême difficulté de la lutte anti-terroriste. C'est une nouvelle épreuve qui doit nous inciter à prendre conscience ».

Cazeneuve est le Didier Deschamps du ministère de l'Intérieur : « on a encore perdu parce qu'on était mal préparé ». En quoi la tuerie de ce débile est-elle nouvelle ? En rien, elle fait partie de la panoplie de n'importe quel serial killer du monde entier avant que le petit Cazeneuve (sic) soit né ! Cazeneuve le ministre qui rénove tout drame du sol au plafond.

ACCUSER LE TERRORISME, LE GOUVERNEMENT OU LE CAPITALISME EST-CE SUFFISANT ?

Comme la compassion hypocrite des gouvernants, la dénonciation simpliste « révolutionnaire » de la guerre impérialiste qui génèrerait des vengeurs locaux, plutôt de racine arabe, comme l'ignominie des directives de l'étrange daech, n'explique rien. Le débile en camion, maintenant exhibé comme un « soldat de daech » n'est pas réductible au rôle d'exécutant de cette mafia néo-US. Aucune explication des spécialistes n'est crédible, comme est invraisemblable la trouvaille de Cazeneuve presque hilarante : « il s'est radicalisé rapidement ». Le désir pervers de tuer massivement serait le produit de cet arlésienne « radicalisation » ? Le débile n'était pas franco-tunisien, comme cela fût lancé mensongèrement, mais tunisien tout court ; il faut arrêter de dire que la France produit les débiles tueurs, pas fous ni soldats, je précise bien mais DEBILES. Et qui produit ces débiles ? Le monde capitaliste bien évidemment ! Pas la société en général, mais un monde finissant qui pousse au suicide. Ce qui devrait frapper en premier lieu – mais reste généralement ignoré – c'est le facteur de solitude personnel qui conditionne le kamikaze moderne. Ce « débile » ne nous est pas étranger parce que « loup solitaire » il peut agir en meute. Notre société no future produit des suicidés à la pelle. On fait mine d'oublier que le tueur de masse va mourir lui aussi au bout du compte, qu'il soit abattu par les flics ou finisse sa vie en prison. Quel intérêt de finir sa vie en prison quand les prisons sont pleines ?
Mourir pour Allah ou son petit télégraphiste Mahomet ? Ou aux ordres webêtés d'un affreux handicapé barbu de tel ou tel groupe de tueurs mercenaires des pétromonarchies ou de l'Etat turc ?

Manque de pot pour les spécialistes, il apparaît ce coup-ci que le type n'était pas un vrai croyant musulman, qu'il vivait mal la séparation avec sa femme, qu'il était un peu déjanté depuis son arrivée en France, ex-bouseux de Tunisie (violences contre sa femme et un automobiliste). L'insatisfaction face aux promesses de la vitrine occidentale plus les échecs personnels expliquent bien plus un suicide « bruyant et public » que le commandement présumé de daech (daech vient - en s'inventant à chaque fait divers un nouveau soldat - prêter main forte à nos sinistres va-t-en-guerre). N'importe quel criminel peut se couvrir de Mahomet ou de daech pour déguiser son crime morbide et lâche. Fofana la merde humaine qui a torturé le petit Halimi s'est auto-proclamé guerrier de l'islam, comme les petits cons qui ont mitraillé au Bataclan. En vérité chacun était dans le primaire, la vengeance. Nul mobile noble ni militaire dans ces actes. Combien d'entre nous n'ont jamais pensé se faire exploser au milieu d'un cénacle patronal ou de généraux ? Si on ne l'a pas fait c'est parce que la société à l'époque ne nous avait pas encore assez destructuré, qu'il y avait femme et enfants à dorloter, un milieu urbain et convivial...

LA MAIN INVISIBLE DU CAPITALISME DECADENT...

Cette vengeance n'est pas du tout irrationnelle, elle fonctionne comme la main invisible du marché capitaliste1. Elle nous est plus perceptible qu'aux journalistes bourgeois, aux politiciens véreux et aux sectes politiques islamistes ou gauchistes. Elle est l'aboutissement d'un monde qui déshumanise, avec ce même paradoxe que l'utilisation du portable supérieure à la réaction de porter secours, qu'un des tueurs du Bataclan réclame plus d'humanité en prison à son égard alors que lui-même a été incapable d'en faire preuve pour perpétrer le carnage précédent. Une société d'égoïstes possédants peut-elle produire autre chose que d'égoïstes suicidaires tueurs ? La vengeance, pour les anthropologues, s'inscrit dans des sociétés caractérisées par l'absence de système judiciaire unifié ou par l'absence d'un Etat national2.
Le règne impavide de la vengeance musulmane ou pas, nazislamiste ou nazie tout court qui meurtrit le monde, révèle une chose : des Etats faibles incapables de dominer les sorcières qu'ils ont engendrées.
Le monde est un, il n'y a plus séparation de civilisations dans le creuset de la décadence. Les pires croyances peuvent circuler d'un bout à l'autre sans qu'aucune « modernité » ne puisse servir de barrage, et où le culte de la mort peut ressurgir comme au temps de la sinistre guerre d'Espagne et du nazisme. Un auteur :

