PAGES PROLETARIENNES

mardi 4 février 2014

UNE COMPILATION MARQUANTE SUR L’HISTOIRE DU PRINCIPAL GROUPE REVOLUTIONNAIRE DANS LA France D’APRES GUERRE





« L’enfer continue : de la guerre de1940 à la guerre froide, La Gauche communiste de France parmi les révolutionnaires 1942-1953 sous-titré « Textes à l’appui avec des écrits politiques de Jean Malaquais, par Michel Roger (ed Coleman).

Il y a bien sûr de nouvelles informations intéressantes dans cette suite du précédent ouvrage de l’auteur -  « Les années terribles (1926-1945), réédition d’une vieille thèse[1]- et le livre présente un intérêt évident pour quiconque ne connait pas l’histoire du courant maximaliste.
Il est regrettable cependant qu’il débute comme une hagiographie de Marc Chirik et présente la GCF, minuscule groupe qui a certes maintenu les positions internationalistes pendant la guerre comme première véritable fraction marxiste en France[2]. Hagiographie incongrue concernant une poignée de militants qui se sont complètement trompés de perspective dans l’après-guerre tant par leur croyance en une révolution au lendemain de la guerre que par une analyse catastrophique et peu maxiste de l’état économique du capitalisme, conçu comme incapable de se relever de la guerre mondiale alors que celle-ci a été un coup de fouet pour sa reviviscence et pérennité. 

Le « grand homme » Marc Chirik s’autocongratule outre mesure (en privé) dans l’exergue en première page, nouveau Jésus qui aurait porté sa croix trente années parcourant « physiquement et moralement tous les
degrés du calvaire du prolétariat » (in lettre personnelle à Malaquais). Fallait-il à ce point glorifier l’homme au détriment du courant dont il a été le principal animateur L’exagération est outrancière, derrière une telle citation introductive de la part de Roger. Marc n’a pas connu la déportation comme nombre de révolutionnaires ni la prison comme Chazé. Il est passé à travers bien des ennuis et risques comme quelques autres mais cela ne lui donne pas l’étoffe d’un héros. Fils de rabbin Mordechaï Chirik avait tous les défauts des fils de rabbin : désir d’être autrement le père comme ce fut le cas de Durkheim, le sage, le guide, le père porteur de la loi (marxiste en l’occurrence). L’ayant bien connu, avec ce messianisme qui l’habitait – sa compagne Clara disait qu’il avait le « feu sacré » - je ne pense pas qu’il aurait aimé qu’on lui dessine cette pose hiératique de thaumaturge de l’organisation. Il était trop intelligent pour être totalement mégalomane. Mais il le fût parfois. Il se vantait un jour d’avoir été dans tous les comités centraux, un autre d’avoir refusé de devenir le secrétaire de Trotsky, ou un autre jour d’avoir toujours été en minorité alors qu’il fût toujours « majoritaire » dans le CCI par exemple. Mais ces défauts de la jeunesse arrogante n’entament pas une réelle sagacité politique et une impressionnante perspicacité sociale au cours de sa vieillesse quand certains le nommaient « le vieux » alors qu’il ne fût jamais vieux. Il ne faisait pas bon se trouver en face de lui, dans la polémique il était redoutable. Redoutable du fait de sa très longue expérience politique. Il avait en effet traversé tout le siècle baigné au firmanent de l’Octobre russe puis ferraillant dans les groupes oppositionnels des années 1930 avec un constat souci de retrouver les véritables voies devant favoriser la révolution prolétarienne ultime.
La reconstitution de la fraction italienne en 1941 à Marseille est assurément à mettre au crédit historique de Marc et de ses camarades. Michel rend très bien compte de la création des conditions de la création du Noyau français de la gauche communiste en 1942 et du travail positif avec les « trotskystes-léninistes » RKD, et surtout de sa réaction sainement marxiste à l’effondrement théorique de la fraction italienne avec sa théorisation de la « disparition du prolétariat ». Mais somme toute, avec la sale période de la Libération (triomphe total de la bourgeoisie) les aléas du messianisme auront raison rapidement de la pérennité du groupe. D’une part parce qu’il s’est planté comme toutes les minorités dites d’extrême gauche (des anars aux trotskistes) en misant sur une nouvelle vague révolutionnaire puis, de Charybde en Scylla, envoûté par l’ambiance terrible de risque d’une nouvelle guerre mondiale – vécue comme telle aussi bien par les hautes sphères bourgeoises que par la population – le groupe s’est défait dans la farce de sauvetage des cadres, en fait surtout de Chirik qui a pris ses clics et ses clacs pour filer au Venezuela au début des années 1950[3].
Avant sa disparition il ne faut pas non plus exagérer l’activisme de la GCF, « tournées de propagande, collage d’affiches » nous dit Michel. En réalité, action en catimini. Vu la rareté et la cherté du papier aucun
groupe politique révolutionnaire n’avait les moyens de s’offrir de grands placards de papier. Il s’agissait de « papillons », collés à la sauvette dans le métro ou sur des palissades (je joins ci-contre deux de ces affichettes, environ 10cm sur 5cm).
La bagarre pour le leadership des fractions italienne et française apparaît toujours aussi confuse pour le quidam et tous les dessous pas forcément reluisants ne sont pas rapportés[4]. Le départ de Marc de la Fraction italienne est vu par certains comme politique personnelle et querelle de leadership ce qui est contestable quand il s’agissait de sa part d’une réelle divergence politique. Par contre sa fracassante déclaration d’adhésion à la fraction française a tout d’une tautologie puisque c’était déjà son propre groupe de travail et de militantisme.
Formellement et idéologiquement la GCF est de fait la continuation de la fraction belge Bilan, mais on ne peut pas dire que la Fraction italienne ne l’est plus du tout puisque les italo-belges de circonstance vont se retrouver qui avec Damen qui avec Bordiga. Marc et ses camarades se sont ressaisis, après avoir eux aussi cru à la possibilité de recréation du parti mondial internationaliste, et ils ont vu bien avant 1952 que le parti
italien (dit bordiguiste) ne tiendrait pas longtemps la route véhiculant des confusions néo-léninistes sur la nature du stalinisme, les libérations nationales et le syndicalisme. La présence de la petite GCF dans les luttes ouvrières est fortement exagérée, elle avait été fortement romancée parmi l’ultra-gauche de l’après 1968. Que les deux M intellectuels (Marc et Mousso) aient réussi à accrocher l’ouvrier Goupil au début de la grève de 1947 à Renault n’a pas fait de Goupil un grand meneur ni un poids lourd face au clan de Pierre Bois qui avait lancé la grève. Goupil défendit avec ses pauvres moyens la nécessité de l’extension de la lutte contre les staliniens reconstructeurs du pays et les trotskistes corporatifs, mais la décharge d’énergie du petit groupe était de trop dans une période encore totalement contre-révolutionnaire.

