PAGES PROLETARIENNES

jeudi 15 juillet 2021

Au-delà de la colère des bobos antivax

 


« L'essence humaine n'est pas une abstraction inhérente à l'individu isolé. Dans sa réalité, elle est l'ensemble des rapports sociaux ». Marx (Thèses sur Feuerbach(

« Ce n'est pas la conscience des hommes qui détermine leur être ; c'est inversement leur être social qui détermine leur conscience ». Ibid


Incidemment, ayant eu affaire à deux interlocutrices « antivax », je me suis fâché. La première m'expliqua que le passe sanitaire intronisé par la prestation télévisée de Macron, portait atteinte à sa « liberté d'aller au cinéma ». Je me suis insurgé contre cette notion pour le moins hollywoodienne de la liberté. La seconde se mit à déplorer la mise en route d'un dictature digne du 1984 de Orwell sans compter que cela signifiait une atteinte à la « liberté d'opinion ». Là aussi j'éructai que, en période de guerre, comme de révolution ou de pandémie, ce n'est pas d'opinion qu'il s'agit mais de discipline pour le bien de tous et pas de l'avis de mon petit moi, ou de desideratas de la petite bourgeoisie. Mais reprenons calmement, en n'oubliant pas qu'il y a d'autres bourrages de crâne, autrement plus pervers et incessnt que l'agitation sur la pandémie, le bourrage antiraciste, le leçon écolo qui prétend racheter le capitalisme en le faisant payer aux plus pauvres, la perpétuelle faute des tueurs terroristes, etc.

Le Comité d'urgence de l'OMS, conçu par nous comme de gentils plaisantins, a mis en garde jeudi 15 juillet contre la «forte probabilité» de l'émergence de nouveaux variants du coronavirus, «possiblement plus dangereux» ; c'est le possiblement que j'affectionne. En visite dans un centre de vaccination à Chambéry ce jeudi, Olivier Véran a annoncé que « 96% des Français qui ont contracté le Covid-19 la semaine dernière n'étaient pas vaccinés », il ne nous a pas précisé par rapport à quel nombre de personnes et où ; ce qui laisse filer le soupçon de manipulation avec cette campagne insistante pour vacciner tout le monde, même avec les apparences de neutralité bienveillante des médias. Des effets secondaires sont évoqués, comme le syndrome de Guillain-Barré, une maladie neurologique... On ne sait plus qui croire en effet dans ce gloubi boulga d'informations contradictoires.

Incontestablement pourtant depuis le début de la pandémie, il y a deux ans, déjà écoulés, le gouvernement avait pédalé dans la choucroute. On se souvient du salaud de Salomon qui psalmodiait tous les soirs que le masque « ne servait à rien », alors qu'il est objet culte désormais et produit à des milliards d'exemplaires. Mais on a oublié que ce même gouvernement avait exigé, après la blague de la guérison miracle de l'hydroxychloroquine d'un Charlot de Marseille – dès la mise au point des vaccins – que soient vaccinés en premier lieu personnes âgées et personnel soignant. Ce dernier conglomérat avait acquiescé même si un certain nombre de sceptiques s'y était opposé. C'est pourquoi la réaction négative par après de ce même personnel est incompréhensible, étant donné le progrès et l'amélioration des vaccins. Même s'il subsiste des doutes parallèles, les résultats sont là : des millions ont été et sont encore protégés de l'épidémie, malgré la réapparition constante des nommés variants.

