PAGES PROLETARIENNES

vendredi 1 mai 2020

La production et distribution communiste (Living Marxism, 1938)


Le communisme n'est ni 'fédéraliste', ni 'centraliste', et il est pourtant les deux à la fois
La traduction pour la première fois en Français d'un texte probablement écrit par Paul Mattick, en 1938, à la même époque que Bilan et qui répond à la question "centralisme ou fédéralisme". Merci tout plein à Jonathan pour la rapidité et la qualité de sa traduction.

Les crises capitalistes proviennent de la contradiction entre les forces sociales et les relations de production, un conflit où l'emploi du capital devient de plus en plus difficile et qui doit mener à l'effondrement du capitalisme. Le Marxisme rejette toutes les théories économiques pseudo-socialistes qui consistent uniquement de nouveaux systèmes de distribution tout en gardant le système de production capitaliste. La production de valeur doit être abolie avant qu'il ne puisse y avoir les premières aspects d'une société communiste. Sous le communisme, le travail n'a ni 'valeur', ni 'prix'. L'abolition de l'échange de la valeur est l'abolition du salariat, car le salariat n'est que l'échange entre acheteurs et vendeurs de la force de travail. Si cette relation existe – et le fait que les acheteurs de la force de travail soient des entrepreneurs individuels ou l'Etat n'importe pas – on a, par cette seule circonstance, production de valeur et de plus-value qui provient de l'exploitation des ouvriers. Et une production capitaliste ne permet qu'une distribution capitaliste. 'La façon dont les forces productives sont échangées' nous dit Marx dans La critique du programme de Gotha (page 32) est décisive quant à la façon de l'échange des produits'. Dans le communisme, la production n'est plus un procès d'expansion du capital, mais seulement un procès de travail dans laquelle la société retire de la nature les biens de consommation dont elle a besoin. Le seul critère économique est le temps de travail utilisé pour la production des biens utiles. Et donc, du point de vue du Marxisme, les expériences russes dans le domaine de 'l'économie planifiée', ne doivent pas être jugées comme socialistes. La façon de faire russe suit les lois de l'accumulation primitive, sur la base de la production de plus-value. La relation vis-à-vis du salaire est identique à celle sous la production capitaliste, ce qui a donné les moyens d'existence d'une bureaucratie grandissante qui s'accorde des privilèges de plus en plus importants, qui, en dehors des éléments du capitalisme privé qui existent encore, doit être considérée comme une nouvelle classe qui s'approprie le sur-travail et la plus-value.
Le cœur de la théorie bolchevique de la socialisation peut être ainsi esquissé :
Avec le soulèvement révolutionnaire, c'est à dire l'expropriation du capital, le contrôle des moyens de production et donc le contrôle de la production, de la distribution des produits passe entre les mains de l'appareil d'état. Ce dernier organise ensuite les différentes branches de la production en accord avec un plan et les met, en tant que monopole d'état, au service de la société. A l'aide de statistiques, l'autorité centrale calcule l'étendue et le type de la production, ainsi que la répartition des produits aux producteurs.
En effet, les moyens de production sont bien passés des mains des entrepreneurs privés à celle de l'Etat ; du point de vue des producteurs, par contre, rien n'a changé. Les producteurs ne contrôlent pas plus les produits de leur travail que sous le Capitalisme, car il leur manque toujours le contrôle sur les moyens de production. Comme avant, leur seul moyen de subsistance réside dans la vente de leur force de travail. La seule différence est qu'ils n'ont plus affaire au capitaliste individuel, mais au capitaliste total, l'Etat, en tant qu'acheteur de la force de travail.
Les problèmes décisifs d'une économie communiste ne se présentent qu'une fois que le marché, le salariat, l'argent, etc., ont été complètement abolis. L'existence même de la relation du salaire signifie que les moyens de production ne sont pas contrôlés par les producteurs, mais affrontent les producteurs en tant que capital, et cette circonstance force encore plus à ce que le processus de reproduction prenne la forme de l'accumulation du capital. Ce dernier procès est en même temps, l'accumulation de la misère, et par cela même les ouvriers russes s'appauvrissent au même taux que le capital s'accumule. La productivité des ouvriers russes augmente plus rapidement que leurs salaires ; ils reçoivent une part qui est relativement de plus en plus petite du produit social qui augmente. Pour Marx, cette paupérisation relative de la population ouvrière au cours de l'accumulation est seulement une phase de la paupérisation absolue.

II

L'économie capitaliste a perfectionné la calculabilité développée par l'industrie. En particulier pendant les deux dernières décennies où les méthodes de calculabilité afin de déterminer les coûts ont atteint un niveau de précision élevé. Bien que les méthodes de comptabilité capitalistes sont liées à l'argent en tant que dénominateur commun, la nécessité de la comptabilité subsiste toujours malgré la disparition de l'argent et du marché dans la société communiste. Une mesure générale, une unité de compte est indispensable au règlement social de production et de distribution. Pour Marx et Engels, la base et l'unité de calcul de l'économie communiste était le temps de travail socialement nécessaire contenu dans les produits.
Le temps de travail en tant qu'unité de compte jouera un double rôle dans l'économie communiste « Sa répartition en accord avec un plan social défini maintient la proportion adéquate entre les différents travaux à faire, et les divers désirs de la communauté. D'autre part, il sert aussi de mesure de la portion de travail commun qui a été effectué par l'individu ainsi que de sa part du produit total destiné pour la consommation individuelle. Les relations sociales des producteurs individuels, en ce qui concerne leur travail ainsi que de ses fruits, sont dans ce cas parfaitement simples et intelligibles, et cela vis-à-vis de non seulement la production mais aussi la distribution ». (Capital, Édition Kerr Volume 1, p 90-91)
Le communisme n'est ni 'fédéraliste', ni 'centraliste', et est pourtant les deux à la fois. C'est un mécanisme productif qui assure les opérations indépendantes des unités et permet la planification sociale de la production de manière simultanée. Dans toutes les formes de société, le procès de production doit être aussi un procès de reproduction. Sous le capitalisme, la reproduction est régulée par le mécanisme du marché, alors que sous le communisme c'est un procès planifié déterminé consciemment par les producteurs eux-mêmes. Si le temps de travail est la mesure de la production communiste, il est aussi la mesure de la reproduction étendue.
L'heure de travail social moyenne en tant qu'unité de calcul de la société communiste est capable d'inclure toutes les catégories de la production et de la distribution. Chaque entreprise déterminera le nombre d'heures de travail qu'elle consomme pour qu'elles soient remplacées par la même quantité. La méthode du temps de travail est incontestablement adaptée pour calculer le coût total d'une entreprise, d'une branche de la production industrielle et aussi du produit individuel ou du produit partiel. Même ces entreprises qui ne donnent fruit à aucun produit sont très capables de déterminer la quantité de temps de travail qu'elles consomment sous la forme de produits.
La formule de production d'une entreprise ainsi que celle de la société entière, peut être énoncée très simplement : moyens de production plus travail crée le produit. Si quelqu'un fait la différence entre deux types de moyens de production : fixes et circulants, on peut supposer la formule de production suivante pour une usine de chaussures :

Machines, etc. : 10 000 heures de travail                    

Matières premières,etc. : 70 000 heures de travail
Forces de travail : 70 000 heures de travail
Si l'on suppose encore que cette usine produit 50 000 paires de chaussures alors 150 000 heures de travail ont été dépensées pour leur production, ou bien trois heures de travail pour chaque paire. Cette formule est en même temps la formule de la reproduction simple. On sait combien d'heures de travail ont été consommées pour la production de 50 000 paires de chaussures. Le même nombre d'heures de travail doit lui être rendu en conséquence. Et ce qui est vrai pour une seule entreprise est vrai pour l'ensemble de la société, qui n'est bien sur que la somme de toutes les entreprises. Le produit social total est le produit des outils de production, des matières premières, et la force de travail de toutes les entreprises. En supposant que la somme totale de tous les moyens de production fixes est de 100 millions d'heures de travail, que celle des matières premières correspondantes est de 600 millions, et que le temps de travail consommé est égal à 600 millions, on obtient un produit total de 1 300 millions d'heures de travail. Sous les conditions de la reproduction simple, 600 millions d'heures peuvent être attribuées aux consommateurs sous la forme de biens de consommation.
Comme sous le capitalisme l'accumulation du capital est largement laissée aux capitalistes individuels, la reproduction de la force de travail est aussi laissée aux individus déterminés par leur classe. Les ouvriers produisent constamment, avec des exceptions négligeables, que de nouveaux ouvriers. La classe moyenne occupe, encore et encore, les professions supérieures. Sous le communisme, par contre, la reproduction de la force de travail et celle de l'appareil matériel de production sont toutes les deux des fonctions sociales. La position de classe de l'individu n'est plus déterminante, mais la 'reproduction' des fonctions de travail est consciemment régulée par la société. Et, en tant que corollaire, la nature antagoniste de la distribution est écartée, elle est étrangère à une société communiste.
L'application de l'heure de travail social moyen en tant qu'unité de calcul présuppose l'existence d'organisations de Conseils ouvriers. Chaque entreprise se présente comme unité indépendante et est connectée en même temps avec toutes les autres entreprises. Suite à la division du travail, chaque entreprise a un produit fini distinct. Avec l'aide de la formule susnommée, chaque entreprise peut calculer le temps de travail contenu dans ses produits finis. Le produit fini d'une entreprise, en tant qu'il n'est pas destiné à la consommation individuelle, va à une autre entreprise sous la forme de moyens de production ou de matières premières, et celle-ci calcule son produit fini en heures de travail à son tour. C'est la même chose pour tous les lieux de production, sans se soucier de l'étendue ou des genres de leurs produits.
Une fois que les entreprises individuelles ont déterminé le temps de travail moyen contenu dans leurs produits, il reste encore à déterminer la moyenne sociale. Toutes les entreprises qui fabriquent le même produit devront comparer leurs statistiques de production. Des entreprises individuelles d'une industrie dans un même territoire doit être obtenu la moyenne totale de toutes les moyennes des usines individuelles pour ces entreprises. Si 100 usines de chaussures, par exemple, arrivent à une moyenne de 3 heures et 100 autres arrivent à une moyenne de 2 heures, alors la moyenne générale d'une paire de chaussure est de 2 heures et demi. Les différentes moyennes sont le résultat des productivités différentes des usines individuelles. Bien qu'il s'agisse d'une condition héritée du capitalisme, et que les différences dans le domaine de la productivité disparaîtront progressivement, le déficit d'une entreprise doit être compensé par le surplus d'une autre pendant ce temps. Pour la société par contre, il n'existe que la productivité sociale moyenne. La détermination du temps de travail social moyen exige la cartellisation des entreprises. La contradiction entre la moyenne de l'usine et le temps de travail social moyen s'achève dans le cartel de production.
Le temps de travail social moyen diminue avec le développement de la productivité du travail. Si le produit ainsi 'déprécié' est destiné pour la consommation individuelle, il entre dans la consommation avec cette moyenne réduite. Si il s'agit d'un produit fini utilisé par d'autres entreprises comme moyen de production, alors la consommation des moyens de production et des matières premières de ces entreprises chute, les 'coûts' de production chutent et ainsi le temps de travail moyen pour ces produits est réduit. Compenser les variations de cette façon est un simple problème technique qui ne présente pas de problèmes particuliers.
Si l'heure de travail sert en tant que mesure de la production, elle doit aussi s'appliquer à la distribution. Marx exprime cette unité très clairement dans sa Critique (p 29) : « Ce que le producteur a donné à la société est sa quantité individuelle de travail. Par exemple, la journée de travail social consiste en la somme des heures de travail des individus. Le temps de travail individuel du producteur individuel est cette partie de la journée de travail social à laquelle il a contribué, la sienne dès lors. Il reçoit de la société un bon (argent en temps de travail) attestant qu'il a contribué à la société telle ou telle quantité de travail (après les déductions de son travail pour le fonds commun) et retire grâce à ce bon autant de moyens de consommation que coûte la valeur de travail. Il reçoit la même quantité de travail sous une forme, qu'il a donné à la société sous une autre ». Les ouvriers ne peuvent pas, par contre, recevoir le produit total de leur travail. Le temps de travail n'est pas la mesure directe pour la part du produit social destiné à la consommation individuelle. Marx continue d'expliquer dans sa Critique (p. 27) « Les produits coopératifs du travail sont le produit coopératif total. Mais doivent en être déduits ; d'abord, le remboursement pour le remplacement des moyens de production utilisés ; deuxièmement, une portion supplémentaire pour l'extension de la production ; et troisièmement, un fonds destiné à ceux qui ne peuvent pas travailler ».
Paul Mattick à Chicago, 34 ans (1938)
Les institutions qui ne produisent pas de biens tangibles (établissements culturels et sociaux) mais qui participent à la consommation sociale peuvent être comptées comme entreprises. Leurs services se répandent dans la société sans délai ; la production et la distribution ici ne font qu'une. On appellera ces institutions 'entreprises publiques' à titre d’exemple. Tout ce que les entreprises publiques consomment doit être retiré des stocks des entreprises productives. Il est nécessaire de connaître la consommation totale de ces entreprises publiques . Avec le développement du communisme, ce genre d'entreprise s'étend de plus en plus, moyens de consommation, logements, transports publics, etc. Plus la société se dirige dans cette direction et plus d'entreprises seront transformées en entreprises publiques et moins le travail individuel sera la mesure de la consommation individuelle. Cette tendance sert à illustrer le développement général de la société communiste. Du produit social une part doit être employée à de nouvelles extensions de l'appareil productif. Si cette reproduction étendue doit être une action consciente, il est nécessaire de connaître le temps de travail social à la reproduction simple. La formule de la reproduction simple est : outils de production plus matières premières plus force de travail. Si l'appareil matériel de production doit être agrandi de dix pour-cents, une masse de produits de cette quantité doivent être retirés de la consommation individuelle. De retour à notre formule pour la société toute entière : 100 millions d'outils de production plus 600 millions de matières premières plus 600 millions d'heures de travail signifie que 700 millions d'heures de travail doivent être reproduites. Il reste 600 millions d'heures de travail. Les entreprises publiques prennent de ces 600 millions leurs moyens de production et leurs matières premières. Dix pour-cents sont retirés pour l'extension de la production, le reste peut être équitablement réparti entre les ouvriers qui ont participé à la production et au sein des entreprises publiques. Si l'on imagine que 50 millions d'heures de travail sont nécessaires pour les entreprises publiques et 70 millions pour l'extension on doit déduire du fonds de la consommation totale 120 millions d'heures de travail. Il reste 480 millions d'heures de travail pour financer la consommation individuelle.
La distribution, comme la production elle même, est une question sociale. Les 'dépenses' de la distribution sont inclues dans le budget général des entreprises publiques. Le rassemblement des consommateurs au sein d'associations avec un lien direct aux organismes de production permet la mobilité totale vers la satisfaction des besoins et des changements qu'elle implique. Dans les relations entre entreprises individuelles, le temps de travail 'argent' est superflu. Lorsque une entreprise livre ses produits finis, elle a lié des outils de production, des matières premières et de la force de travail, des heures de travail à la grande chaîne des travaux sociaux partiels. Ceux-ci doivent être rendus aux différentes entreprises sous la formes de produits finis différents. L'argent-travail est seulement valide pour la consommation individuelle. Alors que plus en plus d'entreprises sont intégrées en tant qu'entreprises publiques, la distribution sous la forme de l'argent-travail devient de moins en moins importante et se dirige vers sa propre abolition. Régler le facteur de la consommation individuelle est la tâche de la comptabilité sociale. Cette comptabilité est une comptabilité simple et rien d'autre. Elle est la partie centrale du processus économique, mais ne détient aucun pouvoir sur les producteurs et les entreprises individuelles. La comptabilité sociale n'est elle même qu'une entreprise. Ses fonctions sont : l'enregistrement des flux des produits, la régulation du fonds à la consommation, la dépense du temps de travail 'argent', le contrôle sur la production et la distribution. Le contrôle du procès de travail est purement technique, et est géré par chaque entreprise individuelle. Le contrôle détenu par la comptabilité sociale ne s'étend qu'à la comptabilité de tous les reçus et toutes les livraisons des entreprises individuelles et à surveiller leur productivité.
Les différentes entreprises industrielles livrent leurs budgets de production à l'entreprise qui s'occupe de la comptabilité sociale. L'inventaire social est établi à partir de ces budgets. Les produits sous une forme vont vers une entreprise, de nouveaux sous une nouvelles formes sont fabriqués par elle. Pour énoncer ce procès clairement : chaque transfert de bien est enregistré dans la comptabilité sociale générale par une validation, pour que le débit et le crédit de n'importe quelle entreprise puisse être vu à n'importe quel moment. Tout ce qu'une entreprise consomme sous forme d'outils de production, de matières premières ou 'd'argent-travail' apparaît du côté débit de l'entreprise ; ce qu'elle a procuré à la société sous forme de produits apparaît sous la forme de crédit. Ces deux catégories doivent se compenser en permanence, et révéler ainsi si et à quel point la production s'écoule sans heurts. Les pénuries et les excès de la part des entreprises deviennent visibles et peuvent être corrigés. Le procès reproductif devient le régulateur du procès de production.

