PAGES PROLETARIENNES

vendredi 6 novembre 2009

La dernière camoinade: LES ADIEUX PIEUX DE CAMOIN AU PROLETARIAT

NECESSITE TRAGIQUE, MAIS IMPERIEUSE,

D’UN NOUVEAU 1905[1]

Il n’y a pas de controverse à mener avec ce texte de R.Camoin sur des capacités que le prolétariat aurait perdues. Le prolétariat reste la classe révolutionnaire moderne malgré tant de spécificités que plaque la bourgeoisie moderne sur la principale classe productrice qui menace son avenir.

Après tant d’autres, et sur un mode hautain, Camoin fait à son tour ses adieux au prolétariat, tout en se revendiquant d’un ancien prolétariat (bien idéalisé au demeurant). A partir de tout petits exemples de petites boites de province touchés par la crise, il vitupère contre des ouvriers « sans conscience », mus par l’appât du gain qui permet de consommer, laquelle consommation toujours plus vorace implique de bosser le dimanche, Camoin se permet de mépriser une masse d’ouvriers « incompétents » selon lui « à lire un croquis » (comme s’il avait été, lui-même, contremaître dans la vie active et non cet ouvrier incapable de se servir d’un tournevis). Le mépris est encore plus déplacé de sa part lorsqu’il pointe du doigt, comme un petit bourgeois encultivé « l’absence de budget culturel » en milieu ouvrier qui impliquerait chez les progénitures : « une carence de développement de leur humanisme spirituel ». Il fallait l’inventer cette carence là, après les diverses carences : alimentaire, pécunière, intellectuelle, parentale, etc. On pouvait penser que R.Camoin tiendrait longtemps encore le flambeau du « prolétariat » face aux modernistes négateurs et à un milieu maximaliste exsangue qui se livre désormais plus à des études sociologiques qu’à une réflexion politique. Hélas, il fait ses adieux à un prolétariat dont sa description copie exactement la vision de l’intellectuel bourgeois moyen et du gauchiste anti-raciste.

Pire, avec sa trouvaille du terme religieux « métanoïa », tel un nouveau pope Gapone à l’envers, il souhaite pour ce « prolétariat d’hypermarché » - même tragiquement mais impérieusement – « un nouveau 1905 ». Passons sur l’image gauchiste classique éculée de la « répétition générale » - cette première révolution russe spontanée contrairement à la seconde aurait servi à « réveiller » le prolétariat pour préparer la seconde – passons aussi sur la croyance en une bourgeoisie suffisamment débile pour « tirer dans le tas » à nouveau. Et arrêtons-nous sur l’appel à cette « métanoïa » : vivement que la bourgeoisie tire dans le tas comme lors du dimanche sanglant du 9 janvier 1905 ! ainsi le prolétariat pourra « se repentir » d’avoir trop longtemps consommé et de s’être amusé pour (enfin !) s’agenouiller totalement devant son parti « rédempteur ». Ce discours délirant nous fait étrangement penser à une idéologie qui triompha au cours des années 1930 dans un pays au centre de l’Europe. Si cet « humanisme communiste » n’est pas du fascisme, il lui ressemble étrangement !

Néanmoins, sans aucun besoin de répondre à cet auteur, plus en dehors des réalités - à l’abri du souci financier - que dangereux prédicateur, la question « où en est la classe ouvrière politiquement actuellement ? » me semble un sujet de débat autrement plus rationnel et intéressant que d’aller puiser des récriminations dans les fosses d’aisance des sociologues, des moralistes gauchistes et des journalistes corrompus.

Avant de parler au nom du prolétariat ou du prolétariat, surtout ceux qui le conchient comme « impur », devraient lui poser humblement les questions qui s’imposent.

Où en est la classe ouvrière ?, cela sera l’objet de notre réflexion et quiconque veut écrire, participer sur ce sujet, trouvera porte ouverte sur ce blog. Il nous faudra aussi élaborer un nouveau… « questionnaire ouvrier » avant de prétendre donner des leçons sur l’escabeau du parti disparu.

Je publie en tout cas ci-dessous intégralement le texte de Camoin car la plupart des lecteurs de plus en plus nombreux de ce blog ne vont pas aller acheter un des 50 exemplaires « Présence Marxiste ». Ceci dit, si quelqu’un veut lui répondre, ces colonnes sont ouvertes.

