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jeudi 13 mars 2014

LA QUESTION ISLAMOPHILE[1]



L'affiche islamophile heureusement refusée par la RATP
(Première partie)

Les Arabes musulmans réclament l’émancipation de leur religion. Quelle émancipation réclament-ils ? L'émancipation totale policière de la société civile.
Bruno Askolovitch n’a pas osé leur répondre ceci : En France, personne n'est politiquement éman­cipé. Nous-mêmes ne sommes pas libres. Comment pourrions-nous vous libérer ? Vous êtes, vous autres Arabes, des égoïstes, vous réclamez pour vous, parce que vous êtes musulmans, une émancipation particulière. Vous devez travailler, en votre qualité de français, à l'émancipation industrielle de la France, et, en votre qualité d'hom­mes, à l'émancipation humaine. Et l'espèce particulière de votre oppression et de votre avilissement, vous devez la ressentir, non pas comme une exception à la règle, mais plutôt comme ce qui la confirme.

Ou bien les Arabes  demandent-ils à être assimilés aux sujets laïcs ? S'ils recon­nais­sent l'État bourgeois comme fondé en droit, ils reconnaissent le régime de l'asser­vis­sement général. Pourquoi leur joug spécial leur déplaît-il, si le joug universel leur plait ? Pourquoi le français s'intéresserait-il à l'émancipation du musulman, si le musulman  ne s'intéresse pas à l'émancipation de l'Arabe ?
L'État bourgeois ne connaît que des privilèges. L’Arabe  musulman possède en lui-même le privilège d'être musulman. Il a, en tant que musulman , des droits que les laïcs n'ont pas. Pour­quoi réclame-t-il des droits, qu'il n'a pas et dont jouissent les laïcs ?
En réclamant ses prérogatives musulmanes de l'État bourgeois multiculturaliste, il demande que l'État bourgeois renonce à son préjugé laïc. Et lui, l’Arabe , renonce-t-il à son préjugé religieux ? A-t-il donc le droit de demander à un autre d'abdiquer sa position politique sécularisée ?
L'État bourgeois ne peut, de par son essence, émanciper l’Arabe . Mais, ajoute Askolovitch, l'Arabe  ne peut, de par son essence, être nationalisé « l’inquisition laïque dans les assiettes mahométanes de France »). Aussi longtemps que l'État reste laïc et tant que l’Arabe  reste musulman, tous deux sont aussi peu capables, l'un de donner la naturalisation, l'autre de la recevoir : « Nous tentons au quotidien de vous expliquer notre religion, mais cela ne vous intéresse pas » p.37.

À l’égard des Arabes musulmans, l'État bourgeois ne peut avoir que l'attitude de l'État bourgeois. Il doit, par manière de privilège, autoriser que l’Arabe croyant soit isolé des autres sujets; mais il doit ensuite faire peser sur cet Arabe  l'oppression des autres sphères, et cela d'autant plus durement que l’Arabe croyant  se trouve en opposition religieuse avec la politique dominante. Mais l’Arabe  ne peut, de son côté, avoir à l'égard de l'État qu'une attitude de musulman , c'est-à-dire d'étranger : à la nationalité véritable, il oppose sa nationalité chimérique, et à la loi, sa loi illusoire coranique; il se croit en droit de se séparer du reste de l'humanité; par principe, il ne prend aucune part au mouvement historique et attend impatiemment un avenir qui n'a rien de commun avec l'avenir général de l'homme car il se considère comme un membre du peuple Arabe  et le peuple musulman  comme le peuple élu.

À quel titre, Arabes , demandez-vous donc la naturalisation ? A cause de votre reli­gion ? Elle est l’ennemie mortelle de la laïcité d'État. En tant que citoyens ? Il n'y a pas de citoyens selon la charia. Parce que vous êtes hommes ? Vous n'êtes pas des hommes, pas plus que ceux à qui vous faites appel.
Askolovitch a donné à la question de la naturalisation arabe une position nouvelle, après avoir fait la critique des anciennes positions et des anciennes solutions de la question. Quelle est, demande-t-il, la nature du musulman  qui doit être émancipé, et quelle est la nature de l'État laïc qui doit émanciper ? Il répond par une critique de l’islamophobie, il analyse l'opposition des quartiers où vivent ses amis entre la foi coranique et le ghetto multiracial, il nous explique l'essence de l'État raciste, et tout cela avec hardiesse, netteté, esprit et profondeur et dans une langue aussi précise que solide et énergique.
Comment Askolovitch résout-il donc la question musulmane ? Quel est le résultat ? La for­mu­lation d'une question est sa solution. La critique de la question musulmane est la réponse à la question musulmane. Voici le résumé :
Il faut nous émanciper nous-mêmes, avant de pouvoir émanciper les autres.
La forme la plus rigide de l'opposition entre l’Arabe  et le citoyen, c'est l'opposition religieuse. Comment résout-on une opposition ? En la rendant impossible. Comment rend-on impossible une opposition religieuse ? En supprimant la religion. Dès que l’Arabe  et le citoyen ne verront plus, dans leurs religions respectives, que divers degrés de développement de l'esprit humain, des « peaux de serpent » dépouillées par le serpent qu'est l'homme, ils ne se trouveront plus dans une opposition religieuse, mais dans un rapport purement critique, scientifique, humain. La science constitue alors leur unité. Or, des oppositions scientifiques se résolvent par la science elle-même.
A l’Arabe  français, notamment, s'oppose le manque d'émancipation politique en général et le multiculturalisme prononcé de l'État. Mais, dans le sens d’Askolovitch, la question musulmane a une signification générale, indépen­dante des conditions spécifique­ment françaises. Elle est la question des rapports de la religion et de l'État, de la contradiction entre la prévention religieuse et l'émanci­pa­tion politique. S'émanciper de la religion, voilà la condition que l'on pose aussi bien à l’Arabe, qui demande son droit de vote, qu'à l'État, qui doit émanciper et être lui-même émancipé.
« Bien, dit-on, et l’Arabe  le dit lui-même; mais l’Arabe  ne doit pas être émancipé parce qu'il est musulman , parce qu'il possède un principe moral excellent et universellement humain; l’ Arabe  prendra plutôt rang derrière le citoyen et sera citoyen, bien qu'il soit musulman  et doive rester Arabe . En d'autres termes, il est et reste Arabe , bien qu'il soit citoyen et vive dans des conditions universellement humaines : sa nature arabe et limitée rem­porte toujours et en dernier lieu la victoire sur ses obligations humaines et politiques. Le préjugé subsiste néanmoins bien que sa nature soit débordée par des principes généraux. Mais, s'il en est ainsi, elle déborde au contraire tout le reste. »
- « Ce n'est que dans un sens sophistique et d'après l'apparence que, dans la vie politique, l’ Arabe  pourrait rester musulman ; par conséquent, s'il voulait rester musulman , l'appa­rence serait donc l'essentiel et remporterait la victoire; autrement dit, la vie de l’Arabe  dans l'État ne serait qu'une apparence ou une exception momentanée à l'essence et à la règle»
Voyons d'autre part comment Askolovitch fixe la mission de l'État :
« Pour ce qui est de la question musulmane, la France, dit-il, nous a donné récemment , - ainsi qu'elle le fait du reste constamment dans toutes les autres questions politiques depuis la révolution de juillet - le spectacle d'une vie qui est libre, mais qui révoque sa liberté dans la loi et la déclare donc une simple apparence, tandis que, d'autre part, elle réfute sa loi libre par ses actes. » (La Question arabe, p. 64.)
« En France, la liberté universelle n'est pas encore érigée en loi, et la question arabe n'est pas résolue non plus, parce que la liberté légale - c'est-à-dire l'égalité de tous les citoyens - est restreinte dans la vie encore dominée et morcelée par les privilèges religieux, et parce que la liberté légale reflète cet asservissement de la vie dans la loi : elle contraint à sanctionner la distinction des citoyens naturellement libres en opprimés et oppresseurs. » (La Question arabe, p. 65.)

Quand donc la question musulmane serait-elle résolue pour la France ?

