PAGES PROLETARIENNES

mercredi 7 mai 2008

BITOT ABANDONNE

LE MARXISME

« Quel autre monde possible ? Retour sur le projet communiste »,

Par Claude Bitot (Colibri, Italie, mars 2008)

« La théorie devient réalité dans un peuple dans la mesure

où elle est la réalisation de ses besoins ». Marx (1846)


La rumeur courait dans les librairies parallèles parisiennes : « Bitot abandonne le marxisme » ! Une blague communisatrice ? J’ai été vérifier en lisant son dernier livre. Surprise l’ouvrage décoiffe. Il fonce sans concession. Il secoue le cocotier du marxisme endormi. On peut ne pas être d’accord, trouver qu’il exagère mais il a le mérite de soulever les big questions pour l’humanité et le prolétariat. Ne se fait-il pas trop l’avocat du diable ?

Il réussit son coup, non pas parce qu’il fait mine d’abandonner le marxisme. Des abandons comme cela j’en veux à la pelle. Laissons le marxisme fossilisé aux sectes ultra-gauches et aux individus communisateurs modernistes. Laissons le Marx bourgeois individualiste à Attali.

Sa démonstration non en soi anti-capitaliste, mais bien plutôt signal d’alarme sur le cataclysme auquel conduit un capitalisme à bout de souffle, immense prédateur en décadence, montre avec brio qu’il n’y en a plus pour longtemps. Avis aux impatients : il faudra avant toute chose régler un certain nombre de questions. Fi des imbéciles communisateurs qui imaginent que la bourgeoisie va s’éclipser avec galanterie, Claude Bitot ne fait pas dans la demi-mesure ni dans la démagogie : ce sera dur et il faudra se serrer la ceinture !

Et pourquoi cet homme est-il si profond dans sa démonstration au début tout au moins? Parce qu’il part d’un point de vue qu’ignorent depuis 40 ans toutes les sectes dites révolutionnaires et les intellectuels relookés de l’ultra-gauche : il part du point de vue de la dialectique des besoins !

Dialectique des besoins ? Quésaco ? vont-ils tous dire ?

Les « orgas » se soucient des besoins de l’organisation (comment recruter ? comment trouver du pognon ?), des besoins du parti futur (combien de divisions pour tirer sur les ouvriers en grève ?), de l’Etat prolétarien (combien de bureaucrates pour diriger la société ?) mais JAMAIS AU GRAND JAMAIS des BESOINS des masses !

La petite bourgeoisie intellectuelle a ses vapeurs. Comme il n’y a plus de religion crédible, elle tente de sauver son âme en se souciant des miséreux, des étrangers en situation irrégulière, de l’état de la planète, des droits des homosexuels et des communautés religieuses, etc.

Fait étrange, j’avais envisagé, il y a quelques mois de proposer à Claude d’écrire ce que nous avons écrit chacun un peu différemment de notre côté. Sans nous consulter aucunement je m’aperçois que nous avons traité de cette question cruciale des besoins, et j’en suis heureux même si je ne dessine pas les mêmes orientations que lui. Sur le fond, je suis persuadé que nous manifestons un questionnement réel dans le prolétariat (qu’on trouve aussi bien sur les site du CCI, des altermachins et du PCF de la part de sympathisants) : quel autre monde est possible ?

Claude Bitot rompt d’emblée avec le marxisme des bègues en s’attachant à questionner sur la dérive industrialiste (productivisme attribué à Marx) et le massacre de l’environnement. Ce sont des questions, dit-il, qu’on ne peut pas laisser aux petits bourgeois écologistes. Il a raison. Mais il se lance immédiatement dans sa thèse principale : le communisme ne peut plus avoir pour but le développement des forces productives. Il fustige en même temps (et avec raison) les critiques anarcoïdes du travail (la poignée de communisateurs stupides) et nous annonce qu’il faut « revaloriser le travail manuel ». Mauvais signe ! comme je le montrerai, il prend le problème à l’envers, il se situe hors de l’évolution du travail, hors des conditions de travail des plus défavorisés et il ne mesure pas les conséquences de la raréfaction du travail (il propose une solution backward sur laquelle je reviendrai). Le marxisme (ou au moins un des marxismes comme méthode révolutionnaire) aura plus été victime d’une réputation déterministe que productiviste (qui veut vivre joyeusement dans la pénurie ?)

