PAGES PROLETARIENNES

jeudi 22 novembre 2018

Stéphanie représente la police pour les gilets jaunes d'Etaples

"Des figures émergent" (La Voix du Nord)
Enfin une assemblée des gilets jaunes d'Etaples était planifiée pour ce soir dix neuf heures. Je l'avais appris devant la pompe à essence à l'entrée du Touquet. Un gilet jaune m'avait invité à y venir. Il murmura qu'une salle serait sans doute prêtée par la mairie.
Depuis 6 jours il n'y avait aucun lieu, aucune indication où trouver la planification des lieux de blocage. J'avais bien hélé Stéphanie le deuxième jour, et elle m'avait donné un nom de site que je n'ai jamais réussi à trouver. Qui décidait donc ? Un comité secret ? Le premier venu ? Les jours suivants je me faisais insistant auprès des autres gilets jaunes qui me rambarraient gentiment : « tu vois des manips partout ».
Il faisait très froid. La salle se remplit assez vite. Il y avait bien une centaine de personnes de tout âge et les parents avec leurs bambins, tous vêtus du gilet jaune. Stéphanie arriva peu après et monta sur la chaise de la tribune, saluant la salle comme une vedette de variétés avec un grand sourire. Elle embraya tout de suite sur le dernier barrage au Leclerc d'Attin (juste avant Montreuil), héla une ou deux femmes qui détaillèrent leur action voire en proposaient d'autres selon ce qui leur passait par la tête. On allait continuer. On ne lâche rien, selon la formule de Macron et de Besancenot. Par contre, dit Stéphanie on pourra plus bloquer complètement sinon on sera verbalisé. Aucune analyse de la situation ni demande d'avis aux présents: faut-il continuer de la même manière, qui est d'accord ou pas pour aller à Paris, comment continuer à réfléchir ensemble sans courir partout comme des moineaux sans tête. Une carence à fonctionner en public plus qu'une manipulation, une incapacité à organiser une réunion par d'abord une discussion générale d'appréciation du moment, et ensuite passer aux aspects pratiques. Mais cela revient au même, à la méthode syndicaliste bourgeoise qui clive entre dirigeants et exécutants et ne laisse aux exécutants que le choix entre faire ceci ou faire cela. Doublé du fait que la majorité des ouvriers présents ont trop peur de parler en public, surtout s'ils sont mal à l'aise avec l'impression désagréable qu'on les mène en bateau ici aussi, et qu'ils s'en apercevront plus tard mais au moment de la démoralisation.
Le vieux monsieur, aux côtés de Stéphanie, reprenait le micro pour lancer la discussion, c'est à dire pas vraiment, mais « s'il y a des questions ». Pas on est prêt à écouter votre avis sur la situation, où on en est à deux jours de la marche sur Paris, est-ce utile d'aller sur Paris, est-ce que ça vaut le coup de bloquer pendant la semaine ? Non, posez vos questions.
Je demande le micro. Je m'étais préparé à ne pas être vindicatif, à ne pas allonger la sauce, à faire bref, sachant que les manipulateurs m'épiaient et certainement prêts à m'interrompre vu les critiques que j'avais faites les jours précédents sur les blocages irréfléchis et un comportement de petits soldats.
J'ai déclaré ceci :
« Le gouvernement a voulu nous mener en bateau et nous sommes partis pour lui faire un voyage au long cours. On pensait que le mouvement cesserait dimanche dernier, il a continué depuis, et même minoritaire il a souvent eu la solidarité par klaxons de nombreux automobilistes. Mais il y a eu des dérapages, des insultes et certains avaient le melon et se prenaient pour des caïds, des flics de la circulation (moues dans la salle). Il ne faut pas continuer comme ça. Ma première proposition est de distribuer aux voitures samedi prochain par un filtrage doux des chouquettes ; les commerçant ont été très affectés par nos blocages, demandons donc aux boulangeries d'Etaples de nous produire 3000 chouquettes, on peut se cotiser et cela nous rendra plus sympathiques.
La deuxième est en parallèle avec mai 68. Vous savez qu'au début il y a eux deux revendications : libérez nos camarades et créons des comités d'action. Ce souci de solidarité avec ceux qui sont déjà poursuivis par la justice et les nombreux emprisonnés qui ne sont pas tous des casseurs à la Réunion, on devrait le mettre en avant.
Deuxièmement j'ai une critique à vous faire. On ne sait pas qui fait quoi ici, comment sont prises les décisions. On n'a ni téléphone ni lieu de rendez-vous si ça se passe mal.Il faudrait donc créer ce soir quelque chose comme un comité d'action avec membres élus et révocables. Par exemple Stéphanie pourrait être élue pour une semaine et ensuite rotation. Moi je pense qu'on pourrait s'appeler aussi « conseil ouvrier d'Etaples », comme un salut aux révolutions du siècle dernier en Allemagne et en Russie. Et ça ferait parler de nous.

Le pépère s'enhardit à mettre les deux propositions aux voix, mais Stéphanie a d'autres choses à discuter avec ses copines (et ses complices) sur tel ou tel blocage. Stéphanie réagit ensuite de but en blanc après un aparté avec un de ses sbires :
  • hé les gars mais tout le monde a mon téléphone, la Voix du Nord et les flics aussi !
Et toute la salle de rire et les mains de se lever : « mais moi je ne l'ai pas ton téléphone »...
La discussion s'échauffe ensuite autour d'une suggestion de blocage de l'usine Valeo. Deux ouvriers de cette usine s'opposent à ce projet expliquant que dans ce cas les ouvriers ne seront pas payés. Je soutiens vivement ces deux ouvriers alors que la salle est plutôt molle et que si Stéphanie avait été plus rapide, il lui suffisait de dire : on vote à main levée, et l'affaire était entendue. On s'apesantit ensuite sur le blocage samedi de … (on ne le révèlera pas ici). Stéphanie demande un vote à main levée de ceux qui seront présents : attention il faudra vraiment venir ! Je n'ai pas levé la main, ouf.
On ne sait pas s'il y en a qui iront ou pas à Paris, ce qui ne semble pas les intéresser beaucoup. Tout part en vrille dans des détails sur comment laisser passer les gens, les pompiers, les enfants malades... Voyant mes gros yeux et faisant passer à l'as mes deux propositions, Stéphanie lance que l'idée des chouquettes est retenue, bien qu'elle ne l'ai pas mise aux voix... (et surtout pas celle de « conseil ouvrier »).
Une intervention est très intéressante. Un jeune ouvrier du blocage de Berck propose de faire des
liaisons pour se tenir au courant, et de faire des allées et retours entre les lieux de blocage..
Stéphanie est indignée, elle fait déjà assez de kilomètres, pour en plus devoir se rendre à Berck. Elle ajoute qu'elle a assez à faire avec la femme responsable des renseignements généraux avec qui elle discute régulièrement et qui a toute sa confiance, elle prévient aussi la gendarmerie la veille des lieux qui seront barrés. Tout se passe bien les gendarmes sont gentils.
Je lève le doigt. Elle fait semblant de ne pas me voir et dialogue avec ses copines sur la droite de la salle.
J'attends patiemment micro en main puis je force un peu la voix pour couper les copines : « je suis d'accord avec celui qui a parlé de se coordonner entre barrages, il n'y a pas que Stéphanie pour faire la jonction si çà lui coûte trop cher en essence (Stéphanie possède en effet un énorme 4X4) et la jonction ce n'est pas les liens de Stéphanie avec la police ni les Rendez-vous qu'elle leur donne pour les informer, c'est un détail, ce qui importe c'est les liens et les possibilités de discuter de la situation avec nos autres camarades… (NB, d'autres clans opaques ont paraît-il des "référents" à Paris (cf. une porte-parole interrogée sur CNews), c'est qui et quoi ces "référents"?
Une vieille blondasse complice de Stéphanie - qui avait crié un peu avant "on est là pour emmerder les gens" genre on bloque sans réfléchir - a déjà foncé sur moi et m'a arraché le micro (de quel droit?). Je ne proteste pas. En tout cas ce n'était pas à moi de protester qu'on m'empêche de finir mon raisonnement… si la salle acceptait ça… c'est qu'elle était une proie facile. J'avais décidé qu'il ne me fallait pas apparaître comme un trouble fête et puis il y a longtemps que je ne suis plus militant, je n'ai plus envie de faire le forcing. Je lève les yeux au ciel, deux ou trois personnes à côté de moi semblent étonnées de cette censure mais restent passives, mais sur le mode dubitatif face à la tournure prise par la réunion. Les pinaillages dignes d'une action syndicale encadrant de braves suggestions de petits soldats se poursuivent comme si rien n'était.
Je décide de m'éclipser pour ne pas cautionner une assemblée aussi futile d'enrôlement impulsif et ready made à une continuaton d'actions idiotes. C'est le même cheval fou sans tête que j'avais maintes fois déploré sur les barrages. Qu'ils soient en colère, certes, exploitables intellectuellement par deux ou trois grues et deux gros anciens syndicalistes, soit, mais ils sont aussi incapables d'écouter et acceptent encore de laisser certains « penser le mouvement à leur place ».
Heureusement en partant au fond de la salle, je reçois une tape amicale sur le dos d'un de mes compagnons de barrage au pont rose le 17, un imposant  et sympathique ouvrier en CDD, qui ne peut être présent que le weekend sinon il perd sa place :
  • ça va ?
  • Hélas non, ils sont cinq ou six à manipuler ici, ils prennent les gens pour des petits soldats tout juste bons à exécuter leurs directives... et pas de discussion sur la situation.
  • ah bon !
Alors je m'en voudrai toute la soirée de ne pas avoir fait scandale finalement, dénoncé la censure, l'histrionisme de Stéphanie, son étrange collusion avec la police, l'esquive de toute discussion sur la situation et l'avenir. Mais m'auraient-ils écouté ? Hué ?
Et puis tant pis pour eux, un individu ne peut pas inverser le cours des choses par lui-même. Il eût fallu que je mène des discussions avec les plus ouverts lors des barrages alors que souvent, sans le savoir, j'avais discuté avec le clan opaque autour de la vedette Stéphanie. J'avais tant de choses à leur dire, à développer sur la nécessité de s'organiser, de contrôler la lutte et de pas suivre comme des moutons. Je saisissais que cette histoire de mouvement sans chefs n'est qu'un leurre, en vérité il y a une multitude de petits chefs, de sous-chefs, chacun croit être un chef mais au vrai il y a de vrais chefs. Les membres du clan, avec qui je me souvenais avoir causé et que j'avais interrogé sur le rôle trouble de Stéphane toujours collée à son portable à l'écart des barrages, avaient pris sa défense d'une drôle de façon :
  • la preuve que ce n'est pas elle qui dirige, elle nous dit toujours : faites comme vous voulez !
  • Oui, je connais ce genre d'argument de petit chef, lorsque je travaillais il nous distribuait la
    Version Voix du Nord
    quantité de travail et concluait : « faites comme vous voulez », c'est à dire « démerdez- vous pour que le boulot soit fait à la fin de la journée ».
  • Dans quel intérêt elle se mettrait en avant?
  • Comme Ruffin pour finir conseillère municipale ou députée...
Pourtant, dans le merdier des réseaux sociaux, au milieu d'appels délirants d'ados à l'insurrection, on retrouve certaines de mes appréhensions et critiques. J'avais bataillé toute l'apm sur le site des gaulois de Calais pour mettre en garde contre l'idée hystérique et prématurée de monter sur Paris. Alors que tout est noyé sous la fable du mouvement "citoyen" et d'une curieuse couche moyenne délaissée, que la classe ouvrière ne s'affirme pas vraiment en tant que telle et sur son traditionnel terrain de classe, sans revendications tangibles, on se croit autorisé à appeler à l'insurrection, à rien moins que renverser le gouvernement Macron par le simple envahissement du faubourg Saint Honoré ou même (si si je l'ai lu) par une pétition. Ils m'ont censuré puis désactivé. La première proposition, envahir place de la Concorde, partie d'un vague facho, allait pourtant comme un gant au parallèle prisé à l'extrême droite avec le 6 février 1934 ; Macron aurait pu encore nous enseigner (pédagogiquement) les risques courus dès les années 1930. Puis vu l'engouement frénétique de nombreux immatures en colère croyant sérieusement à la venue de deux millions de provinciaux, le gouvernement a tourné casaque en faveur de cet autre sourcière le Champ de mars. Qu'iront-ils faire dans ce trou sans revendication cohérente avec drapeau tricolore + marseillaise ? Brailler et se mêler aux blacks blocks pour revenir tout penauds dans leur province a-ban-don-née ? Un remake du 17 novembre à la remorque du lamentable Eric Drouet de Fly rider qui n'écrit ses diatribes que bourrées de fautes d'orthographe1. En réalité, la plupart ont compris que la montée,ou la descente sur Paris est pour le moment un carnaval sans intérêt qui n'inquiète que le gouvernement. En tout cas chers manifestants enfiévrés, vous vous plantez si vous croyez que le pouvoir est à l'Elysée ou au parelement. En 68 nous on avait compris que ce n'est pas le cas. On était passé à côté du parlement sans le taguer ni le regarder. Le pouvoir est dans les banques, conseils d'administration, collusions syndicats/gouvernement et... dans vos petites têtes. Mes pauvres gilets jaunes, avec votre suivisme inconscient vous êtes tout prêts à être bouffés par le retour des vieilles canailles syndicales et municipales, qui, eux, sont d'excellents fabricants de revendications toutes faites, intenables ou ridicules et en permanence en négociation sur notre dos. Pédagogiquement.
Un petit coup de chapeau à l'excellent porte-parole des gilets de Bretagne, Benoit Julou qui a fort bien recadré, comme on dit, le petit Hulot, surtout lorsqu'il lui a balancé : « expliquez-moi comme à un enfant de cinq ans comment l'écologie justifie la hausse de l'essence » (de mémoire) et l'a traité d'humoriste. Un peu d'humour, même rire jaune, dans ce monde de pédagogues écologiques et gouvernementaux fait toujours du bien. Signe de la manière de fonctionner totalitaire de la dictature médiatique, aucun média, aucun journal dans le compte-rendu n'a mentionné les passages les plus ironiques et percutants de Benoit Julou. Ils se répandent tous sur les revendications "loufoques" ou "radicales" des gilets verts, mais cette soit disant hétérogénéité n'en est pas une. Face à tous ces connards du gouvernement et suce-boules députés qui disent plancher depuis des mois sur "des solutions concrètes" (voui l'envoi de troupes de CRS!) faut pas se gêner, "garder le cap" de faire reculer et sans doute faire tomber ce gouvernement de salauds.