« ...rappelle comment, faute d’avoir combattu la sorcellerie avec la même détermination dont ils avaient fait montre pour combattre le culte des ancêtres, « les missionnaires venus d’une Europe qui ne croyait plus aux sorciers » ont travaillé à l’exaspération de ce phénomène. Cette « méprise » missionnaire explique la fortune des messianismes, prophétismes, syncrétismes (comme Mademoiselle) et des pentecôtismes pratiquant la guérison divine et luttant contre la sorcellerie, pratiques qui confortent chaque travailleur de Dieu « dans sa mission et justifie son existence  »3

Dans le prolongement de la pensée de Marx sur le fétichisme de la sorcellerie :

« Les pouvoirs sorciers seraient, dans cette perspective, le produit d’un imaginaire engendré dans le cadre des rapports des hommes à la nature, et donc aux choses, en l’occurrence les marchandises dans la société capitaliste : rapports qui sont simultanément ceux des hommes entre eux. En témoignent les propos d’un « converti » camerounais, François Ezë, chef-catéchiste parlant de la « religion » de ses parents et de ses grands-parents (lui même avait, dit-il, dix-huit ans en 1910), dans lesquels cette « vérité » marxiste est fort bien exprimée : « Mais il y avait comme des vides dans leur religion (celle de ses parents) : ils se sentaient toujours impuissants, dans l’insécurité, en lutte contre les puissances qui les dépassaient. Quand ils ont entendu parler de la nouvelle religion, ils en ont attendu de plus grands secours, plus de succès, plus d’efficience ».4

Ce que la boucherie du débile en camion vient démontrer est que si l'islam a pu prétendre remplacer le stalinisme ou un communisme utopique, l'islam n'est même plus désormais une motivation crédible pour les enfants de la tradition islamiste, mais la mort oui, comme fin aux souffrances terrestres. Enfin surtout parce que la politique est devenue désespérante et artificielle.

La focalisation apparemment involontaire sur la plupart des tueurs de masse, comme étant de souche arabe ou et islamiste, obéit à la volonté politique aveuglante de l'Etat bourgeois de substituer à la lutte des classes la lutte des communautarismes, comme certains commentateurs non marxistes finissent par s'en apercevoir, et avec cette implication évidente : la lutte inter-communautaristes est typique de la guerre de vengeance ! La lutte des classes n'obéit aucunement à une logique de vengeance mais de confrontation en vue du remplacement d'une société barbare par une société véritablement humaine. Or, la phase actuelle du capitalisme décadent révélant des Etats faibles (donc soumis au terrorisme et à l'idéologie de la vengeance) la conscience de classe pour se réveiller devra prendre conscience que seul un Etat fort peut mettre fin à la barbarie terroriste et impérialiste, un dictateur universel : la dictature du prolétariat.

POST SCRIPTUM HISTORICUM

Le crime même monstrueux sert encore la société capitaliste, fait fonctionner les hôpitaux (qui manquent de personnel), implique des embauches supplémentaires dans la police, les vigiles, démultiplie les ventes de neuroleptiques, les dons du sang, le voyeurisme touristique, bref comme l'expliquait Marx dans son apologie humoristique du crime :