« L’Arabe, par exemple, aurait vraiment cessé d'être musulman, si sa loi ne l'empêchait pas de remplir ses devoirs envers l'État et ses concitoyens, d'assister le jour de la prière aux séances de la Chambre des députés et de prendre part au débat public. Il faudrait, du reste, supprimer tout privilège religieux, donc également le monopole d'une église privilégiée; et si d'aucuns ou même la très grande majorité croyaient encore devoir remplir des devoirs religieux, cette pratique devrait leur être abandonnée comme une affaire d'ordre absolument privé. » (La Question arabe, p. 65.)
- « Il n'y aura plus de religion, le jour où il n'y aura plus de religion privilégiée. Retirez à la religion sa puissance exclusive, et elle n'existera plus. » (La Question arabe, p. 66.) - « M. Martin du Nord a vu, dans le projet de ne pas faire mention du dimanche dans la loi, la proposition de déclarer que la bigoterie avait cessé d'exister; au même titre (et ce droit est absolument fondé), déclarer que la loi du coran n'oblige plus l’Arabe  reviendrait à proclamer que c'en est fait de l'existence de la religion musulmane. » (La Question arabe, p. 71.)
Askolovitch exige donc, d'une part, que l’Arabe  ne renonce pas au coran et l'homme, somme toute, à la religion, pour être émancipés civiquement. Et, d'autre part, en conséquence logique, il considère la suppression politique de la religion comme la suppression de toute religion. l'État, qui présuppose la religion, n'est pas encore un État réel et véritable. « Évidemment, la représentation religieuse donne des garanties à l'État. Mais à quel État ? A quelle espèce d'État ? » (La Question arabe, p. 97.)

C'est ici que nous voyons que Askolovitch ne considère la question musulmane que d'un côté.
Il ne suffisait nullement de se demander : Qui doit émanciper ? Qui doit être éman­cipé ? La critique doit se poser une troisième question. De quelle sorte d'éman­ci­pation s'agit-il ? Quelles conditions sont fondées dans l'essence de l'émancipation réclamée ? La critique de l'émancipation politique n'était elle-même que la critique finale de la question musulmane et sa véritable résolution en la « question générale de l'époque ».
Parce qu'il n'élève pas la question à cette hauteur, Askolovitch tombe dans des contra­dictions. Il pose des conditions qui ne sont pas fondées dans l'essence de l'émanci­pation politique. Il soulève des questions qui ne rentrent pas dans son problème, et il résout des problèmes qui laissent subsister sa question intacte. Quand Askolovitch dit des adversaires de l'émancipation arabe : « Leur unique faute n'était que de supposer que l'État bourgeois était le seul vrai et de ne pas le soumettre à la même critique que celle qu'ils adressaient au coran. » (Ibid...), nous voyons l'erreur de Askolovitch dans ce fait qu'il soumet seulement à la critique l' « État chrétien » et non pas l' « État en soi », qu'il n'examine pas le rapport de l'émancipation politique et de l'émancipation hu­mai­ne et pose donc des conditions qui ne s'expliquent que parce que, manquant de sens critique, il confond l'émancipa­tion politique et l'émancipation universelle humai­ne. Si Askolovitch demandait aux Arabes  : Avez-vous, en vous plaçant à votre point de vue, le droit de revendiquer l'émancipa­tion politique ? Nous posons la question inverse : Le point de vue de l'émancipation politique a-t-il le droit de demander à l’Arabe  la suppres­sion du coran, et à l'homme la suppression de toute religion ?

La question musulmane se pose de façon différente suivant l'État où réside l’Arabe. Aux Etats Unis Allemagne, où il n'existe pas en majorité, d'État en tant qu'État, la question musulmane est une question purement multiculturaliste. L’Arabe  se trouve simplement en opposition religieuse avec l'État US, qui proclame le christianisme comme son fondement. Cet État est théolo­gique ex professo. La critique est ici la critique de la théologie, une critique à deux tranchants, la critique de la théologie chrétienne, la critique de la théologie musulmane. Et tout en restant dans la critique, nous ne sortons pas de la théologie.
En France, État constitutionnel, la question musulmane est la question du constitution­na­lisme, la question de l'imperfection de l'émancipation politique. Comme l'on conserve en France l'apparence d'une religion d'État, sous la forme insignifiante et contradic­toire, il est vrai, d'une religion de la majorité, la situation des Arabes  conserve, vis-à-vis de l'État, l'apparence d'une opposition religieuse théologique.
Ce n'est que dans les États libres de l'Amérique du Nord, du moins dans certains de ces États, que la question musulmane perd sa signification théologique et devient une question vérita­ble­ment laïque. Ce n'est que dans les pays où l'État existe avec son développement complet que le rapport de l’Arabe  et, en général, de l'homme religieux, avec l'État politique, par conséquent le rapport de la religion avec l'État, peut se manifester avec son caractère propre et sa toute pureté. La critique de ce rapport cesse d'être de la critique théologique, dès que l'État cesse de se placer vis-à-vis de la religion à un point de vue théologique, dès qu'il se place au point de vue politique et qu'il agit vraiment en État. La critique devient alors la critique de l'État politique. En ce point, où la question cesse d'être théologique, la critique de Askolovitch cesse d'être critique. « Il n'existe aux États-Unis ni religion de l'État, ni religion déclarée celle de la majorité, ni prééminence d'un culte sur un autre. L'État est étranger à tous les cultes. » (Marie, ou l'esclavage aux États-Unis, etc., par G. de Beaumont, Paris, 1835, p. 214.) Il y a même des États de l’Amérique du Nord, où « la constitution n'impose pas les croyan­ces religieuses et la pratique d'un culte comme condition des privilèges politiques. » (Ibid., p. 225.) Et pourtant « on ne croit pas aux États-Unis qu'un homme sans religion puisse être un honnête homme ». (Ibid., p. 224.) Et l'Amérique du Nord n'en reste pas moins le pays de prédilection de la religiosité, ainsi que Beaumont, Tocqueville et l'Anglais Hamilton l'assurent d'une seule voix. Les États de l'Amérique du Nord ne nous servent cependant que d'exemple. La question est celle-ci : Dans quel rapport l'émancipation politique achevée se trouve-t-elle vis-à-vis de la religion ? Si, dans le pays de l'émancipation politique achevée, nous trou­vons non seulement l'existence, mais l'existence fraîche et vigoureuse de la religion, la preuve est faite que l'existence de la religion ne s'oppose en rien à la perfection de l'État. Mais, comme l'existence de la religion est l'existence d'un manque, la source de ce manque ne peut être recherchée que dans l'essence même de l'État. Nous ne voyons plus, dans la religion, le fondement, mais le phénomène de la limitation laïque. C'est pourquoi nous expliquons l'embarras religieux des libres citoyens par leur embarras laïque. Nous ne prétendons nullement qu'ils doivent dépasser leur limitation religieuse, dès qu'ils abolissent leurs barrières laïques. Nous ne transfor­mons pas les questions laïques en questions théologiques. Nous trans­formons les questions théologiques en questions laïques. Après que l'histoire s'est assez long­temps résolue en superstition, nous résolvons la superstition en histoire. La question des rapports de l'émancipation politique et de la religion devient pour nous la question des rapports de l'émancipation politique et de l'émancipation humaine. Nous critiquons la faiblesse religieuse de l'État politique, en critiquant l'État politi­que, abstraction faite de ses faiblesses religieuses, dans sa construction laïque. La contra­diction entre l'État et une religion déterminée, l’islamisme par exemple, nous lui don­nons une expression humaine, en en faisant la contradiction entre l'État et des éléments laïques déterminés, en transformant la contradiction entre l'État et la religion en général en contradiction entre l'État et ses présuppositions en général.
L'émancipation politique du musulman, du chrétien, de l'homme religieux en un mot, c'est l'émancipation de l'État du coran, du christianisme, de la religion en général. Sous sa forme particulière, dans le mode spécial à son essence, comme État, l'État s'émancipe de la religion en s'émancipant de la religion d'État, c'est-à-dire en ne reconnaissant aucune religion, mais en s'affirmant purement et simplement comme État. S'émanciper politiquement de la religion, ce n'est pas s'éman­ciper d'une façon absolue et totale de la religion, parce que l'émancipation poli­tique n'est pas le mode absolu et total de l'émancipation humaine.
