PAGES PROLETARIENNES

dimanche 20 avril 2014

LA MYSTIFICATION DES SEL (Système d'Echange Local)



L’ENTRAIDE EST-ELLE POSSIBLE EN REGIME CAPITALISTE ?
A propos des "Systèmes d'Echange Local".

Mésaventures de la société civile en déshérence :

« Bonjour,
Vous avez participé à la réunion publique du 6 février dernier et nous vous en remercions.
Suite à cela, nous nous sommes réunis en groupe restreint afin de définir les modalités de fonctionnement du SEL en se basant sur les outils du réseau Selidaire.
L'idée étant de démarrer au plus vite les échanges avant de s'organiser en éventuelle association. Dès à présent, nous vous invitons aux permanences du SEL et à un pot de bienvenue au Centre Social CAF d'Etaples.
Permanences SEL : 1er vendredi et samedi de chaque mois (hors vacances ou sur rdv)
Horaires des Permanences : Vendredi de 13h30 à 15h et Samedi de 10h à 11h30.
Date du pot de bienvenue : le samedi 19 avril à 11h
Cordialement, L'Equipe du SEL ».

Face à l’impéritie des « pouvoirs publics » face à la désindustrialisation de régions entières, face à la croissance d’un chômage de masse étrangement individualisé, face à l’aspect le moins commenté de la misère sociale, la solitude, traduit généralement dans le langage des sociologues comme « perte de lien social », face à la corruption récurrente de toutes les équipes politiques qui se succèdent au pouvoir, face au clientélisme corporatif des divers clans syndicaux, il existe un besoin d’organiser la vie autrement dans la masse des prolétaires atomisés. Les grandes usines avec une solidarité naturelle n’ont-elles pas disparues comme roc d’une conscience sociale minimum ? Ne serait-il pas possible de recréer une solidarité « locale », de « quartier », par un Système d’Economie Locale? Par un échange non monétaire de savoirs, de compétences diverses, par une entraide entre « voisins » paupérisés ?

Pourquoi pas ? Sans avoir été intéressés par le mouvement planétaire des « indignés », vite passé de mode, il nous faut prendre en compte la permanence d’une volonté de se gérer par le bas, voire en dehors de la logique capitaliste de compétition via toutes sortes d’assocs qui suppléent ou prétendent suppléer à l’Etat d’assistance.
Smaïn Laacher, auteur d’un très intéressant article – « Les systèmes d’échange local (SEL) : entre utopie politique et réalisme économique » (auquel je vais beaucoup puiser par après) - s’appuie sur un juriste pour souligner une possible échappatoire entre utopie et réalité économique capitaliste : « Cet apprentissage politisé de la solidarité civile « entre soi » mais non pour soi, ni chacun pour soi, parce qu’il est ouvert sur le monde reste, comme le dit très justement Alain Supiot, « propice à l’invention de nouveaux types de liens sociaux, qui ne laissent personne sans foyer où s’abriter et sans marché où échanger (cf. A. Supiot, « Les mésaventures de la solidarité civile :...». •
Ce juriste Alain Supiot estime qu’il faut repenser la solidarité civile et théoriser une alternative dans le monde tel qu’il est :
« La Sécurité sociale ou les services publics qui ont été institués après guerre ont participé grandement au soutien des capacités des personnes, en rendant accessibles à tous les soins, l’enseignement, l’énergie, les transports, etc. Être fidèle à l’esprit qui a présidé à leur création consiste à les faire évoluer, et non à les figer au nom de l’intangibilité des statuts ou à les privatiser au nom de la libre concurrence. Le statu quo corporatiste et la privatisation ne sont du reste que deux formes différentes de prédation de l’État social, qui peuvent se conjuguer comme le montre le sort actuel de l’assurance maladie, qu’on laisse s’enfoncer dans la faillite financière. Car l’État social a aussi généré des effets pervers : en pourvoyant à tous les besoins, il a accéléré le démantèlement des solidarités de proximité, déjà affaiblies par l’essor du capitalisme. On n’a plus besoin par exemple de compter sur ses propres enfants pour affronter la vieillesse ni sur ses proches pour faire face aux aléas de la vie. C’est un progrès, mais cela favorise l’illusion de l’autosuffisance de l’individu. L’État devient débiteur universel face à un peuple de créanciers qui ne se reconnaissent plus comme mutuellement solidaires. En réalité, les mécanismes de solidarité anonyme (par exemple la Sécurité sociale) ne sont viables qu’enracinés dans un terreau social suffisamment riche et solidaire. Ils ne résisteraient pas à la généralisation de la solitude et du chacun pour soi. Il faut donc soutenir les multiples formes de « solidarité civile », tout en les articulant à la solidarité nationale pour éviter les repliements communautaires. Dans les années 1990, j’ai soutenu le Pacs parce qu’il comporte un engagement de solidarité. Autre exemple, les mutuelles, qui continuent d’incarner un bien commun pour leurs adhérents et pourraient jouer un rôle pivot dans la gestion des ressources de l’assurance maladie. Or au lieu de respecter leur spécificité, on s’acharne à les aligner sur le modèle de l’assurance privée. Je ne suis pas pessimiste. L’ultralibéralisme est entré dans une phase comparable aux dernières années du communisme réel : les gouvernants s’y accrochent faute de vision de rechange, mais seule une poignée d’illuminés continuent à y croire. L’avenir n’est pas écrit et le pire n’est pas certain ».
Face à la « prédation de l’Etat social » et aux « repliements communautaires » il suffirait donc d’articuler « les multiples formes de « solidarité civile » tout en les articulant à la solidarité nationale », voilà qui ressemble fort à une articulation en autarcie intellectuelle pour ne pas dire à un misérable chauvinisme de clocher, qui prétend nettoyer tout clivage de classes.
Cette théorisation petite bourgeoise conservatrice d’une misère « locale » cogérée n’est que la progéniture bâtarde de l’idéologie anarchiste dixneuviémiste de charbonnier maître chez soi et d’autoproducteur de son champ de patates, prolongée par le mouvement hippie. Avant la chute de la maison stalinienne, la décomposition mondiale du gauchisme politique avait déjà produit son cortège d’éleveurs de chèvres au Larzac ou de producteurs de produits bio un peu partout dans les pays industrialisés.
L’apparition d’un mouvement citoyen d’entraide dans les pays périphériques frappés de plein fouet par la crise en Amérique latine, en Argentine en particulier, vieille pratique dans les bidonvilles du Brésil, a semblé redonner du tonus à cette théorie petite bourgeoise. Cette notion d’entraide, tout à fait vitale dans les zones les plus paupérisées, a essaimé ensuite en Europe et en France dans les ghettos paupérisés, secrétant outre les « restos du cœur », un certain nombre d’organismes locaux permettant à nombre de militants syndicalistes et politiques de se refaire une place au soleil de la reconnaissance… civile. C’est le cas pour le sujet que nous traiterons aujourd’hui des SEL qui se définissent ainsi :
« L'intérêt fondamental d'un SEL est de favoriser le développement d'une économie solidaire et locale. Chaque membre peut profiter de biens et des services en échange de son temps (en offrant à son tour biens et services) ; or, tout le monde est riche de 24 heures par jour ! Faire partie d'un SEL permet ainsi de sortir de l'isolement, de bénéficier d'un réseau d'entraide et de prendre conscience de ce que l'on a à offrir à d'autres personnes. Contrairement au troc, on n'est pas tenu de rendre à celui dont on reçoit : cette disposition élargit les possibilités d'échanges ».

