PAGES PROLETARIENNES

jeudi 21 janvier 2021

MISERE DU MORALISME « PROLETARIEN »

 


Les communistes ne prêchent aucune morale.

Marx (La Sainte Famille)

à Jeannette Colombel

Pourquoi revenir sur cette « morale prolétarienne » inventée par le CCI, alors que j’ai déjà répondu dans certains de mes livres, ou en particulier dans deux articles de ce blog[1] ? D’abord parce que, par hasard, je suis tombé sur une ancienne réplique datant de 2009 par Marcel de Controverses « Morale et matérialisme historique » puis une autre de l’ex-fraction interne du CCI devenue FGCI « Morale prolétarienne, lutte des classes et révisionnisme ». Si le débat « philosophique » n’a pu avoir lieu à l’intérieur car incongru, inusité, paradoxal et réactionnaire, on a été trois au moins à l’extérieur à faire part de notre pitié plus qu’effarement, désolation plus qu’étonnement.

Pour mieux clarifier ma critique des fois que la covid aurait atteint les neurones du CCI ou ce qu’il en reste.

 Les deux auteurs sont deux anciens responsables de l’organe central, qui ont été exclus, qui restent des personnes tout à fait estimables, et notoirement cultivées politiquement. Le premier s’attache à démonter sur six questions l’infatuation et l’incompétence de l’auteur du texte qui avait fait l’objet d’un congrès en 2004 : « Texte d’orientation sur la question de la morale » ; il montre que nos grands maîtres du dix-neuvième, pas si savants, et le congressiste moraliste n’ont jamais bénéficié ni pu étudier les progrès de la connaissance moderne dans le domaine de l’anthropologie et de l’ethnologie ; sur les rapports entre générations, l’esclavage, le vol, le meurtre, etc. Conférer à cette idiotie du théoricien moraliste : « la noble simplicité des principes communautaires de la société primitive », il y était ou il a vu cela en BD à la télé ?

Le texte « d’orientation » n’est qu’une désorientation complète du marxisme, et une plongée dans l’idéalisme le plus navrant. Je ne lui trouve qu’une faiblesse à notre ami belge, s’appuyer un peu trop sur la morale de Trotsky qui n’est pas très morale[2].

Le second auteur, probablement Juan, se livre à une démonstration allégée, qui ne remonte pas jusqu’au chimpanzé. Il souligne justement que la morale n’est pas invariable au cours des siècles. S’il remarque correctement que le marxisme a toujours en premier lieu axé sa lutte sur la dénonciation de la mystification de la morale, il fait lui aussi une théorisation d’une véritable « morale prolétarienne » mais à l’époque moderne en désignant comme principaux ennemis l’individu et la nation. Il ne voit pas lui non plus que l’immigrationnisme détruit l’internationalisme et répète le plus souvent les mêmes formules périmées apprises dans le CCI. Il confond lui aussi conscience et morale. Il commet la même hérésie idéaliste du CCI selon laquelle c’est la morale qui impulserait la lutte de classe et pas les besoins du prolétariat. Enfin il fait lui aussi un abus de citations du moraliste ambigu Trotsky, ex-général de l’armée rouge pour qui tous les moyens sont bons puisqu’il a fait tirer sur Kronstadt sans autre état d’âme que sauver la nation « prolétarienne ».

Au fond pour tous ces auteurs, le marxisme ne serait au fond qu’une nouvelle « religion morale ». Je ne vais donc pas revenir sur leurs différentes approximations, quoique certaines ne soient pas dénuées d’intérêt (vous pouvez les lire sur le web). Je note simplement qu’ils n’ont pas été choqués comme je le fus à l’époque – je travaillais sur le tome III de l’œuvre non consentie de Marc Chirik – par le fait qu’une organisation politique, dite communiste et révolutionnaire, tienne son 17ème congrès sur une question philosophique. La philosophie que je sache n’est pas un instrument d’action politique ! J’ai imaginé aussi avec compassion la plupart des militants, incultes dans ce domaine, venus adhérer à un combat politique où chacun doit et peut s’exprimer selon sa conscience sur des questions et des orientations politiques, soudainement plongés dans un débat académique où seuls deux ou trois beaux parleurs pavanèrent avec quelques néophytes exposant des questions d’incultes complexés…[3]

J’en avais décrit le déroulement à plusieurs reprises de ces congrès : « Les congrès c'était la messe. Textes et résolutions déjà tout prêts, plus qu'à lever la main, comme dans les partis bourgeois. Ciliga, qu'ils citent, décrit très bien le déroulement des congrès du CCI : « Les séances étaient moyennement ennuyeuses. Pour les participants, les séances publiques étaient un pur verbiage. Tout se décidait dans les coulisses ».

Je découvris - « le rôle dirigeant de l'organisation dans le développement de la conscience de classe ». Quoique ne prétendant ni diriger l'Etat, ni personne, je suis rassuré que le groupe veuille diriger la conscience. Il peut toujours essayer, personne ne l'en empêchera. Malgré ses crises « l'organisation a toujours été capable d'élever son niveau théorique et de clarifier les questions ». Le contraire nous eût désolé.

