PAGES PROLETARIENNES

vendredi 27 avril 2012

UNE PAGE D’HISTOIRE : TROTSKY COMPLICE DE LA « GUERRE REVOLUTIONNAIRE » STALINIENNE




D’après l’intéressante et novatrice biographie
de Trotsky par Robert Service (ed Perrin, 2009, 27 euros)

(après l’invasion des trois pays baltes par l’armée stalinienne en juin 1940, in chapitre 50 : La Seconde Guerre mondiale)

« … S’il estimait faibles les compétences du Kremlin, Trotski avait pleinement approuvé le principe de la campagne militaire soviétique. Il prétendait que la « soviétisation » apporterait un bénéfice inestimable à la Finlande. A New York, la fraction minoritaire du Socialist Workers’ Party – la plus importante des dernières grandes organisations trotskystes – formula des objections. Ses membres détestaient ce qu’ils appelaient « l’impérialisme stalinien » et rejetaient l’hypothèse de Trotski selon laquelle l’armée rouge aurait déclenché une guerre civile en Finlande. On avait au contraire assisté à une résistance nationale face à une invasion extérieure. La fraction minoritaire elle-même, dont les membres se rangeaient du côté de Trotski, mit en doute son analyse de la situation. Le révolutionnaire refusa de céder. Dans une lettre adressée à Joe Hansen, il fit remarquer qu’en 1920 les mencheviks eux-mêmes avaient admis que la guerre russo-polonaise avait mené à la guerre civile en Pologne (déjà à l’époque c’était une connerie, ndt). Il soulignait la similitude avec la situation en Finlande et continuait à croire en la victoire de l’armée rouge accompagnée d’une insurrection communiste finnoise, jusqu’à la conclusion d’une paix entre Moscou et Helsinki.
En même temps il enrageait contre les camarades qui prenaient parti dans la guerre en Europe. Sa rigidité intellectuelle s’accentuait. Il était figé dans ses souvenirs de la Grande Guerre, et se remémorait comment, à l’instar des autres délégués de la « gauche de Zimmerwald », il avait jeté l’anathème sur les parties belligérantes. Le Reich allemand et l’empire d’Autriche s’étaient montrés aussi mauvais que l’Empire britannique, la France de Napoléon et la Russie tsariste. Il énumérait les événements qui avaient jalonné les débuts du communisme – comme d’habitude de façon tendancieuse. Il se souvenait de la querelle bolchevique au sujet des accords de Brest-Litovsk en 1918, quand Boukharine avait défendu la guerre révolutionnaire en dépit de la faiblesse militaire du gouvernement soviétique (il omettait de préciser qu’il était lui-même alors plus proche de la position de Boukharine que de celle de Lénine). Pour sauver la révolution d’Octobre, Lénine préférait signer une paix séparée avec les Puissances centrales ; il stipulait aussi que, si une révolution socialiste devait éclater en Allemagne, l’armée rouge serait envoyée en renfort, même si cela impliquait de sacrifier le « pouvoir soviétique » en Russie. Trotski voulait appliquer cette stratégie léniniste à la Seconde Guerre mondiale. Si les ouvriers allemands devaient se révolter contre Hitler, écrivit-il à Shachtman, « nous dirions que nous devons subordonner les intérêts de la défense de l’Union soviétique aux intérêts de la révolution mondiale ». Il faisait bien remarquer qu’il ne demandait pas un « soutien inconditionnel au Kremlin ». Sur le plan formel cette déclaration avait l’air justifiée, sauf que l’argument était assez spécieux, en 1939-1940, dans la mesure où il n’existait pas l’ombre d’un soulèvement au sein du prolétariat allemand. Le contrôle des nazis sur la société allemande n’avait jamais été aussi étroit. En réalité, Trotski sous-entendait là son engagement total à la défense de l’Union soviétique. Il était disposé à autoriser un débat sincère sur la question et se prononçait contre l’application de sanctions organisationnelles à l’encontre de la faction minoritaire du Socialist Workers’Party. Il ne fallait pas interdire les factions mais au contraire encourager la minorité à publier un bulletin interne. Il prit contact avec Hansen : « Nous ne sommes pas des bureaucrates, au contraire. Nos règles ne sont pas immuables. Nous sommes des dialecticiens, et dans le domaine organisationnel aussi ». la discussion qui en résulta ne convainquit pas Shachtman, qui continua à critiquer Trotski sur la politique ukrainienne, le traité germano-soviétique et la Finlande (…)
