PAGES PROLETARIENNES

mardi 23 octobre 2012

LA POLICE EN TROIS POINTS


Bénédicte Desforges, lieutenant de police, auteur de "Flic, chroniques de la police ordinaire" (éd. J'ai Lu) et de "Police Mon Amour" (éd. Anne Carrière)

"Les hommes naissent libres et égaux en droit.
Après ils se démerdent." Jean Yanne





Jamais je n’avais lu une appréciation aussi juste des « frangins » franc-macs dans la police en particulier, qui relativise et ridiculise en même temps cette officine de l’ombre qui n’a finalement qu’un pouvoir de « promo » pour arrivistes dans les administrations, la mouvance EDF plus ou moins privatisée, etc. L’auteure, Bénédicte Desforges a publié deux livres chocs et rares sur la police de base avec une écriture synthétique et un humour qui fait mouche contre toutes les hiérarchies – Chroniques de la police ordinaire et Police mon amour – qu’il faut absolument lire. Elle fait rêver à une police honnête et plus souvent victime des puissants et des cons lambdas qu’on ne pouvait le penser. J’en venais même à me dire qu’au moment de l’insurrection nous pourrions, après dissolution des corps mercenaires de l’Etat (armée, police, gendarmerie) en conserver quelques Eliot Ness. Las elle a fini par quitter ce corps de protection de la classe bourgeoise, trop étranger aux autres classes.

J’avais entendu parler de cette chose comme d’une sorte de secte dont les membres se reconnaissaient par des signes invisibles des profanes. Je me suis documentée, et j’ai lu que cette chose qui rayonnait (comme ils disent) à travers le monde avait une vocation humaniste. Et puis j’ai appris qu’il  y avait plein de francs-maçons dans la police, alors, j’ai naïvement pensé que police et humanisme faisaient bon ménage et que c’était une bonne chose.
J’étais loin du compte…
J’ai été approchée (comme ils disent) trois ou quatre fois. Cette approche se faisait sur le ton du secret : « Il faut que je te parle de quelque chose d’important, mais n’en dis mot à personne… ». Et là on me proposait une initiation (comme ils disent) sous couvert de fournir préalablement quelques petits travaux écrits, sur la laïcité par exemple, ou les droits de la femme. L’un et l’autre thèmes me semblaient pourtant hors sujet. Parler de laïcité lorsqu’on affectionne des rituels parareligieux dignes de pratiques moyenâgeuses, ou des droits de la femme en s’interdisant d’appliquer le principe de mixité dans la plupart des loges (comme ils disent), me paraissait tordu. Et rien que ça, qui me semblait tout droit sorti d’un autre âge, me confortait dans l’idée qu’il y avait entorse à la vocation originelle des droits de l’homme (et de sa femelle) qu’ils présentaient pourtant comme leur bible.
Appartenant à une administration où l’obligation de réserve et de discrétion est largement de rigueur, la perspective du silence auquel est réduit l’apprenti (comme ils disent), ne me séduisait guère  plus. Apprendre à écouter, prétextaient-ils… Mais moi, je pensais au vœu de silence des moines, qui entre eux s’appellent aussi « frères ». Et puis surtout, s’intégrer dans une autre hiérarchie, il fallait vraiment en avoir envie.
Un des plus exaltés, une espèce de fasciste de gauche à géométrie politiquement variable, et gardien de la paix à temps perdu, m’avait évoqué une seconde naissance, une voie vers la lumière. Il était persuadé que j’avais ma place parmi eux, et désirait me réconcilier avec le concept. Mais le connaissant plus machiavélique que lumineux, son discours néomystique m’avait paru suspect. Il m’avait décrit par le menu et d’un ton passionné la cérémonie initiatique, et j’avais eu la délicatesse d’attendre la fin de son exposé pour éclater de rire. Il m’a définitivement achevée quand, dans une ultime parade de séduction, il a fièrement passé ses gants blancs, son sautoir (comme ils disent) et son tablier, et que je lui ai trouvé un air de soubrette lubrique.
Il m’avait énuméré les francs-maçons qui m’entouraient au boulot. J’ignorais tout de leur occulte particularité, bien sûr. Mais même à les regarder de cet œil averti, je n’avais pas su détecter l’étincelle d’un humanisme hors du commun. Ordinairement pistonnés et intouchables, rien de plus… La plupart étaient des délégués de syndicats, de mutuelles, de l’orphelinat, ou des trois à la fois, et le rayonnement policier de leurs vertus restait, par la force des choses, dans les basses fréquences. Et il y avait le patron…
« Aaah, le patron ! me disait-il. J’en fais ce que je veux, on est dans la même fraternelle ! (comme ils disent)
-    Ah ? Ca se passe comme ça ?
-    Evidemment, et c’est là tout l’intérêt, le court-circuit… »
Et il m’avait touché deux mots de cette hiérarchie parallèle en perpétuelle interférence avec la hiérarchie officielle, et de l’avantage à être ffranc-maçon, en matière d’avancement de carrière, de mutation et de nomination aux postes influents ou aux planques.
Je n’aime pas ceux qui croient penser mieux et plus haut que les autres.
Je n’aime pas l’embrigadement.
Je n’aime pas les tours d’ivoire.
Je n’aime pas les hiérarchies.
Je n’aime pas les magouilles.
Et j’ai toujours dit non…
L’humanisme est un prétexte, mais le pouvoir une réalité.
Les soi-disants nombreux et influents francs-maçons de la police nationale ne sont qu’une sorte de Rotary club où la coutume dominante est l’échange de services, et le passe-temps la chasse aux sorcières profanes. Et les procès en sorcellerie. Sans jugement. Sans justice. Juste dans le secret des commissions administratives paritaires. Et de leurs backrooms…
Ca doit être un rite accepté (comme ils disent).

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