Cette soudaine hostilité, après deux années de confinements successifs et d'angoisse plus ou moins exagérée ou tempérée renvoie à une explication plus globale au-delà de ces deux années éprouvantes sans en terminer avec l'épouvante. C'est ce que fait avec brio le rapport du peu connu CCI « Rapport sur la pandémie et le développement de la décomposition »1. Intéressante analyse de la faillite sanitaire, sociale et politique du capitalisme. Cependant il y manque l'explication marxiste de l'individu aliéné et l'analyse de la fausse conception de la liberté en plus sous domination capitaliste. Et deuxio la décomposition2 ne doit pas servir à tout expliquer quand souvent elle n'explique pas vraiment les contradictions, car, comme toujours le CCI a toujours sous-estimé la place et le rôle de la petite bourgeoisie au long de l'histoire du capitalisme, même en Russie révolutionnaire. Mais leur théorie de la décomposition va leur être fatale pour justifier leur messianisme communiste. Décomposition signifie pourrissement de la société, désintégration totale de ce que le capitalisme portait de progressif (et donc dissolution aussi du prolétariat), or ce n'est pas ce que pensait Marx – à moins que ce soit une révélation supposée du capitalisme décadent … mais aussi adonque le deuil de toute société libérée du capitalisme – or Marx comme l'explique très bien Vachet voyait le capitalisme (en particulier sur la question de la liberté) comme étape ultime de son arc historique permettant de sauter dans la société communiste mais pas rendu à l'état de fumier.

De plus, ajoutons que même si le rapport explique bien la réémergence des sectes religieuses et la remise en cause de la démarche scientifique, il y a une tendance à faire croire qu'un « Etat prolétarien » aurait mieux fait et que tout ce que fait l'Etat de Macron serait négatif. Or si l'on peut comprendre que la bande à Macron a réagi avec retard, les mesures actuelles pour autoritaires qu'elles soient s'imposent et s'imposeront même si une partie des marginaux bobos s'y opposent en complète irresponsabilité ; j'y reviendrai car il y a aussi dans le contenu des provocations de la part du gouvernement contre une partie des prolétaires.

LA FABLE DU LIBRE ARBITRE ou des libertés individuelles

La liberté en général n'est pas plus absolue que l'individu n'est parfait. La liberté en régime bourgeois n'existe pas, il en existe des faux semblants, des parodies, des ersatz. Le monde y reste dominé par la nécessité, d'où la célèbre formulation de Marx dans l'anti-Dühring, concernant le communisme : « C'est le bond de l'humanité, du règne de la nécessité, dans le règne de la liberté ».

Dans son pamphlet sur l'idéologie allemande, Marx relativise l'opinion, le libre arbitre, l'indépendance de l'individu : « comme « être en chair et en os », comme être particularisé, historique. Les individus sont toujours partis d'eux-mêmes, mais naturellement d'eux-mêmes dans le cadre de leurs conditions et de leur situation historique données et non pas de « l'individu pur » au sens des idéologues ». Il raille les « robinsonnades » des libéralistes du XVIIIe siècle, Rousseau et cie, dissertant sur 1' « état de nature ». La condition existentielle de l'homme est toujours sa condition sociale3.

Ce n'est qu'au XVIIIe siècle, ajoute Vachet, dans la «société bourgeoise», que les différentes formes de l'ensemble social se présentent à l'individu comme un simple moyen de réaliser ses buts particuliers, comme une nécessité extérieure. Mais l'époque qui engendre ce point de vue, celui de l'individu isolé, est précisément celle où les rapports sociaux (revêtant de ce point de vue un caractère général) ont atteint le plus grand développement qu'ils aient connu. L'homme est, au sens le plus littéral, un animal politique, non seulement un animal social, mais un animal qui ne peut s'isoler que dans la société4.

Pour Marx, ce problème se résout par une révolution qui place le processus productif sous le contrôle collectif des « producteurs immédiats ». Mais la liberté est autre chose. C'est vivre sans labeur, sans angoisse : c'est le libre jeu des facultés humaines. Son accomplissement est un problème de temps : réduire la journée de travail au minimum, substituant la qualité à la quantité. Une société socialiste est une société où le temps libre, et non point le temps de travail, constitue l'étalon social de la richesse et la dimension de l'individu :

« La véritable économie (épargne) porte sur le temps de travail (...) ; mais il se trouve que cette économie correspond au développement de la force productive. Economiser ne signifie donc pas renoncer à la jouissance, mais développer une société d'où exploitation, misère et injustice seront absentes. La théorie de Marx, aussi bien dans sa structure conceptuelle que dans sa pratique politique se doit de « répondre » à la réalité historique en cours : la modification des notions théoriques et de la pratique politique qui en découle fait partie intégrante de la théorie ».