Tête de con abasourdi par la résistance et la popularité des gilets jaunes


1Marianne le signalait à la veille du 17, tableauD'autant qu'à Paris, les meneurs des gilets jaunes visent carrément… le Palais de l’Elysée. "RENDEZ VOUS 7H SUR LES CHAMPS ELYSÉES. BLOCAGE TOTAL A PIED !!! 13H DIRECTION ELYSÉE. POUR TOUT LE MONDE A PARTIR DE 13H SIÈGE DEVANT L'ELYSÉE !!!! PAS DE DATE DE FIN !!", écrit, en majuscules dans le texte, Eric Drouet, chauffeur routier trentenaire, dans l’événement Facebook "mouvement national contre la hausse des taxes" qu'il cogère.
Deux groupes se démènent sur ce front : le groupe Facebook "La France en colère", qu'il gère avec six compères et qui affiche quelque 30.000 membres au compteur, ainsi que l’événement Facebook créé par Eric Drouet et son collègue Bruno Lefevre, qui draine plus de 50.000 participants annoncés et près de 200.000 intéressés. Sur la discussion de cette page, les organisateurs donnent des conseils aux apprentis bloqueurs : "Habillez-vous chaudement et mettre son gilet jaune. Prenez de quoi manger et boire pour plusieurs jours. Ne prenez pas vos papiers d’identité pour ne pas être identifiés par les forces de l'ordre".

mercredi 21 novembre 2018

LES TENTATIVES DE RECUPERATION ratées DU NPA ET DE FO (et des Bourgeois de Calais)


Un gaulois de Calais?


….d'une « échappée belle » de la classe ouvrière

« J'accompagne ceux dont j'entends la souffrance »
Premier ministre de la bourgeoisie écologiste

On pouvait craindre une rapide récupération de la « fronde » voire son extinction par la simple répression « conviviale » du brave Castaner. Il n'en est rien. Quand on discute sur les barricades, pardon les barrages, syndicats et NPA sont en tête des principaux ennemis de la « classe moyenne », pardon de la classe ouvrière1 en lutte hors des cadres qui lui sont fixés par les institutions bourgeoises. Pages facebook de trotskistes dégénérés, militants syndicaux et pauvres activistes antiracistes et féminophiles du NPA sont restés coïncés dans la propagande gouvernementale qui nous baise « écologiquement » et pointe du doigt le svatiska des années 30 ; ils se sont faits les amplificateurs des aspects secondaires du mouvement, certes débiles mais il y en a tous les jours dans les faits divers... pour prouver que c'était une simple fronde facho...2.

Nos trostkiens girouettes, habituels suivistes des cartels syndicaux saboteurs de la vraie lutte de classe indépendante, se sont carrément ridiculisés dès avant le 17 novembre3 , pour le plaisir de leur remettre le nez dans leur caca :

« Cette mobilisation est problématique. D’abord parce qu’avant d’être l’expression d’un mécontentement populaire, cette mobilisation est surtout porteuse d’une vieille revendication du patronat routier, pour qui les profits se mesurent à l'aune des tonnes de carburant mises dans les cuves de ses camions qu'il répand en masse sur le réseau routier, en contradiction avec les mesures les plus élémentaires de préservation de l’environnement. De plus, à l’origine et en soutien à ces appels présentés comme « citoyens » et « apolitique », on retrouve la droite extrême et l’extrême droite à la manœuvre ... » NPA (31 octobre 2018)

Merde alors ! Et le patronat routier qui s'en est désolidarisé ! L'extrême-droite à la manœuvre ? Invention typiquement stalino-macronienne ! Le NPA roulait encore pour « l'ami écologiste » Macron, comme il a roulé immédiatement aux ordres des saboteurs syndicaux d'une fausse riposte des cheminots. La contorsion politicarde qui a suivi l'affirmation du mouvement de la classe vaut d'être re-citée encore :

« Même si la droite et l’extrême droite ont voulu se faire les porte-parole de cette colère, si Macron en a profité pour afficher le chiffon rouge du poujadisme et a voulu faire taire par certains endroits la contestation à coup de matraques et de lacrymo, la réalité est bien concrète : c’est une politique de classe, une politique au service des riches, qui a été dénoncée aujourd’hui ».

La supposition initiale que la réaction des prolétaires, surtout en province, qui présumait une manip « citoyenne » de l'extrême droite, est mise sur le dos du seul chiffon rouge de Macron ! Et quant à la « politique au service des riches », on repassera, c'est du langage populiste, nous en tant que marxistes on dit « politique au service de la bourgeoisie ». Point à la ligne.

L'autre secte bourgeoise, LO, navigue guère plus loin que les antifas neuneus du NPA, le mouvement risquerait d'être récupéré... par l'extrême droite :

« Dans le mouvement des gilets jaunes, il y a d’autres catégories sociales que les salariés. Patrons du transport ou du BTP, agriculteurs et artisans mettent en avant les revendications contre les taxes, qui correspondent à la défense de leurs intérêts. Ces revendications « antitaxes » cantonnent la mobilisation sur le terrain de l’opposition au gouvernement qui permet aussi à la droite et à l’extrême droite de tenter de jouer leur carte. Tant que l’on ne remet pas en cause les profits de la classe capitaliste, des politiciens comme Le Pen, Dupont-Aignan ou Wauquiez veulent bien faire des discours sur les intérêts du peuple ».

