PAGES PROLETARIENNES

mercredi 10 octobre 2012

LA GUERRE SAINTE DU GENERAL CAMOIN



CETTE VIEILLE POLEMIQUE SUR LE MYTHE DE LA « GUERRE REVOLUTIONNAIRE »


« Les guerres anti-dynastiques de la révolution bourgeoise française,
par Robert Camoin (285 pages, à compte d’auteur, 2012)

« Eh quoi ! parce que des mandataires infidèles, les hommes d’Etat (les girondins) ont appelé sur notre malheureuse patrie le fléau de la guerre étrangère, faut-il que le riche nous en déclare une plus terrible encore au-dedans ? ». Jacques Roux
« Oui, Messieurs, c’est la guerre entre les riches et les pauvres : les riches l’ont voulu ainsi ; ils sont en effet les agresseurs ». Blanqui

Auteur prolixe, Robert Camoin n’arrête jamais d’écrire, auteur « maudit » par les éditions généralement bourgeoises, il n’a eu de cesse de publier à ses frais depuis près de 50 années revues révolutionnaires (Cahiers du Communisme de Conseil, Jalons, Présence Marxiste), une vingtaine d’ouvrages et des centaines d’articles pour le mouvement ouvrier et pour la révolution maximale. Il est doué d’une plume musclée, chatoyante et aime parsemer ses écrits de mots rares comme cerise sur le gâteau, ce qui oblige à le lire avec un dictionnaire à portée de main. Son écriture manuscrite est digne des moines copistes de l’Ancien régime, elle s’envole en courbe gracieuse, comme si elle voulait enlacer le verbe oral trop prosaïque et plagie la calligraphie antique artistique chinoise ou arabe ; un graphologue y décèlerait sans nul doute une volonté de puissance et de séduction un peu étrange car le tracé scripturaire frôle l’illisibilité parfois.
Je me dois tout d’abord de le remercier de m’avoir fait parvenir son ouvrage par la sainte poste républicaine, et pour avoir mis sept ans à répondre à ma thèse de l’obsolescence de la théorie de la « guerre révolutionnaire », laquelle parution avait fortement indisposé le fier maître en orthodoxie qu’il prétend être ! J’ai publié en effet : « La guerre révolutionnaire de Robespierre à Lénine » en 2005, en particulier pour déniaiser la position vindicative d’étudiants maximalistes à la G.Sabatier,  position anti-parti farouchement belliciste de stratèges en chambre germanopratins faisant la leçon au « dictateur  Lénine » pour sa gestion aléatoire du traité de Brest-Litovsk, mais – et c’est pourquoi je n’ai nullement à répondre à R.C. – je décortiquais aussi la position inverse de l’autre tendance du courant maximaliste, qui nullement critique des atermoiements de Brest-Litovsk, juge le parti comme bon s’il se comporte comme un QG militaire et excellent s’il massacre à Kronstadt, et dont R.C. ne fournit qu’un aspect caricatural et oscillatoire ; tout militant communiste serait un soldat !
Ces deux tendances, la première anti-léniniste qui se voulait plus militariste que Lénine quitte à prêcher l’irresponsabilité populiste et anarchiste et la seconde qui, exaltant la terreur d’Etat, foule au pied les massacrés de Kronstadt, ne sont que des tendances opportunistes, d’imaginations enfiévrées, rigides et momifiées par l’histoire.
J’ai donc lu avec attention et patience le nouvel ouvrage de R.C. qui a voulu jouer au professeur d’histoire en prétendant répondre à un niveau de l’orthodoxie la plus pure concernant le maniement des armes  plus  qu’au  progrès émollient du marxisme sous la geste militariste léninienne, sans jamais s’abaisser du reste à me citer. En introduction, R.C. s’exagère grandement l’importance du sujet et la notoriété de la polémique :
« D’année en année, enfle et se fait plus agressive toute une littérature qui décrie la guerre révolutionnaire comme la mort de la révolution. C’est la sentence ex abrupto prononcée par les prêcheurs social-démocrates de la paix sociale et par tous les esprits brouillons de l’ultra-gauche « déjacobinisatrice » et « débolchévisatrice », l’un n’allant pas sans l’autre. D’aucuns, tel le « Courant Communiste International » et sa demi-douzaine de satellites – regroupés en un ludion libre comme « Les Editions du Pavé » - prophétisent, avec une pédanterie marquée au coin du kautskysme, que la révolution ne peut plus naître de la matrice d’une guerre impérialiste transformée en guerre civile par le défaitisme des soldats et des ouvriers qui disloque l’armée de la bourgeoisie, parce que de guerre impérialiste il n’y aura plus. Tout simplement !
Nous les retrouvons répartis en trois groupes :
-          On rejette la révolution sous toutes ses formes.
-          On refuse la violence armée, afin d’éviter à la révolution la souillure indélébile des effusions de sang.
-          On supprime la violence physique par un assembléisme déversant sa spiritualité démocratique pour éviter les « horreurs » de la guerre civile avec ses prises d’otages, ses représailles. Plus de rue Haxo ! Plus d’Ekatérinburg ! Plus de Tchéka ! »[1].
Une pincée du général Lénine vient ponctuer bruyamment cet appel aux armes en matière d’introduction. On passera sans s’inquiéter outre mesure de l’agression verbale dont je suis l’objet indirectement (toujours pas nominé) : « …seul un fripon fieffé, ou un incurable imbécile, peut affirmer qu’il ne s’agit là que d’une exaltation du militarisme guévariste ».
C’est passer un peu vite sur le rab de casserole du guévarisme qui fût originellement bien une mixture de cuisine girondine et léniniste. R.C. exagère avec emphase une inexistante marée de littérature sur la guerre révolutionnaire. Ramenons-le sur terre. Ma publication en 2005 à 50 exemplaires m’a coûté la peau des fesses, environ 1400 euros ; mon imprimeuse m’a roulé en beauté et je n’ai pas écoulé la moitié de ces livres. R.C. publie à 70 exemplaires à compte d’auteur un ouvrage qui ne va pas faire se précipiter les foules dans les librairies de Marseille ou de son village auvergnat, s’il en existe une à côté de la vieille forge. En réalité, tout le monde s’en fout. Même le microcosme maximaliste où chacun trône dans un fier isolement sur son petit blog ou son site de textes en accordéon. La charge verbeuse contre les « social-démocrates » et les « kautskystes » sent trop la naphtaline néo-stalinienne pour qu’elle possède quelque effet rédempteur sur ses victimes désignées. Et la déformation des réelles analyses des uns et des autres empaquetés dans le papier kraft de R.C. prête à sourire plus qu’à gloser inutilement. Arrêtons-nous un instant sur la phrase condensée et consternante livrée comme dans un souffle au bord de la catatonie : « …la révolution ne peut plus naître de la matrice d’une guerre impérialiste transformée en guerre civile par le défaitisme des soldats et des ouvriers qui disloque l’armée de la bourgeoisie, parce que de guerre impérialiste il n’y aura plus ».