C'est avec cet ornithorynque « morale nouvelle » que ma vue s'est troublée en même temps que mon entendement. Il faudra que je leur envoie mes questions, qu'on m'explique :

·      Les origines de la morale dans les instincts sociaux de l'espèce humaine ? (J'ai demandé à Michel Serres, encore en vie, et à Albert Jacquard, ils ont été incapables de me répondre).

·      La dissolution graduelle des valeurs sociales (lesquelles? )

·      L'amoralisme ambiant (lequel? )

·      Pourquoi le capitalisme se porte-t-il mieux qu'en 1989 ?

·      La dissolution des liens de solidarité à la base de la société humaine ?

·      La dissolution des valeurs morales établies par la société ?

·      Quelle morale a été rejetée après 68 ?

·      C'est quoi la « perversion de l'éthique du prolétariat » ?

APOLOGIE DU PROGRES ET SUS A L’INDIVIDU !

En général, toutes les sectes, organisations ou partis qui se déclarent marxistes vous font toujours, cycliquement un discours criminalisant l’individu, celui-là même qui s’était forgé contre l’aliénation religieuse. Avoir le sens du collectif était un des critères pour adhérer au parti stalinien, et chacun sait désormais de quoi il en retournait[4]. Ce qui domine dans ce texte qui date d’une quinzaine d’années, devenu objet sacré intouchable, c’est le mot progrès, utilisé au moins cinquante fois alors que Marx l’a certainement utilisé moins de dix fois au cours de sa vie de polémiste. Sans oublier les termes invraisemblables d’« évolution morale » !

En vérité, reliez-le donc, sous le capitalisme il n’y a jamais à proprement de progrès sous le capitalisme, mais le théoricien œcuménique du CCI nous a inventé un « progrès moral ». Chaque phrase chaque ligne de ce galimatias de désorientation aurait fait rire Marx et Engels. C’est l’invention d’une morale dont Marx ne voulait pas du tout. Le dogmatisme stalinien considérait le progrès comme évident, linéaire et mécanique, tout en se méfiant et en « culpabilisant » moralement tout contradicteur intra-muros ; le texte religieux d’orientation sert fort probablement de fléau interne pour terroriser tout impétrant ou futur « policier » qui doute de l’onctuosité de la secte paranoïaque. Le stalinisme « marxiste » avait substitué le mythe à la méthode, quoique cette « morale prolétarienne » débouchât sur des procès en inquisition ! La théorisation de la morale mène au stalinisme mais aussi, comme on va le voir, à la mort politique.

Le pouvoir a toujours besoin de se baser sur le sentiment de culpabilité (c’est bien dans le CCI que j’ai entendu « il faut culpabiliser les ouvriers », celle qui me lit se reconnaîtra), et le CCI, contrairement aux gauchistes, n’hésite pas à humilier la classe ouvrière[5] ; et avec son néologisme répétitif « la progromisation ») il dénonce gilets jaunes et toute couche intermédiaire en révolte comme futurs exterminationnistes[6]. Ce sentiment de culpabilité il faut l’entretenir et le développer. Il est basé sur les mêmes critères de la morale chrétienne et l’investigation policière. C’est le règne de la terreur, bien sûr au même niveau invisible que les petits persécuteurs des réseaux sociaux. La morale « prolétarienne » fait office de discipline pour autant qu’elle empêche de penser.  L’aliénation est du même ordre que celle des morales transcendantales. L’initiative est condamnée comme individualiste et vouée au bûcher des vanités. C’est le progrès !

DIALECTIQUE DES BESOINS OU PRIERE OECUMENIQUE ?

L’individu, disait Marx après Fichte, est l’ensemble de ses relations sociales. L’erreur de Kant est d’avoir fait du « devoir être » une expérience privilégiée. Le « devoir être » est présent dans tous les moments de notre existence comme humain, mais sans forcément le sentiment du devoir : j’ai conscience de moi par la présence des autres en moi, laquelle se manifeste par le langage et mon implication dans tel ou tel travail. C’est avec le travail que naît l’homme, dit aussi Marx. L’homme crée ses valeurs en même temps que ses besoins.

Le besoin n’est pas seulement individuel mais sociale. Il prend la forme de la nécessité historique sous la revendication. La révolution prolétarienne devient la valeur fondamentale dans le processus confus de la simple révolte. La révolution est le champ du possible et pas du religieux. La nécessité du communisme n’est pas une certitude scientifique. Le possible du communisme n’est pas un jugement moral mais ce qui sous-tend le mouvement réel de la volonté d’émancipation. Marx ajoute : « La morale, entendons la morale qui se justifie par rapport à une valeur idéale, c’est l’impuissance mise en action ».

Le sens de l’histoire n’est pas une quelconque nécessité théologique, une fatalité incontrôlable, mais repose sur la lutte du prolétariat. Cette lutte porte en elle une possible organisation planétaire des besoins et des espérances de fin de l’aliénation et de l’exploitation. Toutes les morales dominantes n'ont été jusqu’ici que des formes renouvelées de l’aliénation.

Pédagogues officiels, politiciens moralistes comme militants déçus d’une classe ouvrière atone, supposée endormie ou dissoute, ne font que véhiculer des morales périmées.

La décomposition ou l’implosion du capitalisme, tout comme les failles des religions ne peuvent être suppléées par l’invention d’une nouvelle morale. Revendiquer une « morale matérialiste » ne vaut pas mieux que la « morale spiritualiste » pour décerner un brevet de moralité à la classe ouvrière ou au militant qui en est réduit à être un acteur de clavier. Dès qu’on reste sur le terrain de la morale, l’équivoque guette. La morale dominante reste perçue par les dominés comme hypocrisie et corruption. Il n’y a pas besoin du pasteur Niewenhuis, de Gorter ou de Rosa Luxemburg pour le leur expliquer. Le terme éthique conviendrait mieux comme questionnement autour de la question idéologique de la morale. Lénine ne théorise pas vraiment une moralité « prolétarienne », l’usage du mot qu’il fait renvoie plus à la notion plus étroite de solidarité [« discipline solidaire et cohérente, lutte consciente des masses contre les exploiteurs » dixit Lénine] c’est une morale de combat politique :

« Toute morale… empruntée à des conceptions extérieures à l’humanité, extérieures aux classes, nous la nions. Nous disons que c’est là tromper, duper les ouvriers et les paysans et leur bourrer le crâne pour le profit des grands propriétaires fonciers et des capitalistes. Nous disons que notre morale est entièrement subordonnée aux intérêts de la lutte des classes du prolétariat. Notre morale dérive de la lutte de classe du prolétariat ».

La morale suppose de « corriger la faute », là où il n’y a ni faute ni responsabilité, ce en quoi elle aboutit non à la prise de conscience mais à la paralysie. Elle reste du domaine de l’aliénation, du conditionnement intériorisé à obéir. Les hommes restent tous, prolétaires comme bourgeois prisonniers de la morale dominante comme l’explique Engels : « En dernière analyse, consciemment ou inconsciemment, les hommes puisent leurs conceptions morales dans les rapports pratiques sur lesquels se fonde leur situation de classe dans des rapports économiques dans lesquels ils produisent et échangent ». Les médiations diverses de l’Etat, partis, syndicats, clergés divers soutiennent cette fiction d’une morale commune. Il n’y a pas création d’une nouvelle morale lorsque les classes entrent en conflit, mais une rupture. Lors de la grève par exemple, à un certain moment il y a rupture de l’ambigu « contrat moral » ; d’ailleurs le patron ne reconnaît pas une nouvelle morale en face de lui, ni une anti-morale mais une immoralité, un acte illégal, au fond une pensée illégale.

La désobéissance de la classe exploitée, par le fait de sa lutte, n’élimine pas la « morale commune » sinon la concertation ou le compromis seraient impossible. Des siècles durant les morales successives n’ont pas progressé vers une désaliénation mais plutôt par accumulation de couches successives pas toujours confondues, le plus souvent mêlées. Les morales de la classe dominante se sont ajustées aux étapes successives ; qu’on pense au racisme convivial au temps du colonialisme et à l’anti-racisme œcuménique au temps de l’immigrationnisme vertueux plus soucieux de compenser la dénatalité que du sort réel des migrants et des nationaux. La base de cet immigrationnisme onctueux fait partie de la digestion de la morale chrétienne féodale, tout comme la fierté islamique de ne pas s’intégrer au monde moderne fait partie d’une survivance féodale non digérée. Les deux survivances font la paire pour diviser le prolétariat et faire passer la classe dominante pour « plus évoluée »… moralement.

Dans sa période de crise historique depuis le début du vingtième siècle, même si comme les intellectuels belges vous refusez le terme décadence, le capitalisme ne peut plus assumer une série de valeurs morales classiques (du type nationaliste primaire ou fasciste), il est donc contraint de s’adosser aux religions les plus féodales au nom du libéralisme éternel et multiracial. Cette morale se rattache complètement au passé en ce qu’elle vise à dissoudre la classe ouvrière dans le peuple indistinct et gadget à démagogue. Aussi en est-il réduit à mettre en scène deux idéologies, qui excluent toute autre possibilité de confrontation, l’une sans-frontiériste, qui sert à ridiculiser l’internationalisme classique du mouvement ouvrier, et l’autre que pour faire simple je nommerai national-populiste, lequel sert à ridiculiser la population autochtone qui voit débarquer un autre mode de vie et des contraintes (féodales) et par conséquent la classe ouvrière autochtone qui a le tort d’y voir des concurrents comme les ouvriers anglais considéraient les ouvriers irlandais au XIXème siècle ; et que les révolutionnaires de la « morale prolétarienne » s’efforcent de « culpabiliser » (c. le CCI et les islamo-gauchistes), afin de soit combattre le racisme, soit les convaincre qu’ils ne sont que des frères de classe bienveillants à l’assaut du ciel, d’un côté musulman, de l’autre terre à terre.

Enfin dans la guerre des citations, ni Marx ni Lénine ne sont de nouveaux Saint Paul ou Mahomet, ils restent deux des plus grands théoriciens de l’histoire du prolétariat, mais ils ne sont ni une bible ni des conseillers infaillibles. Ils ont été eux aussi un produit de l’étonnante histoire du développement des forces productives comme Voltaire et tant de philosophes. De même on ne peut pas réduire le marxisme à un simple dépassement des Kant, Hegel et Feuerbach, dont Marx a beaucoup appris avant de leur retourner sa critique ; sur certains points il a d’ailleurs encore tort face à Feuerbach sur la question de la laïcité ; Engels a avoué que dans leur jeunesse, Marx et lui, furent « feuerbachiens ».