Tout n'est pas faux dans cette remarque, mais LO est aussi un organisme de petits profs parisiens. D'abord les patrons du transport ont nettoyé leurs suppositions en refusant de se joindre au mouvement, les paysans on les voit peu, les artisans se sentent plus victimes des gilets jaunes et se fichent de la classe ouvrière. Les revendications confuses antitaxes sont surtout le fait de poujadistes effectivement présents dans le mouvement (cf. Les gaulois de Calais). Mais la vraie récup, face à un mouvement authentiquement prolétarien et pas « du peuple » comme le disent les vieux coucous de LO, ne peut venir des Dupont-Aignan (qui a fait rire les bloqueurs avec ses déclarations lâches) et autres sinistres Wauquier. La bourgeoisie a encore à nouveau besoin du gauchisme établi, qui dispose de strapontins sur ses ondes et de restaurer un semblant de crédibilité aux syndicats gouvernementaux et « gouvernementés » au sommet.

SUR LE TERRAIN LES RECUPERATEURS SONT POURTANT ATTENDUS

Le « citoyen » Mélenchon, qui a su se différencier des péteux écolos et bobos parisiens de son parti, garde l'estime des ouvriers retraités en grand nombre sur les échaffaudages. Je l'ai dit plus haut, le NPA est considéré comme le traître numéro un, groupuscule qui parlait tant de « tout bloquer »... au cul des bureaucraties syndicales. Mais hier au blocage principal de l'A16 à Calais (rocade et entrée du tunnel sous la Manche) ce ne sont pas seulement les bourgeois anglais qui étaient gênés mais tous les syndicats qui en prennent pour leur grade. FO pointe son nez, cette auberge espagnole à anars et trotskistes fait rire tout le monde avec leurs dirigeants fortunés, preuve de … l'apolitisme (financier) de cette engeance collabo. C'est plus grave pour la CGT, car il y a non seulement parmi nous des délégués de cette organisation dont certains ne reprendront pas la carte, mais on m'a dit que régulièrement des bloqueurs de Calais allaient frapper à la porte du syndicat pour lui dire de s'engager auprès des bloqueurs, mais la porte reste toujours close.
Questionné sur la question de la solidarité si la « justice » frappe tel ou tel manifestant4, les réponses sont nettes : « on ira incendier le commissariat » ; preuve que la bagarre au département français) de la Réunion, traitée avec un mépris...colonialiste par les médias5. Les prolétaires réunionnais sont pourtant complètement en phase avec le mouvement ici, malgré les excités indpendantistes et les macroniens qui veulent le criminaliser, malgré l'aspect émeutier leur lutte ininterrompue fait figure d'exemple et n'est pas à confondre avec le cinéma des bobos blacks blocks. Les bobos parisiens et la plupart des journalistes ne comprennent pas pourquoi et en quoi le mouvement est dangereux parce qu'il a démarré et se renforce... en province. A Paris toutes les machinations sont possibles, y domine l'anonymat dans les manifs ou une collection de corporatismes ficelés par les flics syndicaux, il n'y a pas de lien possible ni d'échange véritable. En province tout le monde se connaît, pas possible de faire du cinéma ou des longs bla-blas ; le manifestant a un beau-frère chez les CRS, les jeunes se connaissent à peu près tous et sont généralement fils d'ouvriers (de la basse classe...) encore étudiants ou lycéens, ou jeunes adultes qui végètent encore au chômage au domicile familial. Leurs profs sont aussi de la partie. Au quatrième jour des flics m'ont reproché d'entraîner les jeunes ! On n'entraîne pas les jeunes, ils rappliquent et ils sont moins souples que nous, et ils se mettent au devant6. Excusez l'image à la Zola, mais c'est le ventre de la classe ouvrière qui gargouille pas un hoquet de bobo trotskiste bien nourri7. Je pense que c'est d'ailleurs comme cela qu'ont surgi les premiers conseils ouvriers en Russie et en Allemagne (décentralisée) en 1917 et 19188.

68 N'AURA PAS EU D'ENFANTS MAIS DES PETITS ENFANTS...

Si on observe ici à Calais des choses bizarres (chut ne le répétez pas) – par ex des discussions fraternelles avec les troupes de CRS, des tapes amicales sur l'épaule – et en cherchant sérieusement grâce aux réseaux sociaux car les médias officiels continuent à censurer et à mentir par omission (des consignes de refoulement de BFM circulent ici et là), on voit une certaine forme de respect en province avec « la troupe », des négociations ont lieu, parfois malgré de courtes périodes de tabassages, des trêves avec les gendarmes qui déposent les casques et conviennent d'une distance « de sécurité » (sic) à tenir entre les bloqueurs et eux. De fait, chacun semble respecter les ordres ministériels, ne pas bloquer la circulation, mais en fait elle est toujours bloquée : il reste quelque chose, un objet, une planche sur la chaussée qui empêche de circuler, de chaque côté les hommes en uniforme et de l'autre cette masse d'ouvriers retraités de plus en plus rejoints par cette masse de jeunes de plus en plus enthousiasmé, qui viennent plutôt faire la fête, c'est à dire leurs... petits enfants. Et ces deux bandes qui se font face rigolent, s'invectivent gentiment, voire trinquent. On a plutôt l'impression que Macron et Philippe, s'ils font les malins avec leur petite phrase quotidienne, sont cocus en réalité ! C'est une guérilla incessante, donc destinée à durer et qui confirme l'impuissance du gouvernement Macron. Par exemple, des emplacements sont systématiquement bloqués de façon aléatoire et récurrente ; à Auchan Calais, autant à la Cité Europe à Coquelles : l’accès aux deux centres commerciaux est bloqué ponctuellement par des Gilets jaunes. Les barrages c'est tout provisoire pour laisser place à une opération escargot vers le Channel ; les jeunes rivalisent d'imagination, et il n'y a pas assez de voitures de police sur l'A16 pour les choper autour des radars dans la campagne, ils se répandent comme des ...fellaghas, mais on ne voit pas beaucoup d'ouvriers arabes dans les barrages ! qu'attend le NPA pour nous les envoyer ?


DES SYNDICATS péteux et décrédibilisés
Les trahisons se payent toujours, depuis le début de la dictature macronienne, les syndicats ont fait un deal avec l'Etat (qui les rétribue) tout faire pour saboter et ridiculiser tout mouvement social. On leur a demandé de se raccrocher au wagon pour mieux le ficeler et le détruire comme cela a été réalisé avec succès contre les cheminots, et surtout parce qu'il va leur falloir reprendre du service, l'attaque contre les retraites n'étant jamais terminée. Hélas, alors que le mouvement se fiche déjà du « pouvoir d'achat », le principal syndicat « jaune » espère se mêler des ouvriers « en jaune ». Hélas, alors que le mouvement n'est plus apolitique dans les faits, le syndicat gouvernemental FO qui s'est toujours vanté d'être... apolitique, rêve tout haut, mais il dit pourtant la chose essentielle, que je n'arrête pas de répeter aux barricadiers : le seul débouché c'est la paralysie complète du pouvoir par – non pas cette fumisterie de grève générale trotskiste et anarchiste aussi creuse qu'eux – mais une généralisation des grèves comme en 68 sans commandement syndical, et cela seul, pas 36 inventions de blocages ou jets de pierre sur les flics, cela seul pourra, pourrait permettre de faire reculer ou sauter (pourquoi pas un gouvernement responsable de la PIRE attaque contre la classe ouvrière depuis au moins la guerre!)9. Il y a déjà un début de paralysie assez inquiétant pour le patronat (Philippe ne vous dira pas que le standard de l'Elysée explose en ce moment!), paralysie de l'approvisonnement en essence, manque à gagner des gangs d'autoroutes, des radars (invariablement peinturlurés), de zones industrielles comme Capécure à Outreau-Boulogne ; face au blocage indéracinable exercé quotidiennement depuis cinq jours (et bientôt plus) par les Gilets jaunes, l’activité est en berne dans la principale zone économique du Boulonnais où les réunions de crise se succèdent. Ce n'est qu'un début, continuons le combat... Clament curieusement des jeunes presque sans mémoire... Les klaxons de soutien des routiers et des voitures individuelles ne cessent pas même durant la nuit autour des braseros, la « population » apporte à manger et du café pour se réchauffer ; les pneus CGT sont bannis, on ne brûle que du bois, des palettes, et on ramasse les ordures. Le sérieux domine dès que pointe une ambulance, un véhicule des pompiers ou de police... ce sont donc les ouvriers et les jeunes qui « administrent » la cité ! Et font régner un autre ordre . Tiens tiens je ne me rappelle pas que même en 68 on ait ainsi bloqué la « circulation des marchandises » et porté atteinte à l'individualisme automobile ! Le mouvement ne semble pas si désordonné ni obtus, capable de varier, d'abandonner les barrages (qui emmerdent finalement surtout les prolétaires qui vont au travail pendant la semaine), de barre l'entrée d'un centre des impôts (pourquoi?), de parkings de supermarchés (pour quoi faire?)
Georges Séguy renaissant de ses cendres ne pourrait que faire éclater de rire les ouvriers actuels en les « prévenant contre tout risque d'aventure », ouais pourquoi pas ? On n'a plus rien à perdre avec nos salaires de misère et le mépris de ces petits messieurs ! D'accord mais pour aller vers quoi ? Questionné sur qui dirige à Calais, l'ouvrier retraité me montre du doigt un type au loin près d'une tente : « c'est lui le responsable, il prend les décisions pour nous ». Interloqué je le coupe : « Attend ! tu te rends compte de ce que tu viens de me dire ? Y a pas de décision collective, tu fais confiance à ce type ? ».
  • oui il prend les bonnes décisions pour nous.
J'ai envie de gerber. Je marche courbé vers d'autres bloqueurs. Peut-être plus intelligents. Mais ils discutent tous en petits cercles concentriques de la pluie et du beau temps. Dès que les CRS reviennent de l'A16 ils se remettent tous à couri vers l'autoroute. Revnons au soutien du syndicat des « gilets oranges », qui soutiennent mais à reculons parce que le mouvement est « devenu politique ». C'est un peu vrai, comme on va le révéler après la citation :
« La fédération FO des transports et de la logistique a appelé mardi ses adhérents et sympathisants à rejoindre le mouvement des "gilets jaunes" afin de défendre le pouvoir d'achat, envisageant même de durcir le ton à travers un appel à la grève. Cette fédération est le premier
syndicat à appeler à la mobilisation en soutien des "gilets jaunes", mouvement qui se veut apolitique et qui est organisé en dehors des organisations syndicales. "Nous sommes aussi des citoyens", a souligné Patrice Clos, secrétaire général et candidat à la succession de Pascal Pavageau à la tête de la confédération Force ouvrière ».
Le coup du mouvement « citoyen », surtout de la part d'un syndicat traditionnellement « jaune » merci ! Mélenchon nous l'a déjà fait. C'est trop tard et on n'a pas besoin de traîtres professionnels pour durcir... une potentielle liquidation! Le principal syndicat rétribué par le gouvernement, la CFDT hésite, c'en est pathétique :
« La CFDT, premier syndicat dans le secteur du transport et de la logistique devant la CGT, doit décider mercredi si elle se joint au mouvement des "gilets jaunes". Fin octobre, elle avait dit soutenir "le mouvement de mécontentement citoyen sur l'augmentation du carburant et la taxation complémentaire des retraites". La CFTC Transports, 4e organisation de ce secteur, évoque une décision d'ici à la fin de la semaine ».
Quant à la CGT qui appelle à un 1er décembre de luttes, elle va se faire foutre.
OUI IL Y A DES POUJADISTES
On est en pleine RADICALISATION proclame le gouvernement10. Après un attentat terroriste supposé écarté, et pour nous protéger on ne parle pas de récupération mais d'infiltration(s). Ah cette bonne vieille cinquième colonne qui sert toujours au bon nationalisme ! L'ultra-gauche (comprenez les bobos cagoulés et armés de barres de fer) s'infiltreraient en Bretagne ! Plus au sud c'est l'ultra-droite, les souverainistes qui se glisseraient massivement sous les gilets jaunes. Il n'y a rien à craindre des gentilles pétitionnaires du début, par contre des assocs virtuelles ont surgi un peu partout sur facebook très citoyenniste et adeptes du chant patriotique, je ne vais pas les analyser ici en détails mais sur les écrans derrière de braves citoyens enthousiastes autant que pour leur équipe régionale de foot, et qui « en ont marre des taxes », on aperçoit des panneaux « les gaulois de... ». J'ai découvert hier des gaulois... du coin. Un drôle de cénacle « des réseaux » ces gaulois, assez emblématiques du niveau actuel du mouvement – sans colonne vertébrale, ai-je dit dans mes messages précédents : LES GAULOIS DE CALAIS11. Le titre est évidemment ambigu et en corrélation avec la grande présence du bordel migratoire dans la région, avec une connotation nationale et péquenaude. Ce ne sont pas les fachos qu'imaginent les bobos parisiens. Pas moyen de trouver une plate-forme mais on va examiner ce qu'ils ont donné comme consignes lors de leur réunion du 15 novembre préparatoire au début des blocages le 17 à la radio locale et au journal local Nord Littoral qui, lui, colle assez bien au mouvement et ne diffuse pas trop de bobards :

