PAGES PROLETARIENNES

samedi 30 décembre 2023

Juifs et communistes en Union soviétique et en Pologne

 


par Antony Polonsky

traduction : Jean-Pierre Laffitte


Dans Jack Jacobs ed., “Jews and Leftist Politics : Judaism, Israel, Antisemitism and Gender”

(Cambridge : Cambridge University Press 2017)

p. 147-167


Ce que je veux faire dans ce chapitre, c’est examiner dans quelle mesure la présence des juifs dans le gouvernement et l’appareil sécuritaire de l’Union soviétique et de la République populaire de Pologne était importante et de quelle manière cette participation devrait être évaluée. La position des bolcheviks concernant la ”question juive” est bien connue. Les questions nationales étaient considérées par eux comme instrumentales. Elles devaient être jugées en fonction de la façon avec laquelle elles faisaient progresser les intérêts de la révolution mondiale et de l’État soviétique. Là où des groupes nationaux étaient soutenus, il s’agissait d’une alliance tactique, comme c’était le cas avec l’alliance avec les paysans. L’objectif ultime, c’était la création d’un nouvel homme socialiste, qui devait se situer au-dessus des mesquines divisions nationales, et un seul État socialiste mondial. Tous les responsables de la politique juive dans le Parti bolchevik étaient à la recherche de cet objectif final ; la seule différence entre eux était leur opinion relative à la question suivante : pendant combien de temps la spécificité juive pourrait être tolérée. Le but, c’était l’assimilation – une nouvelle version de l’opinion de Clermont-Tonnerre selon laquelle l’on pouvait tout donner aux juifs en tant qu’individus, mais rien en tant que communauté.

Les juifs, selon la théorie bolchevique, n’étaient pas une nation. Au cours du conflit qui a opposé les bolcheviks au Bund, Lénine avait affirmé que « l’idée d’une nation juive était pour l’essentiel totalement fausse et réactionnaire »1. Cette opinion a été confirmée par l’étude que Staline a effectuée sur ce problème à la demande de Lénine en 1913. Selon cette étude, une nation devrait avoir quatre caractéristiques : un territoire commun, une langue commune, un système économique commun et une culture commune. Comme Staline le dit lui-même : « La revendication d’autonomie nationale pour les juifs russes est une sorte de curiosité – car elle propose l’autonomie pour un peuple qui n’a pas d’avenir et dont l’existence reste encore à prouver »2.

Le destin à long terme des juifs, qu’il qualifie de « fiction dépourvue de territoire »3, devait clairement être intégré dans les nations dans lesquelles ils vivaient et, au bout du compte, en particulier dans la période stalinienne, dans la nation soviétique naissante. Les bolcheviks reconnaissaient que les juifs possédaient certaines caractéristiques proto-nationales et qu’ils devaient se retrouver en grand nombre en Union soviétique. Afin de faciliter leur intégration dans le nouveau monde socialiste, une identité juive socialiste spécifique, qui s’exprimerait à travers une version sécularisée du yiddish, pourrait être tolérée pendant une certaine période. Mais certains juifs, et même certains dirigeants bolcheviks tels que le président de l’URSS Mikhaïl Kalinine, pensaient que cela pourrait devenir permanent. Un rôle-clé devait être joué dans la création de cette identité par les sections juives du Parti Communiste, les Evsektsii.

La façon dont ces politiques ont été mises en œuvre au cours des vingt années qui séparent la fin de la Guerre civile de l’invasion nazie de l’Union soviétique a subi un changement drastique avec l’accession de Staline au pouvoir. Le début des années 1920 a été une période de relative libéralisation dans la politique soviétique. Après l’échec des révolutions en Hongrie et en Allemagne et la défaite soviétique dans la bataille de Varsovie en août 1920, laquelle a mis fin à tout espoir d’étendre la révolution au moyen de l’Armée rouge, Lénine a décidé d’abandonner la collectivisation et d’autoriser le développement de l’industrie et du commerce privés. Cette période a pris fin avec la victoire de Staline dans la lutte pour le pouvoir après la mort de Lénine et avec son adoption d’une politique radicale de collectivisation et d’industrialisation rapide.

Ce “Grand tournant” de 1929-1932 est d’une importance cruciale dans l’évolution de la politique soviétique à l’égard des juifs. Elle a été marquée par une intensification de la terreur, laquelle visait souvent les juifs. Trotski, dont on insistait fortement sur les origines juives, était devenu le centre de la haine obsessionnelle de Staline, et ce dernier manifestait aussi une obsession croissante à l’égard des juifs, laquelle a commencé par son opposition à la liaison de sa fille Svetlana avec un juif. En même temps, il fallait souligner que les juifs n’étaient pas représentés de manière disproportionnée parmi les victimes.

Les nationalismes de toutes sortes étaient maintenant suspects. Les communistes nationaux ukrainiens et biélorusses ont été exclus, et l’autonomie polonaise en Ukraine et en Biélorussie a été supprimée. La vie culturelle a été, elle aussi, beaucoup plus strictement contrôlée. L’Union soviétique était alors caractérisée par un plus grand isolationnisme et une plus grande suspicion de la part du monde extérieur. Le Joint Distribution Committee et sa filiale l’Agro-Joint, qui ont joué un rôle crucial dans la vie des juifs des années 1920, étaient maintenant beaucoup moins libres de fonctionner. En outre, Staline a commencé à réduire le pourcentage de juifs dans les rangs supérieurs du NKVD et parmi les juges et les procureurs.

Les Soviétiques ont cherché à favoriser l’intégration des juifs dans la nouvelle société en abolissant toutes les restrictions concernant les lieux où ils pouvaient vivre et les professions qu’ils pouvaient exercer. En conséquence, au cours des vingt années qui se sont écoulées entre la fin de la Guerre civile en 1921 et l’invasion de l’Union soviétique par les nazis, une transformation majeure a eu lieu au sein de la population juive du pays. Il y avait déjà eu une urbanisation juive considérable dans l’Empire russe avant 1914 et ce processus était en train de s’accélérer rapidement.

L’urbanisation était fréquemment accompagnée de l’adoption de la langue russe. La russification était habituellement associée au ralliement à des valeurs de l’intelligentsia russe, un groupe profondément en désaccord avec la société environnante. Le mode de vie de l’intelligentsia russe était extrêmement attrayante pour les jeunes lycéens et étudiants juifs. L’adoption de leur part de ses valeurs conduisait inévitablement à leur rejet des “principes petits bourgeois”, de “l’arriération” et du “provincialisme”, juifs qui semblaient être incarnés dans leurs familles. Dans son autobiographie, Léon Trotski décrivait la brouille avec ses parents comme suit : « La soif de possession, la vision et le mode de vie petits bourgeois – c’est de là que, d’un grand effort, j’ai largué les amarres pour ne jamais revenir. »4.

En tant que groupe, certainement jusqu’à la révolution de 1905, un grand nombre d’individus appartenant à l’intelligentsia russe s’était engagé dans la transformation révolutionnaire de l’Empire tsariste. Ce n’est donc pas surprenant que ces juifs qui aspiraient à être inteligenty soient eux aussi devenus fréquemment révolutionnaires, que ce soit de la variété populiste ou de la variété marxiste. Ces processus d’acculturation et d’intégration ont été énormément accélérés par les politiques des bolcheviks. L’émigration de plus de 2 millions de Russes à la suite de la Révolution (parmi eux, environ cinquante mille juifs), la plupart d’entre eux issus des classes éduquées, a créé une énorme lacune dans le personnel qualifié et de nouvelles opportunités pour les juifs à la recherche d’une ascension sociale.

Les juifs se sont déplacés en grand nombre vers les villes, en particulier vers celles dans lesquelles il leur était auparavant interdit de vivre, ou bien dans lesquelles ils n‘étaient autorisés à vivre qu’en nombre restreint avant 1917, telles que Moscou, Leningrad, Kiev, Odessa et Kharkov. En 1939, plus de 1,3 million de juifs vivaient dans ces zones-là. À cette époque-là, 86,9% de tous les juifs soviétiques vivaient dans des zones urbaines, et environ la moitié d’entre eux dans les onze plus grandes villes d’URSS. Comme résultat de ce mouvement, la proportion de la population juive qui vivait dans la Fédération de Russie est passée de 23 pour cent en 1926 à plus d’un tiers en 19395. Cette migration vers les villes a été le résultat d’un exode de masse à partir des shtetls d’Ukraine et de Biélorussie qui avaient été dévastés par une guerre continuelle entre 1914 et 1921. La plupart de ceux qui ont participé à cette urbanisation à grande échelle ont été attirés par les horizons culturels et sociaux plus larges de la ville.