Le texte du 17ème congrès est une sorte de revanche sectaire et emphatique pour faire oublier toutes les prévisions qui motivaient le groupe depuis deux décennies : les « affrontements de classe » tant fantasmés et désirés n’ayant pas eu lieu, ni grève de masse rédemptrice (quoique le radotage sur la Pologne 80 soit toujours de mise) ni décadence finale, pourquoi ne pas prier au niveau transcendantal ? Au point d’inventer un marxisme prométhéen, science encadrant et enveloppant toutes les sciences, grâce à la « force morale » de la classe ouvrière ![7]

Ce long plaidoyer fumiste d’une classe ouvrière moralisatrice et sauveuse de l’humanité tout au long de l’histoire relève évidemment de la psychologie religieuse ; c’est un catéchisme de secte qui fuit la réalité. Où est la morale du prolétariat pendant les affres de la colonisation ? Le prolétariat s’est-il soucié de l’extermination des juifs pendant 39-45 ? Doit-on faire la morale au prolétariat pour cette apparente indifférence ou impuissance ?

En réalité ce que notre théoricien moraliste est incapable d’analyser, c’est que si évolution morale il y a c’est du fait du développement et de la croissance des forces productives (dont l’Etat-nation n’est qu’une étape limitée) au cours des deux derniers siècles où ce n’est pas la classe ouvrière qui directement proteste contre ce qui est immoral ou moral mais cela se traduit par l’apparition de penseurs courageux qui se font les interprètes de ce qui serait meilleur pour l’humanité, c’est à travers les découvertes techniques, médicinales, et même les œuvres d’art que se produit une évolution qui n’est pas forcément consciente ni maîtrisée. C’est l’exigence des besoins du prolétariat et même de la bourgeoisie pour un temps qui pose les conditions d’un progrès qui reste toujours ambigu sous le régime des classes exploiteuses successives, « dans la boue et le sang », sans qu’on soit sûr, ni désireux que l’humanité atteigne un paradis béat eschatologique[8].

Tout cela pour réaffirmer que le marxisme ne peut être falsifié ou réinventé comme un vulgaire idéalisme. J’aurai l’occasion d’y revenir si je trouve un éditeur pour mon futur livre « Le marxisme est-il un messianisme ? Si je trouve un éditeur digne de ce nom plutôt que les charlots qui m’ont contacté.

LE REVISIONNISME « MORAL » EST UNE AGONIE

Bien sûr on peut encore lire des textes intéressants sur leur site, comme on pouvait lire même après 1914, des articles lisibles dans la presse de la social-démocratie réformiste qui levait encore le poing vengeur lors des démonstrations publiques ; mais la plupart des « déménagés » n’ont pas tort de ne plus croire à un redressement possible. J’ai écrit : La décomposition petite-bourgeoise du CCI s’est produite EN VASE CLOS pendant des décennies (cela fait 25 ans que je les ai quittés !) sous l’action conjuguée de sa fraction rigoriste, de type néo-stalinienne – à prétention « morale marxiste» - et de l’aile épicuriste (immorale ?)[9] des bobos des sixties. Combat de coqs petits bourges qui ne concerna plus en rien le prolétariat, absent, endormi encore et indifférent aux querelles de préséance de ses aspirants « guides » ou « conseillers ».

Rosa a vu longtemps avant sa mort, l’agonie de la social-démocratie dénonçant la « morale du révisionnisme » qui considère « la masse comme un enfant à éduquer, auquel il n’est pas loisible de tout dire (…) tandis que les « chefs », hommes d’Etat consommés, pétrissent cette molle argile pour ériger le temple de l’avenir selon leurs propres grands projets ». L’application pratique de cette manière d’envisager les rapports entre la masse et ses « chefs » est plus visible dans le cas des députés jauressistes français qui s’émancipent de tout contrôle de l’organisation du parti et s’égayent dans les salons bourgeois. Rosa a beau menacer du « poing grossier du prolétaire » et engager fort justement à « l’épuration parti », ce beau parti de « masse », en dépit de toute morale tout court, trahira allègrement le « but final » en 1914. Le CCI ne deviendra jamais le parti rêvé ni stalinien ni conseilliste, survivra-t-il à la pandémie et à son hérésie ?

En temps normal, la grande majorité des prolétaires se fiche d’appartenir à un parti politique. Ils n’ont pas envie qu’on leur serve pendant des heures un discours qui ne flatte que celui qui s’écoute. Ils n’ont pas envie de palabres hebdomadaires pour tirer des plans sur la comète avec ces défauts de la politique commune de chaque engeance de faire mieux que le parti rival, de promettre et de ne jamais tenir. Ils n’ont pas envie de leçons de morale de leaders sûrs de leur spiritualité et d’un avenir glorieux pour leur ego. La barque de la vie publique s’est brisée contre la vie privée courante, surtout dans le métro. Il n’y a plus d’étanchéité entre ce qu’on est au travail et ce qu’on est dans la société. Pas plus que les médecins au temps de la pandémie actuelle, les politiques de tout acabit ne sont crédibles. La méfiance généralisée couplée avec le dégoût du système n’attend pas une sanctification « morale », une nouvelle assurance avec une morale anticapitaliste certifiée, et encore moins un parti « directeur de morale ».

