PAGES PROLETARIENNES

dimanche 1 septembre 2013

LES PARTIS POLITIQUES EN SYRIE (1925)



Par Berger 

Cahiers du Bolchevisme, PREMIERE ANNEE N°27,  organe théorique du Parti Communiste  Français, (S.F.I.C.)
15 septembre 1925
Prix du numéro : 1 fr.
REDACTION ET ADMINISTRATION : 142 Rue Montmartre, PARIS
……..
En fouinant dans mon fonds d’archives, qui comporte plusieurs numéros des Cahiers du Bolchevisme, je suis tombé sur cet article assez exemplaire d’un effort de documentation du point de vue du combat politique prolétarien, sans prendre les lecteurs pour des imbéciles. Elles semblent loin les années 1920, et pourtant ce qui est décrit apparaît si proche de la réalité actuelle, tortueuse, opaque, avec d’autres compétiteurs en lice qui ont remplacé les anciens colonialistes (encore présents pourtant) ; mêmes rivalités communautaristes et religieuses, même inexistence d’organisations du prolétariat, pas aussi sanglant… Le PCF de 1925 était de plus en plus opportuniste, mais son organe théorique bien avant de sombrer sous le nom infâme de Cahiers « Maurice Thorez », contient bien des pépites, que je vous révèlerai… au compte-goutte en fonction de l’actu.

JLR
Le dessin du journal satirique "Le Rire"(1894-1950...) moque le sanguinaire Sultan Abdul Hamid sous la dictature duquel ont été massacrés par dizaines de milliers les Arméniens mais aussi des populations arabes qui subissaient le joug et la terreur de l'Empire Ottoman.
………


 Différent en cela des pays qui lui sont attenants au Sud et à l’Est, la Syrie, dont le mandat est actuellement dans les mains de Français, se trouve à un niveau relativement élevé de culture politique. Les débuts du mouvement national syriaque se rapportent à 1860, date à laquelle l’un des notables de Syrie, Bustros Oslami, fonda le premier journal politique, intitulé : Nphi Souria (La Flûte Syriaque). Ce n’est que quarante cinq ans plus tard que le mouvement politique prit une extension  vraiment sérieuse. Le despotisme d’Abdul Hamid, qui opprimait cruellement le peuple syriaque, qui entravait le développement économique de la Syrie et qui livrait les habitants , privés de tous leurs droits, à l’arbitraire effréné des pachas, incita les intellectuels syriaques à participer activement au mouvement émancipateur qui s’allumait à l’époque dans toute la Turquie. Les révolutionnaires venus de l’Egypte, fuyant les féroces persécutions des autorités turques, lançaient au peuple de Syrie des appels éloquents où étaient peints les tourments subis par le peuple, le joug sous lequel il gémissait et les possibilités du renversement du sultan :
« Musulmans ! La tyrannie est le plus affreux des péchés, il faut que les fidèles y mettent fin. Et vous, qui n’êtes point musulmans, oubliez les discordes passées : vous avez la science, il faut qu’elle vous aide à rétablir l’unité… réunissons-nous autour du mot d’ordre : Vive la Nation ! Vive la Patrie ! Nous voulons vivre libres et fiers ! »
Telle est la conclusion de l’appel lancé en 1866 par Alouakeli, chef de l’organisation clandestine égyptienne. Cette appel nous montre les particularités essentielles des conditions politiques de la Syrie ; elles ont permis aux Tucs de dominer la Syrie pendant des siècles, c’est elles encore qui sont de nos jours à la base de la domination française. C’est l’existence d’une profonde mésentente entre deux religions qui ont déchiré la population de Syrie en deux camps hostiles, grâce à l’activité séculaire de l’Iman et des prêtres catholiques. Il ne s’agit pas seulement de l’hostilité professée par une majorité musulmane, se trouvant à un niveau inférieur de développement économique et culturel, à l’égard d’une minorité chrétienne «économiquement et culturellement supérieure ; non, nous assistons ici à des rivalités, des intrigues, des chicanes auxquelles sont mêlées pour le moins 27 religions et sectes constamment à couteaux tirés, sur un petit territoire, et constamment en train d’exciter l’un contre l’autre les divers éléments de la population, ce qui entraine sans cesse des désordres politiques, des querelles, des excès, des troubles[1]. Si, maintenant encore, selon l’affirmation d’un homme politique de Syrie, il est impossible d’éclaircir la question des partis syriens sans parler de questions confessionnelles, cela est d’autant plus vrai pour ce qu’il en était, il y a une vingtaine d’années. Toutefois la révolution jeune-turque de 1908 a permis à divers comités et groupes de s’unifier, ne fût-ce que pour un temps.
Cette révolution du 24 juillet 1908, qui força Abdul Hamid à proclamer la Constitution, élaborée dès 1876, mais qui, à l’époque, avait été mise au rancart, fut également pour la Syrie un signal de révolte. La Constitution provoqua partout une allégresse sans exemple : « On se félicitait de la victoire si facilement obtenue ; on oubliait les souffrances passées. Musulmans, chrétiens et juifs s’embrassaient avec effusion. Dans les villes, on voyait les femmes débarrassées de leurs voiles participer à la joie des foules de manifestants » (La Syrie, livre du docteur Georges Somais, Paris, 1921, p.56). Les exilés revinrent en Syrie et prirent une part active à la formation du Gouvernement révolutionnaire. Dès les premières élections générales, la Syrie envoya au Parlement des délégués nationalistes dont le mandat était d’exiger la réforme radicale de l’Empire Ottoman et l’octroi de l’indépendance la plus large à certaines de ses parties.
Mais cette unanimité fut éphémère. Après la Révolution de 1908, si facilement triomphatrice, Abdul Hamid fît en avril 1909 une tentative contre-révolutionnaire qui échoua après une lutte brève, grâce à l’énergique intervention d’Enver bey, le chef du parti jeune-turc. Le nouveau gouvernement jeune-turc était nettement nationaliste ; la bourgeoisie turque, héritière d’un féodalisme pourri du sommet à la base, espérait encore pouvoir sauver et maintenir la plus grande partie de l’Empire Ottoman. Au lieu de l’émancipation nationale espérée par les nationalistes arabes qui avaient soutenu les Turcs dans leur lutte contre le sultanat, les capitalistes turcs voulurent assimiler par la violence les provinces arabes.

