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dimanche 17 août 2014

PRESENTATION DE LA REVUE "BILAN"





Par Marc Chirik

Singulier parallélisme entre l’aboutissement de la revue de la Gauche italienne réfugiée en Belgique qui implose face à la venue de la Seconde guerre mondiale et Marc Chirik qui s’enthousiasme au moment de la chute de Franco, y voyant poindre une nouvelle vague révolutionnaire jusque dans les années 1980. Nous nous sommes trompés avec lui et avons été enthousiasmé au-delà de ce qui était raisonnable face à la capacité d’adaptation historique de la « démocratie bourgeoise » post-franquiste. Que celui qui ne s’est jamais trompé nous jette la première pierre. Et il y a tout de même un grand intérêt à relire les textes de Bilan (scannés intégralement ici) et ceux de Chirik. Ne serait-ce que pour la passion qu’ils contiennent.

JLR


Revue Internationale n°4 du C.C.I. - janvier 1976

"BILAN"

LECONS D'ESPAGNE 1936

Présentation


Depuis longtemps, nous caressions le projet de faire connaître ce que fût "BILAN", organe de la Fraction Italienne de la Gauche Communiste, publié durant la période peut-être la plus noire de l'histoire du mouvement ouvrier, cette période qui va du triomphe d'Hitler en Allemagne à la deuxième guerre impérialiste mondiale. Mais toute la force de notre désir et de notre volonté ne suffisait cependant pas pour venir à bout des difficultés rencontrées, difficultés qui pour nos faibles forces numériques et nos moyens très limités se présentaient comme insurmontables.

"BILAN", petite revue des années 30, totalement inconnue du public et à peine moins des militants d'extrême-gauche, n'ayant pas derrière elle des noms
Gilles Dauvé a eu l'heureuse initiative à l'époque de pouvoir publier chez 10-18 son excellente étude et choix de textes, j'en ai diffusé alors une cinquantaine à la réunion générale du CCI qui se tenait au même moment, regrettant que les intellos du CCI ne saluent pas à sa juste valeur le bon travail de Dauvé.
prestigieux comme Pannekoek, Trotsky, Rosa Luxembourg, n'était pas commercial et n'intéressait pas les grandes maisons d'édition ni davantage les Editions dites de gauche. Elle ne pouvait guère plus intéresser le mouvement étudiant des années 60 plongé dans la contestation et l'anti-autoritarisme, se nourrissant de Marcuse, découvrant la révolution sexuelle avec Reich, prenant comme idoles Castro et Che Guevara, se vautrant dans un racisme anti-racisme noir pourri de mystifications, de"libération nationale", de tiersmondisme et de soutien de la guerre "libératrice"du Viet-Nam. Et, en effet, que pouvaient ces S.D.S. d'Allemagne, des Etats-Unis et d'ailleurs, eux qui n'avaient qu'un léger mépris pour la classe ouvrière, totalement intégrée dans le capitalisme à les entendre, que pouvaient-ils chercher et trouver dans "BILAN" sinon des "vieilleries marxistes"comme la notion de lutte de classes et du prolétariat sujet historique de la révolution communiste. La barbe du "Che"et le sexe de Reich sont choses autrement plus attrayantes pour ces enfants révoltés de la petite-bourgeoisie en décomposition, que la prosaïque lutte de classe des ouvriers et les écrits de "BILAN" qui étaient entièrement consacrés à cela.

Plus étonnant et moins compréhensible à première vue pourrait être le silence complet du P.C.I. (bordiguiste) au sujet de "BILAN". Si "BILAN" et la fraction italienne d'avant la guerre de 1940 se réclamaient de la Gauche communiste Italienne dont ils étaient la continuation, il ne semble pas que le Parti Communiste Internationaliste (bordiguiste) fondé en Italie après la guerre veuille se souvenir de ce que fût la gauche italienne en exil après son exclusion du parti et de l'I.C. Il est aussi fier de cette fraction de gauche dans l'émigration, que l'on peut l'être d'un bâtard dans une bonne famille bourgeoise. On préfère en parler le moins possible. Pendant les 30 années d'existence de ce parti et malgré les nombreuses publications régulières, le nombre d'articles republiés de "BILAN" peut se compter sur les doigts d'un manchot. Pourquoi cela et pourquoi ce silence gêné ?
Il suffit de feuilleter un tant soit peu "BILAN" pour en saisir immédiatement la raison qui réside dans la différence d'esprit qui sépare l'un de l'autre.