« Aucun signe d’appartenance politique, aucun drapeau autre que le drapeau français ne seront tolérés. Militants et syndicalistes sont les bienvenus, mais en tant que simples citoyens. Les mots d’ordre, pancartes et slogans doivent être avant tout dirigés contre la politique fiscale du gouvernement Macron. Les Gaulois insistent: ils ne veulent pas de dégradations du mobilier et de la chaussée publique, et aucune agression envers les forces de l’ordre, pas plus que des feux de pneus ou de barricades. Par contre, les réchauds et barbecues portables pour la nourriture sont les bienvenus... ».
Voici donc une association très républicaine, citoyenne qui se permet d'accueillir ce dont le mouvement ne voulait pas depuis le début : militants politiques et syndicalistes. Ont-ils donc tant besoin de recruter les recruteurs professionnels pour encadrer et non pas des prolétaires, plutôt naïfs, en général ? Ils posent déjà aux interlocuteurs du gouvernement « pacifiques », donc ils devraient dénoncer la méthode insurrectionnelle dans l'ïle de la Réunion – tiens personne ailleurs en France ne proteste contre la mesure de guerre prise là-bas – le couvre-feu – ni nos amis les gauchistes ni ces braves poujadistes règlementaires avec leurs petits drapeaux tricolores et leur chant marseillais !?
Comme n'importe quel syndicat honni ou parti bourgeois, sans AG, sans assemblée de classe, la petite mafia des Gaulois de Calais a immédiatement joué à l'interlocuteur du gouvernement : ils ont demandé à être reçus par Macron avec les autres groupes qui avaient déclaré leur manifestation en sous-préfecture ! Ils ont fait part de leurs revendications et ont demandé à ce qu'elles soient transmises au président de la République. C'est pas mal culotté. Ont-ils doublé Mélenchon, NPA et fachos ? Ou sont-ils en passe de ridiculiser tout le mouvement en le scindant en revendications nationalo-régionales ou en prolongeant l'action dispersée des petits soldats jaunes ?
On verra. Les médias nous disent déjà que des « figures émergent ». Les médias locaux participent déjà à cette fabrique de nouveaux Ruffin et autres aigrefins ? Yohann Delattre, opérateur dans l'industrie chimique à Calais est l'un des animateurs des gilets jaunes dans le calaisis, annonce la radio locale. Le zigoto est interviewé comme s'il était déjà président de la République, et tel un grand bonze syndical, il conclut : « je me félicite du bon déroulé des manifestations ». Serait-il intronisé celui-là aussi pour ridiculiser le mouvement comme simple rouspéteur de l'automobile du pauvre et sponsor d'un « gouvernement à l'écoute » ?
Et si les gaulois de Calais n'étaient qu'un des chevaux de Troie du grand retour du syndicalisme de négociations secrètes et paritaires au sommet? Nos célèbres pompiers sociaux. Comme quoi, le mutisme de tous les syndicats depuis le début ainsi que l'amalgame des gauchistes avec une manipulation d'extrême droite, a permis la renaissance de ce qui était ténu au tout début, la gauloiserie poujadiste.
Il ne manquerait plus que la plupart des naïfs bloqueurs qui ne mesurent pas à quel point ils sont instrumentalisés comme petits soldats, aillent se faire prendre dans la sourcière parisienne samedi. Quoique cet appel démagogique ne fasse pas l'unanimité. Je ne me suis pas gêner pour rappeler qu'une montée sur Paris ne s'improvise pas en quatre jours (ni en covoiturage ni en bicyclette), au souvenir des sidérurgistes de Longwy, de Denain et des ouvriers lorrains qui avaient « marché sur Paris » à grands sons de trompettes. Ce n'est pas le moment. Paris n'est pas encore en ébullition et la « dérive » émeutière contenue dans cette descente inopinée, imprécise, ne pourra, en virant à la violence désordonnée, qu'enchanter le pouvoir pour accélérer la remise au pas.



CONSEILS AUX MANIFESTANTS EN GILETS JAUNES OU PAS

  • MARCHE SUR PARIS ? A l'heure actuelle c'est une connerie irréfléchie qui a été lancée par un quidam sans concertation ni discussion ! N'obéissez pas comme les petits soldats qui attendent les ordres d'en haut ! Restez sur place, posez-vous la question de discuter en groupe et en assemblée au lieu de laisser les coordinateurs se concerter avec leurs portables sur « les actions à mener ». L'action à tout prix sert à empêcher de réfléchir à ce qu'on fait et à ce qu'il faudrait faire.
  • QUELLES CIBLES ? L'occupation bornée de la rue finit par devenir stupide et génère violence et hostilités des ouvriers qui vont à leur travail. Elle devient contre-productive si on n'est pas capable de varier. C'est bien d'avoir réorienté vers le blocage des hypermarchés mais cela non plus n'est pas la recette idéale, comme il est aussi idiot de croire que les flics sont nos principaux ennemis. BLOQUER chaque weekend sera un meilleur gage de longue durée et de la participation du plus grand nombre.
  • ATTENTION A LA RECUPERATION ! Il y a déjà pas mal de gens qui se prennent pour des petits chefs sous prétexte qu'ils ont pris goût à la direction de la circulation et au petit pouvoir de commander à un automobiliste. On a vu parfois des conduites indignes à l'égard des « pris en otage ». Il faut les faire cesser et ne pas laisser le tout venant s'ériger en flic des rues ou en pemanent syndical des autres bloqueurs.
  • EXIGEZ PAS LA TENUE DE REUNIONS GENERALES de discussion sur les revendications et les cibles de la lutte CHAQUE JOUR, et REFUSEZ de déléguer en permanence les mêmes personnes, SINON vous êtes cuits !
NON AUX INTERMEDIAIRES QUI VEULENT DEJA JOUER AUX NEGOCIATEURS
LE MOUVEMENT N'EN EST QU'A SES DEBUTS
IL EST DANGEREUX PARCE QU'IL N'A PLUS DE REVENDICATIONS CLAIRES QUI AUTORISERAIENT LE POUVOIR A DISCUTER
IL EST PLEINEMENT POLITIQUE PARCE QU'IL EST L'EXPRESSION D'UNE COLERE QUI N'A PAS FINI DE S'EXPRIMER
ELISONS DES CONSEILS OUVRIERS !



