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mardi 12 avril 2016

1984 : une satire de la fausse révolution espagnole

sauvegarde d'un tableau de Goya
Fin 2017, il faudra faire une recension de toutes les petites ou grandes maisons d'édition qui ont profité des 80 ans de la défunte guerre d'Espagne selon les uns ou révolution espagnole selon les autres. Pour l'heure, contrairement au cinquantenaire qui fut plus propice à soulever les tapis des mensonges perpétuels, il n'y a rien de bien nouveau, répétitions de positions sectaires par des gens qui n'y connaissent rien et se contentent de ce qu'ils ont lu il y a 30 ou 40 ans chez Broué ou dans des articles militants de seconde demain voire dans les brochures riquiquis de Spartacus. On notera au passage un livre bleu de l'édition artisanale Ni patrie ni frontières, intitulé « L'anarchisme d'Etat » et « La Commune de Barcelone ». Il s'agit d'une présentation  mal fagotée  d'un rapport secret de la CNT d'un nommé Helmut Rüdiger, avec des considérations très éclectiques du catalan Guillamon qui croit à une révolution à l'époque et méprise la base de la CNT, et la participation de Frank Mintz, un pseudo historien anarcho-staliniste (dont j'ai eu l'occasion de dénoncer la cuistrerie oecuménique antifa à Arcueil). Mintz vante les vieilleries autogestionnaires anars (et donc le pillage de "l'action directe") en dénonçant ce qu'il y a de très juste chez Rüdiger quand les autres ne rabâchent pas seulement l'antienne sur l'absence du parti  mais surtout cautionnent la théorie de la fusion invraisemblable de l'anarchisme et du stalinisme par cet autre cuistre gauchiste néo-LO Coleman. Or les terribles événements d'Espagne montrent le triomphe de l'anarcho-stalinisme, l'hymen entre le blaireau et la teigne. La guerre d'Espagne c'est la question de la destruction primordiale de l'Etat bourgeois, radotent en cœur deux anciens du CCI (dont je dois déplorer qu'ils se soient mis au service de l'anarcho--stalinien, le commissaire politique antiraciste Coleman).bannis de la maison mère nous donnent une leçon : avant de faire quoique ce soit d'autre une révolution doit DETRUIRE L'ETAT ! Avec ça on est bien avancé. Allez dire cela à daech il sera OK. Voilà des has been qui veulent se donner bonne conscience pour occuper leur retraite en criant au jeune qui passe dans la rue : « Viens chez moi j'ai la collection complète de Bilan dans ma table de nuit. Je te montrerai les étoiles de la Gauche communiste... ». Le texte secret de Rüdiger est néanmoins très intéressant à l'encontre de ses superficiels critiques les Olivier, Guillamon, et Mintz. J'y reviendrai bien sûr longuement dans mon livre sur la question des carences des diverses minorités maximalistes sur la question de l'alternative de société. Rüdiger nou démontre en tout cas, malgré son ralliement à la "guerre révolutionnaire" que les discussions au sommet de la CNT étaient plus "avancées" qu'au gouvernement bolchevique une dizaine d'années avant...