Le « Travail » dans la société ne reste plus le seul lieu où on peut réfléchir à l’avenir de la société. Des assemblées de rue seront nécessaires comme en 1917 et le conseillisme d’usine restera au musée de l’anarchisme.

LE TRISTE HERITAGE DU SPIRITUALISME DE LA GAUCHE HOLLANDAISE

Le CCI s’est toujours réclamé de la gauche « germano-hollandaise » (la tête théorique étant attribuée aux hollandais), et il semble se finir avec. Le texte religieux du CCI ne trouve pas mieux que de s’inspirer de l’idéaliste Joseph Dietzgen et ses « idéaux moraux », en laissant de côté la religion. Comme pour l’immigrationnisme œcuménique et du fait que le pape Marx a dit que la religion est l’opium du peuple, le CCI s’aligne sur les gouvernements démocratiques et leurs obligés gauchistes. Pannekoek et Gorter ont été influencés par le pasteur Domela Nieuwenhuis qui a fini anarchiste.


En premier lieu la tâche de réels révolutionnaires, marxistes ou pas est de ne pas cesser une critique radicale de la morale au lieu d’en réinventer une autre ou de s’apitoyer. Dans le « texte d’orientation cette tâche est totalement absente, on nous promène dans un historicisme ouvriériste de « l’évolution » ( ?) d’une morale abstraite au-dessus des siècles, se perfectionnant par magie de façon linéaire avec une classe ouvrière immanente ; on reste dans le monde virtuel d’une religiosité « prolétarienne », « fraternelle », « gentiment éthique ». Rien sur l’héritage du christianisme (plus ou moins masqué) et son utilisation par exemple pendant les colonisations, les acquis du siècle des Lumières, la laïcité, rien sur l’invraisemblable coran, rien surtout sur le poids différent des religions dans les régions du monde. Rien surtout sur le cynisme en politique plein d’égards pour chaque religion ; on subit encore le sabre et le goupillon. Avec cette fabrique d’une morale hors du temps d’un prolétariat pèlerin d’une bonne conscience universaliste et secouriste, on lui fait prendre la place de dieu en oubliant le langage marxiste et la révélation des conséquences du développement des forces productives et non pas d’une « force morale » d’un prolétariat muet la plupart du temps, sauf cycliquement et inégalement dans ses grandes révoltes, ou s’exprimant par la médiation d’avocats politiques non fiables.

Ce qui concerne et motive le prolétariat, depuis Mandeville, c’est la question des besoins matériels. Cette question est aussi mise de côté que la notion du développement des forces productives, c’est la morale qui a des besoins ! Et cette même morale exprime « les besoins de la société dans son ensemble » !?

C'est paradoxalement Trotsky qui, au faîte de son rayonnement politique, a bien souligné les faiblesses idéalistes du courant de la gauche hollandaise même si celle-ci menait une critique juste du syndicalisme et du parlementarisme. En assemblée plénière à Moscou, Gorter se fait remonter les bretelles :

« Gorter soutient qu'on ne peut pas commencer la révolution, tant que les chefs n'auront suffisamment élevé le niveau mental de la classe ouvrière pour que celle-ci comprenne bien sa mission historique. Mais c'est là de l'idéalisme le plus pur ! Comme si le commencement de la révolution pouvait en réalité dépendre du degré d'éducation de la classe ouvrière et non d'une série d'autres facteurs - intérieurs et internationaux - économiques et politiques et, en particulier, des besoins des masses laborieuses les plus déshéritées, car - n'en déplaise au camarade Gorter - le besoin demeure le ressort le plus important de la révolution prolétarienne »15.

Le besoin, voilà ce que nos moralistes petits bourgeois du CCI ont oublié ! Pas la solidarité en soi, éthérée ou évanescente mais le besoin. Pas le soutien oecuménique à l'arrivée de tous les malheureux du monde mais le besoin du prolétaire qui pue, qui fume et qui pollue sur place !16

Notre historien le plus spécialisé de la gauche germano-hollandaise, Philippe Bourrinet, très haï par le CCI, avait depuis longtemps révélé cet idéalisme qui a tant caractérisé le CCI intra-muros pour se différencier à tout prix de la gauche maximaliste italienne :