Ses partisans étaient devenus trotskistes parce qu’ils le considéraient comme le plus farouche adversaire du fascisme. Et le voilà qui déclarait que le Troisième Reich et la France républicaine ne valaient pas mieux l’un que l’autre. Les tensions s’accrurent au sein du Socialist Workers’Party. Trotski craignit de voir ses membres quitter le IVème Internationale. Il demanda à Joe Hansen, son plus fidèle acolyte à New York, de tout faire pour empêcher la scission. A cet égard au moins il ne calquait pas son attitude sur celle de Lénine durant le premier conflit mondial (…) Shachtman n’en quitta pas moins la fraction pro-Trotski du mouvement américain, pour ne jamais y revenir. Trotski avait été le grand unificateur de la social-démocratie russe avant 1914 (faux, Trotski sur le plan organisationnel était un nul comparé à Lénine, ndt). Désormais il s’attirait inutilement des ennemis : il était devenu le Lénine de sa propre internationale en temps de guerre. A ceci près que le second conflit mondial ne lui offrait pas de contexte révolutionnaire à exploiter, au contraire de Lénine en 1917.  En mai 1940, la France se réveilla vaincue après une guerre éclair. Puis ce fut l’occupation, et les trotskistes français, déjà contraints d’opérer dans la clandestinité à cause de leur opposition à la guerre, se virent obligés de défendre leur vie. En tant que mouvement international, le trotskisme avait terriblement souffert. (…)
Soudain, en juin 1940, il (Trotski) proposa de tendre la main au Komintern. Il reprocha aux leaders trotskistes new-yorkais de poursuivre leurs attaques en direction du parti communiste des Etats Unis. Il argumenta : « Les stalinistes sont issus d’un courant légitime du mouvement ouvrier » et « font preuve d’un grand courage ». La Quatrième Internationale devait donc essayer de séparer la « base » des membres de la direction communiste officielle. Il confirmait qu’il était toujours dans le coup, intellectuellement et politiquement (ayant eu vent sans doute de l’accusation de dégénérescence par les camarades de Bilan : « un renégat à la plume de paon », ndt). Et il demandait à ses partisans de se considérer comme des « militaristes révolutionnaires prolétariens », parce qu’un jour, bientôt, peut-être, ils seraient peut-être amenés à prendre les armes contre les envahisseurs de l’Union soviétique ».
Une prédiction très en faveur des… Alliés bourgeois puisque plus de 300.000 soldats US furent tués en Normandie pour aider Staline à se débarrasser d’Hitler à Stalingrad… Gageons qu’il y eût des trotskistes dans le débarquement, tués eux aussi, comme ceux qui participèrent à la « guerre révolutionnaire » pour la Libération de Paris… pour mesurer combien une antique notion girondine et bolchevique (tendance com. De gauche) a sombré dans le ridicule, l’obsolescence et la récup dans le giron patriotard.

NB: Drôle de révolutionnaire ce "ministre prolétarien" Trotsky qui espère une alliance avec les armées bourgeoises occidentales avec ladite "armée rouge": "Il poursuivit ses discussions avec les représentants des Alliés, et le 5 mars, soit deux jours après la signature du traité de paix, il demanda aux Américains s'il pouvait compter sur leur assistance au cas où le Sovnarkom déciderait d'attaquer l'Allemagne" (ibid, p.248). Comique ce partisan de la "guerre révolutionnaire" avec des armées bourgeoises à ses côtés!

PS : contre toutes les âneries entretenues dans le milieu maximaliste sur le mythe de la guerre révolutionnaire (et le livret anarchiste et SR de Sabatier, « Brest-Litovsk »), lire Philippe Riviale : « La Ballade du temps passé : guerre et insurrection de Babeuf à la Commune », Anthropos 1977, et mon propre ouvrage : La guerre révolutionnaire de Robespierre à Lénine.




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire