PAGES PROLETARIENNES

vendredi 21 décembre 2012

LA MILITARISATION DU PARTI ET DU PROLETARIAT




et "l’armée rouge", cette notion inconnue dans les programmes socialistes...

« Le capitalisme d’Etat c’est la militarisation de l’économie ». Boukharine

« Le débat sur les syndicats devait révéler à quel point le problème de l'Etat et de ses rapports à la classe était dangereusement défiguré quand a été émise la proposition - sérieusement avancée et débattue dans un Congrès du Parti Communiste! - de la militarisation de la classe ouvrière. La redéfinition de Lénine en opposition à la militarisation au nom de l'"Etat Ouvrier"… ». Marc Chiric

« En 1920, le pays est exsangue, le prolétariat saigné à blanc, quantitativement et qualitativement diminué. L'économie est à zéro ; les villes semi-désertées. La vie politique a subi une militarisation dont elle ne se guérira plus. Une sorte d'état de siège survit à la fin de la guerre civile ». Lucien Laugier

 « La guerre de la Commune ouvrait la voie à l’aliénation complète du prolétariat, armée de travail, et armée pour la guerre du capital »  Philippe Riviale

On pouvait craindre l’apparition d’un nouveau Bonaparte en la personne de Toukhatchevsky mais ce sera Staline qui le coiffera sur le poteau. Le reflux de la révolution mondiale en Russie ne peut s’expliquer par le seul constat de l’isolement, comme le radote le milieu maximaliste, l’installation de la contre-révolution est avant tout la mise en place d’une militarisation de la société. Staline avait compris avant tous les autres que son « socialisme réellement existant », c’est-à-dire  le capitalisme d’Etat,  c’est le pouvoir de l’armée sur la société. Comme pour l’exhumation des leçons de la Commune de Paris, Lénine a encore eu du génie de commencer à se méfier du concept de « guerre révolutionnaire au moment du traité de Brest-Litovsk. Cette idée de « guerre révolutionnaire » - le renversement de la bourgeoisie autochtone de l’extérieur par l’armada stalinienne - sera l’espoir attendu par les staliniens résistants et leurs homologues trotskiens – de 1944 aux années 1970 - qui nous auront conté souvent ou de manière opaque l’espoir prolongé  de ce même cauchemar avec les soldats cubains en Angola, l’armée vietnamienne au Cambodge, etc. Les préoccupations d'efficacité militaire « antifasciste » en Espagne en 1936 - se mêlant à des objectifs de rétablissement de l'ordre démocratique bourgeois –  obéirent au même concept devenu frauduleux de « guerre révolutionnaire ». Comme en Russie, la contre-révolution s’installe par le triptyque  « militarisation- commandement unifié- discipline adéquate », dans l’unité cacophonique des modérés démocrates, des staliniens et des anarchistes (entre autres, Durruti, Mera et García Oliver), et les prolétaires armés des milices se retrouveront dindons de la farce antifasciste.

L’étatisation du parti communiste date de la guerre civile

Pendant la guerre civile Staline cesse d’être la « tâche grise » dont parlait Martin Malia (d’après le témoignage d’un chroniqueur menchevik). Il est commissaire du peuple aux nationalités mais surtout commissaire politico-militaire sur différents fronts, où il est d’ailleurs très mauvais stratège. Sa répression à Tsarytsine a été longtemps méconnue par nombre de spécialistes ou de militants qui se prétendaient éclairés ; en septembre 1922, bien que diminué par la maladie Lénine, informé par Trotsky, avait fini par condamner la répression sanglante « interne » de Staline contre une population désireuse d’autonomie vis-à-vis de Moscou. On méconnait généralement aussi les « classes militaristes » de Staline lors de la guerre contre la Pologne en 1920. Il s’est constitué au cours de cette deuxième expérience comme chef militaire un cercle de comparses aussi arrivistes que lui : Molotov, Kaganovitch, Vorochilov, Mikoyan, Kirov, Jdanov, Ordjonikidzé. Pendant cette guerre civile (dite révolutionnaire…), Staline apprend « l’art de gouverner les hommes ». Mais la gloire de la victoire échoie au brillant intellectuel juif Trotsky. Ces guerres successives avec la dite guerre civile impliquent naturellement un renforcement de l’Etat et une militarisation du parti.
La montée de Staline s’explique plus par la crainte des autres « compagnons de Lénine » que Trotsky devienne un nouveau Bonaparte. Aussi les Zinoviev et Kamenev misèrent-il sur le « pâle Staline », qu’ils croyaient malléable. Ils étaient tous dominés par la croyance en l’infaillibilité du parti. Ce parti de 1924 est différent du parti de 1917, les hommes au pouvoir bénéficient de privilèges, menus mais enviables. Moshe Lewin le constate comme dérive oligarchique. Le parti de la classe ouvrière victorieuse est devenu un parti de fonctionnaires « ex-ouvriers ». Le soi-disant testament de Lénine que Trotsky fait circuler dans le parti est tellement ambigu qu’il ne lui profite pas ; Staline et Trotsky y sont mis finalement sur le même plan comme Copé et Fillon. Staline s’allie avec le chef du Guépéou Djerzinski et place à la direction de la police ses amis Iagoda et Ejov qui seront les successeurs du polonais décédé d’une crise cardiaque après une crise de colère contre le futur dictateur en 1926. Depuis 1925 le clan Staline est majoritaire au Poliburo.

Trotsky, tout en suivant le raisonnement sur la guerre révolutionnaire française écrira en 1936 (in La révolution trahie) que Staline trahit la révolution comme Bonaparte et « au bénéfice d’une nouvelle aristocratie ». La comparaison est filandreuse car pour les ancêtres Marx et Engels. Bonaparte ne trahit pas la révolution jacobine mais la consolide par son expansion militariste (foireuse) en Europe ! La comparaison ne permet pas de mieux comprendre le stalinisme, et surtout évite le point cardinal fatal à une révolution, le moment où elle se termine par la guerre et la militarisation de la société, du parti, etc. Le reflux révolutionnaire est alors plus dans l’ornière de la guerre, externe et interne, où ne règne plus qu’un combat de chefs et de castes oligarchiques. C’est suite à la guerre contre la Pologne et au long de la guerre civile que l’Etat met en place une façon de gouverner terroriste, qui se concrétise peu après inconsciemment par le massacre à Kronstadt. Ce n’est ni l’héritage asiatique ni la personnalité tordue (PN) de l’obscur Staline, ni les erreurs de Lénine  qui expliquent donc cette dérive.
L’industrialisation forcenée et l’élimination physique de la paysannerie en 1929 est une sorte de retour au « communisme de guerre » du temps de la guerre civile (1918). La classe paysanne était une classe archaïque vouée à l’extinction du point de vue marxiste (et le capitalisme a fait le boulot un peu partout même s’il reste encore une paysannerie énorme) ; mais Marx – ni ses lointains héritiers de la Gauche communiste - n’entendait nullement l’extermination physique mais l’urbanisation des ex-paysans. C’est donc dans une logique de « guerre révolutionnaire » interne que Staline les déporte et les massacre par la famine (en Ukraine), avec pour justification envers ses complices intellectuels en Occident… le massacre des Vendéens un siècle plutôt du côté de la façade atlantique de l’Europe.


LE COMBLE DE LA REVOLUTION RUSSE : LA MILITARISATION DE LA CLASSE OUVRIERE

Au cours de l’année 1920, lors du IXe congrès du parti bolchevik au pouvoir on s’étripe sur la question de la militarisation des syndicats, quand le pire se dessinait déjà : la militarisation de toute la société.  Trotsky est pire que Staline (qui reste encore simple tâche) en proposant de militariser des organes de défense des ouvriers, devenus en effet des girouettes étatiques, les syndicats, ces antidotes bourgeois aux conseils ouvriers révolutionnaires. A ce IXe congrès du parti communiste russe, une résolution sur le passage au système des milices légifère pour un encadrement militaro-industriel sur tout le territoire afin de continuer à assumer « la défense militaire de la révolution » :
« A la période de transition actuelle, qui peut être prolongée (sic), doit correspondre une organisation militaire des forces, permettant de donner aux travailleurs la préparation militaire indispensable tout en ne les détournant que le moins possible du travail industriel. Ce système ne peut être que celui de la Milice rouge des ouvriers et des paysans, formés par territoires. (…) Le caractère essentiel du système soviétiste réside dans le contact étroit entre l’armée et l’industrie, de sorte que la force vive de tels districts industriels constitue à la même heure la force vive de telles unités militaires ».
Les travailleurs dans les entreprises doivent être mobilisables en permanence.  Les ouvriers qualifiés doivent être « incorporés dans l’industrie » avec « le rigoureux esprit de suite dont on a fait preuve dans le commandement nécessaire à l’armée » (sic). « Travail obligatoire » et « camps de concentration » (dénommés « isolateurs politiques »[1]) pour les « déserteurs » du travail car « somme toute, il faut adopter la méthode qui a présidé à l’organisation de l’armée rouge. » Les « meilleurs cadres » de l’armée, comme les écoles militaires, doivent être répartis « sur le territoire de la façon la plus utile ». La guerre révolutionnaire est devenue une institution pour imprégner et régenter la société entière. Les Conseils ne sont plus que « les Conseils des armées du travail ». Il faut s’opposer à tout amoindrissement du rôle des syndicats, si utiles pour mobiliser pour les « samedis communistes ».
Les spécialistes, militaires, ingénieurs et techniciens – pour être gagnés à la cause et en attendant que les ouvriers soient formés plus largement aux tâches de direction - doivent recevoir des « primes élevées ». Autant dire qu’on est dans une caserne !

La gestion improvisée dite du « communisme de guerre » avait abouti  à l’affaiblissement des conseils ouvriers mais aussi à la désagrégation du parti devenu organe d’Etat. Selon Sverdlov, peu avant sa mort, le parti « explose sur des lignes d’intérêt particulier comme la nation entière. Il faut le reconstituer ou envisager la faillite de toute l’expérience bolchevik ». La mort de Sverdlov brise les rapports formels et cordiaux qu’il assumait entre le parti et les conseils ouvriers. Staline s’empare de responsabilités bien supérieures à celles auxquelles avait pu prétendre le disparu mais pour mieux renforcer l’ascension de sa clique.

« L’américanisation de la production » qui succède aux premières improvisations, couplée au maillage du territoire sous le contrôle de l’armée est le meilleur ciment pour une restauration nationale ou plutôt une limitation nationale du projet socialiste, c'est-à-dire son annihilation sous les termes paradoxaux de « nation armée communiste », selon les termes du congrès.

La militarisation ne date pas du débat impulsé par  le sévère ministre du travail Trotsky en 1920 concernant l’obéissance requise pour les syndicats, mais est intrinsèque à toute la société révolutionnaire dès le début de la guerre civile ; c’est la guerre civile qui a obligé les bolcheviks à militariser toute la société. Il y a plus de généraux que de soldats et un fonctionnement fédéraliste qui permet l’ascension du commissaire général Staline. L’idéologie de la « guerre révolutionnaire », transmuée en «militarisation » a été le principal vecteur de la restauration de la hiérarchie étatique dans le parti, et Staline le menuisier de l’escalier. Tout l’honneur de Trotsky a été de refuser de s’appuyer sur la hiérarchie militaire pour monter un coup d’Etat, contrairement à ce que craignaient les ex-compagnons de route de Lénine. Tous ont été bernés par la contre révolution… militaire !

Ainsi, ce qui n’était pas apparu comme prioritaire au moment de l’intense discussion sur le traité de Brest Litovsk, était la mise sur pied d’une véritable armée régulière pour récupérer et assujettir à nouveau les millions de déserteurs au profit du nouvel Etat : tu rejoins l’armée ou on te laisse crever la dalle ! Cette armée rétablira la hiérarchie et les grades, elle utilisera nombre d’anciens officiers tsaristes. Anarchistes et  SR de gauche préparaient à leur façon le pavage du chemin stalinien en défendant une version romantique girondine de cette nouvelle armée : « L’armée révolutionnaire des paysans et des ouvriers ne saurait être créée en violant la volonté libre des travailleurs, ni en leur imposant le service militaire obligatoire. L’armée de la révolution sociale ne peut se composer que de travailleurs qui se seront joints à elle de leur plein gré » (cf. Steinberg, Cahier Spartacus n°122). Vision individualiste de l’armée imaginée comme vecteur de la révolution, et très compatible avec l’apologie du terrorisme par ce vieux parti usé et éculé, plus anarchiste désormais que fidèle à son glorieux combat passé contre l’autocratie.  Un bon disciple anarchiste ambigu Steinberg fait découler l’institution de la terreur comme conséquence de la « paix honteuse » de Brest-Litovsk.
Cette armée n’est ni révolutionnaire ni prolétarienne. Elle est composée de soldats pour la plupart paysans et de  sous-officiers qui avaient servi dans l’armée tsariste, le quart de l’effectif du soviet de Petrograd a été fondu dans la troupe ; à son sommet nombre de membres de l’intelligentsia détiennent les responsabilités politico-militaires. Elle a de plus absorbé pour ne pas dire enrégimenté des milliers de militants du parti bolchevik, ce qui n’est pas rien comme mise au pas et étouffement de tout esprit critique « de classe ».
Comme en Allemagne, l’armée est présente en tant que telle dans les conseils ouvriers. Et, si l’on en croit Pierre Broué, à la fin de la guerre civile, 300 000 militants se trouvent dans l’armée rouge, autrement dit ce ne sont plus des militants mais des soldats. Le 28 mars 1918, Trotsky n’a-t-il pas discouru autour du mot d’ordre : « travail, discipline, ordre », inaugurant à son insu le fameux triptyque contre révolutionnaire ? Ou logique avec une conception carrément substitutionniste et politicarde du pouvoir contraire à ses écrits de jeunesse ? Ou une conception trouble du parti qui, en opposition, est un guide de la classe à condition qu’une fois au pouvoir il devienne son directeur !

La préparation militaire se faisait dans le cadre du lieu de travail et prit une telle ampleur que les soldats-ouvriers, présumés prêts à abandonner l’établi pour obéir à des colonels, auraient été près de cinq millions en 1920. Légende difficile à croire tant l’armée tsariste en débandade n’était plus qu’un lointain souvenir. Loin de servir pour le seul objectif territorial de défense du pays, la nouvelle armée assurait pour l’Etat une militarisation totale de la population et pervertissait tout mécanisme décisionnel des masses en les emprisonnant aux désidératas du parti militaire. Pierre Broué a saisi la critique du fonctionnement militarisé du parti par l’Opposition ouvrière et de l’opposition déciste. Il leur reprenait les termes de « parti communiste, militarisé » et qualifiait judicieusement le communisme de guerre de « communisme militaire ».
Pour Trotsky la guerre civile est devenue une école de formation gouvernementale :
« Le Département de la Guerre déterminait le travail gouvernemental du pays entier (…) Les membres du comité central, les commissaires du peuple, tous les dirigeants du parti passaient la plus grande partie de leur temps au front, comme membres de comités révolutionnaires de guerre et parfois comme commandants d’armée. La guerre elle-même était une école sévère de discipline gouvernementale pour un parti révolutionnaire qui était sorti depuis quelques mois seulement de la clandestinité. » (cf. son « Staline »)

Mais Staline avait compris avant tous les autres que le « socialisme dans un seul pays », c’est-à-dire ce qui est déjà devenu une forme de capitalisme d’Etat,  c’est le pouvoir de l’armée sur la société, et tout l’intérêt de se positionner dans les affaires militaires pour être propulsé au premier plan du pouvoir.
Trotsky était  toujours resté méfiant sur les vertus propagandistes de l’armée, et c’est sans doute pour cette raison que ses pairs l’avait nommé président du conseil militaire ; mais même du temps de Lénine il se trouvait toujours plus ou moins associé avec Staline vu comme un antidote à ses possibles vues personnelles dictatoriales.
Après la perte du pouvoir, Trotsky n’est pas très réaliste lorsqu’il écrit, dans « La révolution trahie », rédigé au milieu des années trente, que l’armée « vivait, naturellement, des mêmes idées que le parti et l’Etat ». En effet pas très réaliste eu égard au rapide rétablissement de la hiérarchie militaire, et à l’emprise du phénomène de militarisation. Trotsky se vantait de comment il avait répondu à Goussiev, un proche collaborateur de Staline, en 1921 qui le tançait de sous-estimer le rôle de « l’armée de classe du prolétariat », en particulier pour développer des guerres révolutionnaires défensives et offensives contre les puissances impérialistes. Il avait répondu que la « force armée étrangère » est appelée à jouer dans les révolutions « un rôle auxiliaire et non principal », ce qui est vrai principiellement du point de vue marxiste, à condition que cela ne cache pas une militarisation du travail et des hommes en uniforme dans les usines.  Avec Staline « l’armée révolutionnaire rouge » était destinée à jouer le rôle principal ! Contre la classe ouvrière.

Anarchistes, socialistes-révolutionnaires et menchéviks de gauche  se sont époumonés en avril 1918 contre le danger de « militarisme » et les « Bonaparte » de la nouvelle armée. La militarisation n’est pourtant pas un simple « militarisme rouge », inventé par les seuls bolcheviques au pouvoir. Elle est plus subtile cependant que les armées contre-révolutionnaires du XVIIIe siècle ; elle vient polluer l’existence de la classe ouvrière comme classe productrice et pacifique. Avec le souci de la « patrie socialiste » que Trotsky réhausse en janvier 1919, le soldat-laboureur devient un soldat-travailleur de « l’armée révolutionnaire du travail ». Dans sa théorisation de la militarisation socialiste le ministre Trotsky ne craignait  pas les tautologies hâbleuses pré-figuratrices de l’idéologie stalinienne : « La militarisation du travail par la volonté des travailleurs eux-mêmes est un procédé de dictature socialiste ».

En 1936 (cf. La révolution trahie) le prophète déchu du pouvoir voulait bien reconnaître que l’armée n’avait pas été épargnée par la dégénérescence de la révolution, et que cette dégénérescence avait trouvé son expression la plus achevée en son sein. Il esquivait la question de la militarisation de la société.
L’armée n’avait-t-elle pas été le facteur actif pour brider la société dès les débuts ? Non, c’est seulement à la fin de la guerre civile que : « La démobilisation d’une armée rouge de cinq millions d’hommes devait jouer dans la formation de la bureaucratie un rôle considérable. Les commandants victorieux prirent les postes importants dans les soviets locaux, dans la production, dans les écoles, et ce fut pour apporter partout, obstinément le régime qui leur avait fait gagner la guerre civile. Les masses furent peu à peu éliminées de la participation effective au pouvoir ».
Hypocrite raisonnement en constat rétroactif et partiel que la militarisation, qu’il avait lui-même prônée pour les syndicats, avait mené à l’étouffement de toute révolution mais parce que l’armée était « démobilisée », « inactive ». Ce n’est pas l’armée en tant que telle qui avait dévitalisé les soviets mais l’orientation capitaliste d’Etat des ministres « prolétariens » avec leur triptyque  « militarisation- commandement unifié- discipline adéquate » !

Un continent entier fût ficelé par l’armée tchékiste et rouge, enfermant la population  prolétaire et paysanne dans une gigantesque caserne « pour son bien ». Elle ne réprime pas d’abord (quoique…) mais obtient rapidement la fonction de « contrôle » : elle encadre, « rééduque », fabrique « un homme nouveau ».

En 1937, la revue mensuelle du groupe de Gaston Davoust, L’Internationale, tire le bilan de ce qu’est devenue l’armée rouge près de deux décennies plus tard :
« L’armée n’a pas été remplacée par le peuple en armes. Elle n’est pas devenue une milice socialiste du peuple. Tout au contraire, on a éliminé les unités territoriales correspondant aux usines, aux mines, aux communes agricoles. En 1935, 74% des divisions de l’armée rouge appartenaient aux unités territoriales, et 26% seulement aux unités concernées. Actuellement, l’armée rouge ne comprend que 23% de divisions territoriales seulement. Mais en réduisant de 51% les milices territoriales, le gouvernement soviétique a rétabli les seules formations territoriales du régime tsariste : les unités cosaques, les Vendéens de la Révolution d’octobre. Et l’on a rétabli la hiérarchie des officiers, du lieutenant au maréchal. On a créé une base sociale et matérielle stable à une caste privilégiée en les attachant aux milieux dirigeants et en affaiblissant leur liaison avec la masse des soldats. Cette différenciation profonde de l’armée démontre l’abîme entre dirigeants et dirigés dans la société soviétique. La bourgeoisie, surtout la bourgeoisie française qui en vertu du pacte franco-soviétique a influencé cette différenciation directement, a compris toute sa signification. En l’apprenant, « Le Temps » n’a pas hésité à écrire (25 septembre 1935) : « Les Soviets s’embourgeoisent. » Dans sa première période, le régime soviétique était moins bureaucratique. Et Lénine s’occupa, dès le début, de l’élimination du fonctionnariat, de ces « parasites » du corps social. Mais, au lieu de disparaître, la bureaucratie a grandi formidablement en nombre et en puissance (…) L’appareil de répression a pris des proportions formidables. Les effectifs de la Guépéou seule constituent une petite armée de 100.000 hommes d’une formation spéciale et d’un pouvoir illimité. La Guépéou possède un réseau de mouchards dans tous les établissements, toutes les organisations, toutes les usines, toutes les écoles, toutes les maisons d’habitation. Elle peut infliger sans jugement jusqu’à cinq ans de bagne et d’exil, indéfiniment renouvelables. En 1917, une opposition de gauche exigeait l’introduction dans le code pénal d’un article « punissant comme un crime grave contre l’Etat toute persécution directe ou indirecte d’un ouvrier en raison de critiques qu’il aurait formulées. » En 1936, toute critique, la moindre opinion libre sont persécutées. Interdictions de séjour, camps de concentration, prisons, exécutions capitales : voici les moyens de conviction de la « démocratie prolétarienne ». Les principales vertus qu’on exige de l’homme soviétique sont l’obéissance sans réflexion et la fidélité au chef ».