NOTES:
1Hier soir, c'était à mourir de rire sur France inter, les journalistes se contorsionnaient pour ne pas utliser le terme de classe, contraints d'utiliser le terme moderniste de classe moyenne – donc il y a une haute classe et une basse classe ! - ils zigzaguaient dans cette même « couche moyenne » où il y avait donc une couche hausse et une couche plus bas (on évitait le terme « basse » car cela renvoie au concept bourgeois du NPA « petits blancs racistes et fachos »). Par malheur l'INSEE produisait le même jour des stats prouvant que depuis une paire d'années, y inclus les réformes de l'idiot de l'Elysée, jamais la « classe moyenne » (sic) n'avait été autant appauvrie. Vous comprenez désormais pourquoi trotskistes et anarchistes sont muets. (nos maximalistes aussi!). Le NPA des bobos nomme ces « provinciaux » : les classes populaires... car elle sont « populistes » n'est-ce pas ? ? LO parle maintenant des « classes laborieuses » ou « monde du travail ». LO a un langage très populo et ne veut que reverser « le gouvernement des riches », mais pour le remplacer par qui ? « Des salariés du public ou du privé, des chômeurs et des retraités participant aux blocages l’ont exprimé, en disant qu’ils n’en pouvaient plus des sacrifices et de devoir serrer la ceinture d’un cran de plus pour se déplacer, ne serait-ce que pour aller au boulot ou pour essayer d’en trouver ! Le monde du travail doit mettre en avant ses propres objectifs et se mobiliser sur ses propres revendications.  Le slogan « Macron démission » fait l’unanimité et il y a de quoi vouloir se débarrasser de ce gouvernement des riches ! ».

2Sur les divers barrages où j'ai été dans le 62, je n'en ai trouvé que deux, un vieil antisémite que j'ai envoyé chier, et hier, cf. photo mise en ligne, j'ai fait un selfie avec un clochard affublé d'un casque nazi sur le crâne plutôt du genre hell's angels et qui venait d'arriver frappant de stupéfaction et de pitié la centaine de jeunes bloqueurs qui étaient derrière le photographe et qu'on n'a plus revu. Les ivrognes sont de plus en plus mal vus.
3Cf. mon article du 7 novembre : le 17 novembre : révolte ou révolution ? (122 lectures)
4Les parades du gouvernement Macron sont plus subtiles qu'il n'y paraît : l'enquête sur les comptes de campagne de la bande à Macron n'est pas faite pour le gêner contrairement à ce que proclame le clan de Mélenchon après tant de perquisitions chez les extrèmes Méluche et Le Pen, mais, vu que la somme est dérisoire vu les sommes astronomiques reçues par le parti macronesque par de belles sources financières ; non c'est pour faire croire à l'indépendance de la justice (du parquet ciré) lorsqu'elle va lourdement sanctionner les prolétaires arrêtés par les flics (qui ne sont pas nos amis).
5La plupart des blocages se sont poursuivis dimanche et lundi et la Direction régionale des routes a recensé une trentaine de barrages sur toute l'île. Mais une fois la nuit tombée, la situation est devenue électrique. Jets de pierres, feux de poubelles, de pneus ou de palettes... Des groupes de jeunes se sont mêlés au mouvement et s'en sont pris aux forces de l'ordre.  La violence est encore montée d'un cran dans la nuit de lundi à mardi. En plus du restaurant McDonald's du Port, plusieurs commerces ont été incendiés et vandalisés dans les villes de Saint-Denis et de Saint-Paul, rapporte Réunion la 1ère. Des voitures ont aussi été incendiées. Selon nos confrères, "de nombreux habitants se ruent vers les grandes surfaces pour faire des provisions". Au Chaudron par exemple, un quartier sensible de Saint-Denis, des clients ont forcé l'entrée du magasin Score et ont envahi les rayons.  Réunion fait en effet face à une crise sociale d'ampleur. L'an dernier, 23% de la population était au chômage, selon les chiffres de l'Insee. Mais chez les jeunes, les chiffres sont bien plus importants : 41% des hommes de 15 à 29 ans et 37% des femmes sont sans emploi.
6Ils ne sont pas pour autant tout blancs, j'ai déjà dit qu'il fallait repousser des outrances, leur dire que c'était ridicule de chanter à tout va la marseillaise, ce qui plaît évidemment aux poujadistes présents avec leur cariole surmontée d'e l'oriflamme national.
7J'ai posé la question (naïve) à quelques-uns : n'y a-t-il pas des migrants à vos côtés dans le combat ? Réponses, rires d'abord de la part des retraités et des jeunes. Un retraité : « un a volé le portail tout neuf de ma fille », un ado qui voulait jeter au brasier son vieux VTT, et que j'empêchais pour la pollution des pneus, et à qui je demandais de le laisser sur le trottoir pour qu'un migrant puisse s'en servir, répliqua : « plutôt le brûler que de leur en faire profiter, moi ils m'ont volé mon VTT tout neuf ». Un autre : « on en voit passer un ou deux parfois dans les coins mais ils n'ont rien à voir avec nous ».
8Ce mouvement si irrationnel pour les bourgeois, m'apparaît comme un clin d'oeil non seulement à Mai 68 mais surtout à octobre 17, et il est plus culotté que Mai 68.
9LO qui a aussi des ramifications dans FO, dit à peu près la même chose, la seule réponse au dictateur Macron, le seul vrai débouché serait la paralysie de l'économie par la majorité des prolétaires, mais attention danger pas avec les arguties, la volonté de chapeauter typiquement stalinienne et le cadre pourri du trotskisme : « Pour empêcher notre niveau de vie de sombrer, nous devons exiger l’augmentation des salaires, des allocations et des pensions et leur progression au même rythme que les prix. Cela signifie engager une lutte d’ampleur contre le grand patronat et le gouvernement à son service.Les salariés, qui se connaissent, se retrouvent chaque jour dans les entreprises, y sont concentrés, disposent de tous les moyens pour organiser ce combat. Ils disposent d’une arme fondamentale car ils sont au cœur de la production, de la distribution, de toute l’économie. La grève leur permet de toucher les capitalistes là où ils sont sensibles, à la source du profit ! Aujourd’hui, demain et les jours suivants, qu’on ait participé ou non aux actions du week-end, il faut continuer à discuter entre travailleurs et se préparer à prendre l’argent qui nous manque chaque mois là où il est, dans les caisses du grand patronat ». Voix des travailleurs, petit cartel d'ex-LO propose aussi « d'organiser » alors que ce n'est pas le moment et que ce ne peut être pour l'heure qu'un tremplin pour les récupérateurs classiques, qui « s'inflitrent »,même le NPA, après avoir accusé le fâchisme.
10Qui nous fait rugilèrement le coup du risque terroriste ; ils nous ont trouvé trois ou quatre zigotos qui auraient perpétérés en douce un attentat pour profiter du bordel des gilets jaunes. On n'en entend plus parler. Sans doute parce que plus personne n'a confiance en l'antiterrorisme gouvernemental.
11Choix assez malheureux et peu crédible, mais révélateur car on pense aux « bourgeois de Calais ».

mardi 20 novembre 2018

NOV 18 : UN SOULEVEMENT DE LA VIEILLESSE



Hé Besancenot le voilà le facho meneur du barrage à Calais!
Au souvenir d'une dérive totalement répressive de la dictature bienfaisante

Quelles furent les représentations de la vieillesse issues de Novembre 2018 ? Portés par le sentiment que ces événements étaient avant tout le fruit de la révolte d’une vieille classe sociale, la vieillesse provinciale, les experts et observateurs firent naître l’image d’un groupe en crise, frappé d’un profond malaise du fait de son décalage avec la société des bobos parisiens. Que leurs discours soient plutôt bienveillants (en soulignant par exemple l’existence d’un racisme antivieux) ou réprobateurs (en stigmatisant les gilets jaunes et les lycéens), tous s’accordèrent sur le caractère contestataire des retraités et le conflit de classes en découlant. Pourtant, les vieux de cette époque, loin d’être d’ardents révolutionnaires, anciens cadres ou anciens syndicalistes ; ils cherchaient au contraire à s’insérer dans la société et leur malaise – réel – était avant tout le fruit de leur appauvrissement économique face à la bienveillance gouvernementale écologique et fiscale.


Une «vague poujadiste» : la formule de Besancenot, forgée dans le feu des palettes de bois, énonça l’une des interprétations qui dominèrent à propos de Novembre 18 Quelque trente à trente-cinq ans
plus tard, la prégnance de cette explication ne s’était pas démentie : Nov 18 aurait été une « révolte de vieux fachos », un moment réactionnaire dont la « force motrice » n’aurait pas surgi d’une classe moyenne anti-raciste mais de provinciaux largués et racistes le « premier exemple dans l’histoire » d’un mouvement fondé sur le « culte de la bagnole diesel » ; on rappelle ici que les soixantehuitards, futurs PDG de voitures électriques et de trottinettes, brûlaient au contraire les bagnoles.
Cette façon de commenter Nov 18, bien loin d’en épuiser le sens, tient à la conjugaison de deux phénomènes, l’un circonstanciel et sociopolitique, l’autre structurel et démographique : la vieillesse évidente de la majeure partie des «bloqueurs de péages et de supermarchés », retraités mais aussi vieux cadres à la pointe du mouvement, d’une part ; le papy boom », le nombre des 55-74 ans passant de quatre millions en 1968 à plus de dix millions en 2018, d’autre part. Cependant le facteur démographique, pour impressionnant qu’il fût, ne pouvait en aucun cas constituer une cause décisive des événements de Novembre, tout au plus un « adjuvant». Il n’y avait là, en France, qu’un retour à la situation antérieure, celle qui prévalait avant les années 1930 et leurs « classes creuses » ; en outre, des pays traversant une conjoncture démographique inverse, avec une baisse du nombre de jeunes, tels l’Italie et le Japon, connurent de semblables explosions. Fait majeur plus encore que l’accroissement numérique, la vieillesse occidentale avait à présent une jeunesse : au temps biologique de la retraite correspondait désormais pour beaucoup un temps social et culturel, fait de loisirs et de sociabilités spécifiques, permis par l’entrée plus tardive dans la mort sociale et par la persistance d’une « société de consommation ». Certes, en France, près de deux millions des 45-74 ans étaient de vieux travailleurs au chômage, contre quelque dix millions de collégiens, lycéens et étudiants. Mais le seuil de la vie inactive était sans cesse repoussé.
vieillissement massif de la population française grâce au « p

Les vieux intéressés aux séances de training et aux mornes activités d'OVS attiraient de longue date l’attention des observateurs sociaux, sondeurs, journalistes et sociologues, qui en traquaient depuis les agapes de 68 les contours. L’on pouvait d’ailleurs à bon droit interpréter ces discours sur « la vieillesse intempérante» comme une « manière d’échapper à des exigences ou des défis nés de la régression macronesque en attribuant aux “générations en fin de vie” la charge ou l’intention d’y répondre». À cet égard, bien loin d’être une prémisse, Nov 2018 fut plutôt la butte-témoin d’un intérêt tour à tour inquiet et fasciné. De ce point de vue toutefois, Nov amorça un revirement. À l’exception du moment « blacks blocs » (2011-2016), les heureuses années 2000 avaient regardé d’un œil bienveillant cette vieillesse vintage que les enquêtes qualifiaient de « has been » et « activiste de Meetic », bercée de rap et vantant la chirurgie esthétique en attendant la repousse des cheveux . Capital humain d’une économie jadis prospère, la vieillesse moderniste engendrait une juvénophilie rappelant à grands traits l’éphébophilie antique, en une sorte de culte moderne et médiatique. Or, quelques mois avant Nov, les plus visionnaires sonnaient déjà le tocsin de l’alarme : Paul Jorion, en Cassandre avisée, assurait dès septembre 2007 à propos des vieux : « Nous sommes à l’époque du mécontentement dû à la crise du capitalisme ». Une semaine avant le 17 novembre, Bernard Tapy se faisait lui aussi l’écho d’une « vieillesse en colère », soutenant que les vieux, et tout particulièrement les anciens étudiants, étaient « en train de devenir un des “groupes de pression” les plus dignes de considération dans la société moderne.



