PAGES PROLETARIENNES

samedi 16 janvier 2010

HAITI…

LES BRANCARDIERS DU CAPITALISME ET

LEUR CHARITY BUSINESS A L’OEUVRE

Sur l’un des forums de Libération, en dénonçant brièvement sous son seul aspect hypocrite de « pornographie médiatique » le secourisme capitaliste (cf. ci-contre), je ne pensais encourir autant d’injures et de sermons désapprobateurs de type nationaliste primaire. Je ne devrais pas m’étonner de la grande crédulité des gens en général, assez représentative de la réceptivité obéissante de la moyenne face aux mastodontes de la propagande immédiatement mis en place, mais, même les naïfs finiront par se poser des questions après avoir longtemps barboté dans les eaux boueuses de la charité. Permettez que j’essaye de comprendre comment on ficelle le bon peuple face à une catastrophe « naturelle » qui incline à la générosité spontanée sans paraître concerner la politique des dominants, afin d’examiner ce qui lui a échappé s’il avait été ou pu être attentif à ce qui filtrait des médias, même si l’aveuglement du peuple est aussi dû à une forte dose d’imbécillité politique.

Le premier jour du tremblement de terre, l’émotion prend son envol quoiqu’on ne sache pas trop l’ampleur des dégâts. Des dizaines de milliers de morts, des millions de sans abris, et cela ne fait pas plus d’effet qu’un gigantesque carambolage au tunnel de Fourvière ou sur l’autoroute au niveau de Brioude. Pendant que le citoyen lambda compatit et vaque à ses occupations triviales, on lui assène que Haïti est le pays le plus pauvre de la terre, ce qui ne veut rien dire en soi puisqu’il y a tant de pays plus pauvres les uns que les autres. Ce fort relent d’aquoibonisme signifie cependant : laissez de côté toute réflexion envoyez votre obole et priez pour qu’il n’y ait pas trop de morts.

Le deuxième jour alors que la puanteur des cadavres commence à se répandre, les choses se corsent pour les vertus du secourisme international. Hors des heures de grandes écoutes, et pour les cadres supérieurs dans leurs voitures avec chauffeur, vers le milieu de matinée, sur une radio sérieuse et non envahie par la musique ininterrompue et sirupeuse, France-Inter par exemple, pointent des analyses moins nunuches que « l’émotion » de la veille. Des journalistes se questionnent sur la précipitation de la Chine (à l’exact opposé de Haïti sur le globe) pour intervenir la première. En bons marxistes non orthodoxes, les voix des journalistes commentent que la Chine a des intérêts locaux à Haïti, des ressortissants, mais que, avant tout elle a tenu, avec un avion cargo, une poignée d’infirmiers et quelques clébards, à honorer sa place de « grande puissance »… avant les autres. Peu après, toujours au deuxième jour, Le Monde titre « Les américains prennent en charge la coordination de l’aide », la poussée pachydermique du maître des lieux dans la zone caraïbe trouve les mots monde-diplomatiques pour voiler l’arrivée en nombre des parachutistes US (vrais militaires) sous prétexte de mettre de l’ordre sur un aéroport fort embouteillé[1]. L’armada US a rappliqué fissa en survolant Cuba avec l’aval de papy Castro. Il est vrai que chaque impérialisme ne s’était pas soucié du voisin et que les divers avions cargos de Belgique, de France, d’Allemagne, du Japon, de Russie, etc., arrivaient pour la parade dans le désordre. Soyons clair, la compétition « humanitaire » fait rage. Pousse-toi de là que je m’y mette est la règle des dames patronnesses impérialo-humanitaires. La bourgeoisie française, concernée au premier chef par son ex-colonie, est à la fois vexée d’être tenue en marge du grand barnum et ne tient pas à « raquer » au profit de l’ONU ni des pachydermiques ricains. Et elle le fait savoir, via les french doctors de service, Brauman et Kouchner, lesquels rappellent sur TF1 (la chaîne de l’info simpliste brushing) que cela ne sert à rien de se précipiter à faire des dons (allusion aux dons « de trop » lors du tsunami ou au téléthon qui ramasse du fric à ne pas savoir qu’en faire…).

A décharge des Etats-Unis, mais comme une peau de banane glissée sous leurs pattes d’éléphant, les médias français s’empressent de faire savoir, concernant leurs « renforts » militaires nécessaires face aux pillages (car la force armée de l’ONU, la MINUSTAH est minable) –– que cette aide à un petit Etat liquéfié par les éléments naturels anarchiques vise à éviter « l’émigration soudaine d’un million de haïtiens vers les côtes US »[2]. Des gros bras kakis pour empêcher la fuite des populations démunies cela fait déjà moins charitable, même si chacun conçoit qu’une police militaire entraînée est nécessaire face à l’évanouissement de la police locale et à la fuite des 4000 détenus de la prison de Port-au-Prince. Conclusions des deux premiers jours : sous la sordide exhibition des nombreux enfants morts et des photos satellites des zones dévastées, l’aide humanitaire consiste en tout premier lieu à FAIRE LA POLICE DES LIEUX. En second lieu, l’aide humanitaire vise à aggraver la misère.

L’AGGRAVATION DE LA MISERE

Le plus grand drame pour la bourgeoisie mondiale a été immédiatement ce constat : « L'Etat haïtien a été décapité par le séisme, qui a détruit de nombreux ministères ainsi que la présidence et le parlement. Le ministre de la Santé a indiqué que le siège du gouvernement avait été transféré dans un commissariat de police » (AFP). En oubliant un instant le gendarme US, ce qui, en soi, pourrait ravir n’importe lequel de nos anarchistes primaires, n’est pas une catastrophe utile aux êtres humains de cette île, puisque d’une part il n’y existe pas un prolétariat consistant apte à gérer la situation intenable et que de toute façon les gouvernements de Haïti ont toujours été des croupions fantoches du puissant voisin et le dernier en date bureau réduit des « gouverneurs » se fiche de la misère absolue qui règne d’ordinaire comme de l’identification actuelle du nombre immense de cadavres[3].

Au troisième jour, la question sociale repointe le bout de son nez brisé et pissant le sang. Les antillais qui ont de la famille ou des relations avec Haïti ont su dès le départ la cruauté de la situation autrement que nos béni-oui-oui du charity business[4]. Je note un commentaire dans le tas : « Je viens d'avoir un ami au téléphone qui est à Port-au-Prince, il vient de faire le tour de la ville: il n'y a pas d'aide internationale dans la ville: elle est juste concentrée sur les hôtels et bâtiments ou se trouvaient des occidentaux, et autour des bâtiments officiels, il a vu des enfants marcher dans la rue, blessés qui n'ont pas mangé ni bu depuis 48h...et l'aide n'est pas là malgré ce que racontent les TV ».

Selon l'ONU, la situation sécuritaire en Haïti était "tendue mais gérable" : « « C'est sûr, la violence a toujours été un problème en Haïti, ce n'est pas nouveau. Jusqu'à présent, la Minustah patrouille (dans les rues) dans la mesure du possible", avait déclaré une porte-parole de l'organisation. "Imaginez que ces gens n'ont pas bu ni mangé depuis près de 50 heures et qu'ils sont déjà dans une très mauvaise situation. S'ils voient un camion abandonné ou s'ils voient un supermarché qui vient de s'effondrer, ils se précipitent pour attraper quelque chose à manger", a-t-elle expliqué. Le Programme alimentaire mondial avait annoncé que ses entrepôts de nourriture ont été pillés. Selon le PAM, ce genre d'attaque était prévisible étant donné la situation sur place. "Nous ne savons pas exactement combien (de nourriture a été pillée) à ce stade. Nous essayons d'apporter les vivres que nous avons à disposition aux gens. Pour l'instant, ce que nous avons pu faire n'est qu'une goutte dans l'océan", a déclaré la porte-parole de l'agence. Le PAM prévoit que deux millions d'Haïtiens vont avoir besoin d'une aide alimentaire d'urgence dans le mois qui vient. Moment fatidique ce 3e jour, le très démocrate Libération n’ouvre pas ses forums aux commentaires face à l’article « La colère monte à Haïti où l’aide tarde à venir » !

Si si l’aide première, l’aide militaire n’a pas tardé à venir. L’aide humanitaire viendra, mais pour l’instant elle est à la parade. On défile avec les hôpitaux gonflables dernier cri et des bergers allemands en cage face aux spotlights du monde entier, en prenant le temps de laisser crever sous les décombres les éventuels survivants (passé 48 heures en général il n’y a quasiment plus de survivants). L’aide humanitaire sera constituée pour l’essentiel dans les jours qui vont suivre par les croque-morts pour décompter les cadavres et les balancer avec la gueule des bulldozers dans de vastes fosses communes aussi anonymes et aussi peu importantes que l’amas de gravas empilés des bidonvilles enchevêtrés sans noms de rue, sans numéro, sans rien.

L'ONU a lancé un appel d'urgence à la communauté internationale pour récolter 560 millions de dollars d'aide pour Haïti. Pour l’instant il n’y a que des « promesses d’aide pécunière », chaque capital national tient à ses sous. La bourgeoisie française taxée d’être radine, se défend : «Nous avons choisi de consacrer toutes nos ressources disponibles à l'aide d'urgence», a expliqué à 20minutes.fr un porte-parole du quai d'Orsay. «Cela tient beaucoup à la personnalité de notre ministre», a justifié le ministère des Affaires étrangères, en référence au passé de Bernard Kouchner, cofondateur de Médecins sans frontières et de Médecins du monde. Les autres pays, cependant, ont fait le choix de dépêcher des secours sur place et de donner de l'argent à l'ONU. «Nous n'avons pas les moyens des Etats-Unis», avance le quai d'Orsay, qui rappelle par ailleurs que l'Union européenne a promis un don de plus de 4 millions de dollars. «La France est un des plus gros donateurs du fond européen, à hauteur de 20%», affirme le porte-parole ». La ministre Lagarde a fait valoir que les airbus engagés pour le rapatriement des ressortissants avait déjà coûté cher à Bercy, quoique les ressortissants rapatriés étaient surtout blancs de peau et des classes supérieures. La ministre a fait une belle promesse comme on les aime, elle proposera à un Club des financiers de Paris d’annuler la dette haïtienne (54 millions d’euros), ce qui serait chouette… Mais bernique pour l’ONU et le big boss US. La ministre a surrenchéri que la bourgeoisie française « montrera l’exemple au moment de la reconstruction ». Mon œil ! Une fois les spotlights éteints les haïtiens pourront retourner croupir dans leur misère absolue. Pas de meilleur résumé pour la suite de l’enfoncement dans la misère de la population haïtienne que ce laconique commentaire d’un journaliste ! « Haïti va devoir reconstruire mais en aura-t-il les moyens ? », sans oublier d’autres possibles tremblement de terre du destin…

Dans l’immédiat il y a de fortes chances que la plupart des victimes encore vivantes soient encore privées de nourriture et que l’argent « humanitaire » soit phagocyté par les nouveaux tontons macoutes du charity business :

- Le Programme alimentaire mondial (PAM) de l'ONU, qui prévoit de distribuer une aide d'urgence à 2 millions de sinistrés, a annoncé vendredi que ses entrepôts à Port-au-Prince avaient été pillés. «Imaginez que ces gens n'ont pas bu ni mangé depuis près de 50 heures et qu'ils sont déjà dans une très mauvaise situation. S'ils voient un camion abandonné ou s'ils voient un supermarché qui vient de s'effondrer, ils se précipitent pour attraper quelque chose à manger», a expliqué Elisabeth Byrs, porte-parole d'Ocha.

- « Le gouvernement nous bluffe. Il y a des millions de dollars qui rentrent mais on ne voit rien. A la tête de l'Etat, un groupe d'amis se partage cet argent », accuse Kassana-Jean Chilove, un mécanicien qui a perdu sa fille dans le tremblement de terre.

A ceux qui m’ont reproché de ne rien proposer et de rouspéter derrière un clavier, je propose de réfléchir politiquement et socialement avant de pleurer avec les pleureuses, avant de chanter la Marseillaise avec nos exploiteurs, avant de secouer la sébile aux ordres des curés et au profit des tontons macoutes. Aucun souci à se faire pour les dons d’argent. De l’argent il y en a et il y en aura en masse, mais pour en faire quoi, qui dirige, qui distribue cet argent ? Va-t-on fournir des logements, des vêtements aux survivants, un travail ?

Conclusion révolutionnaire : parfois il n’y a rien à faire. On est les bras ballants mais c’est surtout pas une raison pour fermer sa gueule ! Et c’est pourquoi je continuerai à l’ouvrir pour qu’on n’oublie pas les cadavres dont le capitalisme est responsable aux côtés des catastrophes dites « naturelles ». Je hais aussi la nature !



[1] Haïti n'a pas d'armée et ses forces de police ont quasiment disparu dans le chaos qui a suivi le tremblement de terre. Le maintien de l'ordre reposait entièrement sur la force de l'ONU, dont les quelques 7.000 soldats et 2.000 policiers étaient déployés depuis 2004 pour aider à stabiliser le pays, mais ces unités ont été rapidement débordées. Les parachutistes de la 82e division aéroportée de l'armée américaine ont donc pris le contrôle de l'aéroport Toussaint Louverture où ils débarquaient du matériel lourd, sous les yeux de centaines d'Haïtiens et d'étrangers espérant quitter cet enfer. Des milliers de GI’S arrivent tous les jours, curieux infirmiers !

[2] En langage journalistique cela donnait ceci : « Les responsables américains craignent toutefois qu'une plongée dans le désordre ne déclenche - comme cela s'est produit par le passé avec de précédentes catastrophes - un exode d'Haïtiens désespérés cherchant sur des embarcations de fortune à gagner les Etats-Unis ».

[3] Depuis la fin de la colonisation et avec l’ère du sanglant dictateur Duvalier, la terreur militaire a toujours régné à Haïti. On apprenait avant-hier sur une radio périphérique que des bandes armées « macoutistes » étaient spécialisées dans l’exécution de personnes atteintes du sida, qui étaient jetés parfois vivantes aux requins depuis un hélicoptère (à la façon des militaires argentins) et dont on avait gardé des fioles de sang pour l’injecter à des opposants politiques. La barbarie machiavélique capitaliste n’a ni frontière ni limite.

[4] « "Il y a tant de corps dans les rues que les morgues sont pleines, les cimetières sont pleins", témoigne le chanteur américano-haïtien Wyclef Jean, venu prêter main-forte à ses compatriotes dans un contexte de violence créé par le désespoir de la population, au risque de ralentir les secours ». Ce commentaire puant accuse la population meurtrie et fait la morale « secouriste », quand violence et désespoir sont tragiquement légitimes, quand ceux qui « ralentissent » sont les armadas militaires et les querelles de préséance des cliques du charity business.

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