PAGES PROLETARIENNES

dimanche 17 mai 2009

LES MOTIVATIONS DE RENE BERTHIER

Après avoir traversé la place de la République, nous étions passés par une avenue bloquée par la police. Pour protéger une manif ? On apercevait au loin un camion semi-remorque qui barrait l’avenue et entouré de drapeaux rouges. Nous fîmes le crochet avant de rejoindre la rue Amelot. Ce n’était qu’une prestation de la secte trotskienne POI (parti ouvrier indépendant) veuve de son gourou Lambert, parti au ciel du trotskysme intersidéral mais toujours aussi sidérant. Un gros type qui ressemblait au dénommé Gluckstein éructait dans le camion tel un bateleur de foire, entouré d’une poignée d’agités du bazar trotskien qui faisait la claque à chaque rude mot contre le gouvernement. Autour, un millier de petits bourgeois parisiens et provinciaux qui font la loi syndicale à l’université, vibrait à chaque rodomontade du péquenot au micro. On eût dit une assemblée de vieux profs réacs ou de retraités de la fonction publique. Ce n’étaient que les soutiers du trotskysme le plus débile, du trotskysme sous-marin de la social-démocratie et du syndicalisme de fonctionnaires. Nous avions passé notre chemin. Le maire de Paris Delanoé aurait pu refuser à ce dandy de Gluckstein de faire son cirque en plein Paris, éviter l’embouteillage du quartier et éviter à Berthier d’arriver en retard parce qu’il ne trouvait pas où se garer.

En présentation de son livre, face à une vingtaine de personnes à la librairie Publico de la Fédération anarchiste, René Berthier a commencé par expliquer ses motivations pour réaliser un tel ouvrage. Il nous prévint qu’il n’est pas un spécialiste de cette révolution, qu’il s’est efforcé de lire pas mal de choses. On pouvait retenir deux de ses motivations. L’une pour marquer le coup en milieu libertaire où il n’y pas grand-chose concernant la « révolution allemande », et l’autre ne mangeait pas de pain, contre ces courants ultra-gauche qui ont eu un peu trop le monopole du sujet. Il glosa sur le terme ultra-gauche. On ne le lui reprochera pas, que peut-on faire d’autre que gloser sur cette notion à la con, éculée, essorée, médiatisée, policée, tirebouchonnée… Il glosa sur le pertinent Pannekoek, qu’il renvoie pourtant dans les cordes de son cher cabinet d’astronome dans son livre. Il considéra que les premières manifestations contre les nazis n’avaient pas été le fait de l’ultra-gauche. Il nous enseigna que le parti social-démocrate avait réussi à prendre sous son aile des parties considérables du mouvement ouvrier, qu’il y avait des maisons ouvrières, des syndicats ouvriers, des distractions ouvrières, comme s’il voulait nous montrer qu’il avait bien tout lu Georges Haupt.

Il ne nous cacha point que le SPD avait tiré sur les ouvriers. Le PC allemand avait flirté avec l’extrême-droite. Les anarchistes avaient fait ce qu’ils pouvaient. Rudolf Rocker est resté moins connu parce qu’il écrivait moins. En gros, l’auteur ne prétendit pas avoir réalisé autre chose qu’un condensé d’une tragédie.

La présentation, comme vous venez de le voir, avait été relativement lisse et le vulgum pecus eût pu lui donner le bon dieu bakouniniste sans la confession de Netchaïev. La salle était pleine de têtes chenues des habitués de la fédération anarchiste et on aurait pu en rester là après une ou deux questions de détail. Hélas un affreux loup marxiste était au beau milieu des chaises, et n’était pas venu là pour la séance d’autographes.

Après avoir salué le souvenir de cette tentative révolutionnaire et indiqué les deux principales causes de l’échec – l’arrêt de la guerre et le fédéralisme des länder – j’ai donc estimé que l’ouvrage du citoyen Berthier n’était en rien une référence historique mais un ouvrage partisan, de partisan qui porte une attaque calomnieuse contre la Gauche communiste, italienne et allemande ; qui fait équivaloir la position de Marx en 1870 et le vote des crédits de guerre du SPD, qui attaque les acteurs de cette période révolutionnaire en mettant en avant deux grands absents : l’anarchisme et le nazisme. L’anarchisme est au niveau zéro dans les événements sauf s’il y a double appartenance, quand des anarchistes sont dans les Unions ou même dans le KAPD. Le nazisme n’est pas un danger réel jusqu’à la fin des années 1920.

La quatrième de couverture du livre mentionne que « l’attitude des groupes communistes va livrer le peuple allemand et le monde, à la barbarie hitlérienne dès 1922 ». Affirmation stupide et fausse : 1922 c’est l’année de l’inflation, année où la classe ouvrière est à nouveau dangereuse pour le pouvoir d’autant que les couches moyennes sont paupérisées, et Hitler c’est moins que zéro. Il faudrait arrêter d’accuser les groupes politiques communistes, même l’IC opportuniste, d’être responsables des manœuvres de la bourgeoisie.