Autant les "balbutiements" (comme disait "BILAN" de lui-même) de l'un se veulent et sont un examen critique des positions erronées et des analyses incomplètes ou incorrectes de la IIIe Internationale - critique vivante faite à la dure lumière de l'expérience et des défaites du prolétariat, et constituent ainsi une contribution importante à la compréhension, au dépassement et à l'enrichissement de la pensée communiste - autant l'oeuvre "achevée et invariable"du P.C.I. se veut être la "conservation". En vérité, elle se trouve engagée dans la voie d'un retour pur et simple aux pires erreurs de la IIIe Internationale (telles les questions syndicale-parlementaire-libération nationale-dictature du prolétariat identifiée à la dictature du parti, etc...) que le P.C.I. revendique intégralement en poussant l'exagération jusqu'à l'absurde.

Là où l'un s'efforçait d'aller de l'avant, l'autre marche résolument en arrière. Loin de diminuer, l'écart ne fait que s'accentuer avec les années. C'est uniquement là que réside la raison de la mauvaise volonté du P.C.I. pour ce qui concerne la réédition des écrits de "BILAN". Mais rien ne sert de désespérer. Nous sommes convaincus qu'avec le développement de la lutte de classe et l'activité révolutionnaire, "BILAN"retrouvera sa place méritée dans le mouvement et auprès des militants désireux de mieux connaître l'histoire et le cheminement de l'élaboration de la pensée révolutionnaire. Le peu que nous avons publié de "BILAN"nous a valu un nombre important de lettres de nos lecteurs insistant sur l'intérêt certain d'en publier davantage.

Pour répondre à cette demande, en attendant qu'une édition complète de "BILAN" puisse voir le jour, la Revue Internationale entreprend dès maintenant la publication d'un plus grand nombre d'articles et extraits de cette revue. Dans la mesure du possible, nous tâcherons de grouper les articles par sujet afin de donner aux lecteurs l'idée la plus complète de l'orientation, la recherche et les positions politiques pour lesquelles combattaient la gauche Communiste et la revue "BILAN".

* * *

La revue "BILAN", ce sont 46 numéros parus (1478 pages). Le premier numéro est de novembre 1933, le dernier de janvier 1938. Commencée comme"Bulletin théorique de la Fraction de gauche du parti communiste d'Italie", elle arrête sa publication pour être remplacée par la revue "OCTOBRE", organe du Bureau International des Fractions de gauche. Exclue du P.C. et de l'I.C. au congrès de Lyon en 1926, la Fraction de gauche se reconstituera au début de 1929 et publiera le journal "PROMETEO"en langue italienne et un bulletin d'information en français qui bien plus que d'information sera une publication théorique.

Etroitement mêlée au mouvement communiste international, la Fraction dans l'émigration prendra une part active dans ce mouvement surtout en France et en belgique, participera de toutes ses forces à la lutte contre la dégénérescence et les trahisons de la IIIe Internationale et de ses partis définitivement dominés par le stalinisme. A ce titre, elle sera en liaison étroite avec tous les courants et groupes de gauche éjectés tour à tour de ce que fût l'Internationale Communiste, se débattant dans un terrible désarroi et dans une immense confusion produite par l'ampleur de la déafite de la première grande vague révolutionnaire et la démoralisation qui s'en est suivie.

Une tentative de rapprochement avec l'opposition de gauche de Trotsky devait tourner court, montrant la nature d'orientations fondamentalement divergentes qui séparaient ces deux courants. Là où le trotskysme se concevait comme une simple opposition luttant pour le "redressement"et donc toujours prêt à réintégrer le P.C. en renonçant à l'existence organique autonome, la Gauche Italienne voyait une différence de principe programmatique qui ne pouvait se résoudre que par la constitution d'organismes communistes indépendants: les Fractions luttant pour la destruction "totale"du courant contre-révolutionnaire stalinien.

La discussion sur l'analyse de la situation en Allemagne, sa perspective et la position à prendre par les révolutionnaires devaient définitivement rendre incompatible tout travail en commun. Face à la menace de la montée du fascisme hitlérien, Trotsky préconisait un large "Front unique ouvrier"entre le P.C. stalinien et la social-démocratie. C'est dans ce front unique entre les contre-révolutionnaires d'hier et les contre-révolutionnaires d'aujourd'hui que Trotsky voyait la force capable de barrer la route au fascisme, effaçant ainsi le problème fondamental de la nature de classe des forces en présence et le fait que la lutte contre le fascisme n'a aucun sens pour le prolétariat, séparaée de la lutte générale de classe contre la bourgeoisie et le système capitaliste.