« Le philosophe produit des idées, le poète des poèmes, l’ecclésiastique des sermons, Le professeur des traités… Le criminel produit des crimes.
Si on regarde de plus près les rapports qui existent entre cette dernière branche de production et la société dans son ensemble, on reviendra de bien des préjugés.
Le criminel ne produit pas que des crimes : c’est lui qui produit le droit pénal, donc le Professeur de droit pénal, et donc l’inévitable traité dans lequel le professeur consigne ses cours afin de les mettre sur le marché en tant que « marchandise ».
Il en résulte une augmentation de la richesse nationale, sans parler de la satisfaction intérieure que selon le professeur Roscher, témoin autorisé, le manuscrit du traité procure à son auteur.
Plus : le criminel produit tout l’appareil policier et judiciaire : gendarmes, juges, bourreaux, jurés, etc., et tous ces divers métiers, qui constituent autant de catégories de la division sociale du travail, développent différentes facultés de l’esprit humain et créent en même temps de nouveaux besoins et de nouveaux moyens de les satisfaire.
La torture, à elle seule, a engendré les trouvailles mécaniques les plus ingénieuses, dont la Production procure de l’ouvrage à une foule d’honnêtes artisans.
Le criminel crée une sensation qui participe de la morale et du tragique, et ce faisant il fournit un « service » en remuant les sentiments moraux et esthétiques du public.
Il ne produit pas que des traités de droit pénal, des codes pénaux et, partant, des législateurs de droit pénal : il produit aussi de l’art, des belles-lettres, voire des tragédies, témoins non seulement La Faute de Msüllner et Les Brigands de Schiller mais aussi Œdipe et Richard III.
Le criminel brise la monotonie et la sécurité quotidienne de la vie bourgeoise, la mettant ainsi à l’abri de la stagnation et suscitant cette incessante tension et agitation sans laquelle l’aiguillon de la concurrence elle-même s’émousserait. Il stimule ainsi les forces productives.
En même temps que le crime retire du marché du travail une part de la population en surnombre et qu’il réduit ainsi la concurrence entre travailleurs et contribue à empêcher les salaires de tomber au-dessous du minimum.
La lutte contre la criminalité absorbe une autre partie de cette même population.
Ainsi le criminel opère une de ces « compensations » naturelles qui créent l’équilibre et suscitent une multitude de métiers « utiles ».
On peut démontrer par le détail l’influence qu’exerce le criminel sur le développement de la force productive :
— Faute de voleurs, les serrures fussent-elles parvenues à leur stade actuel de perfection ?
— Faute de faux-monnayeurs, la fabrication des billets de banque ?
— Faute de fraudeurs, le microscope eût-il pénétré les sphères du commerce ordinaire (voir Babbage) ?
La chimie appliquée ne doit-elle pas autant aux tromperies et à leur répression qu’aux efforts Légitimes pour améliorer la production ?
En trouvant sans cesse de nouveaux moyens de s’attaquer à la propriété, le crime fait naître sans cesse de nouveaux moyens de la défendre, de sorte qu’il donne à la mécanisation une impulsion tout aussi productive que celle qui résulte des grèves.
En dehors du domaine du crime privé, le marché mondial serait-il né sans crimes nationaux ?
Et les nations elles-mêmes ?
Et depuis Adam, l’arbre du péché n’est-il pas en même temps l’arbre de la science ? »
Karl Marx
EXTRAIT D'un article du Prolétaire de 1971 (dont je ne partage pas l'analyse du parti infaillible ni la théorie de la violence, mais qui nous montre à quoi aboutit un Etat faible, à la vengeance stérile)

