L’aspect massivement moutonnier de la « grève générale » qui s’est déroulée hier en Espagne n e doit pas cacher une réelle inquiétude plus qu’une colère impulsive. On ne peut pas incriminer les prolétaires de suivre à chaque fois en chantant les processions syndicales, il n’y a pas d’alternative dans leur tête, ni dans un changement de gouvernement, ni dans une hypothétique révolution à court terme. Les syndicats avaient joué profil bas, eux qui représentent 16 % des salariés espagnols, avaient déclaré craindre une faible mobilisation. Et si on boquait tout en même temps en France et en Espagne où les attaques sont les mêmes contre la classe ouvrière ? On pourrait s’inspirer du commentaire suivant (si plein d’illusions pourtant) sur le blog Sarkofrance de Marianne :
« Pour la grève, mais la vraie »
Posted on 27 septembre 2010 by sarkofrance
Il est difficile de comprendre pourquoi certaines organisations syndicales n’appellent qu’à des mouvements sporadiques tous les 15 jours.
1. Face à une contre-réforme de grande ampleur, il faut un mouvement qui dure et perturbe.
2. Sarkozy répète depuis juin dernier que l’affaire est pliée. Il faut donc, encore une fois, un mouvement qui dure et perturbe.
3. La bataille de l’opinion est gagnée : cette réforme est impopulaire. Au sein du clan sarkozyen, on pense que les Français sont résignés. Il n’y a plus rien à perdre à provoquer un blocage des transports, des écoles, des lycées.
Alors pourquoi ? Pourquoi appeler à deux nouvelles journées isolées, les 2 et 12 octobre ?
Il est peu probable qu’une grève générale parvienne à s’imposer. Faire grève coûte de l’argent. Et mobiliser jusqu’à 3 millions de personnes les 7 et 23 septembre, deux ans après le déclenchement de la pire récession économique des 70 dernières années était déjà une belle réussite. Mais on peut imaginer des grèves tournantes : l’ile-de-France d’abord, la région PACA ensuite, etc; ou bien les transports publics, puis l’éducation, etc… Plus drôle, il faudrait trouver comment bloquer le centre de Paris, près de l’Elysée : une manifestation par jour, rue du Faubourg Saint-Honoré; qu’importe si elle n’est pas fournie; l’idée est d’encombrer. Face à un gouvernement autiste, il faut de la guérilla moderne »(*).
Franchement j’ai envie de dire « espéranza tchi tchi tchi » comme on dit en Espagne. Tout est ficelé par les organes gouvernementaux pour l’instant. Et preuve du marasme politique il n’y a pas de parti communiste ni d’organismes révolutionnaires à la hauteur, puisque pour l’instant la classe ouvrière n’est pas à la hauteur de la riposte nécessaire. Dans cette phase de la crise systémique la classe n’a pas les moyens ni une réelle volonté de déborder les syndicats, car la tâche est immense. Déborder les syndicats dans les années 60 et 70 ne signifiait pas la révolution au bout mais de sérieuses secousses et des possibilités de négociations. Si classe débordait les syndicats en ce moment cela signifierait qu’elle serait prêter à la confrontation directe avec des Etats forts, et à engager un combat majeur et risqué, des confrontations avec des morts, qui veut aller au casse-pipe en ce moment ? (qu’en pensent nos camarades espagnols ?).
Récit des dépêches AFP :
« Piquets devant les usines, files d'attente aux arrêts de bus, kiosques vides faute de journaux : l'Espagne a vécu au ralenti, mercredi, la première grève générale de l'ère Zapatero. Les syndicats se sont empressés de saluer l'importance de la mobilisation, contrebalançant les appels au calme du gouvernement. Pour le secrétaire général de l'UGT (Union générale des travailleurs), Candido Mendez, la grève contre une réforme du marché du travail déjà en vigueur a été "un succès de participation et un succès démocratique", et elle devrait entraîner "une rectification en profondeur de la politique du gouvernement". D'après l'organisation syndicale, la grève était suivie "à plus de 70 %" et par plus de dix millions de salariés dans le pays, voire à 100 % dans des secteurs comme la sidérurgie, l'énergie et les services de propreté.
De son côté, le gouvernement a assuré de "l'absolue normalité" de la journée avec des services minimum respectés, tout en cherchant à jouer la modération avec les syndicats. "Je salue la responsabilité avec laquelle la grève est suivie", a déclaré le ministre du travail, Celestino Corbacho, relevant que les services minimum étaient respectés à 98 %. Les centrales CCOO (Confédération syndicale des commissions ouvrières) et UGT avaient accepté de garantir, pour la première fois, des services minimum dans les transports, avec par exemple au moins 20 % des vols internationaux et 25 % des trains de banlieue.
Dans l'ensemble du pays, plus d'une vingtaine de personnes ont été blessées lors des heurts entre policiers et grévistes aux abords d'usines, et la police a procédé à une soixantaine d'arrestations. A Barcelone, des affrontements ont eu lieu entre policiers et militants d'extrême gauche "anti-système" en marge de la grève. (cf. article du Monde)
Les gauchistes espagnols sont contents, il y a eu du baston. Les gauchistes français en redemandent (des mouvements sporadiques bien encadrés) pour le printemps. Exemple de commentaire : Piquets devant les usines, files d'attente aux arrêts de bus, kiosques vides faute de journaux: l'Espagne a vécu au ralenti, mercredi, la 1ère grève générale de l'ère Zapatero. Les mobilisations en Europe contre l'austérité iront crescendo, je pense. Mais sa vigueur maximale sera atteinte vers le printemps... À samedi, tous dans nos rues! »
C’est pourtant sans lendemain comme en France, pure cocote minute débridée une journée. 72 % des personnes interrogées en Espagne pensent que, même si la grève est un succès, le gouvernement ne reviendra pas sur sa politique. On se croirait en terre sarkozienne…
(*) bilbonotry |28 septembre 2010 , va dans le même sens : « Comme disaient des jeunes en marge de la manif du 7, ce n’est effectivement pas entre République et Nation qu’il faut manifester, ça ne gêne personne, ça fait juste mousser les syndicats. C’est devant l’Assemblée Nationale, le Sénat, pendant les votes ou devant l’Elysée histoire de leur mettre la pression.