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"UNE classe de la société n’est classe historique que lorsqu’elle est organisée en parti politique distinct pour atteindre un but propre, lequel passe par la prise du pouvoir de l’Etat. Le prolétariat n’est classe que lorsqu’il est constitué en classe organisée, réintégrant son être profond et professant son programme révolutionnaire pour, conformément à ce que lui prescrit sa mission historique, atteindre un but. Le prolétariat n’est donc classe historique et révolutionnaire que lorsque, constitué en parti, il vis à réaliser un ordre économique communiste. Ainsi est codifiée la révolution prolétarienne. Son mouvement, son envergure, sa profondeur et se conquêtes ne deviennent une réalité que par le pouvoir concentré et unitaire, du prolétariat réalisant dictatorialement la dimension politique de la révolution.

Le tableau sous nos yeux aujourd’hui est celui d’une société écrasée par la puissance du Capital. Nous n’y voyons s’accumuler que des signes de la domination de l’impérialisme. La soumission des hommes à l’ordre industriel ne cesse d’être plus complète. L’activité du facteur vivant des rapports de production capitaliste se manifeste uniquement comme procès de valorisation du capital qui emploie la force de travail comme productrice de plus-value : des bottes, du fil, etc., qui lui appartiennent. Aujourd’hui, le prolétariat n’est que force de travail-marchandise aliénée, au lieu d’être aussi classe-en-soi, et classe pour elle-même et pour ses intérêts. Laissons les conseillistes d’Echanges et les « communisateurs » de ‘Théorie Communiste’ et de ‘Meeting’ à leurs « luttes révolutionnaires » en Argentine, Révolution Internationale à ses espoirs iraniens, la « FI-CCI » à ses « résistances aux licenciements » ou La Lettre Internationaliste à son Comité de lutte des chômeurs et des Précaires de Rennes et Le Prolétaire à son « LKP » guadeloupéen !

La crise économique n’a pas été propice à la mobilisation du prolétariat et s’est déroulée sans explosion des luttes. Tout au contraire, elle a regonflé de chiffres notables les organisations syndicales françaises. Durant les derniers huit mois, c'est-à-dire au plus fort de la crise, il y a eu une puissante poussée de syndicalisation qui a augmenté considérablement le nombre d’inscrits aux trois principales confédérations ouvrières. Enterrées par les annonciateurs de la révolution, les vieilles maisons syndicales redorent leurs blasons, se font une nouvelle santé. Observons que cette re-syndicalisation et ces adhésions nouvelles viennent après des conflits du travail extrêmement pitoyables, faits de rodomontades luddistes jamais mises à exécution (la fameuse « insurrection qui vient ») et de capitulations, tout ce qu’il y a de plus réel, devant les plans sociaux. Les travailleurs ont fait un grand bond en arrière ! Voués à des salaires en baisse, frappés par un despotisme effréné, menacés par le chômage, ils se raccrochent à ce qui subsiste de la petite réserve que leur avait donnée le Capital et, avec elle, à la mentalité bourgeoise qui résiste à tous les coups. Ils deviennent toujours plus conservateurs et parfois se montrent même plus réactionnaires que les syndicats qui sont les organes de la contre-révolution. En voici l’illustration.

Cela faisait deux, trois années que les employés d’hyper-marchés en grande banlieue (entre Marseille et Aix) manifestaient au coude à coude avec leurs chefs de rayon pour la liberté du travail, c'est-à-dire pour obtenir une loi cadre leur permettant de venir travailler un dimanche sur deux, voire tous les cinquante-deux dimanches de l’année, ainsi que les jours fériés. La vie est si chère, même chez Auchan ! Enfin, ils l’ont obtenue et elle est entrée en vigueur le dimanche 16 août. Ainsi, des travailleurs abrutis et sans aucune espèce de conscience de classe, ont permis au Capital de revenir en arrière d’au moins centre trente cinq ans en ce qui concerne la durée légale du travail hebdomadaire. On ne lutte plus pour la promulgation d’une loi d’après laquelle le travail est interdit le dimanche, mais pour obtenir une loi qui le permet, c'est-à-dire qui rend plus omniprésent l’esclavage capitaliste.

Tels autres, qui venaient d’être brutalement lockoutés dans une moyenne entreprise du Tarn, région toulousaine, cherchaient à rentrer de force, malgré quelques vigiles, dans les ateliers qui sont, ont-ils déclaré à la presse et à la télé, leur second « chez soi » où est réunie une « seconde famille », s’y souciant de sortir des produits de qualité « qu’on nous envie », pour satisfaire une vanité d’aristocrates ouvriers se conformant aux règles d’une conscience professionnelle exigeante, respirant à l’aise un climat de « liberté » dans l’atelier, désirant la continuation du système.