Dunayevskaya et Marcuse, sont les références constantes de Vachet, et c'est Marcuse partant de la compréhension du stade actuel de la société capitaliste, qui montre les « notions » de l'appréhension philosophique de l'économie capitaliste : « Selon Marx, la société capitaliste crée les conditions préalables à une existence libre et rationnelle, tout en empêchant la réalisation de la liberté »5. Dans ce contexte, de décomposition capitaliste (tel que l'analyse le CCI) que se vérifie l'opposition, depuis les débuts de l'ère bourgeoise, entre la liberté individuelle et la liberté collective, mais cette opposition est phénoménale et illusoire car, fondamentalement, la liberté individuelle ne peut être complète sans la liberté collective et la liberté collective ne peut être réelle sans la liberté individuelle. La lutte pour la liberté collective est aussi la lutte pour la liberté des individus, car il ne peut y avoir de société libre sans individus libres, mais il ne s'agit ni de la picrocholine liberté « d'aller au cinéma quand je veux », ni d'imaginer que le droit de vote n'est pas truqué.

Suivons encore Vachet.

La critique que fait Marx de la conception libérale de ces droits et libertés est significative, car sa condamnation tient essentiellement à la dénonciation de leur caractère abstrait par suite de leur fondement exclusif dans l'individu isolé et suffisant. Les droits du libéralisme ne visent pas à l'émancipation de l'homme concret parce qu'il ne vise l'homme que dans sa partialité et dans son abstraction. L'émancipation de l'homme ne peut être réelle sans être totale, impliquant la nature en l'homme comme son rapport aux autres. Ce n'est pas que les droits individuels du libéralisme soient sans signification : ils correspondent à une émancipation politique partielle de l'homme. Ils sont donc un acquis car : l'émancipation politique constitue, assurément, un grand progrès. Elle n'est pas, cependant, la dernière forme de l'émancipation humaine, mais elle est la dernière forme de l'émancipation humaine dans l'ordre du monde actuel. La théorie des droits de l'homme, comme celle de la démocratie bourgeoise qui s'y rattache, sont les étapes les plus avancées de l'idéologie libérale et de l'organisation capitaliste de la société, mais de plus en plus illusoires et ridicules. Marx rejette ces droits du libéralisme parce qu'ils consacrent «la séparation de l'homme, de sa communauté, de lui-même et des autres hommes ». Ils reposent sur une fragmentation de la totalité humaine individuelle :

« On fait une distinction entre les « droits de l'homme » et les «droits du citoyen». Quel est cet «homme» distinct du citoyen ? Personne d'autre que le membre de la société bourgeoise. Pourquoi le membre de la société bourgeoise est-il appelé « homme », homme tout court, et pourquoi ses droits sont-ils appelés droits de l'homme? Qu'est-ce qui explique ce fait? »6.

Par le rapport de l'État politique à la société bourgeoise, par l'essence de l'émancipation politique, Marx décrypte qu'il faut constater avant tout le fait que les « droits de l'homme », distincts des «droits du citoyen », ne sont rien d'autre que les droits du membre de la société bourgeoise, c'est-à-dire de l'homme égoïste, de l'homme séparé de l'homme et de la communauté. La « liberté » bourgeoise ne repose pas sur les relations de l'homme avec l'homme mais plutôt sur la séparation de l'homme d'avec l'homme : « C'est le droit de cette séparation, le droit de l'individu limité à lui-même. Cette séparation est si réelle qu'elle prend des formes matérielles. L'application pratique du droit de liberté, c'est le droit de propriété privée (...) Le droit de propriété est donc le droit de jouir de sa fortune et d'en disposer «à son gré», sans se soucier des autres hommes, indépendamment de la société; c'est le droit de l'égoïsme. C'est cette liberté individuelle, avec son application, qui forme la base de la société bourgeoise. Elle fait voir à chaque homme, dans un autre homme, non pas la réalisation mais plutôt la limitation de sa liberté ».

