PAGES PROLETARIENNES

samedi 30 janvier 2010



LE PENSEUR MODERNE: LE PROLETARIAT




En 2003, dans la version papier journal du Prolétariat universel (n°73) j’ai publié plusieurs articles entre autres sur la question des retraites (lequel n’a pas pris une ride sur la gravité de la question), mais j’ai choisi de republier l’article de tête consacré à mon modèle en tant que sculpteur, Rodin, en guise de salut amical aux camarades de Barcelone qui ont la chance jusqu’en mars de pouvoir aller voir « le penseur » prêté jusqu’en mars par le musée de Paris. Je fréquente régulièrement le musée de Meudon et l’exemplaire du penseur que vous pouvez admirer à Barcelone repose d’ordinaire au-dessus de la tombe de Rodin et sa femme face à son ancien grand atelier. Bonne visite et surtout après avoir lu mon article. Pensez-y camarades !



Il serait contraire à la vérité de dire que Rodin a travaillé pour les ouvriers, mais il fut un artiste qui leur voua toujours le respect. La place de l’ouvrier n’avait cessé de croître depuis 1830 dans l’art en général, et politiquement le rôle et la place des ouvriers étaient devenus prépondérants dans la vie politique. Les romantiques, Victor Hugo, Lamartine, George Sand, etc., s’étaient enthousiasmés hypocritement pour les premiers ouvriers-poètes et les recevaient dans leur salon. Malgré tant de sollicitude pour les exploités qui sublimaient leurs souffrances, Hugo le monarchiste légitimiste, puis orléaniste, nommé pair de France par Louis-Philippe, n'appuiera pas la révolution républicaine de février 1848, condamnera l'insurrection ouvrière de juin 1848, puis soutiendra la candidature de Louis-Napoléon Bonaparte à l'élection présidentielle de décembre 1848.


L’idée de perfectibilité de l’homme, qui avait déjà présidé à la Révolution française, se prolongeait dans toutes les réflexions à la fin du XIXe siècle. Le monde ouvrier fascinait.


Arrêtons-nous sur la gloire initiale du « penseur ». L’année 1905 est une année marquée par la première révolution ouvrière en Russie. Est-ce un hasard si Rodin produit son Penseur à la même époque ? Cette année-là, la revue « L’Univers et le Monde » écrit que le Penseur est l’apothéose du peuple souverain :


« sa tête s’était appesantie sur son poignet ployé, et le revers de sa main rebroussait sa moustache sur sa bouche, énergique (…) Il songeait à la fois en ouvrier et en artiste. Il songeait au maigre salaire de sa journée, aux difficultés de la vie (…) Le Penseur de M.Rodin, c’est au contraire l’ouvrier quelconque, anonyme, inconnu, le premier venu d’entre les prolétaires, dont l’artiste a exagéré encore, selon les exigences et les manies de son art, la grossièreté native. Il symbolise la société égalitaire et la république intégrale. Cette apothéose du peuple souverain dans le domaine des Beaux-Arts, devait complaire à nos maîtres. Le prolétariat serait flatté, pensait-on, de se voir prêter une pensée, lui qu’on accusa si souvent de n’avoir que des aveuglements et des instincts. »


