PAGES PROLETARIENNES

samedi 6 mars 2010

LA GRECE BOUC-EMISSAIRE DE LA NOUVELLE SECOUSSE

DE LA CRISE SYSTEMIQUE

Depuis le déclenchement de la crise grecque fin novembre 2009, les bobards ont succédé aux bobards : les Grecs sont des tricheurs, les Grecs vivent au-dessus de leurs moyens, z’avez qu’à pas organiser les jeux olympiques de 2004, prestigieux mais inutiles en termes de retombées économiques d’avenir. « Cigale » ridicule ce gouvernement athénien qui a dû, courant janvier, emprunter sur les marchés à un taux supérieur à celui du Vietnam !

La docte bourgeoisie allemande a pris des airs princiers en ce début d’année face à l’affolement de la bourgeoisie grecque « socialiste »: on ne crachera pas un euro pour les Grecs dépensiers ! Allez on leur achètera à la rigueur quelques îles à touristes[1]. Madame Lagarde, ministre du gouvernement Sarkozy, a soufflé également le chaud et le froid, morigénant puis compatissant. Derrière tous ces racontars et chantages pointe la vérité de l’économie : la monnaie unique européenne a chuté de 10% par rapport au dollar. Ce qui n’a pas choqué l’ambigu FMI qui a estimé que cette dégringolade ramenait l’euro à « sa valeur fondamentale », dollar et yuan chinois restant trop sous-évalué…

R’VLA LA GUERRE ECONOMIQUE EUROPE/USA

Or la dépréciation de l’euro vis-à-vis du dollar, amplifiée depuis début 2010, faisait figure d’aubaine, favorable à la croissance de la zone euro ; une baisse de 10% entraîne à terme un surplus de 0,3 point du PIB, mieux, si l’euro « tombait » à 1,17 dollar cela égaliserait le pouvoir d’achat des « consommateurs » des deux côtés de l’Atlantique. Les oligarques européens on en plus le droit de rêver, une dépréciation de 20% de l’euro par rapport au dollar permettrait une opération plus intéressante : l’égalisation des coûts de main d’œuvre (les journalistes disent main d’œuvre qui fait plus chic que prolétariat) entre Europe et Amérique (du nord). Il fallait être naïf pour croire que l’arrogant empire US n’allait pas réagir.

angela Merckel a levé le lapin indirectement, diplomatie oblige, non pour désigner le coupable en sous-main, le gouvernement américain, mais la plus puissante et scandaleuse banque du monde Goldman Sachs ; et les journalistes de Libé au Figaro d’amplifier le mensonge de la méchante banque avec des jeux de mots simplets : « Goldman prise la main dans le Sachs », « Ainsi fonds, fonds les requins de la spéculation »… qui ravissent les gauchistes Michael Moore, Besancenot et Coupat. Merckel, relayée par la ministre française Lagarde dénonçait fin février « certaines banques qui ont pu aider à maquiller le déficit budgétaire de la Grèce ». Subtil !

Certes le déficit de la Grèce est abyssal, près de 120%, et alors ? Celui du Japon est bien de 200% ! Mais double humiliation pour la bourgeoisie grecque, si, en effet, Goldman Sachs est venu soit disant à la rescousse à Athènes… Les encravattés débarquent avec une autre intention comme l’explique l’ex-secrétaire au trésor de Bush : « Goldman ne s’intéresse pas au marché de la dette des grands pays comme la France ou l’Allemagne, il préfère celle des petits, comme la Grèce ou le Portugal, car elle est plus volatile et donc plus spéculative. C’est beaucoup plus facile de faire de l’argent vite ». En 2004 Goldman Sachs avait déjà roulé la bourgeoisie grecque en empochant 300 millions rien que pour la consultation… Toute l’Europe oligarchique était au courant depuis des années des magouilles avec les banques. Face au scénario catastrophe fin 2009 la bourgeoisie grecque fait appel une nouvelle fois aux banques, GS en tête. Le premier ministre grec, Papandréou se fait baiser une seconde fois avec un emprunt non pas à 3% mais à 6% ! Alléchant tous les banquiers du monde mais couac de la Chine qui refuse d’acheter les 25 milliards d’euros (véreux) de l’emprunt grec, apportés par… Goldman Sachs, comme le révèle le Financial Times[2]. Mieux encore, cet organe de presse a été manipulé par GS pour que çà se sache. Gorges chaudes des spécialistes : 25 milliards de dettes cela est invendable d’un coup ! L’opération passe donc au stade de la déstabilisation politique de l’Europe, car c’est bien l’Europe qui est visée par cette spéculation carnavalesque sur la Grèce en faillite. La spéculation massive de GS, aux ordres du gouvernement US, est claire dès fin janvier par les ventes massives d’euros contre des dollars. Cette spéculation est relayée par une série de sous-fifres des gouvernements américain et anglais qui vont clamant partout que les partenaires européens ne doivent pas voler au secours de la Grèce ; ces sous-fifres sont rétribués pour leurs articles par Goldman Sachs !

C’est en même temps une gifle pour le gouvernement français. Il apparaît clairement aux plus lucides que Sarkozy s’est fait baiser lui aussi par sa politique pro-USA en entrant dans l’OTAN, en étant obligé de contribuer à leur effort impérialiste – croyant sans doute être un bon VRP de l’industrie aéronautique. Le président français a dû tourner casque, tout en restant le cul sur deux chaises, en faisant les yeux doux à Medvedev (soudain présenté comme un rival de la morue décongelée Poutine) et en étant obligé de fait de réarmer la Russie[3]. Du sein du gouvernement français la vérité transpire du faux-pas sarkozien même si l’attaque US reste opaque : les anglo-saxons sont « ravis » de ce qui arrive : « après l’effondrement du modèle libéral américain, les problèmes de la zone euro sont une divine surprise »[4]. Ces mêmes économistes tentent de faire croire qu’il n’y a pas complot car en matière économique au XXe siècle tout fonctionnerait encore sous la main invisible du marché…

LA GESTION POLITICO-MILITAIRE DE LA CRISE SYSTEMIQUE

Or la gestion de la crise économique systémique devient de plus en plus de l’ordre du politique puisque les lois de l’économie du profit sont mises à mal par la désindustrialisation des vieux pays capitalistes et une concurrence acharnée pour écraser toujours plus le prolétariat. Les politiques bourgeois accusent les banques qui dépendent de leur crédibilité idéologique. Les banques se plaignent auprès des politiques bourgeois de ne pas être félicitées pour leurs magouilles et leur aggravation des inégalités de faveur. Le yo yo boursier dépend de plus en plus des déclarations politiques, ce qui révèle un monde non plus fondé sur la loi du marché et de la valeur mais sur l’esbroufe et l’agiotage, signes de défragmentation de la société propice aux révolutions, pas aux simples manifs syndicalistes minables.

