PAGES PROLETARIENNES

mardi 31 août 2021

GOUVERNER PAR LE CHAOS (2ème partie)



LES CONTRADICTIONS DANS LES ANALYSES DU GROUPUSCULE SUR LE DRAME EN AFGHANISTAN

(Et par après la réaffirmation de l'homogénéité du prolétariat)

« Le meilleur savoir-faire n'est pas de gagner cent victoires dans cent batailles, mais plutôt de vaincre l'ennemi sans combattre ».

Sun Tzu

« S'il partage ses valeurs et sa langue, un ouvrier européen se sentira toujours plus proche d'un ouvrier d'origine maghrébine ou africaine que d'un bobo parisien blanc »

Christophe Guilluy (Le temps des gens ordinaires)

« Les collapsologues les plus pessimistes annoncent la fin de notre monde pour l'année prochaine, les plus optimistes pour 2030, et tous s'accordent sur un fait : notre civilisation va s'effondrer ».

Le même


Dans la première partie, on a vu que n'était pas prise en compte la dimension première de la fuite des populations, fuite massive que l'administration étatique US avait tout à fait anticipée et qui ne lui pose aucun problème mais en pose à ses divers alliés qui ont assez rapidement pris la poudre d'escampette1, lâchement et sans barguigner, laissant en otage des nazislamiques des millions d'hommes et de femmes sans défense. Le titre général présente cette situation comme un « déclin des Etats-Unis » et même comme « le déclin du monde capitaliste »2.

Dans son ensemble, bien que basé sur la même analyse défaitiste des journalistes des médias, l'article n'est pas erroné dans l'analyse des tribulations diverses des impérialismes en concurrence et parfaitement cyniques, mais il reste très généraliste et messianique. Le CCI reste un des rares groupes politiques à avoir suivi à la trace les malversations, mensonges et accoutrements de l'impérialiste US ; il suppute tout de même une manœuvre « victimaire » de la « realpolitik » :

« Ce serait une erreur d'en conclure que les États-Unis se sont tout simplement retirés du Moyen-Orient et de l'Asie centrale. M. Biden a clairement indiqué que les États-Unis poursuivront une politique  contre les menaces terroristes dans quelque partie du monde que ce soit. Cela signifie qu'ils utiliseront leurs bases militaires dans le monde entier, leur marine et leur aviation pour infliger des destructions aux États de ces régions s'ils mettent en danger les États-Unis ».3 

Mais au lieu de développer et de replacer cette réflexion dans le cadre d'une réorientation stratégique (dixit le « chacun pour soi ») - la gestion sibylline du chaos – on radote cette généralité, typique d'une vieille trouvaille du groupe (surtout de Marc Chiric il y a quarante ans) : « La décomposition, stade final de la décadence du capitalisme ». Même à l'époque du déclin de la Rome antique personne ne se hasardait à en prédire vraiment la fin, et les causes sont encore aujourd'hui l'objet de controverses sans fin...

Notons en passant une interprétation qui peut sembler proche du chaos à notre époque. Au début du Ve siècle, l'historien romain Végèce formula une théorie selon laquelle l'Empire romain déclina à cause de son contact croissant avec les barbares, entraînant une « barbarisation » qu'il percevait comme moteur de dégradation. La léthargie, la complaisance et la mauvaise discipline qui en résultaient dans les légions font apparaître la chute de l'Empire comme un phénomène d'origine essentiellement militaire. L'Empire dépendait désormais essentiellement des « barbares » pour assurer la défense de son vaste territoire, ce qui entraîna sa chute prématurée. Pour l'historien américain Kyle Harper4 :Les épidémies ont affaibli les structures de l'État romain comme de l’État perse. L’expansion de l’Islam est un mouvement géopolitique durant lequel les armées arabes débordent les États romain et perse, qui étaient épuisés par de longues années de guerre et de maladies.” 

Cette thèse de Kyle Harper du changement climatique brutal et des épidémies est critiquée par certains historiens, qui y voient un déterminisme climatique. En plus les barbares de l'Empire romain n'étaient pas arabes, et contribuèrent au contraire de leur dénomination à faire fructifier l'Empire en le protégeant. C’est plutôt la conjonction des phénomènes naturels ainsi que les faiblesses structurelles, politiques et militaires de l’Empire qui ont conduit à sa chute.

En quoi pourrions-nous être sûrs d'en être à la phase finale du capitalisme ?

L'absence de nouvelle guerre mondiale, le moment de la chute du bloc de l'Est et des guerres impérialistes restées localisées fondent la théorie du groupe depuis au moins 50 ans d'un blocage des deux classes principales de la société :

« En somme, l'impasse entre les deux grandes classes a déterminé l'entrée du capitalisme dans sa phase finale, celle de la décomposition, caractérisée, au niveau impérialiste, par la fin du système des deux blocs et l'accélération du " chacun pour soi " ».


Le groupe lui-même a plusieurs fois noté dans ses articles combien la classe ouvrière restait depuis longtemps plutôt endormie. La bourgeoisie aurait-elle encore peur de son réveil ? On analysera plus loin les raisons de cet endormissement.

On trouve ponctuellement des réflexions intelligentes. Par exemple on évite de tout mettre sur le dos de la religion islamique, certes la plus bête du monde, pour expliquer que la barbarie sous couvert de l'islam est bien plutôt un produit du capitalisme moderne (l'islam rigoriste et criminel s'est d'ailleurs développé dans les années du reflux révolutionnaire après la révolution canalisée en Russie)5.