Marx reproche à la bourgeoisie, non seulement d'avoir limité les droits et libertés et donc de les avoir rendus illusoires en tant qu'ils ne se rapportent pas dans leur forme abstraite à la libération de tout l'homme, mais aussi d'avoir « substitué aux nombreuses libertés, si chèrement conquises, l'unique et impitoyable liberté du commerce ».

Marx rejette donc les droits de l'homme issus de la Révolution française parce que, s'ils font de l'homme une totalité, celle-ci est fermée et abstraite. Ils le coupent réellement de son extériorité, de sorte que celle-ci est elle-même libérée de l'humain7.

Cette critique des droits et libertés qui débouche sur la critique de l'Etat fonde positivement l'émancipation réelle de l'homme et, par suite, ses droits en tant qu'expression et réalisation de cette émancipation : Toute émancipation n'est que la réduction, du monde humain, des rapports, à l'homme lui-même. L'émancipation politique, c'est la réduction de l'homme d'une part au membre de la société bourgeoise, à l'individu égoïste et indépendant, et d'autre part au citoyen, à la personne morale. L'émancipation humaine n'est réalisée que lorsque l'homme a reconnu et organisé ses forces propres comme forces sociales et ne sépare donc plus de lui la force sociale, sous la forme de la force politique. Le droit à la différence signifie donc d'abord le maintien de la spécificité et de l'identité de l'individu, mais dans la croisée des rapports entre la nature, la raison et la société.

Le droit à la différence maintient l'extériorité de l'individu mais évite de le réduire, comme totalité, à cette extériorité ou bien à sa particularité ou à sa partialité. Il faut dépasser les particularités. C'est sur cette base que le marxisme retrouve ou devrait retrouver les droits de l'homme qui prennent alors un sens et un contenu nouveau et réel. Ils ne jouent plus seulement un rôle «défensif» et abstrait à l'égard du pouvoir mais aussi un rôle positif en ayant pour contenu la réalisation de l'humain dans son intégralité. Ils ont perdu leur partialité et leur « partiellité » qui réduisaient l'homme à l'individu isolé, opposé à son extériorité, à l'individu « privé ».

Son existence est «publique», autre existence et existence comme autre (aliénation). Ces droits sont devenus la condition même de la naissance et de l'affirmation de « l'individu délivré de l'individualisme ». La Déclaration des droits n'est plus rejetée mais complétée, estimeVachet.

Les droits trouvent un contenu qui en restitue l'intégralité. Ainsi réapparaissent dans ce sens non seulement les droits dans leur formulation ancienne, droit à la liberté, à la liberté de parole, d'association, etc., mais dans de nouvelles formulations, droit au travail, à l'éducation, à la santé, au temps libre, droit à la ville, à la vie urbaine, droit à la modernité, c'est-à-dire droit à l'imaginaire, droit au possible, droit à l'autogestion généralisée, industrielle, urbaine, territoriale, droit à la spécificité individuelle, mais aussi à la spécificité culturelle, morale, nationale, etc. Les droits de l'homme, de l'homme réel, totalité ouverte, sont aussi restitués, mais sans « l'indifférence » qui les grevait dans la Déclaration libérale et qui en supprimait immédiatement l'universalité concrète pour n'en garder que la forme abstraite. L'indifférence qui est refus ou impossibilité de l'ouverture permet l'entreprise du pouvoir. C'est dans ce sens que Marcuse a dénoncé avec raison la «tolérance répressive» du libéralisme qui, tout en affirmant les droits de la vérité, se retire indifférent permettant au pouvoir d'imposer « sa » vérité.

L'emploi abusif qui est fait généralement du mot liberté en bannissant l'usage — Marx soutient que la société capitaliste crée les conditions préalables à une existence sans labeur, pauvreté, injustice ou angoisse, tout en perpétuant labeur, pauvreté, injustice et angoisse.

