PAGES PROLETARIENNES

lundi 25 avril 2016

PAS TOUCHE A BILAN !


Comme France-Soir et les agités du bonnet gauchistes, l'historien du maximalisme bordiguiste Bourrinet nous avait habitué à des prises de position indignées comme celle sur la mort de Clément Méric en 2013, un jeune bobo antifa décédé bêtement dans une bagarre de rue, et qu'il nous présentait comme une victime à honorer par le prolétariat1. La mort malheureuse de ce jeune homme n'en faisait pas plus une « victime du capital » que du « fascisme » et nous n'étions pas obligé de le ranger parmi les martyrs du prolétariat : « N’oublions jamais Clément Méric, mort trop jeune pour participer aux combats décisifs de demain ! », texte compatissant s'appliquait à éplucher et sermonner les avortons gauchistes antifascistes de façon obsessionnelle au lieu de se contenter de dénoncer l'utilisation du drame par les médias, et était signé ingénument: « des internationalistes », le truc du petit bleu de la côte Ouest. Je crois être le seul à m'être moqué ici de cet amalgame.

Sachant que cet ancien militant du CCI est devenu hyper allergique au mot parti, on ne s'étonnera point qu'il en répande les gratouilles un peu partout, à partir de la poubelle du CCI en Belgique, Controverses. Voici commémoré, à la façon de la presse bourgeoise « 100 ans de Gauche italienne ». Avec des infos méconnues du gauchiste moyen, des citations à la queue leu leu en veux-tu en voilà, qui sont au demeurant très intéressantes pour celui qui n'y connaît rien ou n'a pas lu les ouvrages précédents de l'auteur, fort documentés. Vous saurez presque tout sur la vie en prison et hors politique de Bordiga, mais vous ne saurez pas de quoi est mort Vercesi. On vous raconte mariages et divorces des fractions vintages, mais on débouche sur les affres du bordiguisme moderne.
Sous l'académicien réside pourtant le petit démocrate antifasciste enfoui. De même que son âme chétive d'éternel étudiant l'avait poussée à quitter, choqué, le CCI qui se prétendit soudain « organisation de combat », ce qui viole les combats de bibliothécaires, de même il lui faut enterrer politiquement BILAN, dont il avait pompé généreusement les analyses pendant des lustres, glorifiant le courage et la solidité politique face en particulier à l'ahurissant chantage à l'engagement antifa en Espagne pour aller au casse-pipe au service d'une soit disant révolution, quoique nationale bourgeoise. Bourrinet s'accroche donc aux branches les plus pourries qui succombèrent au charme vénéneux de l'antifascisme, et qui, jusque là, malgré des discussions huppées sur la période de transition, ne raisonnaient pas en marxistes comme les membres de Bilan ne s'en étaient pas apercus (les branches à Hennaut).

Voici ce qui nous est servi :

Après nous avoir rappelé les slogans suivants basés sur la « transformation de la guerre impérialiste en guerre civile » :
  • au volontariat opposer la désertion
  • à la lutte contre les « Maures » et les fascistes, la fraternisation
  • à l'union sacrée, l'éclosion des luttes de classe sur les deux fronts
  • à l'appel pour la levée du blocus contre l'Espagne, les luttes revendicatives dans tous les pays et l'opposition à tout transport d'armes
  • à la directive du solidarisme de classe opposer celle de la lutte de classes et de l'internationalisme prolétarien ».