http://www.sinistra.net/lib/bas/progco/qioe/qioeenebef.html

Trois interprétations petites-bourgeoises de la commune
Loin de nous l'idée de faire une bibliographie abrégée de la question: ce que nous voulons, c'est souligner quelques aspects qui contribueront à mettre en relief les conclusions, tirées par Marx lui-même de l'expérience de la Commune, aspects qui ont échappé - et pour cause - à l'attention des écrivains prostitués qui voudraient se faire passer pour les vestales de l'historiographie «impartiale». Donc, sans tomber dans des citations et des références livresques, nous distinguerons les trois interprétations fondamentales que les historiens ont données de la Commune, ou plutôt les trois grandes attitudes qu'ils ont prises face elle.
Malgré des oppositions formelles, chacune de ces grandes attitudes présente des points de contact avec les deux autres, si bien qu'il s'est trouvé des courants d'idéologies différentes, quoique toutes petites-bourgeoises, pour tomber d'accord sur l'une ou l'autre d'entre elles. Nous laisserons de côté l'attitude d'hostilité ouverte envers la Commune qui est le propre des partisans de Versailles, mais que nombre de grands bourgeois éclairés d'aujourd'hui trouvent plus intelligent de cacher derrière une «sympathie» de type petit-bourgeois plus apte que la haine à duper les prolétaires.
Il faut bien admettre que, ces types d'interprétation petite-bourgeoise reposent sur plusieurs aspects réels de la Commune, malheureusement détachés de leur contexte et du mouvement historique auquel ils appartiennent par une opération «critique» de nature foncièrement idéaliste puisqu'elle se refuse à considérer d'une façon réaliste ce que la Commune a pu et dû être, pour la juger uniquement sur ce que quelques uns de ses membres ont voulu qu'elle soit.
La première d'entre elles présente la Commune comme la dernière révolution populaire, du type des révolutions du «sot» dix-neuvième siècle, et notamment de Quarante-Huit, comme si Juin 1848 n'avait pas déjà été la révolution honnie du prolétariat, la «laide» révolution des blousiers, opposée aux révolutions démocratiques, victor-hugoliennes de toutes les classes du «Peuple» en tant que bloc de forces sociales antagonistes. Pour elle, la Commune est en somme la dernière insurrection violente parce que la dernière insurrection «barricadière», comme si la seule forme possible de la violence insurrectionnelle était la barricade des révolutions démocratiques derrière laquelle la «foule des citoyens» attend la dissolution spontanée de l'ennemi, des «sbires du tyran»; comme si la révolution prolétarienne ne devait pas avoir sa Garde et son Armée rouges, comme si elle ne devait pas prendre militairement le pouvoir et étendre la guerre civile contre la bourgeoisie à l'échelle non seulement nationale, mais internationale! En réalité, les barricades qui avaient réussi en février 1848 s'étaient déjà montrées non seulement inutiles, mais nocives dès juin 1848; dans la Commune, elles ont joué le rôle d'une dangereuse illusion, presque tous pensant: «On n'osera pas...», ce qui démontra «a contrario» la nécessité pour la révolution purement prolétarienne d'une attaque centralisée, chose d'autant plus évidente qu'au début la Commune jouissait d'une réelle supériorité militaire, bien que le mouvement n'ait pas été déclenché dans des conditions générales favorables.
La seconde attitude consiste à présenter la Commune comme un fait national-démocratique, républicain-patriotique, continuation logique de la défense nationale contre les «barbares» prussiens et en outre berceau de la République «de tout le monde,», de la République libérée des hypothèques royalistes et féodales. C'est l'interprétation adoptée par le P.C.F. et les staliniens en général qui, avec leur habituelle impudence, ne manquent pas une occasion d'en faire une anticipation de la... Résistance, du maquis contre les «Boches» et les collabos, grâce au précédent des francs-tireurs.
La troisième interprétation considérant comme exemplaires les aspects démocrato-libertaires de la Commune la présente comme un modèle de révolution fédéraliste et de démocratie directe qui n'aurait échoué qu'à cause des tentatives, d'ailleurs vaines, de lui donner une direction dictatoriale. Il va de soi que sur cette position convergent non seulement les anarchistes et les sociaux-démocrates, mais aussi les déstalinisateurs officiels. Quant à la conception stupide et pré-sorélienne de la Commune comme «Révolution latine» (1) opposée ou schématisme hégélo-teutonique de Marx, elle annonce évidemment les théories des «voies nationales» au socialisme.
De toute façon, on pourrait dégager de la Commune, de façon aussi abstraite qu'arbitraire, toute une série de «significations». y compris celle d'une tentative de conciliation des classes!