Dès lors, à suivre les discours sociaux qui décrivirent les vieux dans le sillage de Nov 18, on est frappé par les paradoxes qui en forment l’esprit et la lettre. Par et depuis 18, « la vieillesse » fut considérée comme une force contestataire voire révolutionnaire par essence, à laquelle d’aucuns prêtaient une mission élective, le statut et les attributs d’un groupe social capable d’initier des mutations décisives. Son radicalisme, croyaient nombre d’interprètes de Nov, s’apparentait à un rejet de la soumission aux syndicats gouvernementaux, à un « refus de l’intégration » aux délices de l'écologie et du véganisme. Pourtant, d’après toutes les enquêtes menées par la suite, c’était cette « intégration » même que les vieux, au contraire, recherchaient. Celle-ci semblait néanmoins se heurter à une forme d’ostracisme, et ce n’est pas là le moindre des paradoxes annoncés : bien qu’au cœur des préoccupations sociales, la vieillesse y apparaissait aussi reléguée, refoulée et marginalisée.
L’expertise à ce propos, celle de psychologues et de médecins, de sociologues et de politistes, de communisants, de docteurs en communication et de sondeurs d’opinion, oscilla certes entre hypothèses apaisantes – prédominance du consensus social, phénomènes circonstanciels et passagers – et postulats plus lourds – théorie du conflit, crise sociale structurelle. Mais de façon générale, elle illustra sur le moyen terme, du début des années 2000 à la fin des années 2050, ce qui s’était condensé sur le court terme, de Nov à Noël 2018 : un passage de la tolérance à la réprobation.

Exégèses d’après-Nov : la vieillesse, classe d’âge ou classe sociale ?

Le feu sous la fronde : une identité sénile ?

La vieillesse de très nombreux bloqueurs de Nov, entendue en son sens biologique, ne saurait
permettre de conclure sans détour à l’émergence d’une vieillesse, au sens sociologique. Pareille hypothèse fut toutefois proposée, et d’abord par celui qui travaillait depuis plusieurs années à repérer une culture spécifiquement sénile et non croyante (cf. Edgar Morin, mes délires avec Tariq Ramadan). D’après lui, « la culture sénescente et l’état sénile » constituaient « les pôles de développement d’une classe sénile interv[enant] comme acteur historique ». Y avait-il réellement convergence d’intérêts entre vieux de conditions et de milieux sociaux divers, au point qu’ils pussent former un groupe à part entière ? Habitants du Touquet et vieux travailleurs sentirent-ils primer en eux une identité sénile favorisant leur rapprochement ?
L’étude précise des tentatives de liaison, en nov et décembre, entre vieux bourges et ouvriers retraités reste à faire ; on sait qu’elles échouèrent, pour des motifs politiques et syndicaux qui furent surtout des raisons d’appareil. Il est vrai cependant qu’après 2018, certaines mobilisations ouvrières menées par de jeunes travailleurs prirent des formes particulières – séquestrations de maires, députés et ministres « peinturlurés » –, parfois festives, rappelant à certains les oripeaux proprement séniles de Nov. Les mêmes précisaient cependant aussitôt que « l’imitation ne signifie pas l’adhésion ». D’après un sondage réalisé en 2020 auprès d’un millier de vieux âgés de 65 à 83 ans, 59 % estimaient qu’un vieil ouvrier était plus proche d’un jeune ouvrier que d’un jeune bourgeois. Le brassage social relatif du milieu retraité, né de la massification gériatrique, et de la baisse générale des retraites, due à la transition écologique, ne suffisaient pas à combler les abîmes sociaux qui séparaient les différentes catégories de vieux, leurs modes de vie et leurs façons de penser.

Une vieillesse en sursis

Nonobstant, un phénomène se dessinait qui, sans étayer la thèse d’une classe d’âge jouant le rôle
d’une classe sociale, pouvait confirmer le postulat d’une identité sénile nouvelle : l’« étirement de la durée de vie». Il s’expliquait en amont pour des raisons physiologiques de temps long : l’abaissement des dangers liés à la prostate et aux mamelons, un système de santé qui bouleversait les représentations codifiées et qui, sur les « degrés des âges » d’Épinal, eût pu rajeunir les visages. « Physiquement, le vieux de 76 ans que nous avons sous nos yeux peut être l’équivalent de l’adulte de 50 ans en 1950 « 75 ans en 2020, physiologiquement, psychologiquement, c’est 25 ans en 1900. Ce prolongement de la jeunesse s’éclairait en aval par des raisons sociales, liées à l’entrée plus tardive dans la vie active ; s’il y avait là un progrès, quelques observateurs, parmi lesquels les experts de l’UNESCO, y voyaient aussi une « attente prolongée tend[ant] à isoler les vieux au sein de la société.
À l’allongement de l'alacrité politique était également imputé l’esprit critique plus aiguisé des vieux, caractéristique commune, au-delà des écarts sociaux, que Nov 18 avait dévoilé. Les acteurs des politiques publiques en prenaient la mesure avec une assurance mêlée d’inquiétude : la mise à la retraite massive jusqu’à et au-delà de 61 ans était bien « de nature à transformer le niveau intellectuel, culturel, critique, les exigences de discussion, de compréhension et de participation de la génération qui se barre. Mais en corollaire, cette vieilesse prolongée aboutissait à « toute une série de situations bâtardes » – dépendance accrue à l’égard des services sociaux et des comités d'entreprise, responsabilités déniées, âge de la « prise de parole » déconnecté du droit au bulletin de vote –, autant de phénomènes qui créaient une « latence sociale ». Cette période de la vie ressemblait fort, désormais, à un sursis.

Esprit de croisade : quête et enquête médicopsychologique

Y avait-il pour autant tout lieu de croire en une « révolte contre Jupiter » ? L’ouvrage éponyme du
sociopsychanalyste Gérard Mendel ne prétendait pas expliquer par cette hypothèse les « événements » : rédigé entre 2016 et 2018, il parut en janvier 2019. Mais l’on crut y lire une interprétation de Nov – l’expression d’un rejet du dictateur pubère et de la société bonapartiste qu’il incarnait –, ce contre quoi Mendel lui-même eut à se défendre. Il inaugurait en tout cas une veine explicatrice qui voyait dans la vieillesse la fille de prolétaires périrurbains traumatisés et humiliés, ces prolétaires qui avaient connu toutes les grèves défaites et, parfois, les gardes à vue après les barrages routiers sans soutien des vieux patrons camionneurs : « Ne trouvez-vous pas qu’il n’y a pas d’expérience plus castratrice ? », demandait le docteur Jean-Louis Armand-Laroche à la Ligue française d’hygiène mentale, en évoquant l’« absence de désir d’identification aux images traditionnelles » et la « transgression terrible de la loi, de la société de la loi du Jupiter ».
Avec ou sans matrice psychanalytique, les médecins ne furent en tout cas pas en reste dans la recherche d’une explication aux troubles de la « vieillesse contestataire ». Désireuse d’en dresser l’étiologie psychosomatique, l’Union internationale d’hygiène et de médecine scolaires et universitaires engagea en 2020 une étude internationale sur « les aspects biologiques des crises de la vieillesse grabataire », placée sous le patronage de l’Organisation mondiale de la santé et de l’UNESCO. L’idée d’examiner la « vieillesse révoltée » au moyen de la biologie avait été lancée par le professeur Robert Debré en 1969 : d’après lui, l'aspect tardif de la durée de la vie moderne de la physiologique faisait des retraités de jeunes adultes alors qu’on leur imposait une vie sociale de pauvres reclus, ce qui conduisait à un « ébranlement». Selon le diagnostic de l’enquête, « les crises de la vieillesse grabtaire et ses divers comportements de violence ou de fuite » étaient dus au déphasage entre maturité physiologique accélérée et dépendance sociale accrue.
Sujet jugé grave voire dramatique, parce qu’il continuait de s’associer au pinard et à la tentation suicidaire, le « désarroi de la vieillesse » fut aussi le thème que retint la Ligue européenne d’hygiène mentale au début des années 2020. Plus généralement, la singularité de cette approche résida dans son ancrage psychosociologique : aux caractéristiques physiologiques et psychologiques de la sénilité étaient à présent mêlés, dans l’analyse, les principaux traits du système socioculturel censés accroître les sources d’une anxiété diffuse (urbanisation, consommation, antispé cisme, voitures inaccessibles). Un psychiatre aussi renommé que Serge Lebovici reprenait cette démarche à son compte, au point de désigner à son tour la vieillesse contemporaine comme une « véritable classe sociale».