Excepté le monde académique des historiens, celui des militants anarchistes et maximalistes, la guerre d'Espagne demeure une lointaine page d'histoire. Mais le monde des militants, surtout ceux qui se prétendent révolutionnaires est marqué par un autisme ou un déni de réalité sur les horreurs qui se déroulent dans le camp où ils se projettent s'ils avaient été nés, le camp républicain présumé au moins plus progressiste que celui en face. Je n'ai trouvé pratiquement aucun texte anarchiste, socialiste, communiste de gauche ou pas qui proteste contre les exécutions massives autant des ecclésiastiques que des laïcs innocents ; ce qui sera aussi le cas concernant le massacre des juifs au cours de la seconde boucherie mondiale. Y aurait-il une lâcheté révolutionnaire ? Dans l'historiographie militante ou les tonnes d'articles commémoratifs, on ne raisonne qu'abstraitement en termes de classes, de partis, d'événements guerriers, on perpétue la dénonciation des crimes du camp d'en face (au nom de l'omerta de l'union nationale ou d'une solidarité de camp révolutionnaire aveugle) mais jamais on ne reconnaît que des crimes équivalents ou pires se produisent dans la camp de ce qui est présumé être une révolution ! Personne n'a vraiment dénoncé « le livre noir du communisme » ou, bien que les chiffres soient évidemment très exagérés et les morts non reliés aux véritables causes, ni ridiculisé tout ce chiffrage fastidieux en le plaçant à côté des chiffres plus éloquents des guerres mondiales. Les professionnels de la révolution s'occupent de politique, aux sociologues de s'occuper des « chiens écrasés ». Les mots « bain de sang » ou « massacres de la bourgeoisie » reviennent souvent mais comme toile de fond, entrer dans le détail gênerait des certitudes établies.
Poids d'un marxisme anti-humaniste stalinien ? Un solide véritable anarchiste ou bolchevique confirmé ne saurait s'émouvoir comme un vulgaire pacifiste des litres de sang versé, même innocemment ? Pouvait-on se permettre d'aller à l'encontre de foules sanguinaires qui applaudissaient l'hystérique Dolorès Ibarruri ? Au risque de se faire traiter de « fasciste » ?
La littérature pour clientèle gauchiste critique est mince sur les massacres de civils en territoire républicain, ni sur le fait que les bandes de pillards anarchistes dits « autogestionnaires » se sont fait pincer au bout du compte par des tribunaux pas spécialement dirigés par les méchants staliniens. « Autrement », revue par thèmes, compilée sous forme de livre, n'analyse pas les cruautés du camp républicain, mais n'en donne qu'un aperçu romancé avec une introduction succincte : « Les armes prises, les miliciens madrilènes font régner la terreur dans la capitale et profitent du retournement de la hiérarchie pour assouvir leur désir de vengeance. Agustin de Foxa propose ici un regard différent, moins prestigieux sans doute, sur l'implantation des milices populaires, dans lesquelles l'auteur croit percevoir le désir de revanche des petits, rancuniers et envieux, parfois enclins aux abus de pouvoir »1. L'explication reste « ouvriériste », et cet ouvriérisme qui fait passer la classe ouvrière pour une classe envieuse, qui ne pourrait pas faire autre chose que piller les riches pour prendre leur place, et massacrer pour « se venger » de siècles d'oppression des petites gens de l'espèce humaine : « En effet, l'autorité, c'étaient les cireurs de chaussures, les laveurs de latrines, les porteurs de valises et les charbonniers. Des siècles et des siècles d'esclavage accumulés palpitaient en eux, avec une force indomptable. Le grand jour de la revanche était arrivé. Ils voyaient trembler à leur tour, souriants, flatteurs, les grands bourgeois, les têtes couronnées du royaume, les banquiers qui les avaient fait trembler d'un seul regard ». (à suivre)
Bon tout cela ce sont les bonnes feuilles de mon book, soyez patients il avance. Je me contenterai de vous livrer deux ou trois aspects du chaos en Espagne, chaos qui ne se résume pas à une paire de lunettes avec un verre ouvrier et un verre bourgeois, et un méchant oculiste stalinien qui casse la première focale.

1948 ou 1936 ?

Il y a au moins trois décennies je me rappelle d'un camarade anglais aux mains tremblantes parce qu'il se gavait de thé qui, dans les couloirs d'un congrès du CCI, croyant donner la bonne explication du 1984 de Orwell m'expliquait : « c'est une satire mon vieux, you know, simple inversion de 1948, you know, quand triomphait le stalinisme après guerre ». Hélas ce camarade n'était plus de ce monde en l'an banal 1984, dont le moment dérisoire ne fut que le départ des sinistres communistes du gouvernement Mitterrand en France. Non cher et regretté Ian, tu te trompais. 1984 est une satire de la guerre civile espagnole.

D'ailleurs, Orwell a passé du temps à essayer de faire admettre qu'il ne s'était pas inspiré du « Talon de fer » de Jack London (un bisou au passage à l'infatigable Francis Lacassin pour son œuvre immense en 10-18), ni d'Eugène Zamiatine, ni de Metropolis de Lang, ni de Huxley, ni de Wells. Mais il a été influencé selon toute évidence par « Nous autres » de Zamiatine - écrit en 1923, moment charnière, victoire de Mussolini en Italie, bientôt putsch raté de Hitler, mort de Lénine et ascension de Staline - à la façon dont il vante l'ouvrage du russe, qui avait été jeté en prison en 1922 par la police bolchevique : « C'est une compréhension intuitive de l'aspect irrationnel du totalitarisme – les sacrifices humains, la cruauté considérée comme une fin en soi, l'adoration d'un chef qu'on dote d'attributs divins – qui fait la supériorité du livre de Zamiatine sur celui de Huxley ».(cf. Louis Gill, Orwell et la guerre civile espagnole, p.186).