Tout cela, à notre avis, ne touche pas le problème véritable: ce que la Commune a été par la force des choses et indépendamment de la pensée de ses représentants. De même que, loin d'être fortuite, sa direction fut exactement ce que les circonstances lui permettaient d'être, les déficiences de cette direction ne peuvent pas être conçues comme de simples accidents n'affectant pas l'épanouissement du mouvement et dont on pourrait faire abstraction pour rendre hommage à la spontanéité conçue de façon mécaniste. En effet, dire qu'une direction adéquate a fait défaut revient à dire qu'a manqué l'actualisation et la poursuite consciente de la tâche historique du prolétariat et donc qu'a manqué une praxis révolutionnaire pleinement développée, c'est-à-dire parvenue à la connaissance et à l'emploi des moyens adéquats pour atteindre des buts clairement définis («sans théorie révolutionnaire, pas d'action révolutionnaire»).
Les limites de l'assaut au ciel
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Il y a donc eu dans la Commune une différence entre la charge et la force potentielles du mouvement d'une part et sa manifestation de l'autre. Révolution sans aucun doute prolétarienne en soi, la Commune n'a pas pu l'être en soi et pour soi à cause du manque nullement occasionnel d'un appareil capable de recueillir, de concentrer l'impulsion objective reçue. C'est ici le lieu de rappeler l'image de Trotsky dans la préface de son «Histoire de la Révolution russe»:
«Sans une organisation dirigeante, l'énergie des masses se volatiliserait comme la vapeur quand elle n'est pas renfermée dans un cylindre à piston; cependant le mouvement dépend de la vapeur, non du cylindre ou du piston.»
Naturellement, «le cylindre à piston», c'est le Parti, qui ne crée pas mais dirige la révolution, et qui n'est pas non plus lui-même créé, ni en tant que programme (parti historique) résultant de la manifestation des contradictions irrémédiables de la société bourgeoise, ni en tant qu'organisme constitué d'un ensemble de cadres qui va former l'état-major de l'armée prolétarienne (parti formel) résultant d'une exaspération des conflits sociaux qui, par un passage de la quantité à la qualité, détruit dans une avant-garde de la classe ouvrière l'influence de l'idéologie et de la classe dominantes, et les tendances centrifuges, particularistes et locales.
Ce manque de clarté programmatique de la Commune est très bien démontré par le fait qu'elle a adopté un ensemble de formules héritées du passé et allant du souvenir des communes médiévales à la Commune à majorité hébertiste de Quatre-vingt-treize. Il ne devrait pas être nécessaire de rappeler que, selon Marx (cf. «Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte», ch. 1), la prémisse pour que la révolution sociale prenne conscience de son contenu propre et s'oriente en conséquence est justement le rejet de telles réminiscences et la formulation de la mission historique propre au prolétariat, qui n'est plus ni un instrument parlant (vocale instrumentum) comme les esclaves, ni un ordre, ni une plèbe, mais une classe tout à fait particulière, puisque par son auto-suppression, elle supprime tout le mécanisme de la société divisée en classes; une classe qui n'a que faire de «cahiers de doléances», qui n'a pas de «droits» méconnus à faire reconnaître, car son unique revendication en tant que classe historique est la suppression de la situation non pas juridique, mais effective que lui impose la mercantilisation de la société et en premier lieu de la force de travail.
Il est important de souligner ici que l'attachement superstitieux aux formes passées, expression de l'impuissance à concevoir le dépassement et donc l'abolition (Aufhebung) dialectique des rapports capitalistes, ainsi que les conditions plus ou moins métahistoriques de la société des producteurs-propriétaires, caractérisent la direction de la Commune toute entière. C'est ce qui explique le jugement draconien de Lénine en 1905, selon lequel la Commune fut «un gouvernement petit-bourgeois révolutionnaire», ce qui indique que la participation de membres ouvriers à ce gouvernement n'y a pas introduit d'élément prolétarien sur le plan politique, les mesures prises restant de caractère petit-bourgeois comme leur origine les y condamnait. Pour illustrer ce fait, il suffit ici d'un seul exemple, celui de la politique des Internationaux (membres français de la Première Internationale) à l'égard de la Banque de France que Francis Jourde et Charles Besley (2) protégèrent, tandis que le groupe blanquiste de l'ex-Préfecture dirigé par Rigault cherchait à s'en emparer, fût-ce par un coup de main, intention rendue vaine par l'attitude des organes «responsables» de la Commune occupés par les proudhoniens.
Le 18 mars 1908, Lénine résumait dans un discours tenu à Genève les principaux points de la critique marxiste de la Commune en observant:
«L'idée de patriotisme (qui) remonte à la grande Révolution du XVIIIme siècle s'empara de l'esprit des socialistes de la Commune et Blanqui, par exemple, révolutionnaire incontestable et adepte fervent du socialisme, ne trouva pour son journal de titre mieux approprié que ce cri bourgeois: «La Patrie en danger»!
La réunion de ces deux objectifs contradictoires - patriotisme et socialisme - constitua l'erreur fatale des socialistes français. Dans le Manifeste de l'Internationale de septembre 1870, Marx mettait déjà en garde le prolétariat français contre un engouement pour le mensonge nationaliste...