Son mérite reste en tentant un inventaire de dénoncer trois lieux communs :

- la croyance que la société communiste ne serait qu’une société de loisirs,

- la croyance en la disparition du travail manuel,

- la croyance en une consommation illimitée et sans frein.

Il prend ensuite comme hypothèse que le communisme ait réussi dans les années 1920 pour nous prétendre qu’il n’aurait été au fond qu’un appel à la consommation « abondanciste » de type capitaliste… donc heureusement qu’il a échoué à être mis en pratique ! Il imagine que le détestable individu moderne aurait été placé dans une situation de « toujours jouir plus » au lieu des valeurs morales qu’il semble priser comme un vulgaire parpaillot : « de courage, de dignité, d’entraide, de solidarité ». Bigre ! quand l’on sait que Marx a dit un jour que la lutte communiste n’était pas morale !

C.Bitot croit avoir trouvé les véritables inspirateurs du vrai communisme futur : les Babouvistes (« rien que la suffisance mais toute la suffisance »), ces nouveaux cathares simplistes dont le bourgeois Marx s’était moqué pour leur « ascétisme universel » et leur « égalitarisme grossier » ! C.Bitot aurait pu tout aussi bien se reporter aux Grecs antiques au lieu de vouloir trouve rmeilleur que Marx chez ses antécédents aile gauche du robespierrisme, limités par leur époque.

Marx reste une « puissante synthèse » des mouvements de révolte antérieurs ami Bitot ! Mais tu as le mérite de questionner sans cesse, en refusant de considérer Marx comme une icône, et c’est pourquoi ton ouvrage est important et oxygéné. La société moderne a besoin d’être « réorientée » vers des besoins qu’elle est incapable de satisfaire. Je ne dis pas autre chose sur le fond dans mon propre ouvrage. Besoin de communauté, besoin de travail…

Que deviendra le besoin de travail ? Géniale question.

Oui le mode de production capitaliste n’a plus rien de « progressiste », il est même devenu une entrave, et il faudra entreprendre d’abord « un démantèlement complet » de ce qu’il nous lèguera.

C’est très bien de vouloir nous resituer le projet communiste mais sans objet, sans sujet, il n’apparaît ici qu’une pétition de principes ! C.Bitot imagine tout le long, comme nos veilles barbes hippies et modernistes, un prolétariat intégré à cause de la consommation !? Pourtant il fustige bien l’hédonisme des petits jouisseurs du quartier latin et leurs délires téléologiques, étrangers à l’empirisme modeste en milieu ouvrier.

Néanmoins le prolétariat se serait cantonné à une « simple lutte revendicative ne visant nullement à remettre en cause le capitalisme » ! La lutte pour le pain s’est traduite en « lutte querelleuse » pour des intérêts corporatifs et de petits privilèges. Ce n’est pas faux, mais au lieu d’accuser la classe ouvrière, comme les modernistes et les gauchistes, de ne pas avoir été capable d’aller au casse-pipe (une révolution c’est tout de suite plus de privations, des morts, des prisonniers, etc.) pourquoi ne montre-t-il pas du doigt l’immense couche profiteuse et parasite de la petite bourgeoisie qui a fait la pluie et le beau temps jusque là, et qui tremblote à peine au vu des risques de paupérisation qu’elle va subir sans un geste de solidarité pour la classe « inférieure » ? C’est pas tous les jours dimanche, c’est pas tous les dimanches que les prolétaires ont envie de se lancer dans un assaut sanglant, surtout si l’heure n’est pas venue et que la survie quotidienne n’est pas complètement intolérable ! Il faudrait cesser de stigmatiser la masse des prolétaires au nom de désidératas d’intellectuels observateurs et impatients ! Si la classe ouvrière n’a pas jugé bon encore (en ce moment ou il y a 20 ans) de foutre en l’air le système, elle avait peut-être ses raisons, et parmi ses raisons beaucoup de tout à fait louables : ne pas recommencer Kronstadt, ne pas se soumettre à un nouveau parti totalitaire ou un Etat potiche « prolétarien »…

Bitot finasse en plus sur le faible nombre de travailleurs productifs signifiant déclin, alors que la productivité des métiers n’a jamais été un facteur de conscience de classe en soi, et que, l’employé de banque a aussi « peur du lendemain » (expression de Babeuf) que l’immigré en situation irrégulière (bien qu’à un degré moindre et une servilité pleine de bassesses).