Théoriquement la GCF  fût beaucoup plus influencée par les communistes de conseils hollandais que cela n’est établi. Bien avant la séduction des barbaristes, quelques militants comme Bricianer et Malaquais étaient devenus très anti_léninistes quand Marc, quoiqu’il en dise, restait très bolchevique sur la question de l’organisation. Typique de l’autisme des petites sectes, le départ du seul ouvrier du groupe Goupil fut interprété comme « un recul de la conscience parmi les ouvriers combatifs » ! Mégalomanie quand tu nous tiens ! Goupil en avait tout simplement marre des débats d’intellectuels dans une époque où se dissipaient les illusions d’une classe à la veille de la prise du pouvoir. Sur le fond, la GCF devait réviser son analyse d’un activisme hors de propos. Autre erreur, mais en même temps signe d’un affaiblissement politique, la GCF crut bon de saluer l’apparition du groupe « Socialisme ou Barbarie » groupe issu du trotskysme – mais l’erreur était compréhensible on pouvait croire que des scissions du trotskysme serait évolutives comme en témoignait le groupe très dynamique de Munis[5]. La déliquescence du groupe et l’ouverture faiblasse de plusieurs de ses éléments à la séduction de la nouveauté barbariste – qui les considérait comme des vieilles croûtes – avait certainement été conditionnée antérieurement par l’influence anarcho-conseilliste des Hollandais. C’est le pataquès, la majorité de la GCF rejoint le guru Chaulieu et son équipe d’intellectuels futures sommités du Gotha parisien. Michel a beau jeu de nous mettre en scène Marc martelant « la nécessité de la lutte contre une tendance à la dislocation et à la dissolution. C’est là le grand danger[6] dans les groupes révolutionnaires ; nous assistons à quelques velléités d’activisme (sic ! le même qu’il défendait la veille), mais nous rencontrons surtout de forts éléments de dissolution (resic) ».
Michel n’évoque pas la pression honteuse que Marc voulait exercer sur la pauvre Natalia Trotsky justement tempéré par Malaquais, qui lui tenait la dragée haute politiquement contrairement à sa régression démocratique en son vieil âge. Page 56 est reproduit une critique très judicieuse de Marc par Munis, quand ce dernier n’a pas affiché une telle cohérence dans son grand âge.
Marc Chirik ne va pas tarder à se prendre pour Lénine en parodiant ses « lettres de loin » qui sont très intéressantes, souvent judicieuses mais théorisent en fait la fin de l’organisation politique où les règles strictes de parti deviennent des rapports « de grande intimité de solidarité quotidienne… amitié affective » (page 59). C’est certainement la période de sa vie où il est le plus déprimé mais pas complètement perdu.
Après l’épisode des cercles d’étude Marc est à regret de constater la dissolution et très lucide : « Notre propre incapacité ne doit pas être rejetée sur la classe ou être généralisée ». Mais cette disparition est dramatique historiquement comme je n’ai cessé de le dire. La disparition du pôle politique le plus clair en France laissant la voie et la gloire frelatée au cercle confusionniste S ou B, a permis que les théories néo-anarchistes et conseillistes tiennent le haut du pavé en 1968, pour le bon plaisir de la petite bourgeoisie estudiantine. 