Contrairement donc à l'acception commune 1984 n'est pas de prime abord une satire du stalinisme en URSS. L'inspiration première d'Orwell semble bien plutôt motivée par ce qu'il a compris pendant la guerre en Espagne, cette façon de faire passer cette guerre pour une révolution aux yeux du monde entier, et par ce seul moyen : le mensonge. A une époque où il ne fallait pas critiquer les procès de Moscou pour ne pas nuire à « l'unité anti-fasciste », dès 1938 Orwell est persuadé qu'il faut détruire le mythe soviétique si l'on veut redonner vie aux espoirs socialistes ; il l'affirmera près de dix ans plus tard en introduction à « La ferme des animaux ». Il ne faut plus se contenter de lire des livres ou de les écrire, il faut s'engager dans la lutte contre les mensonges : « Ce que j'ai vu en Espagne m'a fait toucher du doigt le péril mortel qu'on encourt en s'enrôlant sous la bannière purement négative de l' « antifascisme »2.
Mais Orwell est passé à côté de toute réelle réflexion de classe. Il n'a pas eu la chance de croiser sur sa route les minorités de la Gauche communiste qui avaient un peu éclairé dans la nuit de la contre-révolution – quoique avec des clichés programmatiques dépassés et avec d'énormes oeillères sur l'état de décomposition de la société espagnole – après les dérives de Lénine et le stalinisme naissant. Il ne garde de son expérience en Espagne que le plus inconsistant au niveau militaire, une vague croyance en la guérilla sur le terrain national. Fier ex-brigadiste floué, il s'engage dans la garde nationale anglaise en juin 1940. Et autant échaudé que Silone en Italie, il compense sa déception comme l'italien auteur du passionnant « Sortie de secours » (c'est mon interprétation) en se mettant lui aussi à la disposition des services secrets de sa Majesté. Il prône un armement du peuple, craignant une invasion imminente par l'armée allemande. Conformément à sa brève expérience malheureuse des combats de rue à Barcelone, il propose comme mesure immédiate une distribution générale des grenades à main3. A pleurer de pitié.
Après la signature du pacte germano-soviétique du 23 août 1939, Orwell décide qu'"il n'y a pas de troisième voie entre résister à Hitler ou capituler devant lui"et condamne "les intellectuels qui affirment aujourd'hui que démocratie et fascisme c'est bonnet blanc et blanc bonnet", c'est-à-dire les staliniens et leurs compagnons de route obligés d'abandonner le discours de l'antifascisme pour justifier dans un langage pseudo-gauchiste l'alliance de Staline avec Hitler. Dans un essai sur Charles Dickens, Orwell réaffirme "qu'il faut toujours être du côté de l'opprimé, prendre le parti du faible contre le fort" et que, si "l'homme de la rue vit toujours dans l'univers psychologique de Dickens", presque tous les intellectuels "se sont ralliés à une forme de totalitarisme ou à une autre". C'est son cas.
Revenant à l'automne 1942 sur son engagement espagnol dans un des textes les plus forts de ce recueil, Orwell exprime la position qui était la sienne en 1936 et le sera tout au long de la Seconde Guerre mondiale: "Quand on pense à la cruauté, à l'ignominie, à la vanité de la guerre on est toujours tenté de dire: Les deux camps se valent dans l'ignominie. Je reste neutre. Mais dans la pratique, on ne peut pas rester neutre, et il n'est pas de guerre dont l'issue soit parfaitement indifférente. Presque toujours l'un des camps incarne plus ou moins le progrès, et l'autre la réaction".
Orwell a bien été formaté démocrate incorrigiblement antifasciste lors de son expérience en Espagne. Revenant à l'automne 1942 sur son engagement espagnol dans un des textes les plus forts de ce recueil, Orwell exprime la position qui était la sienne en 1936 et le sera tout au long de la Seconde Guerre mondiale: "Quand on pense à la cruauté, à l'ignominie, à la vanité de la guerre on est toujours tenté de dire: Les deux camps se valent dans l'ignominie. Je reste neutre. Mais dans la pratique, on ne peut pas rester neutre, et il n'est pas de guerre dont l'issue soit parfaitement indifférente. Presque toujours l'un des camps incarne plus ou moins le progrès, et l'autre la réaction". C'est pourquoi... il choisit le camp de l'impérialisme britannique en travaillant à la radio d'Etat. Mais plus trouble fût la découverte que, à un an de sa mort en 1950, à la demande des services secrets maccarthystes britanniques, il avait soigneusement compilé une liste de 130 auteurs pouvant être soupçonnés d'être « communistes ». Bad end George !
(sur le web in english : Orwell offered writers’ blacklist to anti-soviet propaganda unit
When a new 20-volume edition of the collected works of George Orwell appeared about two months ago, included among the books, essays and voluminous correspondence of the famed British writer and journalist who died nearly 50 years ago was a list of some 130 prominent figures he compiled in 1949).The list consisted of short comments, sometimes pithy and sometimes superficial, on intellectuals, politicians and others whom Orwell considered to be sympathetic to the Stalinist regime in Moscow. Among the names were cultural figures Charlie Chaplin and Paul Robeson, writers J. B. Priestley and Stephen Spender, journalist Walter Duranty (New York Times Moscow correspondent and defender of the Moscow Trials) and Joseph Davies, US Ambassador to the USSR during WWII.

