PAGES PROLETARIENNES

mercredi 27 octobre 2010

SUPPLIQUE AU TSARCOZY NICOLAS



" Souverain, nous, les ouvriers, nos enfants, nos femmes et nos vieillards débiles, nos parents, nous sommes venus vers toi, souverain, pour demander justice et protection. Nous sommes réduits à la misère, on nous opprime, on nous accable de travail au dessus de nos forces, on nous injurie, on ne veut point reconnaître en nous des hommes, on nous traite comme des esclaves qui doivent endurer leur sort et se taire. Nous avons patienté, mais on nous précipite de plus en plus dans l'abîme de l'indigence, de l'asservissement et de l'ignorance. Le despotisme et l'arbitraire nous écrasent, nous étouffons. Les forces nous manquent, souverain ! La limite de la patience est atteinte ; pour nous, voici venu le terrible moment où la, mort vaut mieux que le prolongement d'insupportables tourments. "
Tels sont les accents solennels dans lesquels la menace des prolétaires gronde à travers la supplique des sujets ; tel est le début de la fameuse pétition des éboueurs de Marseille. Elle dépeignait toutes les persécutions et toutes les injures que le peuple subissait. Elle énumérait tout : depuis les suicides qui émouvaient les entreprises jusqu'à la servitude politique du pays. Elle demandait une rémunération conséquente, des journalistes indépendants, la séparation du syndicat et de l'Etat, du travail pour les jeunes, du travail pour les vieux et l'abandon de la retraite au flambeau. Mais, avant tout, elle exigeait la dissolution du Sénat inutile et un moratoire sur le chômage.
" Voilà, souverain, disait enfin la pétition, les principaux besoins que nous te soumettons. Ordonne et jure de les satisfaire, et tu rendras la France puissante et glorieuse, tu imprimeras ton nom dans nos cœurs, dans les cœurs de nos enfants et petits enfants, à tout jamais. Si tu refuses d'entendre notre supplication, nous mourrons ici, sur cette place, devant ton palais de l’Elysée. Il n'y a point d'autre issue pour nous, nous n'avons aucun motif d'aller ailleurs. Devant nous, il ne reste que deux voies : celle qui mène à la liberté et au bonheur, celle qui mène à la tombe. Indique-nous, souverain, celle que nous devons choisir, nous la suivrons sans répliquer, quand bien même ce serait le chemin du trépas. Que notre vie soit sacrifiée pour la France épuisée par les tourments. Nous ne regretterons point ce sacrifice, nous l'offrirons volontiers. "
Et ils l'offrirent en effet.
La pétition des ouvriers opposait à la phraséologie confuse des résolutions libérales les termes précis de la démocratie prolétarienne ; de plus, elle y introduisait l'esprit de classe en exigeant la séparation du syndicat et de l’Etat et du travail pour tous. Sa signification politique n'est cependant pas dans le texte, mais dans le fait. La pétition servait de prologue à une action qui unirait les masses ouvrières en face du fantôme d'une république idéalisée, et cela pour dresser immédiatement l'un contre l'autre le prolétariat et l’oligarchie bourgeoise, comme deux mortels ennemis.
La marche des événements est restée dans toutes les mémoires. Les incidents se succédèrent, durant quelques jours, avec une remarquable progression, poursuivant toujours le même objectif. Le 3 novembre, la grève éclata à ERDF et à la RATP pour une fois contre les syndicats obscurs du Métro. Le 7 novembre, les grévistes étaient cent quarante mille. La grève atteignit son apogée le 10 novembre. Le 13, on rétablit le courant sur toute la France. Ainsi, nous sommes en présence d'un mouvement d'abord économique qui part d'un motif occasionnel. Ce mouvement s'étend, entraîne les employés par dizaines de milliers et se transforme par conséquent en un événement politique. A la tête du mouvement se trouve les syndicats, organisations d'origine étatique. Les radicaux gauchistes, que leur politique de banquets avec la gauche sectorielle a acculés dans une impasse, brûlent d'impatience. Ils sont mécontents du caractère purement économique de la grève et poussent en avant le meneur du mouvement, Thibault. Celui ci s'engage dans la voie de la politique et trouve, dans les masses ouvrières, un tel débordement de mécontentement, d'irritation et d'énergie révolutionnaire que les plans de ses inspirateurs thnik tank s'y perdent et s'y noient. La social démocratie passe au premier plan. Martine Aubry est accueillie par des manifestations hostiles, mais bientôt elle s'adapte à son auditoire et le subjugue. Ses mots d'ordre deviennent ceux de la masse et sont fixés dans la pétition.