Paradoxalement, pour nous qui l’avons sous-estimé, c’est l’article de Malaquais à la fin du livre qui est le plus profond et subtil sur la dissolution de la GCF, quoique toujours hautain ; comme est brillant et perspicace son article sur le roman.
Chirik et Malaquais ne sont pas des saints mais des hommes. On ne peut leur reprocher d’avoir tenté l’aventure sud-américaine quand tout était foutu pour une longue période indéterminée. Ils ont tenté de faire jouer leurs relations hauts placées pour monter des entreprises lucratives, Gide et Mailer pour Malaquais dans son éclosion littéraire, André Maurois (Émile Salomon Wilhelm Herzog) pour Chirik, mais ils n’en ont jamais tiré profit. Malaquais avait été militant mais il ne l’était plus, il s’était embourgeoisé dans la littérature comme les Rubel et Bricianer. Ils en avaient fini avec leur particularité juive et se considéraient avant tout comme citoyens de l’humanité[7].
En fin de compte, malgré une longue introduction qui apporte des éléments nouveaux fournis par le fils de Marc et la republication de textes déjà connus mais dispersés du travail théorique de référence de la GCF, l’ouvrage souffre de son aspect compilatoire, de son absence de travail réel de confrontation avec ce qui a déjà été publié, les analyses géniales de Laugier et notamment le chapitre 6 de mon Histoire du maximalisme (2009) qui est bien plus complète sur l’histoire de la GCF et ses contradictions et où j’ai modéré pour moi-même mes hagiographies passées de MC.
Cet ouvrage plus encore que le précédent cependant est à saluer comme une contribution utile à une ultérieure histoire générale de ce courant, à laquelle il faut espérer que s’attacheront des historiens honnêtes et à diffusion conséquente prenant en compte documents et analyses que nous avons fourni hélas en ordre dispersé.


[1] Que j’ai critiquée dans ce blog le mercredi 12 décembre 2012  et titré UN TRAVAIL DE FAINEANT SUR LA GAUCHE ITALIENNE.