Majorité et marginalité

Des étrangers dans la maison

Au jeu de ces analogies, « la vieillesse » finissait par soutenir la comparaison avec la classe ouvrière, dont on disait parfois qu’elle « campait dans la nation » ; « c’est plus vrai encore pour la viellesse », estimait Alfred Sauvy à la veille de Nov : « Elle campe et elle rôde autour de cette société comme Kafka autour du “Château” ». Posée en catégorie sociale à part entière, « la vieillesse» apparaissait dans la formulation de ces thèses comme confinée, plus encore que d’autres, dans une sorte de ghetto social.
Cette idée valait d’abord pour les lointains anciens étudiants hédonistes, souffrant de la « concentration articulaire (Cf. Edgar Morin « Culture adolescente et révolte gériatrique », op. Cit.) et de leur isolement dans les banlieues muslmanes, « Alphavilles universitaires surgies du néant (cf. RG Schwartzenberg : « Une vieillesse en exil »), nouveaux espaces sociaux-bobos propices à l’isolement et au cloisonnement. Rappelons que Raymond Aron avait vu dans la « révolution introuvable » de 18 une « surcompensation de la solitude dans laquelle viv[ai]ent ordinairement les vieux français ». Mais au-delà, c’étaient les vieux dans leur ensemble que l’on imaginait victimes d’une ségrégation sociale inédite. Roger-Gérard Schwartzenberg n’y allait pas de plume morte lorsqu’il notait : « En 1971, la France conserve encore une colonie : sa vieillesse». Davantage encore que la situation topographique de l’université, « la » vieillesse apparaissait, symboliquement, reléguée hors les murs. Les métaphores ne manquaient pas pour qualifier cette société dans la société : « étranges barbares de ce curieux Bas-Empire», « étrangers dans la maison», « émigrés de l’intérieur », on imaginait qu’un jour peut-être, un joueur de flûte comme celui de Hammel les emmènerait se noyer en masse. Au mot près, différents textes exprimaient la même pensée : Nov 18 avait fait découvrir aux jeunes que, s’ils aimaient les vieux, ils n’aimaient pas la vieillesse.

Le péril vieux

De telles comparaisons revenaient à dénoncer, non les vieux, mais les syndicalistes. C’était là une façon de fustiger la maigre place réservée à la vieillesse, sa majorité civique et politique forcée, la L’Express ou au Figaro, la chose était entendue : « Les Français demeu-r[ai]ent traumatisés par les événements de 2018» La défiance « endémique » des syndicalistes à l’égard des vieux en était « une séquelle des années Mitterrans et Hollande». L’extrapolation était pourtant hâtive : selon un sondage mené en mars 2020 auprès d’un millier de personnes de plus de 51 ans, seuls 19 % jugeaient que les vieux manifestants représentaient assez bien l’ensemble des vieux ; 67 % ne le pensaient pas. Toutefois, aux yeux de 34 % des personnes interrogées, les vieux mobilisés cherchaient avant tout « à semer le désordre ». À telle enseigne que 67 % des sondés se déclaraient opposés au droit de vote après 68 ans, contre 27 % seulement d’opinions favorables. Les Vieux qui manifestaient étaient jugés avec sévérité, assimilés dans leur ensemble à des enragés vêtus de gilets jaunes. Cette stigmatisation s’accordait au climat de tension si caractéristique d’une époque au cours de laquelle la répression gouvernementale à l’égard du «poujadisme gériatrique » battait son plein. Cependant, pour l’opinion publique, les vieux n’étaient pas tous des furieux de Nov, loin s’en fallait.
privation de toute responsabilité. C’était aussi une manière de condamner la peur du vieux qui avait germé en 2018. Depuis cette date, assurait-on, la vieillesse était devenue « le bouc émissaire des angoisses ressenties par les syndicalistes et les politiciens, notamment ceux qui appartiennent aux partenaires sociaux dominants». Dans la presse progressiste aussi bien qu’à
Néanmoins, l’idée s’installait d’un « racisme antivieux ». En 2019, dans un article de La Croix, la journaliste Bernadette Soubirou signalait un « “racisme d’âge” peu différent du racisme de classe ou de couleur ». L’année suivante, Françoise Giroud dans L’Express contribuait à en enraciner l’image : « Que des vieux gens déambulent dans la rue, qu’ils entrent dans un lieu public en parlant un peu fort, et l’on voit des gens s’écarter, comme en Amérique devant les Noirs (cf. « L'âge ingrat », L'Expres, Nov 2020) ? La psychanalyste Éliane Amado Lévy-Valensi jugeait elle aussi la définition courante de la vieillesse « ségrégative – raciste ». Parmi les hommes politiques, Jean-Luc Mélanchon fut sans doute le premier à en parler comme tel lorsque, le 15 septembre 2020 sur le plateau de l’émission « À armes inégales », il évoqua le « racisme en train de naître vis-à-vis des vieux ». Dénonciation forgée à gauche, elle fut récusée par une extrême droite fustigeant le « slogan à la mode » d’une « presse bien-pensante » et « démagogique » : « Depuis Nov 18 particulièrement, pouvait-on lire dans Rivarol en juin 2021, qui s’emploie à voir dans les plus de 70 ans une sorte de “race” ou de “classe” nouvelles, sinon les vieux eux-mêmes ».

Nouvelles cultures et révolte langagière

Car l’impression d’un ghetto sénile n’était pas purement exogène à la vieillesse. Dans son outrance même, le mot « racisme » reflétait l’image d’exilés de l’intérieur. Or, des vieux– sinon les vieux– paraissaient la confirmer, réfugiés dans une culture, un langage et des modes propres, étranges et étrangers au monde des syndicalistes. La sociologie commençait de s’y pencher, élucidant les sens d’une sous-culture sénile dont les filiations avec Nov 18 apparurent complexes. Le mouvement du 17 novembre n’en était que la pointe avancée, visible mais minoritaire, qu’un sociologue pourtant sensible à ces questions, Pierre Bourdieu, balayait d’un revers de main : « À première vue, cela me paraît être une rupture qui atteint les vieux hyperprivilégiés. Il semble y avoir chez eux un mysticisme romantique assez puéril qui les pousse plus vers la révolution que vers la révolte». Leur « air marginal » gagnait cependant une fraction des classes moyennes et puisait dans Nov 18 le rejet d’une culture commerciale, que le «bobo» des années 2000 avaient symbolisé. Mais ce qui frappait avant tout les observateurs, c’était un langage nouveau, spécifiquement sénile, né en partie de la libération du discours marxiste: un langage « brisé », aux phrases inachevées, riche de raccourcis et de métaphores, soucieux surtout d’une communication entre pairs et d’une forme d’authenticité. Jean Duvignaud n’hésitait pas à l’étudier comme une langue nouvelle, tant le refus du langage dominant, chez les vieux, lui apparaissait massif et résolu : le procès de Jupite auquel on croyait avoir assisté en Nov 18 surgissait à ses yeux dans cette révolte langagière. Prospectant en anthropologue ce qu’il qualifia de « planète des vieux», Duvignaud confirmait ce regard porté sur la vieillesse comme sur une civilisation autre, ce qu’il revendiquait : « Il m’a paru passionnant, expliquait-il, d’étudier une population au milieu de nous, et de procéder exactement comme si elle avait été Bonobo ou n'importe quel autre primate».

Le préjudice de l’âge

Quelques clichés battus en brèche

Pourtant, les sondages mettaient à mal les stéréotypes les plus courants et, sans totalement les infirmer, bousculaient les représentations que Nov 18 avait fait émerger. Tous montraient en effet que « les vieux » – avec cette indifférenciation sociologique si caractéristique de nombreux sondages – acceptaient la société, désiraient avant tout s’y intégrer, respectaient les syndicalistes et même partageaient leurs valeurs. Dès lors, un mot revenait sans cesse pour commenter ces enquêtes qui firent florès sur le sujet : l’étonnement. Ces sondages « surpre[naient] par leur modération » – « surprise totale, énorme» – au point d’apparaître parfois proprement « ahurissants». La presse d’extrême droite s’en frottait les mains, heureuse de pouvoir railler les appréciations dominantes qui avaient eu cours durant les « événements » et après : « Ce que nous pouvons en retenir d’abord, c’est que [ces résultats] flanquent par terre toute la littérature politico-sociologique issue du printemps dernier, annonçant des soulèvements gigantesques et je ne sais combien d’irréversibilités », exultait Lucien Rebatet.
De fait, au rebours de la contestation, du refus et du rejet, les enquêtes d’opinion menées auprès des vieux durant la décennie qui suivit Nov 2018 attestaient leur contentement à l’égard du monde dans lequel ils vivaient. En décembre 2018, 77 % jugeaient que c’était « plutôt une chance de vivre à l’époque actuelle» : le scepticisme n’était donc pas de mise. 85 % se disaient parfaitement libres dans leurs rapports avec les partis politiques : « crise des générations » et « révolte contre Jupiter » voyaient leurs aspérités fortement estompées par l’affirmation de ce modus vivendi. 86 % jugeaient que la fidélité en amour pas essentielle et, en 2020, 81 % s’affirmaient attachés à l'échangisme plutôt qu'au mariage: les libertaires de la sexualité et autres oublieux de la conjugalité faisaient apparemment nombre d’émules. Il est vrai, la dé-cohabitation prénuptiale devait exploser, véritablement, après 2018 : le démographe Louis Roussel l’estimait à 17 % des cohortes de divorces à cette date, mais à 26 % en 2022 et 44 % en 2026. Pour autant, elle ne remettait nullement en cause, alors, l’institution même des boites échangistes. L’intensité de la nuptialité, particulièrement instable, le confirmait, avec un taux identique (7,5 % de la population) à celui du début du 20 e siècle. En 2025, 88 % disaient faire tpas du tout ou peu confiance aux dirigeants des entreprises: là encore, les réponses se coloraient d’autres teintes que le rouge et le noir de Nov 18. Une enquête réalisée en 2028 auprès de quelque trois mille vieux Français, Allemands et Britanniques assurait que la vieillesse était « râleuse mais sérieuse », qu’elle valorisait non le travail, mais la famille et la sexualité et attendait des syndicalistes qu'ils soient éjecté du partenariat social, que l'on enseigne le s savoir-vivre aux résidents des banlieues (64 %), le respect d’autrui (54 %), de la désobéissance aux prétendus amis de la classe ouvrière (47 %). Le juriste Gilbert Caty, qui en commentait les résultats dans Futuribles, se réjouissait de voir la vieillesse à ce point « intégrée », « insérée » et « socialisée ». Ils venaient de fait récuser l’hypothèse d’une contestation radicale et violente, née de Nov.
Ces enquêtes n’étaient évidemment pas sans reproche méthodologique. Éric Conan n’avait pas tort de s’insurger face à ce qu’il nommait leur « syndicalo-centrisme » : « “Faites-vous encore les mêmes choses que nous ?” est le leitmotiv de ces questions qui ne retiennent de la vie des vieux que leur capacité à s’insérer dans le monde salarial cornaqué par les syndicats» De tels sondages présentaient aussi le biais de l’arbitraire frappant les segments d’âge retenus : 55-70 ans pour l’enquête IFOP-L’Express de décembre 2018 – une catégorie trop vaste mêlant plusieurs générations –, 61-83 ans pour le sondage SOFRES de mars 2019, 75-99 ans pour celui de BVA-L’Expansion en 2025, 35-61 ans pour l’EMNID-Institut, l’IFOP et Gallup en 2028 – ce qui revenait à associer des quadras à des nonagénaires et de vieux syndicalistes. Enfin, ils avaient le travers d’être quasiment a-sociologiques. Or, à tenir compte de la diversité des milieux sociaux et culturels, les sociologues pouvaient mettre en évidence des écarts considérables de valeurs et de comportements parmi les vieux.