jeudi 30 avril 2020

CENTRALISME ET FEDERALISME et repli national (deuxième partie)

De l'impossible repli national au gouvernement mondial...

Suivi d'un hommage à HG Wells

« Tirez les premiers messieurs les bourgeois » Engels (1891)
 « Une période de troubles révolutionnaires est ouverte, une nouvelle ère de révolutions approche. Les contradictions de classes ne s'atténuent pas mais s'exacerbent, le coût de la vie augmente, les rivalités impérialistes se donnent libre cours, le militarisme fait rage ». Kautsky (1908)
 « J'ai acquis la conviction que, si, sur ce terrain (les rapports entre la guerre et la révolution), il se produisit une foule de malentendus, c'est précisément parce qu'en analysant cette question nous parlons bien souvent deux langages absolument différents ». Lénine (27 mai 1917)

« Nos vies font partie de l’une l’autre. … Nous faisons partie d’une masse sociale. Que devons-nous faire de nos vies? » « Unissons-nous à d’autres personnes de notre espèce et transformons le monde en une grande civilisation qui nous permettra de réaliser les promesses et d’éviter les dangers de cette nouvelle époque ». HG. Wells (The open conspiracy)
« Si on n'en finit pas avec les guerres, les guerres en finiront avec nous ». HG Wells

La catastrophe qui s'est abattue sur la civilisation mondiale n'est-elle pas une excellente occasion pour s'attendre à un soulèvement social, où l'on n'aura plus qu'à saisir le moment favorable pour transformer la crise « infectieuse » en une révolution mondiale pour vivre enfin dans cette « nouvelle époque » dont rêvait HG Wells, néanmoins plus grand auteur de science-fiction?1 Je vous vois tous venir à moi, salivant, encore confinés et meurtris. Non je ne vais pas vous promettre ici-bas des salades « subversives », qui sont dérisoires tant qu'une masse significative du prolétariat restera incapable de se réapproprier des leçons d'histoire qu'on n'apprend pas sur les bancs de l'école républicaine ou islamiste. Pas de spéculations, ce qui est sûr c'est que ce capitalisme est un système sclérosé, incapable de se survivre sans avoir recours à la violence dans la plus extrême pourriture. Par crainte de la révolution, les classes dirigeantes peuvent se sentir contraintes d'adopter une politique désespérée, elles pourraient pourquoi pas prolonger la crise du covid-19 par une marche accélérée à la guerre mondiale, profitant de la paralysie sanitaire de la masse de sept milliards d'hommes et de femmes, mais comme dans le scénario du film de Kubrick... car, par contre, la crise économique sera impitoyable pour réveiller une « guerre des classes », plutôt ultime... Pensez à tirer les premiers messieurs les bourgeois !

Le terrible enfoncement dans la crise laissera le temps aux masses de se « conscientiser » et de se radicaliser avec un projet politique. La crise sanitaire ne crée donc pas une situation absolument nouvelle ni pour un pays ni pour tous les pays. Son apport nouveau consiste simplement à transformer qualitativement une intensification quantitative extraordinaire de tous les problèmes et c'est en cela et uniquement par cela qu'elle crée une situation nouvelle. Le phénomène de la monstrueuse crise pandémique et la désagrégation et désorganisation du mécanisme capitaliste qu'il entraîne ne peuvent que reposer la nécessité d'une alternative de société mondiale, d'un « gouvernement mondial », dont on causera par après. Faut-il s'inquiéter de l'absence d'un vrai programme, pur et dur, certifié « dictature du prolétariat », vraiment bordiguien ? En mars 1916, Lénine écrivit à Henriette Roland Holst à propos de la nécessité qu'elle avançait de formuler un programme de la révolution socialiste : « On n'en a pas besoin maintenant ... Ce n'est qu'au cas où la révolution sera imminente à coup sûr que cette nécessité se fera ressentir»

Reprenons donc notre réflexion sur le centralisme qui renvoie inévitablement à la question de l'Etat. (Le fichier de cet article ayant été corrompu et détruit, je reprends mon fil de mémoire)

Boukharine écrit en 1927 dans ses Notes d'un économiste : « Nous sommes par trop centralisés ! »2. Cette remarque surgit trois ans après la déclaration de Staline favorable au « socialisme dans un seul pays » le 20 décembre 19243. Lénine est mort depuis le 21 janvier. Le repli autarcique de la gestion de l'Etat russe a connu une accélération telle en quelques mois à peine qu'on peut se demander si Lénine survivant n'aurait pas été acculé comme Staline et ses compères à théoriser soudainement ce socialisme rabougri. L'analyse de Trotski explique très bien ce renoncement à la vocation internationaliste de la révolution4. Notre perception du stalinisme avec le recul fait volet en éclats tous les poncifs sur la méchanceté intrinsèque de Staline5. Il n'y a pas de grandes personnalités, c'est l'histoire qui commande. L'Etat est une machine qui ne fonctionne pas simplement à cause d'un dictateur aussi manipulateur soit-il.
Isolée par la guerre d'encerclement que continue à lui livrer le capitalisme coalisé, l'expérience révolutionnaire en Russie ne pouvait que s'étouffer dans l'autarcie. Paradoxalement la faillite de l'extension de la révolution internationale vient prouver non seulement que la théorie du socialisme dans un seul pays est invraisemblable mais surtout que le monde ne peut plus fonctionner divisé en nations, lesquelles, petites et grandes, sont condamnées à se livrer des guerres incessantes.