PARENTHESE : LA TRILOGIE CONTRE-REVOLUTIONNAIRE : FASCISME/STALINISME/ISLAMISME



Les années du début de la vague révolutionnaire avaient eu un impact non négligeable en Orient, comme le rappelle Bensoussan : « 
Le facteur culturel a été l’un des plus puissants moteurs de l’éveil du nationalisme arabe, à l’instar des nationalismes européens et du nationalisme juif concomitant. Entre Égypte et Irak surtout, le monde arabe avait connu, avant et après la Grande Guerre (celle de 14), un début de révolution culturelle inséparable de la révolution scolaire, en particulier des prémices de la scolarisation des filles. Aux alentours de 1900, toute une génération se familiarisait avec la lecture (en particulier en français) ».

A partir de 1920, dans l'aire révolutionnaire en Russie, la lutte contre les préjugés religieux s'était matérialisée dans les mesures relatives à l'émancipation de la femme musulmane, souhaitée dès le lendemain de la révolution par des congrès de femmes soviétiques. Elles émirent des vœux réclamant l'abolition de la polygamie, de la claustration, du port du voile, du mariage des mineures. En dépit des décrets pris dans le même sens par le pouvoir central, ces réformes se heurtèrent à l'hostilité des mollahs, des vieillards, et quelquefois même à celle des membres musulmans du parti communiste.

L'émergence du nationalisme arabe est dûe principalement à l'effondrement de l'Empire ottoman à la fin de la Première Guerre mondiale. Le nationalisme palestinien naissant a été marqué par une hostilité à une présence et une immigration étrangère, juive en particulier. L’Association des Frères musulmans fondée en Égypte en 1928 par un tout jeune instituteur, Hassan al-Bannâ (1906-1949) est à la fois mouvement de réislamisation de la société et parti politique, celle-ci visant à instaurer l’État islamique. On ne peut édulcorer le fait que la vague révolutionnaire partie de Russie a contribué au recul politique chez « les peuples de couleur » ou « peuple coloniaux ». Les trotskiens maquilleurs d'histoire font porter l'essentiel du refroidissement politique avec les nationalistes musulmans sur le dos du seul Staline. Or les premiers bolcheviques, opportunistes, s'étaient déjà cassé les dents avec la théorie foireuse de la « libération nationale ».Lors du premier Congrès des peuples de l’Orient, qui se tint à Bakou en septembre 1920, ils avaient lancé un appel à la « guerre sainte » contre l’impérialisme occidental. Deux années plus tard, le quatrième congrès de l’Internationale communiste avait approuvé la politique d’alliances avec les panislamistes contre l’impérialisme. Avec l'autre théorie faisandée, celle de la « guerre révolutionnaire » (dite désormais « guerre sainte » et appelant démagogiquement au « djihad contre l'impérialisme », selon Zinoviev), Moscou employa délibérément des troupes non russes pour combattre en Asie centrale — ils envoyèrent des détachements de Tatars, de Bashkirs, de Kazakhs, d’Ouzbeks et de Turkmènes se battre contre les envahisseurs anti-bolcheviks. Les soldats tatars constituaient plus de 50 % des troupes sur le front de l’Est et dans le Turkestan pendant la guerre civile.

Dans les faits cependant, malgré le renversement des basmatchis et la fuite de nombreux notables traditionnels, certains tribunaux islamiques s'opposaient à l'esprit de la nouvelle époque soviétique, et refusaient d’accorder des droits identiques aux femmes. Le divorce était souvent refusé aux femmes qui en faisaient la demande, ou le témoignage d’une femme valait toujours la moitié de celui d’un homme, même si beaucoup de communistes musulmans estimaient qu'on pouvait avoir une autre lecture des textes du Coran et de la Sunna.

Dans le nord de l'Iran, l'armée rouge soutient la République socialiste soviétique de Ghilan, que présidait un mollah communiste, Mirza Kütchik Khan. Mais très vite, dès le congrès de Bakou en septembre 1920, les bolcheviks découvrent combien est dangereuse cette association du communisme et de l'islam. Leurs propres musulmans leur échappent. Soit qu'ils prétendent, comme Sultan Galiev, conquérir le communisme de l'intérieur du parti, soit qu'ils le combattent carrément comme le font les basmatchis (brigands ou va-nu-pieds) qui organisent dans toute l'Asie centrale une guérilla qui durera jusqu'à la fin des années 20. C'est la rupture.

En 1921, les bolcheviks renoncèrent à essayer d'utiliser l'islam, pour s'acharner dès lors à l'extirper des consciences des individus et de leur mode de vie. Mais parce qu'ils savent combien profondément l'islam imprègne l'univers social et moral de ceux qui s'en réclament, les bolcheviks sont d'abord prudents. Ils commencent par en détruire les institutions, confisquant les waqts (fondations pieuses qui lui donnent son indépendance économique), supprimant les tribunaux musulmans, interdisant l'enseignement religieux. En 1928, toute prudence disparaît, l'État de Staline se déchaîne contre l'islam, mais il n'a pas complètement tort. Il répondit par là violence aux meurtres, aux viols, à l'emprisonnement des femmes dévoilées. A la veille de la guerre mondiale, toute velléité de résistance avait disparu et, durant celle-ci, c'est en vain que les nazis tentèrent d'embrigader les musulmans de l'U. R. S. S. dans des unités de « volontaires pour libérer l'Islam de la persécution bolchevique ». Par contre des discussions et des alliances furent conclues avec les caïds de l'islamisme moderne.

Pour les caïds islamistes, l’Allemagne apparaît comme le seul État en Europe capable de tenir tête aux puissances colonisatrices et de les aider à s’émanciper de la tutelle de la Grande-Bretagne et de la France. Ils croient que le Reich n’a aucune visée politique sur les territoires du Levant. Et avec l’arrivée de Hitler au pouvoir, ils ont un autre ennemi commun : le Juif. Ces facteurs expliquent, en grande partie, le succès de la propagande allemande dans les pays arabes et les contacts que le Grand Mufti de Jérusalem aura avec les dirigeants du Troisième Reich.

C’est l’Italie qui soutient financièrement les activités du Grand Mufti depuis de longues années. Le Grand Mufti bénéficie aussi de l’aide financière irakienne. Il est considéré dans ce pays comme un héros national, et c’est la raison pour laquelle, il s’installe à Bagdad, le 15 octobre 1939, Amine el Husseini aura durant son séjour des contacts avec Franz von Papen, ambassadeur en Turquie.


(fin de la parenthèse)


L'ISLAMISME EN AFGHANISTAN EST UNE VARIETE DE NAZISME

Mais en histoire les plumes du groupuscule CCI ne sont pas très brillantes, concernant les tarés talibans :

« Ils sont certes brutaux et animés d'une vision qui renvoie aux pires aspects du Moyen Âge. Cependant, ils ne sont pas une exception rare à l'époque dans laquelle nous vivons. Ils sont le produit d'un système social réactionnaire : le capitalisme décadent. En particulier, leur essor est une manifestation de la décomposition, stade final de la décadence du capitalisme ».

 C'est véhiculer les clichés les plus stupides qu'on nous a rabâché à l'école primaire, lesquels veulent qu'on compare toute barbarie moderne au Moyen Age ! Or le Moyen Age n'est pas un âge barbare, inventé par les philosophes des 17 ème et du 18 ème siècles pour se vanter d'hériter directement de la Grèce et de la Rome antiques. Les dames du temps jadis sont souvent à des postes de commandement princier. On danse et on chante dans la rue. C'est une époque de « révolution industrielle »6, alors que le « moyen-âge taliban » est plutôt comparable à la misère des hommes de Cro-Magon. Moi en tout cas je fais équivaloir leurs crimes et exactions à ceux des nazis, avec l'illettrisme en prime7.

Une autre raison du départ de l'armada US d'Afghanistan est invoquée, celle de se remuscler face au « danger chinois » et au « renouveau russe ». La Chine aurait pour projet une nouvelle route de la soie 8. Or rien n'est moins sûr. Russie et Chine savent qu'ils ont affaire aussi aux mêmes tarés, et sur leurs territoires même ; des liens transversaux peuvent être établis avec les Ouïgours et les fondamentalistes tchétchènes. Pourtant, nouvelle contradiction dans leur raisonnement qui semblait corroborer une montée en puissance réelle de la Chine :

« Mais aucun de ces États ne peut s'élever au-dessus d'un désordre mondial de plus en plus contradictoire. La Russie et la Chine doivent maintenant chercher à contenir ce chaos. Toute idée que le capitalisme puisse apporter la stabilité et une certaine forme d'avenir à cette région est une pure illusion.  ».

Ensuite, au lieu de se pencher sur cette politique de « foutage de merde », pousser et laisser des milliers et des milliers se projeter vers l'espoir fallacieux d'une vie meilleure en Europe – non par impuissance – mais pour accroître le chaos, donc maintenir la fragilité des anciennes puissances européennes, stratégie militaire qui complète le discours antiraciste, sansfontiériste réformiste ; on nous ressort le discours gauchistes. On étale la désespérance des nombreux réfugiés. Pour nous dire quoi ? Qu'ils risquent leur vie. Que les parlements européens sont de méchants cyniques et que « la puanteur de leur hypocrisie est vraiment à vomir ». Sans nul doute, mais tout cela on le sait, mais vous proposez quoi le CCI ? La révolution messianique qui va, dans un premier temps voir les millions de réfugiés accourir dans les lieux de la richesse occidentale à défaut de généraliser la réalisation des besoins humains sur toute la planète ?

Se lamenter ou même en appeler à l'abolition des murs et barbelés, c'est la position gauchiste minable de la petite bourgeoisie. C'est se boucher les yeux sur l'utilisation de ce drame de la migration sans fin, à la fois pour hérisser et inquiéter la classe ouvrière, et pour faire avaler que tout va mieux dans le meilleur des mondes du capitalisme occidental, conçu comme égoïste, bardé de privilèges pour les classes qui y cohabitent déjà, et dont les quartiers surtout les plus pauvres devraient accueillir toute la misère du monde. Et ainsi conforter l'imaginaire antifa gauchiste selon lequel ces nombreux ouvriers qui votent pour le RN seraient devenus « fâchistes ».

Le listage de la guerre (qui n'est pas le souci actuel des prolétaires occidentaux), de la pandémie et du changement climatique relève du souci de la petite bourgeoisie écolo-réformiste. Esquiver la question de ladite « invasion migratoire » est la principale peur distillée par la domination bourgeoise, sans oublier l'effet tétanisant de l'exploitation idéologique des attentats de quelques cinglés et le laxisme criminel de la justice bourgeoise française et européenne.

C'est avec cette question migratoire que, finalement, les bourgeoisies européennes sont complices de l'américaine, tout en étant acculées à cogérer cette misère, et qu'on peut dire en effet :

«  Elle (la classe dirigeante) veut que le prolétariat soit soumis, qu'il se recroqueville dans la peur de la sinistre réalité de ce système social pourri. Elle veut que nous soyons comme des enfants qui s'accrochent aux basques de la classe dominante et de son État. Les grandes difficultés rencontrées par le prolétariat dans la lutte pour la défense de ses intérêts au cours des 30 dernières années permettent à cette peur de s'installer davantage. L'idée que le prolétariat est la seule force capable d'offrir un avenir, une société entièrement nouvelle, peut paraître incongrue à certains. Mais le prolétariat est la classe révolutionnaire et trois décennies de recul ne l'ont pas éradiqué, même si la longueur et la profondeur de ce recul rendent plus difficile pour la classe ouvrière internationale de reprendre confiance dans sa capacité à résister aux attaques croissantes contre ses conditions de vie ».

On sera compatissant avec l'éclair de lucidité qui suit, affaibli cependant par l'espérance grévicultrice et l'espoir que le prolétariat « ouvrira les yeux sur la sombre réalité du capitalisme », ce qui nous permettra par après de mesurer la portée du regard du prolétariat :

« Il n'y a aucune garantie que le prolétariat sera capable d'assumer sa responsabilité historique d'offrir un avenir au reste de l'humanité. Cela ne se produira certainement pas si le prolétariat et ses minorités révolutionnaires succombent à l'atmosphère écrasante de désespoir et d'impuissance propagée par notre ennemi de classe. Le prolétariat ne peut remplir son rôle révolutionnaire qu'en regardant en face la sombre réalité du capitalisme en décomposition et en refusant d'accepter les attaques contre ses conditions économiques et sociales, en remplaçant l'isolement et l'impuissance par la solidarité, l'organisation et une conscience de classe croissante ».


OU EN EST LE REGARD DU PROLETARIAT ?

Est-il en retard?

Depuis de longues années le prolétariat est absent des grands événements politiques, même si ont lieu régulièrement des grèves synonymes de combativité et de résistance de classe, mais toujours isolées et sans perspectives politiques, et dans le plus pur style trade-unioniste qui refait la part belle aux mafias syndicales. Guerres localisées, chute du mur de Berlin, montée au pouvoir des fondamentalistes arriérés, gilets jaunes hétéroclites, etc., dans aucun de ces moments le prolétariat ne s'est affirmé ni distingué. Au début du XX ème siècle comme après 1945, même par le biais de partis ouvriers plus ou moins corrompus et réformistes on avait assisté à de nombreuses manifestations politiques et pas seulement syndicales, prouvant que la politique ou une certaine idée de la politique était constitutive de la conscience de classe, bien qu'à une échelle moindre que les révoltes prolétariennes contre la guerre surtout en Russie et en Allemagne à la fin des années 1910. Cette apparente d'intérêt ou de mobilisation signifie-t-elle que le prolétariat n'aurait plus son mot à dire ? Je ne le crois pas pour l'ensemble des « pays riches » où l'on envoie des armées de métier qui évitent justement que la préoccupation de la guerre (locale ou mondiale) ne revienne au premier plan et concerne directement les populations ; la guerre n'est vécue, si j'ose dire, que par migrants livrés à une fuite éperdue. Cette situation focalise l'attention sur des victimes embarrassantes qui ne peuvent compter ni sur le prolétariat des métropoles ni sur les bourgeois.

Tout naturellement les idéologues du pouvoir se sont servis de ce constat pour décréter la disparition de la classe ouvrière, à la limitant toujours au niveau trade-unioniste. Plusieurs intellos de la gauche bourgeoise ont rivalisé de zèle naguère pour tenter de nous en convaincre. Au hasard je citerai ce pauvre Robert Castel qui avait décrété que "la classe ouvrière a perdu la partie" (certainement le parti oui!), et essayait de nous le démontrer avec le panel des arguties statistiques géographiques et plates de la sociologie (La montée des incertitudes, 2009). Une dizaine d'années avant, la propagande de l'ordre dominant pouvait compter sur deux historiens pour distiller une énième fin de la classe ouvrière, quoique toujours improbable.

Dans les écoles cette « disparition » est enseignée depuis des années, notamment avec des ouvrages d'historiens sociologues, plus sociologues qu'historiens. Par exemple Bernstein et Milza avec leur « Histoire de la France au XXème siècle » (ed complexe 1994) ; où pourtant nous pouvons puiser quelques intéressantes réflexions d'après recensements et chiffres concernant la France. Ces contempteurs d'un prolétariat évaporé n'ont jamais rien compris évidemment au « mouvement ouvrier » en tant que globalité d'exploités qui n 'ont jamais pu été catégorisés et enfermés en « bastions industriels », corporations privilégiées, nationalisations ou myriade petites entreprises. Le prolétariat est une force sociale qui n'est ni étroite ni ouverte à n'importe quelles couches sociales, quoique des pans de la petite bourgeoisie puissent accompagner son combat, ou plutôt la menace permanente de son apparition massive quand tel ou tel bouleversement l'exigera. Suivons donc maintenant nos épiciers de la comptabilité sociologique.

« Avec un effectif de 8 millions de personnes, constituant en valeur absolue, leur maximum historique, les travailleurs de l'industrie représentent encore en 1975 près de 40% de la population active, contre un peu plus de 550% pour les services. En 2003, le taux est tombé à 23,4 %, tandis que le tertiaire occupe 72,2% des actifs. Pour la seule période qui sépare le recensement de 1982 de celui de 1990, l'industrie a perdu 798 000 emplois. (…)

Ces chiffres sont éloquents. Ils soulignent en premier lieu la crise des industries traditionnelles – mines, sidérurgie, textiles, constructions navales – dont le déclin est antérieur à 1975. Mais ils montrent en même temps que des secteurs (moteurs de la croissance dans les années 1960) (…) ont subi également de plein fouet des restructurations industrielles. On préfèrera ce terme à celui de « désindustrialisation » (…) dans la mesure où pour un certain nombre de branches, la diminution du nombre des ouvriers s'est trouvée compensée par l'augmentation de celui des employés, techniciens et cadres ».

(Raisons de cette décrue » :

« … la nécessité pour les entreprises de réduire leurs coûts pour résister à une concurrence internationale de plus en plus forte, donc d'utiliser au maximum les possibilités de substitution de la machine à l'homme qu'offrent les progrès de l'informatisation et de l'automatisation. Ce qui imlique outre la réduction des effectifs (…) une transformation de la nature des emplois industriels. On a moins besoin de manœuvres et d'ouvriers « spécialisés » alors que croît la demande en personnel qualifié, ayant reçu une formation générale et technique plus élevée que dans le passé ».

(…) Cette diminution globale du nombre des ouvriers s'accompagne d'un transfert massif vers les activités du tertiaire (…) Ce n'est donc pas seulement en termes d'effectifs que se mesure le déclin de la « classe ouvrière », longtemps assimilée au prolétariat de la grande industrie... au sentiment d'appartenance à un groupe social cohérent que (favorisait ) cette focalisation des sites et qui a nourri une véritable culture ouvrière, se substituent des formes d'activité moins directement liées à la production – manutention, gardiennage, entretien, nettoyage, etc. - des localisations plus dispersées releva nt d'entreprises aux destinées souvent éphémères, un émiettement du personnel fourni par les entreprises d'intérim, une forte mobilité de l'emploi (…) Autant de données qui se traduisent chez les travailleurs employés dans ce secteur par une perte d'identité par rapport aux générations de l'industrie triomphante, par la forte érosion de la culture ouvrière, et bien sûr une désaffection croissante à l'égard des modes traditionnels de représentation et de revdnication du monde prolétaire. (…) Les restructurations industrielles ont entraîné ler déclin des secteurs à forte tradition syndicale (…) Le chômage et la précarité de l'emploi ont démobilisé la masse des travailleurs et émoussé leur combativité. Bien que les directions centrales se soient renouvelées, l'encadrement a vieilli et n'a pas su s'adapter à la demande et aux problèmes spécifiques de certaines catégories de salariés, les femmes notamment – beaucoup plus nombreuses dans les entreprises qu'à la fin des années 1960 -, les jeunes et les travailleurs immigrés.

(…) Très liée depuis les années 1920 à un PCF désormais très affaibli, la CGT n'a pas réussi à prendre clairement ses distances à l'égard du « parti de la classe ouvrière » et a été emportée comme lui dans la tourmente produite par l'effondrement du communisme ». (…) autant que la très forte bureaucratisation de ses structures ( la fonction de permanent comme au PC, est devnue une carrière et l'absence de démocratie dans son fonctionnement ont éloigné d'elle en vingt ans, plus de la moitié de ses adhérents.

(…) une augmentation globale des conflits sociaux (…) surtout plus étroitement localisés que dans le passé (…) aux solidarités larges (…) se substituent de plus en plus des solidarités locales, génératrices de conflits qui ne concernent dans l'usine qu'un atelier ou une catégorie de travailleurs : les OS, les immigrés, les femmes, telle ou telle catégorie de spécialistes. A l'émiettement du travail, qui caractérise largement aujourd'hui l'activité ouvrière, coïncide ainsi un émiettement des revendications et des formes de représentativité.

« Ni les responsables politiques, qu'ils soient de gauche ou de droite, ni les dirigeants patronaux ne souhaitent que se substituent aux syndicats – qui constituent des interlocuteurs avec lesquels on peut toujours négocier – des formes de contestation « sauvage » pouvant déboucher sur de graves troubles sociaux. Conscients de ce danger qu'il y avait à voir s'aggraver le dépérissement des syndicats, les gouvernements socialistes ont, depuis 1981, multiplié les initiatives visant à accroître leur représentativité dans l'entreprise ».

Il faut ajouter la petite bourgeoisie salariée, qui ne se considère pas comme partie du prolétariat, sauf une frange minoritaire de cadres intelligents. Elle est le toutou idéologique de la grande bourgeoisie (et aussi son inspiratrice, cf. le mouvement woke et l'antiracisme) :

« La catégorie des « cadres », au sens large, embrassant le monde des professions libérales et intellectuelles, continue à bien des égards à donner le la à l'ensemble du corps social. C'est elle qui fait et défait les modes, impose ses goûts, diffuse ses tics linguistiques, empruntés souvent aux marginaux et aux jeunes (voir le succès durable du « verlan ») ou dérivants des pratiques professionnelles qui font la part belle à l'anglais. C'est elle qui façonne le noyau dur d'une culture commune à toute la classe moyenne, diffusée par les médias audio-visuels, par les magazines et les hebdomadaires. (…) Enfin elle s'impose comme modèle de « réussite » et de consommation sophistiquée ».

Puis il y a les assistés, qu'on pouvait nommer lumpenprolétariat naguère. Ils sont en effet coupés de la classe ouvrière par le système des aides sociales (dit aussi « protection sociale », mais contre qui?). Ces couches dites les plus pauvres étaient un ferment des révolutions au cours du dix-neuvième siècle. La pauvreté est génitrice d'émeutes. Or la bourgeoisie, qui l'a bien compris, a généralisé des systèmes d'assistance – RSA, aides au logement, etc. - qui ont complètement changé la mentalité des plus pauvres. Non seulement ils ne considèrent pas comme prolétaires mais ils méprisent les ouvriers, des ouvriers qui ont souvent moins de revenus qu'eux. Tout est dû à l'assisté, il est le premier à râler pour un oui pour un non. On le trouve chez Le Pen, chez les gilets jaunes, il est sûr d'être dans son bon droit et excédé qu'on ne suive pas ses recommandations floues et démagogiques. Dans ce milieu la bureaucratisation et la juridicisation de la société jouent également comme des facteurs essentiels, assurant la reconnaissance de ce statut de victime par des tiers détenteurs de l’autorité et permettant d’imposer dans l'atomisation sociale un véritable « ordre woke ». Pourquoi faire semblant de ne pas voir, comme la gauche bourgeoisie angélique, qu'une partie de l'immigration vient aussi en France pour « sa protection sociale), un système de « sécurité sociale » plus généreux que partout ailleurs ?