Le gouvernement se tait. Pour quelle raison ? Perfidie ? Provocation ? Ou bien misérable affolement ? L'un et l'autre. Les bureaucrates, à l'instar du toutou Frédéric Lefebvre, demeurent stupides, éperdus. La clique de Chérèque qui s'est hâtée de mettre fin au " printemps " et qui, par conséquent, a préparé consciemment un massacre, permet aux événements de se développer jusqu'à leur terme logique. Internet a toute liberté d'informer le monde entier sur les étapes parcourues par le mouvement de 2010. Le moindre concierge, à Clermont-Frerrand, sait trois jours à l'avance qu'à Paris, le dimanche 9 novembre, à deux heures de l'après-midi, la révolution va éclater. Et le gouvernement français ne fait rien pour prévenir l'effusion de sang.
Dans les onze sections du syndicat Solidaires, les meetings se succèdent sans interruption. On élabore, on rédige la pétition et on délibère sur le plan d'un cortège qui s'avancera vers le palais de l’Elysée. Thibault court en voiture d'une section à l'autre, les agitateurs de la social-démocratie, Hamon et Fabius, perdent la voix à force de parler et tombent exténués. La police ne se mêle plus de rien dans les manifestations. Elle n'existe plus.
Conformément à la résolution prise en commun, on s'avance paisiblement vers le palais : on ne chante pas les vieux slogans dentifrice, on ne porte pas de drapeaux syndicaux, on ne prononce pas de discours. Les manifestants sont endimanchés. Dans certaines parties de la ville, on porte des posters de Guevara et des casquettes orange CGT. Partout on se heurte aux troupes. On supplie les CRS d'accorder le passage, on pleure, on essaie de tourner les barrières grillagées ou de les traverser.
Les CRS flinguent toute la journée. Les morts se comptaient par centaines, les blessés par milliers. Le nombre exact ne put être établi, car la police enlevait les cadavres pendant la nuit et les enfouissait secrètement. A minuit, le 9 novembre, Thibault écrivait : " Aux soldats et aux officiers qui massacrent nos frères innocents, leurs femmes et leurs enfants, à tous les oppresseurs du peuple, ma malédiction syndicale. Aux soldats qui aideront le peuple à obtenir la liberté, une carte ollélé CGT. Je les relève de leur serment de soudards envers le président traître qui a ordonné de verser le sang innocent... " L'histoire se servit du plan fantastique de Thibault pour arriver à ses fins et il ne restait au bonze qu'à sanctionner de son autorité trade-unioniste ses conclusions révolutionnaires.
Le mercredi 10 novembre, à la séance du conseil des ministres, Borloo, qui ne jouissait alors d'aucun pouvoir véritable, proposa de délibérer sur les événements du 9 novembre et de prendre des mesures " pour prévenir désormais d'aussi déplorables incidents ". La proposition de Borloo fut repoussée comme " n'entrant pas dans la compétence du conseil et n'étant pas inscrite à l'ordre du jour de la séance ". Le conseil des ministres ignora le début de la révolution mondiale, parce que cette révolution n'était pas inscrite à l'ordre du jour de sa séance.