Voici comment cela pouvait se dérouler en 1937 en Espagne un scénario « orwellien »:
(1937, d'après les archives de la police sur les carences de la tchéka espagnole)

« Un détenu est mis à la disposition du Tribunal d'urgence de Barcelone, et celui-ci demande à la police quels sont les faits délictueux. La police répond qu'il n'y en a aucun. Le tribunal demande alors les raisons de la détention ; et il lui est répondu que le détenu est 'suspect'. Le même tribunal réitère sa démarche en demandant qu'il soit précisé de quoi il est suspect, et la police réplique qu'il est suspect « de recevoir des visites suspectes ». Le tribunal ne se lasse pas et insiste en priant qu'on lui dise en quoi les visites étaient suspectes, et la police explique finalement qu'elles étaient « suspectes d'être hostiles au régime ». Avec tout ça, les semaines ont passé et c'est dans ce flou que l'on s'achemine vers le jugement, où absolument personne ne comparaît pour soutenir l'accusation ».


BARCELONE 1937 : premier cas jugé par le Tribunal de espionaje (autre scénario orwellien, avant on aurait dit simplement kafkaïen) où vous verrez que les « Jeunesses révolutionnaires » espagnoles écrivent bien plus clair que les Rebull, Durruti ou Munis...

« Une jeune anarchiste de 19 ans, Carmen C., arrêtée le 22 août au matin alors qu'elle distribuait, à


