PAGES PROLETARIENNES

dimanche 28 novembre 2010

Vider les banques? Ma réponse à Eric Cantona (*)


Peu passionné par le football, je vous aime bien comme acteur de cinéma, mais pas du tout comme conseiller politique. Je tenais d’abord quand même à vous remercier d’avoir été le premier à répondre, et avec des échos au niveau international, aux inutiles balades syndicales de cette année par tous ces aristocrates du travail si flattés par le président Sarkozy. La défaite sans véritable combat d’une petite partie des prolétaires embrigadés ou aux retraites protégées, conclu par un ridicule « pique-nique » syndical n’est pas la défaite de tout le prolétariat, mais déprime la lutte dans les autres pays. Grèves générales sans lendemain en Espagne et au Portugal comme les manifestations en Irlande ont répété le même schéma de défilés syndicaux inutiles. En France, si les dés n’avaient pas été pipés dès janvier dernier, une véritable lutte avec de vraies AG et la nomination d’un comité de grève central responsable devant la population travailleuse et dont les débats internes auraient été chaque jour transmis en direct par voie télévisuelle (comme les micros que les ouvriers polonais avaient imposé en 1980 dans la salle des négociations) avec la possibilité de chasser immédiatement cette intersyndicale obscure ficelée par le gouvernement.
Très touché par la situation des pauvres et des mal logés, vous êtes parrain de la fondation Abbé Pierre depuis 4 ans et vous venez de sortir un recueil de photos témoignant de la misère dans le monde. J’ai trouvé votre déclaration suivante très sentimentale nationale: « « Être français, est-ce que c'est parler français, chanter la Marseillaise et lire la lettre de Guy Môquet ? Non, ça c'est être con. Être français, c'est être révolutionnaire. » Mais croyez vous que français ce soit le critère pour être révolutionnaire à l’heure de la crise mondiale ?
Vous avez parfaitement saisi l’inutilité et la cuistrerie de la couleuvre syndicale de 2010 : «Au lieu d'aller dans les rues faire des kilomètres (pour manifester), tu vas à la banque de ton village et tu retires ton argent" ». Vous avez suscité soudainement l’intérêt des médias en engageant ainsi « tout le monde » à retirer son argent des banques le 7 décembre : « S'il y a 20 millions de gens qui retirent leur argent, le système s'écroule (...) La révolution se fait par les banques". "Pour parler de la révolution, on va pas prendre les armes, on va pas aller tuer des gens. Il y a une chose très simple à faire (...) Le système est bâti sur le pouvoir des banques. Donc il peut être détruit par les banques". Et s'il y a 20 millions de personnes qui retirent leur argent, le système s'écroule: pas d'arme, pas de sang, rien du tout. A la Spaggiari" ». Alors que vous semblez limité vous aussi comme les professionnels du syndicalisme à des solutions nationales, vous conviendrez que votre idée a eu tout de même une extension internationale puisque, paraît-il des gens trouvent votre idée géniale au paradis du pognon en Suisse ! Des banquiers suisses se seraient aussi affolés !
D’accord pour parler avec vous révolution nécessaire et indispensable, dans tous les pays et en mettant des coups de pieds au cul (avec chaussures cloutées de footballeur) de tous ces employés d’Etat syndicalistes qui l’ont en horreur. S’il suffisait de s’en prendre aux banques comme vous le préconisez pour faire « écrouler le système » comme vous dites, je vous sauterais au cou de joie. Hélas c’est du pipeau, comme tant d’autres projets de grève des consommateurs, des automobilistes, des collectionneurs de timbres ; et en plus vague puisque vous vous adressez à cette catégorie interclassiste de « français » ! Je me suis demandé comment vous alliez faire pour montrer l’exemple vous milliardaire du jeu collectif le plus populaire du monde. Allez-vous louer un camion de la Brink’s, et le faire garder jour et nuit dans une de vos propriétés ? Avez-vous pris la précaution de tout placer en actions, dans l’immobilier afin de ne retirer que quelque argent de poche au jour J devant les caméras de télévision? Savez-vous que la plupart des prolétaires n’ont quasi plus rien sur leur compte en banque au milieu du mois, et qu’ils sont débiteurs à la banque ? Savez-vous que la plupart des personnes âgées isolées ou même des rmistes au chômage craignent d’aller chercher leur argent au jour dit parce qu’on les attend au coin de la rue pour les dépouiller ?
Vous accréditez dangereusement en outre que l’argent aurait une valeur. C’est faux ce n’est pas l’argent qui a une valeur, c’est l’homme. Vous devriez savoir que lorsque Marx jeune plagie Shakespeare et Goethe c’est pour réaffirmer la valeur humaine : « L'argent est l'entremetteur entre le besoin et l'objet, entre la vie et le moyen de subsistance de l'homme. [...] Il apparait aussi comme cette puissance de perversion contre l'individu et contre les liens sociaux, etc. (...). Il transforme la fidélité en infidélité, l'amour en haine, la haine en amour, la vertu en vice, le vice en vertu, le valet en maitre, le maitre en valet, le crétinisme en intelligence, l'intelligence en crétinisme. Comme l'argent, qui est le concept existant et manifestant de la valeur, confond et échange toutes choses, il est la confusion et la permutation universelles de toutes chose, donc le monde à l'envers, la confusion et la permutation de toutes les qualités naturelles et humaines» (Manuscrits de 1844 : Le pouvoir de l'argent). Vous êtes trop jeune pour vous rappeler le proverbe de Coluche définissant la valeur : « Le monde appartient à ceux dont les ouvriers se lèvent tôt ».