Mais, et je l’ai dit sur un ton indigné, le livre de Berthier est une infamie par sa négation de l’acquis du plus important de la vague révolutionnaire : les conseils ouvriers. Ils étaient « circonstanciels », « vite récupérés par la bourgeoisie », alors que les syndicats ont perduré. J’ai conclu en disant que dès 1903, Rosa Luxemburg avait souligné ce que la vague révolutionnaire allait confirmer : les organisations de lutte immédiate sont désormais le produit de la lutte et pas l’inverse : « sinon, tout ce qui préexiste comme sous-marins de vos cercles anarchistes ou des gauchistes, vise à décider à la place des prolétaires en lutte ».

Berthier confirma qu’il avait bien écrit un livre partisan : « je ne cache pas que je donne mon opinion subjective », précisa-t-il. Marx avait bien frayé selon lui la voie à la social-démocratie traître car il soutenait en 1870 l’Allemagne contre la France, puis il avait retourné sa veste face à la Commune de Paris, mais il avait continué à la débiner dans ses courriers privés.

La révolution allemande a été une révolution contre l’Etat et l’emprise de la social-démocratie. Les syndicats en Allemagne étaient différents d’aujourd’hui. Ils englobaient par millions les ouvriers et ont accéléré la fin de la guerre. Et la guerre était déjà arrêtée et la paix objet de tractations quand ont eu lieu les insubordinations. Les chiffres c’est important : « quand j’ai fait mes premières recherches et que mon collègue au syndicat du livre, Philippe Bourrinet, m’a montré les chiffres ridicules des unions et du KAPD deux ou trois ans après, je me suis dit que ces gens qui parlaient comme s’ils représentaient des millions d’ouvriers, n’étaient plus rien du tout ».

Concernant l’accusation contre la Gauche communiste d’avoir favorisé le nazisme Berthier nia l’avoir écrit et face à mon objection sur ce que dit la quatrième de couverture il déclara :

- ce n’est pas moi qui ai fait cette quatrième de couverture avec la date de 1922, l’auteur s’est fait engueuler…

Berthier fut plus long pour exprimer son dégoût de la dictature du prolétariat : « vous imaginez, dans ces Unions avec une stratégie expérimentale, qui n’avaient pas d’ouvriers à leur tête, on vous demandait si vous vouliez adhérer : est-ce que tu es pour la dictature du prolétariat ? Non ! alors tu rentres pas ! ». Il ajoutait : « ainsi le mouvement a reflué, les gens s’en allaient un à un ». Pour Berthier il fallait donc que quelqu’un mette en évidence ce combat idéologique, « vous comprenez, ces gens ne faisaient que de l’idéologie et méprisaient les revendications immédiates des ouvriers ».

Malgré les cris qui s’élevèrent dans la salle au cours de ma réponse, je pus me faire entendre. J’ai refusé de laisser passer l’amalgame avec la position de Marx sur la question nationale au XIXe siècle en reprochant à Berthier de renoncer à toute méthode en niant les périodes. J’ai abondé dans le sens des critiques de Marx à la Commune, qu’il avait décrite comme accidentelle, et soutenu ses critiques en privé sur les incohérences de cette expérience, par exemple les bagarres entre la Commune et le comité central de la garde. J’ai considéré que l’expression d’Engels « regardez la Commune c’était la dictature du prolétariat » était superfétatoire.

Contrairement à l’affirmation que la tentative révolutionnaire en 1919 aurait été une révolution contre l’Etat, j’ai redit l’importance de comprendre qu’il s’agit d’une insurrection contre la guerre, suivie d’un arrêt de cette guerre, situation qui ne s’avéra pas favorable à la révolution.

La force des idées révolutionnaires ne dépend pas du nombre, Berthier raisonne partout en syndicaliste CGT ou CNT, (ou comme Staline : combien de divisions ?). Au cri « dictature du prolétariat » il répond « syndicalisme avant tout » ! Il déforme tout, les révolutionnaires allemands n’ont jamais abandonné les luttes immédiates, mais en période révolutionnaire où les luttes immédiates c’est complètement secondaire, et c’est laisser la politique à l’Etat bourgeois.

Une polémique s’est engagée ensuite avec les autres partisans anarchistes de la salle dont l’un m’objecta gentiment :

- la dictature du prolétariat faut des spécialistes pour s’en occuper… nous ce qu’on veut c’est la démocratie au boulot… tu comprends… qu’on puisse organiser notre travail. Notre combat c’est la démocratie… on peut continuer à le faire dans les syndicats parce que les Conseils ils disparaissent rapidement ou sont récupérés…

Lui coupant la parole je dis :

- les prolétaires sont très capables d’assumer la dictature du prolétariat…

- et le travail il se fait comment ?

- je me fiche du travail, la révolution commence par le réduire à 3 heures par jour comme çà les ouvriers auront le temps de faire de la politique le matin ou l’après-midi ou de ne pas en faire pour certains.

La notion de dictature du prolétariat provoquait donc un sérieux phénomène de rejet chez la plupart des présents, acharnés à lui opposer le terme de démocratie, quoique l’un des critiques de cette chose marxiste ait reconnu qu’il « faudra en zigouiller pas mal » pour arriver à ce qu’on veut. On pouvait avoir l’impression qu’ils jouaient sur les mots, alors qu’à l’évidence ils semblaient conscients de la nécessité d’une révolution violente… donc qui exerce une certaine dictature. Devant leurs regards incrédules de syndicalistes coincés du cigare, j’expliquais que le terme « démocratie » n’était pas plus pur que la notion diabolisée de « dictature du prolétariat » - et j’avouais ne pas être pour la dictature du parti :

- mais la démocratie, chers amis, vous encule pendant que vous travaillez, vous voulez que je vous fasse une démonstration du déroulement et des aboutissements des élections en France ? Vous croyez qu’une révolution se fait sans violence ?

Berthier reprit du service en assurant « mais on ne peut pas appeler cela dictature du prolétariat » (le coupant à nouveau je dis : « dictature de quoi alors ? »). Sans répondre, il s’étendit longuement sur les trahisons de l’Etat bolchevik. Selon lui, depuis le début l’Etat bolchevik faisait tout pour que la révolution ne réussisse pas en Allemagne car cela aurait abouti à lui faire de l’ombre, voire à ce que le pouvoir change de main. L’Etat bolchévik vend des armes à l’Etat allemand (je l’interrompis en criant que c’est le KAPD qui l’a révélé !), reçoit des troupes allemandes pour qu’elles s’entrainent sur le territoire russe.

Je dénie évidemment toute logique dans ces affirmations du fait que Berthier considère que depuis 1917 les bolcheviks n’étaient que de petits machiavéliques avides de pouvoir. J’insiste surtout sur le fait que la contradiction des bolcheviks – oui Rapallo est une traîtrise, oui laisser la Reichswehr s’entrainer sur le territoire russe était une traîtrise pour le prolétariat allemand – repose sur leur identification à l’Etat national, vieille conception héritée de la social-démocratie. Mais pourquoi tant de révolutionnaires sont sortis de ce parti, de l’IC, malgré ces traîtrises étatiques ? Mais pour les mêmes raisons que les Rosa et Lénine sont sortis de la social-démocratie. Tous ces révolutionnaires sont sortis de partis dégénérés mais qui avaient été des écoles révolutionnaires pour des générations ! De l’anarchisme il n’est rien sorti, aucune école de pensée, aucune cohérence, juste de petits démocrates adorateurs du syndicalisme !

OK l’Etat bolchevik tourne de plus en plus le dos à la révolution en voulant adapter de nouvelles tactiques pour garder l’oreille des masses, mais il va à sa perte en même temps que les masses qui deviennent pacifistes. ET, vous avec la CNT qui participe au gouvernement bourgeois en 1936, vous pouvez prétendre nous faire la leçon ?

Silence de Berthier et de ses partisans. Ou un vague « gloup » d’un spectateur.

Le président de séance, au bout d’une heure et demi, se tourne vers l’assistance pour lui demander son accord pour clore la réunion. Elle agrée. J’étais en train de faire une plaisanterie sur les querelles de boutique concernant l’histoire ou de regretter qu’il y ait si peu de jeunes dans la salle, ou je ne sais plus quoi. Le président de séance fort gentiment annonça qu’il me laissait le mot de la fin.

En fait il ne pouvait pas y avoir de conclusion. Les réunions des (vieilles) graines d’ananars ne se concluent jamais ou bien dans les cris et les admonestations. On y vient comme on va au théâtre, pour voir du cirque. Personne ne prend des notes. On ne cherche pas vraiment à discuter. Il apparaît une incapacité à avoir l’esprit critique, et à entendre les critiques de fond. Je me souviens d’une assemblée des centaines d’anarchistes à la Mutualité il y a trente cinq ans venus écouter Maurice Joyeux. Quel charivari. Cela criait de partout. Certains chantaient dans les coins. D’autres sortaient boire un coup puis revenait sans se soucier de ce qui s’était dit. L’anarchisme n’est pas le lieu de l’histoire mais des histoires à n’en plus finir.

J’ai remis à René Berthier copie de la note de lecture de Robert Camoin, et la table des matières de mon livre « En défense de la Gauche communiste et de la November Revolution », à paraître au mois de juin. Il m’a demandé qui est Robert Camoin. Vous, heureux lecteurs de ce blog, pouvaient toujours lire ci-dessous la répartie de Robert aux assauts anarcho-syndicalistes, qui habille Berthier pour l’été .

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