Initialement la création de l’armée rouge comme celle de la Tchéka devenue Guépéou, obéissait au besoin de rétablir l’ordre en mettant fin aux désordres causés par les bandes de l’Ancien régime soutenues dans l’hypocrite paix capitaliste par les mêmes belligérants capitalistes.
Or le maintien d’une armée permanente est de fait contraire aux principes socialistes - comme le rappelle un texte de l’Internationale communiste - qui ne concevaient jusque là que « le peuple en armes » ou le maintien de milices armées (gardes rouges) jusqu’au triomphe final du communisme. Depuis que Lénine avait rembarré Boukharine qui avait demandé où en était le « dépérissement de l’Etat », il avait bien fallu se rendre à la raison de qui dit Etat dit armée. Etat rouge donc armée rouge. La couleur cachait le renforcement de l’Etat et par extension la militarisation de la société. Les effectifs de la Garde rouge étaient trop réduits pour permettre de combattre efficacement la contre-révolution des Blancs soutenus par les puissances étrangères (France, Royaume-Uni, Tchécoslovaquie, Etats-Unis, Japon). Il fallait reconstituer un corps d’armée centralisé à l’échelle du pays, en faisant quelques entorses à la théorie marxiste de la suppression des corps mercenaires après la prise du pouvoir.

Quelques jours après la signature de la paix honteuse, Trotsky, au nom du parti bolchevik s’était écrié dans un discours « il nous faut une armée » :
« Dans nos efforts pour créer une armée, nous nous heurterons certainement à une série d’obstacles. Nous sommes les héritiers, que nous le voulions ou non de toute la « cuisine » politique de nos ennemis et de tout le fardeau des derniers événements (sic ! jlR). Au premier chef, la paix de Brest-Litovsk s’est abattue tragiquement sur nous uniquement à cause de la gestion du régime tsariste, puis de celle des conciliateurs petits bourgeois ».

L’ARMEE DE CLASSE… UNE ARMEE DE CHASSE AUX PROLETAIRES !

Jamais Marx n’a parlé d’une armée à créer après la révolution… Un travail d’explication est nécessaire concernant le débauchage théorique bolchevique, plus opportuniste que bourgeois. Après avoir milité pour la paix et contribué à la victoire de la révolution et à la destruction de l’armée bourgeoise, le parti bolchevik doit assumer ses responsabilités à la tête de l’Etat. Puisque le territoire de la révolution fait face à des armées bourgeoises disposant d’une propagande très intensive du bambin à l’homme adulte, pourquoi la révolution ne se doterait-elle pas d’une armée, au moins pour se défendre ? Trotsky passa en revue tous les arguments qui pouvaient choquer un déserteur et pour le ramener à la raison. Oui il faut une discipline mais une discipline « révolutionnaire », comme les premiers airbags des voitures modernes. Oui on aura affaire au « commissaire Ronchonneau » mais on lui adjoindra des surveillants politiques. De l’étoffe des Stalines…
Trotsky, après s’être rallié à la paix honteuse forcée, n’en continuait pas moins de se bercer dans l’espoir de la future « guerre révolutionnaire ». De retour à Moscou au mois de septembre 1918, il modifie de son propre chef le Conseil suprême de la guerre en « Conseil de guerre révolutionnaire ». Des mots qui ne peuvent transcender une triste réalité.
Au mois de mars 1919, dans un autre discours, il revient sur l’ancien programme social-démocrate de la IIème Internationale défunte. Il rappelle que celui-ci stipulait que le mouvement socialiste projetait la mise sur pied de milices et était opposé à toute idée d’armée de métier impérialiste. Désormais, estima-t-il la « milice populaire » est privée de sens car la révolution russe se dirige vers « l’Etat prolétarien et l’Armée de classe ». Tourné encore vers les si nombreux déserteurs il assurait que la formation de la nouvelle « armée de classe » se ferait sur la base du volontariat. Mais peu après et très vite, il se reniait, prrécisant qu’il faut mettre en œuvre un service militaire obligatoire afin de favoriser la centralisation de la défense à tout le pays.

Pour renforcer cette nécessité d’une armée « nationale » centralisée, Trotski désigne la caricature d’armée défendue par « l’intelligentsia petite bourgeoise » (les Socialistes Révolutionnaires de gauche) avec leur conception d’une guérilla avec détachements de partisans. Il ridiculise une conception campagnarde qui ne sera pas pourtant pour déplaire à une IVème Internationale estudiantine admiratrice de Che Guevara et qui s’est prétendue l’héritière du chef de « l’armée soviétique révolutionnaire » : « Prôner l’esprit de guérilla comme programme militaire, c’est recommander de revenir de l’industrie lourde à l’atelier artisanal ». Cette théorie dépassée est bien le propre d’incapables : « ces groupes de l’intelligentsia incapables de se servir du pouvoir d’Etat ». Quand lui, ministre prolétarien a pleinement conscience de ses devoirs de général « défenseur de la nation assiégée »…
Dans un autre discours du 29 juillet 1918, Trotsky  décréta  « la patrie en danger ». Il invoquait la révolution française : « oui il nous faudra faire revivre ses traditions dans toute leur étendue ». Restez tous au garde à vous pendant que je vous parle !
Voulait-il parler de la terreur, de la guerre extérieure, du massacre des populations innocentes ? Les discours  publics sont toujours un peu superficiels et simplificateurs ; c’est ainsi qu’il présente les jacobins comme plus va-t-en guerre que les girondins (ces petits bourgeois historiques…) et qu’il cite à son gré un « jacobin » (cela fait plus léniniste auprès des anciens membres du parti) qui a déclaré tout de go : « Nous avons conclu un traité avec la mort ». Car, en effet, en pleine guerre on ne conclut pas un traité avec l’humour.

*   *   *


Cette reconstruction accélérée d’une « armée de classe » par les commissaires d’Etat n’est pas sans poser problème aux militants eux-mêmes en uniforme. L’Opposition militaire en 1919 avec Frounzé, un des grands chefs de l’armée rouge, est composée d’anciens militants du parti qui voient d’un mauvais œil la croissance du nombre des parvenus et nombre d’ouvriers combatifs peu rassurés de voir ingénieurs, officiers et professeurs d’hier, encore aux postes de commandement. Cette opposition ne contesta pas l’institution de l’Armée  « de classe » mais milita pour recommander une guerre de manœuvre fondée sur des opérations de guérilla ; Stalkine en fût membre.
Le commandement de l’armée rouge ne fonctionna pas initialement comme l’Etat-major rigide des armées bourgeoises, il était fluctuant suivant les débats et orientations du parti. L’armée « de classe » avait encore des allures (rassurantes) d’armée mexicaine. Trotsky n’en était pas l’artisan tout puissant et infaillible. Victor Serge rappelle qu’un jeune médecin de vingt -six ans, Skliantsky, était son suppléant, et fut un des principaux organisateurs de cette armée « sortie du néant », « notre Lazare Carnot ». Gloire frelatée donc du général Trotsky ?
En juillet 1919, quelques mois après le conflit avec le « groupe de Tsaritsyne », le commissaire aux armées Trotsky est mis en minorité et voit se réduire ses prérogatives. Lénine, aveuglé par les victoires remportées sur le général blanc Koltchak, dans une logique de chef de guerre passe sur les exactions du commissaire Staline et donne son appui aux éléments du groupe de Tsaritsyne où manœuvre le futur dictateur. Trotsky donne sa démission qui est refusée. Lénine se rend compte de son erreur après des informations plus complètes sur le comportement sanglant du clan Staline contre la population locale.

Boukharine dans un article interne de 1924, s’adossant à Staline, mettra en garde avec hypocrisie et opportunisme contre l’évolution de Trotsky. Pour nombre de compagnons de Lénine, Trotsky se comporta réellement souvent comme une girouette. La postérité et sa propre apologie littéraire a enfumé plusieurs générations sur un personnage loin d’être un exemple de rectitude théorique. Revenant brièvement sur son « erreur » de l’époque (Brest-Litovsk, erreur à lui Boukharine) « l’enfant chéri du parti » - qui fût souvent autrement génial et plus hardiment avant-gardiste que Trotsky - notait judicieusement  le danger de l’armée en tant que telle pour le parti : « … dans l’orbite de notre parti, il y a l’armée, avec tous ses attributs. Il faut se souvenir de tous les coups d’Etat contre-révolutionnaires. Il faut voir que c’est une troisième force qui l’emportera si la guerre civile s’engage dans notre parti. »

Mais voilà, cette « troisième force » (sans doute outre le parti et le prolétariat) n’était-ce pas « l’armée rouge », une notion inconnue jusque là dans tous les programmes socialistes et communistes ?






[1] Dans un pamphlet intéressant – Faut-il brûler Lénine ? – Bruno Guigue démonte très bien les abus et amalgames de l’école révisionniste des Furet et Courtois. Après avoir expliqué que la terreur rouge ne fit que répliquer à la terreur blanche, infiniment plus meurtrière, il signale que les camps d’internement ouverts pendant la guerre civile furent fermé dès 1922, et bien loin de préfigurer le goulag.

mardi 18 décembre 2012

ADIEU BREST-LITOVSK…





« Il est largement temps d’en finir avec les immenses abus faits avec les termes. Le capitalisme est trop intéressé à présenter tout mouvement violent, toute action de force, et surtout toute lutte armée, sous le terme de révolution, pour mieux dénaturer et déformer l’idée de révolution sociale, afin de mieux la confondre et aussi mystifier les idées et la conscience de classe du prolétariat. Il est d’autant plus déplorable de voir ces abus de langage et la confusion qui en résulte pénétrer jusqu’à l’intérieur du mouvement révolutionnaire » . MARC CHIRIC

(Défense du caractère prolétarien de la révolution d’Octobre, réponse à un camarade, Venezuela, novembre 1965, in Tome II p.21 et suiv.).

Un impossible débat sur le mythe de la guerre révolutionnaire chez des intellectuels maximalistes retournés à l’anarchisme

L’incapacité à débattre et l’inertie théorique des cercles académiques en marge des petits groupes maximalistes actifs ne seraient au demeurant pas graves s’il ne s’y ajoutait un vide théorique. Sidéral et sidérant. Laissons les groupes constitués du milieu maximaliste qui, comme tout groupe politique, quel qu’il soit, n’ont pas prétention à faire œuvre d’historiens, et qui restent toujours historiquement plus ou moins à la traîne des événements, mais qui au moins sont les « conservateurs » de positions de classe et d’une analyse historique cohérente (CCI, TCI et FGCI). Considérons plutôt leur entourage, même éloigné, ceux qui, lorsque les sectes se muaient en véritable parti, étaient jadis considérés soit comme compagnons de route soit comme traîtres vendus à l’ennemi bourgeois. Considérés comme parasites, ils ont en effet le défaut principal de la grenouille qui se veut plus grosse que le bœuf.

Sur le mythe de la guerre révolutionnaire, je ne vais pas lister ici toutes les facéties théoriques des diverses scissions, ni examiner chaque auteur ou individu qui se rattache à la dite « tradition de la Gauche communiste », comprise comme issue des fonds baptismaux du bolchevisme héroïque et du « communisme de conseils » germano-hollandais, mais m’interroger sur une incapacité à débattre – congénitale de l’individualisme intellectuel. En outre, dans chacun de leurs minis bulletins règne une censure digne du stalinisme si ce n’est l’autisme des trois singes de la sagesse (cf. image jointe), ce marais de has been en présente les trois caractéristiques : muet, aveugle et sourd. On retrouvera trois singes dominants dans cet historique d’un débat étrangement esquivé, le muet Sabatier, l’aveugle Vico et le sourd Camoin. On verra en cours de route qu’il y a aussi un quatrième singe, qui se contente lui de grimacer.

Tous ces auteurs de revues marginales sont à la queue des historiens officiels et des pseudos historiens anarchistes. Marc Ferro, touche à tout universitaire et télévisuel prend le parti des anarchistes après le trafiquant Orlando Figes en estimant que la décision de construire le socialisme dans un seul pays débute avec la concession de la paix de Brest-Litovsk. Dans mon ouvrage « En défense de la Gauche communiste », j’ai moqué le plumitif officiel et confus de la Fédération anarchiste Berthier « … en mars 1918 à Brest-Litovsk où, critiquant la paix honteuse (mais justifiée) des bolcheviks, Berthier se dévoile encore plus militariste, pustchiste et guévariste que tous ces pauvres communistes allemands tombés dans des insurrections ratées. Il fabule complètement sur le truc obsolète de la « guerre révolutionnaire » parce qu’il a été élevé au biberon des tiers-mondistes maoïstes et nourri par des pépés anarchistes radoteurs ; on s’étonne même qu’il n’aille pas jusqu’à nous faire l’apologie de l’aventurier Max Höelz ! ». Mais ce ne sont que petits commentateurs agréés par les éditions bourgeoises, retournons-nous plutôt vers le lointain passé.

LA FABLE DES « COMMUNISTES DE GAUCHE »

Pour certains esthètes maximalistes revenus d’un néo-léninisme marqué au coin d’une dose de Gauche italienne et d’un quartier de Gauche germano-hollandaise, la publication de la compil du journal des « communistes de gauche » par les éditions Smolny allait enfin révéler la carence révolutionnaire des bolcheviks au pouvoir incapables de mener une « vraie guerre sainte » jusqu’au bout au capitalisme ! On allait voir ce qu’on allait voir…
Dans Komounist n°4 Préobrajenski écrivait : « Brest-Litovsk dont la mise en oeuvre transforme pas à pas les Soviets en organes faisant les quatre volontés du capital international (…) mène à l’arrêt de la construction du socialisme et à la liquidation de plusieurs conquêtes de la révolution d’octobre ». D’emblée l’expansion du socialisme aurait dépendu de la capacité de « l’armée rouge » à battre militairement l’Occident. Foutaise bien sûr puisque la lutte de classe ne peut se développer qu’à « l’intérieur »  de chaque pays et ne dépend surtout pas des baïonnettes des voisins fussent-ils « libérés » de toute oppression étatique capitaliste. Double foutaise ensuite puisqu’en réalité les « communistes de gauche » se font de ce fait complice de la liquidation des conquêtes d’Octobre 1917 (laissons de côté cette fadaise sur la  prétendue « construction du socialisme » problématique qui ne pouvait déboucher utopiquement que … dans un seul pays). La traduction du russe révèle cependant que les Communistes de gauche n’avaient pas une analyse simpliste et hystérique contre le  traité de Brest-Litovsk comme les anarchistes et Sabatier, et que, eux, ils comprirent vite aussi la futilité d’une « guerre révolutionnaire ».
J’ai répondu récemment aux délires du général d’opérette sourd Camoin, fieffé mystique du bolchevisme suranné  et surarmé , qui montre son insuffisance intellectuelle en ergotant que la révolution ne peut vaincre que grâce à un parti et une armée hiérarchisés. En ce sens il se prend les pieds dans le tapis et royalement. Les armées révolutionnaires ont toujours été plus ou moins des armées « mexicaines » et n’ont jamais gagné les guerres entreprises, sauf dès lors qu’un dictateur les chapeautait. Une armée où tout le monde veut commander n’est plus une armée ; un parti où chacun décide de tout n’est plus un parti. Pourtant, sans parler de l’armée de Zapata, ni les détachements anarchistes de 1936 en Espagne – très vite policés aux ordres de l’armée étatique républicaine -, ni la « levée en masse de 1789 » n’avaient  cassé des briques. L’armée rouge de 1918 n’a jamais gagné une guerre extérieure, sauf la guerre civile ; mais parce que le président américain avait décidé de « laisser les russes mijoter dans leur jus ».
Lorsque l’armée rouge a commencé à gagner des guerres, longtemps après la mort de Lénine et de l’Internationale communiste, elle était devenue impérialiste avec son maréchal Staline. En 1918, dans l’organe des communistes de gauche, Radek se livrait dans le journal traduit aux mêmes approximations hasardeuses que son ancien chef de file Trotsky : « Le destin de l’armée rouge est étroitement lié à celui de la révolution en général. La structure de l’armée reflète toujours celle de la société qui l’a créée. Si les éléments paysans petits bourgeois l’emportent dans la révolution, si le gouvernement ouvrier et paysan préfère la voie du compromis avec le capitalisme international et russe, aucune astuce organisationnelle ou aucune mesure de prévention ne sauvera l’armée rouge de sa transformation en un instrument opposé à la classe ouvrière ». Or, le combat du prolétariat n’est pas pour l’essentiel « militaire » ni militariste. Sont intéressés à la confusion de la violence de classe et d’une « armée rouge », même composée que de prolétaires, tous les aigris de la faillite générale circonstancielle des organisations prétendant à diriger, « organiser » ou « orienter » le prolétariat pendant la révolution prolétarienne. Tous les exclus, tous les battus, tous les démissionnaires seraient-ils devenus des transfuges d’une histoire révisée, refabriquée, accommodée à l’aune de leurs bons conseils rétroactifs à charge de revanche de leur mise à l’écart du militantisme et du peu de reconnaissance de la classe ouvrière ? Je ne le pense pas. Pas tous mais ceux-là oui. Et pour cette simple leçon : les has been aigris ont oublié la méthode pour vanter le dogme.
Dans le cadre de notre collaboration à la rédaction de PU version papier, la polémique avait commencé en 2004, avant la parution de mon livre, entre Guy Sabatier et moi.
En 2004, G .Sabatier répondait à mon article « Lénine meilleur buteur », et prenait la défense des anarchistes et des socialistes-révolutionnaires qui s’étaient livrés à des actes terroristes pour protester contre la paix de Brest-Litovsk…
  « Pannekoek meilleur gardien de but »
Anton Pannekoek, comme Rosa Luxemburg, saluent la Révolution russe en tant que processus prolétarien et Lénine, Trotsky ainsi que les bolchéviks d’avoir osé, au-delà du tsarisme, renverser le gouvernement bourgeois de Kérensky en s’appuyant sur le pouvoir des Soviets. Mais, malheureusement, le pouvoir prolétarien reste isolé en Russie, signe une paix séparée avec l’impérialisme allemand lors du traité de Brest-Litovsk en désavouant la fraction des communistes de gauche (Ossinski, Boukharine, Radek,...qui sortirent quatre numéros d’un journal intitulé Le Communiste en tentant de poser la question du contenu du socialisme contre le développement d’un capitalisme d’Etat), et au nom du slogan « un parti au pouvoir, les autres en prison », commence et s’amplifie la répression contre les anarchistes et les socialistes-révolutionnaires de gauche. Dès 1918, Rosa Luxemburg développe alors des critiques dans un ouvrage qui sera publiée (par Lévi) dans les années 1920, bien après son assassinat : La Révolution russe. Avec l’échec de la Révolution allemande (écrasement des spartakistes en janvier/mars 1919) et malgré la création de la IIIe Internationale (Mars 1919), les oppositions se cristallisent entre les différentes tendances révolutionnaires d’autant que Lénine, satisfait d’avoir tenu plus que les 72 jours de la Commune sans être massacré par les forces bourgeoises, cherche à imposer par le moyen de la nouvelle Internationale que les gauches communistes radicales qui s’étaient dégagées de la social-démocrate en Europe occidentale conservent les anciennes tactiques (parlementarisme, syndicalisme...) pour fusionner avec d’autres forces issues de la social-démocratie sans rompre avec l’opportunisme, comme par exemple le Parti Socialiste Indépendant en Allemagne. Anton Pannekoek écrit alors une brochure de cinquante pages Révolution mondiale et tactique communiste qui paraît en premier lieu (…) Lénine fut peut-être le meilleur buteur contre la social-démocratie jusqu’en 1917...mais Anton Pannekoek garda ses filets vierges par la suite et apparut comme le meilleur gardien de but car il résista aux tentatives de l’opportunisme, puis de la contre-révolution mondiale[1] ».

Dans mon livre « Les avatars du terrorisme », je revenais au niveau historique de la question de la « guerre révolutionnaire » en particulier dans la polémique entre Kautsky et les bolcheviques :
« Les erreurs de la Commune étaient de toute façon celles qu’il (Kautsky) va reprocher en partie aux bolcheviques au pouvoir, la reprise de certains concepts jacobins, sauf celui, caduc de « guerre révolutionnaire » ; mais ce dernier concept Kautsky ne tenait pas à le remettre en cause bien qu’il ait conseillé l’abstention aux députés du parti lors du vote des crédits de guerre. Les jeunes socialistes italiens répondaient sans le savoir aux âneries de Kautsky, tombé lui aussi au niveau des anarchistes et des syndicalistes : « Il est facile de constater que les anarchistes et les syndicalistes sont presque tous enthousiasmés par la « guerre sainte révolutionnaire » qui, pour donner clairement notre modeste avis, appartient au règne de la légende »[2]. Kautsky joue d’ailleurs à l’anarchiste radical, ou singe les communistes de gauche, en reprochant aux bolcheviques une reculade à Brest-Litovsk, mais Trotsky le remet bien à sa place à ce moment-là et par devers lui, vieux partisan de la « guerre sainte » non bénie à Brest, en le renvoyant  à sa position ambiguë en 1914 : « La question de la paix de Brest-Litovsk fut tranchée le 4 août 1914. A ce moment, Kautsky, au lieu de déclarer à l'impérialisme allemand la guerre qu'il exigea plus tard du pouvoir soviétique, encore impuissant en 1918 au point de vue militaire, Kautsky proposa de voter les crédits de guerre « dans certaines conditions », et d'une façon générale se comporta en sorte qu'il fallut des mois pour tirer son attitude au clair - et savoir s'il était pour ou contre la guerre. Et ce poltron politique, qui abandonna au moment décisif toutes les positions fondamentales du socialisme ose nous accuser d'avoir été forcés, à un certain moment, à une reculade - purement matérielle, - et pourquoi ? Parce que nous étions trahis par la social-démocratie allemande, dépravée par le kautskysme, c'est-à-dire par une prostration politique théoriquement dissimulée »[3].
Sans connaître la teneur de la polémique, les jeunes socialistes italiens avec Bordiga se positionnent aux côtés de Trotsky contre Kautsky et contre la position de Boukharine au moment de Brest-Litovsk : « La tactique de la guerre sainte » aurait au contraire creusé l’abîme entre les deux peuples et lié le peuple allemand au char de ses dirigeants, posant d’insurmontables difficultés au développement historique à venir de la révolution russe ; et elle aurait troublé la totalité du processus social d’élimination des institutions capitalistes, préparant la voie à un néonationalisme russe qui aurait asphyxié le socialisme ». Kautsky critique hypocritement les bolcheviks d’un point de vue jacobin national, et les socialistes italiens se séparaient complètement de cette vision : « Et pendant que chaque matin les journaux indiquaient que les allemands étaient aux portes de Petrograd, il circulait les parallèles les plus romanesques avec les événements guerriers de la révolution française. Mais la révolution bourgeoise – pour ne considérer que cette intéressante comparaison – avait implicitement en soi une tendance nationale et un esprit patriotique, alors que la révolution socialiste respire l’oxygène de l’internationalisme ». Ou encore : « La révolution contrainte à la guerre : c’est le triomphe commun des tendances contre-révolutionnaires tant des Empires centraux que de l’Entente. La guerre est la fin certaine d’une révolution ouvrière parce qu’elle tue le contenu vital de la politique socialiste et asphyxie son économie politique »[4].
Mais Trotsky polémique en vain en fait sur le même terrain que Kautsky, celui de la guerre sainte révolutionnaire, ce vieux fantasme girondin. Leur polémique s’annule dans un chassé croisé plein de chausse-trappes. Trotsky imagine que l’armée mexicaine de la Commune en 1871 aurait dû foncer sur Versailles. Et Kautsky, à la suite de la même erreur d’espérance « militaire » de Marx, est sur la même longueur d’onde en convenant qu’elle a été imprévoyante sur le terrain de la confrontation armée) quand ce même Kautsky reproche à l’Etat bolchevique de ne pas avoir mené une « guerre révolutionnaire », c’est à dire de ne pas avoir refusé de signer la paix à Brest-Litovsk. Tous les deux ont finalement tort sur l’hypothèse d’une nouvelle « guerre sainte » girondine comme prétention à étendre la révolution prolétarienne, au même niveau que la révolution bourgeoise plus d’un siècle auparavant ». Je signalais aussi en passant qu’un  vieux coucou anarchiste réglait ses comptes, bien avant de se livrer à une brochure diffamatoire contre moi et de rédiger un imbitable pensum sur les « guerres  anti-dynastiques de la révolution française ». Dans Présence marxiste n°90, RC qualifie mon livre de 2005 – Le mythe de la guerre révolutionnaire - : « Un livre dans la continuité menchévisante de D.Guérin, M.Collinet, M.Rubel ». Toujours une étiquette pour fusiller à défaut d’argumenter  autrement qu’avec les citations des autres ».
Peu loquace sur le traité de Brest Litovsk, et pour tenter de restaurer un peu de crédibilité à la guerre révolutionnaire,  Camoin a essayé de s’appuyer lui sur le cas de la guerre avec la Pologne en 1920 dont il ne connaît pas les causes, les limitant à l’agression polonaise contre la Russie. Or cette guerre va découler du traité de Brest. . La paix de Brest-Litovsk, signée le 3 mars 1918 entre les représentants de la Russie bolchevique et ceux de l'Allemagne, permettait à la bourgeoisie allemande de monter la garde sur un front de 2 400 kilomètres s'étendant du golfe de Botnie à la mer d'Azov et à l'intérieur duquel toute la Pologne anciennement russe était comprise: l'Ober-Ost (Est Supérieur). La partie la mieux contrôlée de l'Ober-Ost constituait une zone contiguë à la "Pologne ethnique". La défaite de l'Allemagne sur le front occidental et l'armistice du 11 novembre 1918 rendirent caduc le traité de Brest-Litovsk et plongèrent l'Europe centrale et orientale dans le chaos. Tardant à reconnaître les frontières, les vainqueurs de la Première Guerre mondiale avivèrent le nationalisme polonais. Piégé par les circonstances de cette guerre qu’il n’avait pas voulue le gouvernement bolchevique crut y voir une opportunité pour avancer vers l’ouest, seule issue pour la révolution mondiale. Les militaires bolcheviques et leurs conseillers politiques étaient fondés de considérer que la Pologne allait être le pont à franchir pour relier la Russie à l’Allemagne et aux autres pays industrialisés d’Europe où la révolution aurait dû être déclenchée en premier. Mais il ne s’agissait plus d’une généralisation sociale de la révolution, et, malgré quelques victoires de la cavalerie de l’ivrogne Boudienny, cette guerre externe fût aussi perdue. La soviétisation qui avait déjà commencé avec des envoyés de Moscou dans la région de Bialystok, sous l'égide de Dzierzynski, chef de la Tcheka, ainsi qu'en Galicie, a très vite été balayée par l’armée polonaise et ses soldats-ouvriers. Tant pis pour la guerre révolutionnaire.



1.BREF… LITOVSK NE PAS S’INTERDIRE UNE REFLEXION SUR LA « GUERREREVOLUTIONNAIRE » (2005 in Le Prolétariat Universel version papier)

J’aime beaucoup Guy Sabatier mais la vérité m’est encore plus chère. Je n’ai pas voulu répondre à Guy en particulier mais à une conception et à un débat dépassés, mais tranché par l’amère expérience russe. Le problème n’est pas de ferrailler éternellement sur le traité de Brest-Litovsk en lui-même, mais de mettre en évidence que l’expansion de la révolution n’est pas un phénomène « externe » (envahissement ou victoire d’ « armées révolutionnaires ») mais « interne » (capacité des prolétariats parqués dans les cadres nationaux à les faire voler en éclats).  Loin des fantaisies sanglantes des trotskiens sur la « guerre vietnamienne révolutionnaire », j’ai impulsé depuis plus de vingt ans une réflexion (en particulier lorsque j’étais encore dans le CCI) sur l’obsolescence de la notion de « guerre révolutionnaire », du moins au sens où l’entendaient Marx et Engels et après eux les Lénine et Boukharine, vite échaudés comme on le verra.
Le camarade Guy se sent fort de ses certitudes de jeunesse alors qu’il n’avait pas encore mené de réflexion sur la « guerre révolutionnaire » (on n’en trouve nulle trace dans Jeune Taupe). A l’époque où il a écrit son ouvrage sur Brest Litovsk il était naturel de faire référence à tous ceux qui, du même camp révolutionnaire et membres du même parti, avaient critiqué Lénine. Ou hélas parfois de surenchérir. Pour l’essentiel, le travail théorique de Guy s’inscrivait comme celui de la plupart des minorités révolutionnaires renaissantes dans un effort pour porter à la connaissance des jeunes générations l’expérience et le combat des gauches communistes ignorées volontairement par les saboteurs d’histoire trotskiens au profit de leur filiation néo-stalinienne. Pour le gauchiste moyen il n’y avait que le combat de « titans » Staline/Trotsky. Il était donc nécessaire du point de vue du camp révolutionnaire de rappeler l’action et la façon de fonctionner réellement des bolcheviks et des militants oubliés de l’histoire en leur sein qui ne furent jamais des progénitures de l’auguste Trotsky. Il fallait pour cela montrer leurs polémiques et le fait que Lénine n’était pas un dieu ni un politicien infaillible. Mais pour combattre fort honorablement le léninisme primaire gauchiste, Guy était néanmoins tombé dans un anti-Lénine primaire, même en invoquant les mânes de mère Rosa. Une toute petite surenchère et voilà que vous tombez dans l’erreur (« Lénine = Hindenburg »). Guy Sabatier s’est fait plus stratège que Lénine, plus généralissime que le chef d’Etat « prolétarien », en se parant de l’autorité de « la fraction des communistes de gauche », mais on ne peut pas se mettre idéalement à la place de ceux qui ont été des acteurs historiques grandioses parce qu’on aurait probablement commis les mêmes erreurs ou d’autres. La conclusion de ce débat historique est pourtant impossible à déguiser aujourd’hui : les communistes de gauche comme Lénine se sont plantés !
LA QUESTION DE LA GUERRE. C’est Guy qui confond les faits et les dates historiques. On verra plus loin qu’il méconnaît le débat historique depuis Marx sur la guerre et qu’il ignore que la référence à la révolution française fut une constante pour les bolcheviks qui ne pouvaient se comparer à la seule Commune de Paris mais plaçaient très logiquement la révolution de la « dernière classe de l’histoire » dont ils étaient les initiateurs à la même échelle historique que la révolution bourgeoise (voir les géniales comparaisons de Trotsky, chapitre « le mois de la grande calomnie » dans son histoire de la révolution russe). Mais avec une théorisation plus hasardeuse, cher Guy, chez les « communistes de gauche » qui ne se cachaient pas de calquer leur analyse sur la prise de position girondine de la « levée en masse » basée sur une croyance immodérée dans la généralisation immédiate de la révolution en Europe.
La guerre reste une question compliquée selon l’angle où on la juge. Incontestablement, la violence meurtrière de la guerre contre le Japon en 1905 puis celle, inouïe de 14-18, jouent comme facteurs de la révolution « interne » contre l’ordre assassin. Il n’en est pas de même, je le répète car Guy a esquivé l’argument qui éteint sa thèse « luxembourgiste », lorsque le parti bolchevik est le général à la tête d’un Etat pas comme les autres mais isolé et que la bourgeoisie a compris que le meilleur « coup d’arrêt à la révolution » était l’arrêt de la guerre mondiale. Tous les ex-antagonistes refont ami-ami pour tirer sur la seule Russie. La guerre mondiale est arrêtée donc la colère contre la violence meurtrière aussi. Où est l’honneur révolutionnaire à faire perdurer une guerre perdue d’avance ? Dans l’envoi au casse-pipe des ouvriers et des paysans – même pour une « guerre défensive » - qui ont déjà trop vu couler le sang de millions des leurs, qui seront bientôt excédés par la guerre civile ? Seuls des généraux  d’opérette à la Robert Camoin peuvent se bercer d’une telle illusion et exhiber le schmilbilic de la « terreur rouge » qui lave plus blanc. La majeure partie de la popularité des bolcheviks puis leur victoire politique avait reposé sur la revendication de la paix d’autant plus efficace que l’armée s’était débandée. Virer à 180° pour entrer à nouveau dans une politique belliciste, surtout rouge sang, présentait toutes les chances de se couper du prolétariat d’abord, puis des larges couches non exploiteuses sous l’uniforme. Et surtout, dans cette hypothèse, les jusqu’au-boutistes Cadets et SR auraient vite repris le dessus à la tête des régiments encore constitués et hostiles aux bolcheviks.
L’expérience russe a tranché. Le schéma qui s’impose est donc : d’abord guerre mondiale puis révolution, mais la révolution face à une guerre capitaliste qui l’encercle – et pour les multiples raisons qui ont présidé à la victoire de la contre-révolution : écrasement habile de la tentative allemande, éloignement du prolétariat américain, prolétariat de l’Ouest européen dans le camp des vainqueurs, etc. – est vouée à l’échec si elle ne mise que sur les critères militaires ; d’ailleurs même les armées révolutionnaires de la jeune bourgeoisie furent vaincues sur le territoire européen, le véritable triomphe bourgeois fut surtout beaucoup plus tard économique : la révolution dite industrielle.
LES APPROXIMATIONS DE MARX ET ENGELS. La théorie de la « guerre révolutionnaire » comme telle est un moment de l’histoire du marxisme mais elle ne fut ni un dogme ni dépourvue de contradictions. Marx a montré comment la bourgeoisie a conquis le monde à coups de canon, et a défendu contre les anarchistes inconséquents que, comme l’esclavage, cela avait été une étape, cruelle certes, mais nécessaire pour ouvrir la voie royale à l’industrie qui allait révolutionner le petit mode de production mercantile et aliéné. Cependant les analyses des deux amis politiques plaquées sur le cas de la Révolution française, restent discutables. Quand Engels estime qu’en Europe Napoléon « a été le représentant de la Révolution, le propagateur de ses principes et le destructeur de l’ancienne société féodale », on peut être d’accord, d’ailleurs les grands philosophes allemands le saluèrent à ce titre comme un « grand homme ». Mais lorsque le même Engels théorise que la révolution a été « étouffée à Paris » et que les armées de Napoléon la portèrent au-delà des frontières de France, on reste dubitatif sachant le prochain Waterloo et le génocide des soldats français en Espagne (cf. Goya) en Russie, sans compter que le petit corse envoya à la mort « révolutionnaire » au moins deux millions de soldats français (dont des charniers ont été exhumés récemment en Russie). Dans « La Sainte famille », M+E nous disent que Bonaparte a « perfectionné la Terreur en remplaçant la révolution permanente par la guerre permanente. » Malgré leurs finasseries, M+E négligent le fait que les armées napoléoniennes ont reçu un peu partout un accueil ambigu ! Déjà !
Il faut reconnaître que les Jacobins avaient été plus lucides avec Robespierre en refusant la guerre extérieure pour ne pas affaiblir la révolution, d’autant que personne n’aime les missionnaires en armes. Par contre les stupides Girondins étaient convaincus que la révolution s’exportait à la pointe des baïonnettes et traçaient déjà la voie au soldat arriviste. La théorie de la « nation en armes » ou « levée en masse », héritée de 1789, marqua donc durablement les premières étapes du mouvement socialiste et communiste. J’ai rappelé jadis que le principal théoricien de la guerre révolutionnaire en France avait été Jules Guesde, lequel a fini comme théoricien de l’Union sacrée patriotique.
REVENONS AUX CONDITIONS DU TRAITE
Il sera intéressant de lire les textes traduits du journal des Communistes de gauche, comme nous le promet Guy, mais il ne faut pas s’attendre à de grandes révélations car nous connaissons déjà ce qu’ils contiennent (des historiens, et même le réac Shapiro, nous ont déjà donné des illustrations de leur contenu).  Guy est passé un peu vite sur le fond de la question : il eût fallu que Lénine se mue en général belliqueux intraitable pour… sauver l’Etat national russe ; enlever svp cette histoire de « sauver l’honneur » appuyée de plus sur une citation contestable bien que grandiloquente du peu fiable Radek (lequel avait été emmené par Trotsky à Brest-Litovsk pour participer aux négociations). Cette injonction aboutissait au résultat contraire souhaité par notre génération de militants post-68, Guy inclus : dénoncer tout ce qui avait ou aurait pu renforcer l’Etat-parti au détriment de la classe ouvrière, et renforcer l’armée aurait été dans ce sens… on imagine les exigences et anticipations d’une « armée rouge » victorieuse avant l’heure stalinienne !  Regretter que le chef des armées miliciennes rouges n’ait pas été un général intraitable est à cette aune reprocher au jeune Etat « prolétarien » et  au mouvement révolutionnaire des ouvriers russes de s’être dégonflé ![5] Lénine fut ultra-minoritaire lors de la discussion générale, l’immense majorité du parti et des comités révolutionnaires étaient en effet pour engager la « guerre révolutionnaire » ; mais qui a dit que les majorités ont automatiquement raison ? Le 19 mars, Lénine invite les communistes de gauche à se rendre au front pour se rendre compte de l’état déplorable de l’armée, aucun ne s’y rend. Les « révolutionnaires de la phrase » ne mesurent pas l’état de faiblesse générale des troupes selon Lénine qui, peu à peu, péniblement, parvient à doucher l’enthousiasme des naïfs qui lui répètent sans cesse qu’il se soucie plus de la Russie que de la généralisation de la révolution.
Allons plus au fond des choses. Si les communistes de gauche comportent des membres forts intègres, ce groupe contient aussi des militants qui ont l’art de virer sec dans un sens ou dans l’autre et dont le jugement n’est pas des plus raisonnables. Il n’ait pas étonnant que Dzejinski et Boukharine se soient retrouvés honorables membres de l’appareil d’Etat « prolétarien » peu après leur envolée lyrique contre le traité de Brest-Litovsk, sans oublier Kollontaï qui a finie diplomate de Staline. Comme le montre son biographe, Stephen Cohen, Boukharine exalta le volontarisme révolutionnaire comme décisif dans les passes difficiles, assez « volontariste » en effet mais peu efficace même s’il affirma que la coexistence pacifique entre République soviétique et capital international était impossible à terme ; pourtant c’est bien sa théorie du « socialisme dans un seul pays » qui, armant théoriquement l’arriviste Staline, permet la longue « coexistence pacifique » que l’on sait.
Lénine et d’autres ont souligné que les radicaux de la phrase sont souvent des réformistes ou des anarchistes qui s’ignorent. Trotsky avait la position la plus intelligente bien qu’utopique elle aussi. En accord avec l’Opposition de gauche il misait sur l’imminence d’une révolution mondiale et des grèves générales dans les principaux pays, mais il proposait de « gagner du temps ». Trotsky déclara qu’il aurait mieux aimé négocier avec Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht plutôt qu’avec le général Hoffmann et le comte Czernin. Lénine misait à leurs côtés sur la même généralisation de la révolte sociale, cela Guy oublie de le rappeler. Et là où Lénine est au-dessus du lot - ce que Guy fut incapable de voir dans son combat de naguère contre les thuriféraires d’un Lénine trop embaumé – et qui confirme sa hauteur de théoricien hardi, c’est qu’il est las de la panacée de la « guerre révolutionnaire ». Il a pris la mesure du chaos. L’armée populaire russe est à bout et surtout ouvriers et paysans ne sont plus prêts à donner leur vie même pour « l’honneur de la révolution. »
Or, les communistes de gauche, contrairement à ce que s’imagine Guy, se placent toujours dans la même optique irréaliste que les Girondins, avec l’interprétation de la « levée en masse », ne voyant pas le pays exsangue et militairement épuisé. Le 22 janvier 1918, Boukharine et les communistes de gauche attaquent Lénine, l’accusant à nouveau de défendre « un point de vue russe étroit », ce qui est exagéré connaissant le fond de pensée de Lénine qui n’est tout de même pas un Staline avant l’heure. Boukharine préconise la « guerre révolutionnaire » comme « unique solution ». Lénine répond : « Pour faire une ‘guerre révolutionnaire’, il faut une armée révolutionnaire, et nous n’en avons pas. » Trotsky penche toujours du côté des communistes de gauche fin février, mais il s’abstient dans les votes. Le 5 mars le Communist, journal de Boukharine, reprend les arguments classiques sur la « guerre révolutionnaire ». De plus, ce qui a échappé à Guy dans sa polémique de jeunesse anti-léniniste, est encore plus confondant pour sa thèse : Lénine s’est en fait aligné sur ses contradicteurs communistes de gauche et socialistes-révolutionnaires, en rejoignant la position conciliatrice de Trotsky « ni paix ni guerre » (*). Résultat, l’impérialisme allemand a mis tout le monde d’accord au sein de l’exécutif bolchevik : en une journée les armées allemandes s’enfoncèrent jusqu’à près de 150 km de Petrograd, prirent Minsk, Moguilev en Biélorussie, une partie de l’Ukraine puis Kiev. La vérité est la suivante - contrairement aux rêveries luxembourgistes de Guy (Rosa est excellente théoricienne mais eût fait un piètre général de brigade et encore moins un chef d’Etat « prolétarien ») - la paix de Brest-Litovsk est une paix honteuse que les bolcheviks signent à genoux, et qui n’est que la confirmation de l’obsolescence de la théorie de « la guerre révolutionnaire » ou autre « exportation militaire » (ou sauvegarde du quart ou de la moitié de  la révolution), et nullement le fait d’une rouerie d’un Lénine-Hindenburg.
Dans les faits c’est bien la position fier-à-bras des communistes de gauche qui dominait à l’exécutif bolchevik et qui, faisant traîner en longueur, avait abouti à favoriser l’enfoncement par le militarisme allemand. Le gouvernement avec ses communistes de gauche – lesquels démissionnent de cet appareil mais sans se désolidariser du parti et de la révolution affaiblie – dût céder la Finlande, les provinces baltes du nord, une partie de la Biélorussie, de l’Ukraine, etc. Même avec ces pertes territoriales la Russie disposait encore d’un territoire supérieur à celui de tous les pays de l’Europe capitaliste de l’Ouest. L’Etat « prolétarien » était même débarrassé du problème des nationalités, dans la partie des pertes territoriales, qui aurait en effet posé d’autres difficultés. Enfin, même honteux, le traité offrait le répit recherché aux plus lucides des révolutionnaires bolcheviks qui restèrent internationalistes même jusqu’aux tortures des sbires de Staline, alors que le « radical » Boukharine versera de l’eau dans son radicalisme et accouchera du pastis du « socialisme dans un seul pays », après la période des quatre années de ce qui allait être un règlement de compte interne préjudiciable à l’aura de la révolution : le début de la guerre civile.
Au mois d’octobre 1918, exemple d’abnégation, Trotsky reconnaît que c’est Lénine qui avait raison.
Sur cette affaire de Brest-Litovsk il faut signaler qu’elle fut le prétexte finalement pour les non-révolutionnaires, la gauche non-bolchevique (SR) et le centre libéral, pour quitter le gouvernement de coalition et renouer avec la terreur individuelle, laissant l’entière responsabilité de la gestion de l’Etat issu de la révolution isolée aux seuls bolcheviks et à leur fraction critique des communistes de gauche. Ces curieux jusqu’au-boutistes là n’eurent pas la dignité de rester solidaires de la révolution assiégée comme les communistes de gauche. Mais là-dessus je pense que Guy n’est pas en désaccord. Nous avons besoin de réflexions tenant compte de l’évolution historique de la compréhension de la révolution russe, et surtout de répondre à la question : comment une révolution du prolétariat moderne peut-elle s’internationaliser sans guerre mondiale ? Et, subsidiairement, s’il devait subir une autre guerre préalablement comment ferait-il le poids face à de puissantes armadas capitalistes non démantelées ?
2.Un nouveau livre sur « La guerre révolutionnaire » (in PU de septembre 2005, article de Michel Olivier qui ne perd jamais son habitude de dégommer au passage l’impétrant en même temps qu’il le loue, vieille faconde de procureur dans le CCI)
Jean-Louis Roche nous a habitué par ses travaux a du bien mais aussi parfois à du moins bien. Son avant dernier livre sur la critique de « ’Socialisme ou Barbarie’ » de Lucien Laugier », manquait d’une rigueur certaine ; l’on ne savait pas, au cours de l’exposé, à qui appartenaient les commentaires, à l’auteur ou à Lucien Laugier. Malgré cette critique, le grand intérêt de ce livre est qu’il apprend beaucoup sur une période méconnue de l’histoire du mouvement ouvrier (le début des années 50) et qu’il amène de nombreux d’éléments de réflexion très importants.
Maintenant, avec La guerre révolutionnaire, l’auteur signe un livre autrement plus rigoureux. Il a l’avantage de rassembler et de mettre en perspective des documents et des informations connus, certes, mais par trop peu, et surtout dispersées dans un grand nombre de livres et de documents. Nous avons particulièrement bien aimé la dernière partie qui décrit la position de Lénine par rapport à la guerre en Pologne et surtout en Géorgie en février 1921 et quand, ensuite il a manifesté son opposition à Staline et à ses méthodes puis sa rupture avec ce dernier mieux connu depuis les derniers publications. L’on sait que Staline donne l’ordre à l’armée rouge d’envahir la Géorgie qui avait été reconnue comme indépendante le 7 mai 1920. Il met ainsi l’Etat et le Parti communiste devant le fait accompli. Lénine écrit le 6 mars 1923 aux opposants géorgiens en se déclarant « scandalisé par l’arrogance d’Ordjonikidzé et la connivence de Staline et de Dzerjinski.» Puis, Jean-Louis montre comment Trotski chargé par Lénine de répliquer le fait de façon interne au Parti mais surtout ne va pas jusqu’au bout du combat contre la direction du Parti bolchevik. Jean-Louis Roche explique parfaitement cette période et fournit abondamment tous les éléments. Les pourfendeurs de Lénine devraient lire ces documents. Ils apprendraient qu’il n’y a aucune continuité entre Lénine et Staline. Et ceux qui voient le parti bolchevik comme un parti monolithique, devraient se pencher là dessus. En effet, le parti bolchevik est un véritable creuset d’idées révolutionnaires en parti révolutionnaire qu’il était. Il était traversé à toutes les époques par de grands débats et il savait vivre avec des tendances et des fractions contrairement à ce que d’aucuns ont pu écrire très doctement. (notamment le CCI : “Les fractions face à la question de la discipline organisationnelle”, Revue internationale 110 ou dans un article surréaliste  sur le bolchevisme:“Naissance du bolchevisme”, dans la Revue internationale, ma réponse in Bulletin n°28 de la Fraction du CCI : “Le CCI réécrit l’histoire du bolchevisme, comme Staline”).
Cet ouvrage permet à l’auteur de répondre aux révolutionnaires romantiques qui ont rêvé ou rêvent encore sur la guerre révolutionnaire et de régler leur compte à tous ceux qui s’opposaient à Lénine sur la question de Brest-Litovsk. Fallait-il signer l’armistice avec l’Allemagne ? Oui, si l’on tient compte de la réelle situation russe et de son armée. De toute façon l’histoire a tranché, la position de Trotski qui était « ni paix, ni guerre » a permis de montrer qu’il fallait signer si l’on voulait préserver la révolution de l’armée allemande qui progressait dangereusement en direction de Moscou et de Leningrad. Oui, encore, si l’on prend en compte les éléments apportés fort justement par Jean-Louis sur les dangers de la guerre révolutionnaire par rapport à la possible transformation du nouveau pouvoir en un pouvoir dictatorial du fait de la situation de guerre et de la domination de l’armée sur ce dernier. Ce qui est plus sujet à caution dans ce livre, même si l’auteur le précise à plusieurs moments, c’est une tendance à trop pousser la comparaison entre les guerres révolutionnaires sous différentes sociétés et celles menées par différentes classes sociales : la révolution française et la révolution prolétarienne ce qui n’a rien à voir bien sûr, jusqu’à vouloir même passer sous cet instrument de mesure, la guerre en général.  Cette confusion peut être également amenée par la photo de couverture qui met le visage de Lénine sous la tenue de Robespierre. Malgré tout, l’auteur met en garde contre cette erreur possible en disant que faire des comparaisons historiques ce n’est pas faire des amalgames. Tout cela mériterait d’être plus précis car un flou demeure.  Et de citer fort justement Trotski. «Pour juger de la justesse ou de la fausseté d’une analogie historique, il faut en déterminer clairement la substance et les limites. Ne pas  recourir aux analogies avec les révolutions des siècles passés, ce serait tout bonnement faire abandon de l’expérience historique de l’humanité. La journée d’aujourd’hui se distingue toujours de la journée d’hier. Néanmoins, on ne peut s’instruire à la journée d’hier  qu’en procédant par analogie
L’auteur a également une tendance à vouloir tout faire rentrer dans un seul moule ce qui lui fait perdre l’idée que l’histoire est pleine de contradictions et qu’elle n’est jamais pure. En effet l’histoire n’est pas rationnelle, on peut l’expliquer et la comprendre mais pas la réduire à une seule issue. Et par exemple, l’auteur est évidement en droit de nous dire que la révolution ne sortira plus de la guerre comme ce fut le cas en 1870, 1905 et 1917. Mais il devrait nous dire que c’est une tendance et nous comprendrions mieux et au demeurant il faut donner des éléments autrement plus sérieux pour le prouver. Il existe une tendance chez J-L Roche à penser la totalité et à la pensée abstraite. Ici, la thèse mérite d’être mieux étayée sur le rôle de la guerre dans l’histoire, sur le fait qu’elle n’a jamais été véritablement accoucheuse de l’histoire que ce soit au XIX° siècle ou au XX° siècle. Si nous sommes d’accord avec Jean-Louis pour le XX° siècle, nous ne sommes pas d’accord sur son aspect négatif au XIX° siècle.
Comme Marx nous considérons que les guerres napoléoniennes ont permis au capitalisme de se développer en Europe. Rappelons à Jean-Louis qui ne le cite pas, l’envoi d’un télégramme de félicitation par Marx aux Etats-Unis quand l’armée du nord industriel dont progressiste a vaincu les Confédérés du sud plus agricole et esclavagiste en mettant fin à la guerre de Sécession.
3.COUP D’ARRET A LA DISCUSSION (2006)
BREVE-LITOVSK (Réponse de Guy Sabatier in PU n°105)
Jean-Louis écrit : « Il sera intéressant de lire les textes traduits du journal des Communistes de gauche, comme nous le promet Guy, mais il ne faut pas s’attendre à de grandes révélations car nous connaissons déjà ce qu’ils contiennent (des historiens, et même le réac Shapiro, nous ont déjà donné des illustrations de leur contenu) » (cf. Bref-Litovsk, PU 103)
Ah bon ! Quelle curieuse opposition dans les termes !...
Permets-moi de ne pas me référer à de tels analystes pour apporter une véritable clarification sur la fraction des Communistes de gauche et sur leurs débats avec Lénine aussi bien qu’avec Trotsky (comme dans mes travaux sur Rosa Luxemburg, je me suis toujours méfié des historiens staliniens à la Badia ou des traducteurs/trices à la solde de Maspéro le castriste des années 1970[6]). Je pense, bien au contraire, qu’une traduction inédite (pour la première fois du russe au français, sans passer par l’allemand ou l’espagnol[7]) confrontera tout le monde aux textes eux-mêmes contenus dans les 4 numéros du « Communiste » et permettra d’approfondir le débat sur la révolution russe sous tous ses aspects extérieurs et intérieurs[8], en particulier sur la question de la « guerre révolutionnaire » que tu considères fondamentale ! (critique des positions de Marx et d’Engels, retour sur la Révolution française…)
Les camarades de Moscou viennent de m’écrire que « leur activité (celle des communistes de gauche » n’est pas très connue, même en Russie » (8 août 2004). Donc publions et débattons le plus largement possible, cher camarade, ce que je souhaite autant que toi…
Guy Sabatier

COUP D’ARRET A LA DISCUSSION (ma réponse à Guy, et je ne publie pas les mails intermédiaires truffés d’insultes ad hominem)
« L’idée d’une politique révolutionnaire sans faille, et surtout dans cette situation sans précédent, est si absurde qu’elle est tout juste digne d’un maître d’école allemand ».
Rosa Luxembourg (La tragédie russe)
Guy ne veut pas et surtout ne peut pas débattre car cela aboutirait à ce qu’il se remette en cause, à ce qu’il écoute pour une fois son contradicteur. Alors, ça part dans tous les sens, et il se cache comme toujours derrière les citations ou les idées des autres (on n’approfondit  pourtant pas à coup de citations). Il répond néanmoins par l’insulte ; voilà tout ce qu’il est capable d’argumenter dans son dernier e-mail : « cher délirant…de la veuve Poignée » ; je ne répondrai rien à ce niveau sinon il serait au plus mal. Il fait l’important en évoquant « les camarades de Moscou » qu’il ne connaît même pas et qui ne sont que des traducteurs contre espèce sonnante.
Il va vous houspiller à l’évocation des clauses secrètes de Brest et de Rapallo qu’il ne connaît pas plus que vous ! Il va vous tarabuster en vous proclamant qu’il est historien comme vous êtes mécanicien.
Par son absence de réponses aux questions que je lui avais posées dans PU 103, le camarade Guy fait penser à ce voyageur qui vient de rater son train et qui se demande s’il n’aurait pas mieux fait de prendre l’avion. Il s’attache à un petit détail hors de toute réflexion sensée, la traduction des articles du journal Communist (qui va lui apporter la science infuse de l’histoire ou corroborer l’interprétation de son livre de jeunesse) pour esquiver toute remise en cause de ses à peu près passés sous l’auguste arrogance du petit maître d’école « français » qui ne connaît l’histoire que de façon sélective. Dans son ouvrage de 1977, il s’était appuyé sans complexe sur les éditions Maspéro et le fameux réac Shapiro, qu’il proclame mépriser aujourd’hui du haut de petite chaire lycéenne.
Curieuse méthode, il faudrait attendre la traduction des textes en partie connus des Communistes de gauche avant de trancher sur la guerre révolutionnaire ! Imaginez un intellectuel qui viendrait vous assurer qu’il faut attendre la publication d’un texte inconnu de Proudhon pour réfléchir au bien fondé de la réplique de Marx « Misère de la philosophie », à laquelle Proudhon a été incapable de répondre, bien qu’on ait trouvé des annotations amères sur son propre exemplaire ! Cela nous rappelle trop l’argument chauvin : « vous n’avez pas été à Verdun, donc vous n’êtes pas autorisé à parler de la Grande Guerre ! »
J’ai relu attentivement le vieil ouvrage de Guy  « Traité de Brest-Litovsk, coup d’arrêt à la révolution » ; c’est sans conteste un ouvrage encore lisible, probablement le meilleur qu’ait pu produire l’ultra-gauche de l’époque ; on y trouve un incontestable effort pour aligner les thèses en présence, sans esprit de secte lequel ne définit que son propre point de vue et ignore les autres. Le souci était louable je le répète de montrer le débat dans le parti bolchevik à ce niveau, chose qu’aucune secte trotskienne n’est capable de mener ni aucun Etat totalitaire moderne même dit libéral dès que surgit une question majeure ou étatique, les chefs de secte gauchiste ou les chefs d’Etat ont seul pouvoir de trancher.
Outre une hostilité incompréhensible à l’égard de Lénine (hostilité très à la mode chez les ultra-gauchistes révisionnistes à la Dauvé et Cie à l’époque), l’ouvrage procède d’un irréalisme délirant en défendant « la préparation à soutenir la guerre révolutionnaire » (p.28), « la nécessité de la guerre révolutionnaire » (p.40). Il inventait du reste une possible armée « prolétarienne », ultra-minoritaire et parodique capable de « soutenir la lutte immédiate contre tous les impérialismes alliés » (p.41) et s’imaginait que « l’enthousiasme révolutionnaire » (version Valmy ?) aurait suffi à galvaniser « l’impréparation militaire ».
Il « imaginait aisément» (sic ses propres termes)  « l’efficacité (…) qu’aurait eue la guerre révolutionnaire » (p.47). Pas besoin d’imaginer pourtant, à moins d’avoir subi la mode gauchiste des seventies sur les « guerres révolutionnaires » de « libération nationale ! » (défensive svp)[9].
Guy Sabatier voulait faire la leçon à Lénine…mais Lénine avait une expérience de militant d’organisation qu’il n’a jamais eu, et une capacité de se remettre en cause qu’il n’a pas non plus, par individualisme de grand seigneur et mégalomanie. Lénine a eu raison d’avoir répondu aux communistes de gauche d’avoir causé « une perte de temps » face à l’armada impérialiste [10]. Mais le plus étonnant, c’est que Guy avait ajouté en annexe le texte critique de Rosa qui procède d’un tout autre esprit de responsabilité et qui dit…le contraire de la thèse anarchiste de notre pourfendeur de bolcheviks. Il faut être intelligent pour lire les critiques de Rosa à l’expérience russe, et surtout se situer avant tout du point de vue des difficultés de la révolution. Rosa commence en effet par considérer que la paix temporaire à Brest était quasi inévitable. Son souci était de mettre en garde contre la logique de l’enfermement et de la défense territoriale de la révolution : « jusque là et pas plus loin » (p. 89). Elle critique une « fausse tactique » mais n’en fait pas un reproche majeur à Lénine et Cie, contrairement à Guy. Elle décrit la situation en impasse et montre à qui est la faute :
« Voilà bien la fausse logique de la situation objective : tout parti socialiste qui accède aujourd’hui au pouvoir en Russie est condamné à adopter une fausse tactique aussi longtemps que le gros de l’armée prolétarienne internationale, dont il fait partie, lui fera faux bond. La responsabilité des fautes des bolcheviks incombe en premier lieu au prolétariat international et surtout à la bassesse persistante et sans précédent de la social-démocratie allemande, parti qui prétendait en temps de paix marcher à la pointe du prolétariat mondial. « Rosa en appelle ensuite au « sentiment de l’honneur » des masses d’ouvriers et de soldats allemands afin qu’il fasse éviter « le suicide moral, l’alliance avec l’impérialisme allemand ». On est loin d’une crucifixion de Lénine et des bolcheviks. Mais dans sa conclusion de l’époque, Guy reprenait correctement la problématique – bien qu’en oubliant la caducité de la « guerre révolutionnaire » - « Les erreurs que les bolcheviks ont été poussés à faire par une situation internationale défavorable, nous ne voulons pas les accepter comme dogme et comme directive pour une autre période révolutionnaire à venir. » CQFD, mais c’est de cette conclusion qu’il eût fallu partir pour comprendre et Brest et Rapallo (cf. l’hallucination de Rapallo de Nietzsche ?)[11], au risque sinon de se retrouver avec les anarchistes idiots et les petits bourgeois socialistes-révolutionnaires arriérés. Il eût fallu que ce camarade prenne au moins connaissance de la réponse de Lénine, au lieu de se boucher les yeux sur ce bouc émissaire de tous les échecs.
La réponse de Lénine à des idées petites bourgeoises :
Dans les numéros 88, 89 et 90 de la Pravda du début mai 1918, Lénine répond « Sur l’infantilisme ‘de gauche’ et les idées petites bourgeoises. En préambule, la correction de Lénine dans la polémique est remarquable. Il informe les lecteurs de la parution de la revue Kommunist. Ils les saluent comme de vaillants camarades à distinguer des SR de gauche. Puis il entre dans le vif du sujet.
« Ce qui saute avant tout aux yeux, c’est l’abondance des allusions, des insinuations, des dérobades au sujet de la vieille question de front ; ils ont bonne mine, entassant argument sur argument, ergotant à perte de vue, recherchant tous les « d’une part » et tous les « d’autre part », dissertant de tout et de rien, et s’efforçant d’ignorer combien ils se contredisent eux-mêmes (…) ils inventent une ‘théorie’ d’après laquelle ce sont « les éléments fatigués et déclassés » qui étaient pour la paix, tandis que « les ouvriers et les paysans des régions du sud, économiquement plus d’aplomb et mieux ravitaillés en blé » étaient contre… Comment ne pas rire de ces affirmations ? »
Lénine explique ensuite que ce sont des éléments intellectuels déclassés des couches « supérieures » du parti qui combattaient la paix par des mots d’ordre relevant de la phraséologie petite-bourgeoise révolutionnaire. La série d’articles de Lénine est assez longue, et porte surtout sur comment gérer l’isolement de la révolution avec pas mal de conceptions style « vive le capitalisme d’Etat » de la part de Lénine, mais je conseille plutôt à Guy d’en prendre connaissance, en tout cas de la première partie (cf. Œuvres T.27). Encore quelques annotations.
« …nos « communistes de gauche », qui aiment aussi se qualifier de « communistes prolétariens », car ils n’ont pas grand-chose de prolétarien et sont surtout des petits bourgeois, ne savent pas réfléchir au rapport de forces ni à la nécessité d’en tenir compte. C’est là l’essentiel du marxisme et de la tactique marxiste, mais ils passent outre à l’ »essentiel », avec des phrases pleines de  «  superbe » du genre de celle-ci :
… « L’enracinement parmi les masses d’une « psychologie de paix » toute de passivité est un fait objectif de « conjoncture politique actuelle… »
N’est-ce pas là vraiment une perle ? Alors que, après trois années de la plus douloureuse et de la plus réactionnaire des guerres, le peuple a obtenu, grâce au pouvoir des Soviets et à sa juste tactique qui ne s’égare pas dans la phraséologie, une petite, une toute petite trêve, bien précaire et incomplète, nos petits intellectuels « de gauche » déclarent d’un air profond, avec le superbe aplomb d’un Narcisse amoureux de lui-même : « L’enracinement ( !!!) parmi les masses ( ???) d’une psychologie de paix toute de passivité ( !!!???). » N’avais-je pas raison de dire au congrès du parti que le journal ou la revue des « gauches » aurait dû s’appeler le gentilhomme et non le Kommounist ? »
Et enfin, même en ce qui concerne ce qui transpire des critiques internes de Boukharine et de ses amis, ce sur quoi je suis « intégralement » d’accord avec Lénine :
« La petite bourgeoisie s’oppose à toute intervention de la part de l’Etat, à tout inventaire, à tout contrôle, qu’il émane d’un capitalisme d’Etat ou d’un socialisme d’Etat. C’est là un fait réel, tout à fait indéniable, dont l’incompréhension est à la base de l’erreur économique des « communistes de gauche ». Le spéculateur, le mercanti, le saboteur du monopole, voilà notre pire ennemi « intérieur », l’ennemi des mesures économiques du pouvoir des Soviets. Si, il y a 125 ans, les petits bourgeois français, révolutionnaires des plus ardents et sincères, étaient encore excusables de vouloir vaincre la spéculation en envoyant à l’échafaud un petit nombre d’ « élus » et en usant des foudres déclamatoires, aujourd’hui les attitudes de phraseurs avec lesquelles tel ou tel socialiste-révolutionnaire de gauche aborde cette question n’inspirent qu’aversion et dégoût à tous les révolutionnaires conscients. »
La dénonciation de la vénalité de la petite bourgeoisie et de son caractère rétrograde par Lénine est profondément juste, même s’il théorise ensuite le capitalisme d’Etat. De nos jours le petit bourgeois n’a pas changé, et il lui faut comprendre comme l’a dit un jour Orwell que « le milliardaire qui passe en voiture de nuit, sait qu’il n’est pas possible que les lampadaires s’éteignent après son passage ».
4.    UN LIVRE EVENEMENT QUI NE SERT PAS A ECLAIRER LA QUESTION (2011)
UN LIVRE EVENEMENT : LA PUBLICATION D’UNE REVUE OUBLIEE ET MECONNUE DE LA REVOLUTION RUSSE DE 1917
(mais qui aurait dû éviter les radotages d’un socialisme de docteurs d’histoire)
La revue Kommunist, Moscou 1918, Les communistes de gauche contre le capitalisme d’Etat, ed Smolny, 406 pages, 20 euros.
Tout aurait été dit sur la « révolution communiste », si l’on en croit les faiseurs professionnels d’histoire. Lénine aurait été le père de Staline, Brejnev l’enfant adultérin d’un communisme romantique virant au socialisme de caserne, au totalitarisme des goulags, bienheureusement remplacé par la démocratie gangstériste de Poutine. Et le tombeur du régime stalinien essoufflé, l’alcoolique Eltsine n’a-t-il pas rendu hommage aux marins de Kronstadt massacrés en 1921 par le « parti au pouvoir » ? La nouvelle bureaucratie capitaliste désoviétisée n’a-t-elle pas redonné son honneur à Boukharine, l’ex-enfant chéri de Lénine, mais pas à tous les autres, massacrés en 1938 eux aussi par les séides staliniens, sous les ricanements de la bourgeoisie occidentale et de Hitler !
L’histoire n’aime ni les mensonges ni les falsifications des intellectuels de gouvernement. Il réapparaît toujours une petite voix qui vient rendre hommage à la vérité des révolutionnaires prolétariens qui n’est jamais définitivement enterrée. Les éditions Smolny, grâce à la persévérance de Michel Olivier (et ses propres deniers) réalise un joli coup propagandiste pour notre cause communiste, en publiant enfin l’intégrale de cette revue – La revue Kommunist - des opposants aux dérives de la révolution bolchevique. Deux choses sont remarquables dans cette entreprise de restauration de la vérité révolutionnaire :
-          Le trotskisme n’a pas été la première réaction à la dégénérescence de la révolution, bien avant que Trotsky ne se rende compte qu’il demeurait dans le mauvais wagon du char de l’Etat de dictature sur le prolétariat, des membres du parti bolchevique avaient dénoncé avec courage les dérives du parti inféodé à l’Etat ; l’opposition trotskyste, trop tardive, a même rendu service trop longtemps au stalinisme par son soutien critique inexcusable, lequel a généré toutes les fables actuelles de la gauche bourgeoise avec son arsenal de prétendues lois sociales et les nationalisations typiquement bourgeoises ;
-          Contrairement aux visions propagées par les ignorants clercs, les mains pleines d’affabulations sur le parti monolithique « de fer » où Lénine aurait été un dictateur impitoyable face auquel les vieux membres du parti auraient rivalisé de bassesses serviles et népotistes, le parti bolchevique resta longtemps, plus que les conseils ouvriers syndicalistes et localistes, un lieu de débats et de confrontations sans concessions, lucides et quasiment impossible dans tous les partis bourgeois du XXème siècle. Au niveau politique, la traduction et restauration des textes des communistes de gauche révèle non pas un monolithisme centraliste obtus mais une véritable démocratie directe, politique et honnête, au sein du parti, bien que relativement en extinction dans l’ensemble d’une société percluse de misère dans l’isolement international. Après le jeune Bordiga, Boukharine définit justement les communistes sincères comme tenants du « maximalisme » révolutionnaire (p.250), avec ses faiblesses et ses traits de génie.
L’introduction de Michel et Marcel, restitue parfaitement les données et les enjeux de l’époque dans cette « confiscation du pouvoir prolétarien » dénoncée avec pertinence et un total désintéressement par cette fraction de communistes courageux.
L’action et les démonstrations des « communistes de gauche » n’étaient pas totalement inconnus ni ignorées des historiens les plus sérieux. La republication d’un chapitre de l’ouvrage de Stephen Cohen sur Boukharine démontre très bien le génie de ces communistes de gauche (puisque les autres étaient gagnés à l’opportunisme « de droite », c'est-à-dire en faveur de la restauration de l’Etat comme entité nationale qui ne pouvait déboucher que sur la mascarade du « socialisme dans un seul pays ». C’est une véritable militarisation de la société à laquelle opère le parti-Etat. Les communistes de gauche sont eux-mêmes contaminés, comme le note Stephen Cohen – sans que les présentateurs ne relèvent l’importance de ce fait et donc les limites du « communisme de gauche » : « Ses conceptions politiques et théoriques (de Boukharine, la grande figure de proue de cette fraction) sont un mélange de conviction idéologique et d’expédients militaires ; on le voit dans l’articulation de son communisme de gauche en 1918, comme dans la manière dont il systématise en 1920 la politique militaire du parti » (p.36) ;
Cohen note aussi le romantisme désuet de la mythique « guerre révolutionnaire » chez « l’enfant chéri » du parti (c'est-à-dire son principal théoricien au sens de Lénine) : « il promettait la « guerre sainte » contre la bourgeoisie européenne » ! Il y a un « sentimentalisme idéologique » indéniable chez Boukharine et un certain infantilisme : « La relation père-fils n’est, de plus, pas étrangère à la défaite finale de l’opposition » (cf. Cohen p.40). Boukharine flirte même avec les lubies de l’anarchisme pour lequel la classe ouvrière n’a jamais été révolutionnaire ; avec cette théorie de la « guerre de partisans », dont le plus ridicule fleuron sera le guévarisme moderne, Boukharine régresse : « « C’est justement le moujik qui nous sauvera ». Pas Lénine, c’est pourquoi il reste supérieur et autrement avisé du point de vue du marxisme classique que ses oppositionnels. Le « radicalisme » de Boukharine ne pèse pas lourd face à l’empirisme de Lénine. Pourtant Lénine, craignant toujours d’être débordé sur sa gauche (ou plutôt sur les principes marxistes) est aussi un opportuniste de première et pille à l’occasion le meilleur de Boukharine ; ni Cohen ni les présentateurs ne rappellent que Lénine a « pompé » dans sa cuisine théorique et Boukharine et Pannekoek pour réaliser son magnifique ouvrage « L’Etat et la révolution », alors qu’il n’était pas encore devenu par devers lui « chef de l’Etat ». Cohen voit clairement les faiblesses de la fraction Boukharine, qui oscille entre des solutions nationales et ce truc débile de « guerre révolutionnaire » : « Si l’on excepte ses propos elliptiques sur la nationalisation, Boukharine ne contribue pas pratiquement à la recherche d’une politique économique viable. Il parle vaguement de la fin de marché et de l’avènement de la planification et il ignore complètement l’agriculture. Ses plaidoyers fervents en faveur de la guerre révolutionnaire et son opposition mitigée à la politique économique de Lénine reflètent ses propres incertitudes face à la politique intérieure du parti. Le « communisme de guerre » qui est exalté par les communistes de gauche n’est qu’une « économie de survie dans un pays assiégé ». C’est la contraignante guerre civile et ce « communisme de guerre » qui ouvrent la voie à la militarisation « envahissante » de toutes les formes de la vie publique, et qui inspirera le futur autocrate Staline.
Il est regrettable que les présentateurs et les membres de Smolny, pour la plupart anciens membres du CCI, aient oublié ce qu’il leur avait appris intra-muros, ne pas « sanctifier » ces communistes de gauche, malgré nombre de leurs critiques fondées.
Voici ce que notait avec justesse la revue internationale de l’organisation-mère le CCI :
« LA  NATURE   DU COMMUNISME  DE  GUERRE
« Comme le souligne l'article sur la "dégénérescence de la révolution russe", nous ne pouvons plus désormais entretenir les illusions des communistes de gauche de cette époque qui,  pour la plupart, voyaient dans le communisme de guerre une "véritable" politique socialiste, contre la "restauration du capitalisme" établie par la NEP. La disparition quasi-totale de l'argent et des salaires,  la réquisition des céréales chez les paysans ne représentaient pas l'abolition des rapports sociaux capitalistes, mais étaient  simplement des mesures d'urgence imposées par le blocus économique capitaliste contre la république des Soviets, et par les nécessités de la guerre civile. En ce qui concerne le pouvoir politique réel de la classe ouvrière, nous avons vu que cette période était marquée par un affaiblissement progressif des organes de la dictature du prolétariat,  et par le développement des tendances et des institutions bureaucratiques. De plus en plus,  la direction du Parti-Etat développait des arguments montrant que l'organisation de la classe était excellente en principe, mais que dans l'instant présent, tout devait être subordonné à la lutte militaire. Une doctrine de l’"efficacité" commençait à saper les principes essentiels de la démocratie prolétarienne. Sous le couvert de cette doctrine, l'Etat commença à instituer une militarisation du travail, qui soumettait, les travailleurs à des méthodes de surveillance et d'exploitation extrêmement sévères. " En janvier 1920,  le conseil des commissaires du peuple,  principalement à l'instigation de Trotski,   a décrété l'obligation générale pour tous les adultes valides de "travailler,  et: en même temps, a autorisé" 1’affectation de personnel militaire inemployé à des travaux civils". (Averich, Kronstadt 1921, Princetovn 1970, p. 26-27). En même temps,  la discipline du travail dans les usines était renforcée par la présence des troupes de l'armée rouge. Ayant émasculé les comités d'usine, la voie était libre pour que l'Etat introduise la direction personnalisée et le système de "Taylor" d'exploitation sur les lieux de production, le même système que Lénine lui-même dénonçait comme "l'asservissement de l'homme à la machine". Pour Trotski,  "la militarisation de travail est l'indispensable méthode de base pour l'organisation de notre main-d’œuvre".   (Rapport du III° Congrès des Syndicats de toutes les Russies. Moscou 1920). Le fait que l'Etat était alors un "Etat-ouvrier" signifiait pour lui que les travailleurs ne pouvaient faire aucune objection à leur soumission complète à l'Etat » (cf. Les leçons de Kronstadt, publié par la Revue Internationale du CCI, le 10 Octobre 2006).
Ne boudons pas notre plaisir de découvrir les articles géniaux des plumes « communistes de gauche », les Radek, Ossinski, Lomov, Kristman.
 Les présentateurs auraient été plus inspirés et plus honnêtes de faire aussi référence à mon ouvrage de 2005 – qu’ils connaissent pourtant – « La guerre révolutionnaire », où j’ai consacré tout le dernier chapitre à l’énorme contribution de Kristman ; où je souligne que « … si les communistes de gauche avec Ossinski appuyaient tant sur la pédale de la « guerre révolutionnaire », c’est qu’ils étaient conscients de l’absence de projets sociaux et économiques à court et à moyen terme pour la Russie isolée et sous le blocus international » (p.205) ; « Les communistes de gauche ont semblé entrevoir le rôle du « bâton », la militarisation de la société, mais ils vont abandonner cette critique de fond pour participer eux aussi aux projets économiques immédiatistes de gestion de la révolution dans l’isolement » (p.211) ; « Les deux concepts, guerre révolutionnaire et économie prolétaro ou naturallo-prolétarienne sont basés sur la même croyance des communistes de gauche depuis 1918 que la guerre tire en avant dans tous les domaines la révolution » (p.220).
Dans un des premiers articles de la revue, Radek révèle l’intenable position de la théorie fumeuse de la guerre révolutionnaire. D’un côté il renie toute défense « de la patrie socialiste » ouvrant la voie (évidemment) « à la propagande petite bourgeoise pour la défense de la patrie, mais il se contredit aussitôt en assurant que l’isolement « a été initié par la paix de Brest » ! Or par leur refus de la paix contrainte de Brest-Litovsk, les « communistes prolétariens » ne pouvaient que retomber dans cette même ornière de la « défense de la patrie socialiste », car la révolution prolétarienne n’a jamais pu, ne pourra jamais se répandre par la conquête militaire ; l’armée rouge s’est cassée rapidement les dents en entrant en « guerre révolutionnaire » contre la Pologne, aboutissant à enfermer les ouvriers polonais dans la « défense de leur patrie » ! Les Radek et Cie accumulent les poncifs jacobins sur la « formation à l’art militaire des ouvriers et paysans pauvres » ! Pauvre art militaire dont on a vu le type d’armée mexicaine qu’avait pu produire la défunte Commune de Paris. Sans compter cet avatar de socialisme d’intellectuel qui consistait à envoyer au casse-pipe, au front des « unités de partisans » (p.84).
La paix de Brest-Litovk n’est pas une humiliation pour les bolcheviques ni un « coup d’arrêt à la révolution mondiale », puisque comme on le lit dans la note 53 de la page 92, puisque les ouvriers allemands manifestent et font grève pour une paix sans annexion, contredisant l’innocente et irréaliste Rosa Luxemburg qui compara bêtement Lénine à Hindenburg.
On retrouve cette ambiguïté des communistes de gauche, si bien soulignée par Cohen, dans le numéro 1 de la revue Kommunist, où Ossinski prône que « nous devons construire le socialisme » (cf. La construction du socialisme, p.95). Bien qu’il dénonce l’apparition des « directives des petits bourgeois » - cette « apparition de l’aristocratie ouvrière indifférente à la politique », quand « le prolétariat russe (sic) doit choisir une autre voie (…) sa capacité de résistance aux pillards étrangers » - Ossinski retombe dans la même ornière nationale que son maître Lénine, qui ouvrira la voie au « socialisme dans un seul pays », dont Boukharine, ex-partisan de la « ligne sans compromis » sera alors le principal théoricien aux ordres du nouveau maître, nul intellectuellement, Djougachvili Staline. Dans le second article sur la construction du socialisme, Ossinski se couvrira du bla-bla « nous faisons confiance à l’instinct de classe, à l’initiative du prolétariat », pourtant déjà muselé et frigorifié par les horreurs de la guerre civile et de la guerre mondiale. Au plan intérieur, Ossinski défend les mêmes âneries de l’Etat « prolétarien » assiégé qui exige des efforts accrus des ouvriers « nationalisés » : « La nationalisation (…) doit augmenter la productivité du travail et des entreprises et compenser bien des avantages de l’économie privée » (p.151). La contestation du décret sur les chemins de fer par les « communistes prolétariens » est un exemple de leur légèreté gestionnaire empirique, quand Ossinski assure que : « il faut beaucoup investir dans la construction des chemins de fer » ; Lénine s’est moqué de leurs atermoiements : « Le 20 avril paraît le numéro 1 du Kommounist, qui ne contient pas un mot sur les modifications ou les corrections qu’il aurait fallu, de l’avis des « communistes de gauche », apporter au décret sur les chemins de fer. Par ce silence, les « communistes de gauche » se sont eux-mêmes condamnés. Ils se sont contentés d’insinuations agressives contre le décret sur les chemins de fer, mais ils n’ont rien répondu de clair à la question : « Dans quel sens corriger le texte s’il est erroné ? » (cf. p.206 de mon livre + l’argumentation subséquente de Lénine).
Dans le numéro 2 de la revue le subtil Radek a mis de l’eau dans le vin frelaté de la guerre révolutionnaire, il dit des chose évidentes (qui se retournent encore une fois contre la fable de la guerre révolutionnaire version « communistes prolétariens » en se différenciant des anars terroristes et de leurs compères populistes : « L’opposition à la paix de Brest-Litovsk de la part des SR de gauche n’est que l’écho tactique du combat singulier de l’intelligentsia terroriste où le héros audacieux se substitue à la masse passive. Les prolétaires communistes n’ont pas le droit de jouer à l’héroïsme : ils doivent préparer une nouvelle insurrection des masses dans les conditions héritées de la paix de Brest-Litovsk ». Puis il retombe dans les lubies d’une guerre qui devait épuiser le capital, mais n’explique pas pourquoi il a eu l’intelligence de la faire cesser provisoirement dans des conditions qui soumettaient inévitablement la Russie révolutionnaire à mettre l’arme au pied. L’armée rouge, débandée, était de toute façon impuissante à continuer la guerre, d’autant qu’elle était l’objet de désertions en masse, et d’autant que les prolétaires des autres pays n’en pouvaient plus eux aussi des sacrifices militaires, et que, si l’Etat bolchevique avait persisté dans la fable de la guerre révolutionnaire il aurait aggravé son cas aux yeux des masses de soldats martyrisés. La pensée de Radek est sinueuse, il défend la guerre révolutionnaire désormais inutile mais aussitôt tourne casque avec un optimisme infantile : « Il est clair que la signature du traité de Brest-Litovsk met un terme à l’isolement politique et économique de la Russie consécutif à l’insurrection d’octobre » !?. Contre son ex-camarade de lutte, assez romantique sur les bords, la pauvre Rosa, Radek reconnait que la signature obligée n’est pas une trahison car : « Cette dernière (la révolution russe), contrainte à signer la paix de Brest-Litovsk qui a renforcé l’impérialisme allemand, n’a pas perdu son influence sur le prolétariat européen, elle n’est pas devenue à ses yeux l’alliée des brigands de Berlin parce que tout ouvrier d’Europe occidentale voit très bien que l’impérialisme allemand l’a forcée à signer le traité les armes à la main (…) Nous avons subi un terrible échec, mais nous n’avons pas cessé d’être le seul foyer de libre propagande révolutionnaire du monde. Nous demeurons la seule lumière qui luit dans les ténèbres » (p.137). Radek en remet une couche contre la fable de la guerre révolutionnaire dans l’article « L’Armée rouge » : « L’armée est nécessaire à la révolution russe pour lutter contre l’impérialisme mondial, bien que nous ne voulions pas reconquérir par les armes à la main les territoires arrachés à la Russie » (p.165). Et il a même ce trait de génie prémonitoire : « … aucune mesure de prévention ne sauvera l’Armée rouge de sa transformation en un instrument opposé à la classe ouvrière » (p.168).
Un second pipeau, Lomov a été au front vérifier l’humeur révolutionnaire des troupes : « Ce que j’ai vu ». Pas de bol pour la théorie de la guerre révolutionnaire : « Oui, les détachements sont incapables de combattre, ils fuient même après de petits affrontements. La moitié, et même plus, de ces détachements est formé d’éléments de mauvaise qualité dans tous les sens du terme ; ils se foutent solennellement du pouvoir soviétique, de l’internationalisme, etc. » (p.186). En gros, les troupes indifférenciées ne veulent plus aller au casse-pipe pour les intellectuels de gouvernement bolchevique ! Ce fayot de Lomov déplore que les commissaires politiques ne connaissent « pas parfaitement l’art et la science militaires » !
Dans le même numéro, avec l’article « L’anarchisme et le communisme scientifique », Boukharine, veut écluser l’accusation par Lénine de petits bourgeois anarchistes, et dit de bien belles choses sur l’idéologie des déclassés anarchistes. Il le définit comme « produit de la ‘décomposition’ de la société capitaliste » (Marc Chirik n’avait donc rien inventé comme il le prétendait). Malheureusement, l’argument fustigeant l’anarchisme comme décomposition de la classe ouvrière ne tient pas. L’anarchisme reste le produit de classes dépassées par l’histoire. Boukharine, comme Lénine, se rend compte que la classe ouvrière ne suit plus les billevesées sur le communisme en Russie, et les prolétaires russes affamés les premiers, alors l’intellectuel théoricien brode : « C’est seulement dans les conditions de la décomposition de la classe ouvrière elle-même que l’anarchisme apparaît à l’un de ses pôles comme symptôme de la maladie. La classe ouvrière doit lutter non seulement contre sa décomposition économique, mais aussi contre sa décomposition idéologique dont l’anarchisme est le produit ». Ce bla-bla sera celui des staliniens pour justifier le « marxisme scientifique » d’Etat et coller l’étiquette d’anarchiste à tout ouvrier en grève !
Obsédé par la prétendue efficience de la violence de classe militarisée, un article non signé du numéro 3 de la revue – « A la veille » - se couche derrière les mêmes sacrifices exigés par l’Etat « prolétarien » avec la forfanterie anarchiste et localiste de « l’usine aux ouvriers » : « Les usines doivent devenir des usines ouvrières, appartenir au prolétariat dans son ensemble et, seulement à cette condition, notre patrie deviendra la véritable patrie socialiste pour laquelle l’ouvrier sera prêt à verser jusqu’à sa dernière goutte de sang » (p.203) ; pas très internationalistes sur les bords ni regardants sur les sacrifices « patriotiques »les « communistes de gauche » contrairement aux inventions du petit Vico !
Tout en protestant contre la « discipline du travail », Boukharine fait écho à ce même sacrifice au front sur le terrain des usines nationales : « Notre mot d’ordre comme celui du parti communiste n’est pas le capitalisme d’Etat. Il est : « Vers la socialisation de la production – vers le socialisme ! » (Certaines notions essentielles de l’économie moderne, p.226). Oui mais socialisation impossible naturellement dans un seul pays arriéré ! Kristman, par après, est déjà plus logiquement installé dans cette logique « naturallo-prolétarienne » dans un seul pays isolé, voué à l’autarcie idéologique ! Le bla-bla abscons de Boukharine dans son livre « Economique de la période de transition », lui vaudra la note ironique et judicieuse de Lénine : « On dirait des enfants jouant à copier les termes employés par les adultes » (notation rapportée p.274 de l’édition Smolny, in note 26). Les « communistes prolétariens » enfoncent des portes déjà ouvertes par Lénine contre les milliers d’arrivistes, carriéristes semi-intellectuels qui donnent naissance à ces staliniens « permanents soviétiques » (cf. p.276 de l’édition Smolny) sans que ni nos communistes de gauche ni Lénine lui-même (désemparé, ne dit-il pas que « la machine de l’Etat nous échappe » ?) ne puissent empêcher leur prolifération. Sorine constate lui aussi la dévitalisation des soviets, tout en rêvant encore à la « capacité d’initiative du prolétariat » : « Donc, les soviets sont les représentants de la démocratie du travail en général, dont les intérêts, notamment ceux de la paysannerie petite bourgeoise, ne coïncident pas forcément avec les intérêts du prolétariat » (p.278). En effet, les meilleurs conseils ouvriers du monde, dans un pays où la révolution reste isolée ne peuvent que redevenir, s’abâtardir, en nouveaux … syndicats d’Etat.
Malgré mes critiques successives, il faut considérer ces débats dans le parti bolchevique, et à côté (car la revue Kommunist n’est pas patronnée par l’appareil du parti étatique) comme à la fois dépassés sur la question de l’invraisemblable guerre révolutionnaire, mais très actuels et vivifiants sur ce qu’il faudra faire face à la décomposition des Etats capitalistes modernes. L’histoire des emprunts russes – traitée dans le numéro 4 « La lutte contre la contre-révolution » - nous renvoie sarcastiquement au rififi des hedges funds, à la faillite de Goldman&Sachs. A cette différence que les « communistes prolétariens » autour de Boukharine, en peine d’arguments pour aider le capitalisme à s’effondrer, radotent de numéro en numéro « l’inertie » de Lénine sur la question militaire, comme si celle-ci avait pu être le nec plus ultra de la révolution mondiale et non plus grèves et insurrection généralisées dans tous les pays ! La lutte révolutionnaire du prolétariat part de l’intérieur des nations, elle n’est pas imposable par un impérialisme de guerre révolutionnaire… néo-girondine ou napoléonienne.
UNE POSTFACE INCONGRUE
Que les présentateurs aient voulu présenter les textes tel que des « communistes de gauche », avec une présentation raisonnablement correcte, quoique dénuée d’esprit critique, est tout à leur honneur, mais que vient faire cette postface décousue, hors sujet, qui psalmodie les radotages éculés sur la révolution allemande de nos ex étudiants ultra-gauches soixante-huitards attardés ?
Le petit prof luxembourgiste Sabatier qui, naguère avait pondu une histoire de Brest Litovsk, anonnant les pires poncifs anarchistes et SR de gauche sur la guerre révolutionnaire, sous la couverture des états d’âme romantique de Rosa, et qui n’y connaissait rien, vient jouer à l’érudit. Alors que les textes des « communistes de gauche » fichent par terre eux-mêmes la fable de la guerre révolutionnaire, et que le débat a été clos du fait du début de la révolution allemande, indépendamment des faits d’armes de l’Armée rouge hiérarchisée et instrument de militarisation de la population civile et salariée, Sabatier n’a pas l’ombre d’un remord pour son écrit de jeunesse ignorante ; par devers lui, il cite, sans se regarder dans la glace, le commentaire édifiant de Marcel Libman : « L’éclatement de la révolution allemande arrêta la controverse sur Brest-Litovsk  et prouva que la politique de Lénine n’avait pas paralysé les efforts du prolétariat d’Allemagne… » (p.334)[12].
As de la citationnite dont il remplit ses écrits, Sabatier convoque l’errance du gus Walter Benjamin de façon théâtrale, nous fait rire avec son appréciation des « nouvelles générations ouvrières décimées par la hausse des prix » (a-t-on jamais vu une classe ouvrière décimée par la hausse des prix ?) et pose au découvreur. Suit un compte-rendu redondant et éclaté de ses lectures diverses, donne des coups de chapeau à la confrérie des historiens d’Etat comme Werth et Broué, et déplore que les amis de Boukharine n’aient pas persisté dans leur conception suicidaire de la guerre révolutionnaire (p.330).
Au lieu de se centrer sur la problématique de la période de transition, qui est le souci malgré tout, et concrètement des communistes de gauche, Sabatier nous balade, avec sa haine pathologique de Lénine, dans les histoires de tous ces gens hostiles à la création de l’Internationale communiste. Il tente de s’appuyer sur le « ils ont osé » de Rosa Luxemburg saluant la prise du pouvoir par les bolcheviques, mais lui n’ose pas vraiment soutenir la révolution russe. Il n’ose pas dire où et quand l’Internationale pouvait se dégager du « cadre russe », cadre qui, au début, n’était en rien un handicap. Parce que tout simplement la révolution ne s’est pas internationalisée, et qu’il est crétin d’en faire porter la responsabilité aux bolcheviques. Commençant par le gus Benjamin, il était naturel qu’il finisse l’étalage de sa science ultra-gauche par une citation accessoire et démagogique de l’espion britannique Orwell, as de l’anti-stalinisme libéral bon teint, avec cette tonalité fort démocratique qui fait passer les communistes de gauche pour des saints, et les seuls à avoir pensé « autrement le rapport au pouvoir révolutionnaire ». Sans nous dire en quoi le pouvoir serait révolutionnaire.
Sans être contrebattue pour son vide théorique, cette postface correspond malheureusement à l’état d’esprit du trust Smolny (institutionnalisé désormais comme maison d’édition avec pignon sur rue) qui, sous des airs de tolérance, laisse passer le pire opportunisme anarchiste sans colonne vertébrale.  Le comble est la reproduction au final du texte (génial) de Lénine « Sur la phrase révolutionnaire », texte limpide et foudroyant, auquel est soi-disant opposé un texte des dits « communistes prolétariens », parfaitement éclectique, chevrotant, hésitant, pinailleur et plat : « sur la phrase opportuniste », qui annonce déjà le ralliement des communistes de gauche à la « guerre patriotique » stalinienne, par incapacité à tirer les leçons de leur folklore militariste impuissant ni de saisir la leçon lucide et intransigeante du « père » Lénine.
5.LE MARIAGE DE LA CARPE ET DU LAPIN
(le revirement théorique de Michel Olivier)
« Une des principales causes de la dégénérescence en Italie est cette mauvaise et vieille habitude de mélanger la morale aux questions politiques et de classe ».
Histoire de la Gauche communiste (tome I bis)
Voici un épisode que Cervantès était loin d’imaginer. Dans l’entreprise chevaleresque de « Controverses », le chevalier Michel Olivier (ex ponte du CCI) et Sancho Sabatier (anti-léniniste acharné) s’associent pour une belle imposture titrée  « Thèses sur la Révolution d’Octobre et sa dégénérescence ». Brûler le passé révolutionnaire, voici l’heure de la synthèse bilanesque. Aujourd’hui, le noyau de la folie révisionniste touche le niveau de la conscience, cela coïncide avec l’extraction du marxisme d’un monde dont le capitalisme est caillassé. Il ne s’agit pas d’un retour au monde du temps de la chevalerie du regroupement des révolutionnaires convaincus et disparus, mais pour Don Olivier de rester assis sur la rossinante du parti, même si Sancho, malin comme une teigne, est prêt à le cueillir par terre. Sancho Sabatier, qui pense avant tout à être publié, tout en profitant de l’accueil aimable de l’aubergiste Marc Lavoine, n’est pas illuminé et pense bien agir en faveur des opprimés et aider Don Olivier à retrouver la bonne destinée « prolétarienne ».

Don Olivier à la manque s’obstine à ne plus être seulement membre de la première secte venue, fût-elle italienne (TCI…), mais à être celui qui baguenaude pour entrer dans ce monde parallèle de la bonne conscience qui fait feu de tout bois et vivre une nouvelle vie, une vie qu’il croit militante. En noble chevalier, l’idéaliste il se bat contre les moulins à vent de feu la révolution russe, il croit prendre aux rets du parti imaginaire le brave Sancho avec ses hallucinations sur le traité de Brest-Litovsk[13]. Le valet semble pourtant avoir plus les pieds sur terre que le maître. Le duo lénino-conseilliste, allié et adversaire aurait-il résisté au temps ?
Leur roman à quatre mains retrace les voyages et les aventures de la dialectique en toc. Don Olivier est obsédé par la chevalerie des « communistes de gauche » dont il pense qu’ils possédaient la science infuse ou le remède anti-bureaucratique interne. Le premier est un chevalier errant et illuminé du maximalisme qui part combattre le mal à travers la Belgique désunie sur un vieux cheval : Rossinante Parti. Le second, tout en se remplissant la panse, sait que son maître est fou mais décide de l’accompagner quand même tellement il s’ennuyait dans sa ferme. Auberges-châteaux, guerres révolutionnaires, paysans bolcheviques, moulins étatiques, amour-regroupement, prolétaires, inquisition : le roman ne manque pas de péripéties, mais Don Olivier semble rester fidèle à Rossinante et ne cède pas. Sauf à la fin, où vaincu, il rentrera chez lui, malgré les suppliques de Sancho Sabatier. Il abandonnera ses lectures communistes chevaleresques, retrouvera la raison et mourra entouré et aimé des siens.
« Les thèses… » seront sans doute considérées par la poignée de lecteurs de « Controverses » comme  le premier roman moderne, en rupture avec la tradition stalinienne et sectaire. Les nombreux virages du roman délivrent une étude idéaliste de la Russie de l’époque héroïque. Il sera considéré comme un roman comique par les lecteurs les plus sérieux restés fidèles à la tradition maximaliste.
Le début du livret à quatre mains commence par la publicité pour une douzaine d’œufs donquichotesques : « Saluons les prolétaires russes qui sont partis en février, puis en octobre 1917, « à l’assaut du ciel ». Nous revenons sur cet événement qui « ébranla le monde » suite à nos travaux (voire note) qui vont de la création d’une Gauche bolchevik en 1917 à celle du Groupe ouvrier en 1923, et jusqu’à la formation du Parti communiste ouvrier de Russie en 1928 (à Moscou), précédant celle de la Fédération des communistes de gauche quelques temps après. Il nous apparaît nécessaire de synthétiser sous la forme d’une douzaine de thèses un certain nombre d’étapes du mouvement ouvrier. Celles-ci se rapportent au cycle de luttes de classes qui se déroulèrent entre 1917 et 1923, dans le monde russe et à l’échelle internationale. Il est évident que nous n’écririons pas aujourd’hui tout à fait exactement de la même façon que l’ont fait les gauches communistes à l’époque… »[14]. Peu à peu Sancho Sabatier semble opérer lui une métamorphose, et du lourd conseilliste qu’il était, il se transforme en un être plus éduqué, pouvant susciter même par sa clairvoyance et la finesse de son jugement l’étonnement du prolétariat qu’il vénère. Don Olivier, quant à lui, reste invariablement fidèle à Rossinante, il ne cède à aucune pression extérieure, il brave les archers du CCI qui sont à ses trousses depuis qu’il a libéré les archives. Quoique séduit par les thèses anarchistes de Sancho sur Brest-Litovsk, Don Olivier pense ramener au parti un Sancho qui le supplie de ne point l’abandonner (lui pas le parti) : il lui suggère de garder le rôle de berger, souvent mis en scène dans les éditions bucoliques Smolny. Les deux compères pensent vivre ensemble beaucoup de découvertes, même en provoquant souvent de nombreux dégâts dans la théorie marxiste. Le clou du spectacle est la trame historique reconstituée par nos deux compères qui exaltent la théorie controuvée de la plus grande mystification politique du XXe siècle, la guerre de partisans (cf. contraire à sa lettre à bibi), chanson de tous les nationalismes, reprise aux anarchistes et socialistes-révolutionnaires russes :
« Il ne s’agissait pas de mener une guerre classique comme le fera Trotski en créant une Armée rouge avec d’anciens officiers tsaristes et en rétablissant la hiérarchie militaire. Il fallait essayer de développer une guerre de partisans plus propice au succès dans un vaste territoire difficilement contrôlable par les armées régulières des puissances impérialistes. Pas d’autre solution…. à moins de quitter le pouvoir comme l’ont envisagé les communistes de gauche pour éviter que la pourriture de la dégénérescence ne retombe sur le prolétariat de l’avenir. Ce combat de partisans n’était pas une solution idéale mais c’était la moins mauvaise. Pour le prolétariat en armes, mieux vaut périr pour éviter les fausses solutions puis les mauvaises leçons (l’identification d’un capitalisme d’État avec le socialisme) et pour que le Phénix prolétarien renaisse plus fort et plus conscient de ses cendres ».
Entré en résistance dans les bois de Sibérie, on imagine fort bien les partisans bolcheviks faisant le coup de feu avec Makhno contre l’Etat stalinisé et finissant aussi lamentablement que les divers Che Guevara… Pour l’anecdote en passant, il faut savoir qu’en des temps lointains, lors de la parution de l’ouvrage enluminé de Sancho Sabatier, c’est votre serviteur (JLR) et Don Olivier qui avaient été délégué par le CCI pour aller porter la contradiction à cet auteur, encore membre d’un cénacle nommé PIC, et lui indiquer que nulle part, dans le camp des défenseurs de l’expérience en Russie les plus lucides ne considéraient le traité de Brest-Litovsk comme le « coup d’arrêt de la révolution » dite prolétarienne dont l’extension n’a jamais dépendu d’une guerre de partisans anarchistes ou blanquistes.
Théoricien de la fin de la mystification de la « guerre révolutionnaire », je dois avouer modestement que je dois cet approfondissement théorique d’abord à la grande Rosa Luxemburg et ensuite au groupe Révolution internationale qui m’avait permis de comprendre que toutes les dites « luttes de libération nationale » étaient de la foutaise tout au long du XXe siècle ; je n’ai eu qu’un pas supplémentaire à accomplir pour en tirer les conclusions pour le prolétariat… mais cela avait déjà été conçu bien avant ma petite personne.
Déjà dans L’Avanti du 25 mai 1918, les compagnons de combat socialiste du jeune Bordiga dénonçaient une méthode « anti-maximaliste » : « La tactique de la « guerre sainte » aurait au contraire creusé l’abîme entre les deux peuples  et lié le peuple allemand au char de ses dirigeants, posant d’insurmontables difficultés au développement historique à venir de la révolution russe ; et elle aurait troublé la totalité du processus social d’éliminations des institutions capitalistes, préparant la voie à un néo-nationalisme russe qui aurait asphyxié le socialisme ».  (…) La révolution contrainte à la guerre : c’est le triomphe commun des tendances contre-révolutionnaires tant des Empires centraux que de l’Entente. La guerre est la fin certaine d’une révolution ouvrière parce qu’elle tue le contenu vital de la politique socialiste et asphyxie son économie politique » (…) « Ce truc, la guerre révolutionnaire doit être éventé ».
Dans la trame romancée de banalités bien connues sur les causes de l’échec de la révolution, nos deux lascars – en fait sous l’influence dominante de l’écuyer Sancho – font passer le parti futur pour la vieille Rossinante bolchevique, et c’est le rédacteur en chef de « Controverses » qui les remet fort justement en place : « Rappeler que des révolutions ont été possibles sans l’intervention d’un parti dont l’action fut décisive comme en Octobre 1917 n’enlève en rien à l’idée du caractère crucial de celui-ci pour maximiser la réussite d’un processus révolutionnaire, mais ce caractère doit se fonder sur une argumentation pertinente, et non pas sur l’exhortation de la nécessité du parti en soi. Or, assez paradoxalement, il y a plus d’exemples de révolutions (ou de quasi révolutions) sans influence significative d’un parti… (Russie 1917, Espagne 1936) ».
Marc Lavoine se moque aussi correctement de l’apologie, dans la tradition maximaliste de la gauche italienne, de la « guerre sainte » par Don Olivier qui brandit sa lance en bois et Sancho Sabatier qui le tient par les étriers :
« La troisième thèse développe une position sur les événements de Brest-Litovsk (1918) qui est propre aux rédacteurs de ces thèses et qui n’a correspondu à aucune de celles en présence à l’époque. Elle affirme que la seule politique correcte face à l’offensive militaire allemande
eut été de « gagner ou périr comme la Commune de Paris en avait donné l’exemple » : « Il fallait essayer de développer une guerre de partisans ». Les rédacteurs de ces thèses affirment même qu’il n’y avait « Pas d’autre solution», que « Ce combat de partisans n’était pas une solution idéale mais c’était la moins mauvaise ». Or, la gauche communiste russe à cette époque avait avancé une position qui était tout à fait pertinente : « à moins de quitter le pouvoir comme l’ont envisagé les communistes de gauche pour éviter que la pourriture de la dégénérescence ne retombe sur le prolétariat de l’avenir ». En effet, lorsque le rapport de force est en défaveur de la classe ouvrière, que ce soit dans une grève, un processus révolutionnaire, ou sur le plan militaire, mieux vaut battre en retraite et reconstituer ses forces que de sacrifier ses meilleurs éléments dans un combat perdu d’avance, combat qui tient plus alors d’une vision militaire et sacrificielle de la révolution que de la véritable nature du projet communiste : l’héroïsme ‘jusqu’auboutiste’ relève avant tout d’une conception bourgeoise ou petite-bourgeoise de la lutte émancipatrice. Dans une configuration défavorable à la classe ouvrière, seule la retraite constitue la moins mauvaise des solutions car elle permet de regrouper ses forces, de tirer les leçons, et de se préserver pour la prochaine tentative, et cela sans risquer de trahir les principes de la révolution. Ce dernier aspect nous paraît particulièrement crucial car toutes les révolutions où ses acteurs ont transigé sur les principes au nom de l’efficacité, pour gagner du temps, par expédients tactiques, … tous ces épisodes ont peut-être permis de grignoter quelques mois de répits, mais : a) ils ont finalement tous mené à la défaite ; b) ils se sont retournés contre la classe ouvrière au final ;
De deux choses l’une : si le parti bolchevik était déjà « en dehors du camp prolétarien » dès «les grèves ouvrières de Petrograd et … Cronstadt », alors il ne peut pas passer une seconde fois à la bourgeoisie en 1925 ou en 1928 ! encore thèse CCI
Certes, le parti Bolchevik a fait de très graves erreurs dès le lendemain de la révolution, erreurs qui ont notablement accéléré la contre-révolution : répression des grèves, constitution de la Tchéka, relégation au second plan et substitution au pouvoir des soviets, répression de Cronstadt, etc., cependant, ce n’est que lorsque les Bolcheviks abandonnent le principe de l’internationalisme prolétarien que l’on peut dire qu’ils quittent définitivement le camp de la révolution ».
Marc Lavoine démonte par après la corruption idéologique de Don Olivier :
« La thèse 9 affirme que : « Seule la Gauche communiste internationale … porte le devenir des leçons révolutionnaires au niveau mondial comme en Russie ». Cette idée est à nouveau soulignée dans la douzième thèse où l’Opposition Internationale de Gauche de Trotski est purement et simplement rejetée aux oubliettes : « C’est pourquoi, l’opposition de gauche n’avait plus rien à dire ni à faire dès le milieu des années 20. […] Seule la Gauche Communiste ouvrière qui était présente parmi les ouvriers a sauvé l’honneur du communisme». Ceci est en contradiction flagrante avec l’esprit des courants historiques de la Gauche Communiste. Ainsi, Bilan ne se concevait que comme une des gauches parmi toutes celles critiquant la dégénérescence de la révolution d’Octobre, et non pas comme « la seule»! Lorsque la Fraction italienne s’adressait aux autres forces révolutionnaires, elle affirmait clairement qu’elle « n’entend pas se prévaloir de ses précédents politiques pour demander des adhésions ».(…) « Si Bilan considérait que le courant autour de Trotski n’avait plus rien à dire dès le milieu des années 1920, on se demande alors dans quelle galère la Fraction italienne a été se ferrer en discutant avec l’Opposition Internationale de Gauche, en espérant élaborer une plateforme commune avec elle, en proposant que sa revue soit celle de tous les groupes de l’Opposition, etc. L’on ne peut davantage soutenir que « l’opposition de gauche n’avait plus rien à dire ni à faire dès le milieu des années 20 » puisque l’analyse de la nature de l’URSS de Bilan partagera encore pendant longtemps bien des aspects avec celle de Trotski ! A bien y regarder aussi, la position que Bilan développera sur « La décadence du capitalisme » vient en droite ligne de Trotski. Il en va de même concernant la position sur «L’impossibilité de réformes réelles et durables en décadence » que reprendront ses héritiers de la GCF. Dès lors, gardons-nous de ce triomphalisme consistant à crier haut et fort que «SEULE la Gauche Communiste internationale… » ![15]

SANCHO SABATIER DROIT DANS LE MUR DE L’ARGENT
Pour ne pas en rester à une seule hérésie anti-maximaliste, Sancho en rajoute sur son maître. Il fait sienne la théorie du cartel des gauches bourgeoises en 1924 en se livrant à un cocasse survol journalistique des « murs » du XXe siècle, imaginant (théorie fabuleuse) que les prolétaires, en particulier, auraient été à l’origine de la chute du mur de Berlin :
« En novembre 1989, tout implosa et les prolétaires berlinois du secteur/est cassèrent des pans entiers de la Muraille qui leur obstruait l’horizon. Ce fut une véritable liesse populaire avec les ouvriers de l’ex-secteur/ouest. Mais les dirigeants d’alors : R.F.A./Bloc occidental d’un côté, R.D.A./Bloc oriental de l’autre, tentèrent une ultime récupération.  Peine perdue. Autant en emporte le vent. La R.D.A. implosa à son tour ainsi que le bloc de l’Est deux ans après (effondrement de l’U.R.S.S., comme un château de cartes, en 1991). Les ouvriers de l’ex - R.D.A. et de l’ex-Berlin/Est ne parvinrent pas à intégrer facilement le marché « libre » du travail de l’Allemagne réunifiée dont le territoire fut délimité à l’Est par la ligne Oder-Neisse. Ils eurent même une certaine nostalgie (traduite par exemple dans le film : Goodbye Lénine) d’une vie « protégée » des aléas (baisse des salaires, chômage, manque de logement…) qu’ils avaient connue sous l’ancien régime de capitalisme d’État baptisé « socialisme ».et par les ravages sociaux de la crise économique (chômage massif, immigrations de toutes sortes…), le prolétariat du monde entier assista, impuissant, à l’histoire qui se déroulait sans lui et se replia dans des luttes revendicatives, corporatistes. Il fut à nouveau repris en mains par les syndicats et les partis politiques de toute obédience ». Seuls des mouvements sociaux (en cas de radicalisation politique comme en Iran) pourront troubler le jeu inter-capitaliste dans les pays de toute la zone moyenne-orientale, en dépassant le cadre de simples émeutes de la faim. S’ils parvenaient à poser leurs intérêts de classe au-delà des sirènes nationalistes, ce Mur symbole de la misère sociale et humaine tomberait avec fracas : il laisserait alors place à une unité prolétarienne dépassant le pouvoir des États en les détruisant de fond en comble. »
Du mur de Berlin, notre berger Sancho, à dos de mulet, nous balade ensuite vers le Mur de Nicosie (Chypre) entre la Turquie et la Grèce. Noyé sous un bla-bla littéraire théâtral allié à une méconnaissance crasse de la structure sociale et des particularités de la Grèce et du cas de Chypre, il chevauche cette cuistrerie de « mur de l’argent » (théorie gauchiste moderne) en oubliant de faire un véritable travail d’historien : les murs, celui de la « France libre » (1941), celui de Berlin (1945-1991), celui d’Israël, etc. ont toujours eu pour fonction de casser en deux le prolétariat. Là est la leçon principale, pas de s’enferrer dans ces histoires invraisemblables de « mur de l’argent ». Le mur de Nicosie c’est tout autre chose que ce bla-bla sur l’histoire antique grecque mais un jeu impérialiste multiple où la bourgeoisie US a damé le pion à sa consoeur anglaise (je l’ai déjà expliqué dans un vieil article). Sancho se perd ensuite dans les délires gauchistes sur les « potentialités » présumées de la lutte de classes en Grèce, où il n’y a qu’une très faible classe ouvrière, et où chaque jour apporte la preuve que la bourgeoisie internationale enferme les Grecs dans l’ornière nationaliste, un peu comme le traité de Versailles pour l’Allemagne de Weimar.(…)



6.LES FALSIFICATIONS DE VICO DU CERCLE CONTROVERSES (2012)
L’ex-militant du CCI, de sa tendance libertaire et académiste, Vico s’en prend, concernant l’analyse de Brest Litovsk, à une scission du même groupe restée sur les mêmes bases politiques, mais exclu en réalité par des pratique stalino-paranoïaques. Il rejoint les analyses anarchistes de l’étudiant Sabatier, lequel avait déjà été recopié, comme par hasard comme je l’ai signalé plus haut, par passages entiers par une autre scission du CCI, le GCI, groupe anarcho-terroriste de salon. Vico joue au découvreur ou plutôt à l’enfonceur de porte ouverte sur l’anarchisme :
« Largement méconnue, sauf pour quelques travaux académiques, la Gauche communiste russe (surtout celle de Moscou) sort aujourd’hui un peu de l’oubli et nous parle directement dans une langue autre que le russe. Il est assez surprenant de constater que certaines critiques de la politique du pouvoir post-révolutionnaire qui émanent de l’intérieur de la Russie sont similaires à celles qui ont été formulées de l’extérieur, notamment par Rosa Luxemburg, Anton Pannekoek et Herman Gorter. La Gauche italienne quant à elle n’a commencé à formuler des critiques que tard dans les années 1920 [16]. Le très grand intérêt de la Gauche russe réside dans le fait qu’elle se trouvait dans le feu du combat et ses expériences s’avèrent fondamentales pour mieux comprendre les questions posées par la révolution prolétarienne. La Gauche russe s’est battue mais a dû reculer : elle s’est opposée systématiquement aux solutions proposées par la direction du Parti bolchévik, notamment celles de Lénine et Trotski, mais a finalement assumé ses défaites politiques successives. Si ses membres les plus éminents – Boukharine, Ossinski, Radek, Smirnov, Preobrajenski – ont maintenu leurs postes au pouvoir, ils ont finalement payé de leur vie leur opposition à la direction du parti (faux pas en lien avec Brest Litovsk). On pourrait s’attendre à ce que toute la Gauche communiste internationaliste actuelle se réjouisse de cette publication et la salue. Mais non, la FGCI  estime que « la présentation de ces textes ne présenterait qu’un intérêt “historique” secondaire, un intérêt de “curiosité”, si son objet véritable ne donnait pas lieu, dans sa “présentation”, à une attaque à peine voilée contre la révolution Russe d’octobre 1917 et contre le parti bolchévique ». Bref, au fond pour la FGCI, la Gauche communiste russe n’a pas beaucoup d’importance. Et l’édition de ce livre servirait, de façon « à peine voilée », à soutenir... la contre-révolution ! L’auteur, qui se réclame de l’héritage politique de la Gauche communiste, prétend continuer la tradition des « fractions de gauche », mais s’exprime avec mépris à propos d’une fraction qui a réellement surgi au sein du parti communiste en Russie en 1918 et qui s’est battue pour des orientations alternatives à celles de la direction du parti. Pour la FGCI, la Gauche communiste internationaliste en Russie ne serait plus que « gauchiste et infantile », et en plus, pas plus qu’une « curiosité historique ». Et le même mépris est exprimé envers le livre lui-même qui est pourtant le résultat d’un travail de recherche et de publication très sérieux. La FGCI ne s’exprime pas sur le sujet principal du livre : celui du « capitalisme d’État ». Par contre, elle s’attaque à la question du débat sur la signature du Traité de Brest-Litovsk qui n’est justement pas le sujet principal du livre. La formulation présente dans la préface du livre sur la « révolution confisquée » (par le parti bolchévik) pourrait paraître critiquable, mais elle fait référence à la substitution du pouvoir du parti bolchévik au détriment du pouvoir de la classe ouvrière à travers ses comités d’usines et conseils ouvriers. Même si l’internationalisme « intransigeant » de la Gauche russe n’est pas le point de départ de la préface, celle-ci rappelle bien à plusieurs occasions que l’internationalisme de la Gauche russe était clairement en contraste avec la politique de Lénine et de Trotski. Il est complètement à côté de la plaque de dire, comme le fait la FGCI, que « La défense du caractère prolétarien de la révolution d’Octobre est toujours une frontière de classe ! », et ce pour deux raisons : a) la FGCI veut toujours exclure du « camp prolétarien » les « communistes de conseil » et les « conseillistes », c’est-à dire quasiment l’ensemble de la Gauche germano-hollandaise, qui est pourtant internationaliste [17]; b) mettre en question le rôle des bolchéviks, tels Lénine et Trotski, ne met pas nécessairement en question le « caractère prolétarien de la révolution d’Octobre » ; c’est précisément cela qu’a prouvé, sur place et dans le feu du combat, l’activité de la Gauche communiste russe. L’hypothèse que la « Révolution russe » serait une « révolution bourgeoise » n’est nullement nécessaire pour comprendre que dans l’isolement au sein des frontières nationales, il n’y avait que des « solutions russes » aux « problèmes russes », ce qui pesait de plus en plus. Par conséquent, du point de vue du prolétariat mondial, il y avait de moins en moins à défendre dans cette aventure isolée. Rosa Luxemburg avait tout à fait raison de dire que la question ne pouvait qu’être « posée » en Russie, et non pas « résolue » au moins tant qu’il n’y avait pas une extension internationale de la révolution[18]. Le dilemme du pouvoir en Russie se résumait à cette double question : combien de temps attend-on la révolution mondiale, et comment est-ce qu’on se débrouille entretemps dans notre coin ? Graduellement, l’idée d’une révolution mondiale devenait de plus en plus secondaire et se réduisait à un simple slogan propagandiste de la politique extérieure de la « nation russe », ce qui allait mener en 1925 à l’imposition de la thèse de la « construction du socialisme dans un seul pays » [19]). A aucun endroit dans la préface du livre, on ne présente le stalinisme comme la simple « continuité » du léninisme, comme le prétend la FGCI[20]. Mais il est vrai que la ligne de démarcation n’est pas très claire et certainement pas explicite ; dès le début même la Gauche russe se trouvait sur un terrain glissant sur lequel, l’un après l’autre, les principes ont été sacrifiés « pour gagner du temps », une question amplement traitée dans la partie de la préface « Reculer pour mieux sauter ? » (la GR est une méthode justement stalinienne !). Dans le premier numéro de Kommunist, le dilemme est formulé ainsi : « Si la révolution russe était écrasée par la contre-révolution bourgeoise, elle renaîtrait comme le Phénix ; si par contre elle perdait son caractère socialiste et décevait par ce fait les masses ouvrières, alors ce coup aurait des conséquences dix fois plus terribles pour l’avenir de la révolution russe et internationale. »
La présentation dithyrambique de Vico est pleine de contre-vérités…
Mais c’est surtout l’interprétation de la théorie branquignole de la « guerre révolutionnaire » qui donne l’occasion à Vico de broder une nouvelle fumisterie, en s’appuyant sur son maître Sabatier :
« La question de la « guerre révolutionnaire », posée dans les débats autour de Brest-Litovsk, est à réétudier entièrement car il est clair maintenant que la Gauche communiste russe ne soutenait pas du tout initialement la continuation de la Première guerre mondiale avec une armée régulière. La position de la Gauche communiste russe se distinguait clairement de celle de la plupart des Social-révolutionnaires de gauche sur ce point. Il s’agissait (la réthorique mise à part) plutôt d’une « guerre sociale », avec un armement général de la classe ouvrière via les conseils ouvriers. Armer les ouvriers (et non pas les paysans) pour qu’ils se défendent, est une ancienne question posée par Marx et Engels déjà (voir surtout les derniers écrits d’Engels sur le sujet) face au développement du militarisme européen. Par contre, Lénine et surtout Trotski, voulaient une armée régulière, en y incorporant, de plus, les anciens cadres militaires tsaristes, non pas pour défendre le prolétariat, mais pour défendre un « territoire ». En contraste avec la Gauche communiste russe, Lénine et Trotski ont recherché une paix séparée avec l’impérialisme allemand, et Lénine a même défendu l’acceptation d’une aide des alliés contre les forces allemandes, ce qui s’est évidemment retourné contre tout le projet de révolution mondiale, pour la simple raison que cela laissait la voie libre à l’aventure nationaliste du social-démocrate Pilsudski en Pologne. De plus, avec l’engagement de ne plus faire de la propagande révolutionnaire, ni en Allemagne, ni parmi les troupes allemandes sur le sol russe, Lénine et Trotski ont imposé aux bolchéviks de se couper leurs propres mains, et tout ceci pour ne pas perdre plus de « territoire ». Continuer la guerre n’était plus possible pour des internationalistes, mais faire la paix avec l’Allemagne ou soutenir les alliés ou encore demander le soutien des alliés, non plus ; de là la position initiale de Trotski à Brest-Litovsk, « ni paix, ni guerre » (il s’agissait d’annoncer un simple « cessez de feu » unilatéral). En signant la paix séparée avec l’Allemagne, Lénine, Trotski et leurs partisans ont clairement montré que leur priorité n’était déjà plus tellement la révolution mondiale, mais d’abord et avant tout la défense du « territoire russe ». Un armement général du prolétariat via les conseils ouvriers est une tout autre optique et c’est bien ce que défendait la Gauche communiste russe. Elle savait aussi qu’on ne peut pas étendre la révolution prolétarienne par des moyens militaires car la question n’est pas territoriale mais sociale et parce que le socialisme ne s’impose pas au prolétariat par la force Face au mépris de la FGCI face à la parution de ce livre, il faut fortement saluer le travail de Michel Olivier et de Smolny qui nous permet enfin de connaître les textes de la Gauche communiste russe.
12 janvier 2012, Vico. (Merci à Stive, Guy Sabatier, Henry Cinnamon, C.Mcl. et Melandra pour leurs commentaires et corrections).
Et pour embrumer encore plus ses lecteurs éventuels, Vico fournit une bibliographie tronquée de « textes de référence » pour l’essentiel des ouvrages chers au milieu libertaire :
Pour arriver à une compréhension plus fine (sic) des enjeux du débat autour de la signature du Traité de Brest-Litovsk, on ne peut pas se limiter aux oeuvres de Lénine et Trotski ; il faut au moins prendre connaissance des écrits suivants :– Les débats qui eurent lieu au VIIe Congrès du Parti bolchévik (6-8 mars 1918).
– Les articles des 10 numéros du journal Kommunist qui parurent après le 3 mars 1918, comme expression de la Fraction des Communistes de gauche ; ces articles (non traduits, une traduction vers le français est en cours) comportent les prises de position de Boukharine sur la « guerre révolutionnaire ».– Guy Sabatier, Traité de Brest-Litovsk, 1918 , coup d’arrêt à la révolution, Paris, Spartacus, 1977, 83 p.– Victor Serge, L’An I de la Révolution russe, 1930, notamment p. 74-82.– Idem, Mémoires d’un révolutionnaire 1901-1941, 1951
.
Rien sur les prises de position du Bordiga de la grande époque ni sur la position de la GCF de Marc Chiric (que je reproduis en annexe) ni sur mon livre « La guerre révolutionnaire de Robespierre à Lénine ». Cette méthode est typique de la censure stalinienne !
Voici quel était le texte de la FGCI (Fraction de la Gauche Communiste Internationale) dont je partage (jlr) complètement l’analyse et la critique :
 « Bulletin communiste international #7 – FGCI
LUTTE CONTRE L’OPPORTUNISME
La défense du caractère prolétarien de la révolution d’Octobre est toujours une frontière de classe ! La maison d’édition Smolny vient de publier en livre une traduction française de la revue Komunist publiée au début 1918 par la "première opposition de gauche" au sein du parti bolchevique. Le principal fait d’arme de cette opposition éphémère appelée "communiste de gauche" et dont le dirigeant le plus connu était Boukharine, fut de s’opposer à la signature du traité de paix de Brest-Litovsk entre la Russie soviétique et l’impérialisme allemand. La publication de ces textes ne présenterait qu’un intérêt "historique" secondaire, un intérêt de "curiosité", si son objet véritable ne donnait pas lieu, dans sa "présentation", à une attaque à peine voilée contre la révolution Russe d’octobre 1917 et contre le parti bolchévique. En effet, la courte introduction faite par les éditeurs et surtout la préface rédigée pourtant par des camarades avec lesquels nous avons milité durant des décennies au sein du CCI, reprennent à leur compte, plus de 90 ans plus tard, les positions de Komunist et en particulier son opposition à la paix de Brest-Litovsk. Pire même, elles introduisent l’idée qu’il y aurait un lien, une continuité, entre cette opposition du début 1918 avec les oppositions et fractions de gauche qui lutteront par la suite contre la contre-révolution et la stalinisation des partis communistes ! À quelques rares expressions, il y a bien longtemps que la paix signée à Brest-Litovsk n’avait pas été remise en question par des gens qui se réclament du communisme. Comment peut-on affirmer aujourd’hui que "mieux valait (en janvier-février 1918 alors même que la vague révolutionnaire internationale n’en était qu’à ses débuts et que la guerre mondiale se poursuivait !) être défait comme la Commune de Paris que participer à une corruption du pouvoir dénaturant le socialisme et la révolution" (Préface) ? Le seul mérite du livre est de reproduire l’article de Lénine Sur la phrase révolutionnaire qui critique les déclamations tonitruantes, et vides de sens pratique, sur la guerre révolutionnaire prônées par les "communistes de gauche" alors même qu’il n’y a plus d’armée du fait des désertions massives. Malheureusement les auteurs de la Préface ne se contentent pas de reprendre à leur compte la position "gauchiste et infantile" de Boukharine et consorts sur Brest-Litovsk. Caractérisant dès janvier 1918, deux mois à peine après l’insurrection d’Octobre, la révolution comme "une révolution socialiste confisquée", ils prétendent que "dès l’insurrection [le parti bolchevique] s’est progressivement substitué aux soviets en assumant le pouvoir à leur place". Pire même, ils affirment que "le parti bolchevik délaisse progressivement le développement de la révolution internationale au profit de la défense du bastion russe pour finir par adopter la théorie du socialisme en un seul pays". Il s’agit là d’une ignominie politique ! La thèse selon laquelle Staline est la continuité de Lénine est un des plus gros mensonges utilisée par la bourgeoisie pour attaquer l’idée même du communisme et dénaturer la révolution Russe d’octobre 1917. Comment les auteurs ont-ils pu ainsi glisser du terrain de la "phrase révolutionnaire" jusqu’à, semble-t-il, abandonner la position fondamentale de la Gauche communiste sur le caractère prolétarien de la révolution d’Octobre et apporter leur caution et leur participation aux campagnes bourgeoises d’aujourd’hui contre le communisme ? Auront-ils la force et le courage politiques de reconnaître leur faute majeure et de se désolidariser de cette préface o finiront-ils par rejoindre, dans les combats de classes qui sont devant nous, les hordes de "penseurs" qui sont à la solde de la bourgeoisie ? La FGCI, 24 décembre 2011 »

Les élucubrations des esthètes juges bobos du traité de Brest Litovsk ne sont qu’une confirmation de leur rejet du marxisme, un maquillage de leur révisionnisme théorique sans méthode. Et pire encore en remettant en cause les acquis théoriques de l’IC de défense, non du territoire russe, mais de la révolution internationale en cours…

Dernièrement, pour remettre un général cinglé, Camoin, à sa place de bibliothécaire aigri, j’avais rappelé que j’avais publié : « La guerre révolutionnaire de Robespierre à Lénine » en 2005, en particulier pour déniaiser la position vindicative d’étudiants anti-léninistes primaires à la G.Sabatier,  position anti-parti farouchement belliciste de stratèges en chambre germanopratins faisant la leçon au « dictateur  Lénine » pour sa gestion aléatoire du traité de Brest-Litovsk. En réalité j’ai démontré que Camoin est sur la même position de la guerre à outrance pour autant qu’elle se ferait sous le label « armée rouge », qui, bien apparemment non critique des atermoiements de Brest-Litovsk, juge le parti comme bon s’il se comporte comme un QG militaire et excellent s’il massacre à Kronstadt. La girouette Camoin ne fournit, contrairement au subtil Vico, qu’une approximation caricaturale de la théorie de la « guerre révolutionnaire » : tout militant communiste serait un soldat et tenu d’obéir aux ordres de la mystique de parti! Ces deux tendances, la première anti-léniniste qui se voulait plus militariste que Lénine quitte à prêcher l’irresponsabilité populiste et anarchiste et la seconde qui, exaltant la terreur d’Etat, foule au pied les massacrés de Kronstadt, ne sont que des tendances opportunistes, d’imaginations enfiévrées, rigides et momifiées par l’histoire (cf. mon article sur le « général Camoin »). Pourtant les représentants de ces deux tendances confuses se seraient sans doute tirés les uns sur les autres en 1921[21].
LE TRUCAGE DES POSITIONS VA-T-EN GUERRE DES OPPOSANTS ROMANTIQUES
Nous avons vu le revirement de Michel Olivier avec Sancho Sabatier nous bricolant une « guerre de partisans » très rurale comme alternative à la « paix félonne » des Lénine et Trotsky. Au moins ces deux-là restaient plus proches des réelles fantasmagories populistes et girondines des « gentelmen de gauche ». Vico invente carrément qu’en fait les dits « communistes de gauche » étaient contre « l’armée régulière » et pour une « guerre sociale » supposant un « armement général du prolétariat ». Non seulement c’est une ânerie d’ignorant, l’armée rouge était constituée massivement de paysans, et l’Etat bolchevique comme ses opposants se disputaient bien sur son utilisation « en tant que telle », mais c’est une  contre-vérité. Elle est patente dans le livre édité par Smolny, où le communiste de gauche Radek défend une conception d’armées de paysans (et j'ai cité plus haut Boukharine assurant "c'est le moujik qui nous sauvera"! ; certains même dans les couloirs, futurs staliniens ou pas, vont jusqu’à dire qu’il vaut mieux envoyer les paysans au casse-pipe et garder les ouvriers à l’arrière ! Puis au bout de son chapelet de suiviste anarchiste Vico ne craint pas de foutre en l’air toute son argumentation en faveur de la guerre à outrance en glissant « qu’on ne peut pas étendre la révolution par des moyens militaires ». Donc sous le militariste « prolétarien » se cache aussi un pacifiste !
La révolution suppose l’armement général du prolétariat pour se défendre à l’intérieur et aussi contre l’extérieur, mais la violence de classe ne peut être séparée de la lutte des classes dans tous les pays. La confusion entretenue de façon éclectique et irresponsable par tous ces intellectuels égarés, qui n’ont gardé de leur militantisme passé que la faconde des donneurs de leçon en chambre contribue gravement à mettre sur le même plan guerre et révolution, et donc à ancrer plus encore la peur générale dans la classe ouvrière (et entretenue par les médias bourgeois) qu’une révolution est de toute façon un immense bain de sang comparable aux guerres bourgeoises. Et qu’il vaut mieux rester soumis que de servir à nouveau de chair à canon pour de nouveaux généraux exploiteurs. En ce sens, le maintien du dogme de la guerre révolutionnaire est parfaitement réactionnaire et un mensonge sur les capacités souhaitables et possibles qu’une nouvelle révolution mondiale « limite les dégâts ». La perspective ou le programme du prolétariat révolutionnaire moderne n’est certainement pas l’apologie de la violence ni une volonté de victoire finale par n’importe quel moyen.




ANNEXE HISTORIQUE


                                                                             
BREST LITOVSK VU PAR BORDIGA
«L’ensemble des évènements se déroulant en Russie ont donné un sérieux coup à la conception nationaliste de la guerre, mais ce qui la condamne surtout c’est son impuissance congénitale à expliquer la dynamique des négociations de Brest-Litovsk.

La conception vulgaire de la guerre est celle qui voit dans chaque pays belligérant une unité homogène et fait bouger sur un échiquier la France, l’Allemagne, la Russie comme autant de pions en ignorant ou feignant d’ignorer les contradictions entre les classes en lutte agitées de mouvements et de buts divergents.  Tout au plus prétendent-ils, par une formule banale, que les dissensions internes disparaissent lors du déclenchement de la guerre, moment à partir duquel il n’y a plus que des Allemands, des Italiens ou des Russes sans distinctions de partis ou de classes.  La Russie est le premier pays qui a rompu avec cette conception en montrant , même aux aveugles, que les couches sociales opposées n’étaient pas cimentées les unes aux autres.  Les joueurs d’échec, privés de leur fantoche moscovite qui a abandonné la lutte, l’ont en vain traité de traître et de tourne-bride, et l’écho de leur protestation résonne dans l’épouvantable vide de leurs cervelles.

Le lieu commun le plus résistant est celui de la solidarité nationale du peuple allemand.  Mais Brest-Litovsk projette une nouvelle lumière.  Les délégués maximalistes ont parlé fermement aux représentants du vainqueur et de l’envahisseur, soutenant avec vigueur leurs propositions et les discutant à la face du monde entier sans se laisser impressionner par les menaces de l’adversaire.  Et pourtant la Russie était battue du point de vue militaire.  Elle démobilisait le reste de son armée et les maximalistes déclarèrent que s’ils n’avaient pas fait la paix ils n’auraient pas non plus repris la guerre.  Ceci a été confirmé ensuite par la nouvelle de la démobilisation officielle de l’armée russe.

Quelle est la clef de l’énigme qui a fait que les négociateurs allemands n’ont pas pu rire face aux négociateurs russes et n’ont pas ordonné la reprise de la marche triomphale vers Petrograd ? L’explication est celle-ci : la force effective et formidable au nom de laquelle parlaient Trotsky et ses camarades est la force de classe du prolétariat allemand qui – comme l’ont indiqué Liebknecht et les socialistes russes dans leur réponse à Vandervelde au début de la guerre – est le véritable ennemi du militarisme d’état allemand, comme le prolétariat russe était l’ennemi et est aujourd’hui le vainqueur du militarisme russe.


Haase a pu dire au Reichstag qu’après la position prise par les négociateurs allemands le prolétariat, en Allemagne, ne croyait plus à la guerre de défense.  C’est déjà quelque chose, mais bien trop peu.  Le jeu des discussions de Brest-Litovsk a démontré quelque chose de plus, c’est-à-dire la fausseté du concept de « guerre de défense » en général et son incompatibilité avec le véritable internationalisme.  Ce concept a pris place au début de la guerre même au sein de l’Internationale et il a conduit à sa dissolution et à sa ruine, il est donc incompatible avec l’interprétation socialiste de l’histoire et ne peut convenir qu’aux joueurs d’échec.  Si un fantoche attaque, l’autre se défend.  Le premier a tort, il est coupable ; le second a raison, il est innocent.  En réalité, dans une guerre, il y a deux forces opposées, mais leur position – dirait Engels – doit être comprise dialectiquement et non métaphysiquement.  Ces deux forces sont nécessaires l’une à l’autre justement parce qu’elles sont opposées.  Chacune de celles-ci est constituée de la puissance d’un État qui pousse le peuple à l’action violente par son autorité mais surtout en se servant de l’épouvantail que constitue la menace venant d’un autre État et de son peuple, dénoncé comme étant l’agresseur et le complice de l’agression.  Les deux peuples se portent l’un contre l’autre du fait de ce terrible mirage.  Mais si un des peuples réussit à faire disparaître ce mirage, s’insurge et renverse le pouvoir, comme en Russie, l’autre peuple est irrésistiblement attiré vers la même solution.  Ceci s’est surtout vérifié à partir du moment où la révolution russe a pris un caractère prolétarien, socialiste et antimilitariste affirmé, en sortant de l’équivoque bourgeoise et patriotique.

Donc, saboter l’un des deux militarismes ne veut pas dire aider l’autre mais les saboter tous les deux, saboter leurs principes historiques communs, leurs moyens de conservation et de domination communs.

Le militarisme allemand avait un strict besoin du militarisme russe et du spectre du tsarisme pour protéger sa difficile position en politique interne.  Les armées du Tsar ont pu être battues par les coups de boutoir de Hindenburg, l’offensive et la défensive active de la période de Kerenski ont pu donner l’occasion de dégager la Galicie et d’occuper Riga et les îles de la Baltique, mais la politique terriblement simple des maximalistes russes place les partisans du Kaiser sur le cratère d’un volcan prêt à entrer en éruption.

Les prolétaires russes ont commencé avec raison par détruire le militarisme qui les opprimait à l’intérieur.  C’est pourquoi ils peuvent dire actuellement tranquillement aux allemands : abandonnez les régions envahies si vous voulez que nous signions la paix.  Dans le cas opposé, ordonnez donc à votre armée d’avancer.  Nous verrons si celle-ci obéit quand nous lui aurons prouvé, en démobilisant la notre, qu’elle n’a pas d’ennemi alors que vous, classe capitaliste et militariste, en avez un !

En conclusion, la nouvelle Russie prolétarienne ne fera pas la guerre si elle n’obtient pas la paix, mais elle ne renoncera pas à son objectif fondamental qui est de fomenter la guerre interne de classe dans les Empires Centraux… et dans le monde entier.

Les joueurs d’échec ne peuvent rien comprendre à tout cela.  Avant-hier ils vitupéraient contre les léninistes et les traitaient d’agents du Kaiser, hier ils les ont applaudis avec Wilson en espérant revoir les divisions russes agir sur le front oriental, et aujourd’hui ils vitupèrent de nouveau et les accusent de se rendre sans condition !

Il est étrange que certains anarchistes ne l’aient pas compris non plus, et qu’ils s’exaltent, suivant une de leur vieille faiblesse, à l’idée de… « légions révolutionnaires » en parlant de s’y enrôler.  Ceux-ci n’ont pas su lire, entre les lignes des télégrammes de la presse bourgeoise, que la « garde rouge » servait à la guerre de classe en Russie, en attendant la création d’une « garde rouge » également en Allemagne contre le militarisme allemand.

Les opinions des socialistes patriotes et semi-patriotes, la « défense nationale » et la « simultanéité de l’action révolutionnaire », auxquels nous nous sommes toujours opposés, tombent à l’épreuve de l’histoire plus vite que l’on ne pouvait l’espérer ! Et les objections qu’ils auraient pu opposer en invoquant les conditions particulières de la Russie n’ont aucune valeur face à l’examen de la vraie révolution, la révolution maximaliste ». (Histoire de la gauche communiste, tome I bis).

GCF 1945 : Le soi-disant opportunisme tactique de Lénine
« Limitons-nous à rappeler un épisode de première importance, qui provoqua à l'époque des dissensions parmi les camarades russes eux-mêmes, la paix de Brest-Litovsk de 1918, avec l'Allemagne impérialiste, voulue avant tout par la clairvoyance de Lénine. Constitue-t-elle un compromis avec le militarisme du Kaiser et des capitalistes ? Oui, si l'on juge d'un point de vue superficiel et formel, non, si l'on applique un critère dialectique et marxiste ; dans cette occasion Lénine dicta la véritable politique qui tenait compte des nécessités révolutionnaires suprêmes. Il s 'agissait de mettre en évidence l'état d'esprit qui avait provoqué le grand élan révolutionnaire des masses russes : sortir du front des guerres entre les nations pour renverser l'ennemi intérieur. Et il s'agissait de créer le reflet de cette situation défaitiste dans les rangs de l'armée allemande, comme ce fut fait dès le début avec la "fraternisation". L'avenir a donné raison à Lénine et non à ceux qui jugeaient superficiellement qu'on devait continuer la lutte contre l'Allemagne militariste sans se soucier ni des considérations à longue échéance programmatique, ni des considérations pratiques immédiates (pour une fois elles coïncidaient, ce qui n'est pas toujours le cas et rend alors le choix tactique difficile) qui démontraient la certitude de la défaite pour des raisons de technique militaire. Dans ses mémoires, le général Ludendorff a déclaré que l'effondrement du front allemand, après une série de victoires retentissantes sur ses différents points et à un moment où la situation était techniquement bonne à tous égards, ne s'explique que par des raisons morales, c'est-à-dire politiques : les soldats n'ont plus voulu se battre. C 'est que, tout en parlant le langage diplomatique avec les envoyés du Kaiser, la politique génialement révolutionnaire de Lénine avait su réveiller sous l'uniforme du soldat-automate allemand, le prolétaire exploité et conduit au massacre dans l'intérêt de ses exploiteurs.
Brest-Litovsk n'a pas seulement sauvé la révolution russe de l'attaque du capitalisme allemand, bientôt remplacé par les capitalismes de l'Entente dont la haine de la révolution n'était pas moindre ; mais, après que les bolcheviks aient gagné les quelques mois nécessaires pour faire de l'armée rouge un rempart invincible, Brest-Litovsk a déterminé en outre la défaite de l'Allemagne à l'ouest, imputée bien à tort à l'habileté stratégique des Foch ou des Diaz, de ces chefs militaires de l'Entente dont la guerre a démontré cent fois l'infériorité professionnelle ».






 



[1] J’insérai alors dans ce numéro 8 de PU la note suivante : « PLAGIAT HONTEUX DU GCI… Cette micro-secte composée d’une poignée de vieux anarchistes et de vieux roublards mal équarris du trotskysme fait croire qu’elle disposerait d’un large réseau, mais vient de se faire rembarrer par plusieurs personnes qui n’avait jamais demandé qu’on fasse usage de leur e-mail comme pseudo « correspondants » du fantomatique GCI. Sachant la malhonnêteté intellectuelle de ce genre de sectes, qui pillent sans vergogne et sans citer leurs sources divers auteurs (ils ont ainsi en particulier recopié des passages de « Brest-Litovsk » de Guy, sans mention de la source), nous avons décidé de ne plus leur envoyer PU, pour frustrer un peu leur regard de concierges sur la lutte de classe.

[2] Texte probablement de Bordiga,   Avanti du 25/05/1918 in histoire de la Gauche communiste, tome I.

[3] Cf. Terrorisme et communisme (L’anti-Kautsky).
[4] Ibidem. Sans penser à Kautsky en particulier, Il Soviet n°1 du 22 décembre 1918 écrit: « Ce truc de la « guerre révolutionnaire » doit être éventé » !

[5] On pouvait craindre l’apparition d’un nouveau Bonaparte en la personne de Toukhatchevsky mais ce sera Staline qui le coiffera sur le poteau, car il ne faut pas oublier que l’installation de la contre-révolution sera la mise en place d’une militarisation de la société. Staline avait compris avant tous les autres que son « socialisme réellement existant », c’est-à-dire  le capitalisme d’Etat,  c’est le pouvoir de l’armée sur la société. Comme pour l’exhumation des leçons de la Commune de Paris, Lénine a encore eu du génie de commencer à se méfier du concept de « guerre révolutionnaire », bien qu’il commette l’erreur de tenter le coup contre la Pologne en 1920, qui fut plus grave que « le coup d’arrêt (territorial) de Brest-Litovsk » car cette tentative souda les ouvriers polonais derrière leur bourgeoisie contre les prétentions de la jeune armée rouge. Cette idée de « guerre révolutionnaire » - le renversement de la bourgeoisie autochtone de l’extérieur par l’armada stalinienne - sera l’espoir attendu par les staliniens résistants et leurs homologues trotskiens, qui nous conteront longtemps l’espoir prolongé  de ce même cauchemar avec les soldats cubains en Angola, l’armée vietnamienne au Cambodge, etc.

[6] cf. mon algarade avec le « docteur » Boris Frankel lors d’une réunion à l’Ecole Emancipée à propos de l’assassinat de Rosa dont il refusait de rendre responsable la social-démocratie allemande (évidemment quand on a piloté Jospin en tant que taupe lambertiste à la direction du PS mitterrandien… !)

[7] C’est pour cette raison je le répète, que je n’avais publié qu’une page du texte d’Ossinski dans l’ouvrage publié en 1977 aux éd. Spartacus.

[8] Qu’est-ce qu’un « Etat pas comme les autres » ? … sinon un « demi-Etat », vieux débat sur la période de transition qui fut mené en partie dans la presse du regroupement R.I. nlle série en 1973 !


[9] Il faut bien observer que la « guerre révolutionnaire » impulsée par les Girondins après l’élimination de Robespierre en 1794 est une fuite en avant, à prétention messianique (et elle l’est un temps car elle bouscule les monarchies européennes) mais elle finit par ouvrir la voie à l’ambition de Bonaparte. Ceci pour dire qu’une éventuelle application du même précepte au moment de Brest aurait pu plutôt favoriser une ascension plus rapide de…Staline !

[10] La question de Brest a été tranchée sans conteste dans « la révolution trahie » par Trotsky historien : « Les Soviets ne pouvaient pas ne pas signer la paix de Brest-Litovsk de même que les grévistes à bout de forces ne peuvent pas repousser les conditions les plus dures du patronat ». Trotsky passe par contre  peu vite sur le traité de Rapallo qui « normalise » une relation d’Etat à Etat qui va coûter cher au prolétariat russe et allemand et renforcer la théorie du « socialisme dans un seul pays » de l’ancien communiste de gauche Boukharine et de son allié intéressé Staline. Alors que Lénine n’abandonnera jamais ses critiques sur la machine de l’Etat…qui nous échappe comme le volant d’une voiture dans une descente et sa caractérisation lucide du « capitalisme d’Etat » comme n’étant pas le socialisme. Trotsky restera toujours à mi-chemin des deux conceptions précédentes, plus soucieux de défendre le stalinisme comme « socialisme minimum » que de rappeler ou reprendre les critiques pertinentes de Lénine.

[11] Il faut savoir que c’est Walter Rathenau qui est l’artisan habile du traité de Rapallo de 1922, et qui sera assassiné par les nazis… considéré comme juif complice des bolcheviks ! Le traité de Rapallo est autrement plus grave que celui de Brest-Litovsk (qu’il remplace d’ailleurs) car il servira de tremplin à partir du triomphe de Staline en 1926-27 pour épauler la réaction hitlérienne en 1932. L’Etat « ouvrier » isolé sur l’arène internationale s’était tourné vers un impérialisme lui aussi isolé, mêlant l’eau et le feu pour obtenir le renfort de la technologie allemande pour reconstruire son industrie, mais en contrepartie offrant à l’Allemagne des centres d’entraînement secrets pour reconstituer son armée. Ces deux pays vaincus de la guerre mondiale annulaient donc le traité de Brest-Litovsk pour le remplacer par l’établissement de relations diplomatiques et la clause de la nation la plus favorisée dans les échanges commerciaux. La « fausse tactique » que Rosa avait dénoncée aboutit d’ailleurs bien en effet à « l’accouplement monstrueux » du stalinisme et du nazisme mais pas de Lénine et Hitler !

[12] Pour la petite histoire, il faut savoir que le CCI à l’époque de la parution de son ouvrage nous avait envoyé Michel et moi, porter la contradiction à Sabatier et au PIC, pour lui expliquer l’irrecevabilité de cette histoire de « coup d’arrêt à la révolution » par manquement militaire, même si la grande Rosa en avait fait son cheval de bataille. L’impétrant ne nous avait opposé que sa morgue d’auteur intronisé des cahiers Spartacus.
[13] Dont il nous est livré une publicité sans critique : « Traité de Brest-Litovsk, coup d’arrêt à la révolution », Spartacus ; 1977. Ajouté à cette oeuvrette anarchiste, sous la responsabilité de Don Olivier, est annoncée laTraduction intégrale des 4 numéros de la revue Kommunist, Éditions Smolny (à paraître). Quant aux deux œuvres majeures de Don Olivier elles existent à compte d’auteur sous forme de libelles depuis 2009 : La gauche bolchevik et le pouvoir ouvrier, 1919-1927 et Le Groupe Ouvrier du Parti communiste russe, 1922-1937. J’ai démonté les affabulations du livre de Sabatier et de l’anarchisme impuissant dans un ouvrage en 2005 : « La guerre révolutionnaire de Robespierre à Lénine ». A l’époque je n’avais pas encore connaissance des deux tomes de l’histoire de la Gauche communiste d’Italie, qui décrypte si bien les âneries de la « guerre sainte » ou « guerre de défense » qui a toujours mené à la défaite, y compris à celle de la Commune de 1871. Cet ouvrage lumineux m’avait été offert par un ami, avec cette dédicace : « René Girard écrit que c’est toujours comme tombeau que s’élabore la culture ». Tu es la preuve vivante du contraire. Tes ouvrages, ton œuvre politique est là pour nous prouver le contraire. Puisse ta retraite te permettre de continuer à écrire. A nous instruire et à nous aider à nous orienter dans une époque et un monde de plus en plus illisibles ». Pour moi qui ne suis jamais l’objet de félicitations ni d’encouragements, cette dédicace reste une belle preuve d’amitié et de confiance.

[14] Traduit de l’espagnol : « En un lugar de la Mancha, de cuyo nombre no quiero acordarme, no ha mucho tiempo que vivía un hidalgo de los de lanza en astillero, adarga antigua, rocín flaco y galgo corredor. »

[15] M.Lavoine pose par contre, d’une façon marxiste et cruciale une question à laquelle il faudra répondre mais qui dépasse le cadre de ma réponse polémique aux dérives anarchistes des deux compères : « Mais alors se pose le problème théorique et pratique suivant : si le prolétariat détient le monopole de la violence et qu’il est le seul à pouvoir la mettre en oeuvre, alors, de fait, il assume une des attributions essentielles de l’État.  Or, la GCF affirme que le prolétariat ne peut s’identifier à l’État. De fait, cette position contient une contradiction de fond qu’il est nécessaire de résoudre, car, si les conseils ouvriers exercent le monopole de la violence, ils assument inévitablement un des rôles essentiels de l’État, ils s’identifient à l’une de ses fonctions principales ».

[16] C’est faux concernant Brest Litovsk, voir la position de Bordiga en annexe.
[17] Autre rouerie de Vico il espère qu’on va confondre le petit marais moderne de l’intelligentsia « conseilliste » et conseilleuse aux ouvriers absent avec l’histoire des fractions germano-hollandaises, autrement engagées dans le combat mais qui n’ont laissé qu’un héritage théorique éclectique qui sert trop bien aux anarchistes démocrates.
[18] Vico laisse supposer que Rosa espérait sur le fond une extension par l’armée rouge. Rigolo plein de plumes !
[19] Vico oublie de mentionner que c’est l’idéologie de « construction du socialisme » des communistes de gauche avec les Boukharine et Kristman, qui menait tout droit au futur « socialisme dans un seul pays » ! Le docte perpétuel étudiant Vico oublie que, malgré le traité de Brest-Litovsk rien n’était fini encore au niveau international. Facile de juger après coup que la défaite allait être certaine…
[20] Bien sûr que si, tous les reproches anarchisants et militarisant induisent que le « coup d’arrêt » aurait ouvert la voie au stalinisme, alors qu’au même moment ou peu après triomphe la « militarisation intérieure » de la société russe. Comme quoi l’action militariste externe intérieure  contrariée se retourne, kif kif, contre le prolétariat russe !

[21] Voici ce que répondait Sabatier à Camoin dans Le Prolétariat Universel, version papier n°103, en 2004.

«  PRESENCE MARXISTE  ou   POLITIQUE MASSACRANTE ?

Dans le dernier numéro de la revue « Présence Marxiste » (35-36, juillet 2004), on peut malheureusement lire un article daté de début janvier 2003 qui, voulant donner des leçons d’orthodoxie « bordiguiste »* (Gauche Communiste d’Italie) à la revue centrale en anglais du « B.I.P.R »** (Internationalist Communist) qualifié de « dameniste »***, défend la position répressive de Trotsky contre les ouvriers et marins insurgés de Kronstadt en 1921 qu’il compara à des « perdrix » sur lesquelles il ne fallait pas hésiter de « tirer ». Quel beau tableau de chasse ! Ceux-ci réclamaient « Tout le Pouvoir aux Soviets et non aux Partis ! » (cf. Izvestia du Comité Révolutionnaire Provisoire des Matelots, Soldats rouges et Ouvriers de la ville de Kronstadt, n°5, lundi 7 mars 1921, éd. Ressouvenances, collection Les Réfractaires, 1988, Les Pavillons-sous-Bois, p.33) et s’opposaient ainsi à la contre-révolution en marche incarnée par la dictature du Parti bolchévik qui se substituait à celle du prolétariat. L’article s’intitule tout simplement « A propos d’une prise de position néo-libertaire sur Kronstadt » (p.1197/1201)…et ce sont les échotiers de PU qui sont accusés de méchants pamphlétaires ! Nous n’allons pas perdre notre temps à relever les misérables arguments qui consistent à accréditer la version officielle justifiant le massacre, à savoir que les ouvriers et marins de Kronstadt n’étaient plus les mêmes que ceux de 1917 et qu’ils étaient manipulés par des gardes blancs  ou  par les anarchistes. « Présence Marxiste » prétend qu’ils avaient été remplacés par des paysans « venus des campagnes » (pléonasme admirable de bêtise), qu’ils « n’étaient pas faits de la même pâte (transsubstantiation eucharistique ?)  que leurs prédécesseurs. Ces super-révolutionnaires se livraient ouvertement  au « medrotchnitchevsto » (petit marché noir) » (…) mais pourtant : « Le gouvernement bolchévik n’ignorait pas que les mutins présentaient un certain nombre de requêtes justifiées : des rations alimentaires moins chiches, la réduction du temps de travail, plus de libertés civiques. Pouvaient-elles être satisfaites, alors que la fin du « communisme de guerre » n’améliorait pas la situation économique ? That is  the question ! (Ah, il est vrai que le plumitif de « P.M » est censé répondre à des damenistes anglais !) Quant au slogan « Des Soviets sans les bolchéviks ! » (glissement sémantique), il était irrecevable ; car lancé par des éléments disparates et d’arrière-garde » (p.1199). Pourquoi, au fait, avoir réprimé Kronstadt pour faire juste après… la N.E.P (liberté du commerce) ?
      Comme réponse aux accusations mensongères de Trotsky, aux balles et aux bombes de son « Armée Rouge », il faudrait  citer de nombreux passages des 14 numéros des Izvestia publiés du jeudi 3 mars au mercredi 16 mars 1921. En voici seulement un : RESOLUTION   « Nous, communistes du fort Rif, après avoir considéré la période actuelle et lu un appel du Bureau Provisoire du P.C Russe à Kronstadt, sommes arrivés à la conclusion suivante : Tout au long de ces trois dernières années se sont glissés dans notre parti beaucoup de profiteurs et d’aventuriers avec, comme conséquence, le développement du bureaucratisme et l’abandon criminel de la lutte contre la ruine. Notre parti s’est toujours posé comme principe de lutter contre tous les ennemis de la classe ouvrière et du prolétariat, et nous décidons publiquement aujourd’hui de défendre désormais en honnêtes fils du peuple les conquêtes des travailleurs. Nous ne permettrons à aucun garde blanc, occulte ou déclaré, de profiter de la situation pénible et temporaire de notre République Soviétique, et, à la première tentative pour lever la main sur le pouvoir des Soviets, nous saurons opposer la résistance qu’il convient. Nous avons déjà déclaré et nous déclarons à nouveau que nous obéissons au Comité révolutionnaire Provisoire de Kronstadt, qui s’est donné pour but la formation de soviets de la classe ouvrière et prolétarienne. Vive le Pouvoir Soviétique, véritable défenseur des droits des travailleurs ! » Le Président de l’assemblée des communistes du fort de Rif (signature) Le secrétaire de l’assemblée (signature) [idem, Izvestia n°5, lundi 7 mars 1921, éditions Ressouvenances, p.41] ****
Mais laissons le R.C  d’aujourd’hui à ses divagations sur la révolution « double ». Oui, laissons le se prendre pour Edmond Dantès au château d’If avant qu’il trouve le trésor (le Programme Communiste) du Pape Bordiga et devienne un héros prolétarien capable de guider le prolétariat (qui n’attend que lui !) pour se venger des souffrances infligées par le capitalisme. Regrettons le R.C d’hier, celui des Cahiers du Communisme de Conseils auxquels participait Henry Chazé/Gaston Davoust, celui qui fut capable de rompre avec la confusion d’I.C.O et de participer au regroupement révolutionnaire de 1972*****
                                                                                                                       Guy Sabatier.

*Adjectif formé à partir du nom d’Amadeo Bordiga, dirigeant de la Gauche Communiste d’Italie après sa rupture avec le P.C officiel dirigé par Antonio Gramsci.
**BIPR = Bureau International Pour le Parti Révolutionnaire.
***Adjectif formé à partir du nom d’Onorato Damen qui, en l’absence de Bordiga, reprit le flambeau de la direction de la Gauche Communiste d’Italie jusqu’en 1948-49 (retour de Bordiga) et scissionna en  1952, publiant le journal Battaglia Communista.
****En dernière page de couverture des éditions Ressouvenances, il est mentionné : « Les Izvestia du Comité Révolutionnaire Provisoire de la ville de Kronstadt, insurgée en 1921 contre la dictature de la bureaucratie bolchévique, n’avaient pas été publiées en France depuis presque vingt ans. Cette édition ancienne, qui ne proposait que la traduction d’une version espagnole incomplète, a été réimprimée en fac-similé il y a peu. Il existe cependant une traduction française nouvelle [par G.R…] qui soit, pour la première fois, intégrale et effectuée à partir du texte original russe ; c’est celle que nous présentons ici » (B.P 8, 93320 Les Pavillons-sous-Bois) ;
*****Regroupement après deux ans de discussions politiques et théoriques entre les trois groupes : Cahiers du Communisme de Conseils (Marseille), Organisation Conseilliste (Clermont-Ferrand) et Révolution Internationale (Toulouse). L’organe de ce regroupement fut la revue Révolution Internationale Nouvelle Série. Le C.C.I (Courant Communiste International) n’a été fondé qu’en janvier 1975, cependant certains membres initiateurs du regroupement l’avaient déjà quitté (par exemple à partir d’octobre 1973 sur les questions de l’Intervention, du Parti, de la Période de Transition…), mais cela est une autre histoire qui sera traitée dans une Mise au point sur l’Ultra-Gauche depuis 1968 (cf. les « Petit avant-goût... » dans les numéros 82, 84 et 90 de P.U).