Ailleurs d’autres débrayèrent pour faire réintégrer leur directeur viré, pour motif économique, du Conseil d’Administration de l’entreprise, comme si celui-ci et celui-là n’avaient pas pour fonction d’imposer un accroissement du taux de leur exploitation par le Capital, pour qui ils sont un frais d’entretien parmi les autres, comme les frais de comptabilité, les frais de conservation et les frais de transport, afin que la production et la reproduction continuent sans interruption, afin qu’il y ait sur le marché une masse formant, par conséquent, provision de marchandises consommables.

Nous découvrons dans les « luttes » actuelles, au mot d’ordre évocateur « la démocratie dans l’usine », le signe d’une indiscutable victoire du Capital sur le Travail. Disons que les « luttes » économiques d’ouvriers dévoyés soudent en fait le prolétariat à ses exploiteurs en l’amenant à se considérer solidaires de l’entreprise-patrie et donc de tout le système capitaliste en échange d’un billet d’entrée au Stadium de Toulouse ou au Vélodrome de Marseille.

Les ouvriers sont devenus des masses organisées militairement pour gagner la bataille de la production, simples soldats de l’industrie, c'est-à-dire le contraire d’une société. L’ouvrier ne compte plus comme personne. Le Service du Personnel, rebaptisé Service des Ressources Humaines, le compte seulement comme force de travail. Les personnes qui composent ces masses d’ouvriers perdent tous les caractères qui les différenciaient antérieurement.

Il y a de plus en plus de manœuvres dans l’industrie. Les tests passés par les ouvriers des ateliers de grande série révèlent un fléchissement de l’intelligence logique et de compréhension. Lire un croquis, comprendre un plan graphique devient un casse-tête. Notons l’abrutissement par le bruit. La matière sort, en quelque sorte, humanisée de l’atelier. Les hommes s’y corrompent. La dégradation est si perverse que certains ne sont à l’aise que dans le travail à la chaîne. La condition ouvrière est une condition inhumaine.

La société bourgeoise se caractérise par une structure juridique démocratique qui autorise jusqu’à plus soif l’appropriation, en principe illimitée, des biens de consommation par l’individu, qu’il appartienne à la classe possédante ou qu’il soit de la classe des sans-réserves de vie assurée au jour le jour par l’emploi et la rémunération de sa force de travail. Le prolétariat, déjà diminué par sa condition, est de tous les citadins le plus esclave de la pâte subtile de la consommation.

En fonction de la conduite observable de l’adulte des milieux ouvriers, et parce que toutes les déterminations sont connues d’un matérialiste, on établira que sa vie personnelle est celle d’un numéro anonyme stéréotypé qui aime ce qu’on lui tend. Son individualité arasée est celle d’un suiveur des modes qui n’a aucune appétence intellectuelle. La pensée qui a une fin pure ne l’absorbe pas et ne le détourne pas des autres activités, toutes routinières et dépendantes de buts concrets envahissants. Sa vie, devenue insensible à ce qui n’est pas matériel et où les sursauts affectifs sont rares, est esclave du crédit qui permet la réalisation de ces objectifs.

Cette vie n’a pas de racines dans une communauté d’idées née des besoins les plus profonds de l’être social témoignant contre le Capital. Il ne milite pas pour ne pas « perdre » son temps et son argent dépensés alors de façon individualiste parce que reposant sur l’intérêt et le calcul personnels. Comme sa petite réserve lui a donné le sentiment d’appartenir à la communauté des possédants, il se prononce pour le rétablissement de la peine de mort. Avec cela, il manifeste une véritable xénophobie devant l’afflux des ouvriers non-nationaux et abandonne des professions ou des postes de travail où ceux-ci sont en majorité et pourraient le commander.

Les dépenses dites de « culture » sont pratiquement inexistantes dans les budgets ouvriers qui, par contre, sont de prodigieux budgets d’amusement. Les enfants prolétaires présentent donc, en moyenne, une carence de développement de leur humanisme spirituel. Cela s’est vérifié une fois de plus lors de la disparition du chanteur noir américain M.Jackson, idole monstrueuse – morale comme physique – d’une jeunesse totalement pénétrée d’un mode de vie petite bourgeoise qui l’éloigne définitivement de la voie pour atteindre la conscience de classe objectivement possible et nécessaire pour l’unification de la communauté des hommes dépositaires et administrateurs des richesses de la Nature. Cette « liberté » qu’elle revendique ne peut représenter la liberté. Elle ne sert que le règne de la marchandise, et non l’inverse. Elle sera donc combattue par la dictature du prolétariat.

