PAGES PROLETARIENNES

jeudi 24 décembre 2009


PARIS ROUGE




Par Eric Hazan



« Ici règne actuellement le plus grand calme. Tout est silencieux comme dans une nuit d’hiver enveloppée de neige. Rien qu’un petit bruit mystérieux et monotone, comme des gouttes qui tombent. Ce sont les rentes des capitaux, tombant dans les coffres-forts des capitalistes, et les faisant presque déborder. On entend distinctement la crue continuelle des richesses des riches. De temps en temps, il se mêle à ce sourd clapotement quelque sanglot poussé à voix basse, le sanglot de l’indigence. Parfois aussi résonne un léger cliquetis, comme d’un couteau que l’on aiguise ». HEINE ( 17 septembre 1842)



« Le procureur : Blanqui quelle est votre profession ?


Blanqui : Prolétaire !


Le procureur : Ce n’est pas une profession…


Blanqui : C’est la profession de la majorité de notre peuple qui est privé de droits politiques »


(Janvier 1832)



Je ne connais pas Eric Hazan. Je conchie sa maison d’édition qui ne publie que des âneries d’intellectuels gauchistes et les niaiseries de Coupat, mais j’ai bien aimé le livre de Hazan publié en poche aux éditions du Seuil. Extraits du chapitre « Paris rouge », chapitre fabuleux pour notre histoire du prolétariat universel, fabuleux de concordance avec le même type de mystifications bourgeoises pour diviser la classe ouvrière, avant de traiter ses révoltés et insurgés de « vulgaire racaille ».



« La prédilection de l’émeute des années 1830 pour les quartiers centraux de la rive droite a d’autres raisons que stratégiques. Parmi la population de ces vieilles rues, on trouve des hommes, des femmes, des enfants prêts à se joindre à une insurrection. Ce sont des quartiers d’immigrés, où la proportion de ceux qui vivent en garni est la plus haute de Paris et celle de la population féminine la plus basse. Ils viennent des régions agricoles du Bassin parisien, du Nord, de Lorraine, du Massif central. Ils sont portefaix, manœuvres, porteurs d’eau comme Bourgeat, l’auvergnat généreux, l’ami du professeur Desplein dans ‘La Messe de l’athée’ ; ils sont maçons, souvent originaires de la Creuse comme Martin Nadaud, vivant entassés par dix par chambre rue de la Mortellerie – rue des gâcheurs de Mortier – dans une saleté telle qu’ils ont, dit-on, apporté le choléra à Paris. On dit aussi qu’ils sentent mauvais, qu’ils sont paresseux et voleurs, qu’ils ne parlent même pas français, qu’ils prennent le travail des vrais parisiens en ces temps de crise et de chômage. « Le dimanche, écrit La Bédollière, les porteurs d’eau auvergnats vont à la musette, à la danse auvergnate, jamais au bal français ; car les auvergnats n’adoptent ni les mœurs, ni la langue, ni les plaisirs parisiens. Ils restent isolés comme les hébreux de Babylone » (cf. Les industriels 1842). ‘Le Journal des Débats’ du 10 juillet 1832 regrette « le vacarme effroyable que fit, il y a plusieurs mois, l’opposition à propos d’un mot, celui de « barbares » appliqué par nous à une classe d’hommes que son défaut d’instruction et sa vie précaire tiennent en effet en état d’hostilité dangereux pour la société ». Des mesures s’imposent pour arrêter cette invasion. A la Chambre dans les jours suivants la révolution de 1830, le baron Dupin « demande qu’on emploie de préférence (aux travaux de terrassement) les pères de famille et les ouvriers domiciliés à Paris… Le gouvernement devrait chercher le moyen de faire refluer volontairement dans les départements la classe surabondante des ouvriers qui se trouvent à Paris (…) Ces sauvages qui n’ont rien à perdre ne sont pas les seuls mauvais sujets de ces quartiers. Dans la population sédentaire, chez les artisans, drapiers, merciers, orfèvres, batteurs d’or, faïenciers, chez les typographes, « il existe une très grande quantité d’hommes qui se situent entre le maître et l’ouvrier, c'est-à-dire qu’ils tiennent du maître et de l’ouvrier, car ils travaillent pour des maîtres et sont traités par ces mêmes hommes d’ouvriers, et eux à leur tour sont traités de maîtres par les ouvriers qu’ils occupent »[1]. Dans cette population préindustrielle, maîtres et ouvriers se retrouvent souvent sur les barricades, et ils sont rejoints par les commis marchands, prompts à saisir les occasions de dépaver. On les a déjà rencontré en novembre 1827, préparant de mauvaises actions pendant la nuit, « un parapluie à la main, déployé et surmonté d’une chandelle allumée ». A ce ramassis de gens peu recommandables viennent se mêler des enfants errants. Ce n’est pas un hasard si Gavroche est devenu un nom commun… (…) Canler, ancien préfet de police, raconte dans ses mémoires que juste après l’insurrection de juin 1832 (celle, faut-il le rappeler, où meurt Gavroche) « un gamin d’une douzaine d’années, vêtu d’une veste couleur auvergnate, s’était, bon gré, mal gré, faufilé au premier rang. Tout le monde connaît cette race de gamins de Paris, qui, dans nos rassemblements, ont toujours poussé le cri séditieux, dans nos émeutes ont porté le premier pavé de la barricade, et presque toujours ont tiré le premier coup de feu »’(cité par Louis Chevalier). (…) quand les hommes veulent l’envoyer porter une lettre pour l’éloigner de la barricade, sa réplique – « Serviteur, dit l’enfant, je n’ai pas le temps » - est du pur Gavroche. Comme le seront les « pétroleuses » de la Commune, ces gamins sont exécrés par les tenants de l’ordre. Le critique de « La Revue des Deux Mondes » commente un tableau d’Adolphe Leleux intitulé « Le mot de passe », un groupe où figure en position centrale un gosse portant un long fusil : « (le tableau) a certainement des qualités solides, de la vie, du mouvement et de l’harmonie ; mais pour Dieu ! que signifie le choix d’un sujet pareil ? … Le gamin de Paris est un type qui ne devrait tenter aucun artiste. Il est généralement laid, petit, malingre… Dans notre boue immonde, la pauvreté est repoussante, et les haillons sont affreux. Puisque M. Leleux aime les guenilles, je lui conseille de s’en tenir à celles d’Espagne et d‘Orient ».


Hazan ajoute en note une citation intégrale du bourgeois réactionnaire haineux, l’ancien flic Tocqueville qui déplore que la révolution industrielle ait attiré « un peuple de cultivateurs sans ouvrage » car : « … l’ardeur des jouissances matérielles qui, sous l’aiguillon du gouvernement (républicain) excitait de plus en plus cette multitude elle-même, le malaise démocratique de l’envie qui la travaillait sourdement ; les théories économiques et politiques qui commençaient à s’y faire jour et qui tendaient à faire croire que les misères humaines étaient l’œuvre des lois et non de la Providence, et qu’on pouvait supprimer la pauvreté en changeant la société d’assiette ».








[1] Rapport d’Achille Leroux, cité par Rancière.

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