« C’était surtout un appel à l’énergie et à l’enthousiasme de la classe ouvrière dans sa lutte contre le régime existant, lutte qui exigeait une volonté conscience, esprit de sacrifice a sa cause, bref des qualités morales et intellectuelles. Cet appel à une, nouvelle éthique prolétarienne, les marxistes hollandais le trouvèrent ou crurent le découvrir dans l’œuvre de Dietzgen . Par la critique du matérialisme bourgeois classique et du marxisme vulgarisé et simplifié, les théoriciens hollandais développaient en fait une nouvelle conception de la « morale » prolétarienne et de la conscience de classe. Dietzgen ne fut pour eux qu’un révélateur de sens du marxisme, dont les concepts avaient été faussés par la vision réformiste. Dans la Gauche hollandaise, cependant, l’interprétation qui était donnée du rôle de «l’esprit» dans la lutte de classe divergeait. L’interprétation par Roland Holst de Dietzgen était rien moins qu’idéaliste, un mélange d’enthousiasme et de morale, une vision religieuse minimisant le recours à la violence dans la lutte contre le capitalisme. . Chez Gorter, beaucoup plus «matérialiste», ce qui l’emportait c’était une interprétation plus volontaire, axée sur les conditions subjectives, dites «spirituelles» : «L’esprit doit être révolutionné. Les préjugés, la lâcheté doivent être extirpés. De toutes les choses, la plus importante, c’est la propagande spirituelle. La connaissance, la force spirituelle, voilà ce qui prime et s’impose comme la chose la plus nécessaire. Seule la connaissance donne une bonne organisation, un bon mouvement syndical, la politique juste et par-là des améliorations dans le sens économique et politique.»  Et Gorter, qualifié parfois d’idéaliste et «d’illuministe» , prenait soin de donner surtout un contenu militant au terme de «spirituel», en excluant tout fatalisme ».

Cet aspect idéaliste philosophard, présent également chez Pannekoek, permet de comprendre ce qui a conduit ce dernier à nier toute nécessité du parti, comme si le combat des classes n'était qu'un combat d'idées entre forces et institutions équivalentes, avec uniquement des professeurs et des étudiants... (je reproduis ici en partie ce que j’ai déjà écrit il y a longtemps dans mon livre « Dans quel Etat est la révolution ?).

A première vue, la dialectique des besoins a interrogé tardivement une partie du mouvement révolutionnaire des années 1930, mais pas le CCI ni les groupes soixante-huitards qui voulaient vivre sans temps mort. Pourtant, dès 1913, Gorter, dans sa brochure sur le matérialisme historique, avait longuement développé sur les besoins sociaux. Mais il y définissait le besoin comme prioritairement « spirituel », mais provenant de la « nature corporelle de l’homme », pour la production et la reproduction de la vie. Il parlait de « désir social » comme du « besoin social ». Les besoins n’y étaient pas séparés du but communiste, mais avec une approche intellectuelle. Sans se rattacher à cet antécédent, ou en l’ignorant volontairement, l’Ecole de Budapest avec Georg Lukacs et Agnès Heller reprendra les mêmes arguments mais sur le plan matérialiste pas seulement spirituel. La question des besoins est souvent référencée par exemple dans les textes de la revue Bilan puis dans ceux de «Socialisme ou Barbarie». Cependant, excepté Mitchell, on semble s’y contenter des généralités sur les revendications immédiates et du but final généraliste.

C’est dans la période de transition que toute morale est supprimée :

·         A.Heller, p.178-179. De même la morale disparaît avec l’esprit universel qui régente les rapports humains. Dans « La sainte famille », Marx entrevoyait que chacun pourrait éprouver le besoin moral d’agir au niveau générique et s’infliger lui-même une sanction s’il pèche contre les autres. La justice bourgeoise a disparu et n’est pas remplacée par une « justice prolétarienne » dans la mesure même ou le conflit entre morale et légalité est supprimé.

 

QUELQUES CITATIONS QUI MONTRENT QUE MARC CHIRIK LE FONDATEUR DU CCI AURAIT rigolé en lisant les thèses moralistes du CCI à l’agonie

 

« Seuls des moralistes petits-bourgeois, pour qui la conscience est une affaire de morale, de sentiments de chaque individu, et non un produit de l'expérience vivante de la lutte de classe, peuvent se lamenter et se désespérer de l'humanité ». (in Défense du caractère prolétarien de la révolution d’octobre, réponse à un camarade, Internacionalismo, Venezuela, novembre 1965).

« En ajoutant le terme de "comportement" à celui de "mode de vie", nous avons voulu renforcer cette vision globale. Notre souci n'est pas l'individu en tant que tel. Ce n'est pas une question de morale qui nous préoccupe mais uniquement l'intérêt de l'organisation, de sa santé interne et de la façon comment elle se présente à et dans la classe. (bulletin interne international, Mode de vie et de comportement 1983)

« Oui. Mais je n'ai que faire d'une "femme", ni toi d'un "mari". C'est comme si on nous proposait de nous établir commerçants. Il n'y a pas de place dans notre existence pour y planter des choux, faire souche, et nous y ancrer. Je veillerai à ce qu'il n'y ait pas de telle place. Non pas à cause de quelque principe d'éthique ou de morale, mais simplement parce que nous ne devons pas. Nous n'en pourrions pas assumer la charge. C'est trop onéreux : en temps, en énergie, en santé. La grossesse, l'allaitement, les langes, les coqueluches, les soucis matériels, t'éloigneraient du mouvement - et de moi. Des années d'illégalité nous attendent, Anne-Marie ; des années où chaque jour portera sa menace de mort. Je me suis fait révolutionnaire, j'ai décidé d'y consacrer tous les instants de ma vie, et tel je dois continuer. (Marc Laverne selon Malaquais dans Planète sans visa)

« La mise en place par étapes des bases du communisme futur est fixée de la sorte par Marx et Engels, outre la "socialisation des moyens de production et d'échange", ils envisagent peu à peu l'abolition des rapports mercantiles, la disparition de la prostitution familiale, l'abolition de l'exploitation d'une nation par une autre nation, la suppression des vérités éternelles (morale, religion, etc).  Il en est de même pour la production des armements » (non là je ne suis pas sûr, ce doit être de moi dans  « Programmes et perspective communiste »).

