PAGES PROLETARIENNES

mercredi 14 août 2019

Le parti impossible du prolétariat et la culture du blabla


C. Mir
« Le citoyen soviétique possède, à mon avis, une entière liberté de critique ».
Sartre (journal Libération, 15 juillet 1954)
« Mao libère l’humanité des valeurs bourgeoises ».
Philippe Sollers1

Les révolutionnaires professionnels en retraite sont en vacances comme la classe ouvrière, mais comme ils s'ennuient je me suis douté qu'ils s'occupaient à philosopher. Dans le mille, je lis ceci sur le site du CCI :

« Le legs dissimulé de la gauche du capital (V): Le débat : conflit brutal pour la bourgeoisie, moyen indispensable de clarification pour le prolétariat Soumis par Révolution Inte... le 4 août, 2019 – 16:59. »
Pensez-donc, un militant à 16 H 59 avait posté – alors que vous bronziez au soleil - ce qui était jusque là réservé aux heureux lecteurs internes ou à la lecture interne, le texte intégral (5e chapitre) des œuvres de C.Mir (ex Peter puis Colonel Fabien, puis, surnom plus conforme à un qui s'admire et se mire depuis 50 ans) rapporteur inamovible d'insipides rapports de congrès miniatures et qui fait la pluie et le beau temps dans une version relookée de l'ingénieur des âmes. Mais rien que le titre ! Quel panache ! Quoique le sous-titre soit moins mystérieux. La secte nous a habitué depuis longtemps à d'étranges contorsions théoriques qui, sous prétexte d'approfondissement, masquent une inanité politique flagrante. On tombe pourtant encore sur de très bons articles, concernant les modes idéologiques de la gauche bourgeoise, mais rien n'y fait, le néo-stalinisme repointe toujours son nez et son arrogance.
Absent depuis plus de vingt ans des virevoltes et crises du CCI je ne suis plus très au fait des divers règlements de compte qui se sont succédé intramuros – aboutissant toujours, à chaque fois, à l'élimination de supposés compétiteurs du couple de gourous qui mène la danse après avoir éliminé, comme Koba, la plupart des fondateurs du groupe en 1968. J'avais tiqué en lisant des articles sur la « culture du débat », notion plutôt étrange concernant un groupuscule politique peu cultivé au sens prosaïque et hermétique à toute libre discussion du fait d'une ambiance paranoïde. J'ai consacré deux articles récemment à la nouvelle culture de la morale... prolétarienne2. Je ne pensais pas qu'ils iraient jusqu'à théoriser la parlote comme arme de combat afin de pourfendre la bourgeoisie, avec un fond d'explication à la Gramsci (théoricien italien qui se mit au service de la « morale » stalinienne) où le marxisme n'était plus considéré que comme une réforme intellectuelle et morale. Les raisons d'ignominies de deux décennies de mises en accusation et d'exclusions diverses n'ont jamais été purgées. Nul n’aura jamais eu à rendre compte. On chercherait en vain la moindre explication de ce naufrage politique, le moindre repentance3. On ne peut s'empêcher de penser à tous ceux qui sont restés. Quand on a avalé de telles quantités de sornettes et qu’on est toujours sur le dedans la secte, aussi réduite soit-elle, comment n'est-il pas possible d'avoir honte ?

Halte là ! Les rapports-fleuve et les textes à rallonge du penseur central sont basés sur un truc, le truc idoine classique : suffit de rejeter la faute sur les autres, ces divers petits bourgeois, parasites, individualistes, voire flics déguisés qui ralentissent la marche glorieuse des meilleurs représentants du prolétariat. La stratégie de « la faute aux autres », surtout disparus ou exclus, est le mécanisme habituel de la projection comme à l'armée l'argument patriotique sert à rendre l'autre étranger. Cette stratégie évacue toute possibilité de penser que vous pourriez avoir eu tort à un moment donné dans votre parterre militeux. Cette technique revient à reprocher à l'autre ce qui vous caractérise mais que vous refusez d'admettre, que ce soit un argument démagogique, un mensonge ou un impair. On projette donc sur l'autre ce qui ne nous plaît pas en nous. Cela dit, la secte CCI n′a pas été non plus totalement responsable de ce qui lui est arrivé. Et les responsabilités ont été parfois partagées voire occultées. Les opposants discriminés n'avaient-ils pas été eux-mêmes des Fouquier-Tinville pour les wagons de « parasites » précédents ? Le « vieux » Marc Chirik qui avait été capable pendant près de trois décennies de contenir les tensions et rivalités n'était plus là. Pour être cruel je dirai que Charlemagne n'avait eu pour « legs » que des nains. La classe ouvrière n'avait pas livré ses secrets de ses supposées « années de vérité » d'un « cours historique » devenu une cour hystérique. Hélas, en général seul un individu peut reconnaître (sous la torture) qu'il s'est trompé pas un parti.

On peut donner cependant une manière de mea culpa dans la façon de présenter les choses. Lisons cette « apparence » d'amende honorable :

« La seconde raison essentielle qui a poussé le CCI à revenir sur la question d'une culture du débat a été notre propre crise interne, au début de ce siècle, qui a été caractérisée pas le comportement le plus indigne jamais vu dans nos rangs. Pour la première fois, depuis sa fondation, le CCI a dû exclure de ses rangs non pas un mais plusieurs de ses membres. Au début de cette crise interne, s'étaient exprimées au sein de notre section en France des difficultés et des divergences d'opinion sur la question de nos principes organisationnels de centralisation. Il n'y a pas de raison pour que des divergences de ce type, en elles-mêmes, soient la cause d'une crise organisationnelle. Et elles ne l'étaient pas. Ce qui a provoqué la crise, cela a été le refus du débat interne et, en particulier, les manœuvres visant à isoler et calomnier -c'est-à-dire à attaquer personnellement- les militants avec lesquels on n'était pas d'accord.
A la suite de cette crise, notre organisation s'est engagée à aller jusqu'aux racines les plus profondes de l'histoire de toutes ses crises et de ses scissions. Nous avons déjà publié des contributions sur certains de ses aspects. L'une des conclusions à laquelle nous sommes parvenus est qu'une tendance au monolithisme avait joué un rôle majeur dans toutes les scissions que nous avons connues. A peine des divergences apparaissaient-elles que certains militants affirmaient déjà qu'ils ne pouvaient plus travailler avec les autres, que le CCI était devenu une organisation stalinienne, ou qu'il était en train de dégénérer. Ces crises ont donc éclaté face à des divergences qui, pour la plupart, pouvaient parfaitement exister au sein d'une organisation non monolithique et, en tous cas, devaient être discutées et clarifiées avant qu'une scission ne soit nécessaire.
L'apparition répétée de démarches monolithiques est surprenante dans une organisation qui se base spécifiquement sur les traditions de la Fraction italienne qui a toujours défendu que, quelles que soient les divergences sur les principes fondamentaux, la clarification la plus profonde et la plus collective devait précéder toute séparation organisationnelle »4.

