PAGES PROLETARIENNES

dimanche 29 août 2010

Viatique pour s’éloigner du quotidien pourri de la domination bourgeoise

Cette intro de Bordiga de 1956 à son « Dialogue avec les morts » devait être publiée sur mes archives maximalistes dont le site est en plein bug ; cette prise de distance avec l’actualité n’est pas faite pour dénoter dans ce blog résolument de plain pied dans l’actualité morose, contrite et pleine de faux-semblants journalistiques et syndicaux. Même avec ses exagérations, avec son style flamboyant et viril, Bordiga (1M80) dit l’essentiel pour notre époque d’attente de la révolution (je reproduirai plus tard son texte sur l’hypocrite « tolérance » bourgeoise que je n’ai pas encore retrouvé, mais qui est la meilleure réponse à l’angélisme antiraciste de toutes les fractions capitalistes actuelles, complété par le diabolisme anti-rom de Sarko et consorts (qui ont mis étrangement un bémol sur « l’intégration ratée » des ex-colonisés). La barque du partage des rôles entre méchants et gentils du même tonneau a encore de beaux jours devant elle, mais se brisera sur les principes communistes.

VIATIQUE POUR LES LECTEURS

"La connaissance du Dialogue avec Staline est une quasi nécessité pour comprendre clairement le présent travail, il a été publié par le mouvement qui publie ce dernier. Dans les pages par lesquelles cet écrit s’ouvre on en dit assez sur le lien chronologique et sur la nature toute spéciale du « débat contradictoire » que l’on continue ici à développer. Dans la préface de 1953 du Dialogue avec Staline nous avons clairement présenté les trois périodes de cette opposition ancienne et profonde.
Dans la première période, qui alla de 1918 à 1926, on peut dire qu’il s’agissait d’une divergence sur la tactique, au sein d’un mouvement qui tendait au même but, de la Troisième Internationale Communiste, fondée sur les ruines de la Deuxième tombée dans l’opportunisme social- patriote, sous l’impulsion de la Révolution russe d’Octobre 1917. L’aile gauche du socialisme italien, dont nous dérivons, dans la guerre et l’après-guerre, lutta, à partir de 1914, pour rompre avec toute version démocratique et pacifiste du socialisme et couronna sa lutte par la fondation à Livourne en janvier 1921 du Parti Communiste d’Italie. Au sein du mouvement international ce courant soutint des thèses qui divergeaient de celles de l’Internationale Communiste et de celles de Lénine lui-même, quant à la tactique parlementaire et à celle tendant à mettre en déroute les partis ouvriers opportunistes ; ce courant niait que la méthode de ce que l’on appelait alors le front unique, et pire la méthode du gouvernement ouvrier, étaient aptes à cette fonction de dispersion.
Ce bagage de contributions qui contenaient une dénonciation explicite des dangers de dégénérescence eut pour étapes les congrès de Moscou de 1920 à 1926 et les congrès du parti italien à Rome en 1922 et à Lyon en 1926.
Dans une deuxième période, après 1926, la divergence se développa jusqu’à la séparation organisationnelle et politique au cours de laquelle l’opposition de gauche fut partout fièrement battue, alors que ses prévisions d’involution de la majorité au pouvoir en Russie, en Europe et en Italie se trouvaient gravement confirmées. En Russie, la fausse théorie de la construction de la société socialiste russe sans révolution prolétarienne mondiale et en dehors de celle-ci l’emportait, et l’opposition, qui sur ce point et d’autres restait fidèle aux traditions des bolcheviks et de Lénine, succombait diffamée et exterminée. En Europe l’arrêt de la vague révolutionnaire et la consolidation insolente du capitalisme avaient comme conséquence défaitiste et lâche le passage des communistes dans les rangs des blocs comportant des partis et des classes non prolétariens, non pas avec pour objectif de renverser la bourgeoisie, mais pour sauver la démocratie libérale bourgeoise.
Dans une troisième période, avec la deuxième guerre mondiale, il fut clair que le désaccord s’était élargi jusqu’à devenir un abîme infranchissable de doctrines et de principes, avec le reniement total de la part du Kremlin, et de ses agrégats extérieurs, du marxisme révolutionnaire, notamment des principes fondamentaux défendus et revendiqués après la première guerre mondiale par ceux qui luttaient comme Lénine et avec lui1. Les partis étrangers furent jetés dans la collaboration sociale- nationale, dans une première phase en Allemagne, dans une deuxième en France, en Angleterre et en Amérique. La consigne de Lénine revendiquant le défaitisme dans tous les pays impérialistes belligérants et le renversement du pouvoir militaire et civil des capitalistes, fut remplacée par celle d’une ligue avec les États qui étaient militairement alliés à Moscou, alors que la lutte contre les États ennemis était menée non pour y détruire la bourgeoise mais pour rétablir ses formes libérales, liquidées dans la théorie de Marx et de Lénine, écrasées matériellement pour toujours à l’intérieur de la Russie, tant révolutionnaire qu’impériale.
Cette période marqua la liquidation organisationnelle et théorique de l’Internationale de Lénine et d’Octobre ; on y vit tirés les corollaires du passage total à la contre-révolution. Peu nombreux, mais avec un bagage puissant de continuité historique et doctrinale, nous proclamâmes, en dehors des clameurs des foules trompeusement ivres qui entouraient les partisans de ce que l’on nommait alors de tous les côtés le stalinisme, que nous avions depuis de nombreuses années en face de nous non plus un dissident qui avait perdu le chemin qui était hier le sien, et qui était toujours le nôtre, marxistes de toujours, mais un ennemi mortel, un ennemi juré de la classe ouvrière et de son chemin historique vers le communisme. Et dans le même temps, on fournissait des preuves évidentes de la nature capitaliste de la société économique instaurée en Russie, et de l’infamie centrale qui consistait à la présenter au monde comme une société socialiste ; infamie dans laquelle nous reconnaissions le sommet suprême de tant de trahisons bruyantes, le chef d’œuvre de l’infamie contre-révolutionnaire.