Tâchons de traduire ce langage alambiqué en trois temps et sans virgules, ou plutôt de le restaurer dans sa simplicité proverbiale. 1- Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, la plupart des révolutionnaires dits anarchistes ou marxistes, professaient que la guerre restait la mère de la révolution. 2- les soldats fuient le front et rencontrent les ouvrières et ouvriers en grève, ce qui aboutit à la désagrégation de l’armée bourgeoise. 3- il est supputé que les fieffés fripons prétendent qu’il n’y aura plus de guerre impérialiste ; qui sait ?
Cela fait mauvais effet en général de déformer les propos de l’adversaire d’emblée, sauf peut-être pour les ignorants. R.C. radote dans la confusion la plus totale, hors de la réalité historique. Il végète encore sur la minable colline de Valmy. Ne rêve-t-il pas chemin faisant à ces merveilleux galons de général épinglé qu’il n’a jamais été ?
Mauvais coucheur ou piètre accoucheur le camarade Camoin ? La mère de la révolution, la Première guerre mondiale, a été une bien singulière marâtre puisqu’elle a fini par enfanter deux ignobles bâtards : Staline et Hitler. Ne sont apparus ni un clone de Lénine ni un prolétariat insurrectionnel au cours de la seconde boucherie mondiale. On s’interroge encore sur l’absence du bébé révolutionnaire à la maternité de la rue des martyrs.
Quant au processus de « défaitisme » tassé en une phrase, R.C. serait bien en peine de l’expliquer. Ou plutôt si, comme le montre son nouvel ouvrage, il méprise le réel processus de prise de conscience du prolétariat face à la guerre autant qu’il surestime l’impact du parti social-démocrate futur  prototype bolchevique parfait.
Tout son raisonnement doctoral et citationniste centré non sur ladite révolution bolchevique mais sur la révolution jacobine bourgeoise ignore les préoccupations des bras nus, les fait passer pour des crétins impatients d’aller se faire tuer pour la patrie, et ne voit pas du tout au contraire combien la guerre « externe » entraîne des émeutes de la faim, louables, mais aussi d’hystériques et cruels massacres inutiles. Les bras nus n’intéressent R.C. qu’une fois en rang d’oignons, cheveux bien coupés (il ignore que c’est Napoléon qui a lancé la vogue de la boule à ras pour les trouffions), et surtout pas déserteurs. Il passe le plus clair de son relevé des citations militaristes et des bouffonneries diplomatiques des « grands » généraux, des « grands » princes, qui accumulent les médailles comme ma collection de pièces de l’ère jacobine et de l’Empire bling bling, à louer ces dominants d’un autre âge, alors que je pisse sur leur tombe de chefs de guerre.
Toute la confusion de la position actuelle de R.C. se trouve donc dans cette entrée en matière biscornue qui mélange tout, et voile à demi une vision très hiérarchisée de la révolution : à défaut du parti il exaltera tel ou tel généralisme, beau comme Artaban sur son cheval ; à défaut de mouvement ouvrier dynamique et offensif, il imagine les futurs prolétaires en révolution pioupious cheveux bien dégagés sur les oreilles, prêts à se jeter poitrine nue au-devant des mitrailleuses des derniers réduits de la bourgeoisie mondiale, féroce et pourrie jusqu’à la moelle.
R.C. se pique de tout connaître, comme bien des militants blanchis sous le harnais, et les professeurs. Ils ont des lacunes immenses, et jamais comblées. Et qui n’en a pas ? Or je soupçonne R.C. de ne pas avoir étudié sérieusement l’histoire de la révolution française, ni lu les principaux historiens  sérieux en ce domaine. Sa référence appuyée à l’historien néo-stalinien Eugène Tarlé ne laisse d’inquiéter. J’irai même jusqu’à estimer qu’il ne connaissait pas les écrits contre la guerre « externe » des Robespierre, Marat et Babeuf avant d’avoir lu mon livre ; au bout de 40 ans de militantisme, n’ignorait-il pas que Staline était la matrice de l’Opposition militaire et ses exactions en Géorgie. Il va crier que c’est pas vrai et que je suis un vrai fripon. Pour preuve j’en ai qu’il ne fait quasiment jamais référence aux écrits géniaux de ces trois hommes, et s’efforce par esquive, circonlocutions – il est d’ailleurs le roi de la circonlocution -  et divers évitements de nous les reformater en partisans farouches de la poussiéreuse « guerre révolutionnaire ».
Le premier chapitre intitulé « Du guerillérisme comme ouvriérisme militaire », circonvolution abconse et non démontrée, se sépare comme du diable de la théorie maoïste (il oublie de préciser aussi stalinienne) de la guérilla, des ânes du Blak Bloc, des anarcho-marxistes du GCI (c’est eux les « ouvriéristes » du militarisme), de l’aventurier Makhno, très bien. Mais pour vanter le navet de Trotsky, « Terrorisme ou communisme »[2].
Il y a diverses sortes de guerre, mais de Valmy à la guerre d’Indépendance américaine, à la Commune de Paris et à l’offensive militaire bolchevique contre Varsovie en 1920, il n’y a qu’une « juste cause », psalmodie R.C. avec son père putatif Wladimir Oulianov. Mais, n’en disconvenez point citoyens lecteurs voici le ci-devant Robert Camoin qui va nous mener sabre au clair et vareuse bien boutonnée à la recherche des armées perdues.
Voici la naissance de l’artillerie française, sœur jumelle de l’éveil national français. Tout à son jacobinisme sentimental, notre chevalier Camoin ignore superbement les deux terribles défaites de Crécy et Azincourt. Avant de se précipiter à nous parler des chassepots, de s’exciter sur le chef de bande Du Guesclin et la Pucelle d’Orléans (à la manière de Jean Fréville ?)[3] il eût fallu rappeler le mode de production, de conquête et les avancées des autres nations.
Il s’ensuit des recopiages de faits et de biographies puisés dans des ouvrages rarissimes dont la bibliothèque de Marseille détient les secrets ; mais notre général des lettres maximalistes n’a pas besoin de citer ses sources, oseriez-vous demander au maître d’où il pompe ce savoir encyclopédique et biographique jusqu’à la nausée ?