Vous accréditez surtout la théorie fallacieuse de la gauche caviar et de toute l’armada des gauchistes suivistes que la crise serait « la faute aux banques », excusant ainsi le capitalisme comme énorme machine étatique, répressive, parlementaire imbécile et syndicratie aristocrate, avec ce mythe abstrait du « pouvoir de l’argent » ; suffirait de s’attaquer à l’argent contenu dans les banques ! Or, l’argent est d’abord la sueur et la terreur du prolétaire, le sang du prolétaire est extorqué, bonifié par la planche à billet, soigneusement récolté puis redistribué dans les divers circuits capitalistes sous forme d’actions, d’obligations, de crédits, investis, injectés, réinjectés. L’argent n’est donc pas simplement dans les banques. Les banques ne sont pas seules face à leur client, lequel n’a pas tous les droits : telle banque peut fermer le 7 pour ravalement de façade. Un décret d’Etat suffit comme en Argentine pour refuser la sortie de grosses sommes d’argent….
Je crois que vous êtes trop jeune, trop naïf et ignorant de l’histoire complexe des révolutions. Je pense comprendre la raison d’une telle naïveté – le mépris de la classe ouvrière identifiée aux syndicats pourris, croyance que j’ai souvent trouvée chez les sportifs de haut niveau – basée sur une vision bourgeoise, pour ne pas dire très catholique de la pauvreté. Où sont les pauvres ? Partout, dans toutes les classes répondait Georg Simmel en 1907:
« … les préjugés de classe sont suffisamment forts pour rendre la pauvreté pour ainsi dire invisible ; et avant cela, la pauvreté est une souffrance individuelle, sans conséquences sociales. (…) L’affirmation socio-démocratique selon laquelle le prolétaire moderne est définitivement pauvre, mais pas un homme pauvre, s’accorde à cette interprétation. Les pauvres, en tant que catégorie sociale, ne sont pas ceux qui souffrent de manques et de privations spécifiques, mais ceux qui reçoivent assistance ou devraient la recevoir selon les normes sociales ». Plus précis encore : « Le fait que quelqu’un soit pauvre ne veut pas dire qu’il appartienne à la catégorie spécifique des pauvres. Il peut être un commerçant, un artiste ou un employé pauvre, mais il demeure dans la catégorie (commerçant, artiste ou employé), qui est définie par une activité ou une position spécifique ».
Le pauvre en soi comme le français en soi ne sont donc nullement révolutionnaire. C’est le prolétariat comme classe qui fait tourner toute la société qui est seule capable de « faire écrouler le système ». On n’a pas le droit de cacher cette vérité, ni sous prétexte que la classe ouvrière s’est fait rouler dans une nouvelle manipulation syndicale avec gros ballons et flonflons, d’inventer des solutions individuelles aléatoires et aussi dangereuses finalement que les hâbleries et crêperies syndicales.
En effet, le plus grave dans votre déclaration bon enfant, confortablement allongé dans votre fauteuil, aura été votre exaltation du pacifisme et au nom du mafioso Spaggiari, ce conte pour enfants qui aura profité probablement à quelque parti de gouvernement vendeur d’armes.
Vous croyez que la classe bourgeoise qui est en train de supprimer la retraite, qui rogne toutes les concessions sociales, qui envoie nos enfants des banlieues sans diplômes se faire tuer en Afghanistan, qui jette à la rue des milliers et des milliers pour maintenir les profits non des seuls banquiers, mais de la haute de Neuilly, des milliardaires du sport comme vous, et qui dégraisse ce ballon montgol-fière des couches moyennes au point que la hiérarchie sociale va ressembler vraiment sous peu à la Tour Eiffel, va nous céder la place galamment à nous les millions de prolétaires, sans cris, sans nous tirer dessus ?
Vous nous prenez pour des cons, ou quoi ?

PS: J'oubliais le plus important, c'est pas le tout de dire "faut faire effondrer le système", mais pour le remplacer par quoi: quel est votre programme, quel est votre parti Cantona?

(*) Le titre a été modifié bienheureusement par la rédaction du Post, je les en remercie. Cet article a été publié au même moment donc sur LE POST, en 3 heures j'ai eu près de 3500 lectures...(et jusqu'au lundi 6 déc: 9753!) alors qu'avec ce blog je rame au quotidien avec une petite centaine de connections; je me demande si je vais pas le laisser tomber. Quant à la toquée nommée Sylvie qui me dénigre sur Le Post et demande ce que je propose, elle n'a qu'à relire attentivement, la réponse y est.

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