Dans le Dialogue avec Staline nous nous étions proposés de tracer les « périodes » futures de ce débat historique – que nous appelons tel même s’il manque à l’une des parties en présence des lettres de créance illustres – et nous prévîmes la confession à venir dans laquelle on déclarerait que deux liens étaient rompus : celui entre la structure productive russe et le socialisme ; et celui entre la politique de l’État russe et celle de la lutte de classe des travailleurs de tous les États contre la forme capitaliste mondiale.
Après trois années, le XX° congrès du Parti Communiste de l’Union Soviétique, s’il ne nous a pas mené au terme de cette étape historique future, a toutefois représenté un saut énorme, et peut-être nous a rapproché de celui-ci plus que ce à quoi nous nous attendions. Puisque toutefois les aveux scandaleux , qui ont un retentissement mondial à cause de la prise de distance vis-à-vis du mort Staline, prétendent encore être proférées dans la langue de Marx et de Lénine, le Dialogue avec le contradicteur fantôme doit se poursuivre : la Confession totale, qui viendra un jour du Kremlin, mais nous ne savons pas s’il suffira de trois nouvelles années, le réduira à leur monologue. Eux, ils avaient tant vainement espéré des confessions qu’ils arrachaient en torturant les révolutionnaires. Les Confesseurs se confesseront.
Notre position est aujourd’hui la suivante devant la torture infligée de façon exagérée et jusqu’à l’obscénité à celui qui était une Idole il y a encore trois ans : nous n’applaudissons pas du tout les iconoclastes. Notre position est cohérente à ce que nous avions établi à l’époque en prévoyant que tout au long de la course terrifiante à l’abîme allait s’élever le cri de ricanement du monde bourgeois contre les grandioses conceptions de notre doctrine révolutionnaire. Nous écrivions ce qui suit :
« Les méthodes de répression, de broyage que le stalinisme applique à ceux qui résistent, quelle que soit leur origine, trouvent une ample explication dans toute la critique que nous avons rappelée de son développement et elles ne doivent pas amener à donner son appui à tout type de condamnation qui, si peu que ce soit, voudrait se repentir de nos thèses classiques sur la Violence, la Dictature et la Terreur, armes historiques dont nous revendiquons l’emploi et dont il n’y a pas à se repentir. Ce repentir, aussi vague soit-il, n’est que le premier pas vers la propagande hypocrite des courants du ‘‘monde libre’’ et leur revendication mensongère de tolérance et du respect sacré dû à la personne humaine. Les marxistes, ne pouvant pas être aujourd’hui les protagonistes de l’histoire, ne peuvent rien faire de mieux que de souhaiter la catastrophe politique, sociale, et militaire de la domination américaine sur le monde capitaliste. Nous n’avons donc rien à faire avec la revendication de méthodes plus libérales ou démocratiques défendue par des groupes politiques ultra-équivoques, et proclamée par des États qui, dans la réalité, eurent, comme celui de Tito, les origines les plus féroces ».
De ces quelques paroles claires, comme de toute notre construction, d’autant plus compacte et différente de toutes les autres qu’elle n’est pas récitée devant des caméras de télévision par des figures de farce, on comprend l’accueil que nous devions faire aux contorsions pitoyables du XX° congrès et à la comédie de l’abjuration de Staline présentée comme un retour aux classiques de notre grande École ; alors qu’elle n’est qu’une étape dans la marche à reculons vers les superstitions les plus fausses de l’idéologie bourgeoise, une génuflexion vile devant les super-puissances du lupanar capitaliste contemporain.
Nous avons mis en couverture la brève épigraphe qui, avec ce raccourci de notre origine
historique, sauve notre petit groupe des confusions indésirables et déplorables.
Ajoutons une autre distinction. Il est certain que chaque pas de l’engloutissement que nous avons décrit plus haut des hommes du Kremlin dans les sables mouvants de la contre-révolution bourgeoise, nous rapproche de l’objectif dur et difficile à atteindre de la reconstitution du parti révolutionnaire auquel nous dédions toutes nos forces sans impatience vaine.
Quand l’histoire sonnera l’heure de cette reconstitution, la formation de l’organe de classe ne se réalisera pas au moyen d’une constituante risible de petits groupes et cénacles qui se disaient et se disent antistaliniens ou qui aujourd’hui se disent, bien ou mal, « anti-vingtième congrès ».
Le Parti, détruit goutte à goutte par trente ans d’une tourmente ennemie, ne se recompose pas comme les cocktails de la drogue bourgeoise. Un tel résultat, un tel événement suprême, ne peut que se trouver à la fin d’une ligne unique ininterrompue qui n’est pas caractérisée par la pensée d’un homme ou d’un groupement d’hommes, présents sur la « place publique », mais par l’histoire cohérente d’une série de générations.
Il ne doit surtout pas naître de nostalgiques illusions de succès qui ne sont pas fondées sur la certitude doctrinale indestructible du cours révolutionnaire que nous possédons depuis des siècles, mais sur la vile exploitation subjective de l’agitation et du fléchissement d’autrui. Exploitation qui est une voie misérable, stupide et illusoire pour un résultat historique immense.

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