Le journal socialiste L’Humanité du 29 novembre 1904 avait expliqué pourquoi la statue était bien offerte aux ouvriers et travailleurs de Paris : « C’est à celui qui passe dans la rue pour aller gagner son pain, c’est à celui qui est chez lui dans la rue qu’ils ont véritablement offert Le Penseur. Et pourquoi craindre de l’avouer ? Car ces pauvres-là l’acceptent. Le comité a recueilli neuf mille francs, et ce sont les souscripteurs de cinquante centimes et de un franc qui ont surtout amassé cette somme de neuf mille francs. Preuve éclatante que c’est bien le peuple, le vrai peuple. » Comme le mettra en évidence Pierre Daix en 1988, le Penseur est un monument laïque, démocratique, qui n'exalte plus un héros particulier, mais l'homme, la force créatrice du peuple. Ce n'est pas un hasard si l'écrivain Gustave Geffroy - auteur du roman "L'enfermé" dont Blanqui est le héros - a patronné l'exposition de la statue. Mourey a écrit du Penseur: "C'est l'œuvre du laborieux ouvrier qui a successivement assoupli et discipliné les matériaux fournis par la nature et les a utilisés pour le progrès social". Gustave Geffroy écrit dans l'Aurore du 22 avril 1906: "A travers tous les terribles et tristes événements que nous traversons, bouleversements naturels, tragédies sociales, accidents stupides - l'éruption du Vésuve, le tremblement de terre de San Francisco, les batailles de la grève, l'écrasement de Pierre Curie par un camion - il y a eu hier un instant d'accalmie. On a inauguré devant le Panthéon la statue du Penseur d'Auguste Rodin. C'est une grande victoire qui a été remportée par l'art indépendant. Rodin qui est honoré comme un maître à l'étranger, à Berlin et à Londres, a enfin pris possession du pavé de Paris." Mais le représentant de l'Etat se précipite pour récupérer provisoirement ce curieux penseur - avec ce triple contraste du fini du visage, le brut du bloc et le corps musculeux qui garde la trace des outils - qui n'a rien de l'antique sage ni de l'élite qui pète dans la soie: "Il est calme dans sa force, s'écrie le ministre le jour de l'inauguration, parce qu'il ne l'utilisera qu'au service de la loi. Si son attitude trahit quelque fatigue, c'est parce qu'il se souvient sans doute des longs siècles de lutte et d'oppression (…) C'est lui, il y a un siècle, qui forgea le fer vengeur de la liberté."


En 1967, dans son ouvrage aux éditions Flammarion, Yves Taillandier explique la signification de cette sculpture :


« Et sur quoi réfléchit-il ? Le sujet de sa sombre méditation, ne serait-ce pas la misère de la condition prolétarienne du vivant de Rodin ? (…) Rodin avait neuf ans quand Karl Marx écrivait son « 18 Brumaire de Louis Bonaparte ». Il est le contemporain des attentats anarchistes et du développement des mouvements socialistes. Au moment où sa gloire devenait mondiale, s’élevait la voix de Jean Jaurès. L’a-t-il entendue ? Les grands créateurs ne peuvent rester totalement étrangers aux grands mouvements qui animent la société à laquelle ils appartiennent. L’année de sa mort est l’année de la révolution bolcheviste en Russie, le triomphe de celle-ci, c’est aussi un peu son succès. »


Le Penseur devient définitivement un symbole socialiste après l’assassinat de Jean Jaurès. Il gêne même lors des festivités de la victoire de 1918 puisqu’il est enlevé du Panthéon pour être enfermé dans la cour du musée Rodin. Prométhée enchaîné… La statue a été laissée confinée dans cette cour par tous les régimes bourgeois successifs, y compris celui de Mitterrand. (*)


En 1909, Rodin avait écrit au député Paul Escudier :


« Mon cher Escudier, Je donne à l’Etat toute mon œuvre plâtre, marbre, bronze, pierre, et mes dessins, ainsi que ma collection d’antiques que j’ai été heureux de réunir pour l’apprentissage et l’éducation des artistes et des travailleurs. » Mais, outre qu'il finit un peu gaga et manipulé par diverses courtisanes, Rodin se comporta de façon peu honorable après la fin de sa relation extra-conjugale avec Camille Claudel, car il avait pris ombrage du talent de son élève, ne l'aidant pas à faire connaître son œuvre originale (oblitérant l'influence qu'elle eût sur son propre ouvrage). La séparation d'avec Rodin déclencha la terrible persécution de la pauvre Camille qui imagina jusqu'à sa mort en 1943 que Rodin essayait de l'empoisonner. Rodin qui lui avait empoisonné la vie, ne fît rien de conséquent pour empêcher son internement. Succombant ainsi aux injonctions de la morale officielle qui organisa au sculpteur des épousailles tardives avec Rose Beuret, pour laisser à la postérité l'image fallacieuse du bourgeois mi-fidèle face à l'épouse de jeunesse, mi-repentant face à toutes les amantes vénales.