L’ouvrier, comme l’homme de la classe moyenne, est la proie docile des idéologies d’élection du Capital, idéologies aux visages multiples et destructrices de la conscience de soi de l’homme. Cela aboutit au rejet des systèmes, de l’esprit de système des philosophies organiques où tout se tient. Le prolétariat ne retrouve pas la théorie marxiste de la plus-value. Décervelé par les médias omniprésents, il ne tire pas les mêmes conclusions que l’auteur du Capital. Et il reste sourd aux appels à la lutte finale de Lénine. On l’a dépossédé de ce qui lui revient.

En le prolétariat actuel a disparu jusqu’à la dernière des caractéristiques de classe. Le prolétariat a perdu ses capacités d’ébranlement pour le combat de classe à classe. Le prolétariat n’est nulle part prolétariat-classe contre la bourgeoisie-classe. Né de la bourgeoisie, le prolétariat est retourné se mettre au chaud dans le ventre de la bourgeoisie. L’histoire ouvrière de l’époque sans révolution, c’est l’histoire de la déprolétarisation et de l’embourgeoisement des masses ouvrières sans vitalité. Une bourgeoisie hautement intelligente rationalise l’absence du prolétariat socialiste de la scène de l’histoire. La bourgeoisie soumet tout à son pouvoir orgueilleux.

Les révolutionnaires ne recrutent plus de militants dans cette classe ouvrière à laquelle seule un nouveau 1905 servirait de metanoia[2] : reprise de la conscience de soi et de la présence à soi réintégrée tout à la fois dans sa passion et la vérité totale de son programme.



[1] Editorial de Présence Marxiste n°80, novembre 2009.

[2] Robert Camoin utilise ce mot religieux dans le droit fil de ce délire sur le parti immanent. Il demande au prolétariat « consommateur et inculte » de se mettre à genoux.. Le mot métanoïa se traduit généralement par " pénitence " ou par " repentance ". Métanoïa signifie pour les curés " au-delà de nous ", au-delà de l'intellect, de notre raison rationnelle et se rapporte à un mouvement de conversion ou de retournement par lequel l’homme s'ouvre à la divinité. Face à la faute « originelle », le repentir est une ré-orientation du désir vers la divinité-parti idéaliste. Attention à l’utilisation maléfique de ce terme, il peut se retourner en « paranoïa » pour celui qui l’utilise !

mardi 3 novembre 2009

Résister à l’air du temps

"Dès le début, une malédiction pèse sur "l'esprit", celle d'être "entaché"

d'une matière qui se présente ici sous formes de couches d'air agitées,

de sons en un mot sous forme du langage".

Karl Marx (L'idéologie allemande)

Bernard Lahire écrit: "Les évolutions sociologiques de ces quinze dernières années ont été marquées par la nette domination du thème de « l’individualisme » et de sa « montée ». Ainsi, Henri Mendras voyait dans la France d’aujourd’hui « dévalorisation des grandes institutions symboliques » et une « montée de l’individualisme » (et notamment une « individualisation de la culture »), « l’enrichissement moyen et la diffusion de la culture scolaire conduisant les français à vouloir se construire, chacun, sa propre culture personnelle ». De même Olivier Galland croit-il déceler une « individualisation des mœurs et des choix culturels » galopante chez les « jeunes générations », processus qu’il définit par le « fait de vouloir décider par soi-même et uniquement par soi-même ce qui est bon ou mauvais pour soi » ou encore par le fait que la culture n’est plus « vécue par les jeunes (…) comme un capital intangible et sacré qui doit se transmettre de générations en générations, mais comme résultant de choix librement consentis qui rentrent en concordance avec l’humeur, les sensations, les émotions des individus ou des groupes ». Tolérances à l’égard de l’homosexualité, du divorce, de l’euthanasie, du suicide seraient ainsi sous-tendues par « l’idée de la libre disposition de soi-même ». L’auteur ne semble cependant pas ébranlé par le constat statistique renouvelé de la détermination des « choix » culturels, des jeunes comme des moins jeunes, par le milieu social et/ou l’origine sociale, le niveau de diplôme, et le sexe.