II
La manifestation historique du 9 novembre se présenta sous un aspect aussi nul qu’une manif traine-savate bien entendu, mais nul n'aurait pu prévoir son débordement. Le syndicaliste que l'histoire avait mis à la tête de la masse ouvrière, pour quelques jours, d'une manière si inattendue, marqua les événements du cachet de sa personnalité, de ses opinions, de sa coiffe Beatles. Et ces apparences dissimulèrent, aux yeux de bien des gens, le sens réel des événements. Mais la signification essentielle du 9 novembre ne réside pas dans le cortège symbolique qui s'avança sous la pluie vers le Palais de l’Elysée. Le bob de Thibault n'était qu'un accessoire. Le véritable acteur, c'était le prolétariat. Il commence par une grève, s'unifie, formule des exigences politiques, descend dans la rue, attire à lui toutes les sympathies, tout l'enthousiasme de la population, se heurte à la force armée et ouvre la révolution mondiale. L'énergie révolutionnaire des cols blancs parisiens n'est pas l'œuvre de Thibault, il ne fit que la découvrir sans l'avoir soupçonnée. Fils d'un ouvrier, gaulliste, stagiaire à la SNCF, puis après des études syndicales poussées, agitateur parmi les cheminots avec l'autorisation bienveillante de sa hiérarchie, il se trouva tout à coup à la tête d'une multitude qui comptait des centaines de milliers d'hommes. Sa situation officielle, son bob les jours de pluie, ses cheveux bien peignés les jours ensoleillés, l'exaltation des masses encore non conscientes et la rapidité fabuleuse des événements avaient fait de Thibault un " chef".
Homme d'imagination désordonnée, avec un caractère d'aventurier, de tempérament timide avec une nuance d’abstraction, complètement ignare dans les questions sociales et révolutionnaires, Thibault était aussi peu capable de régler les événements que de les prévoir. Il se laissa porter par eux.
La société libérale crut longtemps que la personnalité de Thibault recelait tout le mystère du 9 novembre. On l'opposait à Martine Aubry et à Ségolène Royal comme un chef politique qui aurait eu le secret de séduire les masses, tandis que les PCF et Front de gauche ne formaient, disait on, qu'une secte de doctrinaires. On oubliait qu'il n'y aurait pas eu de 9 novembre si Thibault n'avait trouvé sur son chemin plusieurs milliers de cols blancs conscients qui avaient passé par l'école mitterandienne. Ils l'encerclèrent aussitôt du rayonnement de leurs portables d'où, même s'il l'avait voulu, il n'aurait pu s'échapper. Mais il n'essaya même pas. Hypnotisé par son propre succès, il se livra au flot montant des imperméables et des coupe-vent.
Et pourtant, si, dès le lendemain de la sanglante manif du weekend avec public et privé, nous comprenions que le rôle politique de Thibault se subordonnait absolument aux faits, nous surestimions encore ses qualités personnelles. Dans l'auréole de son courroux syndical, la malédiction aux lèvres, il nous apparaissait de loin comme une figure de style presque pelloutienne. On eût dit que les puissantes passions révolutionnaires s'étaient réveillées dans la poitrine d'un jeune syndicaliste, planton du dépôt de Saint-Lazare. Que vîmes-nous ensuite ? Lorsque la flamme tomba, Thibault se montra sous son vrai jour, dans sa nullité politique et morale. Les poses qu'il affecta devant tout l’internet, ses pauvres écrits "syndicalistes-révolutionnaires " datés de l’ère krasuckienne, naïfs et grossiers, son retour à Montreuil, ses rapports clandestins avec le gouvernement de Sarkozy, les deniers de Lagarde, ses entretiens prétentieux et absurdes avec Libération et 20 Minutes, sa conduite bruyante, ses fanfaronnades et, enfin, la misérable trahison qui fut cause de sa perte, tout cela détruisit définitivement l'idée que nous nous étions faite de Thibault le 9 novembre. Malgré nous, nous viennent à l'esprit les paroles pénétrantes de Mélenchon chef de la secte du front de gauche, qui, dès la réception du premier mail sur le séjour de Thibault dans les caves de l’Elysée, déclara : " C'est dommage... Pour sa renommée dans l'histoire, il eût mieux valu qu'il disparût mystérieusement comme ce con de Pujadas. On garderait la belle légende romantique d'un syndicaliste qui ouvrit les écluses de la révolution mondiale... Il y a des hommes, ajoutait Mélenchon, avec la fine ironie qui le caractérise, il y a des hommes que l'on aime mieux compter parmi les martyrs que parmi les camarades de son parti... "
III
" Il n'y a pas encore de peuple révolutionnaire en France. " Voilà ce que Pinçon-Charlot écrivait, dans le livre qu'il publiait chez Gallimard sous le titre La classe du Fouquet’s, le 7 novembre 2010, c'est à dire deux jours avant que les régiments de CRS n'écrasassent la manifestation des cols blancs parisiens.