UN TEMOIGNAGE DE PROVINCE ASSEZ PROFOND DE LUCIDITE
"Manif quand tu nous prends..."
Salut Jean-louis,
J'étais à la manif à A... la semaine dernière, les gens étaient à la fois déterminés et timides, comme s'ils craignaient d'aller trop loin ou d'être déraisonnables (peur de parler trop fort, de se faire remarquer...) La confusion était complète à la fin, quand chacun avait envie de se rapprocher d'un noyau détenant le porte-voix, pour décider de la suite du mouvement, Sur la grande place de l'hôtel de ville chacun faisait son petit pas de danse et s'approchait tout en s'éloignant, chacun trouvait une excuse pour cacher sa lassitude et sa crainte d'aller plus loin (l'angoisse des acouphènes à la vue du porte-voix, la faim car treize heures tapait au clocher de l'église Saint-Trophisme, le désir car le magasin promod déstockait). Ceux qui ont voulu se resserrer sont vite retombés dans un discours de propagande pro-syndicat ou pro-NPA.
Il parait effectivement y avoir une grande lassitude chez les gens, et ces organismes syndicaux ou ces partis (qui communiquent plus qu'ils ne communient) sont perçus comme devant tenir des rôles et doivent tenir tel discours ou séduire en employant tel ou tel terme, faire semblant. S'ils voulaient vraiment, ils mettraient les routiers dans le coup, appeleraient les étudiants et l'affaire serait réglée. Il y a comme une retenue, comme si déjà les gens savaient qu'ils ne pourraient plus compter sur un mouvement global et collectif, comme si tout ceci n'était qu'un folklore, on va à la manif pour satisfaire sa conscience, se dire qu'on l'aura fait, en vain.
Car dans le fond chacun sait qu'il devra bientôt, déjà, se défendre seul.
Mon beau-frère est cheminot, maintenant à la retraite. En 1995, il avait participé au jupéthon et ce n'était vraiment pas la même chanson. A l'époque, je n'avais pas manifesté car je venais de trouver mon premier emploi sérieux après ma première expérience de chômage au sortir de mes études. Lui manifestait à grands coups de tambour dans les rues de Strasbourg et il était passé sous mon bureau parmi un cortège bruyant et fougueux (la pression était réelle, virile, les manifestants s'adressaient à Jupé d'homme à homme). J'étais descendu le voir et il m'avait fait une leçon, tout en continuant à frapper sur son tambour, son visage crispé, convaincu. Sa détermination et celles de ceux qui l'accompagnaient étaient terribles, mais en fait, si on y regarde bien, il aura surtout sauver ses avantages à lui en défendant un groupe éphémère. L'intérêt général et l'intérêt privé pouvaient alors encore se confondre afin de donner une force au mouvement, ce qui paraît ne plus être le cas aujourd'hui (d'où ce manque de conviction réelle). Peut-être l'effet de la fausse conscience (Cf le psychiatre Jospeh Gabel), une conscience créée de toute pièce, ou bien la considération d'une nouvelle réalité, une forme de sagesse... Mais c'est surtout l'absence de parole, d'un discours contradictoire qui soit constructif, qui propose autre chose (comment contredire une sincérité aussi talentueuse que celle d'un Jean-François Copé, quand il dit que ça ne l'amuse pas d'aller expliquer aux français qu'ils vont devoir travailler plus longtemps, peut-être l'idée réelle que cachait le slogan travailler plus...)
Les gens sont pris entre deux feux, en même temps ils ne peuvent pas s'opposer efficacement et ils n'ont pas la possibilité de défendre un point de vue différent (hormis la simple opposition). La seule que j'ai personnellement entendue, c'est à dire que quelque part ellle s'est rendue audible (ce que n'ont pas fait les autres) est Ségolène Royal, or même ceux qui étaient d'accord avec elle sur le fond la critiquent. Sinon, un grand vide, Aubry semble réciter sa leçon et pêche par opportunisme timoré. Toujours cette retenue face à la fatalité, une réalité construite de toute pièce mais à laquelle tous se réfèrent (quand chacun sait qu'il devra s'en tirer seul, l'expression "partage des richesses" vient se heurter à une contradiction interne, car s'en tirer seul, c'est espérer un jour avoir assez de pognon pour se sentir indépendant des autres, ces autres que l'on voit s'éloigner sur la pointe des pieds). Le système se fabrique de lui-même.
Ce qui n'est pourtant pas normal, c'est la petite grand-mère qui touche le minimum vieillesse et compte ses portions de vache qui rie quand elle s'approche de la caisse du monoprix. Elle ne pourra jamais créer une société qui lui permettra de faire fortune, et le loto je pense qu'elle n'y croit plus.
Voilà, j'espère que vous allez bien, on avait dit qu'on ferait un petit bilan de la journée du 23, il y avait comme une gêne à être ensemble, et la question en substance était bien celle-ci : qu'est-ce qu'on fait là ensemble ? Une question que l'on retrouve sans doute partout.
A bientôt,
Vincent
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