« Quand les Communistes Internationalistes écrivent : « Le deuxième moyen pour réaliser (la construction du Programme), c’est la restauration d’une morale, d’un climat digne de la société que nous voulons. La crise de l’avant-garde est aussi une crise des méthodes qui se ramène à une morale, à une psychologie, à un état d’esprit en voie de dégénérescence. » Ils manifestent bien qu’ils ne comprennent pas plus le véritable problème que ceux qui perpétuent le climat et les méthodes encore en question aujourd’hui. Bien avant les éclectiques, la Fraction a dénoncé et combattu ce danger sur son véritable terrain qui est politique et non pas moral, en opposant à la position des faiseurs du parti trotskiste et à leur méthode d’espionnage, de noyautage aussi bien que leurs fusions et scissions sans principes, le travail fractionnel conséquent pour la reconstruction du programme. (A PROPOS DU PROGRAMME Internationalisme n°2 février mars 1945

MC pour La CE de la GCF)

 

« Je voudrais citer un extrait d’un PV de décision de la commission de récupération et d’enquête. 1) Sur la récupération des machines : « Nous n’agissons pas pour faire de la morale, ni pour nous plaindre, ni pour protester, nous agissons avec la ferme volonté de récupérer effectivement notre matériel (matériel divers, BII et archives). 2) Nous n’allons pas en victime réclamer justice, mais en militants défendant l’organisation contre les attaques tendant à l’anéantir ; c’est pourquoi nous agissons de manière décidée pour restituer à l’organisation les moyens de son activité qui lui ont été dérobés ». INTERVENTION COMPLEMENTAIRE A LA CONFERENCE EXTRAORDINAIRE. Conférence pour la défense et la sécurité de l’organisation, 16-17 janvier 1982 à Paris. Marc Chirik intervient après le rapporteur JJ pour livrer quelques éléments de la Commission d’enquête sous la responsabilité du B.I. à la suite de l’affaire Chénier, avec divers complices dont Juan Mac Iver.

 

 



[2] Proposé comme participation au débat, ce texte a été évidemment refusé par la secte monolithique et farouchement haineuse face à ses anciens militants, bien que parmi les meilleurs.

[3] Je commente à l’époque en m’interrogeant sur le démocratisme puant de la présentation de la conversion moraliste du CCI. La discussion dans le CCI a, en réalité, directement démarré à partir du « texte d’orientation » : « Depuis plus de deux ans, le CCI mène un débat interne sur la question de la morale et de l’éthique prolétarienne à partir d’un texte d’orientation dont nous publions ci-dessous de larges extraits ». Voilà le lecteur interloqué, le texte publié comme ayant ouvert le débat dans le CCI est à la fois présenté comme constituant « quelques pistes de réflexions » devant « ouvrir un grand débat » et « permettre à l’ensemble de l’organisation d’approfondir un certain nombre de questions fondamentales », mais également comme un « texte d’orientation », achevé dès le départ, et qui a servi pour démarrer un débat qui serait « arrivé à maturité » sur son contenu. En d’autres mots, ce qui nous était présenté par le CCI comme n’étant PAS « une élaboration théorique achevée » était en réalité un texte ACHEVE de quinze pages et NON PAS « quelques pistes de réflexions ». Le lecteur se pose alors la question suivante : quelle est la réelle conception du CCI de la culture du débat ? Élabore-t-il ses analyses à partir d’une réflexion de départ, et en s’appuyant sur les résultats de la discussion collective, ou bien la discussion ne sert qu’à homogénéiser l’organisation sur une position achevée élaborée au préalable ? Autrement dit, est-ce que la discussion collective constitue le terreau pour préciser, enrichir, corriger, et amender « quelques pistes de réflexions ». Rien à foutre oui.

[4] J’ai toujours sous la main ces deux citations que j’avais glissées en introduction/

« Les deux problèmes de l'industrialisation et de la misère du peuple se trouvent liés à cette époque et les analyses basées sur la seule morale ne suffisent plus ». Introduction à « L'état physique et moral des ouvriers » de Louis-René Villermé (1837)

« L'individualisme est l'enfer des individus. Il n'en tient nul compte et se fonde sur leur destruction systématique. L'immolation des individus est toujours en relation directe de la prépondérance de l'individualisme. Il signifie à leur égard extermination, et communisme implique respect, garantie, sécurité des personnes ». Blanqui

[5] Dans une série de quatre articles – Migrants et réfugiés victimes du capitalisme – on apprenait récemment que : « le sort tragique des réfugiés pose désormais un vrai problème moral pour la classe ouvrière (…)  la classe ouvrière doit désormais assumer des responsabilités croissantes, il lui faudra nécessairement bannir les discours haineux qui considèrent d'un côté qu'il faut « jeter dehors les immigrés » et ceux qui, dans leur élan patriotique et démocratique, pensent qu'« on ne peut pas accueillir toute la misère du monde ». Il faut déjouer les pièges de la propagande officielle, les contraintes qui font obstacle à l'affirmation de la nécessaire solidarité comme expression consciente de ce combat moral. Si le chiffre des migrants explose, traduisant toujours plus de souffrances, il ne représente pourtant que 3% de la population mondiale »[5].