REELLE ALTERNATIVE A LA MISERE SOCIALE ET PSYCHOLOGIQUE OU NOUVELLE MYSTIFICATION DANS LE CADRE DU CAPITALISME DECADENT ?

Le mieux était d’aller voir sur place, localement. Le 6 février à Etaples sur convocation d’un projet de constitution d’un SEL nous nous retrouvons dans le local de la CAF au moins une soixantaine de personnes. Un groupe de jeunes hommes et de femmes plutôt rondes de milieu ouvrier nous initie au fonctionnement d’un SEL. Chaque corps de métier peut rendre un service gratuit qui confère une heure de travail sur un compte personnel, lequel service n’est pas échangé contre un autre tout de suite. Un électricien peut vous dépanner sans que vous lui soyez redevable d’une heure de repassage ou de conseil informatique. L’opération d’entraide est ponctuelle et ne doit pas consister en gros travaux pour ne pas tomber dans la catégorie de « travail au noir » ou de concurrence avec les artisans. Un certain nombre de participants dont Pierre, qui deviendra un ami, ancien gestionnaire d’un resto du cœur, objectent qu’il faut des statuts, en référer à la loi de 1901, qu’il faut un responsable président une secrétaire et un trésorier. Les jeunes gens assurent prendre en compte ces soucis qui sont « en cours ». Comme nous sommes à la veille des élections municipales des représentants des partis politiques officiels ramènent leur fraise et inondent le débat de leurs objections et mises en garde. Evidemment je soutiens tous ceux qui refusent toute main mise de ces sous-marins sur le collectif en constitution. On nous demande enfin de remettre nos noms et adresses emails. Pierre et moi, du fait de notre implication et expérience, sommes conviés à participer à la fondation du truc. On vous enverra une invitation.