Marx ne conteste pas la « valeur » d'un tel objectif. Il accepte l'« humanisme » non point comme une philosophie parmi d'autres, mais comme un fait, ou plutôt une possibilité historique ; selon lui, il est possible d'établir les conditions sociales permettant la réalisation de l'« individu complet », en modifiant les conditions sociales établies qui empêchent cette réalisation. Il accepte la « valeur » d'une société humaine (le socialisme) comme norme de pensée et d'action, de même qu'on accepte le critère de santé comme point de repère pour le diagnostic et le traitement d'une maladie. La théorie marxiste ne décrit ni n'analyse l'économie capitaliste « en soi et pour soi », mais en fonction d'une autre économie, à savoir les possibilités historiques devenues objectifs réalistes pour l'action. En tant que théorie critique, le marxisme est bidimensionnel dans tous ses aspects : ne compare-t-il pas la situation présente de la société à ses potentialités objectives-historiques ? Ce caractère bidimensionnel se traduit dans l'union entre philosophie et économie politique : la philosophie de Marx est une critique de l'économie politique, et chacune des catégories économiques est une catégorie philosophique. Dans sa discussion sur Le Capital, Dunayevskaya montre bien cette union entre philosophie et économie politique : les analyses économiques les plus techniques du procès de production et de circulation sont, chez Marx, aussi étroitement liées à sa philosophie humaniste que sa critique d'Hegel et ses thèses sur Feuerbach.

Aussi longtemps que dans son combat avec la nature l'homme devra fournir son propre travail pour assurer son existence, une organisation sociale du travail vraiment rationnelle est la seule réalisation possible. Etablir une telle organisation à un stade avancé d'industrialisation est un problème «purement » politique. Pour Marx, ce problème se résout par une révolution qui place le processus productif sous le contrôle collectif des « producteurs immédiats ». Mais la liberté est autre chose. C'est vivre sans labeur, sans angoisse : c'est le libre jeu des facultés humaines. Son accomplissement est un problème de temps : réduire la journée de travail au minimum, substituant la qualité à la quantité. Une société socialiste est une société où le temps libre, et non point le temps de travail, constitue l'étalon social de la richesse et la dimension de l'individu :

« La capacité de jouissance est une condition de jouissance, et même son moyen premier : cette capacité correspond au développement d'une disposition individuelle et d'une force productive. (…)

« Economiser du temps de travail c'est accroître le temps libre, c'est-à-dire le temps servant au développement complet de l'individu, ce qui agit en retour sur la force productive du travail et l'accroît (...) Il va de soi, au demeurant, que le temps de travail immédiat ne peut rester enfermé dans sa contradiction abstraite au temps libre — comme c'est le cas dans l'économie bourgeoise. Le travail ne peut devenir jeu » (…) «Le temps libre — pour le loisir aussi bien que pour les activités supérieures — transformera tout naturellement celui qui en jouit en un individu différent ».

Laissons conclure Vachet :

C'est pourquoi Marx voit la révolution socialiste comme l'événement final du capitalisme parvenu à sa maturité. Mais la relation entre socialisme et industrialisme avancé n'est pas de nature purement économico-technologique. Elle implique le développement des facultés humaines qui préparent à l'avènement de l'individu libre (voir l'« individu complet » de Marx), et en particulier le développement de la « conscience ». Dans la pensée marxiste, ce terme revêt une signification bien spécifique : il désigne la prise de conscience des potentialités données de la société, de leur distorsion et de leur suppression, autrement dit c'est la conscience de l'écart séparant l'intérêt réel de l'intérêt immédiat. La conscience est donc conscience révolutionnaire qui exprime « la négation déterminée » de la société établie et, comme telle, elle est conscience prolétarienne. Mais pour qu'une telle conscience se développe, il faut l'institutionnalisation des droits civils et politiques, tels que les libertés de parole, de réunion, d'organisation, de la presse, etc., dans la mesure où la société capitaliste avancée peut se le permettre. En insistant sur le rôle préparatoire de la démocratie pour l'avènement du socialisme, Marx n'use pas d'un langage couvert ou allégorique ; il exprime, au contraire, un des concepts fondamentaux de sa méthode, en rien infirmée par sa distinction tout aussi ferme entre démocratie « bourgeoise » et démocratie socialiste.