Dans la Commune, deux fautes anéantirent les fruits d'une brillante victoire. Le prolétariat s'arrêta à mi-chemin: au lieu de procéder à «l'expropriation des expropriateurs», il se laissa entraîner par des rêves sur l'établissement d'une justice suprême dans le pays, unifiée par une tâche nationale commune; des institutions comme les banques par exemple ne furent pas saisies, la théorie proudhonienne de l' «échange équitable» régnant encore parmi les socialistes. La deuxième faute fut la trop grande magnanimité du prolétariat; au lieu d'exterminer, comme il aurait dû le faire, ses ennemis, il chercha à exercer une influence morale sur eux, il négligea l'importance des actions purement militaires dans la guerre civile et au lieu de couronner Sa victoire à Paris par une offensive résolue sur Versailles, il temporisa et donna au gouvernement de Versailles le temps de rassembler les forces réactionnaires et de se préparer à la sanglante semaine de Mai.»
Une analyse sommaire des forces composant la direction communarde nous aide à comprendre les représentations idéologiques du mouvement auxquelles nous avons déjà fait allusion et à démontrer jusqu'à quel point l'insuffisance de la direction équivalait à un hiatus entre la poussée objective et la maturité subjective. Comme le disait Rosa Luxembourg dans sa polémique contre Bernstein, en tant que classe en soi, agglomération d'individus prolétariens, le prolétariat n'est jamais mûr pour la révolution, et c'est la crise qui l'oriente vers son guide et son cerveau, le Parti. Dans la Commune, nous voyons au contraire une révolution «acéphale» dont les réalisations ne correspondent qu'en infime partie à la pression du mouvement réel, ce qui n'exclut bien entendu pas leur importance, qui est proportionnée à l'importance même de ce mouvement: mais si on la confronte avec la tâche historique à réaliser «l'assaut au ciel» pour reprendre l'expression de Karl Marx cette importance et cette grandeur deviennent dialectiquement misère.
Bien sûr, la composante patriotique et nationaliste joua un rôle considérable dans la Commune, dont la naissance même prématurée et hors de propos, selon le jugement bien connu de Marx s'inscrivait dans l'ensemble des tentatives de «radicalisation» du gouvernement qui remplaça ce «gouvernement de trahison» qui «aurait dû» défendre la France de l'avance prussienne. Tout le monde sait que, dans son journal, Blanqui lui-même avait sombré non seulement dans le patriotisme, mais dans le chauvinisme et le racisme, puisqu'il y décrivait les Allemands comme des «pithécanthropes» sortis de forêts noires plongées dans d'éternelles ténèbres médiévales, chose vraiment indigne de sa plume, mais malheureusement plus qu'explicable. Ce nationalisme n'était pas, d'autre part, une attitude transitoire, car l'illusion réactionnaire qui devait atteindre son sommet dans la formule de la «révolution latine» et dans la conviction que la tâche la plus urgente était d'en préserver le foyer - la France - est bien caractéristique de la pensée de Blanqui, et ses polémiques contre Mazzini sont presque exclusivement axées sur ce leitmotive (3).
Il en est résulté un absurde mariage des blanquistes et des jacobins radicaux dans la majorité communarde, avec pour résultat pratique le blocage de toutes les mesures caractéristiques des blanquistes, et de ce fait, la renonciation par le blanquisme lui-même - sauf cas isolés, à une action autonome. D'autre part, on ne peut pas passer sous silence le fait incontestable et illustré par de nombreux faits que les attitudes chauvines et les penchants à l'Union sacrée étaient très répandus et presque généraux au sein de la section française de la Première Internationale. On connaît bien l'attitude patriotique de cette section de l'internationale face à la guerre franco-prussienne, qui contraste avec l'internationalisme fermement et rigoureusement observé par la section allemande dirigée paf Bebel et par le vieux Liebknecht. Cette attitude chauvine de ligues de métier particulières adhérant à l'Internationale allait jusqu'à la provocation xénophobe, à l'invitation faite aux patrons locaux (4) à persécuter les prolétaires «étrangers» et notamment allemands, en tant qu' «espions de l'ennemi». une espèce d' «A chacun son Boche» avant la lettre (5).
On pourrait objecter, avec l'exemple de Jules Vallès et de son journal, que les éléments les plus proudhonisants ne tombèrent pas dans cette attitude chauvine, du fait qu'ils étaient en général hostiles au problème des nationalités (ce qui, comme Lénine devait le démontrer à Luxembourg, n'est en soi nullement révolutionnaire en tout temps et en tout lieu), malgré l'attitude à l'occasion raciste de Proudhon qui voulait résoudre la question juive à la Eichmann. Il ne faut pas oublier qu'ils substituaient au patriotisme le fédéralisme localiste, étant adversaires de la guerre entre Etats dans la mesure même où ils l'étaient de la révolution, c'est-à-dire de la guerre civile.
Employant presque les mêmes mots que Proudhon qui prônait la «combinaison économique» à la place de la Révolution, l'«Independant Labour Party» opportuniste (futur pilier du Bureau de Londres) sera fustigé par Lénine en octobre 1916 pour avoir écrit:
«Nous n'approuvons aucune insurrection armée, de même que nous n'approuvons aucune forme de militarisme et de guerre».
