PAGES PROLETARIENNES

dimanche 10 février 2008

NO LIMIT

Tous les commentaires sont les bienvenus sur ce blog. Hélas si on peut voir de nombreuses connections depuis quelques mois, peu se risquent à émettre leur avis ou restent cachés. C’est pas beau le voyeurisme idéologique ! La pensée consciente n’existe pourtant que dans le dialogue, la confrontation des points de vue et je n’ai pas vocation à prêcher dans le désert. Si cela devait perdurer, je finirai par conséquent par clore ce blog. Je remercie donc chaleureusement le bloggeur « démocrate anarcho-monarchiste » du courriel qu’il m’a fait parvenir :

« A parcourir votre blog - fort bien écrit par ailleurs -, après plusieurs mois d'absence, je me pose toujours la même question : pourquoi vouloir imposer aux gens de choisir entre capitalisme et marxisme ? J'agit-il donc de choisir entre le Bien et le Mal ? Je déteste, pour ma part, les approches désespérément systémiques que proposent ces deux "modèles". Avec les capitalistes, comme avec les marxistes, les gens ne sont que des pions, prisonniers de leur compte en banque ou de leur classe sociale. Ainsi, on les enferme dans des grilles de lecture qui ne sont pourtant que des créations de l'esprit humain. Pas d'alternative, donc, ni pour les uns, ni pour les autres. Les uns disent : "le pognon, c'est génial ! La Bourse, c'est formidable ! La spéculation, officiellement c'est pas bien, mais en réalité c'est merveilleux ! La loi de la jungle, ya que ça de vrai ! Premier arrivé, premier servi ! Et pas de pitié pour les perdants !". Les autres disent : "la lutte des classes explique TOUT ! Absolument TOUT ! Et tout doit être pensé à partir de cela ! Les "comités", les "cellules", les "partis prolétariens", y a que ça de vrai! La Révolution ! La Révolution ! Et ceux qui ne sont pas avec nous sont forcément contre nous, car ils sont à la solde de la réaction !" Et il me semble que je caricature à peine...
Franchement, moi qui déteste le pognon tout autant que les dogmes, quand j'entends parler les uns et les autres, j'ai simplement envie de faire le choix... de ne pas choisir.
Je doute que vous puissiez arriver à me convaincre, mais je prendrais volontiers connaissance de vos arguments, si vous souhaitez me répondre...

Cordialement,

Hyarion, le démocrate anarcho-monarchiste.

PS : j’adore la blague de Toto étudiant.(4 février)

Cher Hyarion,

Comme je vous l’ai déjà dit dans ma réponse immédiate et brève, je ne suis pas là pour vous convaincre. Je suis depuis longtemps vacciné contre le militantisme de caserne. Je ne suis pas un parti à moi tout seul, bien que parfois je donne l’impression de me prendre pour Mirabeau. Je m’efforce simplement de rester humain. Je ne puise pas ma conviction dans l’encre du révolté gauchiste et syndicaliste qui puise sa motivation dans la rage, la haine, l’envie et le ressentiment. Pas de pose rebelle ou arrogante de ma part, même si je me laisse parfois aller à l’insulte qui est l’arme du solitaire et de l’impuissant devant l’injustice du monde.

Venons-en à votre question : pourquoi vouloir imposer aux gens de choisir entre capitalisme et marxisme ?

D’emblée il me semble que vous faites fausse route, et j’ai envie de vous répliquer comme Marx que le problème est dans la question. Personne n’impose rien à personne en soi hormis dans les périodes électorales truquées de la bourgeoisie. Vous êtes libre (en Occident) de penser ce que vous voulez et cela ne dérange personne. A votre façon vous êtes néanmoins le produit humain d’une époque où il est légitime que les gens ne croient plus en rien et surtout ne se laissent plus abuser par les promesses de TOUS les partis et conciliabules politiques. Cependant ce rejet ou ce dégoût généralisé n’est pas signe à mon sens d’indifférence. Je ne sais si vous êtes étudiant, chômeur, ouvrier ou parasite quelconque, mais je puis vous dire que nous sommes tous impliqués, concernés et responsables de la situation sociale et économique dans laquelle nous nous trouvons. Immédiatement, à ce titre nous n’avons pas tous les mêmes motivations ni les mêmes besoins. Comme je l’affirme dans mon ouvrage « Dans quel ‘Etat’ est la révolution ? » - qui ne paraîtra certainement pas vu l’impéritie et la veulerie des éditeurs à qui je l’ai soumis – la société est partagée entre Etre et Avoir. Que vous le vouliez ou non, le monde capitaliste (c’est comme cela qu’il s’appelle) est dominé par la lutte pour le pouvoir, le paraître et l’AVOIR. Je peux comme vous dire, je ne veux pas choisir entre l’être et l’avoir. Or, indépendamment de nous, le monde actuel est dominé par le culte de l’avoir, et moi je ne veux pas avoir, je veux être. J’aime beaucoup la conclusion du dernier livre de Jean-Claude Michea : « Mais s’il advenait, malgré tout, que l’humanité perde son dernier combat et soit ainsi contrainte de céder la place aux machines post-humaines, dans le monde dévasté du libéralisme victorieux, il resterait encore une vérité ineffaçable. La richesse suprême, pour un être humain – et la clé de son bonheur – a toujours été l’accord avec soi-même. C’est un luxe que tous ceux qui consacrent leur bref passage sur terre à dominer et exploiter leurs semblables ne connaîtront jamais. Quand bien même l’avenir leur appartiendrait » (cf. L’empire du moindre mal, ed. Climats).