Cinquante ans après ces écrits et commentaires lumineux, on pourrait ici en raconter des tonnes sur une société de surveillance généralisée, où il y a un flic dans votre ordi comme dans votre chambre à coucher, et des moyens électroniques pour vous suivre jusque dans vos chiottes, condition de vie moderne obsédante qui explique plus que tout la paranoïa générale et les théories du complot universel. Mais le délire de certains ne peut pas nous empêcher d'avoir une pensée rationnelle, de ne pas tout comprendre ni de passer son temps à critiquer l'Etat bourgeois actuel quand il lui prend de jouer a minima le rôle d'assistante sociale et d'infirmière pour temps de pandémie.

« À la vérité, le règne de la liberté commence seulement à partir du moment où cesse le travail dicté par la nécessité et les fins extérieures ; il se situe donc par sa nature même au-delà de la sphère de la production matérielle proprement dite (...) L'empire de la nécessité n'en subsiste pas moins. C'est au-delà que commence l'épanouissement de la puissance humaine qui est sa propre fin, le véritable royaume de la liberté, qui cependant ne peut fleurir qu'en se fondant sur le royaume de la nécessité ». Le capital tome II.


LE PRURIT COLERIQUE DE LA PETITE BOURGEOISIE

Avec leur liberté conçue comme une « opinion », les petits bourgeois ne comprennent pas la nécessité d'une centralisation en période de grave pandémie, le CCI en partie aussi puisqu'il considère à un endroit dudit rapport que la centralisation avec la nationalisation apportait plus de mal que de bien (la nationalisation a bien fortement contribué à la reconstruction du pays). L'imposition de la vaccination généralisée est ce qui était envisagé il y a deux ans mais sans les moyens de la rendre opérante. Tout le monde convenait que ce serait une solution idéale. Mais désormais c'est révoltant, « Macron joue sur les peurs » ; des manifestants défilent en criant « liberté, liberté », « Non à la vaccination obligatoire ! », « on n'est pas des cobayes », « blouses blanches = gilets jaunes ». « L’État policier se renforce, avec 400 000 procès-verbaux qui ont été délivrés pour non-respect du confinement » (Médiapart).

La droite bourgeoise relève le nez : « l'atteinte aux libertés est disproportionnée, c'est un défi de civilisation ». Oubliés les milliers de morts et les confinements sagement respectés.

Les propos les plus indécents se veulent une critique sérieuse du gouvernement « totalitaire ». Or, comparer la Covid à la grippe saisonnière est une bêtise mensongère ; affirmer que les moins de quarante ans sans comorbidités ne risquent rien est une erreur et une honte, il risquent à minima de le transmettre aux autres; parler de documents de santé pour une vaccination ou un test PCR est un jeu avec les mots abusif et à visée malsaine; relever que la mise en place de ces mesures est exagérément courte est une éloge à l’attentisme qui n’est pas de mise aujourd’hui.

Comme les restrictions en temps de guerre oui de révolution, des mesures sanitaires d'urgence ne sont pas en soi criminelles, honteuses ou bourgeoises !