Il y a une dizaine d'années le philosophe number one de l'orga avait déjà pris son bâton de Moïse pour faire la leçon à sa poignée de sectateurs, cette année là il faisait la pluie :

« Les premières communautés agraires ont vite compris qu'elles dépendaient de la pluie par exemple, mais elles étaient loin de comprendre les conditions dont dépendaient les chutes de pluie. L'invention d'un Dieu de la pluie est un acte créateur pour se rassurer, donnant l'impression qu'il est possible, au moyen de cadeaux ou par la dévotion, d'influencer le cours de la nature. Homo sapiens est l'espèce qui a misé sur le développement de la conscience pour assurer sa survie »5.

Mais il nous sert désormais le beau temps par l'auto-promotion :

« De notre côté, nous avons été surpris par la réaction de cette nouvelle génération envers le CCI lui-même. Les nouveaux camarades qui sont venus à nos réunions publiques, les contacts du monde entier qui ont commencé une correspondance avec nous, les différents groupes et cercles politiques avec lesquels nous avons discuté nous ont dit, de façon répétée, qu'ils avaient vu la nature prolétarienne du CCI autant dans notre comportement, en particulier à travers la façon de discuter, que dans nos positions programmatiques ».

La mégalomanie accompagne toujours la vantardise basée sur le néant, aucune preuve de ces « contacts du monde entier » (pourquoi pas de la lune?) ni de ces différents groupes et cercles politiques ».

L'entourloupe tape ensuite sur l'épaule de la vantardise :

« L'un des effets les plus corrosifs de l'individualisme bourgeois est la façon dont il détruit la capacité de discuter et, en particulier, d'écouter et d'apprendre les uns des autres. Le dialogue est remplacé par la "parlotte", le gagnant étant celui qui parle le plus fort (comme dans les campagnes électorales bourgeoises). La culture du débat est le principal moyen de développer, grâce au langage humain, la conscience qui est l'arme principale du combat de la seule classe porteuse d'avenir pour l'humanité. Pour le prolétariat, c'est le seul moyen de surmonter son isolement et son impatience et de se diriger vers l'unification de ses luttes ».

Pour moi qui ai assisté à tant de congrès du CCI en France ou dehors, je peux assurer que la parlotte y était dominante ; quant à l'action, elle était secondaire ou non noble6. On notera l'apport scientifique indéniable du théoricien simiesque qui nous apprend que la conscience se développe « grâce au langage humain » car nous pensions jusque là que ce n'était qu'au moyen de signes visuels et de poignées de main. De plus il nous est enseigné que parler « est le moyen pour le prolétariat de surmonter son isolement » alors que nous pensions jusque là que rester muet était sa meilleure façon de dire merde au capitalisme.

La fable de l'abstraction se moque de l'entourloupe :

« Ce qui est caractéristique de la mentalité de cercle, c'est la personnalisation du débat, l'attitude consistant à substituer l'argumentation politique à la polarisation non pas sur "ce qui est dit" mais sur "qui le dit". Il va sans dire que cette personnalisation constitue une énorme entrave à la discussion collective fructueuse. ...Déjà le "Dialogue socratique" avait compris que le développement du débat n'est pas seulement une question de pensée ; c'est une question éthique ».

Ce vieux cliché, qui était d'ailleurs un radotage du vieux Marc pour faire supérieur et rendre le contradicteur évanescent7, ne pisse pas loin – il s'agit de faire passer le quidam pour un crétin – puisqu'il est question une nouvelle fois de morale (foi de morale!), donc de raisonnement de curé à moustache démesurée.

UN MEME REFRAIN ALEATOIRE OU IL N'Y A QU'A CHANGER LES TERMES

Mettez culture du débat à la place de gauche en opposition ou à la place de décomposition du capitalisme et hop c'est joué !

Revenons à la présentation de ce cinquième volet de l'oeuvre du marabout C.Mir qui se fait médium du mode de pensée (hors domination idéologique) et définit l'orga carrément comme une nouvelle secte :

« L’article ci-dessous fait partie de la série : Le legs dissimulé de la gauche du capital, dans laquelle nous mettons en évidence une chose difficile à saisir pour de nombreux groupes et militants de la Gauche communiste : il ne s’agit pas seulement de rompre avec les positions politiques de tous les partis du capital (populisme, fascisme, droite, gauche, extrême-gauche) mais il faut rompre également avec leurs méthodes organisationnelles, leur morale, leur mode de pensée. Cette rupture est absolument nécessaire mais elle est cependant très difficile car nous vivons quotidiennement avec le poids des idéologies ennemies de la libération de l’humanité : bourgeoise, petite-bourgeoise et lumpenproletariat ».

Au milieu de tant d'ennemis (et de complots) il faut capuche porter, voire se munir de bâtons pour « rompre également avec leurs méthodes organisationnelles, leur morale, leur mode de pensée ». Or, politiquement, fonctionnellement et formellement a les mêmes méthodes « léninistes contestataires » que ses concurrents gauchistes, de morale elle n'a point, et le mode de pensée sur les grèves, les migrants et les catastrophes climatiques est de la même guimauve de gauche bourgeoise chrétienne, humaniste et compatissante que tout l'arc de l'islamo-gauchisme. Pourquoi se prétendre différent? Parce que le CCI est le seul à porter un chapeau au milieu de tant de chauves ! Or le mode de « penser » des humains reste compliqué. Selon l'école de Piaget, à un instant donné, un individu n'utilise qu'un seul mode de pensée. Au cours d'une réflexion ou d'une conversation, un individu peut utiliser différents modes de pensée. Il est difficile pour un individu d'utiliser tous les modes de pensée, et même de les comprendre tous. Une condition nécessaire pour que la communication entre deux individus soit une communion, est que les deux individus utilisent le même mode de pensée au même moment. Cela n'est même pas possible au sein d'une secte puisque personne n'a été élevé à l'identique. Ce n'est que la fausse communion politique illusoire.

Cet exclusivisme ou cette prétention à se croire seuls vrais critiques du système d'abrutisssement capitaliste et en dehors de l'idéologie dominante est typique de l'esprit de secte, cf. wikipédia :

« Le mot « secte » désigne d'abord un ensemble d'individus plus ou moins important qui s'est détaché d'un enseignement officiel philosophique, religieux ou politique pour créer leur propre doctrine, et qui travaillent à faire valoir et imposer leur point de vue dans le monde. . Les responsables de ces groupes sont souvent suspectés d'une part d'étouffer la liberté individuelle au sein du groupe ou de manipuler mentalement leurs disciples, en s'appropriant parfois leurs biens et les maintenant sous contrôle entre autres par la fatigue, et d'autre part de menacer l'ordre public. Cette connotation négative du terme « secte » est récusée non seulement par les groupes visés, mais aussi par un certain nombre de juristes et de sociologues (sic, eux-mêmes sectaires ».

L'usage du mot secte devient lassant voire rédhibitoire car inapte à tout expliquer, notamment cette emprise du plumitif qui pond à peu près la même tambouille théorique depuis des décennies. Il n'est pas un simple faiseur de la pluie et du beau temps. En 1921 dans « Psychologie des foules et analyse du moi », Freud postulait en l’humain une composante « phylogénétique »8 permettant au groupe en tant qu’entité de vivre à travers les individus qui le composent. Le CCI ne menace aucunement l'ordre capitaliste et se concentre seulement sur les façons de manipuler mentalement ses disciples. Mieux, dans cette façon de jongler avec le nouveau gimmick 9– ladite culture du débat – les virevoltes sur les notions de « discussion collective fructueuse » ne rendent pas le mensonge déconcertant mais ridicule. Il n'y a pas de débat réel dans la secte. La femme-gourou, qui se faiasit appeler Avril comme les thèses de Wladimir Ilitch, n'avait-elle pas déclaré que les bulletins internes sont une poubelle ? Tant pis pour les « ordures » qui la remplisse !

Il suffit d'assister à leurs réunions « publiques » et pudiques où la (petite) salle est composée à 90% de leurs disciples venus en train ou à dos d'âne de leur province, où il faut à ces mêmes disciples demander la permission pour intervenir, à condition d'avoir précisé le contenu de la déclaration au sergent chef qui préside à la table de tribune. La culture du débat, c'est en fin de réunion faire parler tous les disciples (encadrés) à tour de rôle, dans une parodie de démocratisme où même celui ou celle qui n'a rien à dire est obligé de donner satisfecit aux clichés et banalités « prolétariennes » qui ont égayés un « vrai débat sur un terrain de classe » à défaut d'un vrai ébat sur un terrain de chasse.
L'adepte qui parle à son tour pour ne rien dire de spécialement consistant peut toujours s'imaginer qu'il est une part de l'âme collective quand le gourou (absent) jouit du plaisir narcissique de faire croire à une droit à la parole idéal, supérieur au faux débat des spécialistes bourgeois. La culture du débat sombre ici dans la connerie pure et simple du petit soldat adepte à qui l'on fait croire que s'il n'est rien socialement il est tout comme militant, de ce tout anti-individualiste du moment de communion collective où la parole de colonie de vacances est la voix unique de l'orga dans cette quête rémanente du communisme ici et maintenant10.

BESOIN DE PARLER OU DROIT D'EXPRESSION ?

« Sans théorie révolutionnaire pas de mouvement révolutionnaire » Lénine

S'il n'est pas dépressif, tout être humain ressent le besoin de parler, et pis encore de s'exprimer, pas simplement par la parole, s'il appartient aux classes inférieures. C'est une banalité de base que les discoureurs du CCI – qui comme n'importe quel blabateur n'aiment jamais que s'écouter parler et surtout expliquer – découvrent subitement comme le nec plus ultra d'une conscience révolutionnaire qui ne pourrait plus s'exprimer que de manière philosophique et sociologique. Dans ce cinquième article de la série, ils (lui) traite(nt) de « la question vitale du débat ». Révélant le peu de cas que le militant lambda fait de l'expression du non encaserné, il n'est pas étonnant que le gourou principal du CCI n'utilise que le terme débat, terme prisé par nos intellos bourgeois et pas celui autrement significatif, pour les prolétaires d' « expression »; dans le vocabulaire politique généraliste "s'exprimer" signifie d'ailleurs "prendre position"; cela n'élimine pas le fait que la prise de parole est action; Bourdieu dit d'ailleurs: "dire, c'est faire".
Notre maître du métalangage blabla oublie d'en référer à cet étrange « droit à l'expression » dans l'entreprise que le code du travail s'efforce de maquiller11. Il n'utilise pas non plus les termes « liberté d'expression » puisque la liberté de penser n'existe plus dans la secte (car elle est « pensée »). Les totalitaires en récusent la définition officielle :

« La liberté d'expression est le droit reconnu à l'individu de faire connaître le produit de sa propre activité intellectuelle à son entourage. Elle procède de la faculté de communiquer entre humains, qui a longtemps été seulement considérée comme un simple phénomène naturel conditionnant la vie sociale, avant d'être solennellement érigée en liberté individuelle, aujourd'hui juridiquement garantie mais en réalité assez étroitement encadrée »12.

Chez les marxistes de chaire et de secte, avec leur penchant à l'absolutisme, il faut toujours s'attendre qu'au nom du « collectif sacré » ils rêvent d'appliquer à nouveau la loi Loi des suspects (1791) qui prévoit d'arrêter et de condamner à mort toute personne soupçonnée d'avoir une opinion contraire à la Révolution.

Le petit rapporteur de l'histoire revisitée en salon de thé (théoricien ! Ah Ah!) aurait pu plagier l'excellente citation de Lénine, qui se serait aussi moqué des poujadistes en veste jaune sans théorie et sans tête : sans débat révolutionnaire pas de mouvement révolutionnaire. Par un simple retournement, en attribuant au seul prolétariat une capacité à débattre qui n'est nulle part démontrée, le gourou espère faire avaler que la secte qui s'en réclame débattrait, elle, vraiment et ne serait nullement une assoc de suivistes craintifs. Discuter dans une assoc aux principes indiscutables serait bien la moindre des choses pourtant. Comme il n'y a plus depuis un moment de grands mouvements de protestation gréviste (excepté ces minables en veste jaune) il ne reste plus au « guide du prolétariat » qu'à se faire philosophe, voire psychologue à deux sous en bricolant des extraits de Marx, le tout émaillé de suppositions farfelues :

«  Le prolétariat, la classe du débat. Le débat est source de vie pour le prolétariat, lequel n’est pas une force inconsciente luttant complètement à l’aveugle, motivée par le déterminisme des conditions objectives, il est au contraire la classe de la conscience dont le combat est guidé par les compréhensions de ses nécessités et de ses possibilités sur le dur chemin vers le communisme.
Cette compréhension n’émane ni de vérités absolues formulées une fois pour toutes dans le Manifeste du Parti communiste ni de l’esprit privilégié de chefs géniaux mais il est le produit “du développement intellectuel de la classe ouvrière [qui devait résulter] de l’action et de la discussion communes ».

Le suc des révolutions n'est plus l'agitation de rues, l'émeute, la violence, les atteintes aux symboles du pouvoir mais le débat. Le débat devient dans la nouvelle théorie la seule source de la conscience des malheurs du monde et qui produit automatiquement messianisme prolétarien. Par cette géniale trouvaille du gimmick de la discutaille on est projeté au-delà des sempiternels radotages entre conscience apportée de l'extérieur ou conscience intrinsèque des masses. La grève généralisée est remplacée par le blabla généralisé, ce qui est une hérésie anti-marxiste. Les mouvements de révolte ne procèdent jamais à partir de gentilles discussions entre pauvres exploités ni de débats sans limite, quoique de mille façon la bourgeoisie au pouvoir empêche en effet de véritables débats ou censure ceux qui pourraient devenir inquiétant lors des manifestations (c'est pourquoi elle dispose de casseurs professionnels pour pisser sur les flics et provoquer rapidement la répression).
Ce qui nous intéresse nous les ennemis de l'ordre existant ce n'est pas de philosopher sur le débat idéal, merveilleux et possible ou iùmpossible, c'est de mettre en évidence qu'on est obligé de cogner avant de parler. 
A ses débuts compréhensibles et honnêtes le mouvement des vestes jaunes n'a pas explosé grâce au même type de blabla minuté des indignados bobos urbains mais en passant à l'action. En cela il a été exemplaire de comment la révolte peut et doit exploser. Les révolutions ne s'érigent pas d'abord en « gigantesque débat de masses » des « ouvriers, jeunes, femmes et retraités » (nouvelle catégorisation prolétarienne cciesque). La révolution russe ne fut pas basée sur un « débat permanent » mais par une passion collective où la discussion n'était pas forcément le moteur du tempétueux mouvement d'insurrection fait d'impulsivité et de bordel généralisé plus souvent anarchiste que conscient, où nous n'étions pas plus présent que notre gourou volant et où la référence livresque ne démontre rien. Quant à la référence romancée, voire un peu gaga à un Mai 68 où les « masses » auraient causé comment détruire l'Etat, où l'écoute aurait été reine, quelle rigolade ! C'est prêter à la majorité des ouvriers nos rêveries estudiantines. Le gauchisme ridiculisait la grève généralisée sans blabla. On blabatait dans la cour de la Sorbonne, tu parles Charles ! Je repense à ce vieil ouvrier qui me répliqua contre ma joie d'exhiber les débats « révolutionnaires » : « bande rigolos vous avez couvert de peinture Pasteur mais lui il a apporté à l'humanité ce que vous ne lui apporterez jamais ! ».
Les derniers mohicans d'un CCI décomposé s'étaient enthousiasmés pour la lutte contre le CPE qui allait nous produire des milliers de jeunes révolutionnaires, où sont-ils passés ? Et aussi les indignés dont les partis en Espagne ou en Italie sont allés gouvernés avec les camarades d'extrême droite...
Ce ne sont plus les catégories de conscience, de capacité d'organisation ou d'initiative surprenante qu'il faut parler au cours de la révolution rêvé mais de cette abstraction « le débat », « nerf vital de la classe ouvrière », surtout quand on sait que les politiques (bolcheviques ou autres) monopolisent le débat entre eux pendant les révolutions13. Cette nouvelle invention lui permet de se démarquer du « monolithisme bordiguiste », mais cette politique de girouette est bien pire que « l'invariance bordiguienne » qui mérite encore notre respect.
Dans ce qui suit, in extenso, j'ai simplement remplacé parti bourgeois par le mégalomaniaque CCI, et cela résume bien l'ambiance des « débats des années 1990 », que cette longue sérénade sur la méchanceté des partis bourgeois a pour vocation d'effacer:

« Pourquoi parlent-ils de “débat” alors qu’en réalité c’est un duel à coups de gourdins ?
Cependant les militants qui sont passés par le CCI ont vécu dans leur propre chair que ce “débat” est une farce et une source évidente de souffrances. Dans tous les partis gauchistes ou maximalistes, quelles que soient leurs couleurs, le “débat” prend la forme du “Duel à coups de gourdins”, le fameux tableau de Goya que l’on peut contempler au Musée du Prado. Les débats de congrès relèvent plus du “débat-poubelle”14 au vu de la quantité d’insultes, d’accusations, de linge sale, de pièges, de coups bas, etc. qui en ressort. Ce sont des spectacles de dénigrement et de règlements de comptes : conçus comme un match de boxe où la clarté, la vérité, la réalité ne comptent pas. Le seul enjeu est de voir qui gagne et qui perd, qui va duper et mentir le mieux, qui va manipuler les esprits avec le plus de cynisme.
Dans le CCI, la “libre expression” est une pure fumisterie. On laisse dire les choses jusqu’à une limite qui ne remettrait pas en question la domination des “dirigeants”. Lorsque ce seuil est dépassé, une campagne de calomnies est organisée contre ceux qui ont osé penser par eux-mêmes, quand on ne les expulse pas directement et manu militari du parti en invoquant un prétexte quelconque. Ces pratiques ont lieu dans tous les partis où aussi bien les bourreaux que les victimes y ont recours. (...)
Dans les congrès, personne n’écoute les présentations qui consistent en exposés ennuyeux où l’on affirme en même temps une chose et son contraire. On organise des conférences sectorielles, des colloques et bien d’autres événements qui ne sont rien de plus que des opérations de relations publiques. Le “débat” surgit lorsqu’il s’agit de déboulonner la clique au pouvoir et de la remplacer par une nouvelle. Ceci peut se produire pour diverses raisons : intérêts de factions, déviance en ce qui concerne la défense des intérêts de l'organisation, mauvais résultats des ventes de la presse… Dès lors éclate un “débat” qui s’avère être une arme de lutte pour le pouvoir. En certaines occasions, le “débat” consiste en ce qu’une faction invente une “thèse” alambiquée et contradictoire et l’oppose violemment à celle de ses rivaux, recourant à de féroces critiques au travers de mots, d’adjectifs incendiaires (“opportuniste”, “abandon du marxisme”, etc.) et d’autres prétextes sophistiqués. Le cours du “débat” n’est qu’une succession d’insultes, de menaces, de linge sale lavé en public, d’accusations… jalonnée de temps à autre par des actes diplomatiques d’accolades pour “démontrer” l’amour de l’ “unité” et que l’on “apprécie” des rivaux qui seraient avant tout des “camarades”. Il y a des moments, enfin, d’équilibre des forces entre les différentes factions en lice faisant du “débat” une somme “d’opinions” que chacun défend comme sa propriété et qui ne donne lieu à aucune clarification mais plutôt à une somme chaotique d’idées ou de textes “conciliateurs” qui mettent dans le même sac des idées opposées.
Ainsi donc, nous pouvons conclure que le “débat” dans le CCI (quelle que soit sa place sur l’échiquier politique qui va des parasites aux modernistes) est une farce et un moyen de se livrer à des attaques personnelles incendiaires qui peuvent engendrer de graves blessures psychologiques pour les victimes et qui montre de la part des bourreaux, une cruauté, un cynisme et une absence de scrupules moraux réellement hallucinants. Enfin, c’est un jeu dans lequel parfois ceux qui furent bourreaux peuvent devenir à leur tour victimes et vice-versa. Les mauvais traitements qu’ils ont subis, ils peuvent les infliger au centuple à d’autres dès qu’ils obtiennent une once de pouvoir ».

OU DEDALE du Cécéi renie ICARE du Jéhigécé

Ici il est clair qu'est visé « Moileparti », c'est à dire le dernier des opposants politiques du CCI resté debout et ayant la misérable vocation à refonder un CCI flambant neuf et débarrassé de ses hystériques et de son éclectisme politique caméléon, Icare du Jéhigécé15. C'est « Moileparti » qui est visé par « Nousleparti » comme porteur de gourdin dans ce qu'on vient de lire. Icare ne peut pourtant que se brûler les ailes plus que Dedale Peter (se mire). Ce que le CCI était il y a vingt ans a abouti à ce qu'il est maintenant. Icare n'est pas plus capable de « débat fraternel, public et international » que son ancêtre CCI16. Il nous propose un remake pantelant. Il ne peut être en désaccord par exemple avec la nouvelle théorie de big brother CCI, où ce n'est plus la liberté d'expression qui est souhaitée mais une « centralisation du débat » (brrrrr...) :

« Le prolétariat est une classe internationale et pour cela le débat doit avoir une nature internationale et centralisée. Si le débat n’est pas une addition d’opinions individuelles, il ne peut pas être non plus la somme d’une série de positions locales. La force du prolétariat est son unité et sa conscience qui cherchent à s’exprimer au niveau mondial.Le débat international, intégrant les contributions et les expériences des prolétaires de tous les pays est celui qui donne une clarté et une vision globales qui rendront plus forte la lutte prolétarienne ». (C'est Mir, 11 juillet 2018).
L'invention du gimmick « culture du débat » fait un flop dans la mesure où elle tente d'esquiver ce qui pèse encore et va peser longtemps sur les nouvelles générations révoltées : si vous changez le système ce sera automatiquement un nouveau stalinisme !


CHASSEZ LE STALINISME IL REVIENT AU GALOP

Le CCI qui n'a jamais visé le pouvoir et jamais n'y pourra prétendre, ne peut plus que singer, en moins grave et inoffensif certes (mais cela fait pitié), les contorsions du stalinisme. Aux temps du stalino-brejnévisme l'épuration spectaculaire (nouveau gimmick idéologique ou arrestations arbitraires) était la façon dont la propagande stalinienne avait présenté par exemple l’arrestation des médecins juifs dans les années trente sous prétexte de mobilisation morale. Dans ces années 1930, marquées à la fois par la crise systémique profonde du capitalisme et par l’installation du stalinisme – surtout après 1934, date de l’assassinat de Kirov prétendant à la direction de l’URSS à la place de Staline -, avait été installé la nouvelle morale. Elle allait servir de justification à la fois aux procès de Moscou – 1936-37 -, aux capitalistes et aux fascismes en se résumant dans la formule « la fin justifie les moyens ». Pour Staline, réfutant toute dimension internationale à la Révolution et prônant contre toute la tradition marxiste le « socialisme dans un seul pays », le rôle des Partis Communistes se résumait dans la défense de la patrie du socialisme, cette morale servait de paravent à la contre révolution politique de l’URSS. Tous les moyens étaient bons s’ils permettaient de défendre l’URSS, pourtant nouvelle forme de capitalisme d'Etat à l'échelle continentale. Ces moyens allaient de la politique « classe contre classe » dénonçant les sociaux-fascistes suivie de la politique dite des « Front populaire » d’alliance avec des partis de la bourgeoisie. La réaction courageuse de Trotsky restait plombée par sa considération a minima pour le stalinisme qu'il ne voulut jamais assimiler à un capitalisme primitif arriéré. Comme le CCI il se mit à faire des oeillades au démocratisme des Dewey, au débat... juridique pour contrer avec des bourgeois le stalinisme. Les staliniens défendaient la « nation bolchevique », Trotsky le « vrai parti bolchevique » mais nettoyé des scories staliniennes et le CCI « son organisation » inamovible et éternelle (comme la morale).

Avec Icare du Jéhigécé on retombe dans la même mégalomanie :

« La bataille pour la reconfiguration du camp prolétarien, du parti en devenir, est lancée. Pourquoi dédier tout un numéro de notre revue à l’état des forces communistes dont l’influence et l’impact sur la situation immédiate semblent si faibles ? D’une part, parce qu’en tant qu’expressions les plus hautes de la conscience de classe, les groupes de la Gauche communiste internationale sont un élément, produit et facteur, de la situation mondiale, de l’évolution du rapport de forces entre les classes. Que leur influence directe sur les luttes prolétariennes et la situation soit plus ou moins importante, souvent insignifiante à première vue, ne change rien au fait qu’ils sont une expression de la réalité de ce rapport de forces. D’autre part, parce qu’après des décennies de conformation (relativement) stable, une reconfiguration du camp prolétarien est en cours avec l’émergence d’une nouvelle génération et de nouvelles forces communistes et l’épuisement relatif de la vieille génération et des groupes politiques qui s’étaient développés après 1968 ».