Au cours des années 1920, la restructuration de la population juive s’est déroulée de manière relativement lente. Beaucoup de juifs ont profité de la libéralisation économique de la Nouvelle Politique Économique (NEP) et ils ont constitué une proportion importante des “NEPmen”, les commerçants et les spéculateurs qui étaient une caractéristique de cette époque. C’est peut-être par crainte de susciter de l’antisémitisme que la campagne bolchevique dirigée contre les NEPmen ne mettait pas l’accent sur leur caractère juif. Ils ont été cependant les cibles de cinglantes attaques de la part d’un certain nombre de jeunes auteurs juifs de gauche, ce qui est un autre exemple du profond conflit générationnel existant dans le monde juif soviétique.

Le “Grand tournant” de Staline a été marqué par une attaque plus forte à l’encontre des professions juives dominantes dans le commerce et l’artisanat. Étant donné le conflit entre générations au sein le monde juif soviétique, il n’est pas surprenant que beaucoup d’agents de l’OGPU (service secret), qui ont été responsables après 1928 de la suppression de l’industrie privée, aient été juifs, y compris le chef du département de la “devise forte”, Mark Isaïevitch Gai (Shtokliand)6.

Avec l’industrialisation, le mouvement des juifs vers l’industrie a été encouragé et accéléré. La transformation des juifs en ouvriers de l’industrie a souvent été célébrée dans la littérature yiddish. Il y avait une certaine authenticité dans ces récits de propagande. En 1931, 11,3 pour cent des juifs économiquement actifs étaient des ouvriers métallurgistes, tandis que 1,4 pour cent étaient des mineurs. En 1939, presque 30 pour cent des juifs économiquement actifs étaient classés comme étant des ouvriers industriels7.

Mais la majorité d’entre eux étaient des employés de bureau et des officiels. C’est ainsi qu’en 1939, 40 pour cent des soutiens de famille juifs étaient employés comme fonctionnaires, tandis que 364 000 étaient classés comme étant membres de l’intelligentsia. Les juifs étaient en particulier fortement représentés dans les rangs des directeurs d’entreprise et dans ceux des comptables, des techniciens, des instituteurs, des médecins, des travailleurs dans le domaine de la culture, des professeurs, des agronomes, des ingénieurs et des architectes. Ils ont joué, dans les premières décennies de l’Union soviétique, un rôle similaire à celui joué par les Allemands dans l’Empire tsariste entre les réformes de Pierre le Grand et les révolutions de 1917. Voici ce que Lénine en dit :


« Le fait qu’il y ait eu beaucoup de juifs qui étaient membres de l’intelligentsia dans les villes de Russie a été d’une grande importance pour la révolution. Ils ont mit fin au sabotage général auquel nous étions confrontés après la révolution d’Octobre… C’est uniquement grâce à cette réserve d’une force de travail rationnelle et instruite que nous sommes parvenus à prendre en mains l’appareil de l’État. »8.

Ces gens étaient concentrés dans les plus grandes villes, en particulier à Moscou et à Léningrad, lesquelles étaient aussi les centres de la vie culturelle soviétique et le domicile des figures emblématiques de l’élite culturelle soviétique. Les juifs étaient également bien représentés dans cette élite. En outre, les juifs avaient une présence importante dans les comités de rédaction des journaux et des revues de premier plan, dans les universités, parmi le personnel hospitalier, ainsi que dans le corps des officiers soviétiques.

Les opportunités éducationnelles ouvertes aux juifs ont augmenté énormément lorsque le régime a supprimé les restrictions antérieures et lorsqu’il a considéré l’expansion de l’éducation comme étant la clé de la modernisation et de l’industrialisation du pays. En 1939, 26,5 pour cent de tous les juifs avaient suivi des cours dans l’enseignement secondaire (à comparer aux 7,8 pour cent de la population de l’Union soviétique dans son ensemble et aux 8,1 pour cent des Russes de la Fédération de Russie). En 1939, les juifs représentaient 15,5 pour cent de tous les citoyens soviétiques ayant une éducation supérieure, et un tiers de tous les juifs soviétiques ayant l’âge d’aller à l’université (de dix-neuf à vingt-quatre ans) étaient des étudiants, ceci étant à comparer aux 4-5 pour cent dans l’ensemble de l’Union soviétique9.

Le mariage mixte qui était rare avant 1917 et requérait habituellement la conversion au christianisme, devenait maintenant plus fréquent, et il était discuté dans la littérature, comme dans le Zelmenyanar de Moshe Kulbak. En 1926, 21 pour cent des mariages juifs dans la Fédération de Russie étaient exogènes et l’année suivante le chiffre en Ukraine était de 11,1 pour cent. En 1936, le pourcentage s’était élevé à 42,3 pour cent en Fédération de Russie, à 15,3 pour cent en Ukraine et à 12,6 pour cent en Biélorussie10. De nombreux hauts responsables juifs qui étaient membres de la direction bolchevique, y compris Trotski, Zinoviev et Sverdlov, étaient mariés à des femmes russes, tandis que figuraient dans ce groupe des non-juifs mariés à des juives, tels que Boukharine, Dzerjinski, Kirov, Lounatcharski, Molotov, Rykov et Vorochilov.

L’assimilation linguistique a eu lieu rapidement. En 1926, 25 pour cent de ceux qui étaient “de nationalité juive” considéraient le russe comme leur langue maternelle, un chiffre qui s’était élevé en 1939 à 54 pour cent. Les nouveaux migrants dans les villes faisaient peu d’efforts pour transmettre leur langue yiddish ou leurs pratiques religieuses à leurs enfants, car ils croyaient que cela ne ferait qu’empêcher leur promotion. Bien qu’attirés par la culture russe, beaucoup de ces enfants s’identifiaient comme des soviétiques.

Les juifs qui étaient issus des universités soviétiques vers la fin des années 1920 et dans les années 1930 ont constitué une génération qui était dévouée à la fois aux idéaux de la révolution et à la culture russe tels qu’ils s’incarnaient dans les traditions de l’intelligentsia prérévolutionnaire. Selon les paroles de l’un d’entre eux, Mikhaïl Baïtalisky, « tandis que nous nous préparions tous à être des agents d’agitation et de propagande », en même temps « nous héritions des idéaux moraux de toutes les générations de l’intelligentsia révolutionaire russe : son non conformisme, son amour de la vérité, sons sens moral »11.

Les juifs ont joué un grand rôle dans le développement de la culture populaire. Ils ont écrit beaucoup de chansons populaires qui ont fait partie de la mobilisation sociale qui a accompagné les plans quinquennaux. Quand la musique classique a fait de nouveau partie des normes soviétiques dans les années 1930, la majorité des ses interprètes étaient juifs, tels que David Oïstrakh et Emil Gilels12.

Comme ailleurs en Europe, les juifs s’identifiaient à un nouvel ordre social qui avait aboli la discrimination sous laquelle ils avaient souffert antérieurement et qui rendait possible leur intégration dans la nouvelle société. Cela se reflétait de manière frappante dans les prénoms que certains juifs donnaient à leurs enfants, et parmi eux Feliks (d’après le fondateur de la police secrète soviétique), Melib (Marx-Engels-Liebknecht), Vil (Vladimir Ilitch Lénine), Marlen (Marx-Lénine), Lenina et Ninel (Lenin à l’envers).

L’une des questions les plus controversées dans l’histoire juive soviétique est la question relative au nombre de juifs qui étaient membres du Parti Communiste et de la bureaucratie dirigeante.

Comme nous l’avons vu, la dégradation de la situation depuis 1881 avait conduit à leur engagement important dans toutes les composantes du mouvement révolutionaire, bien qu’ils aient été davantage visibles chez les mencheviks que chez les bolcheviks. Mais en même temps, un certain nombre des bolcheviks les plus importants étaient d’origine juive, bien qu’ils aient nié avoir des relations avec le monde juif. Parmi eux, il y avait Trotski lui-même, tandis que, pendant la guerre civile, les dirigeants bolcheviks les plus proches de Lénine ont été Grigori Zinoviev, Lev Kamenev (Rosenfeld) et Iakov Sverdlov.

Au cours des premières années qui ont suivi 1917, le rôle des juifs dans le parti a été encore plutôt faible. En 1922, la grande majorité des membres du Parti communiste de l’Union Soviétique étaient des Russes ethniques (72 pour cent), à comparer au pourcentage des juifs de 5,21, qui est tombé à 4,34 en 1927, c'est-à-dire à peu prés cinquante mille. Tout au long des années 1920, les juifs ont représenté 6 pour cent du Comité Exécutif, du Comité Central, et du présidium du Comité Exécutif13.

Cependant, bien que le nombre de juifs dans le parti ait été relativement faible, et pas beaucoup plus élevé que la proportion des juifs dans la population, les juifs bolcheviks étaient grandement visibles, en partie parce que les juifs dans des positions d’autorité avaient été si inhabituels en Russie, et en partie à cause de leur poste de premier plan dans certaines zones. En avril 1917, dix des vingt-quatre membres du Bureau directeur du soviet de Petrograd étaient des juifs, tandis qu’à la réunion du Comité Central bolchevik du 23 octobre 1917, qui a pris la décision de lancer une insurrection armée, cinq des douze membres présents étaient juifs (mais pas du tout de ceux qui y étaient favorables). Entre 1919 et 1921, les juifs ont constitué à peu près un quart des membres du Comité Central du Parti et ils détenaient une part importante des positions de direction dans les villes de Moscou et de Petrograd.

Les juifs jouaient également un rôle important dans la Tchéka, la police secrète qui assurait la protection du nouveau régime. Le pourcentage total des juifs dans l’organisation était tout à fait bas : 3,7 pour cent de l’appareil de Moscou, 4,3 pour cent des commissaires de la Tchéka, 8,6 pour cent des hauts fonctionnaires (les “responsables”) en 1918, et 9,1 pour cent de tous les membres des bureaux provinciaux de la Tchéka en 1920. La plupart des membres de la Tchéka étaient russes et, comme dans le Parti Communiste de l’Union Soviétique, un rôle de premier plan était joué au cours de cette phase par les Lettons qui constituaient 35,6 pour cent de l’appareil de la Tchéka de Moscou, 52,7 pour cent de tous les hauts fonctionnaires de la Tchéka, et 54,3 pour cent des commissaires de la Tchéka. Mais même dans la Tchéka, les bolcheviks d’origine juive combinaient leur engagement idéologique avec leur compétence dans le domaine de l’écriture de sorte que cela les mettait à part et les propulsait vers le haut. En 1918, 65,5 pour cent de tous les fonctionnaires juifs de la Tchéka étaient des “officiels responsables”, et certains occupaient des postes encore plus élevés. En 1918, ils représentaient 19,1 pour cent de tous les enquêteurs du Bureau central et la moitié (six sur les douze) de ceux qui composaient le département affecté à « la lutte contre la contre-révolution ». En 1923, quand l’OGPU a remplacé la Tchéka, les juifs représentaient la moitié (quatre sur les huit) des membres de son “collegium” et 15,5 pour cent de ses “hauts responsables”14.

Les juifs sont devenus plus importants dans l’appareil de sécurité au cours de la période de la collectivisation et dans celle du Premier Plan quinquennal. En juillet 1934, Guenrikh Iagoda a été nommé commissaire du peuple aux Affaires intérieures ; il contrôlait aussi bien la police régulière que la police secrète, et, quand plus tard cette année-là, l’OGPU s’est transformé en NKVD, les personnes considérées comme des juifs au paragraphe 5 de la loi sur le passeport intérieur composaient 37 des 96 “cadres dirigeants” de l’organisation, contre 30 Russes, 7 Lettons, 5 Ukrainiens, 4 Polonais, 3 Géorgiens, 3 Biélorusses, 2 Allemands et 5 d’autres nationalités. Ils étaient à la tête d’un certain nombre de départements-clés du NKVD : parmi eux, ils étaient responsables de la milice ouvrière-paysanne (la police), des camps de travail, du contre-espionnage, de la surveillance et de la lutte contre le sabotage15. Quand Staline a remplacé Iagoda en septembre 1936, il a nommé un autre juif, encore plus zélé, Nikolaï Iejov. En janvier 1937, les 111 hauts fonctionnaires du NKVD comprenaient 42 juifs, 35 Russes, 8 Lettons et 26 d’autres nationalités. Sur les vingt directoires du NKVD, douze (qui comprenaient la sécurité de l’État, la police, les camps de travail, et la réinsertion) étaient dirigés par des fonctionnaires dentifiés comme étant des juifs ethniques. Sur les dix départements du Directoire Principal pour le Sécurité de l’État, la plus sensible de toutes les agences du NKVD, sept (protection des officiels du gouvernement, contre-espionnage, services de renseignements de la police secrète, de la police spéciale (surveillance dans l’armée) et à l’étranger, archives, et prisons) étaient dirigés par des juifs. La place de premier plan occupée par les juifs dans l’appareil de sécurité a pu parfaitement refléter une décision délibérée prise par Staline de les utiliser dans ces rôles impopulaires afin de détourner l’hostilité de lui et de l’État soviétique.

Cependant, à cette époque-là, le rôle des juifs dans le NKVD prenait fin et le remplacement d’Iejov par Beria, un Géorgien comme Staline lui-même, a été suivi par une diminution du nombre de juifs occupant des positions dirigeantes16. Au cours des années 1934-1941, le nombre des cadres dirigeants a augmenté graduellement pour passer de 96 à 182. Selon les calculs de Petrov et de Skorkin, le 10 juillet 1934, lorsque l’OGPU a été incorporé dans l’Administration Principale de la Sécurité de l’État (Glavnoe Upravlenie Gosudarstvennoi Bezopasnosti) et dans un NKVD unifié, les juifs occupaient 38,5 pour cent de ces postes, les Russes 31,2 pour cent et les Lettons 7,3 pour cent. Le 26 février 1941, lorsque la section de sécurité du NKVD a été séparée de lui en un organisme distinct, le NKGB, les juifs ne représentaient que 5,5 pour cent et les Russes 64,8 pour cent de son personnel ; les Ukrainiens (15,4 pour cent) et les Géorgiens (6,6 pour cent) dépassaient les juifs. Dans l’organisation prise dans son ensemble, ce phénomène peut être documenté entre la fin de 1938 et le début de 1939 ; le 1° septembre 1938, les juifs constituaient encore 21,3 pour cent des cadres de direction, alors que le 1° juillet 1939 ils n’étaient plus que 3,9 pour cent17. Il est possible que cette évolution soit le reflet de l’intérêt croissant de Staline pour arriver à un arrangement avec Hitler.

La rapide promotion sociale des juifs et le rôle qu’ils jouaient dans le nouveau régime ont suscité un ressentiment considérable qui a alarmé le parti. Il surveillait la force de cet antisémitisme et il a pris des mesures contre ceux qui le prônaient. Celles-ci adoptaient parfois une forme violente, comme en mars 1925, quand sept nationalistes russes ont été exécutés parce qu’ils préconisaient, parmi d’autres accusations, le renversement du régime “juif communiste” et la déportation de tous les juifs soviétique en Palestine18.

Le parti a également entrepris une campagne à l’encontre de l’antisémitisme. En août 1926, la section d’agitprop du Comité Central a organisé une réunion spéciale sur le sujet et, en décembre 1927, Staline disait aux délégués du XV° Congrès du Parti : « Ce mal doit être combattu avec la plus grande fermeté, camarades ». En janvier 1931, il a proclamé que « l’antisémitisme est une forme extrême de chauvinisme racial, le plus dangereux vestige du cannibalisme ». Dans les années qui vont jusqu’en 1932, cinquante-six livres qui attaquaient l’antisémitisme ont été publiés, tandis que des articles sur ce sujet paraissaient fréquemment dans les journaux19. Cette campagne a alors cessé, et il est possible que l’hostilité envers les juifs ait décru en intensité. D’autre part, il est aussi possible qu’elle se soit étendue, mais nous n’en savons rien parce que les forces de sécurité surveillaient d’autres manifestations “ennemies”. Il est également possible que Staline ne souhaitait plus poursuivre cette politique.

Certains bolcheviks ont demandé que les juifs soient nommés dans des postes moins importants afin de rectifier la croyance populaire selon laquelle la révolution était contrôlée par les juifs, mais la destitution de juifs n’a pris une ampleur significative qu’à la fin des années 1930. D’autres ont essayé d’expliquer pourquoi les juifs étaient si importants. Lounatcharski indiquait le grand rôle que les individus d’origine juive avaient joué dans la révolution et il attirait l’attention sur le fait que la majorité des juifs étaient des urbains :


« Les juifs ont joué un rôle si exceptionnel dans notre mouvement révolutionnaire que, lorsque la révolution a triomphé et a créé un État, un nombre important de juifs est entré dans les institutions de l’État. Ils ont acquis ce droit en raison de leur service loyal et plein d’abnégation envers la révolution. »20.