Et ce que Lénine lui répliquait est entièrement valable contre les proudhoniens:
«Est-il nécessaire de démontrer que de pareils «anti-militaristes» de pareils partisans du désarmement, non plus dans un petit pays, mais dans une grande puissance, sont les opportunistes les plus dangereux? Et pourtant, théoriquement, ils ont tout à fait raison quand ils considèrent l'insurrection armée comme «une des formes» du militarisme et de la guerre» (Contre le Courant).
Ainsi, si les blanquistes firent un front unique de fait avec des radicaux petits-bourgeois aux délires montagnards incapables d'une quelconque perspective historique, la section française de la Première Internationale constituait elle-même un front unique de divers courants, avec prédominance de tendances petites-bourgeoises comme le proudhonisme et quelques nuances bakouninistes (Eugène Varlin) dans la perspective utopique de la collaboration de classe qui était impliquée dans la pacifique «combinaison économique» des mutualistes ou coopérativistes.
En tout cas, la conciliation nationale était présupposée par toutes les tendances de la direction communarde, et non seulement par des proudhoniens à la Jourde-Beslay, ou bien par des bavards «jacobins» à la Pyat et Miot, mais même par un des blanquistes «de gauche» les meilleurs et les plus clairvoyants, Théophile Ferré, qui dans ses déclarations par ailleurs très courageuses et dignes au procès reconnaissait dans la Commune une tentative légalitaire de réorganisation nationale que les «réactionnaires» de Versailles avaient refusée, contraignant ainsi les Communards à la résistance.
En effet, ce fut Versailles elle-même (et notamment sa gauche dirigée par ce même Louis Blanc qui, longtemps après le massacre des Communards, demandera l'amnistie pour les rescapés) qui «tua la conciliation», pour employer l'expression de Vermesch. Ce fut elle qui démontra, avec l'appui complaisant de Bismarck, que les prolétaires n'ont pas de patrie; que les bourgeoisies, jusqu'alors rivales pour l'accaparement des marchés, ne connaissent plus d'ennemis nationaux face au prolétariat insurgé, mais se fédèrent en une unique Internationale capitaliste; que la «démocratie avancée» des Louis Blanc et épigones rivalise avec n'importe quel Deuxième Empire (nous pourrions dire para-fasciste par avance) dans la répression de ce mouvement ouvrier qui sort de l'ornière, c'est-à-dire qui dépasse les limites de ce que la bourgeoisie elle-même peut et doit donner pour conserver son pouvoir de classe. Bref, c'est elle qui confirma que «ceux qui font les révolutions à demi creusent leur propre fosse», comme Saint-Just s'en était aperçu, avec une intuition valable non seulement pour la révolution bourgeoise, mais plus encore pour la révolution prolétarienne.
Sans doute, cette orientation petite-bourgeoise de la direction communarde avait-elle une base sociale bien définie, ce qui est aussi vrai pour la minorité soi-disant «socialiste» que pour la majorité «jacobine». Mais il serait tout à fait faux de conclure, comme par exemple, l'anecdotiste Rougerie, que tous les Communards étaient des petits-bourgeois révolutionnaires, voire des sans-culottes plutôt que des insurgés prolétariens: pour ces historiens-là, la violence et la terreur sont toujours du «jacobinisme», comme si, comme l'a prétendu Kautsky, imité par ces Messieurs même lorsqu'ils l'ignorent, le caractère prédominant du révolutionnaire prolétarien était la faiblesse contre-révolutionnaire, c'est-à-dire... le girondinisme appliqué à la classe ouvrière!
En réalité, ce fut le poids de la petite bourgeoisie qui l'emporta sur la poussée ouvrière justement du fait du manque de préparation révolutionnaire de cette dernière, ce qui se produisit (il paraît même banal de l'ajouter) dans nombre d'autres révolutions et contre-révolutions, même là où le prolétariat avait atteint avec l'industrialisation le plus grand développement «sociologique», l'exemple classique restant toujours l'Allemagne d'il y a un demi-siècle. D'ailleurs, il faut rappeler aux historiens que Marx ne craignait pas de parler de la possibilité et de la nécessité d'une politique autonome de la classe prolétarienne même au cours de la première phase de la révolution double, comme on peut le lire dans la fameuse «Adresse du Comité Central de la Ligue des Communistes» de mars 1850. Et l'Allemagne de 1848 était évidemment passablement moins «industrialisée» que la France au sortir du Deuxième Empire, avec la permission des sociologues!
Dans la «Gazette Ouvrière», n° 4-5 du 15 avril 1911, Lénine établissait la façon correcte de poser la question:
«Il faut au moins deux conditions pour qu'une révolution sociale puisse triompher, à savoir, le niveau élevé des forces productives et la préparation du prolétariat. Ces deux conditions étaient absentes en 1871. Le capitalisme français était encore peu développé, la France était encore un pays en majeure partie petit-bourgeois (d'artisans, paysans, petites gens d'affaires, etc.). D'ailleurs la masse ouvrière n'avait pas une idée claire de ses buts et des moyens pour les atteindre, elle n'était ni préparée ni exercée. Il n'existait ni de bonne organisation politique du prolétariat, ni de larges syndicats ou de grandes coopératives...».