Enfin il y a une immigration qui ne s'intègre pas ou plus non seulement à la nation mais, ce qui est plus grave, au prolétariat. Elle n'est plus révolutionnaire, mais l'a-t'elle jamais été ?

Il y a naguère et il y a aujourd'hui. Naguère dans son ouvrage « Le bourgeois » (1913), Werner Sombart pouvait établir ceci :

« Nous voyons ainsi l' « étranger », l'immigré, se révéler partout et toujours comme le pionnier, l'initiateur du capitalisme le plus avancé, et cela quel que soit le pays dans lequel il se trouve transplanté (État civilisé de l'Europe ou colonie d'outre-mer), quelle que soit sa position sociale, quelles que soient (dans une certaine mesure) la religion et la nationalité dont il fait partie (nous voyons, en effet, Juifs et Européens, protestants et catholiques, dès l'instant où ils sont « étrangers », manifester le même esprit; et dès le milieu du XIXe siècle les Français de la Louisiane ne se distinguaient en rien des Anglo-Saxons des États de la Nouvelle Angleterre). Ce fait, d'une portée si générale, n'autorise qu'une seule conclusion, à savoir que c'est le phénomène social de la migration ou du changement de patrie qui constitue, comme tel, la raison du déve­loppement plus grand et plus intense de l'esprit économique ».

Sombart, en ce temps-là, était un « marxien » éminent — pas un marxiste, mais quelqu'un qui utilisait et interprétait Marx — au point que Engels, avec qui il a correspondu, déclara qu'il était le seul professeur allemand qui comprenait Le Capital de Marx . Sombart ajoutait que l'émigré/immigré n'a pas pour but la révolution :

« « Si nous le voyons accorder aussitôt aux intérêts purement matériels la première place dans ses préoccupations, si, à peine installé dans un pays nouveau, l' « étran­ger » ne pense qu'à s'enrichir, qu'à gagner le plus d'argent possible, il n'y a là rien qui doive nous étonner, étant donné que toutes les autres carrières et toutes les autres professions lui sont fermées : transplanté dans un vieil État aux cadres rigides, il ne peut pas prendre part à la vie publique et, à l'époque dont nous nous occupons, les carrières coloniales n'existent pas encore .

Pour les émigrés, qu'ils soient transplantés dans un pays européen ou dans une colonie, il n'y a ni passé ni présent. Ils ne connaissent que l'avenir. Et dès l'instant où l'argent est devenu le principal de leurs intérêts, ils ne peuvent plus s'en détacher, parce qu'il leur apparaît aussitôt comme le seul moyen d'édifier leur avenir. Or l'émigré ne peut gagner de l'argent qu'en étendant le champ de son activité d'entre­preneur. Capable, travailleur et courageux par définition, puis. qu'il appartient, ainsi que nous l'avons vu, à une espèce sélectionnée, son amour du gain ne tardera pas à se transformer en une soif d'entreprises qui ne pourra être calmée que par une activité inlassable, de tous les instants, activité qui s'explique, à son tour, par le peu de prix que l'émigré attache au présent, orienté qu'il est tout entier vers l'avenir. Ce qui caractérise encore de nos jours la civilisation américaine, c'est l'inachevé, c'est le devenir incessant : tout y est conçu en vue de l'avenir ».

QUAND LE MIGRANT NE VIENT PLUS RENFORCER LA CLASSE OUVRIERE

La seule période où l'immigré en Europe fût un vecteur d'esprit révolutionnaire est celle des années 1920 et 1930, non parce que ces « migrants » venaient d'un pays catholique mais parce que, en Italie et en Espagne ils avaient combattu puis fui les dictatures de Mussolini et de Franco. On les trouva nombreux dans les années d'après-guerre dans les syndicats et les partis de gauche. C'était plus la lutte politique que le besoin de se nourrir qui les avait poussé à « s'intégrer » au mouvement ouvrier. Même s'il y avait de graves bagarres parfois depuis la fin du dix-neuvième siècle contre ces étrangers qui venaient « voler le travail aux français », généralement cela ne prit aucune proportion à l'échelle territoriale, et, par exemple les deux millions d'espagnols qui avaient fui Franco pour être entassés dans des camps, furent pour partie embrigadés ou paralysés dans la guerre, puis après celle-ci constituèrent une partie combative du mouvement ouvrier en France. L'immigration était considérée à juste titre comme un vecteur d'internationalisme, en tout cas favorisant la solidarité et la conscience de classe par delà les frontières.

Avec une accélération de la crise capitaliste, qui ne peut percer l'abcès par une guerre mondiale, on a affaire à une impasse plus qu'à cette notion bizarre de décomposition (cf. du CCI). Un flot incessant de populations fuit la guerre, les tortures, la misère. Dans le monde entier, depuis des années, des millions vivent dans des camps, dans des baraquements insalubres et entassés les uns contre les autres. Seule solution, la démerde individuelle à ses risques et périls. Une démographie de plus en plus incontrôlée ou incontrôlable conduira à l'étouffement et à la prolongation du chaos9.

La compassion est universelle. Nombreuses sont les assocs caritatives, de type commercial... Peu de critiques politiques sur cette situation dramatique. C'est pourquoi j'ai été agréablement surpris en 2016 de lire les réflexions courageuses de notre Néandertal Henri Simon.  Le titre de son article était médiatiquement bien choisi : « L'industrie  du migrant », mais il y manquait au moins un sous-titre : « et son utilisation politique » et un commentaire : « industrie ou commerce ? ».(cf. ECHANGES n°154, hiver 2016)10.

Il y avait longtemps que j'attendais un article intelligent du point de vue marxiste et donc du point de vue du prolétariat, sur le sujet : un sujet traité jusque là de façon simpliste aussi bien par le « milieu révolutionnaire » iconoclaste du maximalisme que par les variétés de gauchistes : « tous immigrés », « solidarité avec nos frères de classe », « abolition des frontières », etc. Ce souhait qu'un débat qui brise le disque rayé de la bien-pensance bourgeoise et gauchiste, j'avais espéré le faire changer en blu ray d'une approche plus consciente des changements introduits par le chaos capitaliste avec mon livre « L'immigré fataliste et sa religion policière » ; mais, excepté un rédacteur de la revue Echanges, motus et bouche cousue. On préféra continuer à dormir sur les certitudes simplistes et une bonne conscience humanitaire qui ne change rien au malheur de la plupart de ces êtres humains en perdition.

Henri Simon, dans une écriture impeccable et sereine décrit le phénomène historique des migrations comme permettant le développement du capitalisme, avec ses formes les plus barbares, de l'esclavage à la fuite des populations en guerre, en subissant des révolutions (migrants riches).

Très vite il sort de l'ornière des simplismes à la CCI ou PCI, basés sur une culpabilisation bobo compatissante - migrants = classe ouvrière - :

« « Le migrant » n'est pas le personnage homogène que l'on tend à nous présenter, une sorte de modèle uniforme de victime expiatoire du système, mais les migrants sont une population différenciée venant de classes, de milieux et d'origine sociale diverses : la même collection d'exploiteurs, de cyniques, de naïfs, d'égoïstes, d'intelligents et d'imbéciles que l'on trouve dans toute la société ».


RETOUR SUR LE ROLE POLITIQUE DE LA CLASSE OUVRIERE

« ...l'idée était bien de suggérer que les gens ordinaires n'ont pas vraiment la capacité de comprendre le monde dans lequel ils vivent ».

Christophe Guilluy

« Pourquoi intégrer un monde qui s'effondre? »

ibid

Face au chaos, il peut sembler prétentieux de réaffirmer que seule la classe ouvrière résiste à celui-ci et pose une alternative. Ce constat, c'est l'essayiste Christophe Guilluy qui le démontre à sa façon, en parlant de « gens ordinaires », même s'il se trompe sur l'impuissance des Gilets jaunes, et sans se rendre compte que ce mouvement a été rendu impuissant parce qu'il fût emmené par une petite bourgeoisie hétéroclite et pas par les principaux exploités, les prolétaires. Il démontre in fine que subsiste et se développe une conscience de classe, qui n'est donc pas basée, comme nous le radotent les groupuscules maximalistes gréviculteurs et grèves-généralistes, sur la lutte au travail (pour ceux qui en ont) mais, et dans une certaine mesure ce qui animait les Gilets jaunes, mais est basée sur une remise en cause de l'Etat, du cadre de vie, et la nécessité de réfléchir à un autre avenir11. Après tout les révolutions n'ont jamais commencé par des grèves mais contre la guerre, contre la répression, contres les abus des élites successives. C'est une taxe de l'écologie bourgeoise qui a déclenché le mouvement des gilets jaunes. Pour l'essentiel les révolutions ont lieu hors du cadre du travail, et c'est dans ce sens qu'elles peuvent aussi intéresser les chômedurs, et aussi les couches petites bourgeoises, à condition qu'elles n'en prennent pas la tête, laquelle tête reste le parti du prolétariat, surtout s'il reste hors du pouvoir.

Le système de domination est de plus en plus fragile, sans la classe ouvrière des services, les livreurs sans grade, ouvriers français et immigrés pauvres, en cas de paralysie sociale, les grandes villes perdraient leur autonomie alimentaire entre 3 à 5 jours12. La crise du covid a également démontré la peur et les mesures maladroites du pouvoir, mais aussi le mépris de classe bourgeoise (lire les pages excellentes à ce sujet).

Guilluy insiste toujours sur le fait que la société bourgeoise va inéluctablement vers son effondrement, ce qui est bien vu, mais il n'imagine qu'une réforme lente sous la pression de ce qu'il nomme « les gens ordinaires » - pour être lu largement – car s'il avait utilisé en permanence les vocables « classe ouvrière » on l'aurait montré du doigt comme ringard.

La décomposition de la bourgeoisie s'explique ainsi, par l'ignorance du maintien de la société des classes : « La société composée d'un agglomérat de minorités n'existe pas. C'est bel et bien une pure construction à laquelle certains politiques croient encore, notamment à gauche » (p.82). C'est le think tank libéral de gauche Terra Nova qui avait fait croire qu'on pouvait abandonner la classe ouvrière à son sort. Or la solidité de cette classe se confirme, pas par les grèves mais un rejet de la politique des élites de droite et de gauche, qui n'est pas du tout démagogiquement anti-politique comme veulent le faire croire les médias.

« C'est pourquoi, aujourd'hui, l'écologisme, l'ouverture à l'Autre et l'universalisme des classes dominantes et supérieures ne sont plus pris au sérieux. Ces thématiques sont perçues comme les éléments de langage de faussaires ».

« Les élites urbaines, les cadres et les jeunes issus de ces catégories forment aujourd'hui les gros bataillons des partis écologistes ».

« L'écologisme (dévoyé) prendrait alors la forme, comme l'antifascisme, d'une arme de classe ».

