(Leçons marxistes des élections tunisiennes)
Les élections ne changent rien, en Tunisie comme en France, cela les nombreux abstentionnistes tunisiens ici et là-bas, l’avaient déjà compris. Pas de changement de pouvoir, une dictature en remplace une autre, mais avec cette subtilité perverse dite « volonté du peuple ». Pour tous les déçus disons tout de suite que comme il n’y a pas eu de révolution, sauf celle de la floraison de la nature au printemps, il n’y a pas à dramatiser sur une soit disante contre révolution. Le seul mystère de ces élections reste ce résultat à retardement, laissant libre cours à des interprétations aussi partielles que fantasmatiques : « dans un mois toutes les femmes seront à nouveau voilées et la charia imposera à nouveau la polygamie machiste » ; à faire regretter l’interdiction « révolutionnaire » du port du voile par l’ubique Ben Ali vendu à l’Occident. Notons que l’islamisme, comme le fascisme de naguère, est une savonnette, personne ne se résout à identifier sa vraie nature : croyance ancestrale légitime pour des peuples martyrisés par la colonisation ou nouveau nazisme résistible, ou peut-être simple nouvelle entourloupe bourgeoise pour sous-développés. Elections au résultat longuet à afficher. Ils ne savent pas compter en Tunisie ? Steve Jobs n’a-t-il pas eu le temps de leur refourguer ses micros compteurs. Quasiment 5 jours après les élections « libres » au pays des chameaux, on n’était « informé » que des tendances et de la victoire probable du parti Ennahda, avec des négociations, bien que sans résultat officiel, pour les premières places dans l’Etat par des islamistes soft imprégnés de l’exemplarité de la Turquie.
Ne chipotons pas, la dite « révolution de jasmin » a été leur mai 68. Ce soulèvement de la population après l’immolation d’un jeune vendeur à la sauvette, bénéficie toujours de notre admiration pour nous les prolétaires d’Europe et d’ailleurs. Toute dictature militaire en situation de crise économique mondiale finit par étouffer et devenir odieuse aux yeux de la majorité de la population, et surtout des prolétaires. Objectons : la Tunisie compte comme l’Algérie nombre d’usines qui, même si elles travaillent pour des commanditaires capitalistes européens ou chinois, développent une dignité de classe exploitée. Les couches de l’intelligentsia petite bourgeoise, étudiante en particulier, sont également bloquées dans ces conditions pour leur prétention à bénéficier de l’encadrement, et par conséquent basculent dans la révolte impulsive sans se soucier de l’expression propre de la classe ouvrière. Sans parti avec un projet maximaliste conséquent de renversement de la société bourgeoise, partout, la classe ouvrière ne pouvait être qu’entrainée dans l’impasse des élections frauduleuses bourgeoises.
La vague revendication de liberté et d’égalité enthousiasme généralement tout peuple en révolte, même sans colonne vertébrale politique, et, ainsi limitée ne peut déboucher que sur une prétendue réforme du système national, enclavé et national. Les premiers manifestants s’enchainaient d’ailleurs eux-mêmes drapés dans le drapeau national : voile au couleur du drapeau, cape du drapeau, jupe du drapeau, mais pas de mini-jupe du drapeau. La bourgeoisie n’avait plus qu’à leur resservir la texture du drapeau : des opposants bourgeois, certes longuement martyrisés, mais sans aucun programme de libération du prolétariat universel.
Mai 68 en France paraît bien loin, et même un « jeu d’enfants » paisible comparé aux multiples morts de ce soulèvement justifié. Les deux événements procèdent pourtant d’une même dynamique : des exigences humaines provenant des tréfonds de la société. Comme en mai 68, la récompense du soulèvement est le maintien de la « droite » au pouvoir ; en tant qu’occidentaux marxistes nous disons même simplement : maintien de l’ordre bourgeois. Les deux leçons principales de mai 68, si on laisse de côté la révolution dite « utopique », restent claires, d’autant qu’on les retrouve dans ce mouvement de « jasmin » :
- Desserrer l’étreinte hiérarchique primaire dans les entreprises et la vie quotidienne,
- Dépasser la ségrégation de la femme.