La capacité de « jeune Etat prolétarien », même si j'en avait signalé les aspects positifs un an avant que le CCI ne s'y intéresse, j'ai des doutes, malgré un compte-rendu très bureaucratique, à avaliser sa prétendue efficacité supérieure aux autres Etats en guerre. Partout c'est la guerre mondiale qui a généralisé la grippe espagnole. La majorité des autorités civiles et militaires ont renoncé à toute politique de cordon sanitaire. Il n’y a eu pas eu de fermeture de frontières (sauf au Portugal) et très peu de mesures de quarantaine. A l’égard de la vie civile, il fallait avant tout préserver la vie économique et sociale, au détriment de mesures autoritaires de restriction de la circulation ou de l’activité. Quant à la vie militaire, la ligne de conduite du commandement, dans les pays belligérants, fut de constamment privilégier, à court terme, le maintien des effectifs et la sauvegarde des troupes en état de combattre, c'est à dire de crever par balle ou du fait de la pandémie. Les services de santé ont été dans le déni, non de la maladie mais de son lien avec la guerre.

La bourgeoisie a affaire aujourd'hui à un prolétariat qui n'est pas en guerre, pas soumis et Macron a compris, même s'il ne connaît pas l'histoire autant que nous, qu'il ne fallait pas rester inactif, et, malgré le tohu-bohu du milieu petit-bourgeois hospitalier8.

 local clandestin du CCI (985)

Les critique de l'incompétence des Etats capitalistes peuvent être reprises par les bobos en colère, irresponsables qui se servent de la critique abstraite pour attendre et ne rien faire, voire attendre la triste « révolution écologique ». Pourtant leur rapport souligne justement l'irresponsabilité criminelle des Bolsonaro et Trump, et en soulignant l'essentiel dont se fichent les zozos verts et jaunes : « 
les différentes bourgeoisies nationales ont échoué à coordonner leurs actions (…) le déploiement lent et chaotique de la campagne de vaccination soulignent une fois de plus les difficultés de l’État à gérer adéquatement la pandémie. La succession de mesures contradictoires et inefficaces a nourri un scepticisme et une méfiance croissants dans les populations envers les directives des gouvernements (…) La crise du Covid-19 a provoqué une explosion sans précédent de visions complotistes et anti-scientifiques, qui nourrissent la contestation des politiques sanitaires des États. Les théories conspirationnistes foisonnent et répandent des conceptions totalement fantaisistes concernant le virus et la pandémie. Par ailleurs, les dirigeants populistes comme Bolsonaro ou Trump ont exprimé ouvertement leur mépris pour la science. L’extension exponentielle de la pensée irrationnelle et de la mise en doute de la rationalité scientifique au cours de la pandémie est une illustration frappante de l’accélération de la décomposition ».

Accélération de la décomposition, et comment ce système « si décomposé » a-t-il pu trouver les ressources pour inventer, assez rapidement, des vaccins efficaces quoi qu'on dise ? La description de cette décomposition reprend les mêmes termes et circonlocutions de ce qu'il décrivait de la crise depuis des décennies : « Comme un boomerang, les pires effets de la décomposition, que le capitalisme avait repoussé pendant des années vers la périphérie du système, reviennent frapper de plein fouet les pays industrialisés, qui sont maintenant au centre de la tourmente et loin d’être débarrassés de tous ses effets ». Or cette pandémie est accidentelle, à la limite on peut même dire que ce n'est pas la faute au capitalisme, mais par contre que le capitalisme peine à y faire face, en particulier par le jeu à Colin maillard des scientifiques et des labos vénaux.

Faux local de RI-CCI

Il n'est pas vrai non plus que l'Etat a perdu le contrôle de la société. Il a toujours su rebondir surtout face aux émeutes petites bourgeoises interclassistes (gilets jaunes, racailles des banlieues, etc.) ; preuve de plus qu'il a besoin des émeutes petites bourgoises pour s'en servir face au prolétariat, comme je l'ai déjà dit aussi, de même avec les faits divers et une magistrature corrompue et cynique. Mais laissons leur une bonne conclusion, même en attendant Godot-prolétariat :

« Toute révolte contre l'État n’est pas toujours un terrain propice pour le prolétariat : au contraire, elles le détournent de son terrain de classe pour l’entraîner sur un terrain qui n’est pas le sien ».