Le maître du pont d’Arcole n’a nul besoin de raisonner face à des petits fripons comme vous. La longue litanie des biographies des « grands généraux », des « grands princes », suffit. Prenez des notes  satanés bougres! Soulignez ! Attendez qu’il ait fini avant de poser vos questions stupides !
A l’étalage de biographies pesamment recopiées s’adossent des apartés pour régler ses comptes avec untel groupe ou tel autre. Babeuf est évoqué au début sans préciser ni qu’il était opposé à la guerre externe ni qu’il a protesté contre les massacres en Vendée. Carnot semble égratigné (quelques petites crapuleries le fourbe) mais il possède la « science des armes ». Et qu’est-ce qu’on se fout des morceaux à rallonge du genre : « Charles Secondat, baron de la Brède et de Montesquieu, l’Oratorien et conseiller au parlement de Bordeaux devenu président à mortier » (ouf !) ; et des digressions identitaires et médaillées qu’on décompte à foison et que çà lasse le lecteur. Sans doute le futur biographe de Camoin reprendra la même antienne : Sir Robert Camoin, grand conseilliste devant l’éternel, passé baron du CCI et de RI, successeur de l’Onorevole Bordiga à la tête de Présence Marxiste et principal continuateur de marxisme au XXIème siècle.
Pourtant le marxisme camoinien est un marxisme dangevilien, néo-engelsien (excuse-moi lecteur ignorant de ces néologismes !) l ’histoire ne progresse plus dans l’imaginaire camoinesque par la lutte des classes mais par le perfectionnement de l’artillerie, sous les efficaces conseils de cette pourriture de La Fayette qui envoya combattre « … sous les ordres du maréchal Jean-Baptiste Donation de Vimeur, comte de Rochambeau, qu’accompagnait son fils Donatien-Maris-Joseph, colonel commandant le régiment de Picardie » (ouf ! et pas du 62 ?). Comme on le perçoit aisément la polémique sur la validité de la « guerre révolutionnaire » progresse au pas militaire de notre professeur d’artillerie en état de marche dans les calanques accidentées et au chant d’un blabla de remplissage.
Louons sa capacité de démonstration de la capacité de l’armée « libératrice » à développer « la liberté », ce qui vous permettra de mieux « comprendre la guerre révolutionnaire bourgeoise qui viendra ». L’armée en effet se « laisse gagner aux Lumières » et se mêle de « discuter des affaires publiques ». Le général Camoin est pourtant infoutu de clarifier les notions classiques de la guerre. N’est pas Clausewitz qui veut. Camoin s’ingénie bientôt à nous tresser des fleurs pour la « fraction pro-guerre », les tristounets Brissotins, taisant que cette fraction est la plus liée au commerce et aux agioteurs. L’évoque-t-il par devers la fraction pour la « guerre d’expansion » ? Notre général en culottes courtes (c’est l’été dans les calanques)  est irrité que Robespierre aille à contre-courant du « patriotisme des sans-culottes » et termine son paragraphe (intitulé misérablement « Robespierre pacifiste momentanément ») en citant Dangeville, qui va hélas (trois fois hélas) complètement à contre-courant de toutes les salades militaristes du général d’opérette maximaliste, et fustige les va-t-en guerre Girondins comme complices des aristocrates (page 53). Voilà qu’on nous narre guère plus loin que Robespierre se rallie à la guerre, soulagé Robert ? Mais pourquoi évitez-vous systématiquement  cher maître sans galons à citer ces longues déclamations et mises en garde contre la guerre externe que persiste à faire le subtil Robespierre ?
Pourquoi restez-vous muet après la longue et magnifique déclaration de Robespierre contre les « missionnaires armés » ? (pages 58-59). Si vous le permettez, vous traficotez bassement la question de la guerre défensive derrière les impondérables du moment, avec un argumentation retournée qui ressemble comme une goutte d’eau à celle des social-démocrates va-t-en guerre en 1914 ou à l’évanescent  et cornélien « oui, mais… » trotskien : « La Montagne était née précisément pour empêcher une guerre extérieure extrêmement périlleuse et qui, selon Robespierre (NB le « selon »), portait le césarisme dans ses flancs. Mais une fois cette guerre extérieure déclenchée, la Montagne ne se dérobera pas à sa tâche patriotique de participation à la levée en masse et de conduire la nation en armes. Le gouvernement robespierriste s’organisera comme un instrument de guerre révolutionnaire » (p.60).
Le général Camoin persiste à tout mélanger, une fois ses pages en ordre de marche : « Dès lors patriotisme et civisme devinrent synonyme de révolution et de guerre ». En résumé, les braves petits soldats, cheveux dégagés sur les oreilles, sont supposés acquis à « une guerre totale, la guerre intérieure et la guerre extérieure » (p.61) pour pouvoir bouffer. On ne prête qu’aux riches, or c’est du pipeau, les meilleurs historiens, Mathiez, Lefebvre, Kropotkine, Dommanget, Guérin, Dupuy, etc. ne brossent pas un tableau idyllique de l’ardeur patriotique mais révèlent les misères du peuple, les luttes contre la vie chère et les privilèges, luttes qui ne sont pas pacifiques mais prioritaires « à l’intérieur » de la nation (et tournent le dos à tout impérialisme « révolutionnaire »).
Mais les luttes sociales ne sont rien comparées à « l’amélioration du rendement des armes de guerre » selon le général Camoin qui invoque les billevesées de son compère, feu le « général Engels » dont la démonstration sur la colonne militaire pour discipliner les chevelus parisiens ne nous convainc absolument pas d’un rôle révolutionnaire de l’armée qui, peu après deviendra avec Carnot et Napoléon une armée « impérialiste », selon le terme de R.C.lui-même, qui bordera étrangement alors son raisonnement au moment de Thermidor.
Puis on saute d’un sujet à un autre, d’un personnage à un autre comme si cette compilation de biographies servait à la fois d’explication à 1789 et à justifier la guerre révolutionnaire foireuse. Babeuf vient tout à coup contredire toute la démonstration de R.C. qu’on en est gêné pour lui. R.C. est interloqué que Babeuf se prononce contre la guerre avec la Hollande, pardi ! « …à condition que ce ne soit pas une libération par voie militaire ». Comment ne pas rougir ? R.C. saute dans un aparté sans lien, le paragraphe nous parle des qualités du duc de Brunswick et nous apprend qu’il est le futur époux d’Anne d’Angleterre, élément consistant en effet pour épouser la théorie de la guerre révolutionnaire. Cet idiot de Babeuf n’est après tout qu’un « partisan d’une autre façon de libérer la Hollande » ! Ben voyons ! Mais non il est partisan de la libération de la Hollande par le peuple hollandais lui-même pas par les « missionnaires armés » fussent-ils auvergnats, marseillais  ou parisiens ! La démonstration du paragraphe de la page 66 finit en eau de boudin. Quiz de tout raisonnement ou appréciation, on dérape dans le contingent presque le fait divers puisqu’il faut ridiculiser cet idiot de Babeuf : « Babeuf s’enrôla dans la Légion batave ; mais un mois plus tard, de graves soucis d’argent l’obligèrent à rejoindre sa femme. Il trouva un emploi auprès de Jean-Baptiste Eustace, combattant de la guerre d’indépendance américaine. En même temps il prêtait sa plume à Fournier dit l’ « Américain » pour une attaque en règle de Marat ». On se perd dans l’infinitésimal avec notre général historien pour midinettes ou bobonnes!