Indépendamment du refroidissement électoral – la victoire relative de la droite parlementaire avec seulement un déplacement de 300.000 voix – le succès gaulliste avait dû entériner des changements (provisoires) impondérables. L’Etat français, avec ses commis, s’efforça de mettre un bémol à sa gouvernance autoritaire. Ainsi, l’intronisation des pacifiques collaborateurs syndicaux fût la médiation obligatoire pour que les petits chefs en entreprise rabattent leur caquet au cours des années suivantes. Ainsi le statut inférieur de la femme fît l’objet d’une considération, certes limitée, mais consensuelle avec le recours médiatique aux féministes bourgeoises. On peut y inclure le report du droit de vote aux jeunes de 18 ans comme meilleur chrysanthème à la « folie » de la « jeunesse » révoltée, puis, bien plus tard, la suppression du service militaire obligatoire pour la défense de la patrie. Et aussi la théorie de la participation avec tous les « partenaires sociaux » pour éviter à la police de tirer dans le tas.
Comme la droite gaulliste de jadis, les islamistes vainqueurs sont dans la même situation. Il faut désormais composer, négocier, mettre du porc dans les cantines ou du moins tolérer des femmes sans voile. L’industrie du tourisme tunisien est dans la balance. Si la victoire des islamistes soft, distillée au compte-goutte, génère tous les fantasmes du retour de la dictature religieuse, il ne faudrait pas se tromper d’époque. La crise économique terrible qui gagne le monde entier fait voler en éclats les dictatures sanglantes comme elle inquiète les riches et arrogantes démocraties bourgeoises. Même le pâle mouvement des indignés bobos détruit l’idéologie du tribun et du sauveur suprême. Allah n’est plus à la barre, Tocqueville non plus. Dieu n’est plus en pole position à Pole emploi à Argenteuil comme à Tunis.
L’Union sacrée de la bourgeoisie mondiale : la tolérance
Père de la nation et protecteur des grands intérêts capitalistes, le garnement Nicolas Sarkozy a assuré mercredi lors du Conseil des ministres que la France serait "vigilante" sur le respect des droits de l'Homme et des "principes démocratiques" en Tunisie et en Libye, a rapporté la porte-parole du gouvernement. Le chef de l'Etat a "rappelé que la France serait vigilante sur le respect des droits de l'Homme et des principes démocratiques, notamment la diversité culturelle et religieuse et l'égalité des hommes et des femmes", a déclaré Mme Pécresse en rendant compte de ses travaux devant la presse. Que ne l’a-t-il point été au temps des réceptions fastueuses des divers dictateurs arabes ?
« C'est tout d'abord au peuple libyen et au peuple tunisien qu'il appartient de choisir leur destin lors des élections libres", avait poursuivi M. Sarkozy cité par sa cire-pompe Pécresse. Le président des riches a estimé que "tout l'enjeu des printemps arabes était de sortir de cette fausse alternative qui existe entre dictature et intégrisme" et que "pour cela il fallait ancrer tous les partis dans le jeu de la démocratie", toujours selon la porte-parole en jupe du gouvernement.
Cette mise au point intervenait opportunément après la victoire (annoncée plus qu’authentifiée) du parti islamiste aux élections à l'Assemblée constituante en Tunisie et les déclarations du président du Conseil national de transition libyen, Moustapha Abdeljalil, qui a prévu l'instauration de la charia dans son pays et la fin de la bâtardisation de la langue arabe par le français.
Une conversation révélée par Wikileaks devait apporter une preuve accablante de l’œcuménisme bourgeois français: avec les tyrans arabes, le blaireau a renié sans vergogne son discours pré-électoral comme l’Hitler de « Apocalypse France 2 ». A sa décharge, avec Moubarak, Ben Ali et Kadhafi, il n’a pas été le seul chef d’Etat occidental à se compromettre. Comme le souligne un journaliste du Nouvel Obs, le cas de Bachar al-Assad était différent. C’est le président français – et lui seul – qui avait organisé le retour en grâce du tueur de masse, dictateur de l’un des pires régimes de la planète. Sarkozy était revenu de ses vacances orientales avec des idées très simples sur la "tolérance religieuse" et la "fierté syrienne". A sa décharge encore de commis d’Etat français, il pouvait encore s’enorgueillir de la collaboration des flics syriens qui arrêtaient le recrues des sectes jihadistes françaises en route vers l’Irak (chômeurs catéchisés) et qui les renvoyaient dans l’hexagone après les avoir interrogés à leur manière, pour peupler les « assistés » de la prison de la Santé.
Le raisonnement des gauchistes français européens, complémentaire plus que rival du discours officiel, faisant fi de toute l’humanité prolétarienne, vint aussitôt en renfort du blaireau présidentiel français. Les racines de l’Europe ne sont-elles pas chrétiennes et celles de pays arabes musulmanes ? Les femmes ne sont-elles pas toujours aussi maltraitées dans les pays développés quoiqu’en voie de paupérisation ? Les occidentaux n’ont-ils pas une vision bien condescendante des peuples qui ne sont pas, comme nous, des occidentaux ; des civilisés en quelque sorte. Pas plus tard que la veille, les mass-média occidentaux se réjouissaient que ces peuples salement colonisés jadis soient débarrassés (grâce à Sarkozy et Obama) du joug de la dictature, qu’ils soient enfin libres, mais à une condition : que ce fût à l’occidentale, avec des élections « libres », basée sur la « tolérance » des croyances. De plus, tous ceux qui sont fort marris de la victoire des islamistes soft ne sont-ils pas au fond des fourriers du FN, dont le vieux Le Pen est le seul avec Chavez et Castro à avoir pleuré l’assassinat de Kadhafi ? N’enfonçons pas trop nos gauchistes angéliques, roue de secours pitoyable de l’électoralisme, eux qui n’ont cessé de réclamer le « droit de vote pour les immigrés » seraient fort dépités de les voir voter un jour… Le Pen, ce frère en intégrisme francomaniaque.
Tout le laïus compréhensif ou dépressif de la gauche européenne n'est qu'une resucée de la "tolérance" gauche sociale-démocrate et gauchiste angélique (façon NPA) : la tolérance de l'intolérance qui ne dit pas son nom, le nationalisme arabe étroit qui se confond avec une religion arriérée, comme toutes les autres certes mais plus dangereuse en ce qu'elle est l'opium du peuple des pauvres, adossée à la misère et aux pires préjugés. Continuez à raconter aux femmes maghrébines qui fuient les tarés musulmaniaques que la condition de la femme est la même en Europe, elles vous riront au nez (pourquoi seraient-elles venues ici même celles qui affichent des voiles colorés?). Il est comique certes de voir Jean Daniel et les bourgeois de son espèce (qui nous avaient assuré qu'on allait vers une révolution dans les pas de la « civilisation » occidentale) piquer du nez, et la fille Le Pen bomber le torse. Le fond du problème est le nationalisme religieux (ou la religion nationaliste) excluant qui conforte le grand mensonge d'une tradition coranique immémoriale... laquelle religion agrée si bien aux capitalistes qui s'en fichent des obligations maniaques imposées aux masses, et obtiennent ce qu'ils souhaitaient: le croissant arabe doit rester le réservoir de main d'oeuvre de l'Europe.
La classe politique bourgeoise française n’est donc nullement embarrassée par cette victoire distillée au compte-goutte. Caméléon de première, elle s’en félicite car elle vient à point parfaire « l’identité nationale » arabe comme conforter « l’identité nationale » française chrétienne et papale. Quant aux Libyens, et demain aux Égyptiens, c’est à eux et à eux seuls de choisir leur destinée, comme les allemands qui avaient élu Hitler ou les couches moyennes qui avaient élu Pompidou. Nous n’avons pas à nous en mêler. Moins encore de les juger. Chacun chez soi et les vaches seront bien gardées.