Trois mois passent sans nouvelles. Arrive la missive citée au début de cet article. Un vulgaire pot de bienvenue. Nous décidons de nous y rendre sans prêter attention aux ambiguïtés contenues dans la missive : « groupe restreint », « éventuelle association », et des permanences déjà officialisées ( !?) en début de mois, non pas dans un lieu neutre type bistrot mais carrément au siège de la CAF.
La salle est plus petite et il n’y a qu’une dizaine de personnes en majorité des femmes. Dans le brouhaha où chacun parle à son voisin, une journaliste de la Voix du Nord pérore aux côtés d’une jeune femme qui fait circuler une pile de papiers où il faut décliner identité, profession, désirs et capacités. D’emblée je m’étonne de l’absence des principaux animateurs de la première réunion, où sont-ils passés ? On me répond qu’il s’agissait de professionnels ( ?) puis devant mon interrogation muette qu’il y a un malade. Malaise. Quelle cuisine nous cache-t-on ? De plus la réunion n’est pas organisée comme lieu de débat, personne ne préside. Je demande qu’il soit nommé un président de séance, la femme qui fait circuler les papiers tout prêts répond qu’il n’y en a pas besoin que c’est collégial… Comme j’insiste pour que la discussion soit organisée et permette un tour de table afin que chacun s’exprime, on condescend à nommer une jeune femme présidente[1]. La journaliste de la Voix du Nord nous demande de nous serrer les uns contre les autres pour la photo de circonstance. Chacun de poser avec le sourire. On reste cependant encore dans le flou. Il nous est demandé en quelque sorte de prendre un train en marche dont on ne connait ni le machiniste ni la destination. Pierre, solide colosse retraité, demande alors aux personnes qui font circuler les papiers tout prêts de se présenter. Une femme robuste répond qu’elle est citoyenne. Point barre. Les autres se taisent. Surgi du bois un chauve qui trouve la remarque de Pierre « agressive » et instille qu’il ne faut pas perdre de temps en récriminations, que la réflexion sur la loi de 1901 et le dépôt de statuts sont en cours. Pierre s’énerve : « c’est de moi que vous parlez ? Vous recommencez la réunion de février à zéro alors que c’est à ce moment-là qu’il fallait faire circuler les papiers sur les compétences de chacun, ce qui avait déjà été fait semble-t-il». Je prends alors la parole pour expliquer notre étonnement devant le fait accompli où nous avons été lanterné pendant trois mois et quand subitement on nous annonce que le train roule avec son convoi de marchandises avec journaliste locale en prime d’un torchon qui s’est salement illustré au moment de l’affaire d’Outreau. Vous voulez des petits soldats pour fonder un organisme opaque ?
La jeune distributrice réplique : « vous n’êtes que deux » ! Et moi : « mais on représente quand même 20% de la salle et les minorités ont souvent raison ». Elle demande alors aux trois hommes qui sont assis en face si la réunion leur agrée. Ils répondent par l’affirmative.
La journaliste s’en prend à moi me reprochant de ne pas être arrivé à l’heure. La jeune femme distributrice des papiers tout prêts annonce qu’elle refuse de travailler avec moi. J’objecte que ce refus de discuter et de présenter les « organisateurs » est du même type de magouille que les partis staliniens et les sectes rois du ready made. Le chauve est sorti de la salle pour aller prendre ses ordres dans la hiérarchie de la CAF. Il revient subitement et furax sur moi, intime : « vous allez quitter cette salle ! » Pauvre gars qui ne sait pas à qui il a affaire : « je partirai quand je voudrai » !
Le chauve ressort et revient aussitôt en hurlant : « en tant que responsable de la CAF je proclame cette réunion dissoute » ! Bon je me lève et convainc Pierre de venir avec moi – il voulait rester pour « voir » - nous sortons. Nous en concluons qu’autant la réunion préliminaire de février avait été marquée par l’improvisation autant celle-ci sentait la bande organisée qui avait caché de désagréables bruits de cuisine ou scissions inavouées, qui nous jouait la comédie d’une organisation déjà structurée. Enfin il en ressortait une curieuse institutionnalisation sous l’égide de la CAF d’une quête d’énergies généreuses et désintéressées, au profit de qui ? Emissaires de la mairie ? Syndicalistes locaux ? Quarteron de mémères aigries en mal de reconnaissance sociale ? Franchement nous étions dépités. Nous n’étions pas venus pour foutre le bordel mais pour que tout soit mis sur la table quand il nous apparaissait qu’on restait dans l’improvisation et le bluff comme s’il s’était agi d’une vulgaire création d’entreprise capitaliste.

RECHERCHE SUR INTERNET D’AUTRES CAS LITIGIEUX

Une autre approche des SEL en expérimentation à Abbeville dans la Somme était basée sur la réinsertion. Il s'agissait d'œuvrer à la réinsertion des publics marginalisés par la société (allocataires notamment). C'est inverser la sortie du capitalisme puisque tout est axé sur une démarche mimétique vis-à-vis des règles sociales et économiques existantes. Pour ces SEL, le travail informel était aussi un outil de maintien et de développement des compétences, ceci en vue d'une valorisation monétaire sur le marché du travail. Cette expérience avait l'aval du fisc qui permettait la défiscalisation des activités en partie rémunérées. Aujourd'hui, faute de soutien public et d'une relève capable - suite au départ du concepteur de ce S.E.L. particulier -, l'expérience n'a pas été poursuivie.
La propagande des SEL se présente ainsi en toute immodestie ::
« Le SEL est un système d’échange qui s’inscrit dans la perspective d’une alternative au système économique actuel. Par sa réflexion et ses pratiques, il participe à la transition vers une société plus juste, respectueuse des êtres humains et de l’environnement.
Adhérer à un SEL c’est :
Article 1 - Affirmer : "le lien est plus important que le bien".
Article 2 - Échanger dans le respect, l’intérêt mutuel et collectif, en développant des pratiques d’échanges. La valeur de ces échanges est basée sur le temps, exprimée en unités locales, de manière équitable, sans référence au système mercantile.
Article 3 - Révéler, reconnaître, valoriser et transmettre les savoirs, les savoir- faire et l’expérience par l’échange, la coopération, la solidarité, la réciprocité et le savoir-être.
Article 4 - Développer et expérimenter une vision transformatrice de la société, des pratiques démocratiques au sein des Sel par l’implication et la prise de responsabilités individuelle et collective.
Article 5 - S’inscrire dans une dynamique de prise de conscience de son impact sur l’environnement. Eviter le gaspillage et la surconsommation.
Article 6 - Fonctionner en toute indépendance vis-à-vis des partis politiques, des mouvements religieux ou sectaires et interdire tout prosélytisme en leur faveur. Exclure tout propos et comportement discriminatoire.
Chaque SEL est une source de développement des valeurs individuelles libérant des forces nouvelles qui prépareront une société plus juste, plus fraternelle où chacun retrouvera sa place ».
« La rencontre de l’autre vaut tout l’or du monde ». Beau comme un camion.
Un historique superficiel raconte sur wikipédia :
« En 1930 le maire de Wörgl en Autriche décidait d'émettre des bons de travail convertibles en schillings, afin de lutter contre l'endettement et le chômage. L'expérience fut interdite en 1933 par les autorités régionales et la banque centrale autrichienne. De même en 1954 à Lignières-en-Berry, en France, furent instaurés des bons d'échange pour tenter de revitaliser l'activité locale. Le premier SEL (LETS en anglais, pour Local Exchange Trading System) a été fondé au Canada, dans les années 1980. Michael Linton, écossais, qui vivait sur l'île de Vancouver, voulait ainsi aider les habitants de cette région touchée par le chômage. Il a donc proposé de créer un système basé sur le troc, dans une grande communauté, à l'aide d'une monnaie locale, le green dollar[réf. souhaitée]. L'expérience fut plutôt positive, malgré les réticences de certains éléments clés de la région. Elle a duré cinq ans, avant de s'arrêter, suite à des problèmes internes de bureaucratie trop lourde et manquant de transparence, ce qui a amené une perte de confiance des adhérents. Une vingtaine de systèmes semblables avaient cependant été lancés un peu partout en Amérique du Nord entre-temps.
Le tout premier système d'échanges en France est né au Mans en 1990 sous l'impulsion d'un entrepreneur privé, Franck Fouqueray, et de son entreprise, Trader France. Son système était baptisé Troc Temps et gérait les échanges de services entre les cinq cents adhérents grâce au minitel. Le premier SEL moderne français a été créé en 1994, en Ariège. En 1995, Toulouse  était l'une des premières grandes villes de France à voir naître un SEL. Dix ans après, il y a près de 300 SEL dans 96 départements, de tailles plus ou moins modestes (de deux à quelques centaines de membres) suivant les régions, qui permettent à plus de 20 000 personnes de procéder à des échanges. On en trouve aussi en Australie, au Japon ou en Amérique latine et bien sûr dans d'autres pays d'Europe: Belgique, Suisse,….
Le premier système d’échange local français a vu le jour en 1994, en Ariège. Il s’agit d’associations dont les adhérents, souvent voisins, échangent des biens et services selon une unité propre à chaque groupe : sourires, cailloux, prunes, pavés, pistaches… L’objectif est de permettre à tous les membres d’avoir accès, de façon égalitaire, aux biens et aux services, et de retisser des liens de solidarité. Les relations entre les SEL et les pouvoirs publics n’ont pas toujours été harmonieuses. Certains SEL, soupçonnés de remettre en cause la législation du travail en dissimulant notamment du travail au noir, ont été poursuivis en justice. Aujourd’hui, les pouvoirs publics sont conscients que les comptes de ces organisations sont transparents et, surtout, qu’ils assument une fonction de prévention de l’exclusion pour des personnes sans emploi. On recensait une cinquantaine de SEL dans les années 90, ils sont désormais plus de 300 répartis dans toute la France ».

Smaïn Laacher a réalisé une étude assez pertinente  -Les systèmes d’échange local (SEL) : entre utopie politique et réalisme économique ». Extraits :
« Les systèmes d’échange local sont l’un des derniers espaces de fabrication de « liens sociaux ». Trop souvent les questions à leur propos ont été de nature économiciste : rôle économique de la monnaie, valeur monétaire des biens et services échangés, etc. Quant à la presse, sa préoccupation fut surtout de savoir si les SEL n’étaient pas plutôt des espaces de « travail au noir » ou, version plus digne mais plus archaïque, des lieux ou se pratiquait le « troc ». Ce qui s’expérimente avec ces micro-économies est bien plus la recherche complexe et aléatoire d’un sens du juste dans les transactions fondées sur une « monnaie équitable ». Les systèmes d’échange local français ont une double filiation : l’une liée aux utopies socialistes, l’autre raccordée à des expériences de « monnaies alternatives » qui ont eu lieu principalement aux USA dans les années soixante.

Les SEL français : une double filiation

« Commençons par la première. Les LETS et les SEL ont une préhistoire qui trouve son origine dans une longue tradition d’utopie révolutionnaire (Marx, Fourier, Proudhon, Owen, Gesell pour ne citer que les principaux théoriciens), pour qui le changement social passait par un travail de domestication du pouvoir insolent de l’argent, par une volonté d’inverser les liens de subordination entre l’économie et le politique. Dans les deux cas l’utopie est la même : c’est au politique de gouverner les besoins fondamentaux des populations et non aux « puissances financières » d’imposer leurs « lois », celles de l’argent et du marché. Ce sont les secondes qui doivent être contrôlées par les premières et non l’inverse ».
« Les SEL ont vu le jour dans des pays capitalistes développés dont une partie de leur population s’est appauvrie. Mais, à la différence des temps qui ont précédé la période de l’État-social ces populations sont, dans leur grande majorité, pourvues de droits et de protections. Comme leur dénomination l’indique, les SEL ne déploient leur utopie que « localement » et inscrivent leurs actions dans une politique de territorialisation des problèmes sociaux. C’est en cela qu’ils sont des vecteurs de politisation du local. Mais sans aucun doute la filiation proprement politique des SEL français remonte aux nombreux mouvements contestataires hippies qui ont eu lieu sur les campus californiens, dans les années soixante. La critique politique portait alors sur la « société de consommation » et le refus de la guerre au Viêt-Nam. Mais la velléité des « communautés alternatives » de l’époque de décrocher du système marchand et de l’idéologie du travail salarié ne signifiait pas une rupture avec l’activité économique et le « travail communautaire ». C’est en leur sein que sont apparues des « monnaies parallèles » dont l’utilité était, avant tout, d’ordre pratique : être une mémoire des échanges ou une trace comptable des transactions. Ces monnaies n’étaient pas investies d’une charge subversive contre le désenchantement de l’argent froid et des rapports marchands. En un mot, elles n’étaient pas l’expression théorisée d’une critique politique du capitalisme. Les groupes les plus politisés, en particulier les libertaires, se sont d’ailleurs, pour un grand nombre d’entre eux, « reconvertis » dans l’agriculture biologique ou l’activité artisanale (travail du cuir, etc.) ».
« Ainsi, Les premiers groupes ayant été les plus attentifs à ces expériences étrangères, au milieu des années quatre-vingt dans le Lot-et-Garonne et en Ariège, étaient ceux qui étaient les plus proches de l’idéologie et de la culture « hippie » et écologiste, ainsi que ceux qui avaient été activement partie prenante des mouvements contestataires dans les années soixante-dix. Ce sont, précisément, ces ressources technico-politiques et symboliques qui ont été mises au service du premier SEL ariégeois. Des militants écologistes et des groupes comme Alliance paysanne et ouvrière, dont la mémoire et l’identité s’étaient constituées au fil des luttes sociales (refus de l’extension du camp militaire au Larzac, mouvement antimilitariste, objection de conscience, antinucléaire, investissement dans l’humanitaire, « développement durable », équité et égalité économique dans les rapports Nord-Sud, etc.), ont pu convertir une expérience accumulée en investissant et en s’investissant en nombre dans ces nouveaux pôles de contestation légitime que sont les SEL. Ceux-ci ont indéniablement permis de construire une sorte d’aggiornamento, rendu nécessaire par l’état des rapports de force politiques et intellectuels dans la société française, en permettant aux premiers et nombreux militants écolo-libertaires de s’approprier des pratiques alternatives plus universelles, moins idéologiques, sans rien renier de leur passé et des valeurs qui avaient été les leurs au temps des « grandes luttes ».
 Critique de la monnaie « capitaliste » ?
« Leur originalité réside en ceci que leur critique porte non pas, pour schématiser, sur les politiques de l’emploi, mais sur la vocation de l’argent et les conditions politiques de sa circulation. Qu’est-ce que l’argent dans une société inégalitaire, à quoi doit-il servir et qui doit décider de ses modalités de création et de sa distribution ? Voilà, pour les SEL, les interrogations premières. C’est à partir d’une critique radicale de l’usage capitaliste de l’argent, comme fin en soi, thésaurisable et instrument d’exploitation, que s’esquissent toute une série de redéfinitions touchant à des pratiques comme l’intérêt, le crédit, la circulation monétaire, les rapports de confiance économique, les principes d’équivalence entre les services et les biens, etc. Plus largement, les SEL offriraient la possibilité à chacun, indépendamment de son statut, de sa condition et de ses opinions, d’expérimenter de nouvelles formes de relations sociales au sein d’une économie non monétaire reposant, pour l’essentiel, sur la circulation et l’échange de biens symboliques. Une sorte d’économie enchantée débarrassée des pouvoirs iniques de l’argent et des rapports marchands. Il nous semble que ce discours peut être qualifié d’idéologie équivoque. La coexistence d’intérêts et d’attentes parfois très différents au sein d’une même structure (entre par exemple un militant politique, une personne cherchant à rompre la solitude affective et un adepte du new-age) ne peut se maintenir et n’être maintenue qu’au prix d’un accord largement implicite sur l’indétermination de la vocation des SEL ou, ce qui revient au même, sur une multiplicité de définitions jugées aussi légitimes les unes que les autres. L’inclination collective à préserver cette ambivalence structurale s’organise autour d’un certain nombre de valeurs et de principes (la tolérance, le respect, la confiance, l’égalité des échanges, l’entraide, la controverse pacifique, etc.) qui, aussitôt qu’ils sont évoqués, sonnent comme autant de rappel à l’ordre à une philosophie commune ».

DES «  BONS » QUI N’ONT RIEN A VOIR AVEC CEUX QUE MARX IMAGINAIT POUR LA PERIODE DE TRANSITION AU COMMUNISME (intertitre de JLR):