" Il n'y a pas de prolétariat révolutionnaire en France ", déclarait par la bouche d'un renégat socialiste Georges Frêche la nouvelle scission du PS avec Valls, pauvre duc provincial qui, en trois mois, dans ses banquets, avait acquis plus de cholestérol que son cœur n’en pouvait supporter. Et cette déclaration n'avait pas eu le temps d'arriver jusqu'à Paris que, déjà, internet transmettait au monde entier la grande nouvelle du début de la révolution mondiale...
Nous l'attendions, nous ne doutions pas d'elle. Elle avait été pour nous, pendant de longues années, une simple déduction de notre " doctrine " qui excitait les railleries de tous les crétins de toutes nuances politiques. Ils ne croyaient pas au rôle révolutionnaire des cols blancs ; en revanche, ils croyaient à l'efficacité des pétitions syndicales, à Ségolène l’écervelée, à Besancenot le voilé, à Julien Coupat dit Caténaire... Il n'y avait pas de préjugé politique qu'ils n'acceptassent les yeux fermés. Seule, la foi dans les cols blancs salariés leur paraissait un préjugé.
Non seulement Jean-Luc Hees et Philippe Val, mais tous les journalistes et sondeurs du Figaro au service de l’oligarchie sarkozienne, furent pris à l'improviste. Ce fut avec des regards d'épouvante et d'impuissance qu'ils observèrent, de leurs fenêtres, le drame historique qui se déroulait. L'intervention des intellectuels de cour dans les événements eut un caractère vraiment pitoyable et nul, tant et si bien qu’on oublia même leurs noms. Une députation, composée de quelques littérateurs et professeurs avec Philippe Sollers, se rendit auprès de François Fillon et du comte Borloo, " dans l'espoir, expliquait la presse libérale, d'éclairer la question de telle manière qu'on n'eût pas à employer la force armée ". Une montagne marchait contre une autre montagne, et une poignée de démocrates croyaient qu'il suffirait de se morfondre dans les antichambres de deux ministères pour éluder l'inévitable. Fillon refusa de recevoir la députation ; Borloo ouvrit les bras en signe de détresse. Ensuite, comme si l'on eût voulu, avec un sans gêne digne de Depardieu, introduire les éléments de la farce dans la plus grande des tragédies, le principal syndicat de police nia que des agents aient porté autre chose que des basquets Nike lorsqu’ils étaient déguisés en casseurs. Mais, dans la conscience républicaine des RG, dans cette informe masse de brouillard, les journées de novembre laissèrent une trace très précise. Pour un temps indéterminé, ils remisèrent aux archives notre pipolisme traditionnel avec son unique avantage : la foi en un heureux jeu de chaises musicales gouvernementales. Le règne stupide de Sarkozy fut, pour ce pipolisme, l'époque de son épanouissement. L'oukase de réforme parlementaire du 11 septembre en fut le fruit le plus mûr. Mais le 9 novembre balaya le " printemps " qu'il remplaça par la dictature militaire et par la toute puissance de l'inoubliable général Xavier Bertrand, que la fraction villepinienne des bébés Chirac venait justement de destituer du poste de grand maître de l’UMP. En même temps se dessinait plus nettement dans la société libérale la scission entre la démocratie et l'opposition prolétarienne. La manifestation des cols blancs donna plus de poids aux éléments bobos de l'intelligentsia, de même que, précédemment, la manifestation des cheminots avait servi d'atout dans les mains des éléments opportunistes enseignants. Pour l'aile gauche caviar de l'opposition, la question de la retraite à 60 ans se présenta enfin sous son aspect réel, comme une question de vie et de mort, de prépondérance des grands âges, d'impétuosité de la part des lourdes masses non-syndiquées. Et, en même temps, le prolétariat révolutionnaire, hier encore " fiction politique " des marxistes, devenait aujourd'hui une puissante réalité.
" Est-ce maintenant, écrivait l'influent hebdomadaire libéral La Tribune, après les sanglantes journées de novembre, que l'on peut mettre en doute l'idée de la mission historique du prolétariat urbain de la France? Evidemment, cette question, du moins pour le moment historique actuel, est résolue, non par nous, mais par les cols blancs qui, en ces mémorables journées d'horreur et de sang, ont inscrit leurs noms dans le livre d'or du mouvement social mondial. " Entre l'article de Copé et les lignes que nous venons de citer, il y avait un intervalle d'une semaine, et, cependant, c'est une page d'histoire qui les sépare.
IV
Le 9 novembre marque un tournant dans la conscience politique de la bourgeoisie capitaliste. Si, dans les dernières années d'avant la révolution, au grand dépit du capital, fut créée toute une école de démagogie gouvernementale (par les procédés du célèbre Alain Minc), qui provoquait les cols blancs à des conflits économiques avec les employeurs, dans le but de les détourner de tout conflit avec le pouvoir gouvernemental, désormais, après le weekend rouge, la marche normale des raffineries fut complètement interrompue. La production ne s'effectuait que par à coups, dans les intervalles qui subsistaient entre les files d’automobilistes. Les fantastiques bénéfices réalisés sur la rareté de l’essence, au lieu de revenir à l'industrie pétrolière qui subissait une crise, enrichissaient les gérants de stations service, jouissant d'un monopole ; le capital ne pouvait donc se résigner à voir la croissance progressive de l'anarchie intérieure en faveur du petit commerce. Les différentes branches du privé faisaient faillite les unes après les autres. Les cartels de Solidaires, les congrès des diverses CNT, les soi disant " amis de Lutte ouvrière ", qui ne sont que des syndicats déguisés, et les autres organisations du capital qui, hier encore, conservaient leur virginité politique, votaient aujourd'hui des ordres du jour de défiance à l'adresse de l'autocratie policière et s'exprimaient dans le langage du communisme. Les municipalités, non contentes de se joindre aux intersyndicales, passaient à l'avant-garde ; le syndicat des viticulteurs de Narbonne, composé en effet de marchands, occupa à cette époque la première place.
La lutte entre les différentes branches du capital qui cherchent à s'arracher les grâces et les faveurs du ministère des finances recule provisoirement devant le besoin que l'on ressent en général de renouveler le régime gouvernemental et les têtes de con. A la place des simples notions de radicalisation et de subversion, ou à côté d'elles, apparaissent des idées plus complexes : développement des AG, élargissement de la lutte. En même temps que ces pensées essentielles, toutes les déclarations, les faux sondages et les promesses vides des ministres organisés expriment le grave souci qu'ils ont de calmer les masses ouvrières et les cols blancs. Le capital a perdu ses illusions au sujet des vertus curatives de la répression policière qui, en frappant l'ouvrier, touche le portefeuille des cols blancs ; il en vient à cette solennelle conclusion que la marche pacifique de l'exploitation capitaliste exige un régime de retraite réel. " Toi aussi, Brutus ! " s'écrie la presse réactionnaire lorsqu'elle voit les militants de l’UMP, ces Vieux-Croyants, conservateurs de l'antique libéralisme travailler de leurs mains à dévier la question des retraites sur des balivernes de comptoir. Mais cette clameur n'arrête pas le Brutus de l'Elysée. Il doit suivre la courbe de son évolution politique pour, à la fin de l'année, au moment où le mouvement prolétarien atteint Noël, revenir se réfugier sous l'égide séculaire, une et indivisible, de Saint Nicolas.
V
Mais le massacre d'octobre eut une influence particulièrement remarquable et profonde sur le prolétariat du monde entier. D'un bout à l'autre de l’Europe d’abord, de la Chine ensuite, passa un flot grandiose de grèves qui secouèrent le corps de la terre comme un tsunami. D'après un calcul approximatif, la grève s'étendit à cent vingt millions de prolétaires, à plusieurs villes d’Asie et à dix pays d’Amérique du sud. Les masses prolétariennes furent remuées jusqu'aux profondeurs des mines du Chili. Le mouvement entraînait environ des millions d'âmes. Sans plan déterminé, fréquemment même sans formuler aucune exigence, s'interrompant et recommençant, guidée par le seul instinct de solidarité, l’insubordination régna dans le monde entier pendant environ deux mois.
Au plus fort de cette tempête, en décembre 2010, nous écrivions : " Après le 9 novembre, la révolution ne connaîtra plus d'arrêt. Elle ne se limite plus à un travail souterrain, caché aux yeux, pour soulever sans cesse de nouvelles couches ; elle en est arrivée à faire ouvertement, en toute hâte, l'appel de ses compagnies, de ses bataillons, de ses régiments et de ses corps d'armée. La force principale de cette troupe immense est constituée par le prolétariat ; voilà pourquoi la révolution procède à l'appel de ses cols blancs par la grève.
" Les unes après les autres, les professions, les entreprises, les villes abandonnent le travail. Les cheminots sont les initiateurs du mouvement, les voies ferrées servent à répandre cette épidémie. On formule des exigences économiques qui sont presque aussitôt satisfaites, en tout ou en partie. Mais ni le début de la grève, ni son achèvement ne dépendent dans une entière mesure des revendications présentées, non plus que des satisfactions qu'on y donne. Chaque grève partielle commence non parce que la lutte économique quotidienne en est arrivée à des exigences déterminées. Au contraire, on fait un choix d'exigences et on les formule parce qu'on a besoin de la grève. On a besoin de se rendre compte pour soi même, pour le prolétariat des autres régions et enfin pour la terre entière, des forces que l'on a accumulées, de la solidarité de la classe, de son ardeur à combattre ; on a besoin de faire une revue générale de la révolution. Les grévistes eux mêmes, et ceux qui les soutiennent, et ceux qui ressentent pour eux de la sympathie, et ceux qui les craignent, et ceux qui les haïssent, tous comprennent ou sentent confusément que cette grève furieuse qui court follement de place en place, ne s'arrête que pour reprendre son élan et passe en tourbillon, tous comprennent ou sentent qu'elle n'agit pas pour elle-même, qu'elle accomplit seulement la volonté de la révolution qui l'envoie. Sur le champ d'opérations de la grève, c'est à dire sur toute l'étendue du monde, est suspendue une force menaçante, sinistre, chargée d'une insolente témérité.
" Depuis le 9 novembre, la révolution ne connaît plus de cesse. Sans plus se préoccuper de garder les secrets de sa stratégie, ouvertement et bruyamment, foulant aux pieds les routines habituelles, se débarrassant de toute hypnose, elle nous mène vers son apogée. "

Avec mes meilleurs remerciements à mon collaborateur, Léon Trotsky.

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