La langue turque fut la seule admise officiellement, les fonctionnaires arabes furent autant que possible remplacés par des fonctionnaires turcs et l’armée fut réformée de façon que les paysans et les prolétaires arabes (seuls mobilisés, vu la pratique du remplacement) pussent être envoyés loin de leur pays natal. Les impôts, et en tout premier lieu l’aschar, impôt agricole, particulièrement lourd pour la paysannerie, furent perçus encore plus impitoyablement que jadis et sensiblement majorés.
Cette politique oppressive provoqua un nouveau réveil de l’action libératrice syrienne ; ce mouvement fut réduit par tous les moyens. Un « Comité de Réforme », constitué dans la période où le premier cabinet révolutionnaire, celui de Khiamal pacha, était au pouvoir, et qui avait pour objet de défendre les revendications de la Syrie, fut dissous sans autre forme de procès, au début de 1913. Le télégramme de protestation envoyé à ce sujet au grand-vizir par 1.300 personnalités syriennes reçut une réponse laconique, dans laquelle il était fait usage  des expressions suivantes, bien caractéristiques :
« … Le Gouvernement a déjà publié la liste des réformes qu’il croit possible d’octroyer. Nous vous invitons à mettre en garde la population en lui faisant savoir que quiconque se laisserait entrainer à des manifestations séditieuses sera traduit devant un Tribunal militaire qui prononce sentence dans un délai de deux heures. Les autorités militaires ont reçu à cet effet des instructions strictes » (Correspondances d’Orient, 16 mai 1913).
La révolution bourgeoise, qui combinait en Turquie des aspirations capitalistes nouvelles avec les méthodes mêmes dont s’était servi l’ex-pacha, ne tarda pas à perdre tout crédit parmi les masses. Sous la pression des nationalistes turcs, deux grands courants politiques se cristallisèrent bientôt qui, par la suite, devaient servir de base à deux grands partis : d’un côté les Arabes mahométans, qui estimaient être une fraction de la grande nation arabe et qui habitaient toute la région méridionale de l’Empire Ottoman : le littoral de la Méditerranée (Syrie et Palestine), la Péninsule Arabique, la Région du Tigre et de l’Euphrate (Irak) jusqu’à la frontière persane ; ces Arabes mahométans opposaient à l’expansion turque l’idée de l’indépendance des Etats arabes (c'est-à-dire mahométans). Quant aux chrétiens habitant la Syrie, ils se trouvaient sous l’influence de la mission française, qui depuis longtemps déjà se préparait un terrain parmi eux, et ils étaient orientés sur l’Europe, ou, pour mieux dire, sur la France. Pour centre politique, le mouvement pan-arabe avait Damas pour centre spirituel, la Mecque, où résidait Hachmid-Hussein, descendant du prophète, instigateur du mouvement, qui briguait la royauté et le califat.