« Les prolétaires doivent absolument agir de manière consciente et rejeter les réflexes de peur conditionnés par les médias, prendre conscience que les réfugiés sont avant tout des victimes du capitalisme et des politiques barbares de ces mêmes États. C'est ce qu'a tenté de montrer notre série d'articles. La classe ouvrière devra, à terme, être capable de percevoir que derrière la question des migrants se pose l'unité internationale du combat révolutionnaire contre le système capitaliste. « Si notre classe parvient à retrouver son identité de classe, la solidarité peut être un important moyen unificateur dans sa lutte. Si par contre, elle ne voit dans les réfugiés que des concurrents et une menace, si elle ne parvient pas à formuler une alternative à la misère capitaliste, permettant à tout individu de ne plus être contraint de fuir sous la menace de la guerre ou de la faim, alors nous serions sous la menace d’une extension massive de la mentalité pogromiste, dont le prolétariat en son cœur ne saurait être épargné »[5].

Avec cet esprit de clocher, on s'en va prêcher aux paroissiens la charité et l'abnégation, on ressert, à cette masse (impure) à moraliser, la morale des statistiques bourgeoises qui faussent le réel problème et on fait reprendre du service, avec des trémolos, à la martyrologie juive comme si elle était l'échelle de référence universelle des crimes du capitalisme. D'où la porosité des sectes à l'idéologie dominante. Avec ce truisme où tout le monde est victime du capitalisme la question des migrants est devenue le stade suprême de la lutte anticapitaliste, incluant la division entretenue de la classe ouvrière (qui est le secret du maintien au pouvoir de la bourgeoisie selon Marx), à condition de concevoir les migrants comme partie intégrante de cette même classe ouvrière ; il faudra alors nous expliquer pourquoi les millions de migrants fuyant de partout la venue de la guerre mondiale dans les années 1930 n'ont aucunement renforcé socialement et politiquement la classe ouvrière, mais au contraire contribué à exacerber les divers nationalismes . J’ai rappelé un Marc Chirik dubitatif qui m’avait confié en aparté il y a trente années : « je ne crois pas à la révolution des immigrés ».

[6] Ce qu’ils appellent « une extension massive de la mentalité pogromiste » sans doute pour se rapprocher de de Lives Black Matter. Juan dans son texte présenté comme alternatif à la somme d’âneries du comité central (lutte pour le pouvoir… de la fraction !) se laissait lui aussi à la diabolisation classique dès qu’on rue dans les ornières de la morale « prolétarienne », il citait le Trotsky démocrate en 1940 et immoral à Kronstadt en conclusion de son texte « alternatif », présomptueusement, car plutôt inculte sur le thème, « la dernière ressource de la bourgeoisie est le fascisme ». C’était le tube du 20ème siècle, qu’on se le dise.

[7] Les formules ridicules s’accumulent : évaluations morales ( ?), questions morales qui touchent les profondeurs de l’existence humaine (qu’en pense le commandant Cousteau ?), la morale reflète fréquemment les changements cachés sous la surface de la société ; la richesse de l’expérience morale de la société , mûrissement moral de l’être humain (ou séjour à Charenton ?), science philosophique, appréhender l’histoire de la morale (tout un programme !), l’éthique scientifique de l’humanité, etc. Ou aussi « la tyrannie fanatique, dogmatique de tout système moral » ! le résumé a-t-il été coupé au mauvais endroit et la morale prolétarienne ne sera-t-elle pas du même ordre ? Des trouvailles osées et inventées sur la morale prolétarienne imaginaire possédant un « caractère essentiellement démocratique », en lisant cela mes derniers bordiguiens vont s’étouffer ! Au fond, encore une fois, cette morale « prolétarienne » a remplacé le prolétariat qui se fiche de morale comme de sa première blouse.

[8] Hors des clous, notre théoricien moraliste se trompe en estimant que c’est « le nihilisme ambiant qui alimente le besoin de religion » - encore la faute aux laïcards ! – C’est faux, c’est l’absence de perspective de société plus juste, c’est l’incapacité du politique marxiste à répondre à la question de la fin de vie, à l’angoisse de la mort qu’il dénigre en « peur démesurée de la mort » ou « aspiration pathologique à mourir. C’est toujours le même mépris des prolétaires « racistes » ou « progromistes », qui devraient après une vie de merde mourir enfin heureux ! Preuve que le marxisme « moraliste » se fiche du monde ! Cyniquement.

[9] Encore heureux que je ne dise pas tout ce que j’ai su de la « moralité » des vainqueurs de la moralité « prolétarienne » !