La limite de l'émancipation politique apparaît immédiatement dans ce fait que l'État peut s'affranchir d'une barrière sans que l'homme en soit réellement affranchi, que l'État peut être un État libre, sans que l'homme soit un homme libre. Askolovitch le concède lui-même tacitement, en liant l'émancipation politique à la condition sui­vante : « Il faudrait, du reste, supprimer tout privilège religieux, donc également le mono­pole d'une église privilégiée; et si d'aucuns ou même la très grande majorité croyaient encore devoir remplir des devoirs religieux, cette pratique devrait leur être abandonnée comme une affaire d'ordre absolument privé. » L'État peut donc s'être émancipé de la religion, même si la très grande majorité ne cesse pas d'être reli­gieuse, du fait qu'elle l'est à titre privé.
Mais l'attitude de l'État, de l'État libre surtout, envers la religion n'est que l'attitude, envers la religion, des hommes qui constituent l'État. Par conséquent, c'est par l'intermédiaire de l'État, c'est politiquement, que l'homme s'affranchit d'une barrière, en s'élevant au-dessus de cette barrière, en contradiction avec lui-même, d'une manière abstraite et partielle. En outre, en s'affranchissant politiquement, c'est par un détour, (Umweg) au moyen d'un intermédiaire, intermédiaire nécessaire, il est vrai, que l'homme s'affranchit. Enfin, même quand il se proclame athée par l'intermé­diaire de l'État, c'est-à-dire quand il proclame l'État athée, l'homme demeure toujours limité au point de vue religieux, précisément parce qu'il ne se reconnaît tel que par un détour, au moyen d'un intermédiaire. La religion est donc la reconnaissance de l'homme par un détour et un intermédiaire. L'État est l'intermédiaire entre l'homme et la liberté de l'homme. De même que Mahomet est l'intermédiaire que l'homme charge de toute sa divinité, de toute sa limitation religieuse, l'État est l'intermédiaire que l'homme charge de toute sa non-divinité, de toute sa limitation humaine.
L'élévation politique de l'homme au-dessus de la religion participe à tous les inconvénients et à tous les avantages de l'élévation politique en général. L'État comme tel supprime par exemple la propriété privée, l'homme décrète, politiquement, l'abolition de la propriété privée, dès qu'il décide que l'électorat et l'éligibilité ne sont plus liés au cens, ainsi qu'on l'a décidé dans bon nombre d'États de l'Amérique du Nord. Hamilton interprète très exactement ce fait au point de vue politique : « La grande masse a remporté la victoire sur les propriétaires et la richesse financière. » La propriété privée n'est-elle pas supprimée idéalement, lorsque celui qui ne possède rien est devenu le législateur de celui qui possède ? Le cens est la dernière forme politique de la reconnaissance de la propriété privée.
Cependant l'annulation politique de la propriété privée, non seulement ne sup­prime pas la propriété privée, mais la présuppose. L'État supprime à sa façon les distinctions constituées par la naissance, le rang social, l'instruction, l'occupation particulière, en décrétant que la naissance, le rang social, l'instruction, l'occupation particulière sont des différences non politiques, quand, sans tenir compte de ces distinctions, il proclame que chaque membre du peuple partage, a titre égal, la souveraineté populaire, quand il traite tous les éléments de la vie populaire effective en se plaçant au point de vue de l'État. Mais l'État n'en laisse pas moins la propriété privée, l'instruction, l'occupation particulière agir à leur façon, c'est-à-dire en tant que propriété privée, instruction, occupation particulière, et faire prévaloir leur nature spéciale. Bien loin de supprimer ces diffé­rences factices, il n'existe plutôt que dans leurs présuppositions; il a conscience d'être un État politique et ne fait prévaloir son universalité que par opposition à ces éléments. Hegel détermine donc, d'une façon absolument juste, le rapport de l'État politique avec la religion, quand il dit : « Pour que l'État puisse exister en tant que réalité consciente et morale de l'esprit, il faut qu'il soit distingué de la forme de l'autorité et de la foi. Mais cette distinction ne se manifeste qu'autant que l'élément ecclésiastique en arrive lui-même à la séparation. Ce n'est que de cette façon que, par-dessus les églises particulières, l'État a conquis l'universalité de la pensée, le principe de sa forme, et qu'il leur donne l'existence. » (Hegel, Rechtsphilosophie, 2° édition, p. 346.) C'est vrai ! Ce n'est qu'au-dessus des éléments particuliers que l'État se constitue comme universalité.
L'État politique parfait est, d'après son essence, la vie générique de l'homme par opposition à sa vie matérielle. Toutes les suppositions de cette vie égoïste continuent à subsister dans la société civile en dehors de la sphère de l'État, mais comme propriétés de la société bourgeoise. Là où l'État politique est arrivé à son véritable épanouissement, l'homme mène, non seulement dans la pensée, dans la conscience, mais dans la réalité, dans la vie, une existence double, céleste et terrestre, l'existence dans la communauté politique, il se considère comme un être général, et l'exis­tence dans la société civile, où il travaille comme homme privé, voit dans les autres hommes de simples moyens, se ravale lui-même au rang de simple moyen et devient le jouet de puissances étrangères. L'État politique est, vis-à-vis de la société civile, aussi spiritualiste que le ciel l'est vis-à-vis de la terre. Il se trouve envers elle dans la même opposition, il en triomphe de la même façon que la religion triomphe du monde profane : il est contraint de la reconnaître, de la rétablir et de se laisser lui-même dominer par elle. L'homme, dans sa réalité la plus immédiate, dans la société civile, est un être profane. Là, où lui-même et les autres le considèrent comme un individu réel, il est un phé­no­mène inauthentique. Dans l'État, par contre, où l'homme vaut comme être générique, il est le membre imaginaire d'une souveraineté imagi­naire, dépouillé de sa vie réelle et individuelle et rempli d'une généralité irréelle.
Le conflit dans lequel l'homme, en tant que professant une religion particulière, se trouve avec sa qualité générale de citoyen et avec les autres hommes en tant que membres de la communauté, se ramène à la scission laïque entre l'État politique et la société civile. Pour l'homme considéré comme « bourgeois », la « vie dans l'État n'est qu'une apparence ou une exception momentanée à l'essence et à la règle ». Le « bour­geois », il est vrai, tout comme l’Arabe , ne reste que par un sophisme dans la vie politique, comme le « citoyen » ne reste que par un sophisme musulman  ou bourgeois. Mais cette sophistique n'est pas personnelle. C'est la sophistique de l'État politique même. La différence entre l'homme religieux et le citoyen, c'est la différence entre le commerçant et le citoyen, entre le journalier et le citoyen, entre le propriétaire foncier et le citoyen, entre l'individu vivant et le citoyen. La contradiction, dans laquelle l'hom­me religieux se trouve avec l'homme politique, est la même contradiction dans laquelle le bourgeois se trouve avec le citoyen, dans laquelle le membre de la société bourgeoise se trouve avec sa peau de lion politique.
Cette opposition laïque, à laquelle la question musulmane se ramène finalement, le rapport de l'État politique avec ses présuppositions, qu'il s'agisse des éléments matériels, tels que la propriété privée, ou des éléments spirituels, tels que la culture, la religion, cette opposition de l'intérêt général à l'intérêt privé, la scission entre l'État politique et la société bourgeoise, ces oppositions profanes, Askolovitch les laisse subsister, tandis qu'il polémique FOG ou Finkielkraut. « C'est précisément son fondement, c'est-à-dire le besoin qui assure à la société bourgeoise son existence et lui garantit sa nécessité, c'est ce fondement qui expose son existence à des dangers continuels, entretient en elle un élément incertain, et produit ce mélange continuel et toujours changeant de pauvreté et de richesse, de détresse et de prospérité, en un mot le changement (p. 8). »
On peut comparer tout le chapitre : « La société bourgeoise » (pp. 8-9), construit d'après les principes fondamentaux de la philosophie du droit de Hegel. La société bourgeoise, dans son opposition à l'État politique, est reconnue nécessaire, parce que l'État politique est reconnu nécessaire.