Pour C.Bitot donc en fin d’introduction il suffit d’abandonner le « bourgeois éclairé » Marx et d’en référer à des auteurs hétéroclites pourtant peu fiables au vu de leur trajectoire : W.Morris, Orwell, S.Weil, G.Leval. dont la communauté de pensée fût plutôt de type anarchiste.

Au lieu de cesser de simplement aduler ou criminaliser ou faire de Marx un prophète infaillible, Bitot reprend un peu de ces trois caricatures. L’essentiel de son argumentation de base est reprise aux écologistes, mais avec cette précision : « l’hyperdéveloppement des forces productives » est la cause de la « crise écologique ». OK, mais il ne répond pas politiquement lui non plus à cet endroit : est-ce que la crise écologique signifie que nous les prolétaires avons des intérêts communs avec la bourgeoisie (sauver la planète, sauver l’eau, etc.) ?

Pour bien saisir ici qu’il ne s’agit pas de cynisme de notre part, faisons la comparaison avec la guerre mondiale. En guerre la bourgeoisie fait toujours valoir l’intérêt « commun », la « solidarité nationale », etc. quand bien même ce sont les prolétaires qui sont envoyés massivement au massacre. Avec l’écologie, formule de confusion tous les gouvernements bourgeois depuis trente années, le procédé est le même. Nous ne traitons pas ici des papiers gras ni de la tabagie (à laquelle les couches supérieures échappent désormais) mais des impôts et amendes que la bourgeoisie exige des prolétaires pour amenuiser ses propres carences, mais des conditions de travail « inchangées » dans les mines en Chine mais aussi bien dans les usines chimiques européennes que dans les salles de classe en murs amiantés…

Avec la théorie écologique il n’y a ni égalité ni réciprocité pour les couches exploitées du prolétariat. La même barbarie écologique se poursuit sous les discours hâbleurs… Pour ne prendre que l’amiante, ce sont des ouvriers canadiens qui ont initié la lutte protestataire contre son usage dès la fin du 19e siècle, et malgré d’autres protestations ailleurs, des centaines de tavailleurs continuent de mourir du fait de l’amiante et les patrons de ce secteur d’être protégés juridiquement ! Je pourrais prendre aussi bien les victimes de Bohpal, de Tchernobyl, de New Orleans, des tsunami, etc. pour montrer que la catastrophe écologique (ou ses conséquences dans le dérèglement de la nature) ne révèle aucunement une « solidarité commune », ou même un « terrain d’entente » sur lequel nous pourrions, prolétaires, bourgeois et petits bourgeois marcher du même pas. Il faut le dire clairement : le communisme se fera sur le fumier écologique de la bourgeoisie, et plus tôt le prolétariat stoppera les dégâts mieux ce sera. En chœur avec les écolos bobos du Nouvel Obs, C.Bitot vient nous conter que la soi-disant négligence du facteur écologique signifie l’écroulement de l’échafaudage marxiste ! Et d’un, les militants révolutionnaires du XXe siècle ne pouvaient prévoir le degré de barbarie et de destruction qu’atteindrait le Capital décadent, et de deux l’écologie n’est en soi, utilisée électoralement, qu’une variante de l’antique « union nationale » (quand Jacques Chirac nous parle de préserver l’eau, je sors mon revolver !). L’eau va manquer, horreur ! L’essence aussi ! Et alors ? ce n’est pas le problème du prolétariat. On ne lui demande pas son avis. On lui demande de payer ses impôts et de faire du vélo à Paris…

Le système communiste s’imposera certainement dans une situation inédite de « sortie de secours » d’autant plus à ce moment-là comme besoins d’une autre époque, et je ne vois pas franchement quelle catégorie d’électeurs, d’orgas humanitaires pourraient être à la hauteur de la tâche et responsabilité de la classe ouvrière.

C.Bitot veut-il dès maintenant comme les pitres Besancenot et Bové qu’on exige du capitalisme qu’il économise pour notre avenir possiblement communiste les matières premières dont il use si dispendieusement ?

UN COMMUNISME EN SABOTS

Bitot a trouvé la solution au capitalisme déchaîné et pollueur : le retour en arrière au niveau de la petite production et une rigoureuse « simplicité des besoins »! Un auteur, antistaliniste de service, aux côtés de sa bourgeoisie en guerre, et rétribué par les services secrets, G. Orwell – mais aussi la bigote Simone Weil et le pseudo historien anar Gaston Leval – vont supplanter Marx dans l’imaginaire prospectif de C.Bitot. Il faudra « démécaniser, désautomatiser, réduire le nombre de machines ». Cet auteur accumule une série de constats effarants de la capacité de nuisance du capitalisme, mais avec des carences dans l’interprétation, ou des idioties malthusiennes : ce serait la faute à la surpopulation ! Or la famine est causée par des végétaux, non simplement, brûlés pour la biomasse mais pour le « carburant vert » des 4X4 pour bobos, et la majeure partie des terres pour maïs sert à nourrir les bovins plus que les humains (on n’a pas besoin de manger tant de viande certes !).

Il faudra donc en revenir au travail manuel, le « mettre au centre » nous dit Claude Bitot, un programme de revalorisation que ne moquerait ni Martine Aubry ni Sarkozy. Etrange souci commun ? On se souvient que Engels avait décrit les utopistes (les projeteurs d’avenir) comme d’impondérables potaches incapables de décrire autre chose que la société présente. Il n’est pas étonnant que notre ami du travail manuel décrive la révolution de 1917 comme première révolution de sous-développés courant après le capitalisme ; les bolcheviks sont ainsi rendus moins gênants dans leurs prétentions, et il ne restera plus qu’à louer les expériences barcelonnaises…

Sur le refus du travail des Hippies aux communisateurs, C.Bitot met tout le monde dans le même sac, ouvriers en grève et étudiants petits bourgeois non sevrés. Il ne voit que les stars de 68 (situs et autres cons et coms), mais il ignore (ou a oublié) que DANS LA CLASSE OUVRIERE en 68 ce n’était pas de refus du travail (on bouffe et on s’habille comme les hommes des cavernes et on fait de la musique avec des peaux de bêtes, autrement ?) comme tel qu’il s’agissait mais de la remise en cause de son DEROULEMENT (commandement humiliant, hiérarchies des petits chefs, primes à la gueule). Il n’évoque pas une seule fois les besoins des travailleurs au travail dans ce bouquin. Comme tous les groupes politiques il ne traite quasiment pas de la division du travail telle qu’elle est haïe et rejetée par les ouvriers lorsqu’ils relèvent la tête. Travers typique de l’intellectuel qui se prend pour la tête et se fiche de celle de ceux dont on ne voit que les bras. Il méconnaît l’histoire du travail dans les sociétés antérieures où on ne travaillait pas autant que sous le capitalisme (cf. p. 308 de mon propre ouvrage) ; de même il n’a pas étudié la longue lutte du mouvement ouvrier pour le temps de loisirs (p.310), saluée par Marx comme centrale pour la réduction du temps de travail, et liée au projet de société communiste sous ses aspects ludiques, festifs et déliés sexuellement (merci Fourier).

Evidemment cela ne signifie pas « jouir sans entraves », l’espèce humaine aura toujours besoin de s’autocontrôler, sachant sa prédisposition à accumuler les besoins qui n’est pas née dans le capitalisme (cf. les bonnes pages de Gorter auquel je fais référence traduit par Discontinuité).

Le travail restera une activité sociale importante, pas forcément centrale, pas besoin d’en faire un plat pour les prolétaires conscients ; tant pis si les intellectuels communisateurs ne veulent pas comprendre, ils comprendront assez tôt qu’il leur faudra nettoyer leurs chiottes eux-mêmes et qu’il n’y aura plus de femmes de ménage, ni au Kremlin ni chez Roland Simon ou Tahar Benjelhoun.

Comme le repenti maoïste Baudrillard, les hippies et les riches, C.Bitot considère que les ouvriers se sont vendus à la consommation (n'est-ce pas une considération bourgeoise de grand seigneur?), il méprise machine à laver, bagnole et télé, n’y voyant qu’arcane subliminale de la société de consommation. Or c’est faux et superficiel, et pas une concession à la modernité, toutes ces innovations correspondaient et correspondent aux besoins du Capital de fidéliser les travailleurs au boulot : la machine à laver pour que les femmes passent plus de temps l’usine, la bagnole parce que le capital est si pingre qu’il refuse de développer les transports en commun à la campagne (pas rentable), la télé parce que les ouvriers n’ont ni le temps ni le goût pour aller au théâtre, etc… Et C.Bitot voudrait nous supprimer la machine à laver peut-être pour que la femme puisse à nouveau aller battre son linge à la rivière ? Et le frigo? on supprime aussi cet élément d'embourgeoisement occidental? pour que je retourne chercher des pains de glace comme je le faisais, enfant à Albi, à la fin des années 1950, pendant que maman était au boulot... Il est vrai qu'il n'y aura plus que des frigos pour cantines collectives...

De reconstruction en destructurations, la classe ouvrière de tous les pays a vu se diversifier les distractions misérables que le système lui propose, et alors ? C.Bitot croit-il que les prolétaires eux-mêmes ne dénigrent jamais la futilité des besoins artificiels ou des fétiches qu’on jette à leurs enfants (en créant la « frustration du besoin » comme je le souligne p.306).

Ils sont certainement plus conscients en famille et en AG que nous, et ils discutent parfois aussi des besoins universels ("radicaux" sans le savoir) et ce que pourrait être une société de liberté sans mièvreries sur un bonheur parfaitement communiste…

FIN DE LA CENTRALITE DU TRAVAIL ET TRAVAIL DENREE RARE ?

Je le répète, même si Claude Bitot a tendance à tirer en arrière et à donner des verges pour se faire battre, il a posé des questions qui ne sont pas indécentes, et qui ont à voir, même s'il a esquivé le sujet, avec la transition, une période de transformation marquée certainement au coin de la pénurie et des déséquilibres hérités de la société divisée en classes.

Il y apporte hélas immédiatement des solutions incrédibles. Il n’y a pas et il n’y aura plus de travail pour tous. Le travail connu de nos jours (et ses humiliations) ne sera plus au centre, n’en déplaise à feu Marx. La solution réactionnaire de supprimer les machines (en réduisant les naissances drastiquement) en croyant que cela permettrait de re-répartir un travail de type artisanal est une douce lubie anar. Les machines on nepeut même plus se passer des plus efficaces (de la moissonneuse batteuse à l’avion… et à internet). Le rejet de ces « instruments » par Bitot peut le ranger dans les réacs de la bande à Riesel (l'inénarrable Encyclopédie des nuisances); veut-il comme les talibans jeter à la benne télés, portables et appareils photos numériques si plaisants (pour restaurer la boutique photo de jadis)? Il y aura bien des choses à garder de l’industrie capitaliste que ni une réorganisation à l’aide de petites mains de fourmis khmers rouges ou de multitudes chinoises remises aux champs avec des charrues ne pourront jamais plus remplacer. Plutôt que de ridiculiser le projet communiste avec un remake généralisé du travail artisanal, Claude Bitot aurait mieux fait de tenter de répondre à comment on va occuper les millions de surnuméraires laissés en rade par le capitalisme, comment recycler les millions d’emplois improductifs et désormais inutiles des banques, des assurances, de l’immobilier…

Désolé que notre nouveau Babeuf veuille restreindre ce qui n’est pas forcément abondant pour nombre de prolétaires des pays développés, mais n'y aura-t-il pas d’abord - que cela plaise ou déplaise aux ouvriers corporatifs ou au petit bourgeois pleurnichard - comme premiers besoins urgents de produire encore plus de nourriture pour sauver des millions de crève la faim du monde délaissé (en premier lieu en faisant cesser cette aberration de transformation des céréales en biocarburant!… Dans une situation moins aggravée ne disait-on pas à la fin des années 1960 qu'il faudrait cesser de détruire les surplus alimentaires? Priorité à la distribution non mercantile…

Je suis OK avec lui que les besoins du communisme restent à définir – on est pas madame Soleil – mais au lieu de taper comme un sourd sur les limites du théoricien Marx pourquoi ne reconnaît-il pas le travail aussi sera à redéfinir (non pas comme une prolétarisation de l’ensemble de la société… veille idée industrialiste socialiste pourtant et anar): en terme de rotation ou de partage? en termes d’activité sur tous les plans de la vie ? (nettoyage de la cage d’escalier, réparation des toits après une tempête, garde des enfants, écrire des histoires, jouer de la musique, animer et organiser des voyages) participation à la vie commune par débats, projets, propositions, etc. Il existe déjà des millions de retraités ou d’assistés financièrement qui trouvent le moyen de se rendre utiles à la société sans pointer à une usine quelconque, par des activités considérées comme bénévoles. La recherche et la création dans tous les domaines n'auront jamais assez d'un nombre d'énergies en constant renouvellement.

L’informatique n'a-t-elle pas eu du bon, réduisant le job de sténodactylo; l’ouvrier et le patron sont devenus leur propre secrétaire… C. Bitot raille nombre d’activités de détente (randos, bridge, club Med., etc.) mais nous pourrons en garder et en inventer d’autres nullement nuisibles non plus ni ridicules. On ne peut plus défendre un projet communiste grossièrement matérialiste, en se passant du besoin humain de multiplier les activités. L’homme ne vit pas que de pains mais aussi de loisirs. L’ingénieur nettoiera ses chiottes. La femme de l’ingénieur, sans diplômes pourra surfe sur le web ou faire son footing… Le petit bourgeois, coupé de ses fonctions de commandement au boulot n’est pas rétif en soi au travail manuel (le boom du bricolage, même pour sa maison de campagne, en fait déjà foi). L’ex petit bourgeois fera comme les prolétaires si les règles de base de l’ancienne société ont sauté ; la disparition de l’argent et des médailles est plus efficace que les goulags souhaités par Robert Camoin.

L’injonction que « tous participent au travail productif » résonne étrangement léniniste et robespierriste (qui ne travaille pas, ne mange pas), mais on peut faire travailler une majorité deux heures par jour (ils n’en mourront pas et ne se sentiront pas humiliés) et faire tourner les tâches; chacun à son niveau géographique, urbain ou campagnard peut occuper une place où il est utile à la société sans que cela signifie l’oisiveté décervelée. Dans les villages jadis chacun avait un rôle, de la commère au cantonnier, mais on n’en reviendra pas à ce stade comme l’imagine notre ami Bitot. Le capitalisme taylorisé et informatisé a créé des milliers d’emplois différents, pourquoi nous (ou ceux qui vivront alors) ne pourrions-nous pas créer mille autres sortes d’occupations sans les réduire au travail physique, ( sans risque de parasitisme), comme nous y enjoint Claude Bitot ?

UNE INQUIETANTE APPROXIMATION

Alterné avec la bougie, les sabots en bois véritable, le vélo écolo et le battoir à linge (+ lessive bio), l’amusement et la créativité sous le régime dépeint par C.Bitot seront tristes à mourir, c’est la ducasse de LO au niveau planétaire avec des stands de tir au pavé en chiffon contre effigie des CRS en carton (de l'ancien monde) et sous-groupes musicaux invités à remplacer les vedettes trop chères et désormais impayables...

C.Bitot avec qui j’ai eu l’occasion de travailler il y a vingt ans sur la question de l’Etat transitoire fait preuve d’une étrange lacune en squizzant la transition qu’il avait abordée dans son précédent ouvrage (Le communisme n’est pas encore commencé ; il a toujours des titres super bons). Ce n'est pas très cohérent et semble plaider pour un saut "qualitatif"... Il n'est pas de ces muscadins modernistes qui imaginent que cela passera comme un suppositoire... Il laisse planer vaguement le doute sur la pérennité d'un Etat (qu'il attribue à Marx!?) Franchement: Y aura-t-il un Etat dans la phase supérieure du communisme? Il semble dire que oui, après nous avoir baladé dans des histoires de communautés locales vasouillardes où on ne sait jamais qui fait quoi, sans oublier un plan « immobile » (fixé une fois pour toutes) pour les siècles des siècles… un peu cathare non ? Il caresse les gentilles naïvetés de l’honorable Kropotkine mais il est plus dommageable pour son propos, qui se prétendait initialement novateur, de vouloir nous fourguer comme exemple de « mouvement révolutionnaire le plus spectaculaire de tous les temps » (miséreux à souhait) l’autogestion espagnole de 1936 à l’ombre de l’Etat bourgeois républicain (chose qu’il avait dénoncée pourtant dans son précédent livre).

Pire on ne sait pas d’où finalement va éclore cette société communiste frugale, monacale et pieuse (sexuellement?). Qui pourrait être en désaccord avec Bitot que le « mouvementisme », de tous les agités du bocal syndicaliste ou altermondialiste, ne sert en rien le projet révolutionnaire et que la plupart des grèves syndicales sont des promenades sans gravité ?

Le problème de l’échec du projet "babouviste" de Bitot est qu’il tient un discours comme quand il se voulait un marxiste orthodoxe : oyez la vérité braves gens, le système court à la cata because il est productiviste effréné !

Cela les prolétaires le savent déjà. Ils veulent bien en finir. Mais encore faudrait-il qu’ils aient confiance en eux ! On ne cesse de leur raconter des salades au jour le jour après leur avoir promis pendant si longtemps le grand soir. Il est légitime qu’ils doutent, hésitent et attendent eux aussi. Mais, t’inquiètes camarade Bitot, l’attaque capitaliste se précise, s’obstine à enfoncer dans la misère et la révolte. Les prolétaires ne se pensent pas en catégoriesde productifs et improductifs, ni ne se soucient de l’inessentialisation de la valeur. Ils se demandent peu à peu quelles seront les meilleures armes pour mettre à bas la bourgeoisie dominante afin de faire disparaître « la peur du lendemain », comme les définissait Babeuf.

La compréhension de la dialectique des besoins radicaux (ceux de toute l’humanité portés par le prolétariat qui privilégiront l’être à l’avoir) est le creuset pour dépasser contradictions et freins qui immobilisent encore le prolétariat.

J’espère que la contribution de Claude sur les affres du changement de société - qui chevauchent la transition, dépendent de la transition même jusqu'aux débuts de la phase 2 du communisme (au contraire de son saut monacal) - comme la mienne, permettra à la discussion révolutionnaire de renaître de ses cendres.

JLR

Note : Je trouve parfaitement scandaleux qu’un effort comme celui de Bitot, aussi critiquable et critiqué qu’il soit ici n’ait pas trouvé d’éditeur. On est effaré des merdes étalées en librairie ces temps-ci. Les petits éditeurs ne relèvent pas le niveau. L’Harmattan a filé un strapontin aux deux imbéciles de Temps critiques, qui filtrent et censurent tout ce qui n’est pas délire communisateur. Sulliver et les éditions de l’obscurité du manipulateur sans parole Lastelle – qui rêve de capter un peu de poussière de gloire de Debord - gâchent des forêts avec des pensums verbeux et imbitables (l’invraisemblable et débile « la vie n’est pas moderne ») et polluent toute réflexion sensée sur une alternative de société par de la branlette intellectuelle d’impuissants qui mendient une éventuelle gallimardisation. Les Cahiers Spartacus dorment avec leur vieux stock et ne font aucun effort pour aider à renouveler la pensée révolutionnaire.

On peut trouver l'ouvrage de C.Bitot, excellemment réalisé au niveau maquette, dans toutes les librairies sympas de Paris, à la marge des consortiums de l’édition bourgeoise friquée et niveleuse.

Note additive: deux auteurs ont abordé la question des besoins chez Marx mais de façon désinvolte et bourgeoise: le clown mao-althussérien Jean-Paul Dollé in Le désir de révolution (10-18, 1972) et un certain Dick Howard in "Marx, aux origines de la pensée critique" (ed Michalon 2001).

1 commentaire:

  1. Bonjour
    L'article date certes d'il y a 8 ans mais je voulais ajouter la remarque suivante. Il existe une livre d'une disciple hongroise de Lukacs, Agnes Heller, qui traite précisément de la "théorie des besoins" chez Marx. Je l'ai mais ne l'ai pas lu et ne sais ce qu'il vaut.

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