[2] « La Gauche Communiste de France est la première expression de la gauche marxiste dans le mouvement ouvrier en France » (page 8). Exagération notoire qui efface les représentants de l’AIT dans la Commune de Paris, le POF de Guesde, Naché Slovo de Trotsky à Paris, les Péricat,  Souvarine, Rosmer et Treint, les premiers groupes trotskystes, Union communiste de Chazé, le groupe de Munis, sans oublier l’influence de Bilan bien qu’édité en Belgique, etc.
[3] Goupil (André Claisse), le seul ouvrier de la GCF, me disait à la fin des années 1990, sarcastique : « Marc a voulu sauver sa peau ». La parano s’étant emparée du groupe après la fameuse réflexion de l’un d’eux : « les hitlériens ne nous ont pas eu mais les staliniens ne nous rateront pas »  (avait pronostiqué Laroche).  Pas de héros de la GCF victime des exactions staliniennes, me dit aussi Goupil dans le film que je lui ai consacré, « ce sont surtout les trotskistes qui se faisaient casser la gueule ».  Marc se débarrasse du problème Goupil en 1949 en stigmatisant « une tendance ouvriériste » sous prétexte de la défense du regroupement des révolutionnaires (intellectuels) virage du chef lançant la mode du retour à la théorie contre … l’activisme ouvriériste.
[4] Nota les querelles de basse politique de Suzanne Voute et des italiens contre les petits juifs de la GCF en particulier les deux terribles M (Marc et Mousso).
[5] Lorsque 20 ans plus tard la filiation, Révolution Internationale, décrètera qu’il ne peut sortir que des avortons du trotskysme c’était un constat fondé au souvenir de cette erreur, mais aussi concernant les RKD, prudes léninistes, qui ont coulé finalement dans l’anarchisme. Je redis qu’il est dommage que cette publication ait été encore réalisée sous les auspices d’un ancien trotskiste devenu bourgeois « anarchiste de droite » comme le dit un de ses anciens compères de ‘Combat communiste’ devenu auteur de romans policiers.
[6] A chaque virage théorique des années 1970 aux années 1990, Marc nous ressortira le « grand danger », du « grand danger du parti léniniste » au « plus grand danger du conseillisme ». De même il nous assurera être l’inventeur de la notion de décomposition « ultime » du capitalisme, alors que cette notion était ressassée dans tous les textes de l’IC du début du siècle.
[7] Ce qui ne fut pas le cas d’un de leurs compagnons de route Rubel sur lequel j’écris ceci dans mon histoire du maximalisme : « Face à Robert Gallimard, Rubel exige de se passer des notes d’Engels pour ne garder que les textes inédits, menaçant même d’interrompre sa collaboration. Maximilien Rubel, dans un courrier, en tant que « juif d’origine » expliqua de façon ambiguë que sa lecture de Marx, et l’investissement éditorial qui suivit, furent motivés par l’occupation allemande renvoyant à ce que Traverso le trotskyste a théorisé comme « Judaïsme allemand et cosmopolitisme ». Le trotskiste judéophile Traverso estime que, dans le passage de l’universalisme propre aux Lumières à l’internationalisme socialiste, les juifs furent une figure déterminante, mais néanmoins traversés par le conflit entre nationalisme et cosmopolitisme, entre tradition — attachement à la religion — et modernité — inscription dans un univers sécularisé. L’investigation historique à laquelle s’est livré Enzo Traverso vise, de la même façon à arracher à Marx la théorie communiste comme universaliste, en retraçant la « germanisation du judaïsme allemand », processus au cours duquel la culture yiddish a été profondément renouvelée (« Haskalah ou Lumières juives »). Cette insertion dans la modernité allemande se heurtant à des réactions nationalistes dont l’objectif est d’enfermer les juifs dans leur culture nationale, impliquerait des réactions propices au développement de l’antisémitisme. Cette tension aurait à l’origine, chez certains intellectuels juifs, d’une forme radicale de cosmopolitisme – non pas d’une conscience de classe anti-capitaliste - tant au dix-neuvième siècle avec la figure de Karl Marx ou de Moses Hess, qu’au vingtième siècle dans le cadre des mouvements socialistes et communistes, véritables incarnations du cosmopolitisme juif (Rosa Luxemburg, Paul Lévi ou Georgy Lukacs) et donc donnant raison finalement au natonal-socialisme qui considérait le communisme comme une « invention juive ». Il n’en découle pas chez Traverso et Rubel des prises de positions universalistes en totale opposition avec l’idée de judéité ou de chrétienté, mais une confusion politique totale étrangère au projet commun des Marx et Engels. Les œuvres complètes de la Pléiade s’insèrent donc parfaitement inodores dans une culture universaliste accessible aux bourgeois participant du  transfert du cosmopolitisme judéo-allemand vers les Etats-Unis pour une majorité de citoyens juifs, totalement étrangers au projet communiste de Marx et Engels, et avec eux de tout le mouvement ouvrier. Marx doit par conséquent se retourner dans sa tombe d’être ravalé au rang d’un bon anarchiste démocrate !
Dans une interview au journal Le Monde (29.07.1995) le bourgeois Rubel transforme Marx en un vague philosophe et révèle qu’il n’a jamais été… marxiste, mais une variété de pacifiste pendant la guerre : « Marx croyait déchiffrer le destion de l’humanité tout entière (…) Quant au marxisme il commence à proprement parler avec Engels (…) La révolution de 1917 a inauguré l’ère de la mystification marxiste (…) Je suis venu à Marx par l’occupation allemande, à une époque où un juif d’origine pouvait faire dans sa chair l’expérience du totalitarisme. J’ai été approché par un groupe de jeunes marxistes et anarchistes qui cherchaient à diffuser des tracts de propagande révolutionnaire en allemand auprès des troupes d’occupation. J’ai proposé à ces militants de rédiger un texte où l’on ne mentionnerait ni Marx ni le socialisme, mais qui ferait tout simplement appel à l’instinct d’insoumission des soldats allemands ». Pour mettre tout le monde d’accord, son disciple libertaire, Louis Janover est venu plaider que Rubel avait « arraché Marx aux marxistes ». Certes, mais pour le livrer aux éditions bourgeoises Gallimard ! ».




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