DES ELECTIONS A L’OMBRE DE L’ARMEE (toujours rétribuée en Tunisie comme en Egypte par Obama)
Le retour de bâton du mai 68 arabe révèle que deux forces bourgeoises sont en mesure de confisquer le soulèvement des peuples arabes: les militaires et les islamistes. Les militaires exigeant un islamisme soft et les bigots politiques musulmans craignant le sort du FIS en Algérie. Les premiers peuvent invoquer leur rôle (occidentalisé) dans la chute de Kadhafi, ou la nécessité d’éviter la dislocation éventuelle du pays comme au Yémen ou en Syrie, pour s’emparer du pouvoir si les nouveaux élus ne respectent pas le deal. Ils peuvent aussi, comme en Egypte, choisir un rôle plus habile et peu discret de "facilitateurs" en demeurant dans l’ombre pour diriger le pays sans paraître le diriger, et en continuant à torturer les manifestants.
Les politiques islamistes ont visiblement compris que si ces soulèvements n’ont pas été faits en leur nom (malgré leurs génuflexions comiques sur la place Tahrir), l’heure est venue pour eux de composer. Et d’en tirer tout le bénéfice possible. En utilisant au mieux leurs atouts – capacité d’organisation secouriste, art du compromis béni-oui-oui par leur proclamation de leur attachement aux principes de la "bonne gouvernance" bourgeoise, en se passant des délires de leurs gauchistes salafistes comme Hitler s’était passé des SA et de leur chef homosexuel Röhm.
LES RAISONS DE LA VICTOIRE (étriquée) D’ENNAHDA/
Durement réprimé depuis le milieu des années 1980, le mouvement Ennahda a compté jusqu'à 30 000 militants emprisonnés en Tunisie. A la tête du parti, on ne recensait plus les chefs auto-proclamés, parfois condamnés à mort, qui ont passé des années derrière les barreaux, souvent à l'isolement, ou qui ont dû fuir à l'étranger. Les attentats des années 1980 imputés par le régime Ben Ali au mouvement islamiste et la vague d'attaques à l'acide perpétrées contre des femmes par des éléments fanatiques ont été oubliés. C'est le passé douloureux de prison et de torture, connus de tous, qui a constitué un puissant levier auprès de l'électorat, comme par remords pour les familles brisées, pour faire le deuil. Le rejet de la politique néo-coloniale, après vingt-trois ans d'omniprésence du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), l'ancien parti de Ben Ali aujourd'hui dissous, et la faiblesse des particules de la gauche libérale, jugées trop élitistes en dépit de leur passé d'opposantes, a laissé un vaste espace à Ennahda, en particulier auprès des jeunes sans avenir et méprisés par la hogra des privilégiés suce-boules. Les élections bourgeoises tunisiennes ont utilisées toutes les ficelles classiques et clientélistes de la démocratie européenne. En Tunisie, où le statut de la femme était en partie protégé par un code - qui interdit notamment la polygamie et qui reste, cinquante-cinq ans après son adoption, encore inégalé dans le monde arabe -, le parti islamiste a tout fait pour ne pas effrayer l'électorat féminin. Tête de liste dans la circonscription de Tunis 2, sa candidate Souad Abdelrahim, non voilée et en tailleur-pantalon, a souvent été mise en avant.
Les PME tunisiennes ont contribué généreusement à la campagne d’Ennhada, car toute campagne « démocratique » a besoin du fric. Dans les villes, deux catégories d'hommes d'affaires ont participé au financement de la campagne d'Ennahda, écrit Isabelle Mandraud. Il y a les nadhaouis d'hier, empêchés d'entrer dans la fonction publique, brimés dans le secteur privé, et qui ont ouvert leur propre entreprise, à l'image du directeur de la communication du parti, Nejib Gharbi, qui a fait fortune dans le commerce de gros. Et les nouveaux convertis qui ont rejoint le parti dont ils ont pressenti l'ascension. A Sfax, la capitale économique de la Tunisie, Ennahda a raflé la moitié des sièges de l'Assemblée constituante, loin devant ses concurrents. Il y a en outre toujours un aspect comique lors des élections bourgeoises. La comédie tunisienne n’y a pas dérogé. Un certain Moncef Marzouki a promis de construire un pont entre la Tunisie et le sud de l’Italie et, avec sa « Pétition populaire » a réussi à rafler une partie des circonscriptions pour des électeurs conscients que la seule solution à la crise dans les pays arabes, nommée par l’élite « redistribution des cartes politiques au Maghreb », sera de continuer à aller chercher du boulot en Europe capitaliste !
Les élections tunisiennes sont conformes à l’idéologie dite occidentale de « l’alternance ». Le « dix ans çà suffit » de la gauche récupératrice en 68 trouve là son écho : le changement dans la continuité de l’aliénation des masses de prolétaires. Le suc de la démocratie bourgeoise, si séduisant pour l’électeur matraqué est bien cette théorie de l’alternance qui fait mine de raser gratis demain. Pourquoi, autrement tant d’électeurs pauvres, exploités et terrorisés par ces dictatures auraient-ils été sacrifier leurs espoirs de dignité sociale au rite démocratique bourgeois machiavélique ? La gauche mitterrandienne n’a-t-elle pas triomphé en prétendant mettre fin au régime de la droite mais pas de la bourgeoisie ? Depuis des décennies chasser les occupants du pouvoir n’est-il pas le seul rêve promis aux votants plus pour les remplacer par d’autres arrivistes que pour apporter bonheur et prospérité au peuple et au prolétariat ? La gauche remplace la droite, puis la droite remplace la gauche et le manège n’en finit pas de tourner. Pour la stabilité et pérennité de la classe dominante.
Plus diabolique, disons schizophrénique, lorsqu’un clan bourgeois emporte l’élection, surgit le syndrome de Stockolm : c’est la faute aux électeurs qui n’ont pas assez voté pour le candidat sauveur suprême. Les ouvriers sont cons, disait celui-là en mai 68, ils ont encore en partie voté gaulliste, disait celui-là en juin 68. Les arabes ne sont décidément pas faits pour la démocratie, dit cet autre en octobre 2011 car il y a « incompatibilité entre l’islam et les libertés » et qu’il ne faut « surtout pas désarmer face au fascisme vert ». La faute en revient non simplement aux électeurs (une partie illettrée des campagnes catéchisées…) ni aux électeurs tunisiens de France (ces salauds égoïstes dont 119 468 se sont prononcés, en majorité pour Ennahda, alors qu’ils sont 500 000, 4 enfants par famille non inclus) mais à ces imbéciles de « laïcs divisés ». On est renvoyé à l’absence d’unité de la social démocratie et du PC stalinien face à Hitler… Naïfs « progressistes » donc qui se sont laissé avoir par des islamistes soft qui se sont bien gardés de se présenter comme des imprécateurs du port du voile et de l’action terroriste djihadiste !Depuis des décennies les démocrates bobos de la démocratie capitaliste n’alertaient-ils pas sur un risque de la défaite de la « raison laïque » et une pérennité de « l’obscurantisme » ? (discours des éditorialistes de Libération et du Nouvel Obs). Les mêmes commentateurs éclairés nuancent cependant la dramatisation orchestrée, comme Bernard Guetta: « Non seulement ces élections ont été parfaitement régulières, non seulement la Tunisie a su les organiser, en neuf mois, alors que rien ne l’y avait jamais préparée, mais les islamistes ont dû admettre qu’ils ne pourraient pas s’y présenter en imprécateurs, prêchant le voile et le jihad. Les islamistes tunisiens ont répudié la violence, troqué les bombes contre le bulletin de vote, présenté des femmes en cheveux qu’ils auraient, hier, dénoncées comme des créatures du diable et vouées au bûcher, et il ne faudrait pas s’en féliciter ? (…) Si les islamistes tunisiens ont pris ce tournant (soft), c’est que la théocratie ne fait plus envie à personne dans le monde arabe depuis qu’on a vu ses effets en Iran, que le jihadisme avait atteint un tel degré de folie sanguinaire qu’il a détourné de lui jusqu’à ses plus proches sympathisants et totalement échoué, que les succès électoraux que se sont assurés les islamistes turcs en acceptant la démocratie ont été médités par l’islamisme arabe et que ce tournant s’est imposé car le temps, en un mot, a fait son œuvre. Les points qu’ont ainsi marqués, dimanche, les islamistes tunisiens pourraient bien accélérer l’évolution de tout l’islamisme arabe, mais est-ce à dire qu’Ennahda est devenu le plus aimable des partis ? C’est tout le contraire. Drapé dans le Coran comme d’autres l’étaient dans l’onction ecclésiale, Ennahda incarne une droite réactionnaire, très semblable aux droites religieuses de l’Europe d’avant-guerre ou de l’Amérique d’aujourd’hui et propre à attirer, comme il l’a fait, les couches les plus traditionalistes de la société, petits commerçants et petits fonctionnaires en quête d’ordre, de repères et d’identité. C’est tout sauf une droite éclairée, mais ce n’est ni la lapidation des femmes adultères ni la guerre sainte contre l’Occident. Ce n’est que la première droite d’une démocratie naissante, une droite d’autant plus inquiétante qu’elle croit avoir le monopole de la morale, mais une droite beaucoup plus composite qu’il n’y paraît et dont l’évolution n’est pas achevée. Cette droite n’est pas plus à ostraciser qu’à diaboliser. Elle est à prendre aux mots de sa conversion démocratique, à contester et combattre par la politique devant une société dont la moitié n’avait pas voulu la porter au pouvoir ».
Ce journaliste tape dans le mille.
LA CRISE ECONOMIQUE ANNONCE UNE LUTTE DES CLASSES FEROCE
Au temps de la Réforme, la révolte des gueux se fichait au fond du dieu imaginaire, mais les chefs bourgeois de cette révolte surent relayer le système dominant et faire oublier l’insurrection contre l’oppression et la misère. Avec la récession actuelle les prêches des curés, des imams et des députés n’ont aucune crédibilité au moyen terme.
La religion musulmane prétend répondre à tout (sauf à la maladie mentale), prétend englober tous les aspects de la vie en société (comme l’idéologie bourgeoise). Le devoir du croyant est de se soumettre à un dieu inexistant...et d'essayer d'y soumettre les autres. En France et ailleurs, les fanatiques musulmans prétendent régir la morale comme monseigneur Dupanloup. La loi qu’on leur a inculquée dès l’enfance familiale est dure à vivre et paraît plus supportable quand ils demandent à leurs coreligionnaires et à leurs voisins de s'y conformer. Rien qui énerve plus que celui, celle qui enfreint la règle! C'est humain, c'est pour relâcher la pression! Cette pression est-elle différente du discours électoral de la gauche bobard, de la droite caviar et du syndicaliste de votre entreprise ? Non, elle est en tout points semblable. La politique islamiste est donc totalement soluble dans le mode de domination de la bourgeoisie mondiale. Une chose impondérable est commune aux dites démocraties et aux dictatures : il faut laisser le pouvoir à la bourgeoisie laïque, islamiste, catholique et romaine. Que les bourgeois s’incrustent au pouvoir en Iran avec les injustices voilées, avec le terrorisme d’Etat de Poutine, avec le découpage électoral de Sarkozy, avec un gentil président noir américain, malgré les scandales sexuels de Berlusconi, seul compte l’accommodement démocratique
L’apparition « indignée », quoique orchestrée dans les supermarchés et la télé, des couches moyennes petites bourges désireuses de s'émanciper des corbeaux noirs de l'intégrisme, ne vous en déplaise, manifeste aussi une usure de la "tradition locale" que est défendue par les médias totalitaires et censeurs au nom de la ... tolérance bourgeoise, tolère tout l’existant conservateur des inégalités sociales et même le pire si besoin est.
Trois leçons marxistes se dégagent en fin de compte des ces élections « libres » tunisiennes :
1. Les élections ne changent rien à la domination du capitalisme ;
2. Faire lanterner les masses prolétariennes face à l’enfoncement dans la crise du système capitaliste et les conforter dans l’impuissance de leurs rêves, une réelle révolution planétaire face à la gabegie et au cynisme du capitalisme ;
3. Faire croire à une solution nationale à la misère, au chômage et à l’oppression sociale et politique.
Une quatrième leçon apparaît inévitablement : l’intégrisme étatique et mystique ne marche plus. Des millions et des millions en ont marre des promesses prosaïques sur terre et au-delà. C’est pourquoi ma référence à mai 68 est judicieuse. Mai 68 fut « bon enfant », une poignée de morts et de blessés. Aujourd’hui nos frères de classe dans les pays arabes ont été massacrés (et cela ne cesse pas) par milliers sur l’autel de la pérennité capitaliste. L’intolérable fait vomir face à la cuistrerie étatique des gouvernants. Les éclairs de la fin des années 1960 nous illuminent encore heureusement. Dès le début la crise capitaliste dans ses limbes, qui a généré mai 68 en France avec le rôle inquiétant et passionnant d’une colère ouvrière tempérée, suivie d’une lutte de classe féroce et déviée sur le terrorisme impuissant en Italie et en Allemagne, revient dans nos mémoires. Il n’est plus possible de tolérer les accommodements du capitalisme décadent. Seule solution qui se profile magnifiquement à l’horizon : la révolution « communiste », flambant neuve.
Citons pour en finir le plus grand visionnaire de la fin du XXème siècle, premier dénonciateur du stalinisme, mort seul et dans l’oubli, Amadeo Bordiga
« La critique marxiste s’est dirigée contre les effets délétères de ce type de contacts et de contagion entre les forces politiques de la classe bourgeoise et le mouvement des partis ouvriers, démontrant comment ces contacts conduisaient directement à l’égarement de toute orientation de classe. Tout ce rideau de fumée idéologique sur une prétendue guerre entre des forces bourgeoises modernes, progressives, intelligentes et un obscurantisme ecclésiastique, tout ce tintamarre entendu au cours de démonstrations multicolores ponctuées de drapeaux tricolores et de drapeaux rouges, balbutiant un extrémisme de fête foraine, avec ses vagues de sifflements et de huées pour conspuer un quelconque prêtre passant par là, tout ceci fut dénoncé comme un expédient dilatoire, destiné à retarder la formation d’organisations de classe des travailleurs qui menaceraient directement les intérêts patronaux du bourgeois et voudraient supprimer l’exploitation capitaliste en abattant le pouvoir qui les défend, sans appliquer un traitement différent au donneur de travail ou au fonctionnaire de police qui, d’aventure, pourraient prouver être ennemi du pape et ne pas croire en Dieu. (…) Nous sommes donc revenus après tant d’événements à la lutte contre l’obscurantisme. Les partis d’étiquette communiste et socialiste, administrés dans un pur esprit de fonctionnaires, se sentent désormais tenus de participer à un tel capharnaüm. Appelés à lutter contre l’Hitlérisme et le fascisme, trouvant commode d’utiliser l’allié démocrate-chrétien, ils se moquèrent alors des préjugés anti-religieux et anti-prêtres; ils ont organisé le travail révolutionnaire dans les couvents, autorisé les adhérents à assister à la messe, à recevoir l’eucharistie et l’huile bénie. Ils ont ratifié les concordats avec le Vatican, non seulement pour faire plaisir à leurs alliés sociaux-chrétiens, mais ils les ont respectés au pied de la lettre comme l’avaient stipulé en leur temps les fascistes abhorrés. (…) Ne pouvant mobiliser les vivants, on mobilise les morts illustres. Les éditeurs du parti et ceux plus ou moins alignés réimpriment Voltaire. Les chefs staliniens préfacent le «Traité sur la tolérance»! La voie du recul est une voie sans fin. Nous sommes partis d’un vague réformisme de la société bourgeoise, nous sommes arrivés à une défense de la révolution bourgeoise et carrément à sa répétition historique, on rejoue à la destruction glorieuse du féodalisme. Un pas en avant, deux pas en arrière. On fait aujourd’hui l’apologie du réformisme de la société féodale, qui permettait des cultes différents du catholicisme. (…) Ce n’est pas la tolérance qui fait cheminer le monde. Elle soumet et attache les classes opprimées et soumises au conformisme des privilégiés. L’histoire s’ébranle quand le troupeau humain s’écarte des illusions de la tolérance. Peu d’hommes sont des loups pour l’homme, trop sont des moutons. Les dominations de classe vacillent lorsque, dans le processus des formes organisées de la production, de violentes incompatibilités avec les engrenages traditionnels poussent l’avant-garde d’une classe jusqu’alors à genoux à se débarrasser de l’hypocrisie de la tolérance, pour emprunter la grande et intolérante voie de la Révolution ». (Anticléricalisme et socialisme, 1949)“