On notera que l’individualisme (ou l’individualisation) dont il est question semble parfois être situé dans les pratiques et l’ordre objectif des choses et parfois dans les représentations que s’en font les acteurs (…)

Exeunt[1] les groupes ou les classes et leurs cultures, les rapports de domination culturels, les légitimités culturelles relatives, les inégalités sociales d’accès à la culture, les institutions familiales, scolaires et culturelles et leur travail de socialisation (dont on nous dit, dans certains cas, qu’il « s’affaiblit »), les transmissions intergénérationnelles, les catégories de perception et de hiérarchisation de la culture et les processus de leur intériorisation : l’individu, ses choix , et la nécessité historique qu’il a de se « construire soi-même » ou « d’être soi-même », d’être « libre » ou « autonome » sont désormais au cœur du niveau discours sociologique. Le mot d’ordre général est alors la nécessité de rompre radicalement avec une sociologie passée (celle de Pierre Bourdieu) qui aurait, selon Antoine Hennion, traité l’ « amateur » ou le « pratiquant » d’une activité culturelle ou artistique comme un « cultural dope » (idiot culturel), qui se trompe sur la nature de ce qu’il fait » ou comme « le sujet passif d’un attachement dont il ignore les véritables déterminations, révélées malgré ses résistances par d’impassibles statistiques ». L’ « amateur » soutient Hennion n’est pas un « idiot culturel », c’est un auteur, un créateur (…)

Si de larges hypothèses sur les transformations du monde social à l’échelle d’une histoire de longue durée ne sont évidemment pas à bannir du discours sociologique (e.g. on peut penser au processus de rationalisation, de différenciation ou de pacification illustrés par Max Weber, Emile Durkheim et Norbert Elias) , ce que l’on peut reprocher aussi à certains auteurs, c’est de faire de « grandes idées » qu’ils invoquent (montée de la fragmentation, de l’individualisation ou de l’injonction à « être soi ») des présupposés de l’analyse censés expliquer les comportements, lors même qu’il s’agit de phénomènes (…) seraient eux-mêmes à expliquer (quelles sont les origines sociales, - économiques, scolaires, familiales, juridiques, religieuses, idéologiques – de ces formes d’individuation ou d’individualisation [2]?). De plus, alors qu’elles ne devraient être évoquées qu’avec précaution et seulement pour faire parler et mettre en relation de multiples résultats d’enquêtes très variées elles sont au contraire posées comme des évidences, comme un fond naturel sur lequel se détacherait l’ensemble de ces pratiques et des attitudes sociales. Pour preuve de cet usage flottant de ces cadres interprétatifs, les auteurs s’appuient plus volontiers pour légitimer ces « grandes idées » sur des philosophes ou des essayistes libres de toute contrainte empirique (Marcel Gauchet, Alain Renaut, Gilles Lipovetsky, Daniel Bell, Ulrich Beck, Charles Taylor, etc.) que sur les travaux de chercheurs en sciences sociales (historiens, anthropologues, ou sociologues).

On pourrait dire de l’air du temps sociologique ce qu’écrivait Jacques Le Goff à propos des recherches en histoire : « C’est une habitude souvent irritante chez les historiens de voir dans de nombreuses périodes de l’histoire l’émergence ou l’affirmation de l’individu. Cette assertion définitive finit par jeter le discrédit sur la quête de l’apparition de l’individu dans l’histoire. Il s’agit pourtant d’un problème réel qui nécessiterait de nombreuses, précises et délicates recherches ». (…) Selon une logique bien connue, déjà mise à jour par Spinoza dans son ‘Ethique’, qui consiste à détester tout ce qui pourrait être associé vaguement à la personne que l’on déteste, le chercheur peut jeter le bébé avec l’eau du bain, et, en l’occurrence, la légitime question des variations intr-individuelles et inter-individuelles des comportements sociaux avec les vagues propos sur la montée de l’individualisme et le rejet idéologique des conceptions en termes de classes sociales., le refus politique de toute idée d’intérêt collectif et la conviction que les individus sont désormais plus autonomes, plus libres et qu’il n’y a plus dans nos formations sociales que des contrats inter-individuels soumis à des négociations permanentes. (…) on voit aujourd’hui comment certains auteurs nient l’existence des classes sociales et des inégalités sociales en se faisant les chantres d’un individualisme (post-moderne ou non) et d’une conception irénique du monde social. (…) Sous la plume du philosophe postmoderne (Lipovetsky) défilent ainsi les images étonnantes d’une « déstabilisation accélérée des personnalités », d’une « fragmentation disparate du moi », d’un « éclatement de la personnalité », d’une « liquéfaction de l’identité rigide du moi » (…) qui devient un « espace flottant », sans fixation ni repère, une disponibilité pure ». (…) Les individus composant cette nouvelle société, qui se sont « désagrégés en un patchwork hétéroclite, en une combinatoire polymorphe », sont, « de plus en plus aléatoires » ; ils se présentent sous la forme de « myriades d’être hybrides sans appartenance forte de groupe » dont la conscience est « toute en indétermination et fluctuation ». dans une telle société soumise à un « procès de désagrégation qui a fait éclater la socialité en un conglomérat de molécules personnalisées », il n’y a plus vraiment ni de groupes ni de classes (qu’elles soient sexuelles, générationnelles ou sociales) un tant soit peu stabilisés. Fini le temps du « fossé tranché entre les groupes », terminés « les identités, et les rôles sociaux, jadis strictement définis, intégrés qu’ils étaient dans des oppositions réglées » : désormais « le phénomène social crucial n’est plus l’appartenance et l’antagonisme des classes mais la dissémination du social. Les désirs individualistes nous éclairent aujourd’hui davantage que les intérêts de classes ».

Paul Yonnet, quant à lui, voit dans la « massification » (…) un « phénomène de portée historique » qui « rend caduques les analyses traditionnelles de la sociologie en termes de stratification par les classes ou les catégories socioprofessionnelles ». Là encore, le rjete de la conception d’une société divisée en classes est au cœur de la démarche de l’auteur qui affirme que « la sociologie des classes est sans prise sur le phénomène de la massification : elle échoue à l’expliquer, à la comprendre, à l’intégrer dans ses schémas, en définitive à l’admettre ».

Dans les deux cas, le lecteur a davantage l’impression de lire des actes performatifs d’auteurs, qui prennent leurs désirs d’intellectuels et politiques pour des réalités sociales, que de véritables analyses étayées par des enquêtes empiriques. Le réel est convoqué sous la forme d’exemples faussement concrets, au service de thèses vraiment abstraites et, parfois, franchement délirantes. On comprend, dans ces conditions que l’envie de jeter le bébé avec l’eau du bain soit forte.

(…)

Le déterminisme sociologique n’est pas réductible au déterminisme par le « milieu social », qui laisse toujours une part des comportements inexpliquée (et indéterminée) parce que le « social » n’est pas synonyme parfait de « classe sociale » ou de « groupe social » et que les « différences sociales » ne sont pas seulement différences entre « groupes » ou « classes ». Le véritable déterminisme sociologique, beaucou plus subtil, met en jeu le social incorporé (des individus qui ont été socialisés différemment en tant que filles ou garçons, enfants d’ouvriers ou de bourgeois, appartenant à un milieu familial protestant, catholique ou musulman, enfants uniques ou issus d’une grande fratrie, etc.) et les contextes relationnels, pratiques et institutionnels au sein desquels le social incorporé est conduit à s’actualiser. Bref, plutôt que la vision simplisme d’un déterminisme massif par la classe sociale d’origine, qui est impuissant à tout expliquer et donne des raisons aux amoureux de la liberté sans attache ni racine de résister à l’idée de déterminisme, il faut penser à un écheveau de dispositions et de conditions variables de leurs mises en œuvre qui détermine à chaque moment chaque individu relativement singulier (singulier pour des raisons sociales) ».

Bon c’est tout pour aujourd’hui, je n’ai pas le droit de citer le reste.

Extraits de « La culture des individus » de Bernard Lahire (ed La découverte, 2004)



[1] = exit !

[2] Comme le remarquent Marlis Buchmann et Manuel Eisner, l’image d’un individu autonome, réflexif, authentique, original, expressif ou créatif a pour modèle ultime le discours de la psychothérapie et ne peut être déconnectée de la montée historique, tout au long du XXe siècle, des principaux experts du « soi » que sont les psychologues, psychanalystes, psychothérapeutes et psychiatres.

dimanche 1 novembre 2009

INDIVIDUALISATION DU CONFLIT SOCIAL = PIEGE A CONS

LA CRIMINALITE EST LE

PROPRE DU POUVOIR

La gauche bourgeoise, les bobos gauchistes et les rares modernistes communisateurs s’effraient des contrôles renforcés de la police des Etats bourgeois. Ils frémissent à la lecture de l’entrefilet suivant extrait du Guardian(quand nous on se marre) L.

La police britannique fiche les “extrémistes”

« La police [britannique] rassemble actuellement des informations personnelles sur des milliers d’activistes qui participent à des réunions ou à des manifestations à caractère politique et stocke ses données sur un réseau regroupant des bases de renseignements nationales. Cet outil gardé secret a été conçu pour surveiller «les extrémistes locaux», c’est ce que révèle le journal le Guardian dans le premier d’une série de trois reportages consacrés au maintien de l’ordre lors des manifestations. Des informations détaillées sur les activités politiques de militants sont en ce moment stockées sur des systèmes d’information qui s’interpénètrent, même si ces militants n’ont pas commis de délit. Des officiers supérieurs de police disent que «l’extrémisme intérieur», un terme crée par la police mais qui n’a pas de valeur juridique, peut inclure des activistes soupçonnés de trouble mineur à l’ordre public comme des actions directes pacifiques ou la désobéissance civile. (…)

L’enquête du Guardian révèle un certain nombre de choses :

• L’unité principale (NPOIU) gère une base de données centrale où figurent des milliers de soi-disant extrémistes locaux. Elle filtre les renseignements fournis par les forces de police qui opèrent en Angleterre et au Pays de Galles et qui déploient systématiquement des équipes de surveillance lors de manifestations, de rassemblements ou de réunions publiques. Cette unité possède des fichiers détaillés sur des manifestants qui sont classés par nom.

• Les véhicules utilisés par les manifestants sont suivis sur tout le territoire via un système de caméras permettant la reconnaissance automatique des plaques d’immatriculation. Un homme, qui n’a pas de casier judiciaire, a été contrôlé plus de 25 fois en moins de 3 ans après qu’une balise a été placée contre sa voiture alors qu’il participait à une petite manifestation contre la chasse aux canards et aux faisans. Les équipes d’interception sont déployées sur les routes conduisant à des manifestions pour surveiller les participants.

• Les unités de surveillance, connues sous le nom d’Équipes de Renseignements ou «Recueilleurs de Preuves», filment et prennent des photos des activistes lorsqu’ils rentrent ou quittent des réunions publiques. Ces images sont rentrées sur des bases de données afin que la police puisse retracer les activités politiques de ces activistes. Les informations sont ajoutées à la base de données centrale. (…) d’après le Guardian, 25 octobre 2009.

ON EST TOUT FICHE MAIS PAS FICHU !

Tout cela est déjà mis en application aux Etats-Unis comme en France. La question est qu’il ne faut pas spécialement s’en formaliser. Sinon on deviendrait « parano » en croyant la lutte des classes impossible désormais avec « big brother » et ses raffinements informatiques. Que la police fiche tous les activistes et militants qu’elle veut, personne ne peut l’empêcher. Et à la limite tant mieux. Prenez Jean Dupont, militant de ceci ou cela : un CRS-pigeon l’a photographié lors de plusieurs manifs en train de défiler pancarte en main, ou en train de diffuser des tracts, ou bien il a été immortalisé au milieu d’un piquet de grève. La belle affaire ! C’est tout à son honneur ! Il n’a ni tué ni volé, mais exercé une activité politique dont il n’a à rendre compte ni aux flics, ni à ses patrons ni aux bourgeois qui nous gouvernent.

Pas de pot les flics zélés : la lutte des prolétaires ne se cache pas comme les petits personnages terroristes de l’ombre ! Sa force c’est la lumière. L’action des prolétaires contre le système a tout intérêt à se tenir et à se développer au grand jour comme « mouvement grandissant » de solidarité ou d’extension des grèves, pas comme « menace de tout faire sauter », pas comme impasse «d’individualisation du conflit » (cher aux braves sociologues) ou comme « agression même létale » contre les personnes, y compris les plus odieuses.

En France, le GIGN va-t-il être apte à remplacer la police syndicale ?

C’est se moquer du monde des prolétaires et Libération vient faire la morale. «Le travail est de plus en plus une question de vie ou de mort. Ce qui s’y joue est si crucial qu’il peut conduire à une vraie radicalité, explique Danièle Linhart, ex-maoïste sociologue et directrice de recherche au CNRS. Soit on menace de tout faire sauter, soit on se tue, soit on tue les autres. Mais au final, on se tue toujours soi-même, face à une situation vécue de plus en plus comme une injustice personnelle.» Si les conflits du travail ont toujours existé, ajoute Danièle Linhart, «l’individualisation de la relation de travail, l’isolement des salariés face à leur questionnement, empêchent de résoudre les problèmes de manière collective, comme c’était le cas auparavant». Une individualisation des rapports sociaux partagée par Jean-Pierre Le Goff (ex-mao lui aussi), sociologue du travail, qui note «une montée des conflits atypiques dans le monde du travail», où, à défaut de solidarités collectives, «l’agressivité est orientée vers des cibles individualisées». Tout en notant qu’une PME du transport est aussi «un milieu professionnel où les rapports restent très paternalistes». Aussi exceptionnel qu’il soit, le double homicide de Toulouse intervient également au moment où le GIGN s’intéresse de plus en plus au monde professionnel. «Suite aux séquestrations de patrons, nous avons réalisé que nous connaissions très mal ce milieu, reconnaît un membre du groupe d’élite de la gendarmerie nationale. Nous avons donc formé nos négociateurs à la problématique du monde du travail, en organisant des rencontres avec des DRH et des spécialistes de ce milieu, au cas où nous devrions intervenir dans un conflit qui dégénère.» Un réflexe de formation classique pour le GIGN, selon lui, pour aborder «un problème qui ne faisait pas partie, jusque là, de nos préoccupations».

Un flic armé derrière chaque ouvrier ? Impossible ! Les nombreux suicides de ces derniers mois et le meurtre lamentable d’un petit patron et de son fils manifesteraient cette nouvelle invention des anciens maoïstes reconvertis en sociologie d’Etat : « individualisation des rapports sociaux », et dans ce rapport aliéné « je te tue ou tu me tue ». Mensonge ! Ces drames manifestent le désarroi des prolétaires face à un Etat bourgeois arrogant et à la complicité des gentilles oppositions des gauches caviar et bons à rien, dans un climat de crise qui jette un à un les ouvriers à la rue, dans une absence d’alternative de société criante.

Face à cela, nous devons crier ! Tant que les ouvriers n’apporteront pas leur solidarité immédiate entre eux face à la hiérarchie patronale et étatique on continuera à se tirer une balle dans le pied !

IL FAUT AFFIRMER QUELLE EST LA MEILLEURE SOLUTION

.

UNE REFLEXION IMPORTANTE S’IMPOSE : une rumeur semble se développer de plus en plus comme quoi il serait plus normal de buter patron ou chef d’encadrement que de se suicider. Je réponds ceci : dans les deux cas c’est non seulement un drame mais une CONNERIE. Certains font mine de s’interroger : hein pourquoi il s’est flingué au lieu de buter son persécuteur ? (qui n’en a pas rêvé ? comme au cinéma ?). Or cette « tendance » ne risque pas « de prendre ». Pourquoi ?

Tout simplement parce que les prolétaires n’ont pas vocation au meurtre individuel. Toutes les études scientifiques de criminologie sur les serial-killers ou les meurtriers impulsifs en Occident, en général hors du travail, démontrent :

  1. qu’il s’agit d’individus peu socialisés
  2. qui sont célibataires et plutôt jeunes (entre 18 et 30 ans)
  3. qui sont sans emploi, voire n’ont jamais travaillé et vivent en marge.

De plus, depuis la fin de la vogue des attentats anarchistes au tout début du siècle dernier, le mouvement ouvrier et révolutionnaire a toujours rejeté les actes de « vengeance individuelle » ou à prétention de « propagande par le fait ». Vous trouvez toujours, comme c’est le cas à Toulouse un connard de « haut responsable syndical » pour « confier » ou « menacer » patrons et journalistes de possibles crimes à venir par des « éléments incontrôlés », comme si une telle dérive faisait partie des alternatives possibles de la lutte contre les humiliations au travail et les licenciements. Ce genre d’énoncé ambigu de faux-cul de « partenaire social » contribue à favoriser l’idée d’une inévitable criminalisation des prolétaires…, danger qui ne pourrait être par conséquent réglée que par la présence des pandores en uniforme.

Ni le suicide, dont se fichent les patrons, ni les meurtres que prétendent « redouter » les fonctionnaires syndicaux ne sont des méthodes pour lutter contre les conditions d’exploitation. Le véritable combat passe par une action commune de l’ensemble des prolétaires contre les exactions patronales.

Seule une solidarité active entre prolétaires, contre la division des primes ou des promesses individuelles, mettra fin à ce cycle absurde des suicides. Dans la lutte collective de classe, le prolétaire isolé retrouve sa dignité et son intégrité individuelle. Bas les pattes bourgeois! Respect!