« (…) C’est ainsi qu’a surgi Nuevo Curso en Espagne, défendant avec brio les positions de classe, débordant de dynamisme – son blog publie pratiquement une prise de position par jour –, avec une démarche politique certes particulière. Dans sa foulée, animés et encouragés par son dynamisme, en particulier en Espagne et sur le continent américain, sud et nord, de jeunes militants et groupes ont commencé à discuter et à se regrouper. Une véritable dynamique de discussion et de regroupement s’est alors développée tout spécialement autour de groupes, parmi d’autres, comme le Workers Workers Offensive et le Gulf Coast Communist Fraction. C’est tout naturellement que cette nouvelle génération de militants sans expérience s’est tournée vers la Gauche communiste internationale, et tout particulièrement vers sa principale organisation, la Tendance Communiste Internationaliste (et à un degré moindre vers notre propre groupe). D’autres jeunes camarades des États-Unis se sont aussi rapprochés du courant dit ’bordiguiste’ en rejoignant un de ses groupes ».

Bon, sachant que la plupart des blogs ne sont qu'un individu ou deux, on peut émettre des doutes face à tant d'enthousiasme envers un picrocholin réveil de cercles aspirant à la révolution
Icare
prolétarienne, fort loin du foisonnement post-68. Mais le problème est que ce camarade, beau et très intelligent, après n'avoir eu pour culte que le CCI et avoir été probablement le meilleur orateur du groupe en milieu ouvrier, s'entiche de la técéi, autrement dit ce vieux fleuron Battaglia Comunista, vieux rival de Bordiga :
« À ce jour, seule la TCI pouvait, et peut toujours, constituer ce pôle de référence historique, politique et organisationnelle autour duquel le reste du camp, du parti en devenir, peut et devrait se réunir. Ce point – que nous ne cessons de défendre depuis notre constitution – est d’autant plus difficile à faire prévaloir et comprendre que la TCI elle-même hésite fortement à assumer ce rôle et parfois même y tourne le dos ». J'ai produit dans mes Archives maximalistes une histoire (sinueuse) de ce groupe, franchement s'il disparaissait ce ne serait pas une grosse perte. Mais pourquoi Icare trompe-t-il son ex-père Dédale avec des ritals ? Parce que ce sont des ritals : l'histoire a octroyé au Parti communiste d'Italie le rôle sublime de porteur unique du maximalisme communiste et que Icare n'a « ni ce lien organique, ni le corpus programmatique, ni donc la légitimité et l'autorité politiques »17.
Icare ne rate jamais une occasion de noter les dérives confondantes du CCI mais pas toujours aussi idiotes ou réacs qu'elles en ont l'air18, et il nous éclaire sur les polémiques sur le parasitisme (notion qui permettait au CCI d'exclure ses concurrents et de se proclamer seul au monde) mais hélas au service de la secte Técéi :

« L’impact de la Décomposition expliquerait la croissance du parasitisme dans les rangs de la Gauche communiste. Malgré ses efforts, le CCI n’a pas réussi à convaincre les autres composantes de la Gauche, dont le BIPR, aujourd’hui la TCI, de ce danger au point qu’elles sont toutes passées de « la neutralité [vis-à-vis des groupes parasites] à la tolérance, puis à la coopération active avec de tels éléments ». Alors que « la réponse du milieu communiste (…) aurait dû exclure de [tels groupes] du camp prolétarien », c’est, selon l’article lui-même, le CCI qui s’est retrouvé isolé ! « Leur principal but [celui des parasites] a été de construire un mur autour du CCI, de l’isoler des autres groupes communistes et de détourner les nouveaux éléments qui surgissent de s’intéresser à nous ». Bref, le résultat de cette lutte du CCI contre le parasitisme en-dehors de ses propres rangs et vieille d’au moins deux décennies est un fiasco complet.
Et l’article de poursuivre, signalant ainsi toute l’ampleur de la déroute théorique et politique, que la réaction du CCI fut alors sectaire et opportuniste : « ce fut le côté sectaire de notre réaction. Mais aussi, il y eut un côté opportuniste » . Le rédacteur aurait-il été frappé à son tour par le parasitisme et le clanisme pour oser reprendre nos propres caractérisations politiques sur la dérive du CCI? Passons ».

Comme Dédale du CCI, Icare avertit le monde entier sur les réseaux sociaux de la malfaisance de « l'esprit de cercle ». Le combat de nos vaillants révolutionnaires est rude sur internet, les touches du clavier sont usées et leurs fesses de retraités ont des esquarres :

«  À tous : les forces en présence, une gauche encore hésitante et qui se cherche et une droite opportuniste et sectaire tenante de la lutte contre les parasites, sont identifiées. Nul ne pourra échapper à la bataille qui est lancée. Autant l’aborder avec détermination et décision.
Le GIGC, juillet 2019 .

ET SI NOS BRAVES MAXIMALISTES dispersés et haineux NOUS PARLAIENT DE SEXUALITE ?

Faites l'amour pas la guerre !


Dans la pose moralisatrice d'apologiste du débat convivial, le militant chef figure à nouveau le vieux stal qu'on nommait jadis espèce de saint laïque, dans cet univers stalino-petit-bourgeois parfaitement nunuche où les femmes étaient des « mamans » et où les enfants s'appellaient les « petits » règnait un conformisme moral et sexuel à faire pâlir l'islam ou le catholicisme traditionnel. On aimerait par exemple que le gourou, qui fût un coureur de première dans sa jeunesse, qui s'occupait des sympathisantes autrement que pour les intégrer politiquement, nous confie ce que pense le CCI en matière sexuelle.

Alexandra à poil
DES BOLCHEVIQUES PAS TRES PUDIBONDS...

On raconte que lors des nuits suivant les congrès à Moscou la baiseuse, Bordiga et les autres séducteurs italiens ne s'ennuyaient point.

En 1898, une certaine Alexandra se rend à Zurich, alors un lieu de bouillonnement révolutionnaire, et entre en contact avec les marxistes allemands. Là, elle entame une liaison passionnée avec le syndicaliste bolchevique Alexandre Chliapnikov. « Il est d’origine prolétaire, ce dont elle se réjouit dans une lettre à une amie. Elle ajoute que grâce à son amant, elle comprend la vie et les besoins des ouvriers, note Magali Delaloye19. Sa sexualité a une composante politique. » A ce sujet, elle avance des idées qui agacent les bolcheviques russes. Ainsi, Alexandra Kollontaï s’insurge contre « la double morale de la société bourgeoise, qui permet aux hommes de coucher avec qui ils veulent, alors que c’est interdit aux femmes ». La militante promeut « l’amour-camaraderie », dépourvu de jalousie et guidé par l’autodiscipline. Au-delà de cet aspect, elle s’inscrit dans la pensée du social-démocrate August Bebel (1840-1913) pour développer ses propres écrits théoriques, où elle défend l’émancipation des femmes. Fin 1917, juste après la Révolution, elle devient Commissaire du peuple à l’assistance publique pour quelques mois. Elle crée le zhenotdel, soit l’équivalent du Ministère chargé des affaires féminines, avec Inessa Armand, maîtresse de Vladimir Illitch Lénine.
Ce dernier, pratiquant lui-même la « double morale », déteste cordialement Alexandra Kollontaï, qui va progressivement être éloignée du pouvoir. Elle est nommée ambassadrice en Norvège en 1923, puis au Mexique et finalement en Suède. Peu avant la fin de sa vie, en 1951, elle écrit à Joseph Staline pour lui demander l’autorisation de verser ses archives personnelles à l’Institut Marx-Engels-Lénine de Moscou. « La correspondance de ces deux personnes, qui n’ont plus que quelques mois à vivre, est empreinte de nostalgie. Ce sont des vieux compagnons de route solitaires qui se retrouvent », commente Magali Delaloye. Leur relation devait être particulière pour que la bouillonnante activiste, dont les idées naviguent souvent à contre-courant de l’orthodoxie bolchevique, échappe au peloton d’exécution.
En parallèle, une autre figure féminine se démarque : Nadejda Kroupskaïa (1869-1939), compagne
Croupeskaïa
de lutte de Lénine et son épouse depuis 1899. Brillante, cette institutrice devient « la première dame du Kremlin rouge », comme l’écrit Magali Delaloye. « Elle produit ses propres textes théoriques, notamment sur l’éducation, tout en supervisant ceux de son mari », ajoute la chercheuse. De plus, la militante s’occupe de la correspondance du journal l’Iskra, l’organe du parti, et mène une campagne contre l’illettrisme dans les campagnes, pendant la guerre civile (1917-1923).
Parfaitement au courant de la relation de « son » Lénine avec Inessa Armand, elle pousse le dévouement jusqu’à garder les enfants de cette dernière. Ils formeront un triangle amoureux/amical peu banal. L’amante meurt toutefois de manière prématurée en 1920. Vladimir Illitch, qui disparaît quatre ans plus tard, en reste « écrasé par la tristesse », comme le rapporte Alexandra Kollontaï.
L’arrivée de Joseph Staline au pouvoir change tout. En effet, Nadejda Kroupskaïa est en très mauvais termes avec le « Père des peuples », qui l’a menacée de trouver une autre veuve à Lénine ! Le message est clair et la militante se retire. Elle n’est de loin pas la seule femme à passer en coulisses à ce moment-là. L’ère stalinienne est marquée par l’effacement progressif de la présence féminine au Kremlin, un phénomène décrit en détails, avec de nombreux exemples, dans l’ouvrage de Magali Delaloye.
Le cercle qui entoure « Koba » – son nom de clandestinité – est composé de ses amis, compagnons de lutte. Les épouses de ces derniers, issues le plus souvent de milieux très simples, sont des bolchéviques du plus beau rouge, mais pas des intellectuelles. Pendant quelques années toutefois, ce microcosme amicalo-familial vit dans une certaine insouciance. Leurs vies privée et publique se mêlent20.

Car « à cette époque, un ennemi du peuple, c’est quelqu’un qui connaît quelqu’un qui connaît quelqu’un », explique Magali Delaloye. Hospitalisée, la malheureuse Evguenia Solomonovna envoie deux lettres maladroites au Maître du Kremlin, des missives qui prouvent qu’elle n’a pas perçu que sa vie privée et la vie publique de son mari sont totalement liées. Le 19 novembre, la malheureuse se suicide avec l’aide de son conjoint. Un sacrifice inutile, puisque Nikolaï Iejov est fusillé le 4 février 1940, à la suite d’un procès dont la chercheuse expose la vertigineuse cruauté dans son ouvrage.
Lors de ses interrogatoires, le chef déchu du NKVD s’accuse lui-même de turpitudes sexuelles, et notamment d’avoir eu des amants. « Il amorce ainsi une pratique qui va se poursuivre, explique la chercheuse. Un ennemi du peuple est unidimensionnel : sa débauche est aussi bien morale que sociale. » Il faut signaler que l’homosexualité – masculine uniquement – est criminalisée en 1934.
Elle était particulièrement défendu par les révolutionnaires issus de la bourgeoisie urbaine, mais la pléthore d'enfants abandonnés, la situation difficile de nombreuses femmes et la bigamie finirent par donner raison à Staline et aux communistes issus des campagnes plus attachés à la morale traditionnelle, qui introduisirent des restrictions de plus en plus importantes au divorce en 1936, puis en 1944. Un tel retour en arrière devint difficilement supportable au cours des années 50 et conduisit à un nouvel assouplissement








NOTES



1Ces citations et d'autres inoubliables à retrouver sur ce blog : https://fabrice-nicolino.com/?m=201701

2La morale mène à tout même à la disparition politique. Avec le cercle Socialisme et Barbarie le projet de la revue était de restaurer la crédibilité morale du projet communiste en dénonçant le catéchisme stalinien, ses dérives et ses apories. Venu du trotskysme et à cheval sur un« socialisme humaniste » qui reconnaîtrait l’autonomie critique des individus contre l’abstraction des forces productives, Castoriadis pourfendait le « stalinisme qui, comme le capitalisme, réduit l’être humain à n’être plus qu’une chose, une pure marchandise ou un appendice des machines » mais finit par préférer le capitalisme libéral au communisme forcément stalinien !