Boukharine résume bien les aléas de l'échec des théoriciens bolcheviques. Ce « benjamin » des vieux militants a été capable dès avant la révolution de pousser un Lénine à mener une réflexion approfondie sur la nature de l'Etat, puis de le critiquer, de façon erronée, avec une vision romantique de la « guerre révolutionnaire » au moment de Brest-Litovsk6, puis, avec la revue « Kommunist » de porter des critiques valables à la gestion étatique de la révolution, pour enfin théoriser la gestion de l'autarcie en faisant « avec les moyens du bord », c'est à dire des concessions à l'énorme masse des cent millions de paysans en étant dubitatif pour l'industrialisation forcée prônée par ses collègues de l'appareil d'Etat. On voit là qu'on ne comprend rien au stalinisme, ni aux options politiques aléatoires de Boukharine si on laisse de côté cet acharnement à gérer la dégénérescence de la révolution par la plupart de ses meilleurs acteurs du fait qu'ils étaient le cul sur deux chaises, celle de l'Etat et celle du prolétariat, quand au final la dictature du prolétariat est devenue dictature sur le prolétariat. Le « communisme de guerre » un « confinement bolchevique », et le « socialisme d'Etat » un « capitalisme d'Etat »7.

La plongée de l'expérience russe dans le « socialisme national » n'est que le pendant du « national-socialisme » en Allemagne. Le prolétariat russe, minoritaire au milieu de l'océan paysan, a pu être rapidement vidé de ses meilleurs éléments, paradoxalement aspirés dans l'appareil d'Etat, c'est à dire s'éloignant de leur base naturelle, le prolétariat, pour se mettre au service d'une société transitoire, mais pas transitoire du tout au socialisme, mais d'une société en guerre obligée de se militariser. Trotski est d'ailleurs la preuve de cette prise d'otage par l'Etat. Cette conscience, une des plus claires après Lénine, s'affiche général d'armée, puis ministre d'Etat hostile à des organismes de protection des prolétaires, puis organise la répression des mutinés de Kronstadt, et finit clown de la démocratie occidentale. Contrairement à l'histoire résumée et simplette pour ados de quatrième (scolaire) fournie par la secte Lutte ouvrière, Trotski n'est pas le plus clairvoyant au début en misant sur une industrialisation accélérée (quand Boukharine mise sur un accommodement avec l'immense paysannerie), même s'il se fabrique une séance de rattrapage plus tardive. Il y a des Miasnikov pour dénoncer le nouveau capitalisme d'Etat bâtard, et c'est Bordiga qui, premier de cordée, dénonce physiquement Staline quand Trotski se tait.

Il s'agit d'une complicité dans le maintien non pas d'une révolution en extension, mais d'un appareil d'Etat aux abois qui ne peut plus avoir pour objectif que la sauvegarde de la nation russe. En psychologie on appelle cela mécanisme de projection ou d'identification. Il n'est pas possible de porter un jugement moral face à un « état de fait » où c'est la situation historique qui gouverne les hommes et pas l'inverse. Continuer la guerre internationale alors que c'est l'arrêt de cette même guerre qui avait poussé les masses à faire la révolution ? Avec un pays désorganisé, chétif industriellement, seuls des naïfs comme Boukharine pouvaient se l'imaginer.
Les courtisans de l'histoire officielle de la bourgeoisie, procédant par les attaques contre les individus, et par leur haine intrinsèque et cette peur maladive de voir leur système de privilèges renversé, persécutent et moquent les itinéraires des théoriciens bolcheviques, en leur mettant tout sur le dos et en particulier en ignorant ce réflexe d'identification humain avec un « Etat prolétarien » bidon (les Volkogonov, Carrère d'Encausse et René Berthier)8.

L'échec de la révolution internationale a eu lieu avant tout en Allemagne, là où le prolétariat était le plus instruit politiquement et le plus dangereux par conséquent en vue de la généralisation universelle. Il y a quelques années, lors d'une conférence sur le fascisme à la maison de l'Italie, à la cité U, j'ai remercié l'historien Edouard Husson d'avoir dit que « le nazisme a commencé avec l'assassinat de Rosa Luxemburg ». Trotski a dit que le nazisme n'était pas la contre-révolution, laquelle fût en premier lieu la social-démocratie organisant le massacre des ouvriers berlinois et les autres. C'est vrai, mais la social-démocratie aurait été insuffisante si la bourgeoisie n'avait pas remis une couche avec le nazisme, le « national-socialisme », preuve qu'il fallait taper plus fort encore qu'en Russie9, décimer l'avant-garde du prolétariat en marche, qu'on a jugée prématurée ou tardive, en oubliant que l'arrêt de la guerre mondiale avait scellé la révolution internationale, et où pas plus une recette de parti qu'une fabuleuse insurrection massive n'auraient pu inverser le cours de l'histoire. Comparons ce qui est comparable. En Allemagne la bourgeoisie a eu besoin de tirer dans le tas directement contre le prolétariat et ses meilleurs penseurs, Rosa et Liebknecht. Ce n'est pas le cas en Russie. Dès 1918, on ne peut le cacher, des grèves ont été sévèrement réprimées puis il y a eu la répression de Kronstadt qui scelle le basculement du parti bolchevique au service de l'Etat et non plus du prolétariat. Pourtant les marins kronstadiens ne sont pas le prolétariat, même si éclatent des grèves pour les soutenir. Leurs revendications démocratiques, qui font la joie des anars libéraux et fluides à toute mode politique, ne valent pas un kopeck en pleine guerre. Imaginez une insurrection des garçons coiffeurs dans le 93 pour dénoncer le confinement et exiger le droit d'aller danser en boite sans masque !
Après la répression malheureuse, mais assez inévitable, le parti-Etat continue à parler pourtant encore au nom du prolétariat, et il est encore soucieux de l'émancipation du prolétariat, mais voilà toutes les révolutions du passé se sont perdues en ayant recours à la répression aveugle contre les civils10. C'est d'ailleurs pourquoi, et je l'affirme depuis des années, une guerre civile n'a plus de sens, ne peut plus qualifier une action révolutionnaire. La violence étatique peut toujours s'exercer contre le peuple indistinct ou contre le prolétariat, mais alors elle ne peut être acceptée comme un bienfait pour le peuple ou le prolétariat. Et de fait, il faut ici le répéter, avec le CCI11 qui a si bien su le démontrer, l'Etat, en transition, maintenu pour gérer la société avant de se libérer complètement de l'esprit capitaliste, ne peut pas être confondu avec le socialisme ni avec le prolétariat. Il reste, même après une révolution, une machine, certes utile, mais capable d'une autonomie dangereuse au-dessus de la société.

CE QUE NOUS CONFIRME LA CRISE DU COVID-19 : l'impossible repli national

Les révolutions n'ont jamais été permanentes ni eues vocation à demeurer permanentes selon la formule confuse de Trotski, leur perception demeure dialectique. Lénine a toujours assimilé la pointe d'Engels - « Messieurs les bourgeois tirez les premiers ! » - au fait que la bourgeoisie garde l'initiative jusqu'au bout même dans le pire marasme, c'est pourquoi, l'amendement qu'il présente en 1907 au congrès de Stuttgart avec Rosa Luxembourg et Martov, n'a pas pour seul objectif « d'empêcher qu'une guerre n'éclate » (vision pacifiste des Jaurès et Cie), mais d'utiliser la crise provoquée par la guerre pour accélérer la chute de la bourgeoisie ».
La façon militariste et policière avec laquelle la bourgeoisie encadre et contrôle la société sous la terreur du coronavirus n'est pas un effort, louable ou intéressé pour sauver le maximum de vie, mais surtout une expérience inédite in vivo (parallèle et perverse) pour faire face à toute insurrection révolutionnaire ultérieurement possible. Jusqu'à présent elle a tout lieu d'être satisfaite cette classe élitaire puante. Le traçage numérique préparé de longue date aurait fait pâlir même Orwell et Wells. Gageons que les flics sont encore trop peu nombreux pour contrôler tous les carrefours, et que l'armée de métier n'est plus aussi fiable que les armées de ploucs soudards d'antan.

Dans les périodes de troubles sociaux ou de catastrophes naturelles ou accidentelles, refont surface les théories les plus loufoques, l'imaginaire du complot, mais on semble s'intéresser bien plutôt aux sectes politiques, qui, traditionnellement catastrophistes, se trouvent donc plus en phase avec la notion de... catastrophe. Telle secte peut alors apporter une solution drastique, ce fût le cas de la secte nazie. De nos jours on serait bien en peine de trouver une secte digne, non d'une aura satanique, mais porteuse d'une alternative crédible pour sauver les meubles de la bourgeoisie. Prenons simplement la mouvance trotskienne qui clame toujours haut et fort internationalisme, antiracisme et antifascisme, trilogie plus christique et contestataire que marxiste. Pourrait-elle être un véritable ennemi « anticapitaliste » du système régnant ?
Les plus girouettes sont alignés sur le multiculturalisme américain qui se conjugue parfaitement avec les pires patriotismes. Les plus « orthodoxes » comme la secte lambertiste sont capables d'être les plus chauvins (cf. affiche jointe). C'est la théorie trotskienne qui est viciée depuis pratiquement son origine. Ciliga nous a ébaubi au temps de notre jeunesse politique en narrant combien les trotskistes dans les Goulags étaient plus radicaux que Trotski lui-même, toujours curé onctueux de « l'Etat prolétarien dégénéré », celui-là adoubé d'un « soutien critique » éternel. Ses prises de position en faveur des libérations nationales anti-coloniales à la fin de sa vie n'avaient plus rien à voir avec l'internationalisme. Cette révolution, envisagée « permanente » pays par pays, put être récupérée par l'impérialisme russe. Or la théorie de Lénine était basée, dès le départ, sur l'exigence de révolution mondiale, point barre. Dans le milieu maximaliste, contre tous les souteneurs impénitents d'un trotskisme noble quoique défraîchi, nous avons déterminé le passage du trotskisme à la contre-révolution pour l'époque de son soutien à un camp ou à un autre lors de la seconde boucherie mondiale. Oui soutien veule d'un camp ou d'un autre car le trotskisme est un kaléidoscope, un ramassis de toutes les confusions politiques, désormais étranger au prolétariat universel et à une réelle révolution mondiale. L'embrouillamini de leurs positionnements pendant la guerre mondiale les a jetés dans la même fosse commune que l'idéologie stalinienne et du nazisme (que certains pensèrent remettre dans le droit chemin).
Le « défaitisme révolutionnaire » qu'ils prônent a pris un coup de vieux, non pas que le soldat allemand ne soit pas un prolétaire, mais ce n'est pas en toute circonstance que peut être utilisé ce mot d'ordre. Il devient même criminel et collabo lorsque ces gens reprennent la théorie de « l'entrisme » théorisée avant guerre par le maître barbichu, concernant le travail syndical clandestin dans les syndicats staliniens (qui pouvait encore ma foi se concevoir) mais qui, en pleine guerre totale est suicidaire. Même pendant la guerre, les scissions ne cessent pas, du CCI sort le POI (fichez-vous des sigles, c'est secondaire) puis :

« Du POI émerge un nouveau groupe, le Mouvement National Révolutionnaire. Le leader du MNR, Jean Rous, est un des dirigeants du POI. On y trouve aussi Lucien Weitz, qui fut le principal animateur de la gauche révolutionnaire au sein de la SFIO socialiste, puis de l’aile gauche du PSOP, ou encore Fred Zeller, ancien proche de Trotsky et membre de la SFIO, futur grand-maître du Grand Orient de France. Le Mouvement édite deux journaux clandestins : la Révolution Française, puis Combat national-révolutionnaire. Dans le n°1 de La Révolution Française (septembre-octobre 1940), le MNR se dit «ni pro-Allemand, ni pro-Anglais, ni pro-Français». Le langage employé révèle à l’évidence la proximité des thèses nazies : «L’État et la nation doivent se défendre (...) contre les tentatives de domination occulte, qu’elles proviennent du judaïsme, de la maçonnerie ou du jésuitisme». Le n°1 de mars 1941 de Combat national-révolutionnaire précise que le MNR «souhaite un État fort, hiérarchisé, où la régulation entre les divers éléments de la population soit établie par des corporations». On retrouve les trois piliers du fascisme, l'État fort, l'obéissance hiérarchique et le corporatisme. Le MNR est démantelé en juin 1941. Jean Rous est condamné à six mois de prison, ce qui est pour l’époque une peine symbolique et un geste de connivence de la part des autorités d’occupation. En Belgique, le principal leader trotskyste, Walter Dauge, opte lui aussi pour la collaboration »12.

La plupart des groupes ou sectes se réclamant du trotskisme aujourd'hui se démarquent haineusement de toute accointance avec « les fachos » qui sont devenus à leurs yeux, quoique minoritaires et sans avenir, plus dangereux que le capitalisme lui-même, et servent de justification aux recruteurs trotskiens pour appeler à voter en faveur de tout candidat bourgeois « démocratique ». Avec Jonathan nous n'avons pas trouvé non plus de groupuscules boukhariniens en Amérique, mais un article en anglais de la TCI (tendance communiste internationale qui, comme le CCI, dénonce les mêmes limites nationales de ces prétendus internationalistes) où les trotskiens soutiennent toujours un camp militaire.
Pas aussi caricaturaux néanmoins par exemple que les lambertistes, très présents en France dans le corps enseignant, et qui ont mérité leur surnom de stalino-trotskistes. Ils irradient un peu partout surtout chez FO, dans la franc-maçonnerie et ont constitué l'école de formation de base de plusieurs politiciens français, les Jospin, Mélenchon
et l'avocat Gilbert Collard (passé au FN et à la « préférence nationale »). Dans la mouvance de ce comique « Parti des Travailleurs » avait été créé à une époque récente (2005) un bidonnant « Comité national pour la reconquête de la démocratie », avec un site internet au nom tout à fait explicite : http://www.republiqueuneetindivisible.com/. Le site a disparu au bout de quelques mois. Les slogans fleuraient bon la Troisième république ou le Mélenchon moyen: « Pour la défense des 36 000 communes », « Pour la République, une indivisible et laïque, » « Pour la défense de la souveraineté de la nation » . Lorsque la secte lambertiste se présente en pleine lumière, aux élections, elle ne fait jamais un malheur, les autres lascars NPA et Lutte ouvrière font plus présentables.

Jean-Guillaume Lanuque qui accomplit depuis des années un travail sérieux de défrichage des différents courants trotskistes nous livre de précieuses informations sur leur passé multiple et même un curieux passé « national » avec cette renversant maïeutique trotskienne :

« Quant aux constructions théoriques dues à Testu (Henri Molinier) qui dans un texte du 28 août 1940 au titre emprunté à Lénine, « Que Faire ? », tente de caractériser la situation nouvelle de l’Europe au lendemain des victoires d’Hitler, elles apparaissent comme surprenantes. Pour lui les victoires nazies ouvrent une longue période de recul pour le mouvement ouvrier, il faut s’y adapter. « Que Faire ? » propose donc l’entrisme dans les organisations fascistes et d’ailleurs aussi dans le PCF et ses comités populaires, sans qu’il ne s’agisse là d’une adhésion aux idées collaborationnistes, bien sûr. Quelques militants entrent alors au RNP (Rassemblement national populaire) de Marcel Déat, Henri Molinier (…) Un autre militant gagné lors de l’entrisme à la SFIO par l’ex-PCI en 1936, Paul Cognet, dirigeant de la Fédération CGT de l’habillement, se rallia à Pétain, siégeant dans les organismes corporatifs mis en place par la Charte du Travail. Quant à René Binet (1913-1957), contre qui le CCI publia une mise en garde en avril 1943, il semble bien que nous soyons en présence du seul cas de trotskyste devenu nazi. Cet employé, syndicaliste CGT et ancien militant des JC (il en fut exclu en 1934) se rapprocha de l’ex-PCI dont il devint membre du CC en 1936. Ayant regroupé une quinzaine de militants autour de lui dans sa ville du Havre, il y publie un journal Le Prolétaire en 1938-39. Dans un article du 1er septembre 1938 intitulé « La chasse aux trotskystes est ouverte », il propose de « désigner des otages parmi les chefs staliniens » pour que cessent les agressions contre l’avant-garde révolutionnaire. Prisonnier en Allemagne il évolue vers le nazisme auquel il reste fidèle jusqu’à sa mort. Il est à noter que d’autres figures du trotskysme d’avant-guerre furent en partie désorientées, parmi elles Jean Rous. A l’automne 1940 il prétendit créer avec Fred Zeller et Maurice Jaquier notamment, un MNR (Mouvement national révolutionnaire) hostile à la fois à Vichy et à de Gaulle, à Londres et à Moscou, une position intermédiaire extrêmement difficile à tenir. Après la disparition du mouvement en 1941 du fait de la répression, il rejoignit la Résistance et la SFIO en 1944. Mais à l’intérieur du CCI, à l’initiative de Rodolphe Prager et de Jacques Grinblat (Privas), un coup d’arrêt est donné dès janvier 1941 à la dérive jugée dangereuse initiée par le texte d’Henri Molinier. Ce dernier est exclu de la direction à cette date »13.

J'ai voulu souligner les dérives « extrêmes » de certaines branches du courant trotskiste (pour forcer la note), mais l'option « repli national » existe tout autant de nos jours infectés chez les plus comestibles sous les formes répétées « d'Union de la gauche », de « front unique » avec les désormais improbables solutions nationales : nationalisations, pouvoir syndical accru, imposition des riches, accueil massif des migrants, etc.
Sur la fallacieuse solution anti-prolétarienne des nationalisations, on peut lire l'article sur ce thème dans « Le communiste international »14, qui garde le meilleur du bordiguisme dans la critique des théories jumelles des néo-staliniens et de leurs nouveaux amis trotskiens quand il s'agit d'envisager de sauver le capital nationalement. Sortons maintenant de l'étroitesse du repli national dérisoire.

Une fédération d'Etats plutôt qu'un Etat mondial ?

La polémique lancée par Kautsky sur un possible hyper-impérialisme unifié contre le prolétariat semble bien oubliée15. Avec cette théorie pleine de présupposés et de suppositions, quelques mois avant la guerre en 1914, Kautsky définit principalement l'impérialisme comme la relation de domination entre les pays développés et les pays sous-développés ou agraires, alors qu'il est déjà en germe entre les puissances. Il ajoute qu'avec le capitalisme monopoliste, les conflits et les rivalités entre les pays impérialistes tendent à se concilier. Un super-impérialisme verrait l'unification mondiale de la bourgeoisie en quelque sorte en un seul trust : « La fédération d'Etats plutôt que l'Etat multinational ou l'État colonial : telle est la forme des empires requise par le capitalisme pour atteindre sa forme la plus élevée, dans laquelle le prolétariat s’emparera du pouvoir ». Cette supposition qui croyait à une évolution pacifique dans l'immédiat du capitalisme, alors qu'on en était à la veille de la Première Guerre mondiale, repoussait aux calendes grecques toute véritable révolution de classe; mais ce que comprirent surtout Rosa et Lénine c'est que le « pape marxiste» faisait complètement fausse route car le capitalisme ne peut pas s'unifier par nature. Du côté russe, les deux amis théoriciens, Lénine et Boukharine, ne niaient pourtant pas que le super-impérialisme était une possibilité. Lénine a cette phrase sibylline : « sans aucun doute, avant qu’on n’en arrive à un tel trust mondial (…) l’impérialisme devra inévitablement sauter et le capitalisme se transformera en son contraire »16.

Personne ne l'a remarqué jusqu'ici, mais s'il y a désaccord politique entre « le pape » en déclin et ses jeunes contradicteurs, un point est commun dans leur propos : le capital tend vers une unification, une forme « la plus élevée » avec une fédération d'Etats selon Kautsky, et Lénine imagine aussi « un trust mondial » mais seulement après avoir fait sauter l'impérialisme. Très intéressant car le monde capitaliste reste divisé depuis deux cent ans au moins en pays, nations, continents concurrents, acharnés à se combattre ou à se détruire. Le vieux projet socialiste et communiste, et même anarchiste n'a-t-il pas toujours été d'aller vers un monde de paix mondiale où les hommes ne se feraient plus la guerre ? Le marxisme n'a-t-il pas toujours milité pour l'abolition des frontières tout en disant qu'il faudrait supporter un moment un Etat transitoire ? Mais cet Etat « mondial » que sera-t-il si la révolution triomphait mondialement ? L'Etat du plus puissant pays où se sera produite la révolution ? Qui aura par exemple fait sauter les frontières avec une « armée rouge » comme celle de Lénine qui s'est cassé les dents à Varsovie ? Ou comme l'armée « rouge » de Staline qui avait annexé les pays de l'Est après 1945 ? Ou si, généralement, comme on le conçoit partout, dans chaque pays une grève de masse jointe à une insurrection aura fait le boulot, sans en passer par un « impérialisme communiste » et mis en place un gouvernement transitoire qui n'aura de cesse de se fédérer avec les autres gouvernements des pays libérés du capitalisme ?

Les courants marxistes ont toujours glosé sur l'extension, la généralisation de la révolution. Pour les anarchistes simplistes et utopiques, c'est simple : l'Etat sera aboli partout automatiquement et des communautés libertaires feront pousser des choux et réguleront la circulation avec des trottinettes non polluantes, on pourra prendre le métro gratuitement et le coronavirus aura disparu.
Les marxistes, à plus ample informé, n'ont jamais trop tâté du côté de la possibilité ou nécessité d'un gouvernement mondial. Trop risqué ? La question n'est pourtant ni idiote ni inutile lorsque l'on voit l'impéritie et le chacun pour soi de tous les gouvernements bourgeois face à une menace épidémique qui menace toute l'humanité. Leur OMS qui n'est que le champ de rivalité entre les deux principales grandes puissances, a été complètement incapable de gérer l'épidémie depuis le début et reste aussi incrédible que le gouvernement français et ses courtisans menteurs. Depuis que le monde est monde et immonde, pourra-t-on retrouver un vrai monde ?

Selon le farceur nomade Jacques Attali, la démocratie (bourgeoise) ne peut être efficace qu'à l'échelle planétaire et, tant qu'il n'y a pas aujourd'hui de gouvernement mondial, on ne peut pas parler sérieusement de politique. La démocratie trouve son accomplissement dans la mise en place d'un gouvernement mondial puis de gouvernements régionaux et locaux. Sur le plan théorique, pour la plupart des chefs politiques bourgeois, l'hypothèse d'un gouvernement mondial est critiqué pour sa dimension utopique (forcément!) et son potentiel tyrannique (CQFD). En outre, au lieu de marginaliser les Etats , la mondialisation les aurait amené à renforcer leur rôle protecteur et régulateur, comme le montre le lamentable fiasco de la gestion des conséquences du covid! L'inénarrable Pascal Lamy  est bien sûr pour une gouvernance mondiale (capitaliste) en s'appuyant sur le poète Paul Valéry, ce qui fait chic. Il a raison sur quelques points, même s'il oublie la limitation des naissances et l'explosion des migrations: "La réduction des émissions de carbone, et la lutte contre l'épuisement des ressources halieutiques, la volatilité des monnaies (qu'est-ce qu'on s'ne branle!), le protectionnisme (sic!), la cybercriminalité, l'évasion fiscale (horreur!), ou les migrations contraintes ne sont pas d'abord des affaires locales. Elles ne peuvent pas être conduites dans le seul cadre national; une forme de gouvernance mondiale s'impose". Contre le covid-19 non plus!
Pourtant l'idée d'un organisme mettant en avant des priorités pour l'ensemble de l'espèce humaine, est-ce forcément un big brother ? La cacophonie, le désordre médical et les limites de la science et de ses technocrates dans la gestion chaotique de l'épidémie milite pour au moins une action unitaire et planétaire de la recherche. Or cela n'est pas le cas et ne sera jamais le cas sous le règne de l'argent et du profit. L'idéologie dominante depuis 1945 a inventé la théorie du totalitarisme qui serait le fond de toute centralisation, pourtant toutes les démocraties ont été amenées à centraliser la riposte prophylactique, à confiner à tour de bras, à contrôler et punir dans la plupart des pays face à une catastrophe sanitaire imprévue, et très imprévisible, d'une manière tout à fait dictatoriale, et nous aurions tort de nous en plaindre en premier lieu (sauf à considérer qu'ils ne l'ont pas assez fait et pas assez tôt); si nous avions été sous le régime d'un gouvernement mondial communiste ou d'une fédération de gouvernements de cet acabit, nous n'aurions pas fait mieux. On m'excusera d'utiliser le mot communiste pour gouvernement ; par essence un Etat ne peut être ni communiste, ni socialiste, ni anarchiste.
Pour l'heure, à moins de prendre au sérieux la théorie de l'Empire des modernistes Negri et Hardt,
qui se sont autant ridiculisés que Kautsky, il n'y a pas et il n'y aura pas un super-impérialisme, ni la Chine ni les Etats-Unis ne sont en mesure de l'emporter dans un combat cauchemardesque comme dans les batailles de géants de Tex Avery. Pourtant c'est du côté d'un artiste visionnaire que la question d'un gouvernement mondial apparaît, après la culbute du capitalisme, et il n'est nullement effrayant.



En 1903, l’écrivain socialiste H. G. Wells écrit le Nouvel ordre mondial où l’on peut lire : « Notre véritable État (…) doit être dès maintenant l’État fédéral mondial (…) Notre vraie nationalité est le genre humain ». En 1928 il écrit The Open Conspiracy (La Conspiration au grand jour) dans lequel il expose les méthodes qu'il préconise au niveau de l'éducation du genre humain, et donne sa réponse à la question : comment faire pour arriver à un gouvernement mondial ? N'est-il pas étrangement actuel :
« Nous vivons une nouvelle phase d’excitation, de provocation, de menace, d’urgence et de détresse réelle ou potentielle. Nos vies font partie de l’une l’autre. … Nous faisons partie d’une masse sociale. Que devons-nous faire de nos vies? » « Unissons-nous à d’autres personnes de notre espèce et transformons le monde en une grande civilisation qui nous permettra de réaliser les promesses et d’éviter les dangers de cette nouvelle époque ».

LA BAGARRE ENTRE ORWELL ET WELLS

Y a-t-il une conspiration pour la domination du monde, face à un autre monde que celui, disloqué, que nous subissons? Selon H G Wells, il y en a une mais en face, et il était fier d’en faire partie. En 1928, il écrit THE OPEN CONSPIRACY imaginant l’organisation derrière tous les mouvements qui nous ont amenés à notre état social actuel lamentable : méga-fusions des monopoles, catastrophe économique, machinisme, perte d’individualité et de souveraineté etc.

Il prévoit plus justement que Jules Verne pu tout ce qui allait se passer et comment tout cela allait se mettre en place. LA MACHINE À REMONTER LE TEMPS (1895), L’HOMME INVISIBLE (1897) et LA GUERRE DES MONDES (1898) sont des prédictions étonnantes du XX ème siècle. Il a influencé la plupart des auteurs de science-fiction mais aussi fait passer un message, un autre monde était possible même s'il fût désenchanté à la fin de sa vie.
Cela se passa fort mal avec un de ses fervents admirateurs, George Orwell. Orwell avait lu tous les livres de Wells, mais, auteur reconnu et âgé de 38 ans, il s'est moqué de lui, voulait-il tuer le père ? Il écrivit un article dans les années 1930 disant que Wells n'était plus qu'un prophète de l'âge élisabéthain, superficiel et dépassé. Wells, qui avait soixante-quinze ans, lui répondit « tu n'es qu'une merde ».
La différence entre 1984 et The open conspiracy, écrit en 1928, est que Wells espère un changement de société alors que Orwell parodie le stalinisme de 1948, à la suite de l'invention de l'idéologie totalitaire par Hannah Arendt, et après s'être mis au service de la police de sa majesté pendant la guerre mondiale.

Wells était mécontent de sa première version de The Open Conspiracy qu’il avait publié en 1928, envisageant une réécriture:« L’idée de réorganiser les affaires du monde à grande échelle… s’est maintenant répandue dans le monde jusqu’à ce que presque tout le monde la partage.  Cela s'est répandu grâce à la stimulation mentale du plan quinquennal russe.  Des centaines de milliers de personnes partout pensent maintenant aux lignes préfigurées par ma conspiration ouverte, non pas parce qu’elles avaient déjà entendu parler du livre ou de la phrase, mais parce que c’était comme ça ». Il déplorait, après avoir salué les bolcheviques que la nouvelle « tyrannie soviétique » soit la dernière source d'inspiration des gens. « Nous devons éclaircir et nettoyer les esprits », dit-il.

Wells déclara que la « Grande Guerre » (la Première Guerre mondiale) avait été un « gâchis de vie désastreux », même si nous savons qu’il avait lui-même participé à la propagande de guerre du gouvernement. La guerre lui avait « rappelé» à quel point il était ignorant.
de nombre de questions urgentes – depuis les conflits sociaux, raciaux, le contrôle des naissances et la vie privée, au contrôle public de la santé et de la conservation des ressources naturelles. 

Une mentalité de « planificateur mondial » s'exprime toujours dans son livre : une obsession constante contre le « gaspillage », l’impéritie des gouvernements, le contrôle étroit de l’économie, les négligences du système de santé, etc. Il était outré que les gens ne se rendent pas compte combien ils sont manipulés par les banques internationales et leurs représentants. Il était choqué moins par l'influence de la religion que par l'individualisme. Le bon conspirateur, selon son acception est celui qui est ouvert d'esprit, prêt à donner sa vie aux grands processus de reconstruction sociale. Wells loue l'aspect des religions qui exigent le sacrifice de soi parce que « c’est là que réside leur force créatrice ». Il était très hostile à l'individualisme, à ces « personnes sans âme et sans pensées qui ne peuvent pas se supporter elles-mêmes et leur propre vie » qui devraient tout simplement « servir » la « communauté » ou suivre les ordres d'un ordonnancement mondial humain :   « Nous n’avons pas besoin d’un développement spirituel puant ». Jusqu'où les
vrais conspirateurs ouverts d'esprit pourront-ils repousser la destruction de l’individu – ses libertés, ses droits traditionnels, sa volonté et sa conscience ?  Jusqu’où l’humanité permettra-t-elle que l’âme individuelle soit supprimée au nom du « service » à la soi-disant « communauté » nationale ou internationale ?
La conspiration de Wells est un guide sur le contrôle et la gestion du monde, un programme qui, devrait être orchestré (et serait couronné de succès) par ce qu’il a appelé la "conspiration ouverte". Ce complot est décrit en détail dans ce travail et est conçu pour être dirigé par de nombreuses organisations distinctes qui travaillent ensemble, au lieu d’être dirigé par un seul groupe.