Le bourgeois (car il existe vous en convenez ?) n’est pas conscient, il veut jouir, jouir de son pouvoir, de ses esclaves, de ses biens, de ses distractions. Toujours plus ! Le prolétaire et le petit bourgeois sont eux-mêmes contaminés par temps morose par la même envie au rabais. On voit donc que le monde ne se divise pas entre le bien et le mal, le péché et l’abstinence. Le désir d’AVOIR règne sur ce monde dans toutes ses acceptions : vaincre, baiser, posséder, écraser l’autre, le tuer, etc.

Or, depuis les premiers chrétiens, nous savons que dans la misère (des éternels vaincus) il n’y a pas que la misère mais la conscience d’un autre monde possible. Si vous vous trouvez bien en ce monde, no problem, passez votre chemin et qu’un dieu vous garde. Si vous n’êtes pas aveugle à la misère du monde alors songez à ces premiers chrétiens qui enduraient mille humiliations et morts, dont les mains étaient enchaînés mais qui découvrirent que personne ne pouvait enchaîner leur esprit. Bien sûr cet éveil primaire se réfugia d’abord dans la croyance superstitieuse en un prophète ou en un au-delà du respect humain, mais les siècles qui nous séparent de cet éveil ont montré que le mal n’était pas naturel ni héréditaire mais était le fait de sociétés de classes ou des hommes dominaient d’autres hommes sans vergogne. Des révolutions successives ont révélé que la conscience d’une humanité perfectible était un projet humain possible. Permettez-moi de citer encore Michea, philosophe pourtant doux anarchiste, mais si lucide :

« Dès que l’on se refuse à prendre appui sur des vertus déjà (ou encore) présentes dans la vie des classes populaires, ce ne sont plus seulement les raisons de leurs révoltes qui deviennent incompréhensibles. Il faut également admettre que l’invitation à rester humain n’a aucun sens, que le capitalisme ne sera définitivement vaincu que par des hommes ‘qui n’existent pas encore’ et que seule une élite mystérieusement protégée contre les vices inhérents à la nature humaine (« des hommes taillés dans une autre étoffe », disait Staline) pourra diriger le processus de fabrication industrielle de « l’homme nouveau ». Tel est, en dernière instance, le fondement mystique invariable de toutes ces théories qui invitent à confier le destin des peuples à l’avant-garde éclairée du genre humain ».

Pour l’avenir de l’espèce humaine il n’est ni dieu, ni César, ni tribun. Cette maxime est celle qui émerge du mouvement de la classe ouvrière ancienne et moderne. Affirmation plus que jamais valable et qui n’intronise pas en soi cette classe ouvrière si méprisée. La classe ouvrière n’est pas toute l’humanité. Des millions d’humains ne peuvent être rangés dans cette catégorie, mais cela veut-il dire qu’ils sont désintéressés à la vie ou la survie du monde ? Cela veut-il dire qu’un grand chambardement n’entrainera pas toutes les couches intermédiaires, paupérisées ou quart-mondisées ?

Nous sommes dominés par de puissants organismes d’Etat. Nous ne sommes rien quand nous pouvons être tout. Si on en reste à votre simple question bipolaire le monde dans lequel nous vivons apparaît indicible. Vive la politique de l’autruche ? Je suis content de n’être considéré que comme un tube digestif, un con-sommateur ?
La majorité de la population dans tous les pays galère peu ou prou (c’est pire au Sahel et en Tchétchénie) mais cent millions de chinois et moi et moi et moi… On vit une époque formidable, le danger « communiste » a été éradiqué, remplacé par le brouillard islamique. Google me surveille nuit et jour. Il faudrait un nouvel Engels pour décrire The condition (effroyable) of the working class… Des femmes étudiantes se prostituent pour ne pas être à la rue. L’Etat me protège contre les voyous et les assassins. L’Etat apprend à lire à mes enfants. L’Etat ne cesse d’inventer des réformes qui enchantent les sectes obscurantistes. En France, les fœtus auront bientôt le droit de vote comme les morts puisqu’ils disposent désormais d’un état civil. Au Canada, après les écoles réservées aux enfants juifs, une école est ouverte pour les noirs exclusivement. En France encore un prof qui donne une baffe parce qu’il s’est fait insulter par un élève va illico en taule. En Turquie, le port du voile est légalisé à l’université. Tous les jours des dizaines de personnes sautent en Irak, en Afghanistan et on torture allègrement avec le supplice de la baignoire dans tous les pays civilisés. Chaque jour apporte son lot de révélations d’ignominies, d’injustices, de suicides de pauvres gens… et moi et moi je ne veux pas choisir, je me bouche les oreilles, je ferme les yeux et je me tais… Pourtant je vis dans un système qui n’a plus de limites… dans l’aberration et le nihilisme…

Le marxisme n’est pas la seule théorie qui a théorisé que du capitalisme devait sortir le communisme. Il suffit d’examiner les siècles d’histoire pour considérer la succession de divers types de société. Quand une société succède à une autre - il n’existe pas plusieurs grilles de lecture d’un monde qui implose ni plusieurs choix - celle-ci succède à celle-là même si mon ego se refuse à choisir. Quand je traverse la chaussée, soit je me fais écraser, soit je passe sans encombre ; je ne reste pas indéfiniment sur le trottoir à me demander si un monsieur ou une dame va me prendre par la main pour passer de l’autre côté.

Fin d’allégorie. Vous me direz encore qu’il n’y a plus de parti crédible et que la classe ouvrière, missionnaire avachie bêle derrière des syndicats gouvernementaux. Je ne vous dirai pas le contraire, c’est pourquoi le problème était dans votre question, et qu’elle suppose une autre discussion.

Bien cordialement,

JLR

PS : Un commentaire glané sur le web :

« Platon avait coutume de dire : “Quand l’élève ne respecte plus le maître, quand les lois sont bafouées, c’est le début de la tyrannie.” Je pense qu’il faut réhabiliter un gros mot : l’éducation. » – C’est une notion en perte de vitesse ?
« L’élève capable de dire “connard” à un prof est impulsif, angoissé. Il sera incapable de dire non à une nouvelle paire de baskets, à un nouveau téléphone portable. C’est lui qu’on retrouvera surendetté lorsqu’il sera adulte. Cette clientèle-là fait tourner l’économie. Environ 15 à 30 % des parents seraient incapables de dire non à leurs enfants. Ces derniers se sentent alors tout puissants, ils se comportent avec leurs parents, leurs profs, comme avec leurs copains, ce qui les rend éminemment fragiles. Aujourd’hui, près d’un jeune de 18 ans sur quatre est déjà passé par un épisode dépressif ».

Et je ne résiste pas à citer encore Michea qui, par une figure de style, croit avoir trouvé la pierre philosophale. Il nous conte que le Capital se nourrit encore de ses ferments de décomposition : « L'intérêt économique majeur (vise) à maintenir un taux de délinquance élevé. Non seulement, en effet, la pratique délinquante est, généralement,très productive (incendier quelques milliers de voitures chaque année par exemple, ne demande qu'un apport matériel très réduit, et sans commune mesure avec les bénéfices ainsi dégagés pour l'industrie automobile)... la participation du délinquant à la croissance du PIB est immédiatement rentable, même s'il est très jeune (il n'y a pas ici de limite légale au travail des enfants)..... » Avec cette parabole Michea trouve le moyen pour éviter de se prononcer politiquement sur le sens des émeutes. ET il ne connaît pas grand chose. J'ai connu un système de petites bandes des 70 depuis la porte de Vanves qui étaient payés pour crever les pneus autour du périphérique, au profit des garagistes voisins... Il faut savoir que pour toute épave la compagnie de CRS du périph touche un bakchich... mais chut!

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