L'émancipation politique constitue, assurément, un grand progrès. Elle n'est pas, il est vrai, la dernière forme de l'émancipation humaine, mais elle est la dernière forme de l'émancipation humaine dans l'ordre du monde actuel. Entendons-nous bien : nous parlons ici de l'émancipation réelle, de l'émancipation pratique.
L'homme s'émancipe politiquement de la religion, en la rejetant du droit public dans le droit privé. Elle n'est plus l'esprit de l'État l'homme, bien que de façon spéciale et limitée et dans une sphère particulière, se comporte comme être générique, en communauté avec d'autres hommes; elle est devenue l'esprit de la société bour­geoise, de la sphère de l'égoïsme, de la guerre de tous contre tous. Elle n'est plus l'es­sen­ce de la communauté, mais l'essence de la distinction. Elle est devenue ce qu'elle était originellement; elle exprime la sépa­ra­tion de l'homme, de sa communauté, de lui-même et des autres hommes. Elle n'est plus que l'affirmation abstraite de l'absur­dité particulière, de la lubie personnelle, de l'arbitraire. Le morcellement infini de la religion dans l'Amérique du Nord, par exemple, lui donne déjà la forme extérieure d'une affaire strictement privée. Elle a été reléguée au nombre des intérêts privés et expulsée de la communauté considérée en son essence. Mais, il ne faut pas se faire illusion sur la limite de l'émancipation politique. La scission (Spaltung) de l'homme en homme public et en homme privé, le déplacement de la religion qui passe de l'État à la société bourgeoise, tout cela n'est pas une étape, mais bien l'achèvement de l'éman­cipation politique, qui ne supprime donc pas et ne tente même pas de suppri­mer la religiosité réelle de l'homme.
La division de l'homme en musulman et citoyen, en protestant et citoyen, en homme religieux et citoyen, cette division n'est pas un mensonge contre le système politique ni une tentative pour éluder l'émancipation politique; c'est l'émancipation politique même, la manière politique de s'émanciper de la religion. Évidemment, à des époques où l'État politique comme tel naît violemment de la société bourgeoise, où l'affran­chissement personnel humain cherche à s'accomplir sous la forme de l'affranchisse­ment personnel politique, l'État peut et doit aller jusqu'à la suppression de la religion, jusqu'à l'anéantissement de la religion, mais uniquement comme il va jusqu'à la suppression de la propriété privée, au maximum, à la confis cation, à l'impôt pro­gressif, à la suppression de la vie, à la guillotine. Aux moments où l'État prend parti­cu­lièrement conscience de lui-même, la vie politique cherche à étouffer ses condi­tions primordiales, la société bourgeoise et ses éléments, pour s'ériger en vie géné­rique véritable et absolue de l'homme. Mais elle ne peut atteindre ce but qu'en se mettant en contradiction violente avec ses pro­pres conditions d'existence, en déclarant la révolution à l'état permanent; aussi le drame politique s'achève-t-il nécessairement par la restauration de la religion, de la propriété privée, de tous les éléments de la société bourgeoise, tout comme la guerre se termine par la paix.
Bien plus, l'État musulman parfait, ce n'est pas le prétendu État musulman, qui recon­naît la Charia comme sa base, comme la religion d'État, et prend donc une attitude exclusive envers les autres religions; c'est plutôt l'État athée, l'État démo­cratique, l'État qui relègue la religion parmi les autres éléments de la société bour­geoise. L'État, qui est encore théologien, qui professe encore officiellement la charia, qui n'a pas encore osé se proclamer État, n'a pas encore réussi à exprimer sous une forme laïque et humaine, dans sa réalité d'État, la base humaine dont le coran n’est pas l'expression transcendante. L'État soi-disant musulman est tout simplement un État inexistant (Nichsstaat); en effet, ce n'est pas le coran en tant que religion, c'est uniquement le fond humain de la religion musulmane qui peut se réaliser en des créations vraiment humaines.
L'État dit musulman est la négation musulmane de l'État, mais nullement la réalisation politique de la charia. L'État, qui professe encore le coran sous forme de religion, ne le professe pas encore sous la forme d'État, car il conserve à l'égard de la religion une attitude religieuse. En d'autres termes, un tel État n'est pas la réalisation véritable du fond humain de la religion, parce qu'il s'en rapporte encore à l'irréalité, à la forme imaginaire de ce noyau humain. L'État dit musulman est l'État, imparfait, et la charia est pour lui le complément et la sanctification de son imper­fection. La religion devient donc nécessairement un moyen; et c'est l'État de l'hypo­crisie. Il y a une grande différence entre ces deux faits : ou bien l'État parfait compte, à cause du manque inhérent à l'essence générale de l'État, la religion au nombre de ses conditions; ou bien l'État imparfait proclame, à cause du vice inhérent à son existence particulière, c'est-à-dire en tant qu'État imparfait, la religion comme son fondement. Dans ce dernier cas, la religion se transforme en politique imparfaite. Dans le premier cas, l'imperfection même de la politique parfaite se montre dans la religion. Le prétendu État musulman a besoin de la religion musulmane, pour se com­pléter comme État. L'État démocratique, le véritable État, n'a pas besoin de la religion pour son achèvement politique. Il peut, au contraire, faire abstraction de la religion, parce qu'en lui le fond humain de la religion est réalisé de façon profane. L'État dit musulman a tout au contraire une attitude politique vis-à-vis de la religion, et une attitude religieuse vis-à-vis de la politique. S'il ravale les formes politiques à une simple apparence, il ravale tout aussi bien la religion.
Pour rendre cette opposition plus compréhensible, nous allons considérer la construction que Askolovitch nous donne de l'État occidental, construction qui est le résultat de son étude de l'État germanopratin.
« On a récemment, dit Askolovich, pour prouver l'impossibilité ou la non-existence d'un État musulman, rappelé à plusieurs reprises ces hadits du coran auxquelles l'État actuel ne se conforme pas et ne peut même se conformer, à moins de vouloir se désagréger complètement. »
- « Mais la réponse définitive est moins facile. Que demandent donc ces paroles coraniques ?
La renonciation surnaturelle, la soumission à l'autorité de la révélation, l'éloigne­ment de l'État, l'abolition des conditions profanes. Or tout cela, l'État musulman le réclame et le réalise. Il s'est assimilé l'esprit du capitalisme; et, s'il ne le rend pas avec les lettres mêmes dont le coran se sert pour l'exprimer, cela provient simplement de ce qu'il exprime cet esprit en formes politiques, c'est-à-dire en des formes qui sont bien empruntées au système politique de ce monde, mais qui, dans la renaissance religieuse qu'elles sont forcées de subir, sont réduites à de simples apparences. On s'éloigne de l'État, et l'on se sert de cet éloignement pour réaliser les formes de l'État, les formes politiques (p. 55). »
Askolovitch continue ensuite son exposé : le peuple de l'État musulman n'est plus un peuple, il n'a plus de volonté propre; il a sa véritable existence dans le cheik auquel il est soumis; mais ce caïd lui est, de par son origine et sa nature, étranger, puisqu'il lui a été imposé par Dieu sans qu'il y soit personnellement pour quelque chose; les lois de ce peuple ne lui appartiennent pas comme son œuvre mais comme des révélations positives; son caïdat a besoin, dans ses relations avec le vrai peuple, avec la masse, d'intermédiaires privilégiés; et cette masse se décompose elle-même en une foule de clans distincts, qui sont formés et déterminés par le hasard, qui diffèrent par leurs intérêts, leurs passions particulières et leurs préjugés spéciaux, et qui, en guise de privilège, reçoivent la permission de s'isoler les uns des autres, etc. (p. 56).
Mais Askolovitch dit lui-même : « La politique, si elle ne doit être que de la religion, n'a pas besoin d'être de la politique, pas plus que le récurage des marmites, s'il est consi­déré comme un acte religieux, ne doit être regardé comme une affaire de ménage (p. 108). » Or, dans l'État germanopratin, la religion est une « affaire économique » tout comme une « affaire économique » est de la religion. Dans l'État germanopratin, le pouvoir de la religion est la religion du pouvoir.