3Puissiez-vous ne pas bronzer idiot, lire la saga triste et le dédale délirant du comité central du CCI : http://igcl.org/L-Historique-du-Secretariat . Si vous arrivez à vous y retrouver, quoique l'ambiance asile psychiatrique suffise à masquer une lutte pour le pouvoir sur « l'orga », à ne pas confondre avec orgasme.

4https://fr.internationalism.org/rint131/la_culture_du_debat_une_arme_de_la_lutte_de_classe.html

5 cf La culture du débat, Rint 2007.

6A l'époque (fin des années 1970), sans réelle expérience d'organisation digne de ce nom, les recrues récentes restaient cantonnées à des tâches subalternes, saisie de textes et diffusion de tracts ; certaines et certains se sentirent humiliés et partirent vers le pôle bordiguiste. Cette hiérarchie élitaire qu'il était indécent (et criminalisé) de mettre en cause ne nous empêchait pas (nous la base) de nous en moquer, même face aux foudres du « vieux » et de ses « nobles serviteurs » suivistes -comme ceux d'aujourd'hui croyant qu'on peut emprisonner ou limiter la « pensée individualiste » ce cauchemar de tous les totalitaires (cf. le couplet « L’individualisme, ennemi du débat ». Les groupes gauchistes en revanche utilisent des leurres pour masquer l'appareil hiérarchique en refilant tout un tas de « responsabilités » figuratives à leurs exécutants (responsable de stand, délégué régional, secrétaire à l'antiracisme, préposé au contact avec la famille Traoré, responsable écologique, rapporteur des méfaits de la police... je vous laisse imaginer le nombre de fonctions bidons qui servent à booster le militant de base..
7Marc était passé par l'école du PCF, et pas totalement étanche de relents de stalinisme dans sa façon de ridiculiser quelques fois de façon sexiste, sadique ou phallocratique ses critiques. Il utilisa souvent le terme « consoler » pour décrédibiliser ses opposants, certes souvent bobos universitaires (qui « avaient usé leur fond de culotte sur les bancs des facs »), mais assez macho, car on ne console que … les femmes ! Malheur à celui qui était taxé de chercher « à se consoler » ! L'argument l'excluait du raisonnement politique ad hoc et le féminisait.
8Une classification phylogénétique suppose que l'on regroupe les êtres vivants en fonction de leurs liens de parenté. Dans le cas de la secte CCI ils ne sont pas tous frères et sœurs ni pères et fils (bien qu'il y en ai), c'est plus ésotérique, les militants vous jusqu'à penser être analogues et homologues du théoricien chef, tout comme les politiciens populistes se pensent les exécutants de la populace.
9Le grand « guide » Marc Chirik (Dédale) était le spécialiste unique et incontestable des modes et gimmicks tous les 5 ou 10 ans ; après « la gauche en opposition » qui foira grâce à Mitterrand, « les années de vérité » expirèrent à Longwy et enfin « la décomposition du capitalisme » (qu'il certifiat avoir trouvé seul, alors que les premiers congrès de l'IC y font référence comme je le lui avais dit, oh sacrilège !) sert toujours de canne blanche au CCI actuel. C. Mir (Icare) n'a pas l'envergure du père Dédale ! Parmi les nombreuses confidences que cet homme très intelligent me glissait à l'oreille : « j'aime bien entendre les camarades exprimer ma pensée ».
10Dans d'autres textes sidérants du grand penseur « prolétarien » on trouve parfois cette image du communisme (approximatif) vécu ici et maintenant dans l'orga prolégomène du communisme virtuel.
11 Les salariés sont invités à exprimer leur avis, formuler des souhaits et propositions, présenter des observations personnelles sur le travail dans l’entreprise. Articles L 2281-1 et 2281-2 du Code du Travail

12Et la référence historique toujours si actuelle : « Le Procès de Socrate, poursuivi et condamné pour avoir tout à la fois corrompu la jeunesse, méprisé les dieux de la Cité et tenté de leur en substituer de nouveaux, illustrait bien les risques encourus à exprimer des conceptions heurtant les titulaires du pouvoir. Platon en avait conclu que les dirigeants des cités grecques n'avaient pas la sagesse nécessaire à l'exercice de leurs fonctions, et qu'à l'époque il fallait absolument «quand on veut combattre pour la justice et si l'on veut vivre quelque temps, se confiner dans la vie privée et ne pas aborder la vie publique».

13Lire l'étonnant « Les questions du mode de vie » de Trotsky, personnage pour lequel il m'est difficile de ne pas garder admiration malgré la décadence de son courant.
14Rappelons que la femme-gourou du CCI avait fait cette réflexion au gourou en chef : « les bulletins internes siont une poubelle ».
16Avec le radotage de la même plaidoirie démocrate : « Dans une organisation communiste, il faut combattre le suivisme, vice consistant à s’aligner, sans réfléchir, sur la position d’un “militant éclairé” ou d’un organe central. Dans une organisation communiste, tout militant doit préserver un esprit critique, ne pas prendre pour argent comptant mais analyser ce qui est exposé, y compris ce qui vient de “dirigeants”, d’organes centraux ou de “militants plus avancés” ». Combattre le suivisme quand on voit celui qui règne actuellement... Ou la façon préremptoire dont « Moileparti » Icare traitait au début ses nouveaux amis canadiens de Klasbatallo.
17Ce déplacement d'amour est de l'ordre de la consolation, comme le lui aurait dit Marc Chirik, qui le couvait : « La nature a horreur du vide. C’est dans cet espace libéré par la TCI et que personne ne pouvait occuper à sa place, pas même nous, que les principales forces anti-partidistes du moment, celles qui prônent la lutte contre la décomposition et le parasitisme, le CCI et son satellite en parasitisme, Internationalist Voice, se sont dépêchées de s’engouffrer afin de polluer la réflexion et le travail de réappropriation de ces jeunes camarades au moyen du poison destructeur, destructeur des groupes communistes et des convictions politiques des militants, de la théorie du parasitisme ».
18Icare montre qu'il a encore un mode de penser gauchiste simpliste en dénonçant l'article du CCI sur les suicides de flics. L'anti-flic primaire est avec l'antifascisme cacahuète le mode de pensée du gauchiste de base. Les flics ne sont pas des nazis mais aussi des êtres humains mais exécutants. Faudra-t-il tous les éliminer après la révolution ?
19Magali Delaloye, Une Histoire érotique du Kremlin Paris, Éditions Payot et Rivages, 2016. Je vais le lire pour vous.