Ses réflexions sur le socialisme imprègnent certains de ses romans d'anticipation, tels que La Machine à explorer le temps et Les Premiers Hommes dans la Lune, romans dans lesquels les héros découvrent, respectivement dans l'avenir et sur la lune, des sociétés nouvelles. Dans La Guerre des mondes, il met en parallèle les attaques martiennes contre la terre et les pratiques génocidaires de l'Empire britannique en Tasmanie.
Vers la fin de la Seconde Guerre mondiale, les Alliés découvrirent que les SS avaient établi une liste des intellectuels et des politiciens à assassiner immédiatement après l'invasion de la Grande-Bretagne pendant l'Opération Sea Lion. Le nom d'Herbert George Wells apparaissait en tête de liste, en raison de ses idées socialistes. Son idée politique la plus féconde concernait la nécessité de créer un État-Monde. D'après son autobiographie, il considérait qu'à partir de 1900 un État-Monde était inévitable. Si les détails de cet État-Monde ont varié au cours du temps, son principe fondamental consistait à organiser une société qui favoriserait les sciences, mettrait fin aux nationalismes et permettrait aux citoyens de progresser en fonction de leurs mérites et non plus en fonction de leur naissance. À l'époque où il pensait qu'un État-Monde était inévitable, il réalisa également que le type de démocratie parlementaire qui était pratiquée à l'époque n'était pas satisfaisante.
Lorsqu'il travailla à la Charte des Nations unies, il s'opposa à toute mention du terme démocratie. Il craignait que le citoyen moyen ne fût jamais suffisamment éduqué ou éclairé pour traiter des problèmes majeurs du monde, où n'importe qui pourrait décider de n'importe quoi. C'est la raison pour laquelle il pensait devoir limiter le droit de vote aux scientifiques, ingénieurs et autres gens de mérite. Mais il défendait en même temps l'idée que les citoyens devaient jouir du maximum de liberté possible, tant que celle-ci ne restreignait pas celle d'autrui.
Il faut noter qu'il avait accueilli avec enthousiasme les tentatives de Lénine de reconstruire l'économie russe, comme il le rapporta dans Russia in the Shadows (1920). Au départ, H. G. Wells pensait que Lénine pourrait engager la construction du monde planifié dont il rêvait, même s'il était lui-même socialiste foncièrement anti-marxiste. Il fût mitigé sur Staline, un orthodoxe obtus, mais « candide et honnête », ce qu'était certainement Wells. À la fin de sa vie, Wells avait perdu beaucoup de son influence dans les milieux politiques. Ses efforts pour aider à la création de la société des Nations se soldèrent par une profonde déception, lorsque cette organisation se révéla incapable d'empêcher la Seconde Guerre mondiale. La guerre elle-même le rendit de plus en plus pessimiste. Dans son dernier livre, Mind at the End of its Tether (1945), il jugea que ce ne serait pas une si mauvaise idée de remplacer l'espèce humaine par une autre espèce.
« L'espèce humaine est en fin de course. L'esprit n'est plus capable de s'adapter assez vite à des conditions qui changent plus rapidement que jamais. Nous sommes en retard de cent ans sur nos inventions. Cet écart ne fera que croître. Le Maître de la Création n'est plus en harmonie avec son milieu. Ainsi le monde humain n'est pas seulement en faillite, il est liquidé, il ne laissera rien derrière lui. Tenter de décrire une fois encore la Forme des choses à venir serait vain, il n'y a plus de choses à venir ».
Il nous arrive à nous aussi, parfois, de douter et de désespérer.




NOTES


1Mais pas le « meilleur des mondes » sinistre de Huxley !
2Sa pensée est cohérente, pendant la guerre, il se rendait déjà compte que « la classe ouvrière ne pouvait pas même songer à centraliser et à socialiser l’économie petite-bourgeoise », en particulier l’économie paysanne. Bien avant Trotski, en 1921, il pensait que pendant la « transition », la classe ouvrière est menacée d’être évincée par « une couche dirigeante » d’administrateurs, « germe » ou « racine » d’une nouvelle classe exploiteuse. https://www.cairn.info/revue-nouvelles-fondations-2006-3-page-142.htm#
3La note de wimédia en donne un bon résumé : https://fr.wikipedia.org/wiki/Socialisme_dans_un_seul_pays
4https://www.marxiste.org/theorie/classiques-du-marxisme/540-le-socialisme-dans-un-seul-pays
5Il faut se garder cependant d'exclure les motivations sadiques du pâle Staline, au passé louche d'ancien séminariste au penchant nationaliste russophile et à sa jalousie de ses brillants colistiers juifs. Ces penchants ne peuvent expliquer sa prise de contrôle total du pouvoir sans l'assentiment de ces mêmes « collègues », aussi désintéressés qu'aveuglés par la réussite (si temporaire) d'Octobre.
6Le regretté Georges Haupt s'en moquait en parlant « d'absolutisation » de la « guerre révolutionnaire ».
7Boukharine, qui a été avec Lénine un des innovateurs sur l'actualisation de la notion de dépérissement de l'Etat dans les années qui ont précédé la guerre, a de beaux restes. Dans le rapport sur le programme présenté au IVe Congrès de l’Internationale communiste, il dit pourquoi « l’État soviétique » ne peut pas organiser intégralement l’ensemble de l’économie, ce qui n'est pas du tout conforme à la théorie staliniste ni à sa sœur trotskienne. « L’appareil administratif colossal » qu’il faudrait entretenir est « plus coûteux que les pertes occasionnées par l’anarchie des petits producteurs ». Si le prolétariat ne se charge pas de détruire ce « monstre », d’autres forces le feront « exploser ». Le problème est de « trouver la proportion » entre ce qui peut être organisé rationnellement par l’État et ce qui le sera par des producteurs indépendants.
8J'ai polémiqué en 2008 avec ce « grand penseur » de la FA dans mon livre sur l'Etat de transition, et lors d'une réunion face à lui dans leur libriarie ; il continue à pontifier et salir l'expérience en Russie sur le web en s'appuyant sur ces deux réacs que je viens d'évoquer. J'avais eu l'occasion d'aller boire un pot dans les parages avec Michel Ragon, écrivain estimable et talentueux dont la bobologie a oublié de signaler sa mort en février dernier.
9On ne le rappellera jamais assez, l'historiographie bourgeoise et ses touristes en histoire universitaire ont persisté à laisser dire que c'est le peuple allemand qui avait secrété le nazisme, ce qui est honteux pour ce peuple et ce prolétariat qui ont tant souffert. Le premier écrit d'Henri Chazé, de retour de camp en Allemagne, est de saluer et défendre le peuple allemand, première victime du nazisme.
10Cette expérience malheureuse de l'identification à l'Etat il fallait bien qu'elle fût ! Jusque là aucun socialiste n'imaginait que l'Etat, même échappant au capitalisme, pouvait devenir une arme à double tranchant. Comment reprocher aux critiques de cette expérience qui, après avoir été acteurs, ont tourné casque ? Trotski lui est resté fidèle à sa Russie et à « son » Etat ouvrier dégénéré, c'est pourquoi sa théorie a fait faillite à la suite du stalinisme. D'autres revirements pour étonnant qu'ils paraissent nous reviennent. Marx et Engels tout à leur théorie de la guerre révolutionnaire soutiennent la Prusse en 1870 en guerre contre la France mais quelques mois plus tard se voient obligés de soutenir la Commune de Paris.
11Courant Communiste International, fondé en 1975 (j'y étais) et qui n'a rien à voir avec le CCI trotskiste – Comité Communiste Internationaliste - sorti de leur PCI en 1943 – et qui appelait à noyauter organisations fascistes et staliniennes.
12Comme quoi l'accusation par les staliniens d'un « hitléro-trotskisme » n'était pas infondée : https://www.contreculture.org/AT_Natrisme.html
13A lire absolument, « Les trotskystes français et la seconde guerre mondiale » : https://dissidences.hypotheses.org/7109
15La revue Contretemps donne une approche détaillée et claire de ce débat complexe qui montre la dérive pacifiste de l'ancien pape du marxisme : https://www.contretemps.eu/theorie-imperialisme/