Progressivement, au fur et à mesure que Staline établissait sa domination, la “question juive” est devenue un sujet tabou. Cela peut être vu comme la prise en considération du grand-père juif de Lénine, Aleksander Dmitrievitch Blank, né Srul (Israel), le fils de Moshko Itskovitch Blank, dans le shtetl de Starokonstantinov en Volhynie. En 1924, quand ses antécédents ont été mis au jour, il a été décidé de les tenir secrets, une décision qui a été maintenue en dépit de la demande à deux reprises de la sœur de Lénine, en 1932 et de nouveau en 1934, de reconsidérer, en raison de l’importance, dans la lutte contre l’antisémitisme, de cette confirmation des « aptitudes exceptionnelles de la tribu sémitique » et de « l’influence extraordinairement bénéfique de son sang dans la progéniture des mariages mixtes »21.

La purge que Staline a entamée au début de 1936 a eu de nombreux aspects, parmi lesquels un élément important a été une attaque lancée contre la direction du parti. Étant donné que les juifs étaient clairement une composante significative de cette élite, ils ont souffert grandement dans cet aspect de la purge. Ils ont produit à coup sûr beaucoup de ces mémoires qui nous ont donné une image si émouvante et si vivante de ce que ressentaient ceux qui croyaient profondément au système lorsqu’il s’est retourné contre eux et qu’il les a traités de la manière la plus brutale22. En même temps, la plupart des victimes de cette purge, comme celles des purges précédentes, étaient des paysans, et des membres de nationalités non-territoriales, comme les Polonais, les Allemands et les Coréens, qui ont eux aussi souffert de manière disproportionnée. Certains de ceux qui s’étaient engagés dans la tentative de créer une nation socialiste juive non-territoriale ont subi la purge et ils ont parfois été exécutés. Cependant, les actions menées contre les activités culturelles yiddish, bien que brutales, ont été de moins grande envergure que celles qui ont été menées contre les autres minorités non-territoriales.

La rapide promotion sociale qu’une partie importante des juifs soviétiques a connue entre 1921 et l’invasion nazie de l’Union soviétique a été la conséquence de deux phénomènes distincts. D’une part, l’émigration de masse qui a suivi la révolution et la guerre civile, mais aussi les plans ambitieux des bolcheviks en ce qui concerne la modernisation et l’industrialisation du pays, ont créé un énorme besoin en personnel qualifié, et pour y répondre, les juifs, parmi d’autres, étaient fort bien placés. En même temps, comme dans les pays européens au XIX° siècle, et par-dessus tout en France, les juifs s’identifiaient fortement à l’État qui avait aboli les incapacités dont ils avaient souffert et qui leur a offert la possibilité de s’élever aussi haut que leurs talents le leur permettaient.

À la veille de la Seconde Guerre mondiale, la situation économique des juifs d’Union soviétique avait été grandement transformée. L’amélioration a été constatée par Benjamin Pinkus :


« Pour résumer, la situation économique des juifs à la fin des années 1930 était considérablement meilleure que dans les années 1920. Ils occupaient des postions d’influence à la fois dans l’économie et dans les institutions de l’enseignement supérieur, de la recherche, de l’art et de la culture, c'est-à-dire dans l’élite socio-économique de l’Union soviétique. Le niveau d’éducation parmi les juifs, avec 72 pour cent d’alphabétisation, qui était déjà le plus élevé parmi les nationalités soviétiques en 1929 (à l’exception des Lettons qui constituaient une petite minorité en Union soviétique), a continué encore à s’élever jusqu’en 1939. La proportion de population active, qui comprenait les femmes – un signe de modernisation –, est passée, parmi les juifs, d’environ 40 pour cent en 1926 à 47 pour cent en 1939. La structure sociale que nous avons exposée, avec une strate de fonctionnaires et d’intelligentsia, et avec un pourcentage élevé d’étudiants juifs, est la preuve que, à la fin des années 1930, la population juive était devenue une société moderne avancée. »23.


La nouvelle sécurité économique, qui contraste de façon saisissante avec la situation des juifs en Pologne et en Lituanie, a été achetée au prix fort. En 1939, il restait très peu de chose de la tentative de créer, sur le modèle soviétique, une identité nationale juive qui serait fondée sur la langue yiddish. Certes, la tentative ambitieuse de sections juives du Parti Communiste de créer une nation yiddish soviétique séculière a toujours été probablement chimérique, et elle a été victime à la fois de ses contradictions internes et du contrôle politique qui s’était grandement accru au cours des années 1930. Elle n’a pas pu convaincre les juifs traditionalistes et elle a échoué à prendre en compte le désir de promotion sociale de nombreux juifs, lequel a conduit leur mouvement vers les grandes villes ainsi que vers l’adoption de la langue russe. L’espoir que cette tentative ait pu être réalisée sur une base territoriale en Crimée du Nord a clairement avorté, tandis que le Birobidjan(*) ne s’est pas avéré attractif pour une implantation des juifs. De plus, à la fin des années 1930, les institutions d’enseignement supérieur yiddish établis dans les années 1920 avaient été presque toutes dissoutes ou bien elles avaient cessé leur fonction. Les écoles yiddish ont largement arrêté de fonctionner à partir de 1938. Toutes les formes d’activité juive indépendante, qu’elles soient religieuses ou culturelles, avaient été supprimées et les contacts avec le monde juif extérieur avaient en grande partie pris fin. Un certain nombre d’auteurs yiddishs avaient été exécutés, tandis que d’autres avarient été envoyés dans les camps de travail.

En outre, depuis sa création et en particulier depuis que Staline avait établi sa domination, le régime soviétique a employé la terreur sur une vaste échelle dans le cadre de ses buts révolutionnaires qui visaient à transformer totalement la société. Périodiquement, elle se retournait aussi contre ses partisans. C’est ainsi que les juifs communistes ont souffert de manière disproportionnée des purges de 1936-1938 et qu’ils sont restés extrêmement vulnérables même lorsque celles-ci ont pris fin. En outre, étant donné que le régime devenait plus national et qu’il mettait l’accent sur son caractère russe ainsi que sur le rôle principal des Russes en tant que « les premiers parmi les égaux » des nations soviétiques, le ressentiment relatif à la position importante que les cadres juifs avaient occupée dans le parti, et que les juifs dans leur ensemble avaient obtenu dans la société soviétique, devait forcément grandir. Ceci a été illustré par la chute du brutal meurtrier Nikolaï Iejov, le chef du NKVD, et de ses associés, d’une part, et, d’autre part, par le remplacement du ministre des Affaires étrangères, Maxime Litvinov, ainsi que d’autres diplomates juifs, à la veille de la conclusion du Pacte germano-soviétique de non-agression. Le successeur de Litvinov, Viatcheslav Molotov, a été spécifiquement chargé par Staline « de se débarrasser des juifs » dans le Commissariat des Affaires extérieures. À cette époque-là, Hitler a dit à ses associés que, dans une conversation avec Ribbentrop, Staline avait affirmé qu’il était seulement dans l’attente de l’émergence d’une strate suffisamment importante d’intelligentsia locale avant d’écarter les juifs de l’élite soviétique24. La situation n’avait pas été modifiée par l’incorporation de l’ancienne Pologne orientale (Biélorussie et Ukraine occidentales), des États baltes, de la Bucovine du Nord et de la Bessarabie, dans l’Union soviétique en 1939 et 1940. C’était la situation dans laquelle les juifs de l’Union soviétique se trouvaient à la veille du calvaire de l’occupation nazie et des horreurs qui lui sont associées.

Ces développements ont été exacerbés par la suspicion grandissante que Staline éprouvait à l’égard des juifs. Alors que les relations avec l’Ouest se détérioraient, il était obsédé en particulier par les liens étroits que la direction du Comité Antifasciste Juif avait établis avec les juifs à l’extérieur de l’Union soviétique, en particulier aux États-Unis, et par le soutien enthousiaste des juifs soviétiques en faveur de la création de l’État d’Israël. Comme dans d’autres purges, Staline agissait sur plusieurs niveaux, en prenant des mesures contre ceux qui étaient importants dans la culture yiddish soviétique et à l’encontre d’un plus grand groupe de juifs acculturés et soviétisés qui occupaient encore d’importantes positions dans la bureaucratie soviétique et dans la vie culturelle. Le dénouement tragique de ces dévelop-pements, qui ont culminé dans le célèbre “complot des blouses blanches”, est bien connu, et par conséquent il n'est pas nécessaire de les rappeler ici.

En Pologne en 1944, il a été encore plus difficile pour le régime de trouver des cadres fiables et il en a trouvé parmi la petite communauté juive survivante. La plupart des plus de 300 000 juifs polonais qui ont survécu à la guerre (principalement en Union soviétique) ont bientôt quitté la Pologne. Chez ceux qui sont restés (entre 70 000 et 80 000 en 1951), la polonisation a rapidement progressé et le régime communiste, malgré ses défauts, était généralement considéré comme offrant un meilleur avenir et comme étant le seul véritable protecteur des juifs.

L’une des questions les plus controversées dans l’historiographie de cette période est le rôle joué par les communistes d’origine juive dans le nouveau régime. La guerre avait certainement renforcé l’identification, telle qu’elle était perçue, des juifs avec le communisme. Dans leur espoir que le nouveau régime remédierait aux défauts de la Deuxième République, les partisans juifs du nouvel ordre étaient d’accord avec une partie importante de l’intelligentsia polonaise. En outre, dans les conditions de la guerre civile de l’après-guerre en Pologne, la communauté juive ne pouvait espérer être protégée que par les nouvelles autorités, lesquelles étaient dominées par les communistes.

Les communistes d’origine juive ont joué un rôle important, bien que pas dominant, dans le nouveau régime. Dans l’appareil politique, ils comprenaient Jakub Berman ; Roman Zambrowski, qui avait été l’un des principaux créateurs de l’armée polonaise dominée par les communistes en URSS ; et Hilary Minc, un planificateur économique de premier plan. Des juifs jouaient également un rôle-clé dans la politique culturelle du nouveau régime ; parmi eux figurait Jerzy Borejsza, le fondateur du journal Odrodzenie et le directeur général de la maison d’édition Czytelnik jusqu’à ce qu’il ait démis de toutes ses fonctions en 1949.

Mais l’antisémitisme n’était pas non plus absent dans la République Populaire Polonaise elle-même. La politique gouvernementale officielle était de défendre les juifs et de favoriser leur réhabilitation économique, mais, au sein du parti, certaines factions éprouvaient beaucoup moins de sympathie pour la situation difficile des juifs, et en particulier celles qui avaient été dans la Pologne occupée pendant la guerre. Durant la guerre, la politique communiste polonaise avait été extrêmement divisée entre factions. En 1947, les communistes étaient en train d’établir un régime de style soviétique qui interdisait toutes les forces politiques indépendantes, et, en 1948, le dirigeant communiste national, Wladyslaw Gomulka a été forcé de démissionner. L’on trouvait la plupart des communistes juifs dans le groupe qui avait séjourné à Moscou durant la guerre et dans les groupes qui étaient méfiants à l’égard de “la voie polonaise au socialisme”. Beaucoup d’entre eux se sont bientôt repentis d’avoir flirté avec le stalinisme et ils figuraient parmi les plus ardents partisans de la démocratisation au cours de la période du dégel qui a ramené Gomulka au pouvoir en octobre 1956. Cependant, à cette époque-là, leur position dans le parti a suscité un ressentiment considérable qui devait faire surface en 1956 et encore davantage en 1968.

Les juifs étaient également vus comme jouant un rôle-clé dans l’appareil de sécurité du nouveau régime. Il y avait assurément un certain nombre de juifs qui occupaient des positions dirigeantes en lui ; c’était le cas d’Anatole Fejgin, le chef du célèbre Dixième Département du Ministère de la Sécurité Publique (Ministerstwo Bezpieczeństwa Publicznego, MBP), qui était chargé de la surveillance de tous les membres du Parti Ouvrier Unifié Polonais (Polska Zjednoczona Partia Robotnicza), et de son adjoint, Jósef Światlo. Notre compréhension de la situation en Pologne (comme de celle en Union soviétique) a été transformée du fait de l’ouverture des archives, lesquelles donnent un tableau beaucoup plus complet à la fois du rôle des juifs dans l’appareil de sécurité polonais dans les années de l’immédiat après-guerre et du processus par lequel ils ont été purgés de cet appareil après la mort de Staline25. Le 20 octobre 1945, Nikolaï Selivanoski, le conseiller soviétique en chef du MBP, a envoyé un rapport à Lavrenti Beria, le chef de l’appareil soviétique de sécurité et de police secrète. Dans ce rapport, il affirmait que les juifs représentaient 18,7 pour cent des effectifs du ministère et qu’ils occupaient la moitié des positions d’encadrement. Dans certaines sections, affirmait-il, la présence des juifs était encore plus grande : dans le Département 1 (contre-espionnage), ils constituaient 27 pour cent du personnel et ils occupaient toutes les postes de direction, et, dans le Département du Contrôle de la Presse, leur nombre « dépassait les 50 pour cent »26.

Des chiffres inférieurs en ce qui concerne le nombre de juifs sont donnés par une note rédigée par Bierut le 25 novembre 1945 ; ils sont fondés sur une information plus fiable fournie par Radkiewicz. Selon Bierut, les juifs représentaient 1,7 pourcent des effectifs totaux du MBP (438 sur 25 600) et ils occupaient 13,6 pour cent des “positions d’encadrement“ (67 sur 500)27. Il est possible que la différence entre les deux jeux de chiffres soit due au fait que le rapport de Selivanoski se réfère au seul ministère, tandis que la note de Bierut se réfère à l’appareil tout entier, ce qui inclut les bureaux régionaux dans lesquels il y avait un taux de renouvellement du personnel beaucoup plus élevé dans les niveaux inférieurs28.

C’est sur la base d'une enquête exécutée pour le compte officiel du Bureau central des Services de sécurité, et réalisée par le Département C du ministère des Affaires intérieures en 1978, que l’historien Andrzej Paczkowski a effectué une analyse de l’origine ethnique de ces officiels qui, dans la période 1944-1956, ont occupé des postes de chef de section, ou des postes encore plus élevés au siège central de l’institution de la sécurité (à l’origine le Département, ensuite le Ministère de la Sécurité Publique, et ultérieurement le Comité pour la Sécurité publique). Elle n’inclut pas ceux qui occupaient des postes d’encadrement, même au niveau le plus élevé, dans les bureaux régionaux, mais qui n’ont jamais atteint de hautes fonctions centrales. Sur les 447 individus sujets de l’enquête, la nationalité de 131 (29,6 pour cent) était inscrite comme étant juive. En 1944 et 1945, les juifs représentaient 24,7 pour cent du total, soit la moitié du nombre fourni par Selivanoski dans son rapport. Le pourcentage des juifs dans l’agence centrale est resté plus ou moins constant autour de 30 pour cent, à l’exception des années 1944 et 1945 où il a été quelque peu plus bas. Dans les branches locales de la Police secrète (Urząd Bezpieczeństwa), la participation juive était beaucoup plus faible.

Ce qui est clair, c’est que, au cours de la période 1944-1956, selon les dires de Paczkowski, « les juifs étaient surreprésentés, ils occupaient des postes élevés plutôt que des poste inférieurs, et plus le niveau s’élevait, plus leur proportion grandissait »29. Naturellement, ils étaient communistes et internationalistes, et donc éloignés de tout engagement dans la vie juive. Ils sont entrés dans le service de sécurité à une époque où la lutte pour imposer le communisme était particulièrement intense et où la loyauté vis-à-vis du système était le critère primordial à la fois pour les dirigeants communistes polonais et pour leurs suzerains soviétiques. C’est ainsi que, sur les 447 fonctionnaires supérieurs du bureau central, 21 pour cent avaient été membres du Parti Communiste de Pologne d’avant-guerre (Komunistyczna Partia Polski, KPP) ; 35,1 pour cent de ceux qui se déclaraient de nationalité juive avaient été des membres du KPP, et c’était par conséquent clairement un facteur principal de leur recrutement.

Après 1956, les juifs devaient être largement purgés de l’appareil de sécurité. Même pendant la période qui va de 1944 à 1955, leur rôle avait suscité de l’opposition parmi les communistes “natifs” qui estimaient que celui-ci accroissait leur impopularité dans la société polonaise et leur barrait la route vers les hautes fonctions. Gomulka a cité cette « attitude à l’égard des juifs », à savoir le traitement préférentiel qu’ils recevaient, comme l’une des raisons pour laquelle il avait rejeté la proposition de Staline de devenir un membre du Politburo qui était en voie de formation dans le PZPR30. Durant la campagne antisioniste de 1968, Gomulka devait prétendre que l’opposition vis-à-vis de lui a commencé quand il a essayé de changer la direction du MBP.

Pourquoi donc les juifs étaient autorisés à occuper un nombre considérable de postes importants dans l’appareil de sécurité en Pologne, alors qu’ils avaient déjà été éliminés de ces postes en Union soviétique, et à une époque où Staline avait mis en marche les opérations de destruction de l’establishment culturel yiddish soviétique et de la purge totale des “cosmopolites juifs” ? Les soviétiques étaient certes conscients de l’importance des juifs dans l’élite politique polonaise. Le 10 juillet 1949, Lebedev, l’ambassadeur soviétique à Varsovie, a envoyé une lettre à Moscou qui était adressée, parmi d’autres, à Staline, à Molotov et à Beria. Il les mettait en garde contre la présence « d’agents des services d’espionnage et de contre-espionnage d’avant-guerre » aux plus hauts niveaux du parti polonais, et il laissait entendre que le ministre de la sécurité publique, Radkiewicz, était un « nationaliste » et que sa femme était « une personne passionnément antisoviétique ». Par la même occasion, il prétendait que Minc, Berman et Zambrowski, qui, une année auparavant avec l’aide du Kremlin, avaient évincé Gomulka pour cause de « nationalisme polonais », étaient eux-mêmes coupables de « nationalisme juif ». En outre, continuait-il, dans le MBP, « en commençant par les vice-ministres pour en arriver jusqu’aux directeurs de département, il n’y a pas un seul Polonais. Ils sont tous juifs »31. Considérant peut-être que « le nationalisme polonais » était un problème plus sérieux pour le Kremlin, il était d’avis que « le temps n’était pas encore venu pour une résolution décisive de la question du combat contre le nationalisme juif dans le parti polonais. Nous ne pouvons envisager qu’une préparation graduelle de cette résolution ». Le fait que la situation générale en Pologne s’aggravait, ajoutait-il, « affecte en particulier l’appareil du ministère de la Sécurité Publique… et restaurer la santé du leadership du MBP serait un pas important sur la voie de la restauration de la situation pour le leadership du parti polonais »32.

Certains changements ont été alors introduits. Un nouveau ministre adjoint parfaitement “aryen”, Waclaw Lewikowski, un officiel du Komintern depuis longtemps, a été nommé au MBP, et un vieux fonctionnaire juif, Jósef Różański, a été retiré du groupe qui enquêtait sur Gomulka. En février-mars 1950, le secrétariat du Bureau d’Organisation du Comité Central, qui devait devenir l’organe décisionnel le plus élevé et le plus important en Pologne au cours des dernières années de la vie de Staline, a été créé. Sur les officiels communistes de premier plan qui étaient d’origine juive, seul Zambrowski en était membre ; Berman et Minc en ont été tous deux exclus. Les personnalités-clés sous Bierut étaient maintenant Edward Ochab, Zenon Nowak et Franciszec Mazur – qui tous étaient non-juifs. Faisant son rapport à Staline à propos de la discussion sur la création de cet organe, Lebedev a soutenu que Bierut « devrait se libérer de la “confusion” dans laquelle il se trouve, faire appel à deux ou trois camarades polonais proches, et s’appuyer sur eux avec davantage d’assurance »33. Il y avait ceux dans le parti qui espéraient tirer avantage de la nouvelle situation. Le 12 avril 1950, le chef de la section secrète d’espionnage à Varsovie de l’agence de presse soviétique TASS faisait son rapport à Staline (avec des copies à Molotov et à Malenkov) sur la composition du personnel du nouveau Secrétariat. S’appuyant sur les opinions de Stefan Matuszewski, un membre de premier plan du Comité Central du PZPR, et de Władisław Wolski, un autre communiste pur et dur, qui étaient des hôtes fréquents de l’Ambassade soviétique à Varsovie, il faisait observer que « beaucoup d’ouvriers juifs faisant partie du Comité Central la considéraient [la composition du nouvel organe] comme une attaque dirigée contre les ouvriers juifs du parti », mais il était d’accord avec Matuszewski sur le fait « qu’elle était soutenue avec enthousiasme par l’ensemble du parti ». Wolski était plus sceptique, car il croyait qu’il existait toujours une « clique juive » dans le parti qui « entravait l’avancement des Polonais »34.

Bierut semble avoir décidé, peut-être avec les encouragements des Soviétiques, que de retirer un grand nombre de juifs de l’appareil du parti serait trop déstabilisant dans cette phase-là. En conséquence, la purge antisémite au sein de l’UB s’est concentrée presque exclusivement sur les fonctionnaires du service d’espionnage qui était dirigé depuis longtemps par Waclaw Komar. Le cœur de la direction du MBP est donc demeuré inchangé. En même temps, il existe de claires indications selon lesquelles Staline envisageait une purge des juifs occupant des positions de haut rang dans le PZPR. Après le procès Slánský, Wanda Wasilewska, qui avait joué un rôle-clé dans la direction du Parti Ouvrier Polonais (Polska Partia Robotnicza, PPR) d’avant-guerre, a fait le voyage de Kiev à Varsovie dans le but de prévenir Berman des plans de Staline destinés à l’éliminer35.

En fait, jusqu’en 1956, aucun des changements importants dans le MBP n’a concerné une destitution à grande échelle de juifs. Les purges de 1948-1949 avaient évincé les partisans de la déviation droitière-nationaliste qui comprenait Mieczysław Moczar et Grzegorz Korzyński. Deux juifs ont perdu leur poste après la mort de Staline, Anatole Fejgin (pour ne pas avoir empêché la défection de Światło en décembre 1953) et Różański (pour « avoir violé l’ordre public populaire »). Mais ce n’est qu’après 1956, c'est-à-dire après la restauration de Gomulka, qu’une purge de grande envergure a eu lieu. Jusqu’à cette date-là, la direction du parti semble avoir pensé que les juifs devaient être tolérés parce que le “nationalisme polonais” était un plus grand danger.

À la base, la présence de communistes d’origine juive dans des postes importants de l’appareil de sécurité doit être considérée comme une conséquence de la profonde méfiance de Staline à l’égard des Polonais. Elle a eu lieu en même temps que la purge d’activistes culturels yiddishs en Union soviétique et une campagne plus étoffée lancée contre le “cosmopolitisme” qui était essentiellement une attaque portée contre les juifs russifiés au sein de la nouvelle intelligentsia soviétique. Le maintien de juifs dans ces postes en Pologne était clairement compris par Staline comme devant être un expédient temporaire jusqu’à ce qu’un groupe de communistes locaux fiables puisse être formé. Le ressentiment dans le parti à l’égard de la position des communistes juifs et des juifs en général a fait surface à l’occasion de la crise qui a porté Gomulka au pouvoir et, encore davantage, de celle de 1968.

CONCLUSION


La plupart des problèmes sont de toute évidence suscités par les juifs qui ont pris une part active dans les régimes communistes en Union soviétique et en Pologne (et aussi ailleurs, mais ce n'est pas le sujet de ce chapitre). Certains ont prétendu que ceux qui sont devenus communistes ont rompu tout lien avec le monde juif. Dans un discours de 1917, Simon Dubnov faisait observer :


« De nombreux démagogues provenaient de chez nous, et ils se sont joints aux héros de la rue et aux prophètes de la prise de pouvoir. Ils utilisent des pseudonymes russes parce qu’ils ont honte de leur origine juive (Trotski, Zinoviev, etc.), mais c’est peut-être leur nom juif qui n’est pas authentique parce qu'ils n'ont pas de racines pour se lier à notre peuple. »36.


Il y a une certaine vérité dans ces observations. Cependant, ces gens-là sont peut-être représentatifs de la catégorie identifiée par Isaac Deutscher comme étant « des juifs non-juifs », et leur rôle dans l’histoire initiale de la Russie soviétique et de la Pologne communiste est indéniable. Il est certain que le messianisme des bolcheviks a touché une corde sensible chez beaucoup de juifs, comme l’ont fait les slogans de la politique religieuse communiste tels que : « Dieu, c’est nous », « Le prolétariat est le peuple élu qui remplira sa mission et conclura l’histoire », et « Le misérable prolétariat n’était rien – il sera tout »37. Au surplus, les juifs étaient attirés par le socialisme révolutionnaire en raison de leur croyance selon laquelle il rendrait possible leur intégration à cause de la pauvreté juive.

Pour les antisémites, l’équation du juif et du bolchevik s’est simplement ajoutée à l’arsenal de leurs arguments. Il y avait cependant ceux qui soulevaient sérieusement la question de la raison pour laquelle les juifs avaient joué un rôle si important dans la révolution et si les juifs, pris dans leur ensemble, avaient une certaine responsabilité en ce qui concerne ceux de leur communauté qui étaient impliqués dans ses nombreux excès et crimes. L’un d’eux était l’éditeur monarchiste et nationaliste russe du Kievlyanin, Vassili Choulguine. Dans son livre : Pourquoi nous ne vous aimons pas, publié à Paris en 1927, il a déclaré sans détour, n'évitant pas les lieux communs antisémites :


« Nous n’aimons pas le fait que vous ayez pris une place trop importante dans la révolution, laquelle s’est révélée être la plus grande mystification et imposture. Nous n’aimons pas le fait que vous soyez devenus la colonne vertébrale et le cœur du Parti Communiste. Nous n’aimons pas le fait que, avec votre discipline et votre solidarité, avec votre persévérance et votre volonté, vous avez consolidé et renforcé pour les années à venir l’entreprise la plus folle et la plus sanglante que l’humanité ait connue depuis le jour de la création. Nous n’aimons pas le fait que cette expérience ait été menée afin de mettre en œuvre les enseignements d’un juif, Karl Marx. Nous n’aimons pas le fait que toute cette terrible chose ait été faite sur le dos des Russes et qu’elle nous ait coûté, à nous les Russes, à nous tous ensemble et à chacun de nous séparément, des pertes indicibles. Nous n’aimons pas le fait que vous, les juifs, un groupe relativement petit dans la population russe, ait participé à cette action abominable de manière hors de proportion avec votre nombre. »38.


Ce que les juifs en tant que collectif avaient besoin de faire, c’était de désavouer les révolutionnaires qui agissaient en leur nom. S’ils ne le faisaient pas, ils ne pouvaient pas tenir les Russes pour responsables des pogroms qu’ils ont subis. Les Russes seraient obligés de répondre :


« Très bien, dans ce cas, nous n’avons pas non plus organisé les pogroms et nous n’avons rien à voir avec ceux qui l’ont fait : les hommes de Petlioura, les Ossètes, et les racailles de toutes sortes avec eux. Nous n’avons aucune influence sur eux. Personnellement, nous n’avons pris part à aucun pogrom, nous avons essayé d’empêcher les pogroms… Et donc si les juifs, tous les juifs, ne plaident pas coupable pour la révolution sociale, alors les Russes, tous les Russes, plaideront non coupables pour les pogroms juifs. »39.


Ses opinions ont été reprises par Alexandre Soljenitsyne dans le second volume de son Dvesti let vmeste (1795-1995) (Deux siècles ensemble). Dans cet ouvrage, il invite les juifs, par analogie avec ce qui s’est passé en Allemagne depuis la fin du nazisme, à accepter la « responsabilité morale » pour ceux qui, parmi leurs coreligionnaires, « se trouvaient aux postes de commande bolcheviks, et surtout au sein de la direction idéologique chargée d’entraîner le pays sur un chemin désastreux ». Ils devraient « se repentir » pour leur rôle dans « les exécutions de la Tchéka, les barges chargées de condamnés que l’on envoyait par le fond dans les mers Blanche et Caspienne, pour leur part prise à la collectivisation, à la famine en Ukraine – pour toutes les turpitudes de l’administration soviétique »40.

Ce qui est clair, c’est que l’application grossière du concept de responsabilité collective à un groupe aussi divers et aussi politiquement inorganisé que, par exemple, les juifs de l’Empire tsariste ne facilite pas la compréhension d’événements historiques complexes. L’on devrait plutôt chercher à comprendre les raisons pour lesquelles une partie de la communauté juive a été attirée par le bolchevisme et a manifesté parfois cette allégeance sous des formes violentes, ainsi que, dans un contexte plus large, la nature complexe de l’acculturation et de l’intégration juives dans l’État révolutionaire soviétique et dans la Pologne d’après 1944.

Comment par conséquent évaluer le rôle des juifs dans les régimes socialistes révolutionnaires ? Vassili Grossmann, dans Forever Flowing, le considérait comme le résultat de la longue durée(*) de l’histoire juive :


« D’où venait cette puissante flamme du fanatisme qui avait brûlé en lui, en ce fils du triste et rusé boutiquier du shtetl de Fastov, cet étudiant en école de commerce qui avait lu les livres de la “Golden Library” et de Louis-Henri Boussenard ? Ni lui, ni son père, n’avaient de raisons pour accumuler dans leurs cœurs cette haine du capitalisme qui était nourrie dans les sombres mines de charbon, dans les usines enfumées ?

« Qui lui a donné cette âme de lutteur ? Était-ce l’exemple de Jeliabov et de Kalyayev, ou bien la sagesse du Manifeste Communiste, ou encore les souffrances du peuple démuni juste à côté de lui ?

« Ou bien étaient-ce ces braises en train de couver qui sont profondément ensevelies dans son héritage millénaire, prêtes à s’enflammer soudainement – pour en découdre avec les soldats romains de César, pour faire face aux feux de joie de l’Inquisition espagnole, pour prendre part à la frénésie de jeûne des talmudistes, pour participer à l’organisation du shtetl pour l’autodéfense lors des pogroms ?

« Étaient-ce la longue chaîne des mauvais traitements, l’angoisse provoquée par la captivité babylonienne, les humiliations du ghetto, ou bien la misère de la “Zone de résidence”, qui ont produit et renforcé la soif inextinguible qui desséchait l’âme du bolchevik Lev Mekler ? ».


D’autres écrits étaient moins apologétiques. Contrairement à certains autres anciens communistes juifs, le poète juif-polonais Stanisław Wygodzki, qui a immigré en Israël en 1968, demeurait fidèle à l’idéal du communisme tout en en rejetant la pratique. Dans une interview à Polityka en 1990, intitulé de façon caractéristique : « J’ai servi une mauvaise cause », il affirmait :


« Vous voulez savoir si je crois encore en quelque chose qui était autrefois appelé communisme. Je crois que l’on ne devrait pas vivre de l’exploitation, que l’on ne devrait opprimer personne, que l’on ne devait pas asservir un pays étranger et que l’on ne devrait rien faire qui enlève leur humanité aux gens. Voilà ce que le communisme signifie pour moi et je crois toujours aujourd'hui à ce communisme-là. »41.


NOTES

1 Voir V. I. Lénine : “The position of the Bund in the Party, 22 October 1903” [La position du Bund dans le Parti, 22 octobre 1903] ; dans V. I. Lenin, Collected Works, 45 vols, (Moscou : Progessive 1963), p. vii.

2 J. V. Staline, Sochineniya, ii, p. 298, 334 dans Sochineniya, 13 vols. (Moscou : Gos. Izdatelstvo polit lit-ry, 1946-1955).

3 Ibidem.

4 Leon Trotsky, Moya zhizn’ : Opyt avtobiografii, 2 vols. (Berlin : Izdatetsvo “Granit” 1930, I, p. 106.

5 Y. Slezkine, The Jewish Century (Princeton, NJ : Princeton University Press, 2004), p. 217 ; G. Freitag, Nächtes Jahr in Moskau! Die Zuwanderung von Juden in die sowjetischen Metropol 1917 bis 1932, Ph. D. diss. (Johann-Wolfgang Goethe University, 2000), pp. 44, 69-70 et 83 ; Evrei Leningrada 1917-1939 : Natsional’naya zizhn‘ sotsializatsiya (Jérusalem : Gesharim 1999) pp. 81, 116 et 360 ; M Altshuler, Soviet Jewry on the Eve of the Holocaust : A social and Demographic Profile (Jérusalem : Center for Research of East European Jewry, 1998), pp. 34-35, 220, 225, 253.

6 Slezkine, The Jewish Century, p. 221.

7 L. Zinger, Dos banayte folk : tsifern un faktn vegn di yidn in FSSR (Moscou, 1941) p. 49 ; Y. Kantor, Natsional’noe stroitel’stvo sredi evreev v SSSR (Moscou, 1934), p. 145.

8 Cité par G. Kostyrchenko : Tainaya politika Stalina : Vlast’ I antisemitizm (Moscou :“Mezhdunarodnaya Otnosheniia” 2001), p. 58.

9 Altshuler, Soviet Jewry on the Eve of the Holocaust, pp. 118-127, 308.

10 Ibidem.

11 Mikhaïl Baïtalisky, “Tetradi dlya vnukov”, Memorial Archive, Moscou, f. 2, op. 1, d. 8, ll.9, 50 ; cité dans Slezkine, The Jewish Century, p. 232.

12 J. Braun, “Jews in Soviet Music”, dans Jews in Soviet Culture, ed. Jack Miller (New Brunswick, NJ : Transaction Books, 1984), pp. 75-86.

13 B. Pinkus, The Jews of the Soviet Union : The History of a National Minority (Cambridge : Cambridge University Press, 1988), pp. 78-79.

14 L. Krichevskii, “Evrei v apparate VchK-OGPU v 20-e-gody”, dans Evrei I russkaia revoliutsiia : Materialii e issledovaniia, ed. O. Budniskii (Moscou et Jérusalem, Gesharim 1999), pp. 320-350 ; L. Shapiro, “The Role of the Jews in the Russian Revolutionary Movement”, Slavonic and East European Review, XL, 94, (1961), p. 165.

15 A. Kokurin et N. Petrov eds., Lubyanka : VChK-OGPU-NKVD-NKGB-MGB-MVD-KGB 1917-1960 : Spravochnik (Moscou : Mezhdunarodnyi fond “Demokratia”, 1997) p. 12, 104 ; N. Petrov et K. Skorkin, eds., Kro rukovodil NKVD 1934-1941 : Spravochnik (Moscou : Zvenia, 1999), pp. 139-140, 459-460 et 495.

16 Kokurin et Petrov, eds, Lubyanka, pp. 17-18, 105-106 ; Petrov et Skorkin, eds., Kto rukovodil NKVD 1934-1941, p. 105 ; P. Sudoplatov, Razvedka I Kreml’ : Zapiski nezlehatel’ nogo svidetelya (Moscou : TOO “Geia”, 1997).

17 Petrov et Skorkin, eds., Kto rukovodil NKVD 1934-1941, p. 495, table 4.

18 V. Izmozik, “ ’Evreiskii vopros’ v chastnoi perepiske sovetskikh grazhdan serediny 1920-kh gg.”, Vestnik Evreiskogo universitata v Moskve, n° 3/7 (1994), pp. 164-188, 165-167 ; Kostyrchenko, Tainaya politika Stalina, PP. 107-108.

19 Staline, Sochineniya, xiii, p. 28 ; Kostyrchenko, Tainaya politika Stalina, pp. 100-111.

20 A. Lounatcharski, Ob antisemitizme, 5-6 (Moskva : Gos. izd-vo, 1929).

21 N. Kirillova et V. Shepelev, eds., “Vy … rasporyadilis’ molchat’ … absolyutno”, Otechestvennye arkhivy, 3 (1992), pp. 76-83 ; voir aussi Petrovsky-Shtern, Lenin’s Jewish Question (Newhaven, CT : Yale University Press, 2010).

22 Parmi eux, il y a N. Ulanovskaya et M. Ulanovskaya, Istoriya odnoi sem’i (New York : Chalidze 1982) ; I. Shikheeva-Gaister, “A Family Chronicle” dans Sheila Fitzpatrick et Yuri Slezkine, eds., In the Shadow of Revolution : Life Stories of Russian Women from 1917 to the Second World War (Princeton, NJ : Princeton University Press, 2000) pp. 367-390 ; F. Roziner, Serebryanaya tsepochka (Tel Aviv : Biblioteka Aliia, 1983) ; E. Ginzburg, Journey into Whirlwind (New York : Harcourt Brace Jovanovich, 1981) ; L. Kopelev, To Be Preserved Forever (Philadelphie : Lippincott, 1977) ; T. Meromskaya-Kolkova, Nostal’giya ?Net ! (Tel Aviv : Lim, 1988) ; et M. Baitalsky, Notebooks for the Grandchildren (Atlantic Highlands, NJ : Humanities Press, 1995).

23 B. Pinkus, The Jews of the Soviet Union (Cambridge ; New York : Cambridge University Press, 1988), p. 98.

(*)(*) Il s’agit d’une République autonome juive, installée en 1934 par la volonté de Staline sur un territoire inhabité de l’extrémité orientale de la Russie. (NdT).

24 Hitlers Tischgespräche im Führerhauptquartier, 1941-42, ed. Henry Picker (Bonn : Seewald, 1951), p. 119.

25 Il existe une littérature polonaise croissante sur cette question, mais, à l’exception de L. Piłat, “Struktura organizacyjna i działalność Wojewódzkiego Irzdu Bezpiecczeństwa Publicznego w Lublinie 1944-45”, Studia Rzeszowskie, 6 (1999) pp. 77-92, et de Szwagrzyk, “Zydzi w kierownictwie UB Stereotyp czy rzeczywistość ?”, Biuletyn Instytutu Pamici Narodowej, 11 (2005), pp.37-42, cette question des juifs dans l’appareil de sécurité n’est discutée que de manière tangentielle.

26 T. Cariewskaya et al., eds., Teczka specjalna J. W.Stalina : Raporty NKWD z Polski 194-1946 (Varsovie : Oficyna Widawnicza Rytm , 1998), p. 421.

27 Cité par A. Paczkowski, “Jews in the Polish Security Apparatus : An Attempt to Test the Stereotype”, Polin : Studies in Polish Jewry, XVI (2003), pp. 456-57.

28 Voir L. Gluchowski et A. Paczkowski, lettre au Times Literary Supplement, 28 mars 1997.

29 Pour cette analyse, voir Paczkowski, “Jews in the Polish Security Apparatus”, p. 457. Le rapport en deux volumes : “Służba Bezpieczeństwa Polskiej Rzeczypospolitej Ludowej 1944-1978 : Centrala” a été publié avec une introduction de Mirosław Piotrowski sous le titre : Ludzie bezpieki w walce z narodem i Kościolem : Slużba Bezpieczeństwa w Polskiej Rzeczypospolitej Ludowej w latach 1944-1978 : Centrala (Lublin Klub Inteligencji Katolickiej, 1999). Les calculs qui y sont discutés sont dirigés par Jaroslaw Pawlak dans le cadre d’un projet de recherche sous la direction de Paczkowski, intitulé : “Institutions of a Totalitarian State : Poland 1944-1956”.

30 Vostochnaya Evropa v dokumentakh rossiiskikh arkhivov 1944-1953 (Moscou : Memorial 1997) I, pp. 940-41.

31 Cité dans A. Koschański, Polska w dokumentach z archiwów rosyjskich 1949-1953 (Varsovie : Instytut Studiów Politycznych PAN, 2000), p. 46.

32 Ibidem, p. 47.

33 Ibidem, p. 74.

34 Ibidem, p. 76.

35 Jakub Berman, “Wspomniena, 1979-1982”, Archiwum Akt Nowych (Archives des dossiers contemporains, Varsovie), 325/33 ; cité par M. Shore, Caviar and Ashes : A Varsaw Generation’s Life and Death in Marxism, 1918-1968 (New Haven, CT : Yale University Press, 2006), p. 268.

36 Simon Dubnov, Kniga zhizni, II (Riga : Jaunȃtnes Grȃmata, 1935), p. 227, cité dans O. Budnitsky, “V chuzhom piru pokhmel’e : Evrei i russkaya revolyutsiya”, Vestnik Evreiskogo universiteta v Moskve, 3, 13 (1996), p. 25.

37 Cette question est bien discutée chez Zsuzsa Hetényi, In a Maelstrom : The History of Russian-Jewish Prose (1860-1940) (Budapest et New York : Central European University Press, 2008), pp. 171-173 et chez M. Löwy, “Messianisme juif et utopies libertaires en Europe Centrale (1905-1923)”, Archives des sciences sociales des religions LI, 1 (1981), pp. 5-47.

38 Vassili Shul’gin, “Chto nam v nikh ne nravitsia...“ Ob Antisemitizme v Rossii (Réédition Moscou : Nestor-Istoriia, 1992), pp. 34-35 (les italiques figurent dans l’original).

39 Ibidem, pp. 141-142.

40 Alexandre Soljenitsyne, Dvesti let vmeste, II (Moscou : Ruskiĭ put’, 2002) pp. 445, 468.

(*)(*) En français dans le texte. (NdT).

41 Interview avec Piotr Sarzyński, “Służyłem złej sprawie”, Polityka, 33, 1990.