« C'est ainsi que la posture antiraciste de la bourgeoisie blanche et progressiste masque mal un complexe de supériorité vis-à-vis des « petits » blancs bien sûr, mais aussi des minorités (…) les minorités ne sont pas à la recherche de bienveillance mais d'emplois!) ».

« Ce concept religieux (très catholique) de « vivre ensemble » de la bourgeoisie dite progressiste est bien, comme l'écologisme, un enfumage destiné à dissimuler la violence des rapports de classes et son refus réel dudit « vivre ensemble ».

« Mais le progressisme de pacotille des élites n'était qu'un vernis idéologique qui visait à masquer une position de classe. L'antiracisme, l'écologisme ou le féminisme ne sont en réalité que des codes culturels. ET l'essentiel est ailleurs : il faut préserver le patrimoine, faire de l'argent, garder le pouvoir ».

« La déshumanisation des gens ordinaires invalide la prétention à l'universel de l'idéologie dite progressiste ».

« Le rejet des politiques tient tout autant à leur impuissance qu'à leur baisse de niveau intellectuel (…) Les politologues se trompent quand ils expliquent le niveau de défiance par le fameux «tous pourris ». Cette analyse réduit les gens ordinaires à une masse d'abrutis, et permet de détourner le regard de la médiocratie du monde d'en haut. Elle empêche de voir la corrélation entre l'effondrement intellectuel des élites et la répulsion qu'elles inspirent ».

Evidemment que l'essayiste Guilluy ne peut proposer un changement radical de société par une révolution nécessaire, et nécessairement violente, à la mesure des humiliations séculaires du prolétariat. On ne le lui reprochera pas ici. Mais on conseillera aux gens réfléchis et aux militants de le lire. C'est aux partis politiques du prolétariat (encore inexistants) de poser et de rédiger un programme, indispensable, car il ne peut point tomber du ciel ni d'une vox populi ordinaire.


NOTES



1L'explication première de la débandade des collabos pro-US vient assurément du fait que les effectifs de l'armée afghane ont été largement gonflés. Plutôt que 300.000 hommes, elle était composée d'un peu moins de 100.000 soldats, selon un rapport du Combating Terrorism Center, de la prestigieuse école militaire de West Point, publié en janvier 2020. Parmi eux, seulement 18.000 étaient placés sous l'autorité du ministère afghan de la Défense. Les analystes militaires estiment en outre que seulement la moitié des membres de l'armée afghane étaient des combattants. Face à 70.000 talibans aguerris et déterminés, le rapport de force paraît donc déséquilibré.

3Le même argument est repris quelques lignes plus loin : « « La politique de retrait d'Afghanistan est un exemple clair de realpolitik. Les États-Unis doivent en effet se libérer de ces guerres coûteuses et débilitantes afin de concentrer leurs ressources sur le renforcement des efforts pour contenir et miner la Chine et la Russie. L'administration Biden s'est montrée non moins cynique que Trump dans la poursuite des ambitions américaines ».

4Kyle Harper, COMMENT L’EMPIRE ROMAIN S’EST EFFONDRÉ. Le climat, les maladies et la chute de Rome. https://www.cairn.info/revue-projet-2019-3-page-96.htm

5La remarque est juste : « L'impitoyable fanatisme religieux des talibans est donc le fruit de décennies de barbarie. Ils ont également été manipulés par le Pakistan, ce pays essayant d'imposer un certain ordre à ses portes ».

6Lire l'excellent ouvrage de Jean Gimpel, « La révolution industrielle au Moyen Age », ed du Seuil 1975.

7L'illettrisme dans les pays les plus arriérés a toujours favorisé les Etats à domination terroriste ; l'islam également a dû son expansion à l'analphabétisme, les intellectuels imam sachant lire pouvait invoquer n'importe quoi. Une forte population paysanne et 60% d'illettrés expliquent plus la montée au pouvoir de Mussolini que l'échec des grèves de 1920. En Allemagne, la victoire électorale (limitée du nazisme) s'explique plus par l'écrasement de la révolution spartakiste.

8Lire l'imposant « Les routes de la soie » de Peter Frankopan (ed Nevicata) : « Tandis que nous nous demandons d'où pourrait venir la prochaine menace, quelle est la meilleure façon d'affronter l'extrémisme religieux, comment négocier avec des Etats qui semblent enclins à bafouer le droit international, comment enfin construire des relations avec des peuples, des cultures et des régions que nous avons cherché peu ou pas à comprendre, réseaux et connexions se tissent calmement sur l'échine de l'Asie ; ou plutôt ils sont rétablis. Les Routes de la Soie reprennent l'ascendant ». (p.628)

9Lire les analyses de Guilluy dans sa conclusion qui est pourtant paradoxal récusant l'explosion démographique mondiale mais soutenant la nécessité d'une régulation des flux. Tout ce qui fera perdre le clown Mélenchon – avec son nouveau slogan démago qui veut piquer des voix à la mère Le Pen : l'union populaire ! Ou populistes ? Ramasseront aussi leurs vestes les sectes politiques écolos et la mère Hidalgo.

10https://proletariatuniversel.blogspot.com/search?q=L%27industrie+du+migrant+ou+le+commerce+des+migrants+%3F

11Les groupuscules plus tellement maximalistes sont capables de se mettre au cul des syndicats pour des revendications et un mouvement plutôt ringard (faisant croire à un avenir pépère) comme celui des retraites, or en réalité terrain miné et manip gouvernementale. Guilluy le décrypte fort bien : « En relançant sa réforme des retraites, le pouvoir adoubait un ennemi faible et sous contrôle : les syndicats » (p.80).

12cf. Guilluy, p.126.