SUR LA PUNITION PROMISE AU PERSONNEL SOIGNANT


Je ne crois pas aux licenciements promis « pour faute professionnelle » (franchement nos héros du quotidien ne le méritent pas!), ou alors Macron est maso et serait résolu à confronter une grève massive. C'est juste une menace, qui a d'ailleurs très bien fonctionné : trois millions de personnes font désormais la queue pour être vaccinées !

Les peines promises sont curieusement « graduées »... on laisse même du temps aux impétrants, des délais jusqu'en septembre... et la majorité de la population est derrière cette possible punition...

Des contrôles, et des sanctions mais comment et lesquelles ? S'il s'avère qu'un soignant n'a pas été vacciné et refuse de recevoir les injections, il pourra écoper d'une suspension du contrat de travail - et donc, de son salaire - pour une période allant d’«un à six mois», selon les détails communiqués par la ministre du Travail, Élisabeth Borne. Si le salarié persiste dans son refus de se faire vacciner, il risque alors une «mise à pied» de quelques jours, voire un «licenciement».

Le gouvernement n'a en revanche pas précisé pour quelle «faute» le licenciement serait prononcé devant la loi. Il existe différents types de fautes reconnues en droit: la faute simple (absences répétées, par exemple), la faute grave (une violation des obligations du contrat de travail) et la faute lourde (une faute visant intentionnellement à nuire à l'employeur). Or seules ces deux dernières catégories peuvent être précédées d'une mise à pied dès que l'employeur prend conscience de la faute, il faut donc considérer que c'est l'une d'elles qui sera invoquée en cas de refus de la vaccination.

Dans les deux cas, le licenciement ouvre droit à l'allocation-chômage du salarié, explique Isabelle Mathieu, avocate spécialisée en droit du travail : «Le licenciement pour faute grave, tout comme celui pour faute lourde ou même l'abandon de poste (un licenciement qui suit une longue période durant laquelle ne s'est pas présenté au travail) sont actuellement suivis d'une indemnisation», explique l'avocate. En effet, conformément à l'article 5421-1 du Code du travail, les salariés privés involontairement d'emploi - c'est ici le cas des soignants - ou dont le contrat a été rompu conventionnellement ont droit à cette allocation.

Tout ça pour ça ! Alors qu'il aurait été plus simple et moins dangereux socialement de menacer de déplacer les récalcitrants par exemple dans le vrai boulot de soignant : aide-soignants ou à la place des femmes de ménage !


NOTES

1https://fr.internationalism.org/content/10505/rapport-pandemie-et-developpement-decomposition. Le terme rapport fait certes ringard et ridicule, pour un minuscule congrès dont le rapporteur est le même depuis 50 ans, quand les douze ou quinze congressistes n'y changent que deux ou trois virgules. Beaucoup de répétitions depuis 50 ans, mais il faut reconnaître une certaine actualisation lucide chez le maître d'oeuvre, qui eût certes mieux réussi comme sociologue que comme chef obscur d'un parti minuscule.

2« Au début du 21e siècle, l’extension de la décomposition se manifeste avant tout par l’explosion du chacun pour soi et du chaos sur le plan impérialiste. (cf. rapport du CCI)

3 Lire l'excellent André Vachet : « La dialectique de l’individu et de la collectivité dans la pensée de Marx Remarques pour une esquisse d’une théorie marxiste desfondements des droits et des libertés humaines ». (1973)

https://www.erudit.org/fr/revues/philoso/1975-v2-n1-philoso1316/203021ar.pdf

4Remarque judicieuse de André Vachet et avec pour références les Manuscrits de 1844, et la Contribution à la critique de l'économie politique..

5 Marcuse (Marxisme et liberté)

6Marx encore in La question juive.

7 MARX, Manifeste communiste, La question juive et Contribution à la critique de la philosophie du Droit de Hegel.

8Le CCI a toujours fermé les yeux sur l'aristocratie ouvrière, qui caractérise par un état d'esprit hautain, comme les infirmières (méprisantes envers les aide-soignantes), les profs, les conducteurs de train et les lignards EDF.