l'entrée d'une assemblée du syndicat CNT du textile, des tracts intitulés « Face à la guerre, déserteurs. Pour la révolution sociale, luttons avec acharnement ». Le contenu du tract était une explication classique des « buts de guerre » des anarchistes, une justification de leurs contradictions de pacifistes combattants ; extraits : « La guerre est une calamité du régime capitaliste dont nous avons jusqu'ici souffert. La guerre signifie toujours le choc de deux intérêts qui essaient de se renforcer par le sacrifice de ceux qui ne sont pour rien dans ce jeu égoïste. Comprenant ainsi la guerre, les Jeunesses libertaires ne pourront jamais faire la guerre pour la guerre. Si les libertaires se battent sur le front, c'est dans le but d'améliorer la condition du prolétariat ».
Le dossier fut d'abord instruit par un des juges ordinaires du palais, chargé habituellement des cas de « désaffection » qui dépendaient du Jurado de urgencia. Pourtant, contrairement à ce qu'on pouvait attendre, le délit ne fut pas qualifié d' « hostilité au régime ». Rien dans le contenu des tracts n'était dirigé explicitement contre le régime républicain ni contre le gouvernement de Juan Negrin. Il s'agissait d'après le juge, d'un « probable délit contre la forme de gouvernement ». Grâce à cette qualification et à une défense misant sur l'innocence d'une jeune fille qui aurait été abusée et contrainte de distribuer des tracts « qu'elle n'avait pas lus » par un militant. Elle sortit moyennant une caution de 500 pesetas réglée par un responsable de la CNT qui vint la chercher.
Trois mois plus tard, le 20 novembre, l'affaire fut confiée au TEAT (Tribunal d'espionnage et de haute trahison) (…) ce qui était véniel devint mortel : les sanctions pour « défaitisme » et « haute trahison » pouvaient aller de six ans de camp de travail à la peine capitale (…) Le TEAT condamnait pour « défaitisme », partant du fait que les feuilles incriminées tendaient « à déprimer le moral collectif ». La sentence sanctionnait explicitement la « propagation de feuilles clandestines où l'on attaquait le gouvernement de la République et on excitait le peuple à la rébellion ». Le lien logique, qui pourtant n'avait rien d'évident, entre « discipline sociale » et défaitisme était établi sans hésitation : « Les faits prouvés peuvent être réputés comme des actes qui tendent à déprimer le moral public et contribuent, en même temps, à diminuer la discipline collective, constituant de véritables actes de défaitisme ». Toute manifestation de divergence politique, de désaccord avec l' « union antifasciste » pouvait à ce compte être visée, sans qu'il fût besoin de justifier rigoureusement le rapport entre les actes incriminés et la notion de défaitisme. C'en était bien fini des « formalisme juridiques » qui venaient « gêner » la continuité de l'action répressive de la police et de la justice.
Ainsi les feuilles distribuées par Carmen C. furent-elles considérées comme délictueuses parce que « gravement perturbatrices de l'Unité politique (qu'imposait) la guerre ». Certains tracts auraient pu recevoir la qualification précise d' « incitation au meurtre » de dirigeants politiques, comme ce papillon, distribué le 27 novembre 1937 : « Azana, Prieto, Negrin, Maura, Portela Valladares... ? Qu'en pensez-vous travailleurs ? ! En voilà un joli bouquet pour un poteau d'exécution ! », ou cet autre :
« Le gouvernement Negrin est : COUARD, parce qu'il est à Barcelone au lieu d'être à Madrid ! TRAITRE, parce que, s'appelant antifasciste, il a livré le Nord aux rebelles ! FASCISTE, parce que avec la France et l'Angleterre il est en train de négocier l'armistice, sans aucun égard pour le sang versé par des milliers de travailleurs tombés en défendant la liberté ! ».
Ces tracts étaient signe de reprise du combat contre les responsables politiques de la République, signe qu'une partie des confédéraux était passée dans l'opposition active. La perception qu'ils révélaient du président Manuel Azana témoigne de cette continuité :
« Travailleurs, Azana a dit : « Je suis le même qu'en 1931 et c'est dans cet esprit que je préside la République ». Sachez-le travailleurs, le monstre qui disait « visez au ventre » hait toujours les prolétaires révolutionnaires avec la même sauvagerie qu'avant le 19 juillet. La Révolution risque de payer cher l'altruisme excessif dont elle a fait preuve envers lui et ses comparses en ne les faisant pas fusiller au lendemain du soulèvement de leurs cousins les fascistes ». (…)
Tout élément de critique adressée au gouvernement ou à sa politique pouvait être assimilé à la fomentation d'un complot, selon un réflexe propre à l'époque et pas seulement en Espagne. Lors du procès d'un imprimeur clandestin du POUM, il était question de tracts où figuraient :
« (…) des manifestations attentatoires au prestige des organisations du Front populaire, de leurs représentants, du gouvernement de la république et de ses composantes, du régime et des institutions constitutionnelles, et où l'on (incitait) les masses prolétariennes à une action contre les pouvoirs légitimes qui (dirigeaient) le pays dans la lutte contre le fascisme en armes ».
La peur du complot étant un pont solide entre les professions policière et judiciaire, il suffisait que des militants fussent arrêtés en flagrant délit de distribution de tracts pour qu'ils fussent condamnés. Point besoin de convaincre un jury populaire, ou de faire appel à un autre témoin que l'agent de police, le « corps du délit » suffisait à prouver l'intention délictueuse. Finalement tout pouvait se régler entre « personnes d'ordre ».
La presque totalité des accusés furent ainsi condamnés à plusieurs années de réclusion en camp de travail, la durée variant en fonction de la teneur des tracts et de l'impression de violence qui pouvait s'en dégager. Les peines évoluaient entre six et dix ans, sans considération, à aucun moment, d'éventuelles circonstances atténuantes ou aggravantes, comme si le TEAT n'était qu'un simple prolongement de l'administration de la censure. (mais bah... pas pour longtemps, à peine une année plus tard, Franco allait mettre d'accord tout le monde et permettre finalement la fuite de la plupart des condamnés politiques de la République démocratique bourgeoise... en France dans presque les mêmes wagons que les juges républicains arrogants et leurs potes du parti stalinien).
Au-delà de la diffusion de tracts, l'existence d'une littérature clandestine pouvait servir à inculper pour « défaitisme » et condamner n'importe quel dissident considéré comme dangereux ou gênant. C'est ainsi qu'un jeune anarchiste fut condamné à 6 ans de camp pour avoir lu en janvier 1938, dans le train, un exemplaire du journal Libertad . D'après le tribunal, il était « animé de l'intention de déprimer le moral du public, de démoraliser l'armée, d'affaiblir la discipline collective et de crédit de la république à l'intérieur du pays, et (favorisait) par son procédé les machinations des fascistes qui (tentaient) de démoraliser l'arrière républicain ». De même un militant pouvait être accusé de « haute trahison » parce que l'article qu'il lisait dans le journal, pourtant légal, Frente libertario était intitulé : « L'Espagne n'est le patrimoine d'aucun parti ».












1Autrement, Madrid 1936-1939, « Entre cour et prison », extraits de Agustin de Foxa, p.123
2George Orwell, De la guerre civile espagnole à 1984, par Louis Gill, p.157
3Ibid, p.159

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