PAGES PROLETARIENNES

mardi 30 avril 2013

LUIGI PREITI HEROS DESESPERE ?




« Le geste criminel tragique d'un chômeur qui voulait se suicider ».
Angelino Alfano, nouveau ministre italien de l'Intérieur.

Cet homme de 49 ans, au chômage, qui a tiré à l’aveugle sur les flics italiens le jour de l’intronisation d’un nouveau gouvernement bourgeois fait de bric et de broc, doit se sentir bien seul au fond de la geôle où il a été jeté après avoir été tabassé. Nous les maximalistes n’oublions jamais la terrible solitude de Van der Lubbe. Son acte a quelque chose d’héroïque parce que pour la première fois il montre ce que peut être un « suicide par procuration ». Nous sommes des millions à pester tous les jours face aux multiples suicides sur les lieux de travail (ou en dehors) que sont croissants depuis des années, à pester en se disant « m’enfin pourquoi celui-là n’en a pas profité pour zigouiller un exploiteur ou un ministre », au lieu, pauvre victime désespérée, de se flinguer lui-même ?
Je n’ai aucunement l’intention de lui faire la morale ni de saluer son geste, mais je comprends. Je comprends et compatis pour cet homme dont la vie est doublement fichue, et qui sait, au fond de la sordide prison où on l’a jeté, que la bourgeoisie l’accablera éternellement, et qu’aucune voix « autorisée » ne prendra sa défense.
Etranges, très étranges les lazzis mesurés, voire compatissants de cette même flopée de politiciens de tous bords, corrompus jusqu’à la moelle, qui jouent les pleureuses ou les cyniques face au chômage massif et qui ne sont que les délégués politiciens des grands industriels et de la petite bourgeoisie intermédiaire âpre au profit.
Luigi Preiti lui a choisi de tenter de mettre fin à cette longue série de suicides « masochistes » ou « victimaires », de prolétaires dans plusieurs pays ou même de flics de base, destruction peronnelle qui est aussi indifférente à la bourgeoisie que ses premiers billets de banques ; « l’acte personnel » (cf. Pannekoek) ne signifierait plus que destruction personnelle « désespérée », comme si celui ou celle qui s’y livre n’avait jamais espéré en une autre société. Mais Luigi n’a-t-il pas raté son projet, tirant stupidement sur les sous-fifres flics et blessant une passante ? Enfin stupidement n’est pas le mot, il a apparemment tiré « dans le tas » en leur criant « de tirer à leur tour pour le ‘suicider’ à sa place » ; car la forteresse étatique est inattaquable par un révolté seul.
Raisonnons.  C’est une honte quand même pour un prolétaire d’avoir à se suicider ; c’est rendre service à ces canailles d’exploiteurs qui « veulent nous enterrer tous » comme dit le poète Ferrucio Brugnaro. Après son arrestation, Luigi Preiti a déclaré qu’il voulait abattre « les hommes politiques », qu’il voulait faire un « geste éclatant » puis se suicider mais « qu’il n’avait plus de balles pour le faire ». C’est une version journalistique. En fait, il cria aux flics, après avoir vidé son chargeur, de l’abattre à son tour, preuve qu’il voulait les démasquer en leur laissant accomplir eux-mêmes la sale besogne, pour écourter le suicide à petit feu que constitue le chemin de croix du chômage.
Son geste est éclatant… de maladresse et d’échec, et il va le payer toute sa vie. Mais geste éclatant quand même pour nous les millions de prolétaires méprisés, bafoués ou jetés à la rue, pour nous tous qui rêvons, au bout du rouleau, de « flinguer » les politiciens bourgeois (un au moins ou deux) tout en succombant à la mitraille de leurs mercenaires protecteurs. Eclairant notre impuissance à agir collectivement et unitairement pour foutre en l’air l’Etat bourgeois et incarcérer ses politiciens et magistrats. Puisque la révolution se fait attendre ou plutôt que plus personne n’a envie de la prise du pouvoir par un parti prétendu « révolutionnaire » et pour que ses bureaucrates s’en foutent plein les poches à leur tour… et zigouille à tour de bras.
Geste désespéré, selon les médias qui ne s’attardent guère plus d’une journée (le 28 avril) à ce drame ni sur son sens profond. La presse internationale titre en gros que l’intronisation d’un nouveau gouvernement italien (péniblement constitué et de diverses confréries de partis pourris) «  a été gâchée par des coups de feu ». La presse française illustre l’évènement comme un simple fait divers d’abord avec la photo de Berlusconi (dont le parti est rattaché au gouvernement) – véritable chiffon rouge – qui sert à déclencher la fureur de tous les posteurs gauchistes qui s’époumonent contre la « momie », et ainsi passent à côté du geste symbolique  du chômeur armé ; et d’autre part en illustrant ce fait de révolte personnelle avec une photo de Luigi Preiti, jeté au sol, face contre terre, qui semble sourire alors qu’il grimace, puis une photo d’un des carabiniers touché et ensanglanté près de la tête ; ce qui réduit évidemment le geste de Luigi Preiti au rang de l’acte « fou » d’un « forcené », irresponsable et dangereux. Tournez la page, info suivante.
Or il est intéressant de noter que les « autorités italiennes », elles, se gardent de le qualifier de terroriste, comme les braves journalistes français qui voient un Merah partout ou comparent avec le cinglé qui a tiré sur des innocents à Istres (bled français). Les médias italiens se sont efforcés de « relativiser » : « Les blessures des deux policiers, touchés au cou pour l'un et à la jambe pour l'autre, ne seraient pas mortelles, selon les médias italiens » (cf. AFP). Le maire de Rome a « cependant » exclu la piste d'une attaque terroriste. "Ce n'est pas un acte de terrorisme mais le climat de ces derniers mois a certainement aidé", a déclaré Gianni Alemanno, une allusion aux tensions politiques qui durent depuis deux mois (cf. la crise politique en Italie suite aux élections bâtardes). 
On marche sur des œufs. La bourgeoisie a très bien compris que Luigi Preiti s’est fait l’expression, certes violente et désespérée, du prolétariat italien acculé, bafoué par les divers clowns politiques et jeté massivement sans vergogne au chômage. Luigi Preiti doit se sentir bien seul pourtant dans l’univers carcéral bourgeois. Personne ne va le soutenir, ni les prolétaires devant leur écran plat comme leur encéphalogramme politique et syndical, ni bien sûr les couards complices dans l’Etat, syndicratie et particules gauchistes électoralistes.
Enfin surtout, il faut souligner  la honteuse génuflexion du premier représentant de la petite bourgeoisie bobo sans avenir et sans option politique claire : celle du clown Beppe Grillo qui s’est grillé en se désolidarisant totalement du petit prolétaire de Calabre. Le patron de la Ligue du nord et président de la région Lombardie, Roberto Maroni, ayant accusé le « Mouvement 5 Etoiles » de Beppe Grillo d'avoir alimenté la colère contre la classe politique. ("Certains soutiennent que les hommes politiques sont la cause de tous les maux", avait-il argué), l’excité des foirails pipoles bobos, frissonnant sous cette sorte d’accusation de « faiseur de terrorisme », petit chef  péteux et inconsistant de la petite bourgeoisie romaine,  a condamné le geste de Luigi Preiti : « Le M5S est absolument contre la violence. Notre unique violence est de recueillir des signatures pour des pétitions, faire des référendums et des lois voulues par le peuple », a-t-il minaudé.
Le nouveau chef de la police italienne s’est montré plus digne que le clown Grillo en parlant : d’un «acte isolé», déclarant que l’auteur, Luigi Preiti, ce chômeur calabrais de 49 ans, «a manifesté l’intention de se suicider mais n’y est pas parvenu car il avait vidé son chargeur». Le procureur de Rome, Pierfilippo Laviani, a évoqué dignement aussi un «homme plein de problèmes qui a perdu son travail, a tout perdu, et a dû retourner vivre» chez ses parents en Calabre. Selon le magistrat, Luigi Preiti voulait initialement «tirer sur des hommes politiques, mais comme il a vu qu’il ne pouvait pas, il a tiré sur les carabiniers».
Le nouveau ministre de l’Intérieur, Angelino Alfano, chef du parti de Silvio Berlusconi, a choisi aussi le profil bas, « par précaution » (comme le note avec ambiguïté un journal français) en bottant en touche pour la défense de l’ordre policier et financier véreux, tout en instillant la menace diffuse du « terrorisme » : « …le ministre Alfano a renforcé la surveillance «des objectifs à risque», notamment Montecitorio, le siège de la Chambre des députés, où le nouveau Premier ministre Enrico Letta se présentera lundi après-midi pour son premier discours de politique générale ». Quant au nouveau ministre des Infrastructures Maurizio Lupi (droite) : « (il) s’est toutefois voulu rassurant en estimant qu’«il n’y a pas de lien entre ce geste et la prestation de serment du gouvernement».
« Après les tirs, le passage de relais entre les gouvernements de Mario Monti et d’Enrico Letta s’est poursuivi normalement, avec le traditionnel échange de la clochette du conseil des ministres. Le président américain Barack Obama, qui s’est gardé de crier au loup terroriste ou au spectre de la dictature du prolétariat, a félicité «chaleureusement» Letta, souhaitant qu’Etats-Unis et Italie travaillent étroitement «pour la croissance», alors que l’Italie traverse sa plus longue récession de l’après-guerre. Mêmes voeux de réussite de la part du président français François Hollande et du président de l’Union européenne Herman Van Rompuy, qui a appelé M. Letta à «poursuivre les réformes entreprises par l’Italie».
« Né au terme de deux mois d’impasse politique, l’«équipe Letta» suscite beaucoup d’espoir. Elle se distingue par la jeunesse de ses membres (53 ans en moyenne, 10 de moins que l’exécutif Monti) et une forte présence de femmes (7 sur 21 ministres). Surtout, le gouvernement est le fruit d’une alliance droite-gauche sans précédent depuis la fin de la seconde guerre mondiale, qui se traduit par un savant dosage, avec neuf ministres du PD, cinq du Peuple de la Liberté (PDL) de Silvio Berlusconi et trois centristes, quatre autres étant des technocrates. «C’est la première tentative explicite de pacification de l’Italie» avec la formation d’une «coalition totalement inédite qui balaye 20 ans d’inimitiés» entre droite et gauche, a souligné l’éditorialiste politique du Corriere della Sera, Massimo Franco. (Une curieuse « pacification » qui donne envie aux prolétaires désespérés de « tirer dans le tas » !)
Sur Nice matin, on lit à peu près le même canevas recopié de l’AFP et des agences italiennes, mais le conditionnel est de mise :
« Le gouvernement du chrétien démocrate Enrico Letta a prêté serment dimanche au Palais du Quirinal à Rome, dans une cérémonie solennelle mais ternie par des coups de feu tirés sur des carabiniers par un "désespéré", devant le siège du gouvernement à un km de distance. M. Letta, issu du Parti démocrate (PD), première force de centre gauche, a été le premier à jurer fidélité à la Constitution, suivi de ses 21 ministres, dans l'atmosphère un peu compassée du Quirinal, le siège de la présidence. Vers 09H40 GMT, au beau milieu de la prestation de serment mais à l'insu des participants, un homme a tiré une série de coups de feu sur des carabiniers en faction devant le Palais Chigi, siège du gouvernement.(…) Selon les médias, Luigi Preiti aurait perdu son travail et est séparé de son épouse, restée avec leur fils de 10 ans dans le Piémont (nord de l'Italie). Il aurait dilapidé les économies familiales en jouant au vidéopoker et aux machines à sous ».
Un type plein de problèmes psychologiques qui aurait dilapidé les maigres ressources familiales dans des casinos?
«  Il s'agirait d'un Italien de 49 ans, originaire de Calabre, qui aurait des problèmes psychiques.  Selon le tout nouveau ministre de l'Intérieur, Angelino Alfano, il s'agit d'"un acte isolé", "le geste criminel tragique d'un chômeur qui voulait se suicider". "Il voulait viser des hommes politiques", a précisé le procureur adjoint de Rome, Pierfilippo Lavian. Un policier a raconté que l'homme avait tiré plusieurs coups de feu sur les deux carabiniers en faction en criant "Tirez, tirez sur moi" aux autres agents des forces de l'ordre présents ». 
Des aveux dans l'après-midi
« Vers 16h30, on apprenait que l'auteur des tirs était passé aux aveux. 
Luigi Preiti, qui était bien habillé et arrivait du Palais de Montecitorio, siège de la Chambre des députés, a tiré à l'improviste sur des carabiniers en faction devant le Palais Chigi, le siège du gouvernement. Les médias italiens ont indiqué que Preiti est un maçon au chômage qui avait quitté sa Calabre natale pour le Piémont il y a 20 ans. Il s'était séparé il y a deux ans et demi de sa femme et traversait des difficultés économiques. Il était retourné en Calabre pour vivre chez ses parents à Rosarno, laissant dans le Piémont sa femme et leur fils de 10 ans.
Selon certaines sources, il se serait mis récemment à jouer au vidéopoker et aux machines à sous -- présentes dans tous les bureaux de tabac en Italie - dilapidant les économies familiales et accumulant des dettes. Luigi Preiti était arrivé samedi soir à Rome avec l'intention d'accomplir "un geste éclatant", et logeait dans un hôtel, ont indiqué des enquêteurs cités par l'agence Ansa. "C'est le geste d'un fou déséquilibré", avait aussi affirmé le maire de Rome, Gianni Alemanno, devant la presse, en indiquant que les deux carabiniers blessés et la passante "ne sont pas dans un état grave". (le « geste fou d’un déséquilibré », glissement de la presse française aux ordres car, comme on l’a vu plus haut, la déclaration du maire de Rome était plus mesurée et niait qu’il faille le considérer comme un acte de terrorisme !)
Le Procureur de Rome a décidé de l’inculper en aggravant son crime de la préméditation, au-delà d’une tentative de triple meurtre, le port et détention d'arme clandestine et le recel avec le fait aggravant d'avoir agi contre des officiers publics en service de l’ordre public."
Le regard vide, alternant de longs silences face aux interrogatoires policiers, l’homme s’est dit désespéré pour lui et son fils : « J'ai voulu faire un geste éclatant dans un jour important, mais je n'ai de haine pour personne en particulier », a déclaré M. Preiti dans ses aveux, selon l'agence de presse italienne Ansa.
« Après les tirs, le passage de relais entre les gouvernements de Mario Monti et d'Enrico Letta s'est poursuivi normalement, avec le traditionnel échange de la clochette du conseil des ministres ».
Tout était rentré dans l’ordre. En attendant la prochaine crise politique et les dernières statistiques du chômage.



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