On se tape de ce qu'il est advenu de Rodin, il reste aujourd'hui une œuvre et un symbole, comme sa sculpture, d'une tâche inachevée, qui était la manière de l'artiste mais pas la matière de la politique. Le détour par le musée Rodin de Meudon ne nous fut qu'une entrée en matière pour réaffirmer que nous vivons dans un monde dirigé par des fous du Capital, qui font n'importe quoi de plus en plus, dont il faudra se débarrasser parce leur gestion criminelle du monde est "impensable" et qu'il n'y a plus que les classes opprimées qui sont aptes à penser sérieusement à l'avenir. Le Capital croupit au présent, le Prolétariat vit pour l'avenir. Le vertueux Capital anti-terroriste Capital jouit du présent avec les méthodes de truands - la cavalerie d'Enron - pour détruire, le Prolétariat vit pour détruire ce qui détruit l'humanité.



(*) On a accusé Rodin d'avoir été quelques fois courtisan opportuniste pour préserver sa gloire, mais, en 1903 ce n'est pas le cas lorsqu'il ne cède pas aux sollicitations pour réaliser le buste du Kaiser, il est traité de "dégénéré" par le raciste juif Nordau, à l'égal des autres "dégénérés" Cézanne et Gauguin. Médecin hongrois sioniste, Nordau s'était rendu célèbre par ses thèses racistes "avec des raisons médicales" concernant les "dégénérés" Tolstoï, Ibsen et Wagner. Son ouvrage de 1894 "Dégénérescence" avait connu le succès tant en France qu'en Allemagne. Il servit par la suite de caution aux thèses éliminationnistes nazies. Le nationaliste israélien Sternhell et ses amis de la shoah-business se gardent bien de rappeler cet étrange auteur qui déconstruit toute leur thèse US d'une France éternellement raciste! La vieille bourgeoisie française suintant certes encore le racisme et le conservatisme féodal ne reconnut pas immédiatement Rodin , le mérite en revint aux Anglais. Significativement, elle le laisse tomber dans l'oubli dès le lendemain de sa mort (période de retour à l'ordre post 1918) et pendant soixante ans. Ce sont les Américains qui réhabilitent Rodin en…1964. Rodin continue pourtant de se moquer de cette vieille bourgeoisie française conservatrice et puante, car, si vous observez le Penseur côté droit, il est en train de chier.


Contrairement à une opinion répandue à tort, on ne célèbre pas toujours les grands artistes disparus, ainsi on ne peut qu'être interloqué devant le scandaleux silence des hypocrites expositions officielles sur l'œuvre de Chauvin, qui travailla avec Rodin, mais fut un des fondateurs de l'art abstrait universel du XXe siècle et mourut dans la misère à la fin des années 80. On dira à sa décharge qu'il ne sut pas "se vendre" de son vivant comme Rodin ou Picasso! Les journalistes hippies de la revue Actuel et le prix Goncourt P.Rambaud ont égaré mon interview de Chauvin en 1972, la deuxième et unique jamais réalisée. Merci encore à l’ouvreuse du musée Rodin à Paris qui a laissé entrer gratuitement ma compagne au chômage, estimant qu’elle n’avait pas à payer pour une œuvre saluant la classe ouvrière.



Sources: RODIN par Pierre Daix (Calmann-Lévy); RODIN l'artiste face à l'Etat par Rose-Marie Martinez (Séguier); RODIN les mains du génie par Hélène Pinet (Découvertes Gallimard)




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire