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samedi 1 octobre 2022

LES THEORIES DU CHANGEMENT SOCIAL par Marcuse et Neumann

 

Technologie, guerre et fascisme

 

HERBERT MARCUSE

 

OEUVRES COMPLÈTES D’HERBERT MARCUSE

Éditées par Douglas Kellner

 

Volume I

  

Chapitre IV :

Les théories du changement social

Herbert Marcuse et Franz Neumann

Technologie, guerre et fascisme

 

HERBERT MARCUSE

 

OEUVRES COMPLÈTES D’HERBERT MARCUSE

Éditées par Douglas Kellner

 

Volume I

  

 


Chapitre IV :

Les théories du changement social

Herbert Marcuse et Franz Neumann

 

Voici encore un autre chapitre du passionnant ouvrage de Marcuse (rédigé aussi avec d'autres auteurs), jamais publié en français. La traduction a été encore réalisée par l'infatigable Jean-Pierre Laffitte, à ma demande encore et je l'en remercie mille fois. Le texte est beaucoup trop long pour entrer sur ce blog, je ferai suivre l'intégralité à quiconque m'en fera la demande. Toute la première partie est aussi passionnante en ce qu'elle résume l'histoire de la philosophie, les apports des différents grands penseurs, Rousseau, Helvétius, Saint-Simon, etc. et la primauté de l'économie capitaliste avec un progrès qui n'est pas un progrès mais dévoile que le capital est passé du rationnel à l'irrationnel. Marcuse nous livre là un parfait et simple résumé du marxisme dans sa quête du bonheur humain. Sachant que nous allons bientôt disparaître sous les bombes atomiques à Poutine, on aura eu le "bonheur" en tout cas, avec Marcuse, d'avoir envisagé qu'une société du bonheur aurait été possible sans une troisième guerre mondiale. De Profundis!


(...)La dynamique sociale a été divisée en deux sphères : l’ordre industriel et technique et la culture intellectuelle. Dans la première, le changement social apparaît comme le progrès “naturel” vers une prospérité de plus en plus grande, aiguillonnée par des inventions qui s’accumulent, des méthodes de travail plus efficaces, une administration plus rationnelle. Ce processus pouvait être laissé au libre jeu de ses forces intrinsèques précisément parce qu’il était un processus “naturel”, une évolution organique ou même automatique. Le problème du contrôle humain sur le changement se ramenait ici au problème de trouver la forme la plus discrète d’administration, avec aussi peu d’interférence et de surveillance que possible. La sphère de la culture intellectuelle en revanche était le domaine de la liberté consciente, en particulier de la liberté de pensée, de parole et de religion, propre au libéralisme. Le changement était ici le résultat du développement non entravé de la raison humaine dans la variété de ses manifestations, et l’on attendait de lui qu’il soit un riche réservoir d’idées et de normes  pour guider l’organisation du progrès  matériel.

La conception rationaliste, en laissant le développement de la culture matérielle aux mécanismes inhérents au progrès, tendait à dissoudre le problème du contrôle sur le changement social dans celui de la supervision pédagogique. Une certaine forme de supervision, de direction à l’égard du progrès, était nécessaire puisque l’harmonie entre les différentes sphères de culture était une tâche qui devait être encore accomplie, et que les hommes étaient encore loin de connaître leur véritable intérêt. Certes, la Déclaration des droits de l’homme peut être considérée comme le point où l’humanité était arrivée au seuil de la société libre et rationnelle[1], mais les idées, les coutumes, les valeurs et les mœurs, démodées avaient encore une grande influence sur une population induite en erreur par des siècles d‘oppression et d’ignorance. Il résultait de la conception rationaliste que la direction émancipatrice était imaginée comme une direction principalement intellectuelle, fondée sur la raison et libérant les pouvoirs de la raison en chaque individu. Le contrôle pédagogique devait tirer sa justification et ses critères uniquement de la raison, c'est-à-dire il devait agir comme chaque individu agirait s’il utilisait ses facultés libérées et développées, au mépris de toute autorité extérieure. Le contrôle devenait ainsi un facteur intellectuel, et les intellectuels semblaient être ceux qui avaient les compétences requises pour s’acquitter de cette tâche. Le grand rôle joué par les intellectuels dans la préparation de la Révolution française et dans son exécution a été fréquemment souligné.

Il faut cependant remarquer que l’idée d’un contrôle pédagogique n’était pas l’idée caractéristique exclusive de la conception rationaliste, mais qu’elle trouvait une expression semblable dans l’œuvre de son plus ardent ennemi, Rousseau. Sa doctrine, qui traitait la notion de progrès avec mépris et qui refusait de faire dépendre l’établissement d’une société libre de l’évoution et du mécanisme de la culture matérielle, est beaucoup plus dynamique que celle des rationalistes. Pour lui, le saut dans la société libre ne peut être que le résultat d’une décision libre des individus, et la mise en place d’une démocratie absolue en est le seul levier. Cela implique une régression plutôt qu’un progrès de l’ordre économique et technologique, et par-dessus tout la prédominance et la distribution égale de la petite propriété. La démocratie absolue une fois établie, tout changement sera introduit et exécuté par la libre décision du peuple souverain. Mais le mépris de Rousseau pour la méthode historique, pour la vénération du passé, ne l’empêchait de voir l’influence factuelle du passé sur le présent. Le problème  de savoir comment un peuple jusqu’à présent non libre peut soudain connaître et utiliser la liberté se profile largement dans son œuvre et il est concentré dans sa formule frappante : « les hommes doivent être forcés à être libres »[2]. Cela met la question du contrôle social au premier plan et fait de lui le point vital de la théorie la plus radicale de la démocratie : quelle est la légitimité de celui qui force les hommes à être libres ? Rousseau n’élabore pas les phases sociales qui précèdent la consolidation et le fonctionnement de la volonté générale. Sa réponse pourrait être indiquée par l’étrange figure du législateur originel qui est le réceptacle de forces charismatiques et qui agit avec une autorité inconditionnelle, presque divine[3]. Mais même si, à y regarder de près, cette direction pourrait ressembler aux idées national-socialistes récentes, Rousseau est resté fidèle à ses impulsions révolutionnaires dans le fait qu’il envisageait l’obligation de la liberté comme une dictature purement pédagogique qui tendait à sa propre abolition dans la mesure où les hommes devenaient conscients de leur véritable intérêt.

Un aspect fondamental réunit Rousseau avec ses opposants rationalistes. Aussi bien lui que les rationalistes faisaient découler la forme adéquate de l’État et de la société des besoins et de la volonté des individus émancipés. Cela signifie qu’ils considéraient les transformations sociales et politiques sous l’aspect de l’adaptation de l’État et de la société au développement des besoins et des facultés de l’homme. Ils soumettaient les institutions et les relations sociales existantes aux critères de la liberté et ils étaient convaincus que sa réalisation résulterait de l’activité consciente des individus associés. Cette conception impliquait un programme précis de changement : 1) la maîtrise des conditions naturelles préexistantes,       2) leur utilisation conformément à la plus grande liberté possible de tous les individus associés, 3) l’établissement du contrôle autonome de ces individus, réunis en un corps politique souverain, sur toutes les relations sociales et politiques. C'est cette conception qui a provoqué l’opposition la plus virulente et qui a mis en évidence la première théorie cohérente de la contre-révolution. Cette théorie a établi le cadre conceptuel de la lutte ultérieure contre le libéralisme européen sur tous les fronts et elle a fourni un réservoir d’idées qui a nourri les tendances antilibérales jusqu’à nos jours.

Historiquement, l’opposition a combattu la Révolution de 1789, et son but immédiat a été la restauration de la monarchie héréditaire avec la prédominance de l’Église et de la noblesse dans la tournure que prendra la vie publique. Nous ne tiendrons pas compte ici des différences souvent essentielles entre la doctrine britannique (Burke) et la doctrine française (Bonald, De Maistre), et nous nous limiterons à présenter le nouveau modèle de changement social avec ses traits antilibéraux.

Sa première caractéristique remarquable est le fait que le rôle joué par la volonté et l’action humaines dans la production, la direction et le contrôle, du changement social est, s’il n’est pas complètement rejeté, fortement réduit. Cela devient manifeste dans l’attaque de la notion de contrat social, particulièrement violente dans l’œuvre de Bonald et de De Maistre. Ils pensaient que le péché originel de la philosophie politique était de faire découler l’État et la société de l’accord et de l’action volontaires des individus. Pour eux, l’État et la société étaient le résultat d’une ordonnance divine, et les obligations sociales et politiques étaient des obligations naturelles intrinsèques, antérieures à toute opportunité et conditionnant tous les contrats et les accords[4]. En conséquence, la constitution réelle de l’État n'est pas la Constitution écrite, elle n’est pas ce qui a été l’œuvre de la délibération humaine, mais elle est l’ordre naturel et divin non écrit sur lequel toutes les Constitutions écrites se concentrent.  Burke considérait que plus une Constitution est élaborée et pire elle est, et De Maistre proclamait que : « Aucune Constitution ne résulte d’une délibération », et : « Une assemblée quelconque d’hommes ne peut pas donner une Constitution à un peuple »[5]. « La société n'est point l’ouvrage de l’homme, mais le résultat immédiat de la volonté du Créateur qui a voulu que l’homme soit ce qu’il a été toujours et partout »[6]. Si tel est le cas, n’importe quel changement dans la Constitution élaborée par la libre volonté et l’action consciente des hommes est non seulement inopportune ainsi qu’un changement vers le pire, mais un crime et un péché, étant donné que la Constitution est une partie et une parcelle de l’univers, « reliant les natures inférieures aux natures supérieures, connectant le monde visible et le monde invisible » et conservant toutes les natures morales « à leur place appropriée »[7].

À partir de là, la doctrine de la contre-révolution entreprend de diffamer en bloc la raison humaine qui, en adaptant les constitutions établies à ses normes, « ne ferait que les pervertir et les détruire »[8]. Abandonné au développement de ses forces rationnelles, émancipé de la force divine du gouvernement absolu, l’homme devient une bête sauvage qui doit être domptée par tous les moyens[9]. « En général, en tant qu’individu, il est trop malfaisant pour être libre »[10]. C'est là le coup d’épée porté contre le principe même du libéralisme.

Le modèle du changement social qui apparaît ainsi est essentiellement antirationaliste et déterministe. Le seul changement véritable qui soit conforme à l’ordre universel est la croissance naturelle lente du corps social et politique dans son histoire. L’État et la société se développent à partir de leur constitution originelle en raison de leur nature intrinsèque, du fait de la concorde préétablie entre toutes ses sphères, et toute ingérence de l'extérieur n'est que destruction. L’ordre naturel et l’ordre existant, l’ordre véritable et l’ordre dominant, ne font qu’un. Le respect du donné devient une obligation morale, et le droit positif tend à prendre la forme du droit naturel. C’est cette conception qui a guidé le développement de la philosophie antilibérale tout au long du XIX° siècle, en particulier au sein de l’École historique du droit en Allemagne. Cette conception a été l’un des piliers théoriques de l’autoritarisme aussi longtemps que cette École a combattu les forces libérales et démocratiques qui empêchaient son établissement comme système social et politique.

Nous allons maintenant indiquer certaines des conséquences de la doctrine de la contre-révolution qui avait un rapport très étroit avec la théorie à venir de l’antilibéralisme.

Il ne fait aucun doute qu’un critère était nécessaire afin de faire la distinction entre la croissance naturelle de l’ordre et des changements destructeurs. Ce critère a été trouvé dans le caractère charismatique de l’autorité établie. Les monarques et les princes étaient considérés comme des délégués directs de Dieu, et leur obéir était une obligation inconditionnelle. Seules les autorités compétentes pouvaient décider si des changements, et lesquels, devaient être introduits et comment ils devaient être ordonnés. Le caractère divin de leur gouvernement devait être protégé de toute remise en cause. Il n’y avait pas de justification rationnelle des institutions et des relations consacrées, et ceux qui étaient gouvernés n’avaient pas le pouvoir de les modifier conformément à leurs besoins. Burke et De Maistre exposaient les grandes lignes d’une théorie de la domination sur les masses qui annonçait les pratiques fascistes et national-socialistes récentes. Le peuple doit être constamment pris en charge et manipulé. La franchise cynique avec laquelle ces auteurs proclamaient les principes de la domination sur les masses ressemble une fois de plus aux méthodes de l’autoritarisme d’aujourd'hui. Les préjugés et la superstition doivent être entretenus, le patriotisme doit être utilisé comme un dogme efficace. Tout gouvernement se doit d’avoir ses dogmes, ses mystères et ses prêtres, qui sont séparés des mœurs profanes du peuple. « Le premier besoin de l'homme est que son esprit naissant soit au mieux sous un double joug, qu'il s'humilie et se perde dans l'esprit national »[11]. Rien n'est plus important pour l’homme que ses préjugés, ils sont « les véritables éléments de son bonheur, et le palladium des empires ». Et, pour tout gouvernement spirituel et séculier, De Maistre donne le conseil suivant : « L’homme n’a pas besoin de problèmes mais de croyances pour sa conduite. Son berceau doit être entouré de dogmes, et quand sa raison s’éveille, il doit trouver ses opinions toutes faites, du moins celles qui portent sur sa conduite »[12].

La doctrine de la contre-révolution avait rejeté le modèle rationaliste et harmonistique du changement social pour la raison que les principes mêmes de la société individualiste, de laquelle ce modèle découlait, contenait le germe d’une destruction inévitable. L’organisation et la réforme de l’ordre social ne pouvaient pas être laissées à la volonté et à la délibération des individus associés, ni orientées vers leur liberté et leur bonheur, étant donné que la nature corrompue de l’homme le rendait incapable de s’acquitter de cette tâche. L’ordre social devait plutôt être fondé sur une autorité supra-humaine ; il devait être un ordre de contrôle, de châtiment et de contrainte, dans lequel l’intellectuel était l’ennemi éternel, et le bourreau était « la pierre angulaire de la société »[13]. Les défenseurs de la contre-révolution justifiaient leur verdict par une philosophie dogmatique de l’homme, laquelle impliquait la corruption de sa nature et de sa raison. Il faut cependant remarquer que cette philosophie a été étayée par une analyse radicale de la Révolution française et par le désarroi provoqué par les conflits dévastateurs qui ont suivi la période de la Terreur. Il n'est pas surprenant que Burke, Bonald et De Maistre, aient identifié le changement délibéré avec la révolution et la révolution avec l’annihilation. De Maistre n’a pas hésité à étendre ce verdict à la Révolution américaine et de prédire que la ville de Washington ne serait jamais construite et que le Congrès ne s’y réunirait jamais[14].

Les événements qui se sont produits en France ont paru confirmer l’accusation lancée par les théoriciens de la contre-révolution, et leur philosophie était liée, dans une mesure considérable, à la critique de la société de la classe moyenne, en particulier à la nouvelle distribution de la propriété et aux dangers qu’elle recélait[15]. L’attaque contre le contrôle rationnel du changement social et la justification de l’autoritarisme en sont ainsi venues à être associées à une critique des fondements actuels de la société individualiste. C'est à peu près au même moment que la tendance a été poursuivie et renforcée par une philosophie tout à fait différente, celle de l’idéalisme allemand.

Il pourrait sembler au premier abord totalement incohérent que Kant, qui a fondé sa philosophie théorique et pratique sur la raison autonome et la volonté du sujet libre, en soit arrivé, dans sa doctrine sociale, à réfuter le droit à la résistance et à exiger l’obéissance inconditionnelle aux autorités établies. Il semble de la même façon incohérent que Hegel, dont le système élevait la raison au rang de la seule réalité et l’identifiait à la réalisation de la liberté, ait considéré l’État monarchique de la Restauration comme la période finale de l’histoire et ait doté l’État de pouvoirs divins. Certes, Kant conservait les optimismes rationalistes des Lumières dans sa conception d’un progrès conduisant la communauté mondiale vers la paix perpétuelle, et, comme Hegel, il défendait la Révolution française comme l’un des plus grands événements dans l’émancipation de l’humanité[16]. Néanmoins, Kant n’envisageait un tel progrès que comme un progrès “venant d’en haut” et son acceptation  du fait de la révolution équivalait à une reconnaissance d’un gouvernement établi avec succès et consolidé[17]. La doctrine du changement social chez Hegel sera traitée en relation avec la théorie dialectique ; ici, nous nous limiterons à interpréter l’incohérence apparente dans la philosophie sociale de l’idéalisme allemand.

Les idéalistes rejetaient l’ingérence dans l’ordre social de la libre décision du peuple émancipé parce qu’ils étaient convaincus que la société civile, en tant qu’association d’individus libres, ne pouvait fonctionner que si elle était intégrée et dominée par un État fort. La fameuse distinction entre l’État et la société, qui était la condition conceptuelle préalable pour le développement de la sociologie moderne, était dictée par cette conviction. Selon Kant, et tout particulièrement pour Hegel, un système social établi sur des intérêts personnels divergents de propriétaires indépendants doit nécessairement engendrer une inégalité et une injustice croissantes[18]. Les idéalistes identifiaient la société aux relations de la société civile, c'est-à-dire à l’intégration des hommes au moyen du libre jeu des intérêts privés. Tout changement dans cette sphère était, en dernière analyse, stimulé et guidé par des intérêts privés, principalement les intérêts de la propriété privée, et leur dynamique, si elle était laissée à son libre cours, semblait tendre à la destruction puisqu'elle n'était pas guidée par une communauté consciente et unie. Une telle communauté doit par conséquent être établie de l'extérieur ou plutôt d'en haut de la société civile, et cela était la tâche de l'État. L’État, le « système de gouvernement », doit être tenu éloigné des antagonismes destructeurs de la société ; il est le domaine de l’ordre statique qui doit être érigé au-dessus du domaine du changement destructeur qu’est la société. C'est ainsi que le changement social est contrôlé et guidé par un pouvoir qui n'est pas lui-même entraîné dans l’agitation du changement.

Il est évident que cet étatisme exige un système de gouvernement qui était aussi peu soumis que possible aux intérêts sociaux divergents. Cette conception était non seulement partisane de la monarchie en tant que forme de gouvernement qui correspondait le plus à cette exigence, mais elle mettait aussi de plus en plus l’accent sur le rôle de la bureaucratie dans le processus social. Un “état” de fonctionnaires du gouvernement, qui n’étaient responsables que vis-à-vis du souverain et qui s’occupaient exclusivement des affaires du gouvernement, paraissait être le principal moyen pour réaliser l’indépendance de l’État à l’égard de la pression des intérêts sociaux[19]

Dans la conception idéaliste, la distinction entre l’État et la société menait à une interprétation du changement social en termes de motifs et d'effets sociaux par opposition aux formes et aux institutions politiques. Mais cette distinction était située dans un cadre conceptuel dans lequel l’État dominait la société et exerçait un contrôle suprême sur la portée et la direction du changement social. En dépit de son fondement individualiste, la doctrine idéaliste en arrivait à un modèle extrêmement autoritaire du changement social. Les idéalistes n’ont pas développé l’interprétation strictement sociologique du changement social. Celle-ci a été plutôt réalisée dans l’œuvre de cet homme qui peut être qualifié à juste titre de fondateur de la science sociale, à savoir Saint-Simon.

Saint-Simon a été le premier à faire découler sa doctrine entièrement de l’analyse empirique du processus social en vigueur, à exclure tous les critères transcendantaux et à élaborer un modèle de changement conforme aux tendances de la société industrielle en voie de progression. Il a pris l’initiative décisive de passer de la science politique à la science sociale dans sa déclaration programmatique selon laquelle « la loi qui constitue le pouvoir et la forme de gouvernement n’est pas aussi importante et n’influence pas autant le bien-être des nations que la loi qui constitue la propriété »[20], c'est-à-dire la distribution et la fonction sociales de la propriété dans un ordre social donné. Nous nous souvenons que la conception rationaliste du XVIII° siècle considérait la forme de gouvernement comme le facteur essentiel du progrès social, et qu’elle subordonnait ce dernier à la tâche de trouver la forme politique qui était la plus adéquate au développement non entravé des forces sociales. D’après Saint-Simon, cette tâche avait été accomplie par la Révolution française ; la société s’était libérée des entraves de l’absolutisme gouvernemental et elle devait maintenant passer à la phase de la libre auto-organisation. Cette auto-organisation devait suivre la “loi de la propriété”, c'est-à-dire, le mécanisme et les intérêts qui déterminaient dans les faits la production de la richesse nationale. À la phase atteinte par le développement social, toute richesse nationale était, en dernière analyse, le résultat de la production industrielle. « La société tout entière repose sur l’industrie. L’industrie est la seule garantie de son existence, et la source unique de toutes les richesses et de toutes les prospérités. L’état de choses le plus favorable à l’industrie est donc par cela seul le plus favorable à la Société. »[21]. L’industrie (qui, selon Saint-Simon, inclut l’agriculture dans la mesure où il ne s’agit pas d’une propriété féodale oisive) est non seulement la « seule classe utile »[22], mais aussi la seule classe dont l’activité et les intérêts sont en harmonie avec l’ensemble et dont la croissance signifie la croissance de la prospérité de l’ensemble[23].

Saint-Simon tire de cette conception le modèle complet du changement social et politique. L’industrie est un processus dynamique dans lequel tout pas en avant conduit à une richesse sociale croissante, tout changement est un progrès en productivité et en pouvoir, étant donné que ce changement est provoqué par le libre développement de l’activité industrielle et dicté par les libres intérêts de l’industrie elle-même. L’industrie est le seul véritable facteur du changement social et toute direction ainsi que tout contrôle conscients de la dynamique sociale doivent être guidés par les intérêts industriels : toutes les lois et toutes les mesures administratives doivent être jugées en fonction de leur utilité pour l’industrie[24]. Ceci implique une subordination complète des relations et des institutions politiques aux relations et aux institutions sociales ou plutôt économiques ; l’État est absorbé par la société, et le gouvernement se limite à l’administration technique.

Saint-Simon tire ces conclusions avec une déduction indubitable. Toutes les fonctions gouvernementales, ainsi que l’initiative politique et législative décisive, doivent être transférées aux industriels[25]. La classe industrielle comprend les « industriels théoriques » (scientifiques et techniciens) et les « producteurs immédiats », la théorie et la science « appliquées »[26]. Pour Saint-Simon, le gouvernement par l’industrie signifie l’organisation finale adéquate de la société, l’organisation du progrès illimité. Le gouvernement industriel se distingue des formes de gouvernement inadéquates précédentes par les caractéristiques suivantes : le peuple est uni avec ses “chefs” au lieu d’être dominé et contrôlé par eux ; il est dirigé au lieu d’être commandé ; le désordre est remplacé par l’ordre[27] ; les gouvernants sont simplement des « administrateurs » de la société[28], occupés à « des fonctions subalternes et à des fonctions de police »[29] ; en résumé, toutes les actions dirigées contre les hommes sont remplacées par des actions contre des choses, c'est-à-dire par la domination et l’exploitation collectives de la nature en vue du bien-être de la société dans son ensemble[30].

Nous avons traité la conception de Saint-Simon de manière assez large parce qu’elle a établi un nouveau cadre pour la doctrine du changement social telle qu’elle s’est développée non seulement dans la sociologie du XIX° siècle, mais aussi dans les théories socialistes et les idées plus récentes d’une société planifiée. Nous pouvons caractériser cette nouvelle conception de modèle organisationnel et administratif du changement social (Saint-Simon a lui-même qualifié sa doctrine de « philosophie organisatoire(*) »)[31]. Le processus social est interprété en termes de processus industriel de la technique, et le problème consistant à le diriger et à le contrôler devient un problème d’organisation et d’administration qui doit être traité comme une tâche technique. Le modèle administratif du changement social se développe à partir de la conviction que, dans la culture matérielle, tout est en ordre, que la production a atteint sa forme adéquate, et que tous les changements supplémentaires ne seraient que des changements dans la forme, son développement intrinsèque, et non pas des changements qui affecteraient la forme elle-même. L’idée de progrès et d’une direction intentionnelle du processus social est combinée à un déterminisme technologique selon lequel le progrès dans tous les domaines de la culture est conditionné par le plein et libre déploiement de la technique industrielle. La société est de nouveau conçue comme étant gouvernée par des lois naturelles nécessaires, bien que ces lois ne soient plus celles de l’ordre géographique ou biologique, mais celles de l’ordre technologique. Elles sont naturelles dans la mesure où elles agissent avec une nécessité automatique et où leur utilisation implique l’obéissance à leur injonction et l’abolition de toutes les normes métaphysiques. Les philosophes des Lumières avaient comparé les progrès de la culture matérielle aux potentialités encore insatisfaites des hommes et à l'objectif de la satisfaction universelle de leurs besoins. Ces aspects critiques sont désormais en train de disparaître ; la conception devient essentiellement harmonistique. Le fossé entre la productivité factuelle et potentielle, entre les nouvelles forces et impulsions et les relations de travail existantes, ne se situe plus au centre de la doctrine du changement social ; elle est réduite à la question de l’adaptation la plus rapide et la plus sûre de la culture intellectuelle à la culture matérielle, et la réponse à cette question est l’appel à une organisation technique efficace.

 Nous avons mentionné la justification idéologique de la bureaucratie politique dans le système de Hegel ; nous trouvons maintenant, dans la philosophie de Saint-Simon, une justification encore plus frappante de la bureaucratie industrielle et technique. Le contrôle social et politique est transféré à cette bureaucratie qui apparaît comme le seul garant du progrès et de l’ordre. Il faut noter que cette conception était accompagnée d’un changement décisif concernant l’importance accordée aux valeurs sociales : l’intérêt du consommateur était subordonné à ceux du producteur[32], le bonheur et la liberté l’étaient à la raison, à l’efficacité et à l’ordre, techniques. Ces tendances sont consommées dans la sociologie de Comte. Dans ses principes, Comte ne va pas au-delà de Saint-Simon et nous pouvons donc nous abstenir de les discuter[33]. Comte a donné aux idées de Saint-Simon des fondements philosophiques et scientifiques plus importants et il a rempli son cadre conceptuel avec un matériel empirique plus ample. Mais en ce qui concerne la doctrine du changement social, Comte ne fait que renforcer et développer les tendances déjà visibles dans l'œuvre de Saint-Simon. Sa loi des 3 états(*) mettait de plus en plus l’accent sur le caractère “naturel” et automatique du progrès fondé sur le développement de l’industrie et de la science. Il considérait la dynamique sociale principalement sous l’aspect de la croissance cumulative de la culture intellectuelle, en particulier de « l’intelligence et de la sociabilité(*) »[34]. Les lois gouvernant la dynamique sociale découlaient de la conception selon laquelle chaque état de la société était « nécessairement le résultat de l’état précédent et le moteur indispensable de l’état suivant »[35]. Le changement social a ainsi été conçu comme une suite sans saut de transformations, en partant de la culture matérielle et en prenant, à l'ère du positivisme, la forme d'une évolution harmonieuse de la productivité industrielle et intellectuelle. La domination politique sera remplacée par l’autogouvernement des « classes productives » et par l’administration technique et scientifique. La révolution et l’anarchie seront abolies étant donné que ces troubles résultaient uniquement de l’immaturité du processus productif et de sa sujétion à des formes de gouvernement extérieures et obsolètes. Le progrès sera fondé sur l’ordre et, finalement, il deviendra identique à l’ordre : l’ordre est « la condition fondamentale du progrès », et « tout progrès tend au bout du compte à consolider l’ordre »[36].

En dépit de ses suggestions harmonistiques et libérales, le modèle administratif du changement social manifestait les traits de l’autoritarisme. Ils étaient presque négligeables dans la doctrine de Saint-Simon, mais ils sont devenus très avérés dans la sociologie de Comte. Nous avons vu que Comte, aussi bien que Saint-Simon, complétait le gouvernement industriel par un gouvernement de scientifiques. Ils considéraient la science comme l’incarnation de la raison technique qui était supposée donner à l’homme la parfaite maîtrise de la nature et de la société. L’organisation et l’administration devaient procéder selon les principes scientifiques qui étaient non seulement conformes aux exigences du progrès industriel, mais qui garantissaient aussi l’émancipation de l’humanité de tous les préjugés et de tous les dogmes. Naturellement, ces principes étaient tirés de la science physique, fondés sur l’observation et guidés par la vérification empirique. Mais la conviction que les hommes s’inclineraient volontairement devant le verdict de la raison scientifique impliquait une trop haute opinion de la rationalité intérieure et de la bonté de la nature humaine qui n'était pas du tout confirmée par les faits. Il est donc aisément compréhensible que Comte ait consolidé son gouvernement scientifique par un système de contrôle totalitaire, qui était conféré à une hiérarchie détaillée et glorifié par de nombreux symboles et dogmes.

Cette tendance autoritaire était en outre renforcée par le fait que le plaidoyer en faveur d’un auto-gouvernement industriel et scientifique était inévitablement associé au plaidoyer en faveur d’une régulation efficace de toutes les relations sociales. Le gouvernement par une administration technique nécessitait un contrôle scientifique du processus social, et ce contrôle semblait être impossible sans une manipulation consciente de tous les rapports [c'est-à-dire les relations] décisifs entre les hommes en société. À ce point, la conception de Comte devenait typiquement contraire aux idéaux du libéralisme. Il envisageait un État dans lequel les relations sociales fondamentales, en particulier celles entre l’ouvrier et l’entrepreneur, ne seraient plus « suffisamment garanties dans le libre antagonisme naturel entre elles », mais exigeraient d’être régulées « en vue d’une harmonie indispensable »[37].

Les éléments autoritaires dissimulés dans le modèle administratif du changement social allaient bientôt régresser devant l’influence du libéralisme dans la seconde moitié du XIX° siècle. Le modèle a été développé en suivant ses lignes harmoniques fondatrices. La science sociale, renforcée dans sa revendication d’indépendance par la Logique de Stuart Mill, a concentré ses intérêts sur les lois générales immuables qui étaient censées transformer tout développement en progrès. Dans la justification théorique de l’idée de progrès, les facteurs biologiques et psychologiques ont pris leur essor. La sociologie de Spencer considérait le changement social non pas tant sous l’aspect de lois physiques que sous celui de l’évolution organique. La société apparaissait comme un organisme vivant qui, en vertu de son pouvoir intrinsèque, s’adaptait constamment à l’environnement changeant. L’adaptation était, dans une large mesure, un processus psychique : la jeune génération héritait des facultés et des impulsions que la vieille génération avait acquises dans sa lutte avec la nature, et elle les développait. Puisque cette lutte tendait à un accroissement continu de la domination de la nature et de la satisfaction du bonheur, le processus psychique tendait tout à fait naturellement à la croissance mentale et culturelle. Étant donné la grande importance attribuée aux facteurs psychiques, l’éducation assumait un rôle primordial dans le contrôle et dans la direction du changement social : l’éducateur libéral remplaçait le scientifique autoritaire de Comte. La sphère économique, qui jouait un si grand rôle dans l’œuvre de Saint-Simon et de Comte, n’était plus au centre de l’orbite sociale. Spencer était convaincu que l'économie était au niveau du progrès historique et il tenait pour acquis que toutes les perturbations et toutes les déficiences pouvaient être supprimées sans établir de nouvelles formes sociales et politiques.

Cette conviction donnait à l’utilitarisme de Spencer la nuance inoffensive et de renoncement qui caractérisait déjà la philosophie de Bentham et de Mill et qui se distinguait  si clairement de la conception des Lumières. Les partisans des Lumières demandaient, autant que Bentham, que Mil et que Spencer, que la poursuite de l’intérêt personnel soit en accord avec l’intérêt des autres et  ils exigeaient  que le bonheur ne doive et ne puisse pas être obtenu aux dépens du malheur de son semblable. Mais les partisans des Lumières considéraient qu’une telle union entre l’intérêt personnel et l’intérêt commun ne pourrait être réalisée que dans un état futur, parce que, dans les conditions en vigueur, l’intérêt personnel de l’un était incompatible avec l’intérêt personnel de l’autre. En revanche, le type d’utilitarisme de Spencer n’impliquait pas un tel fossé et un tel saut entre le présent et le futur. En conséquence, l’exigence de l’union entre l’intérêt personnel et l’intérêt commun subordonnait la poursuite du bonheur à la constellation sociale dominante d'intérêts qui apparaissait comme étant la barrière préétablie au bonheur ainsi qu’à l'utilité. Les motifs de changement social, qui découlaient de l’utilité et de l’intérêt personnel, devenaient autant de motifs pour conserver et respecter l’ordre et les relations existants. En dépit de ses prétentions au bonheur et au progrès, la conception utilitariste de Spencer prenait le ton de la résignation plutôt que celle de la libération.

Le fait que les mêmes impulsions et les mêmes événements, qui ont donné naissance au modèle harmonistique et administratif du changement social, aient conduit à la conception opposée, à savoir à la doctrine révolutionnaire du changement social, est quelque chose de curieux. Saint-Simon a fondé sa philosophie sur le développement de la société industrielle, ce qui impliquait que c’était la structure économique de la société qui décidait du progrès dans toutes les sphères de la culture. L’un de ses plus ardents disciples, bien qu’il ait conservé la conception du maître, tirait la conclusion que l’organisation factuelle de la société industrielle ne garantissait pas le plein développement de ses capacités, que les intérêts industriels n’étaient pas du tout en harmonie avec les intérêts de l’ensemble, et que les relations économiques elles-mêmes réclamaient un changement révolutionnaire. Les crises récurrentes qui ont frappé la France au cours de la période postnapoléonienne ont paru étayer cette opinion. Déjà avant la Révolution de 1830, le saint-simonisme était devenu une doctrine radicale. Avec la critique économique de Sismondi relative la production marchande capitaliste et avec les écrits des premiers socialistes britanniques, il a constitué un corpus d’idées socialistes qui a grandi constamment au cours du XIX° siècle, jusqu’à ce qu’il soit éclipsé par la théorie marxiste.

Dans les conférences que l’élève de Saint-Simon, Bazard, a publié sous le titre de la Doctrine saint-simonienne, l’image harmonistique est déjà détruite. L’industrie est interprétée comme « l’exploitation de l’homme par l’homme », comme la lutte sans cesse s’aggravant entre « toute la masse des travailleurs » et « ceux « dont il utilise la propriété », et l’ordre social existant est considéré comme un désordre général qui résulte du « principe de compétition sans limites »[38]. Puisque, selon Bazard, ces conditions sont liées à la propriété privée et à la disposition privée des moyens de production[39], la transition vers un état d’administration rationnelle ne peut être atteint que par une nouvelle révolution « qui se débarrassera enfin de l’exploitation de l’homme par l’homme dans toutes ses formes insidieuses » et de l’institution de la propriété qui perpétuait cette exploitation[40].

Les contradictions sociales, et la révolution qui doit les faire disparaître, apparaissent dans la version radicale du saint-simonisme comme des événements plutôt uniques. Dans la conception dialectique, dont nous allons maintenant discuter brièvement, elles établissent le modèle général du changement social à travers l’histoire.

La conception dialectique du changement a été élaborée en premier lieu dans la philosophie de Hegel. Cette conception renversait la logique traditionnelle de poser un problème en prenant le changement comme la forme même de l’existence, et en prenant l’existence comme un ensemble de contradictions objectives. Chaque forme particulière de l’existence est en contradiction avec son contenu, lequel ne peut se développer qu’en brisant cette forme et en en créant une nouvelle dans laquelle le contenu apparaît sous une forme libérée et plus adéquate. Une libération et une adéquation pleines et entières ne sont atteintes dans l’ensemble de toutes les formes que quand cet ensemble est compris et qu’il a accompli la réalisation de la raison. Selon Hegel, cette réalisation est le résultat et l’avantage du processus historique, et elle est identique à la mise en œuvre des formes libres et rationnelles de l’État et de la société. Ce processus est motivé par les besoins et les intérêts matériels des hommes et il progresse du fait de leurs pensées et de leurs actions, mais celles-ci ne sont que les instruments de la raison objective qui s’affirme dans l’histoire de l’humanité[41].

Quelles ont été les conséquences de cette conception sur le problème du changement social ? (1) Le changement social n'est plus un événement qui se passe dans, ou se déroule vers, un système plus ou moins statique, mais le modus existentiae du système, et la question n’était pas comment et pourquoi des changements avaient lieu, mais comment et pourquoi une stabilité et un ordre du moins provisoires étaient réalisés. (2) Toute interprétation harmo-nistique du système social était rejetée puisqu’un tel système n’était que l’intégration de contradictions intrinsèques qui ne pourraient être résolues que par la destruction du système. (3) Les impulsions et les causes du changement devaient découler de la structure même de l’ensemble du système qui était en soi une structure antagonique et destructive. (4) La direction du changement était une direction objective qui était déterminée par le contenu donné du système et par les relations nécessairement antagoniques et contraignantes dans lesquelles ce contenu était organisé. (5) Cette détermination objective indiquait la direction d’une liberté et d’une rationalité croissantes, étant donné que le processus historique lui-même rendait disponibles, dans une mesure de plus en plus grande, les moyens pour réaliser la liberté et la satisfaction humaines. La transition entre la « conscience de la liberté » qui faisait des progrès et sa réalisation n’était pas une transition automatique, mais elle nécessitait l’action consciente des hommes. Hegel lui-même a utilisé la conception dialectique dans le domaine de la philosophie sociale en analysant la société civile comme se développant à travers l’antagonisme entre l’intérêt personnel et l’intérêt commun, l'accumulation de richesses et l'augmentation de la pauvreté, la croissance de la productivité et la guerre expansionniste[42]. Il pensait que l’on pouvait faire face à ces antagonismes avec un État fort, et il voyait dans l’État monarchique de la Restauration l’institution qui convenait pour maîtriser les mécanismes sociaux destructeurs. Lorenz von Stein a détaché la conception dialectique de la systématique philosophique et il l’a appliquée à une analyse sociologique concrète, à savoir à l’analyse des luttes sociales en France de la Révolution de 1789 à celle de 1848. Il voyait le moteur de la dynamique sociale dans la lutte inévitable entre le capital et le travail en vue de la possession du pouvoir, une lutte qui devait nécessairement conduire à une révolution. Mais la révolution contient une nouvelle dialectique : la classe victorieuse exclura d’autres groupes du gouvernement et elle organisera l’État en fonction de ses intérêts particuliers. Lorenz von Stein a soutenu que cette dialectique ruineuse pourrait être stoppée par une réforme sociale globale à laquelle les classes belligérantes finiraient par se rallier[43].

Mais c’est seulement avec la théorie marxiste que la conception dialectique a connu son plein effet. Nous ne considérerons ici que ceux de ses aspects qui ont un rapport direct avec le problème du changement social.

Marx faisait découler toutes les sortes de changement social de l’antagonisme entre les forces productives, agissant dans une forme donnée de société, et les rapports dans lesquels cette même société organisait l’emploi de ces forces. Selon Marx, toute société se développe jusqu’à un point où ces rapports entravent et finalement empêchent la pleine utilisation des forces productives dans l’intérêt de tous. Il considère que ceci est engendré par le fait que la société est une société de classe, qu’un groupe social possède les moyens de production en tant que sa propriété exclusive et qu’il les utilise dans son intérêt particulier. La classe dominante remplit d’abord une fonction sociale progressiste parce que son propre intérêt et sa propre position l’obligent à abolir les formes obsolescentes de production et de domination, à déployer les potentialités économiques, à créer de nouveaux besoins et de nouveaux moyens pour les satisfaire. Ce processus incorpore une partie de plus en plus grande de la population dans la division sociale du travail, mais elle ne peut le faire qu’en étendant et en intensifiant l’exploitation. Marx a cherché à démontrer cette dynamique-là dans son analyse du capita-lisme. Dans la société capitaliste, la production marchande a couvert la terre, les forces productives ont grandi dans une mesure inconnue jusqu’à présent, l’homme a entraîné la nature sous sa domination, et les moyens destinés à la satisfaction de tous les besoins humains, à l’établissement d’une société libre et rationnelle, sont à portée de main. Mais ces forces se sont développées par l’intermédiaire de l’utilisation du capital, et ce dernier exige l’appropriation continue de la plus-value, laquelle, à son tour, ne peut être obtenue que par une exploitation continue de la force de travail libre. La concurrence entre les entrepreneurs indépendants mène à une utilisation de plus en plus intensive des machines dans le processus de production, et par conséquent, d’une part, il y a la réduction du “travail vivant”, de l’emploi  des ouvriers et du taux de profit, et, d’autre part, l’accélération de la concentration et de la centralisation du capital entre les mains d’un petit nombre. Ces tendances, selon Marx, plongent le système capitaliste dans des crises qui vont en s’aggravant et qui ne peuvent être surmontées que par une révolution, laquelle transfèrera les moyens de production au prolétariat. La dictature révolutionnaire du prolétariat abolira les classes, et la société deviendra alors une « union des hommes libres » qui décideront collectivement de l’organisation de leur vie.

Il était nécessaire de donner un bref aperçu de la conception fondamentale bien connue de la théorie marxiste afin d’obtenir un point de départ dans la présentation du nouveau modèle du changement social. Nous pouvons dire que ce modèle combine et en même temps transforme les caractères décisifs des doctrines précédentes. Et il est possible de reconnaître en lui le modèle rationaliste, l’idée du progrès, l’intégration culturelle, la recherche de “lois  naturelles” du processus social. Dans le nouveau cadre conceptuel, toutes ces notions prennent cependant une signification entièrement différente. Nous allons illustrer cela par des exemples qui pourraient élucider deux des questions qui sont les plus largement discutées et qui sont impliquées dans la doctrine du changement social : (1) le problème du déterminisme, et (2) le rôle joué par les facteurs idéologiques dans le changement social.

 

    1 Marx était convaincu que les lois qui gouvernent la société capitaliste agissaient avec la nécessité des lois naturelles[44], que des tendances, qui s’affirmaient dans les actions et dans les pensées des hommes, l’emportaient sur leurs intentions, leurs motifs et leurs intérêts, particuliers. La “loi de la valeur” comprend toutes ces tendances : elle détermine le mécanisme de l’échange, de l’offre et de la demande, la centralisation et la concentration, les crises et la panne du système. Mais ici la règle des lois physiques prend fin. L’acte de la révolution, ainsi que celui de la construction d’une société libre et rationnelle, ne sont pas déterminés par de telles lois, mais, bien que dépendants des “conditions objectives”, ils ne peuvent être que le résultat de la libre décision des travailleurs associés. Pour Marx, la société est gouvernée par des lois  naturelles précisément dans la mesure où elle n’est pas encore une association libre et rationnelle. Le caractère naturel du système social qui, pour Comte, était le signe du progrès et de la raison, est, pour Marx, la marque de son irrationalité et de son esclavage, et l’équilibre constitué par les lois naturelles de la société est l’intégration de l’anarchie, du gaspillage et de l’oppression. En conséquence, Marx refusait de donner à tout le développement de la société de classe le titre d’histoire humaine et il l’opposait, en tant que préhistoire ou Entstehungsgeschichte, à l’histoire réelle de l’humanité qui, selon lui, commen-cerait seulement avec la mise en fonction de la société sans classes[45]. L’idée de progrès est ainsi transposée vers un nouveau domaine : la croissance économique et technologique qui culminaient dans le capitalisme, le processus entier de culture cumulative dans la société de classe, ne constitue un progrès que dans un sens ironique ; il est aussi, avec toutes ses caractéristiques positives, un phénomène négatif – émancipation et, en même temps, restriction et distorsion de toutes les potentialités humaines et naturelles. Marx conservait la conception selon laquelle une société rationnelle impliquait le contrôle autonome des hommes sur leur vie sociale et selon laquelle ce contrôle devait remplacer la domination par l’administration, mais il soutenait que cela ne pourrait être le cas que quand des individus librement associés se seraient constitués en sujet conscients du processus social. Mais cet événement était séparé de la forme prédominante de la société par un fossé qui excluait toute interprétation évolutionniste et harmonistique du progrès.

Le déterminisme du changement social devenait ainsi une caractéristique historique, uniquement valable pour une forme historique particulière de société. L’automatisme des lois sociales était considéré comme corrélatif à une société dans laquelle la reproduction de l’ensemble n’était que le résultat d’un mécanisme aveugle qui agissait “dans le dos” des individus libres.

Dans le développement ultérieur de la théorie marxiste, le problème du déterminisme et du contrôle autonome est devenu l’un des points principaux de conflit entre l’école réformiste et l’école radicale. La première étendait l’automatisme des lois sociales jusqu’à la période même qui, selon Marx, devait abolir cet automatisme, à savoir la révolution. Elle était considérée come un événement qui découlait avec une nécessité naturelle de la dynamique capitaliste, et la préhistoire et l'histoire de l'humanité étaient liées dans un même schéma évolutionniste[46]. Tandis que Marx faisait ressortir de manière frappante le contraste entre le royaume de la liberté et la nécessité aveugle qui gouvernait toutes les formes “préhistoriques” de société, sa théorie était maintenant encensée car « elle introduisait le royaume de l’histoire dans le royaume de la nécessité »[47]. Tout changement qui avait lieu dans la société depuis le tournant du siècle était supposé tendre du constitutionnalisme libéral au constitutionnalisme parlementaire, et de là à la démocratie socialiste. Au même moment, « l’intérêt de classe s’estompe, et l’intérêt commun grandit en puissance », et la législation contrôle dans une mesure de plus en plus croissante les forces économiques « qui étaient précédemment abandonnées à la guerre aveugle de l’intérêt particulier »[48].

Au pôle opposé du marxisme, l’école radicale, tout déterminisme social était violemment rejeté, et le “facteur subjectif” était mis en avant par opposition au fétichisme très répandu des conditions objectives. Cela allait si loin que tout déterminisme économique du changement était rejeté et que la “spontanéité politique” devenait le facteur principal dans l’action révolutionnaire. « La politique ne peut qu'avoir le pas sur l'économie. Argumenter autrement, c'est oublier l'ABC du marxisme. »[49].

 

2 Nous avons mentionné que, dans la conception dialectique, les différentes causes et impulsions du changement social sont intégrées dans un tout et qu’elles sont structurées par la tension entre les forces productives et leur organisation. Les forces productives ne sont pas identiques à la capacité industrielle et technologique en vigueur. Marx les a autrefois définies comme les « résultats [historiques] de l’énergie humaine appliquée » et il a inclus en elles les forces aussi bien objectives que subjectives. Ces dernières comprennent les facultés intellectuelles et physiques développées par les hommes, dans la mesure où elles contredisent et transcendent les formes culturelles dans lesquelles la société les utilise et les satisfait. Autrement dit, le terme de forces productives est un concept critique qui mesure la productivité culturelle donnée par rapport à son propre contenu. Ceci veut dire que la dynamique sociale est à nouveau considérée sous l’aspect du fossé qui existe entre la productivité factuelle et la productivité potentielle, et qu’elle n’est en aucun cas identique au plein développement de la capacité industrielle et technologique. La question décisive, c’est la direction dans laquelle ce développement se produit, à savoir s’il est orienté vers la libération de toutes les capacités matérielles et intellectuelles dans l’intérêt de l’ensemble de la société.

Cette conception donne la clé de la question relative au rôle du facteur idéologique dans le changement social. Les idéologies qui prédominent dans une société, bien loin de n’être rien d’autre qu’une “illusion”, fournissent un critère important concernant le caractère objectif des contradictions sociales et la direction dans laquelle leur solution peut être cherchée. Marx  lui-même a utilisé de cette manière l’idéologie de la société bourgeoise. Cette idéologie affirmait vouloir organiser la société selon les principes de liberté, d’égalité, de l’échange juste et de l’intérêt personnel ; elle envisageait ainsi les vrais principes de la société libre et rationnelle. Mais, étant donné les relations dans lesquelles la société bourgeoise avait organisé le processus productif, ces principes se transformaient inévitablement en leur contraire et ils créaient l’esclavage, l’inégalité, l’injustice et l’exploitation. Le contenu idéologique lui-même, si on le prend au sérieux, indique un nouvel ordre dans lequel il trouverait sa forme adéquate, et l’idéologie est une conscience “illusoire” seulement dans la mesure où elle est l’illusion de la vérité.

La conception dialectique tente d’élaborer un modèle intégrateur de changement social à l’intérieur d’une théorie globale de la société, en soumettant les formes, les causes et les tendances, empiriques particulières du changement social à des critères critiques et rationnels qui transcendent le contexte social en vigueur. Dans la période ultérieure, les éléments philosophiques et intégrateurs ont été progressivement supprimés, et la doctrine du changement social a pris la forme d’un théorème strictement empirique et spécialisé qui concentrait son intention sur les impulsions et les effets factuels du changement dans l’ordre social existant. Là où l’on peut voir le mieux cette transformation, c’est dans la sociologie de Durkheim et de son école, et elle est consommée dans l’idée d’une sociologie wertfrei, dont le type idéal est l’œuvre de Pareto. Certes, les impulsions qui animaient les conceptions rationalistes et intégratrices n’ont pas disparu, mais leur influence devient de plus en plus faible, et c’est uniquement sous l’effet des crise d‘après-guerre et de l’autoritarisme  européen en pleine ascension que la sociologie revient aux premiers modèles critiques.

Les derniers vestiges d’une conception intégratrice du changement social peuvent être étudiés dans la sociologie de Lester Ward. Il conserve les idées fondamentales qui ont déterminé le développement du problème depuis le  XVIII° siècle. Pour lui, le bonheur est le but de la vie privée et sociale, et la question principale est de savoir si les changements qui ont lieu dans la société peuvent être contrôlés et s’ils peuvent être dirigés vers une satisfaction de plus en plus grande des désirs humains, vers une abolition de la douleur et une création du plaisir de plus en plus complètes. En outre, Ward est convaincu que la société peut atteindre ce but au moyen de l’application de « principes scientifiques strictement analogues à ceux grâce auxquels les rudes conditions de la nature ont été améliorées dans le processus que nous appelons civilisation »[50]. Il affirme que l’homme est encore « sous le contrôle de la nature extérieure et non pas sous le contrôle de son propres esprit »[51], et il accorde autant d'importance au rôle de l'éducation dans ce processus d'amélioration que les partisans français des Lumières. Mais en même temps, il rejette toute sorte de fétichisme technologique et d’interprétation harmonistique du progrès. Le progrès technologique, c'est-à-dire l’accumu-lation de culture matérielle, a eu lieu avec tous les traits aveugles et destructeurs qui caractérisent le développement naturel d’une espèce ou d’un individu. « Les mêmes guerres et les mêmes méthodes dilapidatrices prédominaient dans la société comme dans le règne animal et végétal… Toutes les fonctions de la société sont exécutées d'une manière aléatoire tout à fait analogue aux processus naturels d'un monde organique inférieur. »[52]. La croissance régulière de la culture accumulative n'est pas encore un progrès, car ce dernier ne peut être mesuré qu'en termes de bonheur et de satisfaction humains croissants. Le fait même que le progrès moral se situe loin derrière le progrès matériel est un indice que la société n'a pas encore atteint le niveau d'auto-développement libre et consciemment contrôlé dans toutes les sphères de la culture.

Si la dynamique sociale est vraiment un progrès, elle ne l'est que dans la mesure où elle se développe d'une manière tout à fait différente des processus naturels. Ward oppose le          « progrès génétique » de la nature au « progrès télique » de la société[53] : ce dernier est un processus planifié, rationnel autant que moral, et dépendant de la libération des facultés émotionnelles et intellectuelles de l'homme. Il réclame non seulement un contrôle technologique et administratif, mais, plus important encore, un ordre conscient de toutes les relations sociales vers l'objectif final du bonheur. Avec cette conception, la doctrine de Ward est définitivement liée à la grande tradition critique et rationaliste de la philosophie sociale.

    

   

  

NOTES


[1]  Condorcet, Tableau, p. 240 sq.

[2]  Rousseau, Le contrat social [The Social Contract (Everyman’s Library), pp. 36–8].

[3]  Ibid.

[4]  Burke, Reflections on the Revolution in France, seconde éd. Londres 1790, p. 144.

[5] De Maistre, Essai sur le principe générateur des constitutions politiques, Préface.

[6]  De Maistre, Considérations sur la France, Œuvres complètes, Lyon 1891–2, vol. I, p. 317.

[7]  Burke, Reflections on the Revolution in France.

[8]  De Maistre, Considérations sur la France, vol. I, p. 367.

[9]  Ibid., vol. I, p. 357.

[10]  Ibid., vol. II, p. 399.

[11]  Ibid., vol. I, p. 376

[12]  Ibid., p. 375 ; à comparer à l’hymne de Burke sur le préjugé comme étant la source de la sagesse et de la vertu, dans Reflections, p. 130.

[13]  De Maistre, Les Soirées de Saint-Pétersbourg.

[14]  Voir W. Montgomery McGovern, From Luther to Hitler, Houghton Mifflin Company 1941, p. 103.

[15]  Voir les remarques de Burke à propos de la fonction sociale et politique de la propriété foncière, dans Reflections, pp. 62 sqq., 75 sqq.

[16]  Kant, Werke, éd. Cassirer, vol. VII, p. 398 sq. ; Hegel, Philosophy of History, traduction de. J. Sibbree, New York 1899, p. 447.

[17]  Kant, ibid., p. 129 sq.

[18]  Kant, ibid. p. 66 sq. fait résulter l’ordre civil du “caractère accidentel” de l’acquisition. La présentation par Hegel des contradictions inhérentes à la société civile se trouve dans sa Philosophy of Right [Philosophie du droit] §§ 246–248.

[19]  Hegel, Philosophy of Right, §§ 289 sq.

[20]  Saint-Simon, L’Industrie, vol. II, dans Œuvres, éd. Enfantin, Paris 1868 sqq., vol. III, p. 82.

[21]  L’Industrie, Prospectus, vol. II, p. 13.

[22]  Ibid., vol. III, p. 74.

[23]  Ibid., p. 47 sq., 168 sq.

[24]  Ibid., p. 74.

[25]  Ibid., p. 83.

[26]  Ibid., p. 60.

[27]  L’Organisateur, vol. IV, p. 150 sq.

[28]  Ibid., p. 187.

[29]  Ibid., p. 202.

[30]  Ibid., pp. 192, 161 sq.

(*)  En français dans le texte. (NdT).

[31]  Ibid., vol. I, p. 138.

[32]  Voir le passage caractéristique dans Saint-Simon, ibid., vol. III, p. 83.

[33]  Pour les discuter, voir Herbert Marcuse, Reason and Revolution, New York 1941, pp. 340–360.

(*)  Ces trois états sont nommés par Comte : théologique, métaphysique, positif. (NdT).

(*)  En français dans le texte. (NdT).

[34]  Discours sur l’esprit positif, Paris 1844, p. 56.

[35]  Cours de philosophie positive, 4° éd., Paris 1877, vol. IV, p. 263.

[36]  Discours, p. 56 ; Cours de philosophie positive, vol. IV, p. 17.

[37]  Cours de philosophie positive, vol. IV, p. 485.

[38]  Bazard, Doctrine Saint-simonienne - Exposition, Paris 1854, pp. 123 sq., 145.

[39]  Ibid., p. 124.

[40]  Ibid., p. 127.

[41]  Pour un compte rendu plus détaillé de la philosophie de Hegel, voir Herbert Marcuse, Reason and Revolution.

[42]  Philosophy of Right [Philosophie du droit], §§ 185, 243 sqq., 248, 333 sqq.

[43]  Geschichte der sozialen Bewegung in Frankreich von 1789 bis auf unsere Tage [Histoire du mouvement social en France de 1789 jusqu’à nos jours], éd. G. Salomon, Munich 1921, vol. I, Introduction.

[44]  Capital, traduit par. S. Moore, E. Aveling and E. Untermann, Chicago 1906–09, Préface à la première édition, et vol. I, p. 837.

[45]  Ökonomisch-philosophische Manuskripte, dans Marx-Engels Gesamtausgabe, 1927, vol. III, p. 153.

[46]  Voir en particulier Eduard Bernstein, Zur Theorie und Geschichte des Sozialismus [Théorie et histoire du socialisme], Berlin 1904, partie III, p. 69 sq.

[47]  Karl Kautsky, dans Die Neue Zeit, 1898–9, vol. II, p. 7.

[48]  Bernstein, Zur Theorie und Geschichte des Sozialismus, p. 69.

[49]  Lénine, Selected Works [Œuvres choisies],  New York 1934 sqq., vol. IX, p. 54.

[50]  Lester F. Ward, Dynamic Sociology, 1903, vol. II, p. 2. Voir Samuel Chryerman, Lester F. Ward, Duke University Press, 1939, pp. 444–48.

[51]  Dynamic Sociology, vol. I, p. 14.

[52]  Ibid., vol. II, pp. 88–9.

[53]  Chryerman, p. 445.