NOTES

1Aucune cause ne peut justifier la vengeance, robespierriste, anarchiste, trotskyste ou islamiste, Malatesta était très clair là-dessus, et reconnaissait que cela servait toujours l'Etat capitaliste : En 1896, Malatesta, rapportant cette nouvelle parue dans un journal anarchiste - « A Barcelone, une bombe a éclaté dans une procession religieuse, faisant quarante morts et on ne sait combien de blessés. La police a arrêté plus de 90 anarchistes avec l’espoir de mettre la main sur l’héroïque auteur de l’attentat »- commentait ainsi, dans le numéro unique de L’Anarchia (août 1896) : « Aucune raison que la lutte pourrait justifier, aucune excuse, rien ; est-il héroïque d’avoir tué femmes, enfants, hommes sans défense parce qu’ils étaient catholiques ? Cela est déjà pire que la vengeance : c’est la fureur morbide de mystiques sanguinaires, c’est l’holocauste sanguinaire sur l’autel de Dieu ou d’une idée, ce qui revient au même ; ô Torquemada ! ô Robespierre ! » (extrait de mon livre sur la guerre d'Espagne).

2 Cf. Justice et déviance de Frédéric Chauvaud, Presses universitaires de Rennes, 2007.

3Cf. Capital sorcier et travail de dieu : https://www.cairn.info/revue-politique-africaine-2000-3-page-48.htm


4Ibid.

mercredi 13 juillet 2016

Nous ne sommes pas des "gréviculteurs"


par Marc Chirik

(intervention orale au 3ème congrès de Révolution Internationale, 1978, les militants comme équipe de foot avec un entraîneur efficace)

...C'est vrai qu'il y a une distinction qui se fait entre l'action de l'organisation comme telle, et celle des militants. C'est vrai aussi que le militant agit partout comme membre de l'organisation, mais là se fait la distinction: c'est sur les plans où se situent ces activités. C'est cela que ne voient pas ceux qui sont amenés à dire que les militants doivent chercher à être les chefs dans les luttes immédiates. Cette vision n'est pas tout à fait la nôtre. Ce que nous cherchons, nous, ce n'est pas de demander sa confiance à la classe pour qu'elle nous délègue la direction de ses luttes, mais de faire en sorte que la conscience de la classe se généralise pour que ce soit elle en tant que classe qui assume ses tâches. C'est là notre tâche fondamentale.
Nous ne pouvons pas dire seulement "généralisation" des luttes, les syndicats sont capables de récupérer ce mot d'ordre, on l'a déjà vu. Nous devons en dire plus, ne pas limiter la généralisation à l'espace, mais l'étendre au fond, allant des luttes pour des questions partielles aux questions générales. Dans les luttes nous devons toujours avoir présent à l'esprit trois soucis:

- pourquoi est menée cette lutte ?
- qui la mène ?
- comment se mène-t-elle ?

La grève n'est pas en elle-même une panacée. Les syndicats peuvent déclencher des grèves sur des revendications anti-prolétariennes, on l'a vu en Italie avant 1914, avec des grèves qui préparaient les ouvriers à la guerre. Nous ne sommes pas des "gréviculteurs".
Ce n'est pas un hasard si la question de l'intervention directe se pose à nous aujourd'hui, cela révèle deux moments: celui du développement des luttes ouvrières, et celui du développement de l'organisation des révolutionnaires qui est de plus en plus impliquée concrètement dans les luttes. Pour répondre à ce problème, il faut souligner que:

- l'intervention des militants est toujours sous le contrôle de l'organisation,

- le militant ne doit jamais exiger que la lutte dans l'usine atteint une conscience globale pour y participer, pour en être un facteur actif en intervenant. Nous devons absolument faire nôtre ce que Marx disait dans le Manifeste sur les communistes qui sont les combattants les plus décidés dans la lutte de classe.

- tant l'organisation que le militant n'ont pas à faire de la surenchère, à être plus radicaux que les ouvriers; cette attitude existe chez certains groupes parce qu'ils sont isolés, coupés de la classe, comme le FOR.

- les militants de la classe ouvrière doivent mener la lutte locale de la manière la plus effective et la plus efficace. Ce n'est ni un sport, ni une fête, comme peuvent le penser les surréalistes ou les situationnistes. Etre au sein des luttes, avec sérieux et responsabilité, c'est le contraire de ce que font les anarchistes qui font la "grève générale" tous seuls ou des "actions exemplaires". C'est avoir la conviction d'une victoire partielle possible et rejeter l'attitude du style "le capitalisme n'a rien à accorder", défendre les positions des ouvriers contre les atteintes du capital, et être avec eux décidés à faire aboutir la lutte.

- Notre dénonciation des syndicats et courants anti-prolétariens doit être la plus énergique possible; cela signifie qu'elle ne doit jamais prendre des formes abstraites, plaquées sur la lutte, mais être le démasquage concret, dans le faits, à travers les problèmes pratiques, de leur nature anti-prolétarienne.

- Nous devons exercer une vigilance constante à l'égard des manoeuvres anti-prolétariennes; si, au début de la lutte, il est difficile de démontrer les manoeuvres syndicales, il faut s'assurer de pouvoir les dénoncer immédiatement, au fur et à mesure du développement de la lutte.

- à l'égard de toute tentative de formation de groupes au sein de usines, il faut être conscient que de tels groupes, comme ceux qui se réclamaient de l'autonomie ouvrière, sont des groupes politiques qui entravent la formation de l'organisation politique de la classe. Par contre, nous apportons notre soutien à tout surgissement réel de groupes de réflexion dans les usines ou les quartiers et nous y participons.