La vertu des reconnaissances historiques est convoquée à la barre quand il s’agit de rappeler à l’ordre un vassal. La Turquie, vieux cheval de Troie US, sponsorisé par la bourgeoisie américaine pour entrer dans l’Europe se voit tancer au même moment que la crise grecque. Pour certains, la reconnaissance du génocide turc en Arménie par la Commission des affaires étrangères américaine (à majorité républicaine) a mis une épine dans le pied d’Obama. Elle serait l’expression des lobbys pétroliers US dont est membre la famille Bush comme sanction au rapprochement de la Turquie avec les monarchies pétrolifères. Possible, mais l’explication la plus vraisemblable est qu’il s’agit d’une opération pour faire un clin d’œil amical à la Grèce, traditionnelle ennemie du voisin turc, et ainsi de lui rappeler qu’en cas de danger, les Etats-Unis sont une puissance autrement crédible que la noria molle des Etats européens.

L’enjeu de la production industrielle est de plus en plus lui aussi politico-militaire. Si la bourgeoisie française veut rester compétitive, elle ne peut plus compter sur le secteur automobile qui n’est plus producteur d’emploi, elle doit développer le secteur où elle est en pole position au niveau mondial : l’industrie aéronautique, laquelle exige des compétences élevées et dispose d’acheteurs alléchés en Chine, Russie, etc. Mais la crise est trop immédiate et ralentit tous les projets, y compris pharaoniques ; c’est pourquoi Guaino, le principal conseiller de Sarkozy a modéré officiellement l’objectif de hausse de 25% de la production industrielle française en vue de 2015, reprécisant aux ordres de son chef que cela était indicatif, comme la promesse présidentielle d’empêcher les fermetures d’entreprises qui tombent en cascades. La politique de la bourgeoisie française et de son principal délégué est donc « purement indicative ».

L'indicatif est essentiellement le mode du réel capitaliste. Il s'emploie dans les phrases énonciatives, les phrases interrogatives et les phrases exclamatives. C'est le mode le plus riche en temps (le plus pauvre, le gérondif écologiste n'a qu'un seul temps : En marchant. En rêvant), l'indicatif gouvernemental en a huit : quatre simples et quatre composés :

- le présent capitaliste : déplorable ;
- l' imparfait des promesses politiques : hélas !
- le passé simple : toujours pire ;
- le futur simple : on ne sait jamais ;
- le passé composé : le lourd bilan de la droite
- le plus-que-parfait : la droite au pouvoir la prochaine fois ;
- le passé antérieur : le lourd bilan de la gauche
- le futur antérieur : « Dans deux ans je remettrai çà » (N.Sar.)

LA CLASSE OUVRIERE EXISTE-T-ELLE EN GRECE ?

Au début de l’annonce de la catastrophe grecque, la bourgeoisie allemande a cru bon de morigéner sévèrement la bourgeoisie grecque, conçue comme la Grèce entière. Panandréou a encaissé d’abord. Puis le chef du gouvernement grec s'est insurgé contre l'image renvoyée par la presse allemande, qui suggère que les Grecs attendent une aide financière de l'Allemagne. Le quotidien le plus lu d'Allemagne Bild s’était lancé dans une campagne « contre le gaspillage et la corruption en Grèce ». Réaction vive du bouc-émissaire : « Nous n'avons pas demandé au contribuable allemand (...) de nous payer nos vacances et nos retraites, affirmer cela est injuste ». Papandréou avait ajouté : « Et les Grecs n'ont pas la corruption dans les gènes, tout comme les Allemands n'ont pas le nazisme dans les leurs ». Puis, au vu des gorges chaudes des spéculateurs du gouvernement américain, Merckel a mis le hola aux diatribes journalistiques. Les leaders de la bourgeoisie européenne ne s’étaient pas rendus compte du jeu subtil de la bourgeoisie américaine initialement. Ce n’est pas que la mise à l’écart de la Grèce serait une grosse perte[5], mais cela constituerait un camouflet à sa prétendue homogénéité croissante. Même le chouchou fanatique européen des médias Cohn-Bendit en a eu le sifflet coupé et on ne l’entend plus !

Il ne faut jamais oublier une leçon historique du marxisme, dans la crise, même la pire des crises (celle en train de se développer irrésistiblement) la bourgeoisie s’efforce de resserrer les rangs par alliances en son sein ou si le prolétariat universel la menace. Le prolétariat en Grèce n’est malheureusement pas très internationaliste. Le Grec moyen reste très chauvin, non pas tant en lien avec un passé antique prodigieux qu’il ne connaît pas vraiment, que parce que c’est resté un pays de ploucs qui a vécu à l’ombre de la reconstruction et des ressources parasitaires du tourisme. La population de 10 millions d’habitants est surtout concentrée à Athènes et Salonique. Le Grec, dit-on, où qu’il atterrisse dans le monde reste chanteur ou petit commerçant et méprise en particulier les arabes. Le cliché est relatif car il faut bien prendre en compte que l’immigration grecque des années de reconstruction fonctionnait comme toutes les immigrations prolétariennes. L’ouvrier grec chez Renault accumulait un petit pécule pour ouvrir boutique, comme le cévenol au début du siècle dernier, puis l’italien, puis le maghrébin. La partie du prolétariat non autochtone, immigrée donc, qui ne peut bénéficier de la promotion sociale fonctionnariale, s’est donc toujours plus ou moins rabattue vers l’accession à la petite bourgeoisie marchande. Avec l’enfoncement dans la crise, le prolétaire immigré est plus violemment rejeté vers le chômage et l’expatriation se ralentit. Les conditions particulières de la Grèce depuis deux décennies, faible population et ressources du tourisme alliées aux trafics gouvernementaux qui explosent à présent, avaient favorisé l’expansion d’une couche moyenne et la corruption d’une bonne partie des salariés grecs. En vue de la construction du barnum des jeux olympiques de 2004, la bourgeoisie grecque n’avait nullement saisi l’occasion pour développer des « emplois jeunes » (comme dirait Sarkozy) mais pour faire venir d’un peu partout des « sans-papiers » pour se taper le sale boulot au prix des cailloux grecs. Résultat, la classe ouvrière manuelle est à l’heure actuelle composée de 3 millions de prolétaires immigrés qui vont devoir pointer au chômage, qui sont considérés avec mépris par leurs anciens employeurs dont l’argument choc est : ce ne sont que des types en transit qui n’ont voulu que faire escale en Grèce pour ensuite remonter au nord de l’Europe… faire fortune, et qui se fiche de faire la révolution en Grèce comme à Tombouctou.