La déclaration déposée « en leur propre nom et au nom des pays dont ils étaient les représentants » par les 35 parlementaires arabes, faisait de Hussein « le chef religieux de tous les pays arabes ».
Le mouvement francophile prit d’autres formes : il arbora le pavillon de l’indépendance des diverses régions habitées par des chrétiens. Ainsi surgit le mouvement en faveur de l’indépendance du Liban et le « Parti national libanais », avec, pour centre, Beyrouth, mais pour moteurs principaux les Comités étrangers créés à Paris, New York et Sao-Paulo (en effet, grâce à l’importante émigration libanaise, de fortes colonies de Libanais, restés en rapports étroits avec leur pays, se formaient dans les deux Amétiques). Le parti national obéissait aux directives des Français qui le subventionnaient. Il n’avait de commun avec le mouvement national arabe qu’une haine égale pour la Turquie.
Lorsqu’éclata la guerre, ces partis estimèrent que le moment d’agir était venu. Les Comités firent preuve d’une activité fébrile, l’un et l’autre camp s’orientant sur l’Entente, Hussein négocia avec les Anglais, les Libanais appelaient les Français. Dès le début de la guerre, Syriens et Libanais se mirent sous la protection française, et on les vit en grand nombre s’engager dans les armées de leur protectrice.
Les Turcs persécutèrent avec une égale rigueur aussi bien les Arabes, disposés à se contenter d’une autonomie restreinte dans le cadre de l’Empire Ottoman, que les chrétiens amis des Français. En septembre 1915, onze nationalistes notoires furent exécutés à Beyrouth ; en avril 1916, vingt nationalistes furent condamnés à mort à Damas, et quelques-uns pendus ; mêmes exécutions à Jaffa, Jérusalem et Nabussah. Des milliers d’incarcérations et d’extraditions, des vexations sans nombre : on mettait le feu à des villages entiers, on bâtonnait les habitants. Les généraux turcs, énergiquement soutenus par les Allemands, essayaient de résoudre la question syrienne aussi « radicalement » que l’arménienne et la grecque. Les militants du mouvement libérateur arabe surent dignement mourir pour leur idéal. Au pied de la potence, ils criaient, soit « Vive l’Arabie indépendante ! soit « Vive la France ! ». Les Turcs ne s’arrêtèrent pas devant la dernière sanction, la plus terrible : ils essayèrent de prendre par la famine les régions révoltées. La cessation du ravitaillement de ces régions les transforma bientôt en de véritables cimetières. Après deux ans, la population de la Syrie avait diminué de près d’un tiers. Les soldats français y trouvèrent un peuple mourant de faim. Les habitants les accueillirent en libérateurs.
En effet, beaucoup d’entre eux pensaient que les Alliés, à l’adresse desquels ils avaient entendu tant de louanges proclamées par les chefs révolutionnaires, apportaient avec eux la liberté. C’est que les chefs s’étaient laissé duper par les promesses solennelles des Français et des Anglais, et puis bon nombre de leaders libanais étaient tout simplement achetés par le gouvernement français.

Les partis attendirent que les Alliés tinssent leur promesse. Les nationalistes arabes excipaient le traité passé par l’Angleterre avec Hussein en 1915 ; le Comité libanais soumettait en février 1919, au Conseil des Dix, les revendications suivantes :
1° Indépendance du Liban ;
2° Reconstitution de ses frontières historiques et naturelles ;
3° Concours amical de la France.
Les deux partis présentaient de volumineux memorandums, rédigeaient des résolutions protestataires et organisaient des manifestations ; ils envoyaient délégation sur délégation aux conférences ; en fin de compte le parti national arabe se décida, non sans être soutenu par les Anglais, à faire une démarche révolutionnaire.
Les puissances signataires des traités de Versailles et de Sèvres furent placées devant le fait accompli : le couronnement et l’avènement au trône arabe, à Damas, de Feyçal, fils cadet de Hussein. Mais, au dernier moment, l’Angleterre refusa à Feyçal le concours qu’elle lui avait promis. La royauté arabe essuya un fiasco pitoyable, et l’arbitraire illimité des « libérateurs français » sévit dans toute sa force.
Les méthodes des nouveaux dominateurs ne différaient que fort peu de celles d’Abdul Hamid et de Djémal pacha, qui, comme on sait, joua pendant la guerre un rôle de bourreau. Prison, déportations, privation des droits civiques, sévère censure, strict contrôle policier et militaire, toute cette machine oppressive força le parti national arabe à rentrer sous terre et lui fit perdre le gros de son influence, encore importante en 1920.
Seuls, les partis francophiles jouissaient de la protection et du concours des occupants, car ils étaient, en Syrie, les avant-postes de la France et servaient de paravent à cette dernière[2]. Les représentants de ces partis occupèrent toutes les fonctions publiques et gouvernementales, commandèrent la milice, etc. Les notables, c'est-à-dire les gros propriétaires, les gros négociants, etc., qui, dans le temps, savaient seuls trouver un langage commun avec les Turcs , s’entendirent fort bien avec les Français, car ceux-ci ne songeaient nullement à restreindre leurs opérations et à léser leur bien-être. Les notables surent se rendre utiles aux occupants ; c’est ainsi qu’ils étaient prêts, le cas échéant, à jouer devant les généraux français le rôle convenu de représentants du peuple, exactement comme jadis devant les pachas turcs.
Le mouvement légal, c'est-à-dire francophile, se rallie autour de plusieurs partis dont les opinions diffèrent dans les questions suivantes :

Attitude à l’égard du mandat français : il faut remarquer que tous les partis officiels reconnaissent en principe le mandat français que récusent seuls les nationalistes arabes, pour la plupart anciens membres du « Parti National Arabe », des musulmans, que l’on appelle « extrémistes » et « fanatiques », mais qui représentent les trois quart de la population.
Parmi les partis officiels, il y en a qui sont opposants, c'est-à-dire qu’ils critiquent le mode actuel de mise en pratique du mandat : ils exigent des réformes économiques, une réforme agraire, une diminution du corps expéditionnaire français. Près de la moitié des journaux arabes qui paraissent à Beyrouth appartiennent à cette manière « d’opposition ». Les principaux de ces organes sont : Al-Abrar, Ray-el-thoui[3]et le grand journal Alifba, paraissant à Damas.
Les autres souscrivent aveuglément à tout ce que fait le gouvernement mandataire ; leurs journaux sont : la Syrie, l’Orient, le Réveil, paraissant en langue française, et l’Elborg, en langue arabe. On retrouve ces deux mêmes tendances dans les Parlements des divers Etats syriens. Ne représentant aucunement le peuple, tel et tel parti n’a de succès aux élections que grâce au Gouvernement français, qui a confiance en lui et de qui il a su se faire bien voir, en se servant pour cela, en premier lieu, des calotins, tout-puissants en Syrie ;
Position à l’égard des questions administratives et surtout celle de l’unité de la Syrie. Les uns d’entre ces partis sont les protagonistes d’une autonomie maximum de chaque région ; les autres aspirent à la création d’une Syrie indivise additionnée, au Sud, de la Palestine, au Nord, de la Silicie. Les tentatives séparatistes sont particulièrement vives au Liban, qui jouissait déjà d’une certaine autonomie sous la domination turque. Les uns veulent que soit fondé un « Grand Liban », Etat indépendant, allié de la grande France ; les autres estiment que ce grand Liban n’est qu’un subterfuge français pour s’avancer dans l’Orient méditerranéen et compléter ainsi les possessions françaises de l’Afrique du Nord (Paul Pich : la Syrie et la Palestine, Paris 1924) ;
Enfin, les partis diffèrent quant aux idées politiques qu’ils défendent et qu’ils veulent réaliser.
En premier lieu, il faut signaler les royalistes. C’est un groupe de notables qui s’intitulent « Parti National Libanais » et qui voient une solution de la question syrienne dans l’élection d’un roi, monarque constitutionnel. La dignité royale, bien entendu, serait héréditaire. La couronne serait donnée à un représentant de la dynastie des Orléans, qui depuis plusieurs siècles déjà ne trouve pas à se placer en France et qui est prêt à prendre la nationalité libanaise, pourvu qu’il y ait au Liban un peuple à pressurer. Ce parti est d’ailleurs très faible.
Il y a un autre parti qui veut proclamer la République Libanaise sous le protectorat français.
L’idéal d’un troisième groupe est un système de self-gouvernement municipal, une espèce de démocratie communale.
Il y a, enfin, des politiciens qui prennent le nom de socialistes et même d’ « extrémistes ». Ils rappellent la bourgeoisie libérale qui prospérait en Europe, il y a quelques décades. Ils combattent la gentilhommerie et l’aristocratie, préconisent l’égalité devant la loi, des possédants et des non-possédants, défendent l’impôt progressif et, au contraire des chefs des autres partis, sont des libre-penseurs, des athées, des francs-maçons. Il leur arrive de critiquer le Gouvernement, de se lamenter sur les souffrances du malheureux peuple ; mais il ne leur arrive jamais de se bouger le bout du doigt pour organiser un parti ouvrier ou même, ne serait-ce qu’un parti populaire.
Tels sont les partis existant en Syrie. Ils sont tous composés des représentants des propriétaires féodaux, des capitalistes, de la petite bourgeoisie, enfin, dont la position est très précaire. Quant aux paysans et aux prolétaires, qui subissent des violences affreuses, ils ne possèdent pas de partis politiques, ils n’ont pas de journaux.

Un essai a été fait, en vérité, pour créer des partis ouvriers. Le 11 mai 1907, à Beyrouth, sous Abdul Hamid, une manifestation socialiste se déroula assez paisiblement, d’après le témoignage du Dr Georges Somais, dans son livre La Syrie ; le Gouvernement n’osa pas attaquer les manifestants, qui jouissaient des sympathies de l’opinion publique. Avant et après la guerre, de nombreuses tentatives ont été faites pour organiser un parti ouvrier, mais elles ont toutes échoué par suite de l’insuffisance des ressources et par suite des obstacles sans nombre soulevés soit par le Gouvernement, soit par les autres partis.
Cela n’empêche pas que les semences du communisme aient été apportées en Syrie. Parmi les intellectuels qui ont fait leurs études en France et qui s’y sont trouvés en contact avec les communistes français, il y a des hommes qui voient clairement le fond de la politique rapace et exploiteuse du Gouvernement actuel et qui ne peuvent être satisfaits par aucun des partis existants.
Les partis francophiles puisent ouvertement à la caisse française. Le Gouvernement de la République favorise la création de groupes et de partis sans cesse multipliés et qui lui sont avantageux par ce qu’ils empêchent que l’un de ces partis devienne assez puissant pour le gêner. Les subsides, qui au commencement étaient versés directement par le haut commissaire, sont maintenant remis aux destinataires par les ordres religieux, jésuites ou capucins. Le Gouvernement gratifie de sa bienveillance le socialisme petit bourgeois, et quelques-uns des journaux « socialistes » se voient même accorder des allocations. En effet, leurs tirades humanitaires et égalitaires détournent on ne peut mieux l’attention des masses populaires des causes véritables de leurs infortunes et les maintient dans la loyauté. (Le rédacteur de l’un de ces journaux, après avoir maintes fois proclamé son « socialisme » et même son « bolchevisme », bien que modéré, ne disait-il pas dernièrement qu’on ne peut refuser au Gouvernement de la « bonne volonté ».
Beaucoup de partis hostiles à la France vivent aux crochets d’autres gouvernements, surtout de l’Angleterre ; du reste, ils ne vont pas plus loin que le pan-arabisme, qui revient à la domination de l’aristocratie indigène dans l’état arabe.
Outre l’absence d’un parti arabe vraiment national, l’indifférence professée par l’opinion publique européenne de toutes nuances à l’égard de la question syrienne ou son hostilité vis-à-vis de toutes les solutions de ce problème qui ne sont pas celles actuellement appliquées, font que les intellectuels de Syrie se rapprochent du communisme. « Nous nous sommes adressés déjà à tous les partis de l’opposition en leur demandant de donner place dans les colonnes de leurs journaux à des articles expliquant l’exacte situation de la Syrie, dit l’un des chefs nationalistes, et ils ont tous refusé de le faire, sauf le Parti communiste, qui les publia dans l’Humanité ». Les noms de Cachin et Berthon sont très populaires en Syrie.
Cette idée communiste que l’ouvrier et le paysan de Syrie doivent eux-mêmes prendre en mains leur destin et que, seuls les prolétaires et les paysans unis peuvent arriver à affranchir le peuple syrien, cette idée a pris profondément racine parmi les opprimés : on peut s’en rendre compte d’après la campagne de calomnies dont le bolchevisme fait l’objet dans la presse. Cette campagne est loin d’être intelligente et adroite. Elle fait usage de mensonges ridicules et qui n’ont plus cours en Europe, elle se contredit à tout bout de champ et ses ineptes élucubrations n’arrivent qu’à un seul résultat : celui de mettre à nu la peur croissante éprouvée devant le flux de sympathie populaire à l’égard du communisme.
Tous les adeptes du mouvement d’émancipation national et de la révolution sociale du prolétariat prévoient la prochaine formation, en Syrie, d’un Parti communiste appelé à conduire les masses dans la lutte pour la liberté.




[1] Le petit tableau ci-contre donne une idée des principales religions de Syrie, sans mentionner les sectes moins importantes et sans indiquer le nombre exact des adeptes :
MUSULMANS
Sunnites : 1.500.000
Shiites :       100.000
Nosairites : 350.000
Druzes      :   85.000
Izmaélites :  25.000
Sectes moins importantes : 40.000
En tout : 2.100.000

CHRETIENS
Minorites : 300.000
Orthodoxes : 225.000
Melchites : 90.000
Grégoriens : 35.000
Catholiques : 20.000
Sectes moins importantes : 30.000
En tout : 700.000
Ces données sont empruntées aux dossiers du haut commissaire français et se rapportent à 1922.
[2] Dès le 25 août 1924, au cours d’une discussion à la Chambre au sujet de la ratification du traité de Lausanne, le président de la Commission gouvernementale, mis au pied du mur par les communistes, rapporta le témoignage d’un indigène de la Syrie pour confirmer les belles choses qu’il disait sur les bienfaits des Français en Syrie : « savez-vous qui est celui qui a le plus contribué à l’entrée des Français en Syrie ? Le beau poète Chécri-Gaouem, si populaires parmi  les Arabes et dont le frère a été exécuté par les Turcs. Il y a quelques jours, je l’ai rencontré ; nous nous sommes entretenus des réformes qu’il est indispensable d’apporter au mandat. Il s’est confondu en remerciements chaleureux à l’adresse de notre pays qui a affranchi le sein du joug criminel sous lequel il a gémi des siècles durant ».
[3] La presse politique a commencé à se développer pendant la révolution turque et a pris une grande extension après la guerre. A Beyrouth, où il n’y a que 150.000 habitants, paraissent 15 journaux quotidiens (dont 3 en français) et de 20 à 25 éditions périodiques. Damas possède 7 quotidiens ; presque dans chaque ville de Syrie paraissent un ou plusieurs périodiques. En ce sens, la Syrie a devancé la culture égyptienne.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire