PAGES PROLETARIENNES

mardi 19 mars 2013

WIRELESS FIDELITY




(extrait du tome II des Aventures de Richard Hotburnes, autopsie de liaisons tardives au début de l’an deux mille)

 UNE COUGAR GAUCHISTE PERVERSE

Sur la « toile » les aventures de Richard se suivaient sans se ressembler. Une rencontre peut-elle s’avérer dangereuse, une fois enjambée la camerounaise pompeuse à distance de CB, la cubaine et ses castagnettes, la russe et sa vieille collection complète des œuvres de Lénine ? Non, aucune en soi si ce n’est pour le pognon, pensait Richard. Il aurait dû se méfier plus, le pognon n’est pas le seul et unique moteur de l’emprise des femmes sur les hommes. La nouvelle visiteuse possédait la même voix charmeuse que B.B. jeune.

Un jour, ou bien était-ce une nuit, il s’était connecté sur le site bien connu « net club » (gratuit pour les femmes) pour visualiser d’éventuels messages de quinquagénaires ou de sexagénaires, catégorie à laquelle il était affilié désormais depuis sa mise à la retraite d’office. Il vit immédiatement qu’une quadra (49 printemps) avait laissé son numéro de téléphone alors qu’il ne payait plus son abonnement. Une chance une jeunette, pas  forcément cougar dégénérée, crut-il. Une chance qu’une candidate à la vie en couple franchisse allègrement les lamentables et assommant dialogues minitelistes préliminaires coutumiers.
La femme, Marjorie 49, résidait à Boulogne-Billancourt, un ex-banlieue prolétarienne, site d’une île fleuron d’un bastion ouvrier démoli par les bulldozers où Richard avait connu son premier emploi de salarié du Capital dans une agence d’une ancienne boite nationalisée.
Son annonce concise « cherche rencontre pour vibrer en commun », gimmick pied de nez à la solitude capitaliste, avait fait une autre touche. Il la retrouva à la terrasse du café « Eden » (à l’Ouest de Billancourt), place Marcel Sembat, du nom du ministre collabo va-t-en guerre socialo. Marjorie, le cheveu court était grande et élégante. Elle sourit en l’apercevant en pantacourt et lunettes de soleil Tati, encore bronzé. Tout de suite elle le trouva beau et séducteur, ce qu’il nia. Elle ouvrait grand les yeux. Richard ne savait pas encore qu’elle était myope. Il avait déjà remarqué au téléphone qu’elle s’écoutait parler. Lorsqu’elle parlait elle fixait la rue et pas son vis-à-vis. Il prît cela pour de la timidité. La conversation s’engagea un peu sur n’importe quoi. Richard laissait aller, sans souci militant, sans envie de convaincre. Il laissait faire. L’important lors d’une première rencontre n’est pas d’étaler son CV ni d’établir une fiche policière. Il faut comprendre les motivations de l’autre. Ou plutôt écouter l’autre plus que parler de soi-même. Il faut observer la tenue, les gestes, être attentif à la communication non verbale. Richard excellait à laisser intercéder des moments de silence. Il ne quittait pas des yeux la femme qui semblait gênée alors qu’elle lui paraissait déjà bizarre. Elle enchaînait un sujet puis un autre aussitôt pour meubler le silence qu’il lui imposait. Il la coupait pour la rassurer sur ses silences. Une bavarde, pensait-il. Secrétaire financière, elle semblait cultivée, bien qu’un peu trop « raisonneuse ». Il ne cacha rien, ni son âge (rajeuni sur la fiche du net) ni sa situation honteuse (retraité depuis peu). Elle fît l’offusquée :
-          vous avez menti !

Il mesura au fil des échanges suivant que la femme s’en fichait qu’il ait menti. Les secrétaires mentent si bien à leur patron lorsqu’elles arrivent à la bourre et à leurs collègues quand elles sont bourrées par le patron pendant les 35 heures d’aliénation. Elle ouvrait toujours de grands yeux. Elle se penchait parfois près de lui au-dessus de la table du bistrot. Elle ne se formalisait pas qu’il l’interrompe en lui touchant le bras. Elle avait des lèvres charnues et se mit à fumer de longues cigarettes. Cigarette sur cigarette. Il prît cela démocratiquement pour de la nervosité. Son menton tremblait lorsqu’elle le relevait. Il se plaisait à concevoir ce tremblement pour de l’émotion. Elle parlait d’elle-même et Richard voulut rouler des mécaniques.
Oui il devait l’avouer il était auteur… un petit auteur… il avait réalisé un ouvrage sur le nazisme, avec une idée maîtresse, en tant que barrage de la bourgeoisie contre la révolution russe. Nullement impressionnée elle rétorquait :
-          non, j’ai beaucoup lu sur le sujet, le nazisme c’est la Shoah, la destruction des Juifs ; six millions de Juifs ont été exterminés et des milliers de tziganes et d’homosexuels. Vous avez une idéologie communiste du XIXème siècle.
-          Non, vous n’avez pas tout lu, si vous cherchez mon nom sur google vous le trouvez en premier juste avant l’important historien Ian Kershaw. Avez-vous lu Kershaw qui dérange l’américanisation de l’histoire. La théorie du complot contre les juifs dispense de réfléchir sur les vraies causes de WW II.

Non elle ne l’avait pas lu mais ce n’était pas grave, heureusement que les Alliés avaient gagné pour mettre fin au massacre des Juifs.

Richard n’estima pas nécessaire d’engager la polémique sur un sujet d’une ampleur peu propice au bonheur des couples tardifs. Ce n’était pas le lieu ni la circonstance. Est-ce qu’elle aimait les balades en forêt, la rando au moins ?
Non elle aimait la natation et pas la rando qui est le parcours des vieux papys boys scouts, c’est chiant. Elle parla de son chat, de son appartement tout près. Richard pensa qu’elle voulait coucher tout de suite et n’y vit aucun inconvénient. Avec son culot habituel, il dit :
-          j’aimerais connaître votre chat et prendre un thé dans vos meubles, ainsi on en apprend sur les gens plus que bien des discours.
-           
Elle opina du bonnet. L’affaire était dans le sac pour notre Richard guilleret à l’idée du fast food. Bonne pioche elle avait proposé de partager la tournée. Ravissant et confondant. Ils remontèrent l’avenue Jean Jaurès, du nom de l’idéologue socialiste du XIXème siècle jusqu’à l’appartement de fonction de la dame.

L’appart puait et la poubelle débordait. Il était situé dans un carré d’immeubles, ancienne possession des russes blancs (tiens tiens…)– une église orthodoxe pointait encore son nez et son bulbe dans la cour. Etrange… autant elle se la pétait « class » au bistrot, autant son intérieur détonait clodo avec des meubles en carton et caisses à légumes en guise d’armoire de rangement. C’était celui d’une marginale lectrice du Monde Diplo. Peu de livres pour une aussi connaisseuse de l’histoire, des plantes disparates ou crevées, et un plafond jauni par la fumée de cigarette. Richard, sans doute déjà désireux de s’enfuir, refusa thé et café, puis proposa de se rendre chez lui pour dîner. Dans la voiture il ne s’offusqua point qu’elle le traita de vieux con pour une réflexion  légère, mais trouva la chose bizarre pour un début qu’on imagine toujours poli et convivial.

Richard ne réussit pas comme à l’ordinaire son omelette aux champignons. Elle était horriblement gonflée et les haricots en boîte étaient mal cuits. Marjorie fumait compulsivement une cigarette entre chaque plat. Richard se laissait aller à lui en piquer une de temps à autre. Pourtant fumer tue mais la conversation, parfois, aussi. Richard venait d’essuyer deux échecs sentimentaux au cours de l’été et se voyait ravi de cette intrusion  subite d’une envoyée de l’Internet. La pression oculaire avait disparue. Le calcul torturant du séjour en Lozère était oublié. Il la trouvait soudain belle cette bizarre myope bavarde, oubliant qu’elle était crade à l’intérieur. Elle lui montrait ses lunettes modernes sans double foyer, sans l’épaisseur double vitrage des anciennes montures gogolito.
Insensiblement la discussion était revenue sur le nazisme. Un sujet régulièrement à la mode.
-          mon copain précédent était riche mais superficiel. Il était allé en Suisse et disait « les suisses sont des cons ».
-          oui, fît Richard, en général les suisses sont des cons friqués qui méprisent leurs travailleurs immigrés mais cela ne veut pas dire que tous les suisses sont cons.
Elle déporta la conversation :
-          j’admire le peuple allemand. Les allemands ont reconnu leur responsabilité dans le génocide. Peu de peuples auraient été capables d’en faire autant.
-          C’est quoi le peuple allemand, fit Richard, une poignée d’intellectuels qui prétendent parler en son nom ?
-          Le peuple allemand a tiré les leçons de la Shoah avec une grande dignité.
-          Non, répliqua Richard, on a tiré des leçons pour lui. La guerre mondiale ne se résume pas à la Shoah, c’était la prolongation de la guerre capitaliste de 39-45 !
Elle concentra sur Hitler :
-          Pas du tout, dit Marjorie, c’était la faute à Hitler qui voulait exterminer les Juifs. Tu ne te rends pas compte il y avait une spécificité juive. Les enfants… ils ont exterminés les enfants. Ils voulaient exterminer une race…
-          Eh bien ils ont échoué !
-          Comment ils ont échoué ?
-          Pour exterminer les Juifs du monde, il aurait fallu exterminer les juifs américains et d’Argentine, etc.
-          Mais c’était le but d’Hitler.
-          Fanfaronnade. Le but d’Hitler dans Mein Kampf c’est d’exterminer à jamais le communisme avec le tour de passe-passe de confondre juifs et communistes ! Hitler a un double langage, face à ses juges lors de son putsch il avoue que son but est l’extermination du communisme, face à ses électeurs il dénonce les juifs. Il y a substitution d’une communauté inoffensive au prolétariat dangereux.
Elle extermina le communisme généraliste :
-          Mais tu défends le point de vue communiste ringard du XIXème siècle, c’est du Le Pen, c’est bien pourquoi communisme et nazisme étaient si proches. Les extrêmes se ressemblent…
-          T’es bien une secrétaire nunuche qui récite le discours télévisé quotidien !
-          Non je pense par moi-même, toi tu es enfermé dans des ornières. Tu vois des complots partout. Tu es complètement déjanté.

Ma poufiasse de Billancourt gentrifié avait bien descendu le rosé et fumait cigarette sur cigarette. Richard se redressa.
-          Non tu penses comme monsieur tout le monde ! tu n’y comprends rien parce que tu ne vois pas les classes sociales !
-          La classe ouvrière a disparu. T’es un connard qui raisonne encore comme au XIXème siècle. Les communistes n’ont pas compris qu’il fallait s’allier ensemble contre le nazisme pour l’empêcher de vaincre. Le nazisme c’était l’extermination des enfants juifs.
-          Tu insultes parce que tu es à court d’arguments. Non le nazisme a été mis en place par la bourgeoisie internationale en Allemagne, avec leurs capitaux, avec le but de renforcer une police allemande impuissante face aux cohortes d’ouvriers armés ! Le nazisme n’est pas un phénomène allemand.
-          Si, et les enfants ?
-          Et les enfants d’Hiroshima et de Dresde, ils n’étaient pas des enfants qui avaient le droit de vivre ? Et les enfants de Bosnie, du Rwanda ?
-          Ce n’est pas pareil les guerres ethniques, il n’y avait pas de projet de solution finale.
-          Çà veut dire quoi ? çà veut rien dire. Les guerres ethniques sont provoquées et entretenues par les services secrets des grandes puissances. L’extermination est liée à la guerre capitaliste, elle n’est pas le propre d’Hitler. Quand Mac Arthur veut exterminer les japonais…
-          Tu nies le projet d’Hitler d’exterminer la race juive avec les enfants.
-          Il faut être lucide, l’Etat américain a laissé faire Hitler pendant cinq ans et il n’y a pas eu que les juifs d’exterminés, probablement aussi six millions d’allemands, près de soixante millions de morts au total, y inclus américains pour les profits capitalistes. Bombardements et gazages ne font pas la différence entre enfants, femmes, civils et déserteurs.
-          Mais les juifs ont été la principale cible !
-          Ce n’est pas vrai, le pouvoir nazi était lui-même divisé en cinq branches. Une branche voulait utiliser les juifs comme « travailleurs forcés », et d’autres, avec Himmler, stupidement éliminer les personnes bouc-émissaires comme exutoire au ‘danger intérieur’ en mobilisant une partie de la troupe mais en dégarnissant le front de l’Est. La guerre mondiale est un bordel qui prend un tour irrationnel parce que le Capital est sans perspective d’avenir, et il ne faut surtout pas que le prolétariat renaisse de ses cendres. Le bombardement de Dresde est le bombardement d’une ville de civils, de prisonniers et de déserteurs. Chaque bombardement de la population par les escadrilles de Churchill renforce Hitler. La bourgeoisie américaine s’enrichit avec la guerre.
-          C’est faux. Les américains approvisionnent les anglais en armes durant toute la guerre contre Hitler.
-          S’ils approvisionnent ce n’est pas sans contrepartie, même quand ils n’ont pas encore déclaré la guerre à l’Allemagne, donc ce n’est pas une vertu anti-fasciste imaginaire. Tu sais autant que moi que des industriels français alimentaient l’armée allemande en 1914. La guerre ne supprime pas les échanges industriels.
-          Tu vois des complots partout et tu es borné comme c’est pas possible, arrêtes !
-          Je ne suis pas borné mais nous sommes minoritaires à penser comme moi, parce que l’oubli est maître du monde. Mais je te propose d’arrêter là et de passer dans la chambre. Ce n’est pas propice à une union nuptiale.

Dans la chambre, sur le matelas à même le sol, Richard se fait tendre.
-          on ne devrait jamais parler politique ou histoire au début d’une rencontre. Tu me plais bien.
-          Oui toi aussi tu es gentil au fond, on n’aurait pas dû parler de ça.

Elle se tourne, allume encore une longue cigarette. Richard dégrafe la soutien-gorge. Les seins sont fermes et en relief. C’est une nageuse. Elle les entretient. Elle se laisse caresser. Mais ne vibre pas. Elle demande s’il a plusieurs capotes :
-          plusieurs ? tu me prends pour un superman ?
-          je plaisantais, rit-elle. Exhibant ses dents jaunies.

Elle va à la salle de bains. Richard s’étend les bras en croix quasi rassuré. N’est-ce pas dans le contact des épidermes qu’ont lieu tous concordats du monde ? Elle revient en slip réclamer une serviette. Les seins sont magnifiques, galbés et pointus.
-          tu as des seins d’une femme de vingt cinq ans, concède Richard, plus près du zénith antifasciste que de l’enfer nazi.
-          Tu exagères.

Elle trifouille mes livres dans le rayonnage près du lit. Elle se moque de certains. Prenant celui de Max Gallo, La cinquième colonne, elle le jette sur le sol et pouffe avec cette même sonorité de voix nunuche que B.B. :
-          tu vois des complots partout
-          non , celui là c’est le tien, le complot universel, antique et hitlérien contre les Juifs
-          que tu es négatif en tout
-          que tu es destructrice en tout

-          c’est pas possible d’être comme çà

Richard peste que les frigides ont toujours de beaux seins et que çà sert à rien, et que ce devrait être réservé aux normales. Que ces connes radotent avec les mêmes termes pour faire débander même un pendu. Le venin est craché au au coup par coup, à l’aveuglette. Elles cherchent à humilier constamment l’homme, lequel essaie de se faire entendre… pas normal… mais si tout est de sa faute… dialogue pathologique où la folle ne cherche pas la vérité mais à déstabiliser l’autre. Elle ne répond pas aux questions précises et fuit par l’invective. Elle hurle de plus en plus « arrête » ! comme une mère qui veut calmer son polisson de fiston en bas âge.

Richard, philosophe à ses heures même les plus déplorables, déplore qu’ils aient eu cette discussion sur la guerre mondiale. Il n’y a pas que la guerre mondiale dans la vie. Marjorie la hyène garde sa chemise ouverte sans le soutien-gorge. Elle lui tourne le dos, se tient du côté de la lumière de l’halogène et surtout du cendrier.
-          tu en fumes une autre ? s’inquiète-t-il.

Croyant avoir brisé la glace des opinions historico-politiques à tiroir, Richard se croit malin de lancer une saillie qui confine à la beaufitude moderrne au quartier Saint Séverin quand elle n’est qu’une banalité conviviale lors des repas familiaux de baptême. Réflexion qui congèle à jamais toute copulation spontanée, en lui caressant les seins :
-          on est pas des pédés !
-          ah non c’est honteux ce que tu dis. Il faut respecter les homosexuels. Tu es abominable.

Après la gauchiste antifasciste communautariste, fallait qu’il tombe sur une bobo écolo monacale ! L’autre se roule en boule, aspirant profond une bouffée et se reboutonnant avec cet air outré des électrices du 5ème arrondissement.
-          t’es vraiment une bobo, les juifs étaient le centre du monde, maintenant c’est les homosexuels. J’ai rien contre, faut laisser vivre les gens, mais c’est pas normal que çà te donne des boutons ou que tu les refermes…
-          comment c’est pas normal ? mais Hitler les a fait exterminer, t’es vraiment comme Le Pen, on étouffe chez toi, ouvre les fenêtres !
-          alors arrête de fumer ! Et laisse tomber ta défense des homosexuels ; on a le droit de rire de tout, tu crois que les homos ne se moquent pas des hétéros ? Tu es frigide et castratrice.
-          Comment peux-tu dire cela ?
-           
La myope gauchiste tendance frigide se lève et va s’asseoir sur mon divan vert (mais pas de rage lui) en aspirant sa longue cigarette. Richard est allongé nu en face de la femme habillée. Ce qui n’est pas en son honneur, bite en berne. Las, très las, il chuchote :
-          il faut que je me rhabille et que je te raccompagne chez toi ?
-          il est minuit, on peut aller faire un tour au quartier latin, qu’elle fait la bobo homophile.
-          Non  je te raccompagne chez toi, cela n’a pas de sens de marcher main dans la main dans la rue si on n’a pas fait l’amour et si on a fait la guerre des mots. T’es une frigide c’est tout.
-          M’enfin, ça vous arrive à vous les hommes de ne pas pouvoir, tu es dur avec moi. Tu es excessif. Tu es toujours comme ça ?
-          Je te raccompagne.
-          Re-Viens prendre le thé chez moi.

Chez Marjorie, Richard s’assied sur le clic-clac branlant avec la couverture pour le chat. Il accepte un verre d’eau. Elle vient près de lui. Elle lui tape violemment sur la main soudain quand sa pauvre main de jeune retraité tentait de se faufiler vers le sein visible de la chemise entrouverte à dessein (c’est involontaire de la part du pigiste). Si soudainement que Richard s’étonne de demeurer bouche bée et de l’écouter, mains sagement croisées après punition, seriner sa saga familiale. Les yeux de Richard se ferment par moment, de tolérance compassée ou d’abrutissement consenti, on ne le saura jamais. Marjorie était vendéenne. Généralement on associait, dans le mouvement ouvrier ancien la Vendée à la réaction catholique et royaliste et les vendéens et alentour jusqu’à Bordeaux à des gros cons  profiteurs et esclavagistes. Tout cela était du passé des connards dix-neuviémistes. Dès la mort de la mère, alors qu’elle avait quatorze ans, le père avait commencé à les battre, elle, et ses neuf frères et sœurs. Un père laïque, instituteur et mendésiste tendance socialo, si vous avalez sa saga familial. Tout pour en produire une lectrice du Monde Diplo tendance frigidaire mondialisé.

Son homélie familiale terminée, elle lui propose de le raccompagner dans la rue jusqu’à la voiture. Il frotte un peu sa barbe sur les joues de la folle, ravie et rassurée par sa nouvelle proie, et se surprend à penser « casse-toi au plus vite Richard ! ». Richard ne s’appartenait plus déjà en effet. Et le pire était qu’il en était conscient.  Il était une simple chose, presqu’un chien.

Richard gamberge alors à la vitesse d’une mobylette au galop. La synthèse intra-muros est sans fard : totale avalanche de dénigrements, même de mes chaussures, mes opinions… du Le Pen mal digéré. Perturbé à fond le Richard. Humilié probable. Le jeu de l’attente sexuelle en masquait encore au cervelet de Richard les effets délétères qui ne se réveilleraient que le lendemain. Avec cette classique machine à souffrir interne au cerveau reptilien : la torture en boucle des sarcasmes de la petite bourge marginale et sale, comme des dards aléatoires, les uns après ou avec les autres, sans pouvoir en contrôler l’invasion, avec cette impression forcenée que vous n’avez pas su répondre à toutes les railleries et que l’autre a eu raison de vous, vous a « objectivé », ou plus prosaïquement mis à poil. Oilà ! elle t’a aussi communiqué sa folie circulaire ! pauvre naze de Richard. C’est aussi contagieux que le sida mais personne n’en parlera.

Pouvait-il revoir son bourreau d’un soir ? çà va pas ! Non Richard avait senti le danger, mais les mots et les réflexions de la tarée lui collaient aux basques. Le silence ne serait-il pas la meilleure attitude de dédain ? Non pour se protéger mais pour ne pas engueuler en pure perte vocale au téléphone. Pas du tout mon pauvre ! Que faire, non pour renouer mais dissiper le mal être que cette conne avait généré ?

Le lendemain c’est elle qui appelle plusieurs fois. En vain. Richard ne voulait ni se justifier ni l’agonir. Un dernier coup de fil vers les dix heures du soir, elle dit :
-          tu ne veux pas me rappeler c’est pour te protéger, ce n’est pas grave.
C’est la goutte d’acide qui remet en ébullition Richard. Roooo…. On va voir !
Trois jours après Richard se rend à l’évidence, il lui faut la baiser par téléphone, non pas virtuellement en fantasme charnel, imbécile de lecteur, mais la niquer pschyco quoi, enfin tourner la page avec le mot fin. Mais il est encore trop déstabilisé par la conduite de la folle. Il se répète ses arguments en boucle, puis s’aperçoit que tout se brouille. Il recommence à voix haute. Idem. Alors il écrit sur un papier pour ne pas être déstabilisé par ses interruptions dominatrices : …tu te permets de… tu ne me connais pas encore… de quel droit… tu fumes comme une malade… t’es vraiment pas claire… sale bobo bornée… ta conduite inqualifiable … tes insultes : vieux, connard, ringard du 19e, ta violence dans ton gourbi sale… tu ne connais du communisme que Marchais et ta référence politique – l’affiche du réseau bourgeois mondain Attac à côté du magazine TV sur le carton qui te sers de table - montre que tu n’est qu’une grue du système et imbitable comme lui. Adios pétasse !

Richard avait tout débité d’un bloc, plus ou moins lisant son post-il de sauvetage. Il avait raccroché sans laisser démocratiquement la pétasse répondre. Et il s’était demandé si cela ne serait pas possible de prévenir les mecs sur Internet d’éviter Marjorie la folle.
Au moins celle-là ne lui pomperait plus l’oxygène, vital sur cette terre.


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