Séparer l' « esprit du coran » de la « lettre du coran » constitue un acte irréligieux. L'État qui fait parler le coran dans les lettres de la politique, dans des lettres autres que les lettres de l’ange Gabriel, commet un sacrilège, sinon aux yeux des hommes, du moins à ses propres yeux religieux. A l'État qui donne le coran comme sa charte et la charia comme sa règle suprême, il faut objecter les paroles arabes de l'Écriture sainte; car l'Écriture est sainte jusque dans ses paroles. Cet État, aussi bien que les « balayures humaines » sur lesquelles il est édifié, se trouve impliqué dans une contradiction douloureuse, insoluble du point de vue de la conscience religieuse, quand on le renvoie « à ces paroles du coran auxquelles il ne se conforme pas et ne peut même se conformer, à moins de vouloir se désagréger complètement ». Et pourquoi ne veut-il pas se désagréger complètement ? Devant sa propre conscience, l'État musulman officiel est un « devoir », dont la réalisation est impossible; il ne peut constater la réalité de son existence qu'en se mentant à lui-même; aussi reste-t-il toujours à ses propres yeux un sujet de doute, un objet incertain et problématique. La critique est donc absolument dans son droit quand elle force l'État, qui s'appuie sur le coran, au désarroi total de la conscience, de façon qu'il ne sait plus lui-même s'il est une illusion ou une réalité, et que l'infamie de ses buts profanes, auxquels la religion sert de voile, entre dans un conflit insoluble avec l'honnêteté de sa conscience religieuse, à laquelle la religion apparaît comme le but du monde. Cet État ne peut échapper à ses tourments intimes qu'en se faisant le recours de la mosquée musulmane. En face de cette mosquée, qui déclare que le pouvoir laïque est entièrement à ses ordres, l'État est impuissant, ainsi que le pouvoir laïque qui prétend être la domination de l'esprit reli­gieux.
Ce qui vaut dans l'État dit musulman, ce n'est pas l'homme, c'est l'aliénation. Le seul homme qui compte, le pacha, diffère spécifiquement des autres hommes et est, en outre, un être encore religieux se rattachant directement au Ciel, à Dieu. Les relations qui règnent ici sont encore des relations fondées sur la foi. L'esprit religieux ne s'est donc pas encore réellement sécularisé.
Mais l'esprit religieux ne saurait être réellement sécularisé. En effet, qu'est-il sinon la forme nullement séculière d'un développement de l'esprit humain ? L'esprit religieux ne peut être réalisé que si le degré de développement de l'esprit humain, dont il est l'expression, se manifeste et se constitue dans sa forme séculière. C'est ce qui se produit dans l'État démocratique. Ce qui fonde cet État, ce n'est pas la charia, mais le principe humain du musulman de base. La religion demeure la conscience idéale, non séculière, de ses membres, parce qu'elle est la forme idéale du degré de développement humain qui s'y trouve réalisé.
Religieux, les membres de l'État politique le sont par le dualisme entre la vie individuelle et la vie générique, entre la vie de la société bourgeoise et la vie politique; religieux, ils le sont en tant que l'homme considère comme sa vraie vie la vie politique située au-delà de sa propre individualité; religieux, ils le sont dans ce sens que la religion est ici l'esprit de la société bourgeoise, l'expression de ce qui éloigne et sépare l'homme de l'homme. Musulmane, est la démocratie politique en tant que l'hom­me, non seulement un homme, mais tout homme, y est un être souverain, un être suprême, mais l'homme ni cultivé ni social, l'homme dans son existence accidentelle, tel quel, l'homme tel que, par toute l'organisation de notre société, il a été corrompu, perdu pour lui-même, aliéné, placé sous l'autorité de conditions et d'éléments inhumains, en un mot, l'homme qui n'est pas encore un véritable être générique. La création imaginaire, le rêve, la soumission le postulat du coran, mais de l'homme réel, tout cela devient, dans la démocratie, de la réalité concrète et présente, une maxime séculière.
La conscience religieuse et théologique s'apparaît à elle-même, dans la démocratie parfaite, d'autant plus religieuse et d'autant plus théologique qu'elle est, en apparence, sans signification politique, sans but terrestre, une affaire du cœur ennemi du monde, l'expression de la nature bornée de l'esprit, le produit de l'arbitraire et de la fantaisie, une véritable vie d'au-delà. Le coranisme atteint ici l'expression, pratique de sa signification religieuse universelle, parce que les conceptions du monde les moins variées viennent se grouper dans la forme du coranisme, et surtout parce que le coranisme n'exige même pas que l'on professe ce coranisme, mais que l'on ait de la religion, une religion quelconque (voir Beaumont). La conscience religieuse se délecte dans la richesse de la contradiction religieuse et de la variété religieuse.
Nous avons donc montré qu'en s'émancipant de la religion on laisse subsister la religion, bien que ce ne soit plus une religion privilégiée. La contradiction dans laquelle se trouve le sectateur d'une religion particulière vis-à-vis de sa qualité de citoyen n'est qu'une partie de l'universelle contradiction entre l'État politique et la société bourgeoise. L'achèvement de l'État musulman, c'est l'État qui se reconnaît comme État et fait abstraction de la religion de ses membres. L'émancipation de l'État de la religion n'est pas l'émancipation de l'homme réel de la religion.
Nous ne disons donc pas, avec Askolovitch, aux Arabes  : Vous ne pouvez être émancipés politiquement, sans vous émanciper radicalement du coran. Nous leur disons plutôt : C'est parce que vous pouvez être émancipés politiquement, sans vous déta­cher complètement et absolument du coran, que l'émancipation politique elle-même n'est pas l'émancipation humaine. Si vous voulez être émancipés politique­ment, sans vous émanciper vous-mêmes humainement, l'imperfection et la contradic­tion ne sont pas uniquement en vous, mais encore dans l'essence et la catégorie de l'émancipation politique. Si vous êtes imbus de cette catégorie, vous partagez la prévention générale. Si l'État évangélise lorsque, bien qu'État, il agit multiculturellement à l'égard des Arabes , l’Arabe  fait de la politique lorsque, bien que Arabe , il réclame des droits civiques.
Mais du moment que l'homme, bien qu’arabe, peut être émancipé politiquement et recevoir des droits civiques, peut-il revendiquer et recevoir ce qu'on appelle les droits de l'homme ? Askolovitch répond par la négative. « Il s'agit de savoir si l’Arabe  en soi, c'est-à-dire l’Arabe  musulman qui reconnaît lui-même être contraint par sa véritable essence à vivre éternellement séparé des autres, est apte à recevoir et à concéder à autrui les droits généraux de l'homme. »
« L'idée des droits de l'homme n'a été découverte, pour le monde arabe, qu'au siècle dernier. Elle n'est pas innée à l'homme; elle ne se conquiert au contraire que dans la lutte contre les traditions historiques dans lesquelles l'homme a été élevé jusqu'à ce jour. Les droits de l'homme ne sont donc pas un don de la nature, ni une dot de l'histoire passée, mais le prix de la lutte contre le hasard de la naissance et contre les privilèges, que l'histoire a jusqu'ici transmis de génération en génération. Ce sont les résultats de la culture (Bilding); et seul peut les posséder qui les a mérités et acquis. »
Or, l’Arabe musulman peut-il réellement en prendre possession ? Aussi longtemps qu'il sera arabe, l'essence limitée qui fait de lui un musulman  l'emportera forcément sur l'essence humai­ne qui devait, comme homme, le rattacher aux autres hommes; et elle l'isolera de ce qui n'est pas musulman. Il déclare, par cette séparation, que l'essence particulière qui le fait musulman  est sa véritable essence suprême, devant laquelle doit s'effacer l'essence de l'homme.
« De même le musulman comme tel ne peut pas accorder des droits de l'homme (pp. 19-20). »
D'après Askolovitch, l'homme doit sacrifier le « privilège de la foi », pour pouvoir rece­voir les droits généraux de l'homme. Considérons un instant ce qu'on appelle les droits de l'homme, considérons les droits de l'homme sous leur forme authentique, sous la forme qu'ils ont chez leurs inventeurs, les Américains du Nord et les Fran­çais ! Ces droits de l'homme sont, pour une partie, des droits politiques, des droits qui ne peuvent être exercés que si l'on est membre d'une communauté. La participation à l'essence générale, à la vie politique commune à la vie de l'État, voilà leur contenu. Ils rentrent dans la catégorie de la liberté politique, dans la catégorie des droits civiques qui, ainsi que nous l'avons vu, ne supposent nullement la suppres­sion absolue et positive de la religion, ni, par suite, du coranisme. Il nous reste à considérer l'autre partie, c'est-à-dire les « droits de l'homme », en ce qu'ils diffè­rent des droits du citoyen.
« Nul ne doit être inquiété pour ses opinions même religieuses. » (Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, 1791, art. 10.) Au titre de la Constitution de 1791 il est garanti, comme droit de l'homme : « La liberté à tout homme d'exercer le culte religieux auquel il est attaché».
La Déclaration des droits de l'homme, 1793, énumère parmi les droits de l'homme, art. 7 : « Le libre exercice des cultes. » Bien plus, à propos du droit d'énon­cer ses idées et ses opinions, de se réunir, d'exercer son culte, il est même dit : « La nécessité d'énoncer ces » (Voir la Constitution de 1795, titre XIV, art. 345.)
« Tous les hommes ont reçu de la nature le droit imprescriptible d'adorer le Tout-Puissant selon les inspirations de leur conscience, et nul ne peut légalement être contraint de suivre, instituer ou soutenir contre son gré aucun culte ou ministère religieux. Nulle autorité humaine ne peut, dans aucun cas, intervenir dans les ques­tions de conscience et contrôler les pouvoirs de l'âme. » (Constitution de Pennsylva­nie, art. 9, § 3.)
« Au nombre des droits naturels, quelques-uns sont inaliénables de leur nature, parce que rien ne peut en être l'équivalent. De ce nombre sont les droits de conscien­ce. » (Constitution de New-Hampshire, art. 5 et 6.) (Beaumont, pp. 213-214.)
L'incompatibilité de la religion et des droits de l'homme réside si peu dans le concept des droits de l'homme, que le droit d'être religieux, et de l'être à son gré, d'exercer le culte de sa religion particulière, est même compté expressément au nombre des droits de l'homme. Le privilège de la foi est un droit général de l'homme.
On fait une distinction entre les « droits de l'homme » et les « droits du citoyen ». Quel est cet « homme » distinct du citoyen ? Personne d'autre que le membre de la société bourgeoise. Pourquoi le membre de la société bourgeoise est-il appelé « homme », homme tout court, et pourquoi ses droits sont-ils appelés droits de l'homme ? Qu'est-ce qui explique ce fait ? Par le rapport de l'État politique à la société bourgeoise, par l'essence de l'émancipation politique.
Constatons avant tout le fait que les « droits de l'homme », distincts des « droits du citoyen, » ne sont rien d'autre que les droits du membre de la société bourgeoise, c'est-à-dire de l'homme égoïste, de l'homme séparé de l'homme et de la communauté. La Constitution la plus radicale, celle de 1793, a beau dire : Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. « Art. 2. Ces droits (les droits naturels et imprescriptibles) sont : l'égalité, la liberté, la sûreté, la propriété. »
En quoi consiste la « liberté » ? « Art. 6. La liberté est le pouvoir qui appartient à l'homme de faire tout ce qui ne nuit pas aux droits d'autrui. » Ou encore, d'après la Déclaration des droits de l'homme de 1791 : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. »
La liberté est donc le droit de faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. Les limites dans lesquelles chacun peut se mouvoir sans nuire à autrui sont marquées par la loi, de même que la limite de deux champs est déterminée par un piquet. Il s'agit de la liberté de l'homme considéré comme monade isolée, repliée sur elle-même. Pourquoi, d'après Askolovitch, le musulman  est-il inapte à recevoir les droits de l'homme ? « Tant qu'il sera musulman, l'essence bornée qui fait de lui un musulman  l'emportera forcément sur l'essen­ce humaine qui devrait, comme homme, le rattacher aux autres hommes; et elle l'isolera de ce qui n'est pas musulman . » Mais le droit de l'homme, la liberté, ne repose pas sur les relations de l'homme avec l'homme mais plutôt sur la séparation de l'homme d'avec l'homme. C'est le droit de cette séparation, le droit de l'individu limité à lui-même.
L'application pratique du droit de liberté, c'est le droit de propriété privée. Mais en quoi consiste ce dernier droit ?
« Le droit de propriété est celui qui appartient à tout citoyen de jouir et de dispo­ser à son gré de ses biens, de ses revenus, du fruit de son travail et de son industrie. » (Constitution de 1793, art. 16.)
Le droit de propriété est donc le droit de jouir de sa fortune et d'en disposer « à son gré », sans se soucier des autres hommes, indépendamment de la société; c'est le droit de l'égoïsme. C'est cette liberté individuelle, avec son application, qui forme la base de la société bourgeoise. Elle fait voir à chaque homme, dans un autre homme, non pas la réalisation, mais plutôt la limitation de sa liberté. Elle proclame avant tout le droit « de jouir et de disposer à son gré de ses biens, de ses revenus, du fruit de son travail et de son industrie ».
Restent les autres droits de l'homme, l'égalité et la sûreté.
Le mot « égalité » n'a pas ici de signification politique; ce n'est que l'égalité de la liberté définie ci-dessus : tout homme est également considéré comme une telle mo­na­de basée sur elle-même. La Constitution de 1795 détermine le sens de cette égalité : « Art. 5. L'égalité consiste en ce que la loi est la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. »
Et la sûreté ? La Constitution de 1793 dit : « Art. 8. La sûreté consiste dans la protection accordée par la société à chacun de ses membres pour la conservation de sa personne, de ses droits et de ses propriétés. »
La sûreté est la notion sociale la plus haute de la société bourgeoise, la notion de la police : toute la société n'existe que pour garantir à chacun de ses membres la conservation de sa personne, de ses droits et de ses propriétés. C'est dans ce sens que Hegel appelle la société bourgeoise « l'État de la détresse et de l'entendement ».
La notion de sûreté ne suffit pas encore pour que la société bourgeoise s'élève au-dessus de son égoïsme. La sûreté est plutôt l'assurance (Versicherung) de l'égoïsme.
Aucun des prétendus droits de l'homme ne dépasse donc l'homme égoïste, l'hom­me en tant que membre de la société bourgeoise, c'est-à-dire un individu séparé de la communauté, replié sur lui-même, uniquement préoccupé de son intérêt personnel et obéissant a son arbitraire privé. L'homme est loin d'y être considéré comme un être générique; tout au contraire, la vie générique elle-même, la société, apparaît comme un cadre extérieur à l'individu, comme une limitation de son indépendance originelle. Le seul lien qui les unisse, c'est la nécessité naturelle, le besoin et l'intérêt privé, la conservation de leurs propriétés et de leur personne égoïste.
Il est assez énigmatique qu'un peuple, qui commence tout juste à s'affranchir, à faire tomber toutes les barrières entre les différents membres du peuple, à fonder une communauté politique, proclame solennellement (1791) le droit de l'homme égoïste, séparé de son semblable et de la communauté, et reprenne même cette proclamation à un moment où le dévouement le plus héroïque peut seul sauver la nation et se trouve réclamé impérieusement, à un moment où le sacrifice de tous les intérêts de la société bourgeoise est mis à l'ordre du jour et où l'égoïsme doit être puni comme un crime (1793). La chose devient plus énigmatique encore quand nous constatons que l'émancipation politique fait de la communauté politique, de la communauté civique, un simple moyen devant servir à la conservation de ces soi-disant droits de l'homme, que le citoyen est donc déclaré le serviteur de l' « homme » égoïste, que la sphère, où l'homme se comporte en qualité d'être générique, est ravalée au-dessous de la sphère, où il fonctionne en qualité d'être partiel, et qu'enfin c'est l'homme en tant que bourgeois, et non pas l'homme en tant que citoyen, qui est considéré comme l'homme vrai et authentique.
Le « but » de toute « association politique » est la « conservation des droits natu­rels et imprescriptible de l'homme ». (Déclar., 1791, art. 2.) - « Le gouvernement est insti­tué pour garantir à l'homme la jouissance de ses droits naturels et imprescrip­tibles. » (Déclar., 1791, art. 1.) Donc, même aux époques de son enthousiasme encore fraîchement éclos et poussé à l'extrême par la force même des circonstances, la vie poli­tique déclare n'être qu'un simple moyen, dont le but est la vie de la société bour­geoise. Il est vrai que sa pratique révolutionnaire est en contradiction flagrante avec sa théorie. Tandis que, par exemple, la sûreté est déclarée l'un des droits de l'homme, la violation du secret de la correspondance est mise à l'ordre du jour. Tandis que la « liberté indéfinie de la presse » est garantie (Déclar. de 1793, art. 122) comme là conséquence du droit de la liberté individuelle, elle est complètement anéantie, car « la liberté de la presse ne doit pas être permise lorsqu'elle compromet la liberté publi­que ». (Robespierre jeune; Histoire parlementaire de la Révolution française, par Buchez et Roux, tome XXVIII, p. 159.) Ce qui revient à dire : le droit de liberté cesse d'être un droit, dès qu'il entre en conflit avec la vie politique, alors que, en théorie, la vie politique n'est que la garantie des droits de l'homme, des droits de l'homme indi­vi­duel, et doit donc être suspendue, dès qu'elle se trouve en contradiction avec son but, ces droits de l'homme. Mais la pratique n'est que l'exception, et la théorie est la règle. Et quand même on voudrait considérer la pratique révolutionnaire comme la position exacte du rapport, il resterait toujours à résoudre cette énigme : pourquoi, dans l'esprit des émancipateurs politiques, ce rapport est-il inversé, le but apparaissant comme le moyen, et le moyen comme but ? Cette illusion d'optique de leur conscience resterait toujours la même énigme mais d'ordre psychologique et théorique.
La solution de ce problème est simple.
L'émancipation politique est en même temps la désagrégation de la vieille société sur laquelle repose l'État où le peuple ne joue plus aucun rôle, c'est-à-dire la puissance du souverain. La révolution politique c'est la révolution de la société bour­geoise. Quel était le caractère de la vieille société ? Un seul mot la caractérise. La féodalité. L'ancienne société bourgeoise avait immédiatement un caractère politique, c'est-à-dire les éléments de la vie bourgeoise, comme par exemple la propriété, ou la famille, ou le mode de travail, étaient, sous la forme de la seigneurie, de la caste et de la corporation, devenus des éléments de la vie de l'État. Ils déterminaient, sous cette forme, le rapport de l'individu isolé à l'ensemble de l'État, c'est-à-dire sa situation politique, par laquelle il était exclu et séparé des autres éléments de la société. En effet, cette organisation de la vie populaire n'éleva pas la propriété et le travail au rang d'éléments sociaux; elle acheva plutôt de les séparer du corps de l'État et d'en faire des sociétés particulières dans la société. Mais de la sorte, les fonctions vitales et les conditions vitales de la société bourgeoise restaient politiques au sens de la féodalité; autrement dit, elles séparaient l'individu du corps de l'État; et le rapport particulier qui existait entre sa corporation et le corps de l'État, elles le trans­formaient en un rapport général entre l'individu et la vie populaire, de même qu'elles faisaient de son activité et de sa situation bourgeoises déterminées une acti­vité et une situation générales. Comme conséquence de cette organisation, l'unité de l'État, aussi bien que la conscience, la volonté et l'activité de l'unité de l'État, le pouvoir politique général, apparaissent également comme l'affaire particulière d'un souverain, séparé du peuple et de ses serviteurs.
La révolution politique qui renversa ce pouvoir de souverain et fit des affaires de l'État les affaires du peuple, qui constitua l'État politique en affaire générale, c'est-à-dire en État réel, brisa nécessairement tous les états, corporations, jurandes, privi­lèges, qui ne servaient qu'à indiquer que le peuple était séparé de la communauté. La révolution politique abolit donc le caractère politique de la société bourgeoise. Elle brisa la société bourgeoise en ses éléments simples, d'une part les individus, d'autre part les éléments matériels et spirituels qui forment le contenu de la vie et la situation bourgeoise de ces individus. Elle déchaîna l'esprit politique, qui s'était en quelque sorte décomposé, émietté, perdu dans les impasses de la société féodale; elle en réunit les bribes éparses, le libéra de son mélange avec la vie bourgeoise et en fit la sphère de la communauté, de l'affaire générale du peuple, théoriquement indépen­dante de ces éléments particuliers de la vie bourgeoise. L'activité déterminée et la situation déterminée de la vie n'eurent plus qu'une importance individuelle. Elles ne formèrent plus le rapport général entre l'individu et le corps d'État. L'affaire publique, comme telle, devint plutôt l'affaire générale de chaque individu, et la fonction politique devint une fonction générale.
Mais la perfection de l'idéalisme de l'État fut en même temps la perfection du matérialisme de la société bourgeoise. En même temps que le joug politique, les liens qui entravaient l'esprit égoïste de la société bourgeoise furent ébranlés. L'émancipa­tion politique fut en même temps l'émancipation de la société bourgeoise de la politique, et même de l'apparence d'un contenu d'ordre général.
La société féodale se trouva décomposée en son fond, l'homme, mais l'homme tel qu'il en était réellement le fond, l'homme égoïste.
Or, cet homme, membre de la société bourgeoise, est la base, la condition de l'État politique. L'État l'a reconnu à ce titre dans les droits de l'homme.
Mais la liberté de l'homme égoïste et la reconnaissance de cette liberté est plutôt la reconnaissance du mouvement effréné des éléments spirituels et matériels, qui en constituent la vie.
L'homme ne fut donc pas émancipé de la religion; il reçut la liberté religieuse. Il ne fut pas émancipé de la propriété; il reçut la liberté de la propriété. Il ne fut pas émancipé de l'égoïsme de l'industrie; il reçut la liberté de l'industrie.
La constitution de l'État politique et la décomposition de la société bourgeoise en individus indépendants, dont les rapports sont régis par le droit, comme les rapports des hommes des corporations et des jurandes étaient régis par le privilège, s'accom­plissent par un seul et même acte. L'homme tel qu'il est membre de la société bour­geoise, l'homme non politique, apparaît nécessairement comme l'homme naturel. Les « droits de l'homme » prennent l'apparence des « droits naturels », car l'activité consciente se concentre sur l'acte politique. L'homme égoïste est le résultat passif, simplement donné, de la société décomposée, objet de la certitude immédiate, donc objet naturel. La révolution politique décom­pose la vie bourgeoise en ses éléments, sans révolutionner ces éléments eux-mêmes et les soumettre à la critique. Elle est à la société bourgeoise, au monde des besoins, du travail, des intérêts privés, du droit privé, comme à la base de son existence, comme à une hypothèse qui n'a pas besoin d'être fondée, donc, comme à sa base naturelle. Enfin, l'homme tel qu'il est, membre de la société bourgeoise, est considéré comme l'homme proprement dit, l'homme par opposition au citoyen, parce que c'est l'homme dans son existence immédiate, sensi­ble et individuelle, tandis que l'homme politique n'est que l'homme abstrait, artificiel, l'homme en tant que personne allégorique, morale. L'homme véritable, on ne le reconnaît d'abord que sous la forme de l'individu égoïste, et l'homme réel sous la forme du citoyen abstrait.
Cette abstraction de l'homme politique, Rousseau nous la dépeint excellemment : « Celui qui ose entreprendre d'instituer un peuple doit se sentir en état de changer, pour ainsi dire, la nature humaine, de transformer chaque individu, qui par lui-même est un tout parfait et solidaire en partie d'un plus grand tout, dont cet individu reçoive, en quelque sorte, sa vie et son être, de substituer une existence partielle et morale à l'existence physique et indépendante. Il faut qu'il ôte à l'homme ses forces propres pour lui en donner qui lui soient étrangères et dont il ne puisse faire usage sans le secours d'autrui. » (Contrat social, livre II.)