Les bourgeoisie dominantes accusent en même temps les « cigales de l’Europe » Grèce, Portugal et Espagne de favoriser des « dépenses sociales trop importantes » ! C’est vrai en soi, non par malignité nationale bourgeoise complice de « ses » travailleurs, mais parce qu’il n’y a pas assez de personnes qui travaillent, parce que les jeunes et les femmes sont rejetés de la production. Or cette situation est la même en France comme en Grande Bretagne ! Quand l’activité économique est faible, il n’y a pas assez d’impôts pour financer les dépenses publiques[6].

La « riposte » des représentants syndicaux des couches moyennes grecques vérifie l’impuissance d’une classe ouvrière ghettoïsée. La gentille grève générale, en Grèce, comme au Portugal la veille, ne signifie pas que les syndicats canailles prendraient les devants pour parer à une explosion de révolte du prolétariat. Cette « riposte » n’est qu’un complément des amis syndicaux du gouvernement pour faire pitié auprès des huissiers européens. Les couches moyennes salariées, si méprisantes et si hautaines vis-à-vis des « transitaires » qui ont servi à bâtir les stades olympiques (et qui feraient mieux de retourner chez eux) vont de toute façon passer à la casserole : 30% de diminution du 13ème mois et 60% du 14ème des fonctionnaires. Tant mieux, cela les aidera peut-être à réfléchir à l’union du prolétariat hors du petit patriotisme économique de circonstance et du mépris pour le travail manuel. En tout cas, la potion de cheval que constituent les plans d’austérité un peu partout, ne résout plus la situation comme du temps de la dame de fer ; les plans d’austérité entraînent un ralentissement économique, les suppressions d’emplois massives dans le secteur privé, tirent vers le bas les rémunérations dans les entreprises, décuplent le chômage et… les très inquiétants « fins de droit » !

Les solutions les plus improbables et les plus comiques sont évoquées par des experts ; la Grèce devrait développer par exemple la profession d’architecte… mais qui fera le maçon ? Tous les pays largués ne peuvent même plus dévaluer leur monnaie avant une faillite inéluctable… Chacun pour soi ! Malgré la modération des reproches allemands aux cigales grecs, la bourgeoisie teutonne va continuer à baisser les salaires pour renforcer sa compétitivité, même si cela fait couler encore plus vite ces pauvres grecs et portugais…

Les éditorialistes en viennent enfin à se demander combien de temps la « pâte humaine » acceptera de se serrer la ceinture jusqu’à l’os ? ou jusqu’à des « manifestations violentes assurées »[7].

COMMENT PEUT-ON ETRE SYNDICALISTE ET « COMMUNISTE » (communiste en peau de vache stalinienne) ?

La grève générale sur commande du 5 mars a enflammé tous nos bobos gauchistes européens, alter-mondialistes et anarco-terroristes en carton. Les manifestants néo-staliniens, réunis devant le Parlement à l'appel du Front de lutte syndical (PAME), émanation de l'ultra-orthodoxe parti communiste (KKE) portaient des banderoles appelant à faire "la guerre à la guerre des capitalistes" et dénonçant les "mesures antipopulaires du gouvernement". Pas de quoi fouetter un ministre du chômage. Ces couches moyennes qui vivotaient tranquillement à l’ombre du capitalisme financier se soucient soudain non du chômage en général mais de LEUR chômage qui les attend au coin de la crise : banderolles « Travail pour les chômeurs » et banderoles fiers-à-bras type anarchiste affirmant « Vous voulez la guerre, vous l'aurez! ». La gauche bobo néo-stalinienne prend les devants. On se pâma le jeudi matin environ trois cents manifestants « communistes » du PAME avaient occupé le ministère des Finances à Athènes pour protester contre les mesures d'austérité. Les syndicalistes « communistes » avaient réussi à entrer dans le ministère et étaient montés sur le toit du bâtiment où ils avaient déployé une banderole, portant les mots "Soulevez-vous pour que les mesures ne s'appliquent pas". Soulevez-vous pour quoi ? Pour une insurrection de lycéens admirateurs du plouc Coupat ? Pour une solution grecque à la crise mondiale ?

« Sous la pression » (sic) de la Commission européenne et des marchés, le gouvernement socialiste a regretté mercredi être obligé de prendre un paquet de mesures d'austérité extraordinaires, dont la hausse de la TVA de deux points et des coupes salariales, afin d'économiser 4,8 milliards d'euros et faire face au grave dérapage des finances publiques du pays[8]. On se pâme !

Une autre info grecque a fait se pâmer aussi tous nos anarchistes et gauchistes syndicaux de base : le chef d'un des principaux syndicats aurait été blessé par de « jeunes manifestants » dans les bagarres de rue. Le chef de la Confédération générale des travailleurs grecs GSEE, Yannis Panagopoulos, a été légèrement blessé à coup de poings, lors d'un discours devant le Parlement, par un groupe de « jeunes manifestants » (il n’était pas précisé que c’étaient de jeunes staliniens). Nos ultra-gauches anarchistes et quelques maximalistes radoteurs y verront un début d’insurrection contre ces salopards de bonzes syndicaux et un exemple à suivre. Or, l’agression des chefs syndicalistes n’est pas nouvelle et ne pisse pas loin. Nicole Notat, la bonze CFDT fût giflée naguère lors d’une manif. Quant aux autres bigs chefs, impossible de les approcher. Du temps du PCF triomphant les gros bras CGT étaient nombreux pour protéger le leader. Depuis que même les gros bras sont dégoûtés du syndicat, Thibault (bonze n°1 CGT en France) est entouré d’une cinquantaine de gros bras policiers, directement affectés par Sarkozy soi-même. Mais quel intérêt de taper sur un chef syndical quand en même temps vous n’êtes pas foutu de contrôler les AG manipulées par les « syndicalistes de base » ?

Aucune radicalisation sociale ni révolutionnaire ne proviendra de la Grèce. La seule nouveauté grecque est le fait que les couches moyennes vont plonger dans le prolétariat, lentement mais sûrement, sans prendre conscience au début de l’implication de ce fait, sans se penser comme prolétaires ni comme alternative au capitalisme financier. Par contre, indépendamment de la Grèce, la défragmentation du capitalisme, la disparition ou la fossilisation des activités industrielles classiques (automobile, pétrole) va régénérer en quelque sorte la classe ouvrière, mondialement. Nous n’aurons plus affaire à cette classe ouvrière encasernée dans diverses entreprises, limitée dans son champ de vision à la sauvegarde de l’entreprise ou de SON emploi. Nous n’aurons plus affaire à une classe ouvrière divisée en strates « privilégiées », « exposées », « démunies », « musulmaniaques ».

Les « fins de droit » vont montrer la voie. Quand tu as faim et que tu es à la rue tu te donnes les moyens pour trouver les armes. Ils vont être de plus en plus nombreux et impossibles à tenir isolés les « jetés à la rue », les otages et victimes des salauds des « pôles emploi » et autres bonimenteurs de stages dortoirs. La classe ouvrière qui va se lever, cette « pâte humaine » comme ont dit les cyniques ci-dessus, va retrouver sa vraie nature de classe universelle, par-delà les frontières et les « boites », par-delà les races, par-delà intérêts des diverses bourgeoisies, par-delà les divisions entretenues par syndicats et partis officiels.

Ce prolétariat qui se relèvera des cendres imaginaires des dominants s’unifiera sur des bases régionales puis territoriales en donnant naissance à des organismes de type conseils ouvriers. Il aura besoin de l’arme indispensable pour vaincre et dépasser l’isolement politique dans lequel on le tient depuis si longtemps : le parti mondial du prolétariat.

Au travail ! militants révolutionnaires isolés et dispersés, sans parti, sans secte, sans peur et sans reproche ! Et, n’oubliez pas, surtout sans ressentiments personnels.



[1] En 1993 des députés de la bourgeoisie allemande avaient déjà énervé les espagnols en leur proposant de racheter l’île de Majorque, comme cela était la pratique au temps de la noblesse décadente.

[2] C’est le Wall Street journal qui avait allumé la mèche en fait début février : « Le quotidien a raconté un dîner discret entre « gourous de la finance » le 8 février, au cours duquel les plus importants hedge funds américains auraient décidé de spéculer de concert contre l’euro. Ils étaient 18 associés autour de la table (…) l’euro tomberait « probablement » d’un dollar… les hedge funds auraient ainsi engendré plus de trois milliards de dollars de bénéfices, sur le dos de l’euro ». Les spéculateurs ont-ils alimenté la crise grecque? Oui, à en croire le prix Nobel d'économie Joseph Stiglitz, embauché par Athènes comme conseiller. Comme toujours les comptes-rendus journalistiques des économistes montrent du doigt simplement les banques et font semblant d’ignorer que le capitalisme financier n’est pas indépendant du contrôle de l’Etat et de plus en plus « sous contrôle politique de « l’Administration », ce doux euphémisme made in USA ! En France, jamais un président de la République n’avait autant convoqué à table les banquiers pour « faire le point » régulièrement que sous Sarkozy !

[3] La vente de 4 frégates n’est pas rien, puisque comme l’a remarqué un plénipotentiaire russe, avec une seule frégate militaire française, l’invasion de la Géorgie n’aurait pas pris 3 jours mais une journée !

[4] Libé du 20 fev : : « Goldman, prise la main dans le Sachs ».

[5] La Grèce n’est pas un pays productif, et les aides européennes n’ont pas eu le charitable but proclamé de contribuer à son développement, mais en finançant des autoroutes qui sont parvenues jusqu’aux villages les plus éculées, d’accélérer la marchandisation des produits agricoles du nord de l’Europe en Grèce, mais pas dans le sens du retour vers le nord des mêmes produits grecs…

[6] On baigne dans le mensonge universel sur l’affectation des dépenses publiques et des trucages non livrés à l’opinion. Pays de faible fécondité, Espagne et Italie consacrent 60% de leurs dépenses sociales pour les retraites contre 45% en France pays qui bénéficie de la jeunesse de son immigration. Cependant le gouvernement français de droite triche lui aussi sur les retraites. Alors qu’il a tranquillement annoncé la fin de la retraite à 60 ans, il négocie en catimini comme un vulgaire Jospin, en ce moment, des départs en préretraite à Air France ; c’était piocher encore dans les dépenses publiques ou obliger le patronat d’Air France a lâcher de grosses indemnités ! Par peur de l’insurrection généralisée du prolétariat, tôt ou tard?

[7] Cf. Le Monde du 6 mars.

[8] Ces mesures "sont une question de survie nationale", "nous appliquerons ce plan avec le soutien de toute la société grecque", a assuré lors des débats le ministre des Finances, Georges Papaconstantinou.

mercredi 3 mars 2010



Congratulations



Je ne vais pas me mettre à étaler mes divers courriers, ni transformer ce blog en boite à lettres sinon M.Chirik sortira de sa tombe et me traitera de « simoniste ». Les deux courriers ci-dessous manifestent un attachement qui est mien à l’histoire vivante et à la transmission par les livres à nos suivants, en en référant aux deux derniers messages-blogs, c’est pourquoi j’ai choisi de les rendre publics.



♫Du toulousain Hyarion :



« Bernard Giovanangeli Editeur avait publié, il y a quelques années, les actes d'un colloque intitulé "Pourquoi réhabiliter le Second Empire ?, ouvrage assez confidentiel dans lequel j'avais lu des mises aux points intéressantes sur cette période systématiquement caricaturée à la sauce républicaniste anti-fasciste gnan-gnan de tous ces imbéciles qui, se disant "bons républicains" ou se posant en rebelles "progressistes" ne peuvent pas s'empêcher de juger le XIXe siècle avec un regard du XXe ou du XXIe (non, bande de crétins, Napoléon III n'était pas Hitler, et Victor Hugo n'était pas un saint !)... Je crois aussi savoir que c'est aussi chez cet éditeur qu'à été publié, ces dernières années, un autre ouvrage de Jean-François Lecaillon, intitulé "Les Français et la guerre de 1870" et construit, si je me souviens bien, sur le même principe de mise en avant des témoignages de l'époque que ce nouveau livre consacrée à la Commune de Paris dont tu parles.


Tu évoques, cher Jean-Louis, les "appréciations erronées ou des inventions de Marx sur le déroulement réel de la Commune". A juste titre. Mais tu pourrais ajouter aux évènements de la Commune ceux qui ont précédés, pendant la guerre franco-prussienne de 1870-1871. La première fois que j'ai commencé à lire "La guerre civile en France", il y a déjà longtemps maintenant, j'ai constaté, tout néophyte que j'étais à bien des égards, que l'erreur pointait le bout de son nez, chez Marx, dès la première phrase, lorsqu'il évoque le fait que la république (que l'on appellera plus tard IIIe) avait été proclamée en septembre 1870 en étant saluée unanimement partout en France. C'est complètement faux : le plupart des Français, qui avaient voté massivement en faveur de Napoléon III lors du plébiscite de mai 1870 (avec un sincère sentiment d'adhésion au régime du Second Empire, sauf dans les grandes villes), ont accueilli la proclamation de la république dans une totale indifférence, dans le meilleur des cas, comme en témoignent les derniers rapports des préfets de l'Empire, lesquels, vu le contexte de l'époque, n'avaient guère de raisons de ne pas dire la vérité. Je n'incrimine pas Marx en tant qu'acteur politique contemporain d'évènements dont il n'a pas été le témoin direct, mais je m'étonne qu'un écrit comme "La guerre civile en France" puisse être considéré comme une sorte de livre d'histoire immédiate vu la façon dont il peut être présenté aux lecteurs d'aujourd'hui par certains éditeurs...


Je ne vois pas bien, comme toujours, ce que tu veux dire en parlant, plus haut, de "vérité de classe prolétarienne". Si tu devais sous-entendre que cette "vérité de classe prolétarienne" est la seule Vérité qui vaille, je te répondrais que la Vérité n'existe pas (quant au prolétariat, dont tu dis souvent qu'il se "fout des élections", je ne sais toujours où se trouve ce bloc uniforme d'exploités agissant comme un seul homme dont tu semble parler, mais c'est déjà une vieille histoire entre nous, et je ne sais pas si tu me répondras un jour, mais ce n'est pas grave). Cela dit, plus loin, je constate heureusement que pour toi le marxisme "n’est pas à considérer comme le seul sas étanche dans la décomposition des valeurs universelles du genre humain", et même si je le savais déjà, ça fait toujours plaisir de lire ce genre de choses sur ce blog... »

Amicalement,

Hyarion.



P.S.: j'ai lu dernièrement, dans le "Marianne" de cette semaine, des choses assez dégoûtantes. Il faut bien que ce magazine que j'achète depuis plus de dix ans, sans jamais avoir été abonné, et malgré le fait qu'il ait été fondé par l'insupportable Jean-François Kahn (le pire adorateur de Victor Hugo que la Terre ait jamais porté) me serve de temps en temps à quelque-chose... Dans les premières pages, on y parle déjà du succès de librairie que rencontre aux Etats-Unis d'Amérique ce misérable petit manuel de rebellitude qu'est "L'insurrection qui vient", grâce à la publicité qu'en a fait stupidement la chaîne télé ultra-conservatrice Fox News en hurlant au satanisme à propos de cet opuscule bien surfait (dont tu as déjà dit sur ton blog tout ce qu'il y avait à en dire). C'est déjà consternant. Mais le pire, c'est l'un des dossiers principaux du magazine présenté plus loin, et entièrement consacré à... ce prétentieux cornichon pseudo-marxiste qu'est Alain Badiou, que certains présentent quasiment comme l'ultime "philosophe" "marxiste" "radical" de notre temps. Quand je pense que le fantasme N°1 de Badiou est de débattre avec un certain BHL devant les médias de masse... Au secours.
Aussi, j'avoue que si tu pouvais, à l'occasion, tailler un costard à ce Badiou, comme tu sais si bien le faire, cher Jean-Louis, ça ferait toujours bien plaisir...



MA (Courte) REPONSE A HYARION



Les remarques positives sont si rares à mon égard que je prends sans gêne avec plaisir les encouragements d’Hyarion, d’autant qu’il n’est pas un rigolo en connaissance de l’histoire. Je suis donc très heureux qu’il défende aussi une conception vivante de l’histoire sans clichés militants et sans se laisser enfermer dans la catégorie « mouvement ouvrier » qui sent le ranci dans la bouche de la noria syndicaliste ou gauche front de bœuf. Mes termes « vérité de classe prolétarienne » ne sont pas terribles. Le prolétariat comme tel, pas plus que la bourgeoisie ne détient la vérité en général. J’ai voulu parler de « point de vue de classe ». Un point de vue de classe peut permettre de voir une grande partie de la réalité du capitalisme, s’y adapter pourtant voire s’y compromettre pour certains. Ce point de vue de classe n’est pas forcément un raisonnement sur la « vérité » mais plus souvent souffrance, soumission alternant avec révolte. Le prolétariat n’est pas un bloc uniforme comme tu me prêtes l’image simplissime. Le prolétariat est composé de diverses couches plus ou moins favorisées, d’une partie des couches moyennes, de ces crétins d’enseignants, de cadres subalternes suce-boules vite dégrisés par temps de crise ; s’il n’était pas composé de diverses couches, la bourgeoisie n’aurait pas aussi longtemps régné… en multipliant les divisions qui ne sont pas pour l’essentiel corporatives ou cols blancs et cols bleus mais divisions idéologiques sophistiquées, dont l’hystérie anti-raciste n’est qu’un pan de l’entretien d’un apolitisme généralisé. La conscience politique (de l’iniquité du système et de son obsolescence) au sein du prolétariat, comme classe la plus importante de la société moderne avec ses mains et avec sa tête, avec ses actifs et avec ses exclus du chômage, n’est pas spontanée ou renouvelable à n’importe quelle période ; elle dépend de minorités politiques plus ou moins agissantes, plus ou moins capables d’élaborer et de systématiser un projet révolutionnaire de renversement de la société bourgeoise.


Pour l’instant il n’existe plus de minorités maximalistes conséquentes pour porter au devant du public le projet révolutionnaire. C’est lamentable mais pas éternel.


Le ou les partis de jadis sont remplacés dans les médias par les intellectuels de la bourgeoisie. Les partis les plus conséquents, les plus honnêtes du mouvement socialiste et révolutionnaire du passé ont toujours eu leur ribambelle d’intellos de premier plan : l’agrégé Jaurès, l’avocat Lénine, l’universitaire Rosa Luxemburg, etc. Les véritables partis révolutionnaires de la IIIe Internationale réussirent un court moment à ce que le fonctionnement et l’activité de parti ne relève pas des seuls intellectuels, même ce bâtard de PCF à la suite de la bolchévisation réussit à garder quelques strapontins à des ouvriers du rang (pas les meilleurs ni les plus honnêtes d’ailleurs). J’ai déjà développé sur ce sujet dans plusieurs ouvrages, et je ne me fais plus d’illusions sur « l’égalité politique » ou le poids décisionnel indépendant du niveau culturel dans n’importe quel parti. Les inégalités de formation demeurent, et au nom des inégalités instaurées par l’éducation bourgeoise j’ai connu tant de marxistes orthodoxes qui considèrent utopistes ou criminels de prétendre remettre en cause ces inégalités de fait… pour le vertueux et inénarrable horizon de « tirer vers le haut ».


Avec les partis bourgeois, comme le PS dont tu es membre, cher Hyarion, pas de problème. L’élite oligarchique parade sans honte devant le parterre des mémés qui aiment la castagne entre Fabius et Frêche, des pépés qui rêvent à DSK ou à Royal dans la défroque de Sarkozy en 2012. Même si tu ne crois pas comme moi à la force de frappe sociale du prolétariat, conviens au moins cher Hyarion que le « bloc uniforme » électoral du principal parti de la gauche caviar ne va pas mettre fin au chômage ni résoudre les questions d’avenir même s’il remporte, comme il est probable toutes les régions en mars. Et puis surtout, la mélasse électorale des petits aux grands bobos reste l’affaire des couches moyennes (même les paysans en sont écartés avec mépris dorénavant), des intellos gauchistes et des bourgeois meneurs de jeu. Les problèmes de politique sociale, de politique tout court, qui concernent les millions de prolétaires ne sont pas encore pris en charge par eux-mêmes. Ils restent les dindons de la farce. Pour que cela cesse il n’y a rien à attendre des pitreries médiatiques ni des promesses de la groître ou de la dauche, il y faudra UNE RUPTURE.



Il ne faut accorder aucune importance aux intellectuels à la mode. Quand les intellectuels comme Badiou ou Tartempion sont mis en vedette, il faut voir la réalité en face : qui lit Badiou ? Des étudiants ? Des trotkiens jaloux ? Des anarchistes fils de concierges ? Plus les intellectuels se succèdent à l’écran moins ils peuvent étaler leur jargon désormais. Il n’y a plus aucune revue littéraire ni politologue qui se vende à plus de 550 ex comme les revues théoriques de jadis des Temps modernes aux merdes du parti stalinien. Cela n’intéresse plus personne. Déjà Sartre avait été trop longtemps un maître à penser nullard (un agité du bocal dixit Céline) fondu enchaîné dans la plus débile des théories politiques modernes, le maoïsme ; Bourdieu n’avait pas pu prendre la place tellement il était la quintessence de la bêtise syndicaliste universitaire ; enfin Badiou, qui ne peut faire oublier lui non plus sa trajectoire de petit intello maoïste pour sous-développés, ne peut trôner que sur un bidet (prénom Jacques) au milieu du désert théorique de la confrérie des vieux staliniens associés, près du cimetière des éléphants althussériens jusqu’à BHL, qui parviennent tout de même, surtout en Allemagne, à faire croire qu’ils sont les derniers meilleurs relents de mai 68. Comme le ponte d’édition Gallimard Sollers, ex-maoïste lui aussi, ces merdes intellectuelles veulent faire oublier leurs délires totalitaires stalinistes en saluant les morts qui eurent le courage et la lucidité politique de les moquer il y a quatre décennies. Chapeau bas devant Guy Debord. ! J’ai jamais admiré Debord ni considéré qu’il était un penseur utile à la révolution, mais il a fort bien « recadré » une rangée d’imbéciles payés par le pouvoir pour nous conter des sornettes dans le petit écran ou faire du verbe appointé par les éditions d’Etat. C’est le cas avec les courbettes de Badiou. Je ne veux pas perdre mon temps à répondre ou à analyser les écrits de cet imbécile outrageusement médiatisé et sans aucune importance ni sociale ni révolutionnaire, par conséquent je te livre juste ces quelques réflexions pour ne pas avoir à y revenir ni te faire perdre ton temps.


Alain Badiou, que d’aucuns tiennent désormais pour le représentant le plus intransigeant de la pensée radicale – dans un monde sans parti révolutionnaire ni prolétariat - n'a jamais été très clair ni sur le marxisme ni sur le rôle des partis de gauche et des gauchistes toutes chapelles confondues. C'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles Guy Debord considérait que, parmi tous les "déchets critiques" de l'époque présente, il était assurément "le pire de tous". ("Lettre à Jean-François Martos du 16 mai 1982" in Jean-François Martos, Correspondance avec Guy Debord, Paris, 1998, p. 50). »


Badiou s’est toujours fourvoyé dans toutes les erreurs de l'histoire en y apportant son soutien ( stalinisme , Pol Pot , maoïsme etc. ) , ce qui dénote d'une incapacité a comprendre le monde malgré son intelligence. Quelqu’un d’intelligent et de cultivé n’est pas automatiquement un individu conscient et encore moins un « maître à penser » race déjà dégénérée des années 1950 dont il n’est plus possible de trouver spécimen équivalent.


P.Adam dans son blog « Theatre Mundi », dit la même chose que moi à chaque « sortie » de Badiou (ou de Michea): « Je n’ai pas lu et ne lirai évidemment pas le dernier ramassis d’Alain Badiou ». Il rappelle que dans Le Perroquet du 11 novembre 1981, Badiou s’était avisé de flatter Guy Debord ; ce dernier ne lui aura répondu qu’en citant in extenso son article dans l’opuscule Ordures et décombres déballés à la sortie du film In girum imus nocte et consumimur igni par différentes sources autorisées. Debord avait en somme remis le déchet (du maoïsme) Badiou à sa place ; il ne l’a pas quittée ».



Allez, porte-toi bien et garde tes sous pour acheter les ouvrages consistants des auteurs qui n’ont pas l’allégeance des salons télévisés,



Bien amicalement, JLR



♫Du bretonnant Florian :



Salut Jean-Louis,



« Suis dans la lecture de ton tome III (de Marc Laverne). Pas fini, te dirais lorsque j'aurais terminé. En tous cas, belle introduction de ta part. J'espère un jour que ton souhait prenne forme : que les productions de révolutionnaires du passé soient réunies, en éditions propres et au plus intégral. Juste un mot pour te dire que tes deux derniers articles sont
excellents. Je vais les indiquer à Jacques pour qu'il les lisent. Il y a
une fibre qui fait que oui, inévitablement, il a de la sympathie pour
toi ! Et franchement moi aussi... Mais attention : l'"inutile" aujourd'hui peut se révéler sacrément géologique, au sens de plaque tectonique, dans un certain avenir... !
Bien à toi et à bientôt ! »



Les remarques d’un « camattiste » ne sont pas toujours négatives pour une modeste « production prolétarienne » et savoir que maître Camatte (pas l’espion de Sarko enlevé au Sahara) lit mon blog, même s’il est sur l’autre rive (il a quitté le monde prolétarien après avoir goûté à sa première carotte bio) me flatte, mais pour le grand marxiste d’organisation qu’il a été. Je sais que je vais commencer à faire un peu vieux gribou avec cet espoir obstiné que « ça pète » entre les classes, alors que le monde baille d’ennui. Merci là aussi pour les encouragements, mais il n’y a plus d’éditeurs pour le mouvement révolutionnaire. Maspéro s’est converti au mitterrandisme, les cahiers Spartacus sommeillent dans leur ronron libertaire poussiéreux, une smala d’anciens gauchistes à la Hazan publient les contes pour lycéens attardés de Coupat et Cie, des éditions moyennes font dans le pipole avec des bios poussives sur Besancenot, même Bourseiller n’a plus rien à recopier et tente un dernier coup avec la franc-maçonnerie.


Je ne sais pas quel sens tu mets à ton allusion à la plaque techtonique, peut-être qu’on n’aura jamais rien fait qu’espérer un autre monde moins minable et qu’il ne restera rien de celui-ci (l’actuel) mais qu’est-ce qu’il y a comme tremblements de terre en ce moment et que d’eau que d’eau, et qui tue. Et toujours pas de tremblement de terre social. Faut tout de même pas désespérer.



Amitiés à toi également, JLR.



Il y a d’autres e-mail ou commentaires louangeurs sur mon histoire du maximalisme de Lille, Montpellier, Millau, mais aussi des critiques valables. On y reviendra ultérieurement.


Ce fût une bonne journée après avoir ouvert mes courriers.





dimanche 28 février 2010

De l'intérêt du témoignage multiple



De l’intérêt du témoignage multiple


Rien n’est jamais acquis en histoire. Vous pouvez avoir lu dix, vingt ouvrages sur un événement du passé, mais si vous restez sur cette simple connaissance ou croyance vous risquez de passer à côté de la palpitation historique et sociale. L’histoire, comme la lutte des classes n’est jamais figée. Elle évolue constamment face aux exigences et présent et de l’avenir. J’ai toujours pesté contre ces militants au cerveau étroit qui vous assénez cet impitoyable « j’ai lu tous les classiques » du marxisme ou « je connais à fond l’histoire de la Commune de 1871 ». Ignorants les mains pleines de radotages des vieux historiens !

En vérité, il faut continuellement être capable de réviser ses classiques, non pour en remettre en cause les fondamentaux lorsqu’il s’agit de théorie politique, mais pour ré-analyser en fonction non seulement des progrès de la connaissance, mais en fonction de l’évolution de la conscience de la classe à laquelle on appartient ; et que l’on ne me dise pas que les bourgeois n’ont pas de conscience, ils ont la leur et elle n’est pas forcément hermétiquement séparée de la conscience douloureuse, défaitiste et révoltée de la masse des exploités. De même que l’histoire ne se nourrit pas de schémas invariants, de même on ne peut mettre tout le monde dans le même sac. Les historiens, par leur travail intellectuel et leurs propres schémas, ne fournissent qu’une vision approximative de l’événement et de la perception de celui-ci par les membres des classes différentes. Il est très rare que l’historien parvienne à une synthèse objective sans dérive partisane ; je ne serai jamais hostile à quiconque choisit son camp et cela ne gêne jamais ma propre compréhension ; je préfère les francs partisans aux faux neutres qui espèrent ne pas « se mouiller ».

On peut déceler actuellement dans des éditions à la marge des trusts bourgeois lyophilisés un effort pour renouveler la recherche et l’approfondissement dans la compréhension de l’histoire – qui n’est, comme je l’ai toujours affirmé, jamais le fait des groupuscules ou fractions politiques. C’est le cas du livre de C.Darmangeat (« Le communisme primitif n’est plus ce qu’il était »), dont j’aurais l’occasion de dire tout le bien que j’en pense. C’est le cas, pour ce message-blog aujourd’hui de la compilation intelligente de Jean-François Lecaillon : « La Commune de Paris, racontée par les parisiens ».

Sur ce blog je m’adresse aux gros connaisseurs de l’histoire de la Commune qui ont tout lu de Lissagaray à Marx et Louise Michel, mais aussi aux néophytes. Cette compilation de témoignages peut être une utile façon de se plonger dans l’événement communard sans en connaître par cœur les dates-clé, ni sa place historique centrale pour le mouvement révolutionnaire maximaliste. Pour le néophyte comme pour le connaisseur, la confrontation des témoignages est profondément éclairante, permet au lecteur de se passer de la médiation de l’historien et de ses propres clichés partisans. Mieux encore la lecture des « opinions différentes » au milieu d’un massacre sans nom permet d’apprécier l’homme derrière l’uniforme ou sa classe d’appartenance, et de conforter par la même la vérité de classe prolétarienne ! Longtemps militant j’étais régulièrement excédé par tous ces « purs marxistes » qui évoquaient la nécessité de la « guerre civile », sans préciser s’ils seraient les premiers exposés aux balles de l’adversaire, mais arguant que « le prolétariat n’y couperait pas ». La présentation des témoignages divers par l’historien Lecaillon montre qu’une guerre civile au XIXe siècle – la plus importante à Paris avec la guerre civile américaine – n’est jamais une chose simple, est souvent très embrouillée, des théâtres peuvent fonctionner dans un quartier tranquille pendant que l’on s’égorge un pâté de maisons plus loin. Des « bourgeois réactionnaires » peuvent s’émouvoir de l’ampleur de la répression comme de prétendus grands révolutionnaires pour la postérité faire preuve de la plus insigne lâcheté dans la réalité.

La Commune de Paris, n’en déplaise à Engels et à Lénine, n’est plus exemplaire, et, moi qui l’écris au XXIe siècle, je ne cache toujours pas que j’aurais combattu jusqu’au bout avec les Fédérés si j’avais été de leur temps. L’appel à la « guerre civile » est le credo de tous les apôtres inconscients de la « guerre révolutionnaire ». J’ai assez écrit et démontré que je ne serai jamais un indécrottable pacifiste, mais je n’ai rien inventé en rappelant souvent que les révolutions n’ont jamais vaincu une fois plongées dans des guerres civiles. J’ai même osé affirmer que dès que la « guerre civile » pointe son nez la révolution est perdue. Cela n’excuse en rien la bourgeoisie qui, comme le montrera encore le long extrait du livre de Lecaillon, n’hésite pas à massacrer sans vergogne ; la question que je continue à soulever est que la révolution ne doit pas faciliter la tâche sanglante de la bourgeoisie, en tout cas, sans naïveté pacifiste de ma part, qu’elle doit disposer d’orientations politiques qui évite à la révolution de commettre elle aussi des crimes au sein des classes intermédiaires qu’elle a tout intérêt à rallier, et qu’elle peut gagner de toute façon autrement que par les armes face à la faillite du capitalisme et à ses horreurs. Je ne joue ni au novateur ni au rénovateur, de grands noms du socialisme, à commencer par Rosa Luxemburg et d’autres (cf. mon livre le plus vendu : « Dans quel Etat est la révolution ? », 2008) mais aussi hors du marxisme qui n’est pas à considérer comme le seul sas étanche dans la décomposition des valeurs universelles du genre humain. Mes lecteurs connaissent mon estime pour l’ouvrage novateur de William Serman sur la Commune et mon éloge des critiques rétroactives du grand libertaire Elysée Reclus, tout comme mes critiques des appréciations erronées ou des inventions de Marx sur le déroulement réel de la Commune (+ mon interview du « spécialiste » centenaire Marcel Cerf dans les premiers numéros de PU papier).

Il ne faudrait pas que la Commune, en n’étant plus la sainte Bible montmartroise pour anarchiste éculé ou marxiste bègue, bien que ramenée à ses justes proportions, soit oubliée parce que trop lointaine, anarchique et dégoulinante d’hémoglobine, elle reste un événement moderne qui montre :


  1. la capacité du prolétariat (presqu’aussi diffus qu’aujourd’hui dans cette grande ville bobo) à prendre le pouvoir,

  2. la quasi inutilité de penser que la révolution pourrait l’emporter sous forme de « guerre (de tranchée) révolutionnaire » ; à ce compte la Commune ressemble plus à Verdun 1916 qu’à Petrograd 1917,

  3. le déchaînement automatique de la pire des barbaries de la part de la bourgeoisie si elle dispose encore des moyens de conserver ses biens, ses banques et ses soudards.


Le lecteur lira avec grand intérêt les commentaires parcimonieux de Lecaillon à l’entrée de chaque partie. Cette parcimonie me plaît bien. Les intellectuels adorent étaler leurs connaissances rébarbatives et noyer sous leurs langues de bois, citations et annotations, le ressenti historique dont nous avons besoin nous les simples prolétaires du « grand public ». Le lecteur pourra comprendre mieux que dans tant de catéchismes révolutionnaires qu’une révolution met en jeu des classes et qu’il ne s’agit pas de se dire « j’appartiens à la bonne classe donc j’en suis » ; l’événement est révolutionnaire justement en ce qu’il brise les classes, et inévitablement en faveur à terme de la classe la plus exploitée : « Ainsi, le 17 mars, les ressentiments accumulés contre Thiers s’avérèrent-ils plus forts que les différences de classe » (p.28). La révolution n’est pas folie furieuse ni guerre civile aveugle : « Les témoignages font apparaître une troisième explication, moins visible mais peut-être plus décisive : la persistance d’un esprit de modération dans une partie étendue de la population. Malgré les affirmations de quelques-uns, la terreur ne règne pas vraiment et les Parisiens étonnés « flânent » dans Paris ! Ils vont aux remparts comme au spectacle ! En toute civilité, ils se joignent « aux groupes qui discutent » sur les boulevards ; les plus réactionnaires reconnaissent eux-mêmes que les fédérés « ne sont pas tous des canailles ». Il ne faut pas croire les racontars qui circulent en province, ces rumeurs qui ne peuvent profiter qu’aux extrêmes (…) Au final, l’analyse attentive des témoignages montre qu’il n’y a pas d’un côté les ouvriers émeutiers et de l’autre les bourgeois réactionnaires. Entre Belleville et Versailles la réalité sociale est tout en nuances, faisant apparaître des bourgeois modérés d’une part, des gardes nationaux dont les motivations n’ont rien de révolutionnaires d’autre part ! Dans les rangs des fédérés se rencontrent des hommes, qui n’adhèrent pas aux idées de la Commune ; ceux qui dénoncent les réformes n’applaudissent pas pour autant aux objectifs ou méthodes de Versailles » (p.86).

Merci à Jean-François Lecaillon pour ce travail d’exhumation, non pas impartial – l’impartialité est impossible face aux crimes sans nom des « versaillais » - mais pour nous rappeler qu’une révolution se nourrit surtout des débats, des ressentiments et des sentiments dans l’ensemble de la population, et que si elle doit vaincre c’est surtout par l’adhésion consciente de l’ensemble aux orientations politiques qui se fixent la sauvegarde, ou plutôt la restauration de l’humanité. Merci aussi de nous ramener dans les lieux terribles, après vous avoir lu je ne me promène plus de la même façon dans les jardins du Luxembourg en pensant à ce qui remplissait le bassin ni place d’Italie…


« Notre colonel dit au capitaine : « Vous avez que cela (50 hommes) de pris, vous allez les conduire dans le terrain du Luxemburg pour les fusiller ». A ce moment, un des cinquante que nous avions a sauté sur un de chez nous ; nous lui avons donné 3 à 4 coups de crosse dans la poitrine et nous les avons conduits dans le jardin. En y arrivant, on était à fusiller ; comme l’homme ne voulait pas avancer, on lui a tiré un coup dans la tête et après l’avoir fouillé, on lui a trouvé une pièce de 10 francs. Nous sommes arrivés près du bassin où il y avait peut-être de 5000 à 6000 morts, nous les avons fait monter sur les morts et après nous être éloignés nous étions peut-être cent hommes sur 4 rangs pour faire feu sur les 55 communards (…) Ensuite notre compagnie est partie rejoindre le régiment qui était sur un boulevard à 500 mètres de la place d’Italie, on nous a mis là à mener les mitrailleuses, moi j’étais employé à faire partir le coup et nous avons tiré pendant environ deux heures. Il y avait tellement de morts que le sang venait à nous dans le caniveau. Un moment après, ma compagnie est partie à la baïonnette pour affranchir une barricade, je suis arrivé un des premiers et lorsque j’ai voulu par-dessus la barricade, un communard a lancé sa baïonnette sous mon bras gauche, elle a piqué un peu dans ma capote, à ce moment j’ai reculé et je lui ai tiré mon coup de fusil en pleine poitrine, il est tombé sur le dos, j’ai pu ensuite passer par-dessus la barricade mais voyant qu’il essayait de se relever et de se servir de sa baïonnette, je lui ai enfoncé la mienne dans le ventre, je l’ai tellement lancée que je l’ai épointée sur le pavé, j’étais dans une telle colère que mes camarades me disaient que j’étais blanc comme ma chemise. Il y avait à cette barricade huit hommes et trois femmes, mais nous les avons tous tués, ensuite nous sommes sur la place d’Italie et les communards se sont rendus, ils ont brisé leur fusil sur les pavés, nous avons fait 3000 ou 4000 prisonniers et je vous assure qu’il y en avait des morts et des blessés sur cette place, c’était un véritable abattoir ».

Les huit jours d’horreurs se terminent par le spectacle du triomphe de la délation et des crachats sur les prisonniers :

« Si on interroge (les habitants du quartier), tous se donnent comme des petits saints : aucun n’avoue n’avoir pris part à l’insurrection : eux non, mais leurs voisins, oui. A ce sujet, il est bon de dire que, en ce moment, il règne dans la population de Paris une fièvre de délation poussée à tel point qu’elle arrive à vous dégoûter, à tout jamais, des mœurs et du caractère des foules ».