    Bourrinet ne fait aucun commentaire sur ces slogans, limpides et seuls véritablement dignes de ce que des marxistes honnêtes pouvait dire au malheureux prolétariat dans l'impasse espagnole dans l'étau de la bourgeoisie républicaine et fasciste. Mais on verra pourquoi tout de suite : parce que c'est de la petite bière... contre-révolutionnaire » et surtout inapplicable à l'époque.
    En réalité nous assure Bourrinet Bilan est en souffrance, et heureusement les docteurs Tant mieux les plus proches de la croyance en une révolution démocratique nationale à défendre, au demeurant petites sectes, « coupent les ponts » avec ces « contre-révolutionnaires » :
    « Soutenue en cela par la minorité de la LCI de Belgique, et le GTM, un petit groupe mexicain, elle (Bilan) souffrit d'un isolement total. Affirmant qu'en dehors d'un parti de classe, il ne saurait y avoir de perspective révolutionnaire, appelant (comme le fit surtout Ottorino Perrone) à la « fraternisation » des armées impérialistes (mais aussi à une « aide humanitaire ») sur les deux fronts de la guerre en Espagne, les positions de Bilan et Prometeo apparurent à ses anciens alliés comme purement « contre-révolutionnaires » (selon les mots d'Adhémar Hennaut). L'Union communiste en France, la LCI en Belgique, la RWL (Revolutionary Workers League) oehleriste aux USA coupèrent les ponts avec la Gauche communiste italienne, qualifiée alors de « perroniste ». Ces désaccords, Adhemar Hennaut sut parfaitement (sic) les résumer :
    « (Leur) position à propos de l'Espagne n'est pas un hasard, mais une conséquence logique de toute l'idéologie (resic) de la Fraction. Elle a son point de départ dans la conception du rôle hypertrophié – totalitaire pourrait-on dire pour employer un mot à la mode – du parti. Si le rôle de la classe ouvrière dans la révolution se ramène en dernière analyse à s'en remettre à la sagesse du parti révolutionnaire, les possibilités révolutionnaires d'une situation ne pourront être déterminées qu'en fonction de l'existence ou de la non existence de ce parti. Si le parti existe, la situation prend une tournure ou en tout cas peut prendre une tournure révolutionnaire. Si par contre ce parti fait défaut, l'héroïsme le plus pur de la classe, son idéalisme le plus exalté doit se dépenser en pure perte. Tel est le mécanisme du raisonnement de la Fraction et qui doit l'amener à défendre les positions contre-révolutionnaires que nous connaissons : rupture des fronts militaires, fraternisation avec les troupes de Franco, refus d'aider au ravitaillement en armes des milices gouvernementales espagnoles. Et le caractère réactionnaire de ces positions n'est pas diminué par le fait que dans le cours de la discussion ceux qui les défendaient aient été amenés à reconnaître l'application immédiate de ces positions comme impossible, remettant leur application à une époque où les travailleurs espagnols se rendraient par eux-mêmes mieux compte du caractère désespéré de leur action contre Franco » (…) Affaiblie numériquement, la Fraction de gauche en sortit tout aussi affaiblie idéologiquement ».
    On lit ensuite un paragraphe qui veut ridiculiser le bilan théorique de Bilan sous prétexte qu'ils n'ont pas vu venir la guerre, mais étaient-ils les seuls ?

Voyons à présent la présentation autrement plus sérieuse par la revue internationale du CCI de la scission entre « révolutionnaires antifascistes » et « contre-révolutionnaires »2 , même si on ne voit pas l'intérêt de qualifier de très important le père Hennaut :

« La guerre d'Espagne a signé la rupture d'un débat qui s'était poursuivi pendant six ans et que Bilan avait amplement alimenté. La majorité de la "Ligue des Communistes Internationalistes de Belgique" choisit l'appui à la guerre antifasciste comme la minorité de Bilan et du groupe français "L'Union Communiste". En fait, Hennaut, représentant très important de la Ligue, écrira dans un document daté de février 1937 (et qui sanctionnait la rupture) :
"Nous savons que la défense de la démocratie n'est que l'aspect formel de la lutte ; l'antagonisme entre le capitalisme et le prolétariat n'en est pas l'essence réelle. Et, à condition de n’abandonner en aucune circonstance la lutte de classe, le devoir des révolutionnaires est d'y participer".
Une expression SUBSTANTIELLE de la lutte du capitalisme contre le prolétariat est donc considérée comme une expression FORMELLE de la lutte  prolétarienne contre le capitalisme...
Mais ce n'est pas toute la Ligue qui prendra cette position. Une minorité, mais la majorité à Bruxelles, reste sur la position de Bilan. Elle fut expulsée de l'organisation et s'est constituée en "Fraction belge de la Gauche Communiste". De 1937 à 1939, elle a publié Communisme, revue mensuelle ronéotée ».
On voit ici aussi que Hennaut n'est pas net politiquement et qu'il a un fil à la patte avec la sacro-sainte démocratie bourgeoise (aussi sainte... que la guerre civile espagnole), mais qu'il n'a rien compris, comme on la vu plus à la position de Bilan sur la question du parti, voici ce que nous en disons dans notre prochain bouquin sur la guerre d'Espagne :

«  C'est Bilan qui définit le mieux l'arlésienne de tous les groupes léninistes et trotskiens : le parti absent cause de tous les malheurs ; parti en tant que figuration et représentation d'une maturité d'un prolétariat réellement en phase révolutionnaire, un parti qui n'est pourtant jamais précurseur et qui ne s'invente pas : « Nous savons fort bien que, presque toujours, les masses se mettent en lutte derrière des chefs qui ne portent pas le drapeau de leurs revendications immédiates et historiques et que c'est par la suite, au cours même du mouvement, que l'élimination s'opère et que le prolétariat parvient à se regrouper autour de l'avant-garde consciente qui peut brandir le programme de la révolution communiste uniquement parce que les travailleurs ont été portés, par les situations, à acquérir la conscience de leur rôle historique (…) Le parti de classe ne s'invente pas, il ne s'improvise pas non plus. S'il n'existe pas, c'est que la situation n'en a pas permis la formation »3.

Rien à voir avec les accusations de totalitarisme par ce pauvre haineux de Hennaut. En plus, à la façon d'un policier lors d'une GAV, ne le voilà-t-il pas nous assurer que le coupable Bilan, contre-révolutionnaire, «  a avoué que ses slogans étaient inutiles » !

Le raisonnement de Hainaut est du même type que celui des socialistes chauvins en 14 et des staliniens nationalistes en Espagne : d'abord il faut faire la guerre et puis le slogan « fraternisation » n'est pas crédible ! Et la bande à Hennaut, sans Bourrinet de s'en aller voyager en Espagne pour participer au massacre des civils, des curés et des fascistes ou pas, de ceux qui portent des cravates ou un costard avec gilet. Hennaut et ses potes considéraient que le devoir des révolutionnaires, pas des contre-révolutionnaires était de participer au bain de sang espagnol, en taisant les milliers de crimes perpétrés dès fin juillet 36 par des bandes armées à la fois d'ouvriers arriérés et d'une population ivre de sang qui montrait l'exemple déjà : massacrer les religieux comme compensation à une victoire militaire contre Franco, comme les hordes allemandes compenseront l'humiliant traité de Versailles en massacrant les juifs. L'antifascisme adora massacrer les religieux et les civiles, puis peu après adora aussi massacrer les tenants d'un véritable internationalisme. Saluons ici le courage mais aussi la témérité d'un membre de la Fraction qui, à Barcelone, au cours d'une réunion du minable parti gouvernemental POUM (pim pam poum) défendit les positions « contre-révolutionnaires » listées par le monsieur l'historien, fût menacé d'être zigouillé... pour complicité avec Franco.

Bilan avait raison de reconnaître que les véritables positions révolutionnaires étaient intenables – c'était comme demander aujourd'hui de fraterniser avec daech – mais cela valait mille fois mieux que de se rendre complice des bouchers antifascistes, de leur guerre « nationale révolutionnaire », tenable selon les miliciens Hennaut et Bourrinet.

La critique de Hennaut de la conception du parti par Bilan est fausse, mais elle n'est pas le sujet important ici. L'accusation de Hennaut revient à remettre en cause le défaitisme révolutionnaire au nom d'une unité nationale antifasciste en se basant sur le cliché grossier qui dominait les informations de l'époque : Franco et ses troupes étaient alors l'axe du mal incontestable. L'attaque de Hennaut était vicieuse parce qu'elle intégrait les doutes de la majorité de Bilan sur la possibilité de mettre en pratique des mots d'ordre qui pouvaient vous faire passer pour collabo de Franco. La tentation est grande aujourd'hui de comparer avec daech, rassemblement en meute de tueurs suicidaires, comme le seront les kamikazes japonais pendant la guerre mondiale suivante.

Or la majorité de Bilan n'était pas vraiment hors de la réalité, contrairement à sa minorité qui s'est précipitée à Barcelone pour se rendre compte que c'était vraiment une... guerre impérialiste. Des deux bords, la guerre d'Espagne est certainement celle qui a connu les plus massives désertions. Les conditions pour que l'appel à la fraternisation étaient présentes. Si l'armée républicaine est faible car inorganisée et que les chefs ne sont pas écoutés, du moins avant les militarisations successives au court de l'année 1937, ses soldats sont mieux rétribués que l'armée franquiste : dix pesetas par jour quand un soldat des « nationaux » n'en perçoit que trois. Même quand la discipline est renforcée dans les armées républicaines elle se fonde davantage sur l'explication qu'en face où les pioupious sont soumis à l'obéissance aveugle et condamnés s'ils désobéissent à des punitions terribles. Comme dans toute guerre nationale ou impérialiste, les généraux autorisent, dans les deux camps, leurs inférieures à se payer sur la bête : pillages, viols, pour améliorer l'ordinaire. Les troupes sont souvent face à face, l'arme au pied et passent les nuits de garde à s'insulter. Il y aurait eu des nuits de Noël, comme en 1914 où les soldats ennemis trinquèrent entre eux. Les généraux des deux camps poussent le plus souvent à des blitzkriegs pour éviter de trop longs face à face.
Le chiffre des pertes aux fronts est lourd, côté « nationaux » : 110 000 hommes, côté républicains : 175 000. L'heure n'est pas à la fraternisation. Ce sont les désertions qui se multiplient particulièrement au sein des Brigades internationales moins encadrées que les armées franquistes. Autre paradoxe qui n'est jamais évoqué par la saga antifasciste, lorsque l'armée de Franco fait des milliers de prisonniers, surtout soldats espagnols républicains, elle ne les fusille pas tous mais... les intègre dans ses rangs1.
La fraternisation avancée par Bilan fût sans doute une pétition de principe mais elle était la seule réponse révolutionnaire valable, et pas un engagement impulsif sous la pression du tintamarre du « no pasaran » : « Qu'au moins les massacres d'Espagne nous fassent comprendre (pour) les éruptions de classe de demain... » (Bilan n°36).



1 L'excellent livre Guy Hermet, p.266. La guerre d'Espagne (poche seuil, 1989)


1Publié par le cercle journalistique oecuménique, Controverses, camion poubelle du CCI : http://www.leftcommunism.org/spip.php?article352
2 cf. Notes pour une histoire de la Gauche communiste, article du CCI de 2006 : https://fr.internationalism.org/rinte9/italie. ET su toute la période la thèse excellente de Michel Roger publiée sous le titre: Les années terribles.
3Revue Bilan, p.1080.

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