« Les SEL ont de nombreux points communs. Ils sont juridiquement organisés en association de droit ou de fait et sont adhérents à la Charte des SEL qui codifie la philosophie générale et signe leur appartenance à un même « esprit » ou, ce qui revient au même, à une même « éthique des échanges ». La publicité des transactions s’opère à l’aide d’un catalogue des ressources où sont consignés les offres et les demandes de chaque adhérent. Dans leur grande majorité, les SEL matérialisent leurs transactions et leur comptabilité par un système de bons, appelés « bons d’échange », et organisent périodiquement des bourses locales d’échanges. Mais à y regarder de plus près, les différences qui apparaissent ne peuvent pas être réduites seulement à des modes d’organisation spécifiques. Elles sont liées, pour les plus fondamentales d’entres elles, à la tentative d’introduire la plus grande équité possible dans les échanges ».
« Le SEL de Paris, qui est né en mars 1996, compte aujourd’hui environ quatre cents adhérents. Il est, à notre connaissance en France, le SEL le plus important en nombre d’adhérents. Étant donné l’ampleur du travail à effectuer quasi quotidiennement, les responsables ont jugé « nécessaire » l’embauche d’une personne en contrat emploi solidarité. Le piaf est le nom de la monnaie locale. Un piaf est égal à un franc. Mais, presque toujours, les biens et les services auxquels on accède avec cette monnaie valent « moins cher que sur le marché ». Les échanges se font de gré à gré. C’est indéniablement ce qui caractérise la politique monétaire du SEL de Paris : les prix sont libres, c’est-à-dire qu’il est officiellement recommandé de « négocier » et de « marchander » la valeur des biens et des services. L’association n’intervient pas dans les échanges. Il se peut que des adhérents, à titre individuel, préfèrent lors de leurs transactions pratiquer, essentiellement dans le domaine des services, l’échange fondé sur la « valeur-travail » (1 heure = 1 heure). Cette pratique est tout à fait tolérée mais elle reste minoritaire ».
« Le SEL de Caen a, quant à lui, été créé en 1997. Il compte aujourd’hui cent trente-cinq adhérents. La monnaie locale s’appelle le grain de sel. Dans ce SEL, « il est fortement conseillé, nous dit un de ses responsables, de pratiquer le 1 heure égale 1 heure. C’est conseillé mais ce n’est pas imposé, les gens peuvent négocier […] Si un bon d’échange arrive avec une heure pour plus de deux cents grains, on ne va pas le refuser. Du moment qu’il y a eu accord des deux personnes et que ç’a été signé, il n’y a pas de problème ». Pas de règle imposée mais un mode de régulation dominant : celui de la « monnaie-travail ». Le principe est le suivant : une heure égale une heure quel que soit le service échangé. Ainsi, l’heure passée à faire les carreaux vaut le « même prix » qu’une heure d’expertise fiscale. Seules les transactions de biens matériels échappent à cette obligation morale. La valeur des produits (périssables ou non) est laissée à l’appréciation des contractants. Elle fait l’objet d’une « négociation » de gré à gré. Ici, comme d’ailleurs dans les deux autres SEL étudiés, la communauté des adhérents peut fixer directement la définition légitime du mode de régulation des échanges : le gré à gré fixant librement le prix de la transaction ou la « monnaie-travail » qui impose soit un prix de l’heure, soit une « fourchette » à ne pas dépasser, par exemple entre 50 et 70 grains de l’heure.
« Le SEL de Saint-Quentin-en-Yvelines est né en 1996 et compte à ce jour cent cinquante adhérents. Sa monnaie locale est le pavé. Il a à l’évidence un statut quelque peu particulier au sein de la « mouvance des SEL » et du même coup se différencie des SEL de Paris et de Caen. Non pas tant dans le mode de fixation des prix des transactions. Le statut particulier du SEL de SQY tient principalement dans le choix de la monnaie fondante comme seule politique monétaire susceptible à la fois « d’accélérer les échanges » et de pratiquer une « politique de relance ». Cette politique monétaire, la première tentée dans un SEL en France, a été initiée par Armand Tardella président du SEL de SQY en janvier 1997. Il vaut la peine de s’arrêter un instant sur cette expérience, souvent citée comme un exemple d’innovation. Après un an environ de fonctionnement, un constat sans appel s’imposait à tous : les personnes dont le compte était « négatif » n’osait pas entrer dans le cycle des échanges. On offrait mais on sollicitait peu, voire pas du tout. Le seul processus qui était privilégié par beaucoup était celui de l’accumulation primitive de pavés. Face à cette « peur d’échanger quand on est en découvert », le président a proposé deux mesures « radicales » pour lutter contre cette « inhibition ». Tout d’abord, le versement à chacun et à tout nouvel adhérent de mille pavés (équivalent de mille francs) ; ensuite un « prélèvement » mensuel de 3 % sur les soldes positifs à titre de « cotisation solidaire » pour alimenter le « compte commun » en remplacement de la cotisation annuelle. Au bout d’une année, la « peur d’échanger » avait largement diminué et le volume d’échange a été multiplié par 3,5. Pour le SEL de SQY, ces mesures approuvées par une très grande majorité d’adhérents ne remettent pas en cause l’équité dans les échanges puisque ce qui est « taxé », ce ne sont pas les montants des transactions, ou la liberté de fixer soi-même la valeur des choses, mais les avoirs monétaires, les crédits. Ces mesures incitent les personnes à ne pas thésauriser et, c’est peut-être plus inattendu, à échelonner les paiements (en pavés) de transactions financièrement importantes (« achat » d’un ordinateur, d’une télé, etc.). Par ailleurs, et comme pour renforcer davantage l’implication de chacun dans le bien commun, les pavés ainsi collectés sont mobilisés pour deux types d’activités fondamentales : la rémunération liée au fonctionnement quotidien du SEL et la confection de projets fédérateurs, par exemple la mise en place d’une épicerie-sel ».

Un relais pour l’équité et la solidarité ?