Voici le talentueux orateur Vergniaud, autrement plus brillant à la tribune que le fluet Robespierre, qui permet au général Camoin d’effacer la mauvaise impression d’un Babeuf limité à son intendance personnelle. Voici la fleur de la Gironde belliciste qui fait la joie des belles spectatrices de l’Assemblée et gagne à ses arguties même les méchants adversaires robespierristes de la guerre extérieure (Camoin  se garde d’évoquer les discours captieux de Brissot dont se moque Marat). On se contrefiche du beau discoureur. Vergniaud a bouffé à tous les rateliers. Il avait écrit à Louis XVI pour lui proposer de le protéger s'il acceptait de rappeler les ministres girondins et leur laisser les pleins pouvoirs, mais bernique. Contrairement à Babeuf, il est de son temps, résolument promoteur de la République bourgeoise, de la propriété et de la guerre de conquête. C’est la conception d’une partie des fractions de la bourgeoisie mais elle n’est pas à notre sens applicable au futur « ennemi de l’intérieur » le prolétariat. Vergniaud n’était pas vraiment un politicien, plus un sentimental moitié girondin (« brissotin ») moitié montagnard. Son attaque contre le duc de Brunswick et son appel à "la patrie en danger" sont restés épatant pour la postérité mais dès lors que l'ennemi numéro un,  le roi, a été déchu, et que tout restait à faire, Vergniaud ne brilla plus. Il prononçait toujours de sublimes apostrophes mais celles-ci étaient souvent sans but. La passion va enfin s’emparer de Paris et mener au fameux 10 août 1792. L’opportunisme de la Gironde triomphaliste est pourtant à moitié démasqué, mais Camoin aussi en tant que girondin lié aux masses…plébéiennes et ploucs. En brave anarchiste émeutier il salue les massacres de septembre soi-disant « par les masses, décidées à tout prix à ne pas revenir en arrière », triste épisode dont Marx et Engels ont été d’accord pour considérer que ces massacres ont été l’œuvre des petits boutiquiers déchainés mais pas des « bras nus ».
Voici Valmy qui ravit plus Camoin que Goethe, et qui avec « nos ancêtres les gaulois » a été intégralement intégré à l’histoire nationaliste française. Comme je le rappelais dans mon propre livre, Henri Guillemin disait que sur le terrain, la bataille de Valmy ne fut pas très héroïque et que la victoire de l’armée révolutionnaire fut plus circonstancielle que due aux cris des sans-culottes chevelus. Le Manuel d’histoire Malet et Isaac a toujours relativisé l’événement : « L’action se borna à une canonnade ». Claude Delmas rappelait que la conception française du soldat-citoyen l’emporta cependant partout en Europe:
« Ainsi l’homme du peuple, jusqu’alors méprisé comme appartenant à un groupe inférieur de la société, se vit offrir l’occasion de prendre les armes pour la justice, incarnée d’abord par les assemblées révolutionnaires, puis par un seul homme, Napoléon. Les militaires prussiens remarquèrent alors que la discipline telle qu’ils la concevaient n’était à elle seule un moyen suffisant de conquête ou même de défense : il en résulta que quelque chose de la conception française de l’homme du peuple donna au nationalisme une vigueur nouvelle. Le soldat-citoyen et La Marseillaise ne sont pas seulement des motifs de légende. Ils ont constitué l’un des éléments essentiels de l’histoire depuis le premier quart du XIXe siècle. La discipline militaire plus efficace, la nouvelle conception de la nation en armes pour la défense du Droit, contribuèrent à répandre plus largement que jamais l’ardeur au combat. »
Mais la discipline militaire est à la conscience de classe ce que la musique militaire est à la musique classique, comme disait le camarade Einstein[4].
Après l’exaltation de Valmy, apprise par le général Camoin à l’école communale de la République une et indivisible démarquée par de solides frontières naturelles, notre historien pour midinettes  et bobonnes temporise grâce à l’Abbé Grégoire qui : « mit en lumière les dangers de faire des généraux de la République des « missionnaires de la Constitution »… proposition du millionnaire prussien Anarcharsis Cloots, « point de conquête et point de rois ». Le général Camoin eût été plus avisé de rappeler ici que le dénonciateur des « missionnaires armés » avait été Maximilien Robespierre. Va-t-il ranger son arc et ses flèches girondines ? Une pincée de Bordiga hors époque concernant la décolonisation moderne pour donner un coup de pouce à une notion typiquement bourgeoise moderne, la solidarité nationale !?
Notre général girondin nous balade longuement en Savoie, mais le chapitre court à la catastrophe pour notre stratège girondin avec la description d’Engels de l’invasion de Nice par les soudards français qui pillent violent et incendient. Et ce pauvre Engels de déplorer en cœur avec le général Camoin que « le bonapartisme s’appuie sur la racaille ». Non pas sur la racaille en soi mais sur l’armée ! Comme Staline plus tard au moment de la contre révolution en Russie, en Géorgie pour commencer, mais tout cela autant le général Camoin l’ignorait dans sa suffisance de maître du pont d’Arcole, autant il préfère éviter d’en parler ; on est à un cours sur la révolution française du XVIIIe siècle, n’est-ce pas ? Nice aurait dû rester italienne, voilà la seule déduction de notre stratège auvergnat.
On saute à 1795 puis on revient magiquement à 1793, où tel Lyssenko ou un salafiste de base, Camoin nous apprend que la « guerre devait être organisée scientifiquement » ; après le socialisme scientifique, le stalinisme scientifique, l’islamisme scientifique, voici venue l’ère du camoinisme scientifique. Le paragraphe n’est que la reproduction du discours de Saint Just en faveur de la réorganisation de l’armée… « scientifique » ?
Retour à Valmy concernant la trahison de Dumouriez, ce qui permet au général Camoin, déguisé en historien, de nous refiler la comparaison avec Kornilov, ainsi crucifiée préhistoriquement « sa kornilovade », comme on dit de Vercongétorix qu’il avait des moustaches comme un hélicoptère.