Toute émancipation n’est que la réduction, du monde humain, des rapports, à l'homme lui-même.
L'émancipation politique, c'est la réduction de l'homme d'une part au membre de la société bourgeoise, à l'individu égoïste et indépendant, et d'autre part au citoyen, à la personne morale.
L'émancipation humaine n'est réalisée que lorsque l'homme a reconnu et organisé ses forces propres comme forces sociales et ne sépare donc plus de lui la force sociale sous la forme de la force politique.
A suivre…


ADDENDUM
Intro de Robert Mandrou au texte originel de Marx :
L'un des premiers textes importants de Marx... toujours dénoncé par les ignorants.
Publication réalisée en collaboration avec la bibliothèque de sciences sociales de l'Université de Québec.
…« Il faut nous émanciper nous-mêmes avant de pouvoir émanciper les autres » : cette formule toute simple que Marx reprend de Bauer lui permet d'exposer en clair sa théorie de l'aliénation, telle que la société allemande la peut illustrer. Les Juifs allemands réclament l'abolition des mesures qui les isolent à l'intérieur des villes et des campagnes : quartiers juifs dans les grandes cités, villages peuplés uniquement par eux dans l'Allemagne méridionale notamment. De même que les Juifs français ont obtenu cinquante ans plus tôt l'abolition du péage corporel, la reconnaissance de leur liberté de culte sans restriction, de même les Juifs allemands revendiquent l'égalité civile et les libertés religieuses. Marx démontre comment cette émancipation suppose une société bourgeoise qui a réalisé certaines transformations et abandonné le régime féodal. La société allemande dans la première moitié du XIX° siècle n'en est pas là : « Il n'y a pas de citoyens en Allemagne », écrit-il pour montrer que cette émanci­pation des Juifs ne se comprend pas sans celle de tous les Allemands encore soumis à des États « théologiques » qui confondent la religion et leur pouvoir, et ne peuvent reconnaître une société civile où l'homme serait un « être profane ». Surtout, Karl Marx situe cette revendication des Juifs par rapport à leur condition dans les ghettos de l'Europe centrale. Leur « nationalité chimérique » ne se comprend point autrement que par cette existence séparée : elle rend compte de leurs activités et, bien sûr, de leur conscience propre, à Vienne comme dans l'Allemagne occidentale : même les formu­les apparemment méprisantes employées par Marx dans ses dernières pages s'expli­quent par cette identification des caractères propres aux groupes juifs enfermés dans leurs communautés. Ces termes de dérision (tout comme les invectives souvent signa­lées qui figurent dans sa correspondance, Juifs mielleux ...) relevèrent moins d'une haine de soi-même (Judisches Selbsthass) trop souvent stigmatisée ou des souvenirs d'enfance évoqués naguère par le psychanalyste Arnold Kunzli, que d'une lucidité sans complaisance à l'égard des mythes et des fantasmes suscités par une ségrégation multiséculaire imposée à ces ghettos. Émancipation politique, émancipa­tion humaine, le problème juif doit à ces traits sa spécificité.
Chemin faisant, Karl Marx analyse longuement les contradictions contenues dans les déclarations les plus solennelles de la société bourgeoise : celles de 1791 et 1793 en France comme celles de différents états américains lors de l'Indépendance. Entre la définition générale de la liberté « qui ne nuit pas à autrui » et le principe de propriété privée qui consacre le droit de l'individu à jouir de ses revenus, rentes et produits de ses biens sans se soucier des préjudices infligés à d'autres, Marx met à jour une des plus fortes illusions de la bonne conscience bourgeoise et quelles injustices peut recouvrir l'invocation solennelle et sommaire de la liberté. Leçon utile et toujours oubliée, qui constitue un des plus pénétrants commentaires des grands textes élaborés à la fin du XVIII° siècle. Autant que la longue définition de la laïcité nécessaire de l'État comme étape de l'émancipation humaine, cette critique virulente des faux-semblants révolutionnaires est aussi d'une actualité qui justifierait une réédition.
Au total, ni Bruno Bauer, ni Marx ne peuvent être considérés comme des antisémites, au sens commun du mot; sans doute ces deux écrits, lus trop vite, ou mal compris, par des commentateurs malveillants, ont pu être utilisés mal à propos, lorsque l'antisémitisme contemporain prend forme au tournant du siècle. Mieux vaut les lire comme des témoignages profonds et percutants sur un problème fondamental hérité de l'Ancien Régime : la ségrégation des Juifs et leur émancipation humaine. En ce sens, La Question juive demeure un grand livre ».


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[1] Ceci est un pastiche du grand texte de Marx « La question juive » nullement antisémite contrairement aux affabulations des ignorants les mains pleines, et surtout une moquerie du cuistre Claude Askolovitch, petit journaliste itinérant de journal en journal toujours un peu comme simple larbin idéologique de l’Etat (il est ami de ses princes ministériels Valls et DSK). On notera la formule géniale et révolutionnaire peu commentée par les cuistres, de Marx : « l’émancipation politique n’est pas l’émancipation définitive de l’humanité » ; mais cela est une considération trop élevée pour un petit plumitif comme Askolovitch.
Cet individu se targue de son origine juive (« juif de gauche »… une référence) comme supplément d’âme pour faire la leçon avec les modes propagandistes de l’Etat, sous Sarkozy comme sous Hollande. Il avait enquêté chez les lambertistes à la manière policière ; il avait traité Besancenot de « Le Pen à l’envers » pour avoir ripaillé avec Rouillan exigeant qu’on interdise « l’extrême gauche anti-capitaliste ». Il commit à la fin de l’année dernière un brouet « Nos mal-aimés ces musulmans dont la France ne veut pas » assurant que « nous sommes devenus islamophobes » ce qui avait déclenché une polémique de salon entre les marionnettes bien connues du ghetto médiatique entre eux et avec leurs critères serviles (les Chebl Ramadan, Finkielkraut, Fourest,  E.Levy, etc. tas de confusionnistes.  En matamore éthique il défendit l’aliénation du voile et les rites musulmans avec des arguties tirées surtout de son cercle de potes, mêlant vie privée bobo dans une enquête hystérique pour défendre les douceurs du multiculturalisme. Jamais n’est abordée la question non d’une intégration post-coloniale mais d’un appel réel à l’émancipation de toutes les religions et à leur envahissant folklore. En vérité l’islamisme a remplacé le stalinisme comme faire-valoir de l’idéologie dominante, et il y a une importante clientèle d’intellos post tiers-mondistes qui n’aiment jamais tant que véhiculer la haine contre tout ce qui provient de l’Occident et se repaît des clichés éculés contre les « petits blancs » anciennement « beaufs » devenus « islamophobes » dans le charabia dominant. Si la religion juive a encore comme mauvaise réputation celle d’être la religion des riches, et que Marx l’a entièrement dénudée comme composante de l’esprit capitaliste, la religion musulmane qui se prévaut d’être la religion des pauvres ne vaut pas mieux puisqu’elle permet aux plus riches croyants coraniques d’abuser des peuples entiers en maintenant des rapports féodaux. Le croyant de base n’est pas en cause et il lui faudrait une réelle transformation de la société moderne pour que quiconque puisse lui reprocher sa croyance. Mais tous ceux qui sont sortis définitivement des superstitions antiques devraient-ils s’interdire de manquer de respect  et de tolérance envers des croyances fabulatrices millénaristes ? Dans ce pastiche, après avoir conservé l’essentiel du texte de Marx je remplace Bauer par Askolovitch, qui ne lui arrive tout de même pas à la cheville, mais en le ridiculisant avec les formules parfois énigmatiques de Marx, encore jeune philosophe emprunté. J’ai volontairement ignoré les délires du psychiatre islamophile Daniel Sibony, qui s’autorise aussi de sa médaille de « juif d’origine », qui se contorsionne dans l’égarement  freudien sur la notion de culpabilité hors de toute pensée politique rationnelle (cf. l’invention du rapport pathologique au fantasme des « français » sur la pilosité de la femme musulmane sur la question du voile,). Le petit monde pervers des éditocrates d’Etat en pleine jouissance sous les ordres de leurs maîtres.

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