« Avec les SEL de Paris et de Caen, nous sommes dans une logique d’équité (le gré à gré n’est censé léser personne et la monnaie-travail – toujours conseillée mais jamais imposée sauf à de rares exceptions – réduit la part d’arbitraire dans la négociation), mais aussi de responsabilité, en se refusant par exemple d’intervenir directement, comme dans le cas de la monnaie fondante, dans le cycle des échanges. Les fondateurs et responsables de ces deux SEL ont sans aucun doute, par leur surinvestissement dans cette expérience, leur incontestable charisme, leur culture et leurs choix politiques et idéologiques, ainsi que leur connaissance des « mouvements alternatifs », imprimé leur identité aux SEL auxquels ils appartiennent. Par ailleurs, et cette position politique est essentielle, dans les deux cas, il n’est nullement question de remettre en cause la dimension locale des échanges. Celle-ci doit être coûte que coûte préservée et les échanges doivent toujours se dérouler dans un espace d’interconnaissance maîtrisée par tous. L’ambition n’est donc pas de construire une « économie alternative », ni de faire des SEL un marché autosuffisant à côté de l’économie officielle.
« À la lumière de ce que nous venons de dire, il est possible d’avancer que les SEL constituent une sorte de structure d’expérimentation équivoque. Ce sont, nous semble-t-il, des formes organisées d’insoumissions cognitives, ou des espaces de rétivité qui se sont glissés dans les interstices des structures sociales, déployant leur logique et leur efficacité propres entre deux autres systèmes auxquels ils sont organiquement liés, le système de solidarité sociale garanti par l’État et le système de solidarité locale qui se manifeste dans le principe de subsidiarité (transferts des pouvoirs vers les niveaux les plus bas et droit d’accès aux espaces publics où se confectionnent et sont mis en délibération les projets liés à un territoire et à des populations donnés). Tout se passe comme si les SEL avaient pour fonction de relayer la solidarité nationale, tout en s’appuyant sur elle, afin d’accroître et d’élargir l’espace de la solidarité locale. Si les SEL ne mettent nullement en cause, ni en activités ni en projets, la structure des inégalités sociales et l’ordre symbolique qui lui est attaché, c’est parce qu’au fond ils empruntent, dans la construction de leur stratégie, de leurs instruments économiques et leur architecture des liens sociaux, de nombreux traits des grandes instances régulatrices des pratiques. Ils empruntent à la solidarité étatique (au don forcé) quand, par exemple, ils créent de la monnaie fondante reposant sur une « cotisation solidaire » dont le principe se fonde sur la dialectique du « prélèvement » et de la « redistribution » ; cette remarque vaut bien évidemment pour les groupes qui ont institué un « revenu SEL ». Ils empruntent à la solidarité locale sa dimension délibérative (ou de délibérations collectives entre plusieurs partenaires sociaux) et sa gestion territorialisée des problèmes sociaux et économiques. Comme pour la solidarité locale, les SEL sont autant « d’espaces de choix publics » dans lesquels sont débattus la vie en commun, les rapports entre les groupes, leur place dans la société, etc. Enfin, ils empruntent à l’économie officielle, au marché, la relative liberté des prix avec la particularité suivante : dans la majorité des SEL, ceux-ci sont associés à la qualité des personnes, à leur « appréciation », à leur pouvoir de « négociation », en un mot à leur capacité de se faire valoir à la hausse ou à la baisse. Mais, et c’est peut-être là que se situe la profonde originalité de cette expérience, ces emprunts de structures font l’objet d’un travail collectif de détournement pour les transférer dans les espaces sociaux où serait supposée possible la (dé)-négation de l’économie monétaire afin de les transformer en vertus sociales et politiques dénuées de domination symbolique. Cet apprentissage politisé de la solidarité civile « entre soi » mais non pour soi, ni chacun pour soi, parce qu’il est ouvert sur le monde reste, comme le dit très justement Alain Supiot, « propice à l’invention de nouveaux types de liens sociaux, qui ne laissent personne sans foyer où s’abriter et sans marché où échanger [2]  A. Supiot, « Les mésaventures de la solidarité civile :...»[2]. •

UNE OREILLE ATTENTIVE AUX UTOPIES SOUS-JACENTES A LA SOCIETE CAPITALISTE DANS LE CAMP MAXIMALISTE

J’ai lu avec intérêt deux articles du CCI sur cet étrange questionnement social sur leur site. Le premier « L'utopie ne mène pas à la lutte: la recherche de la vérité offre une perspective », où un rédacteur de ce groupe internationaliste baignant dans les vaticinations petites bourgeoises des « indignés » prend pour référence Sander journaliste très impliqué dans les réseaux bobos modernistes; ce journaliste avait été éjecté  du CCI dans les années 80 pour son « conseillisme ». Où il apparait que ces diverses luttes « sociétales » - où des prolétaires luttant pour leur survie se voient pourtant en général floués par une floppée « d’organisateurs » professionnels petits bourges qui psalmodient la solution réformiste hippie de la démerde « ici et maintenant » tout en laissant croire que ce sont les premiers pas du « grand soir ».
Publié par Internationalisme le 3 March, 2014 - 23:03
« Ces dernières années, de plus en plus nombreuses sont les voix qui s’élèvent pour mettre en avant des revendications encore plus radicales et rechercher une solution pour une transformation plus fondamentale de la société. Les mouvements de lutte de ces dernières années (Occupy, Indignés, etc.) ont mis en évidence que des revendications partielles en tant que telles, des revendications sur des terrains particuliers de la société, bien qu’elles peuvent constituer un point de départ pour la lutte, sans suite et sans extension dans et par la lutte, se brisent tôt ou tard. Un texte signé Sander du KSU (1), tente de formuler une réponse à cette question.
Viser les réformes semble, à première vue, plus réaliste, mais il vaut la peine de lutter pour une société qui est entièrement comme tu l’imagines. En revendiquant des réformes, on risque d’affaiblir la lutte une fois que les revendications ont été satisfaites. (…) Des causes sous-jacentes (…) sont faciles à reprendre à leur compte par des parties modérées qui ensuite récupèrent la résistance. Quand par contre, on lutte pour une toute autre société (…) alors il est possible sur cette base de davantage développer, parce que le but final dès le début est une société totalement différente et ainsi on peut continuer vers ce qu’on vise véritablement”. (Sander van Lanen; KSU). Et Sander n’est pas le seul qui constate que poser des "revendications réalistes" ne favorise pas le combat. D’autres voix également font un plaidoyer pour radicaliser les revendications (…) “Les dernières années m’ont appris que beaucoup de gens entre temps savent qu’un changement radical est inévitable. Les crises sociales, écologiques et économiques ne peuvent pas être résolues par un ‘business as usual’. Les conceptions existantes ont mené vers les crises et ne peuvent être employées pour les résoudre. ” (Martijn Jeroen van der Linden, économe d’entreprise, Hoogeveen) ».
Pourquoi ne pas dire clairement qu’en réalité c’est le marasme idéologique qui prédomine, que les aigreurs d’estomac de la petite bourgeoisie et ses solutions de « solidarité locale » sont du pipeau et nullement un marchepied pour une révolution non pas civile mais prolétarienne ! Que c’est la rupture avec le système qui est la finalité à condition que la classe ouvrière mène le bal sans quoi la misère sera sans fin.
Plus intéressant est le second article : « Après la Seconde Guerre mondiale: débats sur la manière dont les ouvriers exerceront le pouvoir après la révolution ». L’article montre que les prolétaires n’ont rien à pouvoir gérer localement dans le système actuel qui étouffe toute initiative. Et nous y relevons surtout la référence à Bordiga qui ne s’embarrasse pas avec les aigreurs d’estomac ou les lubies de la petite bourgeoisie.
Publié par ICConline le 29 January, 2014 - 22:40
« (…) Le texte de Bordiga "Force, violence et dictature dans la lutte de classe" (1946)  semble sous bien des aspects tomber dans des erreurs symétriques à celles de Pannekoek. La force de ce travail est de réaffirmer contre l'hypocrisie pacifiste du consensus "démocratique" qui incluait le parti communiste stalinien – et avait émergé sur la base du plus grand massacre de l'histoire de l'humanité – les bases de classe de la révolution qui était à l'ordre du jour de l'histoire, et la nécessité pour le prolétariat d'avoir recours à la violence organisée dans le renversement du régime capitaliste et l'établissement de sa propre dictature politique Bordiga mettait l'accent sur l'inévitabilité d'une guerre civile, d'un État transitoire pour écraser la résistance de la classe dominante, et d'un parti communiste pour exprimer et défendre les buts du communisme contre les confusions et les hésitations inévitables existant dans la classe.
Bordiga comprenait aussi l'importance historique des organes du type soviets ou conseils :
"Les conseils sont effectivement à la base des organes de classe et non pas, comme on l’a cru, des combinaisons de représentations corporatives ou professionnelles ; donc ils ne présentent pas les limitations qui affectent les organisations purement économiques. L’importance de ces conseils réside pour nous avant tout dans le fait qu’ils sont des organes de lutte et c’est en nous reportant à l’histoire de leur développement réel, et non à des modèles fixes de structure, que nous cherchons à les interpréter.
Ce fut donc un stade essentiel de la révolution que celui où les Conseils se dressèrent contre la Constituante à type démocratique qui venait d’être élue et où le pouvoir bolchévique dispersa par la force l’assemblée parlementaire réalisant le mot d’ordre historique génial de “Tout le pouvoir aux soviets”.En même temps, Bordiga mettait en garde contre le danger de transformer en fétiche les majorités démocratiques issues de ce type d'organes :
"Mais tout ceci ne suffit pas à nous faire accepter l’opinion qu’une telle représentation de classe une fois constituée, et mise à part la fluctuation en tous sens de sa composition représentative, il soit permis d’affirmer qu’à n’importe quel moment de la lutte difficile conduite par la révolution à l’intérieur et à l’étranger, la consultation ou l’élection des Conseils soit un moyen commode de résoudre à coup sûr toutes les questions et même d’éviter la dégénérescence contre-révolutionnaire. Cet organisme décrit un cycle très complexe qui, dans l’hypothèse la plus optimiste, doit se conclure par sa disparition en même temps que l’État dépérira. Mais pour cette raison même, il faut admettre que le mécanisme du Soviet tout comme il est susceptible d’être un puissant instrument révolutionnaire, peut aussi tomber sous des influences contre-révolutionnaires. En conclusion, nous ne croyons à aucune immunisation constitutionnelle contre ce danger, qui se trouve uniquement dépendre du développement intérieur et mondial du rapport des forces sociales." (Idem)

La tâche peut paraître incommensurable mais il n’en est pas d’autre qui conduise à la rupture avec le système que cette violence de classe face au cynisme total dominant et contre tous les accommodements du quotidien. Les organismes de classe seront confrontés évidemment, comme aujourd’hui, à toute une ribambelle de professionnels du « ready made » avec comités pré-constitués, secrétaires auto-désignés avec statuts prédéfinis et journalistes invités, mais une vague puissante, si elle est puissante, ne pourra que balayer les représentants du vieux monde.


[1] C’est le b a ba de toute réunion publique digne de ce nom afin qu’un tel type de réunion n’implose pas en vulgaire banquet de mariage. Les anarchistes eux-mêmes qui se moquent de nommer un président de séance y ont recours à leur façon. Lors de la réunion à Lille organisée par l’OCL et la Mouette enragée en soutien aux ouvriers de PSA,  j’avais aussi demandé un président de séance afin de mieux ordonner les débats, on m’avait ri au nez en arguant que cela n’était pas nécessaire et que la discussion pouvait se mener « naturellement » (on n’est pas léniniste…) et de fait, c’est le principal chefaillon de l’OCL qui avait cornaqué le débat.
[2] Laacher Smaîn, « Les systèmes d'échange local (SEL) : entre utopie politique et réalisme économique », Mouvements 1/ 2002 (no19), p. 81-87URL : www.cairn.info/revue-mouvements-2002-1-page-81.htm. DOI : 10.3917/mouv.019.0081

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