Le paragraphe page 110 s’intitule « L’agitation économique des bras-nus » mais que nenni n’en cause point du tout, laquelle agitation est remplacée par l’enrôlement de milliers de volontaires pour filer dare dare en Vendée « y combattre l’émeute royaliste » ; en réalité c’est plus compliqué mais comme notre général épinglé se base sur un vague historien stalinien et que la Vendée et Kronstadt c’est bandit pendu et pendu bandit, on n’épiloguera pas sur des détails de la terreur « révolutionnaire ».
On constatera au pas de charge que notre général peu étoilé ne finit pas ses paragraphes ni n’analyse les discours ampoulés des petits bourgeois jacobins. Cela doit lui suffire. A nous pas.
Il faut une bonne dose de perversité pour annoncer en paragraphe suivant : « La lutte de classe des bras-nus et la guerre éliminent le parti de la guerre » !?  De démonstration du ci-devant Camoin point. Il zigzague entre les fractions politiques petites bourgeoises, re-cite à tour de bras son héros du blabla,  le ci-devant, bientôt ci-gisant Vergniaud, pour finir par nous annoncer sa décapitation ainsi que celle de Mme Manon Roland « bonne musicienne et claveciniste », info majeure à cette étape de la polémique si l’on songe que cela lui fit une belle jambe polyphonique séparée de sa tête.
Après un coup de chapeau à « l’arsenalisation de Paris », pour mieux montrer qu’il maîtrise son sujet, entendu que son histoire de la « science militaire » atteste un perfectionnement militaire ininterrompu (voire darwinien), notre général empire en rendant hommage  par un remplissage généreux des bricolages militaires du fameux Gilbert Romme (voir wikipédia, ne pas confondre avec Rommel) et surtout aux « généraux de très haute valeur ». Il est aux anges pour décrire le pouvoir des apparatchiks très-grands-russiens de la République, quoique presque aussi totalitaires que leurs lointains imitateurs russophones. Oubliées les prévenances de Maximilien et de l’Abbé Grégoire : « Des Représentants en mission furent envoyés aux armées – nous dirions aujourd’hui, après l’expérience de la guerre révolutionnaire panrusse « Commissaires du peuple ». Le plus souvent, ils étaient au nombre de quatre. On leur conférait des pouvoirs pratiquement illimités, des pouvoirs de proconsuls… ». Et cela ne le fait pas rire ?
Pas d’explication concernant le fédéralisme girondin, et, comme on le voit ensuite, le général Camoin n’a pas la subtilité de Rosa Luxemburg qu’il a bien fait de citer en annexe, le renforcement de l’Etat ne commence pas avec la révolution de 1789, il est parachevé.
L’assassinat de Marat sert à nous balancer une nouvelle entourloupe. Marat, comme Robespierre et Babeuf gênent considérablement notre général épinglé avec leur dénonciation de fond de la guerre offensive ; il se sent mieux à l’aise de son point de vue anarcho-blanquiste fossile avec les brissotins comme Vergniaud.  En novembre 1792, Marat, presque seul s'abstint dans le vote sur l'annexion de la Savoie à la France ; et en ce qui concerne les territoires occupés par la France, il prêcha à l'hiver 1792-1793, la modération à l'égard des forces aristocratiques et du Clergé que les Brissotins voulaient exclure de la vie politique. Tout cela n'était pas contradictoire avec sa plaidoirie pour la guerre à outrance contre les puissances coalisées, dans la mesure où elle était devenue « défensive ».
Juste avant sa mort le 12 juillet 1793 à l'occasion d'un renouvellement il demanda l'éviction de Barère du comité de salut public  qui, montagnard non jacobin, fut toujours partisan de la guerre d'attaque. A la manière des staliniens, le général Camoin efface Marat et nous colle la citation d’un anarchiste hébertiste du nom de François Vincent : « On veut détruire la liberté par la guerre. C’est par la guerre qu’il faut la sauver ». Ne voilà-t-il pas une facile péroraison pour éviter la guillotine, effet de manche qui permet à Camoin d’esquiver encore une fois la question du comment et pour quoi de la généralisation de cette révolution.  Il fait le pitre en se servant de Marat mort contre Marat vivant toujours hostile à la « guerre de conquête »: « L’assassinat de Marat donna un nouvel élan à la revendication terroriste des sans-culottes contre les royalistes ». C’est quoi « la revendication terroriste », la vengeance de quelques abrutis déchaînés ? Le goût de Camoin pour les films gores ? Ou son faible penchant anarcho-hébertiste désuet pour la « guerre à outrance » ?
Camoin revient porter plus loin des chrysanthèmes fielleux sur la tombe de Marat avec ses habituels « selon lui » : « Au moment de la crise de Varennes, Marat était contre la perspective de la guerre étrangère qui, selon lui, cachait un nationalisme annexiste et aggraverait la situation économique. (…) A la nécessité de la guerre extérieure, il opposait la nécessité de la guerre intérieure. D’opposant à la guerre extérieure il en deviendra un partisan ». Le général Camoin a tout appris de son propre chef où il occupe le sommet du commandement et des opérations d’enfumage des ennemis de toute sorte qui l’environnent. Il veut ridiculiser Marat alors que Marat concède la guerre comme nécessité uniquement dans sa dimension « défensive » contre-indiquée pour notre brissotin bougnat.
De l’Armée du Rhin, au siège de Toulon, à Bonaparte « qui paye de sa personne », à Buonarroti « qui mérite bien de la patrie », on saute en Pologne où, peau de balle ce sera kif kif bourricot pour l’Irlande. Et Camoin de faire choir le couperet de son terrible jugement sévère (ce manque d’internationalisme militariste de Bonaparte…) suivi d’une ballade irlandaise (p194), sous oublier que la mère patrie de la guerre révolutionnaire ne fit rien pour les patriotes aux ordres de Kosciuszko ! Robespierre repasse sous le billot de guillotin Camoin, il est jugé inconséquent à l’aune de notre stratège marxiste émérite deux siècles plus tard et en gravitation universelle hors de la chronologie historique : « Dans la stratégie marxiste, la subordination nationale du mouvement polonais au parti jacobin de Paris eût seul permis de mener les deux mouvements à la victoire ».
Du délire mon cher Watson, imaginez un peu si Du Guesclin et la Pucelle s’étaient alliés comme ils auraient boutés hors de France les Anglais perfides ! Le général Camoin est tout sauf marxiste en s’imaginant un internationalisme « national » (et surtout militariste) dans les premiers pas de la jeune bourgeoisie.
S’il repeint les couleurs d’un Robespierre belliciste sous toutes les coutures désormais, c’est après avoir enterré ses objections et celles des Marat et Babeuf, avec l’apparition ex-nihilo camoinesque d’un « comité Robespierre », « qui avait la haute main sur la guerre » (« scientifique » ?), qui devient le Comité de Salut public : « … s’employant avec une inflexible rigueur à faire triompher les méthodes terroristes, méthodes salutaires ». Le général Camoin se fait plus maratiste que Marat. Un certain Noël Pointe est glorifié pour sa rigueur envers les ouvriers, non pour exiger qu’ils suivent le programme de la télé mais « pour la réalisation du programme de fabrication des canons », sans doute premier pas du « programme communiste » dans l’acception de notre généralissime en bravades terroristes en carton pâte. Camoin ne s’intéressent guère aux ouvriers comme producteurs d’armes disciplinés mais bien plutôt aux va-nu-pieds attifés en soldats, avec ces derniers notre général d’opérette ne craint aucune désobéissance.  Il égratigne au passage C.Desmoulins « bien loin d’encourager les exécutions sommaires » que lui, le général Camoin n’aurait pas hésité à encourager, bave aux lèvres et protégé comme Sarko par 50 commissaires du peuple à la terreur scientifique, pardon « au salut public ». Quelle indécrottable pacifiste geignard ce Desmoulins : il « abhorre trop de sang » avec son « autel de la miséricorde », et son opposition « aux marches ensanglantés », hein ? oui… il « frisait la guillotine » méritée ! Heureusement on coupa sans tarder le kiki à cette apologiste des institutions de la Perfide Albion, et celui de sa bonne femme. Point barre.
Notre professeur d’histoire terroriste glisse ensuite dans son nirvana des digressions imbitables avec de doctes « nous savons » ne faisant que recopier sur internet, ou à la grande bibliothèque de Marseille, un nouveau cortège de biographies. Thermidor enfin est relativisé comme « réaction politique de droite » et non pas début de la contre-révolution, ce qui est inexact, c’est un coup d’Etat de l’armée ; à la dictature personnelle de Robespierre, Carnot oppose la voie vers la dictature militaire.
Et en recopiant son père en bordiguisme Dangeville, Camoin sort une nouvelle ficelle en affirmant que la Terreur était une mesure de guerre. Non mon généraliste ! il fallait préciser de « guerre interne ». Et il ne dit pas sur qui s’appuie le Directoire réactionnaire. La remise en ordre s’appuie comme toujours en début de contre-révolution sur l’armée, et en l’espèce avec Carnot futur sponsor de Bonaparte. Où Camoin va-t-il chercher que la production d’armement a été rendu « partiellement » à des entreprises privées ? Encore une invention sans source de références. Il contredit tout son charabia antérieur sur l’armée révolutionnaire « scientifique » en reconnaissant par après que l’armée se fait « l’instrument docile des thermidoriens ». Le raisonnement patriotard stalinien et hors réalité apparait soudain avec la dénonciation des insoumis et déserteurs « pour se mettre au service de la jeunesse dorée » ; pure affabulation, la fuite des jeunes paysans visait à revenir donner des bras indispensables à la marche de la ferme, et des déserteurs face à la barbarie guerrière il y en eût à toutes les époques, et en général ils obéissent au sauve qui peut plus qu’à une volonté de servir le camp d’en face.
On approche de la fin de la saga technico-militaire et national-mystique de notre général épinglé, espérant de la suite dans les idées ou une argumentation plus allongée et moins copiste des biographies de dictionnaire concernant les avatars étranges de cette pauvre guerre révolutionnaire constamment avortée. C’est alors que Camoin lance sa fanfare, sa « fête de la musique ». La musique aux armées remonte « à la plus haute Antiquité » nous apprend le maître en terrorisme scientifique. En effet les Grecs ne connaissaient pas l’harmonium de Madame Lelonbec. Mais voici les fameux musiciens d’époque dont personne n’a jamais entendu parler mais que Camoin sort de la fosse d’orchestre – et quelles musiques ! La marche lugubre, la musique funèbre, le chant du départ l’hymne pour la fête de la vieillesse… On en redemande. Une nouvelle notion apparaît dans le défilé militaire chantant, la « guerre civile révolutionnaire », alors que notre général devenu imprésario se contentait jusque là de faire l’apologie de la guerre externe et de tancer les partisans de la guerre interne, les Robespierre, Marat et Babeuf (idem avec Jacques Roux, et Sylvain Maréchal, grand absent du dictionnaire camoinesque, qui réclamait l’abolition de l’armée).
Les flonflons de la musique militaire, comme on l’imagine, si funèbres étaient-ils, consolaient les familles des héros patriotes morts au combat. Camoin n’a certainement jamais vu le spectacle d’Ariane Mnouchkine après 1968, où elle sut admirablement mettre en scène la dramaturgie phrygienne, mais sa dérive artistique si incongrue d’apparence a pour but de défendre une vision terroriste apocryphe et bien pensante de la guerre externe puisque pour sa guerre impérialiste Napoléon « conserva » ces scies ! Passons, le lecteur n’a pas oublié ce que Einstein disait de la musique militaire. Je le pense aussi sans honte au risque de me faire traiter de moderniste par maître Camoin et de vulgaire apologiste du MP4.
Après ce détour par une musique de merde, comment revenir au sujet qui pose problème ?
Il suffit de faire l’apologie de la Terreur « réééévolutionnnnnaire » exemplaire pour le monde entier. La révolution française est un bloc disait un ancien socialiste devenu ministre. La vraie contre-révolution c’est lorsque  les thermidoriens sont prêts à faire la paix avec « l’ennemi du dehors » (finalement Camoin doit être d’accord avec Sabatier, selon qui Lénine et Trotsky furent « thermidoriens » en signant la paix de Brest-Litovsk…). Sur qui s’appuie notre ci-devant professeur de radicalité terroriste  pleurnicharde  qui se régale des noyades de Nantes? Sur Marx ? Sur Engels ? Sur Michelet ? Je vous le donne en mille : sur Eugène Tarlé, fameux historien passé au service de l’histoire nationalisée du stalinisme ![5] Le tout enveloppé dans de nouvelles divagations littéraires sans aucune méthode d’analyse.
Comme on sait que Camoin n’a pas digéré les aigreurs babouvistes concernant la « question militaire », il en remet une couche en ciblant l’adjoint de Babeuf, Buonarrotti qui défendait le soldat-citoyen mais uniquement en cas d’agression extérieure, sans compter que ce cancre « voulait que des mesures fussent prises qui missent en garde contre l’amour des armes ». Crime de lèse majesté pour notre auguste Camoin qui lui suinte l’amour des armes au bout de son clavier pépère. Sur le mode de l’ironie légère le paragraphe se moque du pacifisme présumé de Buonarrotti pour ensuite citer benoitement le décret militaire des conjurés babouvistes, suffisamment terroriste pour plaire à notre général de salon, et achever de gagner Buonarrotti à la cause fictive et au-delà des siècles du général Camoin, transposable à toute époque avec sa pipe et son béret de bougnat. Buonarrotti en exil « a théorisé l’extension de la guerre révolutionnaire au-delà des frontières nationales » ! Aucune preuve ni référence de cette affirmation mais peu importe, Buonarrotti n’est pas un exemple de révolutionnaire éternel, il a correspondu à son époque, au carbonarisme, à la franc-maçonnerie clandestine, et donc à des formes de luttes plus proches du complot révolutionnaire de l’époque bourgeoise des clubs jacobins et girondins qu’aux luttes modernes, au grand jour, du prolétariat.
« Les guerres du Directoire deviennent de moins en moins révolutionnaires mais de plus en plus des guerres de rapine brutales », concède notre général, sans remettre en cause la stratégie terroriste militariste…Après un court panégyrique de Bonaparte il est bien obligé de reconnaître avec guillemets que la réalité de sa guerre révolutionnaire à la Napoléon est un désastre en Italie : « le gouvernement « révolutionnaire » (des notables) se livrait bientôt à de graves exactions ».
Notre général tourne casque carrément en page 234 et nous ressort de sa paillasse théorique la tête de Robespierre, qui fût si critique contre la « guerre révolutionnaire ». Elémentaire mon cher Watson vu que Directoire et Napoléon se conduisent en pillards des peuples envahis ! Revoici la tête de ce pauvre Robespierre agitée à nouveau sans perruque pour sauver la mise à notre historien pour midinettes. Est évoqué le discours « flamboyant » du corps sans tête, en novembre 1793, apostrophant le caractère impérialiste de la guerre entre la France et l’Angleterre, seulement ? Et trop tard pour rattraper le vide argumentaire de notre général en retraite théorique.
La conclusion, qui se veut fort prétentieusement « théorie générale de la guerre révolutionnaire » accouche d’une souris aveugle. Camoin veut à tout prix recoller les morceaux de cette théorie défunte en liant guerre civile intérieure et guerre extérieure. Et de citer Lénine à témoin. Or Lénine dit tout le contraire, et l’on mesure que Camoin n’y comprend que pouic. Lénine ne mélange pas tout lui. Il parle de « guerre défensive », ce qui est évident et correct du point de vue marxiste : « la France révolutionnaire se défendait », ajoute-t-il et « Napoléon fît perdre aux guerres de la France leur caractère défensif pour en faire des guerres de conquêtes ». Lénine sépare bien les deux types de guerre. En ce sens il est conforme aux objections de Robespierre contre les « missionnaires armés » ; on n’impose pas une révolution à la pointe des baïonnettes. Lénine aurait dû s’en souvenir en 1920 avant d’envoyer au casse-pipe son armée rouge. Dans mon livre j’avais fourni une remarque subtile de Bordiga qui permet de mieux comprendre la notion de guerre défensive qui échappe aux neurones de notre stratège en chambre : « « Réticent tout d’abord à l’égard de toute guerre des peuples, et après la déclaration contre toute guerre de conquête territoriale, il trouva dans la fureur de la défense, le levain de la force de la révolution qui permit d’incroyables victoires contre une foule d’ennemis».
Une deuxième couche de conclusion s’efforce de prêter une conscience militariste au peuple : « L’exaltation patriotique servit de comburant aux sentiments et dispositions révolutionnaires du peuple ». Hélas notre général est un mauvais instructeur, le vrai carburant de la colère du peuple avaient été les incessantes guerres des dynasties féodales impavides, et la misère dûe à la crise économique. Girondins et Brissotins ne font que reprendre l’idéologie royaliste où la guerre extérieure a toujours été « purificatrice » des problèmes sociaux internes.
L’espoir d’un vrai changement social et politique avait été exprimé par le bouillonnement du peuple, et l’exaltation du patriotisme ne comportait pas de véritable ingrédient révolutionnaire puisque, assez rapidement, la guerre extérieure devient but en soi pour profiteurs et hommes en armes. Il n’est pas question de faire une seule concession au pacifisme mais la possession des armes n’a jamais été facteur primordial de conscience ni de « science » politique, et cela RC n’a jamais voulu l’admettre. Son imaginaire de soldats-citoyens s’effondre avec les soudards de Napoléon. Il mélange  les moments où les bras-nus agissent et décident comme civils citoyens (et sont combattus par la petite bourgeoisie robespierriste) et ceux où, sous l’uniforme, ils n’ont plus qu’à obéir. Il cite à nouveau Lénine qui s’en sortait par une pirouette, après la guerre révolutionnaire (de défense) du début de la révolution, faisant succéder la guerre impérialiste napoléonienne… laquelle avait du bon puisqu’elle suscitait à son tour des « guerres nationales », révolutionnaires à leur tour. Pas vraiment en général. Beaucoup de zigzags pour rien puisque le capitalisme se développa surtout par son économie plus que par les coups de canon et que les libérations nationales ne furent pas la généralité, quand au seuil du XXe siècle la révolution prolétarienne ne pouvait plus être issue ni devenir une guerre révolutionnaire.
Citer le confus Boukharine en fin de compte pour justifier une théorie morte, est inopérant, et frise l’esquive car, théoricien de la guerre à outrance à Brest-Litovsk, avant de ranger ses cartouches rhétoriques, Boukharine avait travaillé pour le grand guerrier Staline, et reconnu son erreur d’avoir théorisé une version bolchevisée de la guerre sainte. Camoin aurait dû avouer, logiquement, qu’il se range désormais aux côtés de l’anti-parti Sabatier au moment du traité de Brest-Litovsk !
La tâche de renversement violent de l’Etat bourgeois dans tous les pays reste de la responsabilité du prolétariat DANS tous ces pays et ne se résoudra certainement pas en termes de stratégie militaire ni en espérant la renaissance d’une armée rouge même internationaliste chargée de libérer des prolétaires trop faibles politiquement ou trop peu armés pour le faire. A moins qu’un droit d’ingérence, du genre de celui invoqué par les impérialismes « humanitaires » ne fasse partie de l’arsenal fictif du général Camoin. Mais c’est une tout autre discussion face à la décadence capitaliste et à ses impondérables.

JLR


PS : RC aurait dû lire plus attentivement Dangeville que je citais longuement. la « guerre défensive » n’est pas une panacée[6]. Roger Dangeville en a très bien résumé la problématique pour l’époque moderne:
« … la tendance naturelle d’une nation est de se défendre lorsque l’ennemi envahit son territoire. Mais, cela ne signifie aucunement que sa cause devienne juste pour autant. Ce serait rompre avec les critères d’appréciation marxiste d’une guerre qu’il faut appuyer ou combattre. Les partis sociaux-démocrates ont utilisé l’argument de la défense du territoire pour justifier leur politique d’union sacrée avec leur bourgeoisie, de sorte que, dans chaque camp, la guerre se trouva justifiée. Les marxistes – et Lénine en tête – ont combattu avec force cette falsification fondamentale des positions marxistes face à la guerre. Enfin, Marx a montré qu’une guerre « défensive » (ou mieux une guerre qui trouve l’appui du prolétariat), ne se caractérise nullement par des critères contingents et liés au succès des armes – attaque ou défense – mais aux caractères historiques, économiques, politiques et sociaux de la guerre – et pour autant que ces caractères durent. Ainsi, la guerre nationale progressive de la Prusse se transforma en guerre impérialiste, et se heurta dès lors à l’opposition – armée si possible – du prolétariat. Cela n’a rien à voir avec la guerre défensive au sens de la défense du territoire envahi : « Kugelmann confond une guerre défensive avec des opérations militaires défensives. Ainsi donc, si un individu m’attaque dans la rue, j’ai juste le droit de parer ses coups, et non de le terrasser, parce que je me transformerais alors en agresseur ! Le manque de dialectique se lit dans chaque mot que prononcent ces gens ! »[7].
Une autre précision enfin : « C’est la guerre qui contraindra les gouvernements à des mesures d’exception contraires aux principes de 1789 ; c’est de la guerre enfin qu’en 1799 sortira, pour quinze ans, la dictature napoléonienne »[8].; le boucher Carrier fût lié aux jusqu’auboutistes hébertistes, petits bourgeois militaristes qui avaient pour fonds de commerce la terreur à outrance. Avant cet auteur, Jean-Clément Martin avait remarqué que : « La Vendée est d’abord le résultat des maladresses, des incompétences, des illusions désastreuses des républicains, qui n’ont pas voulu comprendre la nature de cette guerre, qui ont donné la priorité à leurs propres querelles (…) les républicains ne voulurent jamais reconnaître leurs propres erreurs qu’ils firent de la Vendée cette énigme contre-révolutionnaire, argument idéologique spécieux, mais qui leur garantissait l’impunité de leurs fautes et permettait la poursuite d’une politique aveugle » (cf. La Vendée et la France, ed du Seuil, 1987, p.132-133). Les soldats « bleus » engagés dans les colonnes infernales avaient été nombreux à dénoncer les exactions, mais la terreur est atténuée en Vendée surtout au moment de l’élimination de la fraction hébertiste. L’idée révolutionnaire ne nourrit aucun fanatisme exterminateur,  les généraux tueurs Carrier et Turreau obéissent à une logique d’Etat et de clan dans les luttes pour le pouvoir à Paris. L’historien américain Timothy Tackett estime qu’il n’y a pas de lien direct entre révolution et terreur.















[1] R.C. présente les meilleures références du théoricien en chambre courageux par ces trois exemples destinés à faire « radical », bave aux lèvres. Rue Haxo en 1871, épisode lamentable de la populace en furie, exécution de 50 otages plus un fédéré qui avait pris leur défense. Ekaterinburg en 1918, lieu où toute la famille et le csar, comme il l’appelle avec snobisme, sont massacrés. Il semble vénérer de bout en bout La Tchéka, que chacun connaît plus ou moins en oubliant qu’elle fût au début un organe de défense légitime face aux attentats terroristes des fous anarchistes et populistes va-t-en guerre après la pause de Brest-Litovsk.  RC ne dit rien, il ne finit ni ses phrases, ni ses affirmations dont on ne sait s’il approuve ou désapprouve. La lucidité sur des violences ou dérapages inévitables en période de révolution ne se justifie certainement pas par l’approbation muette des massacres scandaleux des précédentes. Couper le kiki à Louis XVI en 1793 était compréhensible, exécuter la famille impériale entière en 1918 a manifesté des traits d’arriération du sol russe, même si je ne plains pas l’autocrate qui avait envoyé à la mort des millions de prolétaires et de paysans en buvant tranquillement son thé en 1914.
[2] Que j’ai démonté dans mon livre « Les avatars du terrorisme », 2011, ainsi que la déification de la Commune de Paris par tutti quanti gauchiste et ultra-gauchiste.
[3] A force d’exalter la révolution française R.C. en vient à minorer l’importance de la révolution de 1917, la révolution de 1789 est ainsi l’une des plus grandes révolutions de tous les temps et ne peut-être comparée « qu’avec Octobre 1917 en Russie, qui, du reste, s’en est approché par maints côtés ». Du reste ? Par maint  côtés ? Hé hé le jacobin qui sommeille surpasserait-il le léniniste farouche qui s’éveille en Robert ?
[4] Il a dit mieux encore: « Un homme qui peut marcher au son de la musique militaire n'a reçu son cerveau que par mégarde; sa moëlle épinière lui aurait amplement suffi ».

[5] Sous la pression de Staline, Tarlé doit réviser sa copie historique du rôle de Napoléon et glorifier la défense nationale russe. Du patriotisme au nationalisme et même au messianisme, le pas est rapidement franchi. Eugène Tarlé refit son histoire de la guerre napoléonienne (comme il avait refait celle de la guerre de Crimée) : pour la décrire comme une lutte purement nationale et patriotique, un modèle et un précédent, il doit abandonner son analyse marxiste, renoncer à l'analyse de classe qui l'avait conduit à affirmer que Napoléon, en despote bourgeois, avait renoncé à une victoire aux fruits incertains en se refusant à affranchir les serfs. En réécrivant sur commande, tous les éléments émotionnels traditionnels du passé russe sont ressuscités, mis en vedette, développés de façon à mobiliser, à galvaniser la résistance, de préférence aux motifs de classe.


[6] Ernst Kantorowicz rappelle que : « le but des croisades a le plus souvent, et toujours dans les premiers temps, été formulé en termes de guerre défensive, une défense des frères chrétiens et des églises de Terre sainte, et non présenté comme une guerre d’agression contre les infidèles. » (cf. p141 de « Mourir pour la patrie »)
[7] Page 652 des Ecrits militaires, extrait d’une lettre de Marx à Engels, du 17 août 1870.
[8] Réédition poche Marabout/Hachette 1960, Les révolutions 1789-1848, p.62.

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