Jonglant avec des images"brillantes", Trotsky disait que le Front Unique pouvait se faire, même "avec le diable et sa grand-mère", démontrant non moins brillamment qu'il perdait jusqu'à la notion même de "terrain de classe" de la lutte du prolétariat. Lancé dans sa virtuosité verbale, Trotsky, sous le nom de Gourov, allait jusqu'à soutenir que: "La révolution communiste peut bien triompher même sous la direction de Thaelmann"(sic). Désormais, il devenait évident que le chemin emprunté par Trotsky devait le mener d'abandon en abandon des positions communistes vers la participation à la 2e guerre impérialiste, au nom bien entendu de "la défense de l'URSS".

Diamétralement opposé devait être le chemin de la Fraction de gauche italienne. Le désastre qu'était pour le prolétariat le triomphe du fascisme rendu possible et inévitable par les catastrophiques défaites successives du prolétariat que lui ont infligé et fait subir la social-démocratie d'abord et le stalinisme ensuite, ouvrait largement la voie à la solution capitaliste à la crise historique de son système: une nouvelle guerre impérialiste mondiale. Cette perspective, les révolutionnaires ne pouvaient la contrarier qu'en s'effortçant de regrouper le prolétariat sur son terrain de classe, en se maintenant eux-mêmes fermement sur les principes programmatiques du Communisme. Pour cela, il était de première urgence de réaliser la principale tâche consistant à soumettre à un examen critique minutieux toute l'expérience de la récente période écoulée débutant avec la grande vahue révolutionnaire qui avait interrompu la première guerre mondiale et ouvert d'immenses espoirs à la classe ouvrière pour son émancipation définitive. Comprendre les raisons de la défaite, étudier les causes, faire le bilan des acquis et des erreurs, tirer les leçons, et sur ces bases élaborer les nouvelles positions programmatiques politiques, était indispensable pour permettre à la classe de repartir mieux armée demain et donc plus capable d'affronter sa tâche historique de la révolution communiste. C'est cette formidable tâche que se proposait d'entreprendre "BILAN" - comme son nom l'indique - et c'est pour se joindre à lui pour l'accomplissement de cette tâche que "BILAN" invitait toutes les forces communistes qui avaient survécu à la débâcle de la contre-révolution.

Peu de groupes ont répondu à cet appel, mais aussi peu de groupes ont réussi à résister à ce terrible rouleau compresseur qu'était la période de réaction et de préparation à la 2e guerre mondiale. Ces groupes allaient s'amenuisant d'année en année. Toutefois, "BILAN", maintenu par le dévouement de quelques dizaines de membres et sympathisants, avait toujours, dans le cadre strict des frontières de classe, ses colonnes ouvertes à des pensées divergentes des siennes. Rien ne lui était plus étranger que l'esprit de secte ou la recherche d'un succès immédiat de chapelle et c'est pour cela qu'on trouve souvent dans "BILAN"des articles de discussion et de recherche émanant de camarades de la Gauche Allemande, Hollandaise, et de la Ligue des Communistes de Belgique. "BILAN" n'avait pas la prétention stupide d'avoir apporté une réponse définitive à tous les problèmes de la révolution. Il avait conscience de balbutier souvent, il savait que les réponses "définitives" ne peuvent être que le résultat de l'expérience vivante de la lutte de classe, de la confrontation et la discussion au sein même du mouvement. Sur bien des questions, la réponse donnée par "BILAN"restait insatisfaisante, mais personne ne saurait mettre en doute le sérieux, la sincérité, la profondeur de son effort et par-dessus tout la validité de sa démarche, la justesse de son orientation et la fermeté de ses principes révolutionnaires. Il ne s'agit pas seulement de rendre hommage à ce petit groupe qui a su maintenir ferme le drapeau de la révolution dans la bourrasque contre-révolutionnaire, mais encore d'assimiler ce qu'il nous a légué, en faisant nôtre son enseignement et son exemple, et de poursuivre cet effort avec une continuité qui n'est pas une stagnation mais un dépassement.

Ce n'est pas par hasard que nous avons choisi pour cette première publication une série d'articles se rapportant aux évènements d'Espagne. Plus qu'une analyse de la situation proprement espagnole, l'examen de ces évènements avait une portée générale et constituait la clé pour la compréhension de l'évolution de la situation mondiale des forces de classe en présence, des différentes formations politiques en leur sein et leurs forces effectives, leurs orientations et options politiques, et par-dessus tout offrait une vision crue de l'immensité de la tragédie dans laquelle était projeté le prolétariat international et le prolétariat espagnol en premier lieu.

L'Espagne est de nouveau, aujourd'hui, le centre de la situation internationale immédiate. S'il est absolument juste et nécessaire de mettre bien en évidence la différence qui sépare les évènements d'Espagne des années 30 (lesquels s'inscrivaient dans la suite d'une longue série de défaites du prolétariat tendant inexorablement à l'intégration du prolétariat dans la guerre impérialiste) de la période actuelle de reprise de la lutte et de montée de la combativité ouvrière, il n'est pas moins important de souligner ce qu'il y a de commun entre les deux situations. Ce "commun" consiste dans le rôle décisif que l'Espagne est appelée à jouer dans l'évolution de la lutte de classe du prolétariat mondial. Par un concours historique particulier, l'Espagne se trouve, pour la seconde fois, être à la charnière de deux périodes.
En 1936 - dernier soubresaut d'un prolétariat dont le massacre marquera le point culminant de la longue chaîne de défaites du prolétariat international et ouvrira toute grande la voie à la guerre mondiale.
Aujourd'hui - ouvrant la perspective de grandes convulsions sociales dans les autres pays de l'Europe. L'Espagne se trouve donc à nouveau être une plaque tournante de la situation, un point de départ, et sera probablement aussi décisive aujourd'hui pour la période à venir qu'elle le fût dans les années 30. Banc d'essai, l'espagne va servir de test de la plus haute signification. Le capitalisme mondial, et en premier lieu les 9 de l'Europe, fera peser de tout son poids son intervention dans la situation en appuyant à fond les forces de l'ordre "démocratique", seules forces aptes à faire barrage à l'irruption de la classe ouvrière. Dans cette stratégie de classe, le capitalisme fera avancer son aile gauche à la tête de laquelle se placeront les différentes forces politiques agissant dans la classe ouvrière: PC, PS et autres gauchistes. Déjà les batteries de la gauche sont mises en place et les préparatifs fiévreusement organisés.

Le prolétariat trouvera de nouveau face à lui, dans les semaines à venir en Espagne, les mêmes forces qui en 36 ont magistralement réussi à le dévoyer d'abord et à le saigner à blanc ensuite. Ces forces utiliseront à fond leur expérience acquise des évènements de 36 comme arme contre le prolétariat, arme qu'ils n'ont fait que perfectionner depuis. Leur plus grande tromperie consiste à prêcher hypocritement aux ouvriers, au nom de la "réconciliation nationale", "d'oublier le passé". C'est à dire oublier les leçons de la sanglante expérience faite par les ouvriers.

L'histoire de la lutte de classe ouvrière est jalonnée de défaites. Parce qu'inévitables, ces défaites sont la douloureuse école par laquelle le prolétariat passe obligatoirement. Dans un certain sens, et jusqu'à un certain point, elles sont la condition de la victoire finale. A travers elles, la classe prend conscience d'elle-même, de son but, de la voie qui y mène. Le prolétariat apprend ainsi à corriger ses erreurs, à reconnaître les faux prophètes, à éviter les impasses, à mieux s'organiser et mesurer plus exactement les rapports de forces à un moment donné. Classe dépourvue d'autres pouvoirs dans la société, son expérience est l'atout majeur de son pouvoir et cette expérience est constituée en grande partie des leçons assimilées de ses défaites.

"BILAN" constatait amèrement l'état d'isolement auquel il était réduit chaque jour davantage, et qu'il considérait à juste titre comme une des manifestations de la tragique défaite du prolétariat, alors que l'hystérie guerrière gangrenait de plus en plus le corps et le cerveau des ouvriers. Comme tous les grands évènements décisifs, la guerre d'Espagne ne laissait pas de place à des attitudes floues. Le choix était tranché et franc: avec le capitalisme dans la guerre ou avec le prolétariat contre la guerre. L'isolement auquel était condamné "BILAN" était alors le prix inévitable de sa fidélité aux principes du communisme et c'était aussi son mérite et son honneur, alors que tant de groupes communistes de gauche se sont laissés happer dans l'engrenage de l'ennemi de classe.

A l'encontre de"BILAN", nous avons aujourd'hui la ferme conviction qu'en reprenant les mêmes positions de classe, nous n'aurons pas à aller , mais à nous trouver dans le flot de la nouvelle vague de la révolution communiste et de pouvoir contribuer à sa montée.

Marc Chirik

PS: la compil en fac-similé peut être envoyée à quiconque en fera la demande. Sinon sur le site Smolny, les bagnards de l'historicisation du joyau de la Gauche communiste oubliée de l'histoire officielle libérale, stalinienne et anarchiste ont bien avancé dans le grandiose projet de publication de l'intégrale (l'histoire du maximalisme est un combat éditorial désormais!).

http://www.collectif-smolny.org/rubrique.php3?id_rubrique=31

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