Un « purgatoire social »

À chercher malgré tout un trait commun parmi ces vieux aux vues (et vies) si dissemblables, on pouvait le trouver aisément dans une anxiété à l’égard de leur mort sociale. Les enquêtes d’opinion l’établissaient, et ce dès 2018: 38 % des sondés s’inquiétaient avant tout de leur ennui (contre 25 % en 2008) ; 85 % se montraient mécontents des débouchés offerts aux vieux. En décembre 2018, un sondage de l’IFOP plaçait au premier rang des explications de Nov « l’inquiétude sur les possibilités de trouver des débouchés succédant à la vie active » (56 %), loin devant la mauvaise adaptation de la société (35 %) et, plus encore, le refus de la société de consommation écologique (7 %).
En ce domaine, une conjonction existait bien entre étudiants et vieux travailleurs. On y avait insisté pendant les « événements » : le désamour des vieux pour le monde du travail suscitait de graves inquiétudes. Le président Macron, au cœur de la crise des gilets jaunes, avait brandi l’argument comme un facteur d’explication à la « chienlit », déplorant « l’impuissance de ce vieux corps à s’adapter aux nécessités modernes de retaper la nation en même temps qu’à marcher vers la transition écologique. Raymond Boudeur fut l’un des premiers à l’analyser en sociologue, brossant le portrait d’un vieux nouveau, « un marginal en sursis d’insertion sociale et en situation d’anomie». On prévoyait alors que soixante-cinq mille vieux fileraient en retraites chaque mois en 2025, tandis que la France ne pourrait accueillir que quarante-cinq mille migrants au maximum, parmi lesquels vingt mille sortiraient de Syrie et les autres d'Afghanistan : d’après cette estimation, un migrant de de guerre sur trois économiques allait donc trouver un emploi. Selon Boudeur, l’activiste de Nov était l’archétype du vieux issu de milieux favorisés en voie de déclassement syndical; parallèlement, le vieux hissé de milieux plus modestes était menacé de ne pas trouver d'assoc humanitaire à la hauteur de ses études, voire de se faire rembarrer. Là se trouvaient sans doute la véritable mise en marge, le « purgatoire social», l’inquiétude générale que « la vieillesse » partageait.

Quand l’« insécurité » n’est pas là où on le croit

Cette source de désarroi, contrairement à ce qu’indique une vision trop hâtive des « Trente Glorieuses » et de leur terme, ne date pas des années 2023-2024, millésimes officiels de l’entrée en révolution prolétarienne. Entre 2016 et 2017, le nombre des quitteurs d’emplois recensés s’était accru de 64 % dans la tranche d’âge des 48-57 ans, contre 41 % en moyenne. Les démographes l’indiquaient au printemps 2018, avant le déclenchement des événements : le chômage massif avait depuis un an retenu l’attention de l’opinion, sensibilisée aux « difficultés que rencontr[ai]ent les vieux à retrouver un emploi correspondant à leur capacité et à leur désir ». Une étude publiée en janvier 2018 estimait le nombre de vieux à la recherche d’un emploi entre cent mille et cent trente-cinq mille. Les économistes s’inquiétaient vivement de cette « dégradation du climat psychologique […] exceptionnellement rapide en France en ce début de 2018 ». La part des vieux de plus de 61 ans parmi les demandeurs d’emploi était alors de 39 %, un pourcentage multiplié par trois depuis 2012. Il poursuivit sa progression, atteignant 45,8 % en 2024 et 46,2 % en 2026. À cette date, le taux de chômage des plus de 61 ans (12,2 %) était près de quatre fois supérieur à ce qu’il était dans l’ensemble de la population inactive.
Par suite, toutes les études montrèrent à partir de 2018 que la préoccupation première des vieux touchait à une activité sociale. En 2024, le secrétariat d’État macronien chargé de la Vieillesse, des Salles de msucu et des voyages en car Macron (désédielisés) lança une enquête axée officiellement sur les besoins et aspirations des vieux en matière d’activités socio-politiques. Or, les réponses fournies par les services académiques insistaient toutes, en premier lieu, sur ce souci de vie sociale maintenue; les unes mentionnaient une « anxiété latente accentuant les phénomènes d’inutilité des vieux », une « sourde inquiétude », voire une « angoisse » ; les autres soulignaient leur « sentiment d’insécurité » ou leur « situation d’insécurisation» face à l'invasion de migrants (cf. département du Loir et Cher ): la vieillesse témoignait d’une « extrême fragilité psychologique et politique » et avait besoin « d’être sécurisée ».
De surcroît, par un paradoxe socio-économique de lourde portée, malgré la gériatisation prolongée et donc l’élévation de l'isolement sensoriel, les vieux occupaient une part croissante de l'habita HLM. Leurs « chances » de sortir, par exemple en voiture labellisée « transiécolo », étaient passées de 14,5 % en 2012 (contre 12,9 % pour l’ensemble de la population) à 15,9 % en 2018 (13,2 %) et 17,6 % en 2022 (12,8 %). Une fois ces vieux largués du travail, l’esprit critique que Nov 18 avait sans doute concouru à acérer pouvait engendrer une conscience plus vive des limites du régime capitaliste, et parfois même une « véritable intolérance à l’ennui » : « Ainsi, les conditions de retraite qui hier encore apparaissaient comme normales, semblent aujourd’hui intolérables : fréquemment les vieux remettent en cause leur inadaptation à la solitude dépersonnalisante : ils manifestent par là une exigence de la qualité de vie plus que de pouvoir d'achat que leurs prédécesseurs avaient ». On jugeait aussi que le monde du travail, « autoritaire, hiérarchisé à outrance », n’avait pas engrangé les fruits de l’évolution générale : un vieux habitué à une société plus « répressive » et formé par une éducation plus « marxiste » pouvait en être « traumatisé  ».
C’est en tout cas dans cette précarité sociale et économique que résidait en fait la véritable et principale inquiétude des vieux et, par là, de ceux qui les observaient : « Voici des vieux qui se retrouvent en marge malgré eux. Exclus. Et si, demain, ils rejetaient une société qui les rejette ? » ; désireux de « prévenir ce qui menaç[ait] », en formulant cette interrogation angoissée, Roger-Gérard Schwartzenberg la subsumait sous l’expression de « génération perdue ». La formule semblait pouvoir se plier à toutes sortes de situations, et par là même se distordre : Pierre Viansson-Ponté s’en servait pour qualifier ceux qui avaient quatre vingt ans en 2018 mais aussi leurs aînés de Verdun, jeunes pendant la Première boucherie mondiale, qui tous avaient fini, selon lui, dans l’obstination, le désespoir ou la résignation. Bertrand Legendre la reprenait à son compte en 2028 pour nommer les nouveaux vieux cadets de dix ans des « piétons en jaune de Novembre ». Signe que « la viellesse », durant ces quelque vingt années, avait troublé, inquiété, désespéré ; signe aussi que ce désespoir se marquait au sceau de la perte – des illusions et des grands enthousiasmes. Quelque chose, en tout cas, s’y trouvait meurtri.
Pierre Viansson-Ponté avait juré en mars 2018 : « La France s’ennuie» Neuf ans plus tard, un haut responsable du secrétariat d’État à la Macronie et à la démarche écologique certifiait, dans une note confidentielle : « La vieillesse s'ennuie». Enfin, dix ans tout juste après Nov, le même Viansson-Ponté assurait encore, non sans tristesse : « Ce n’est plus une vieillesse qui s’ennuie, mais plutôt, en apparence du moins, une vieillese qui s’en fout » En quelques jours, les vieux avaient bousculé la torpeur d’une société macronisée que l’on imaginait satisfaite, suscité ses inquiétudes parmi les plus riches, avant de replonger dans une sorte d’indifférence polie.
Les enquêtes égrenées entre ces deux dates, 2018 et 2028, avaient montré que les vieux n'étaient plutôt respectueux des valeurs partagées avec les syndicalistes. Cependant, on eut très vite le sentiment que la parole leur avait été reprise, que la grande libération et les éclats de Nov n’avaient été qu’une parenthèse et que face au système politique finalement inchangé, ils s’installaient dans une forme de détachement, soucieux surtout qu’ils étaient d’un problème crucial : le loisir. Aussi n’est-il pas très étonnant qu’au terme de cette décennie, Le Nouvel Observateur ait choisi de titrer le commentaire d’un nouveau sondage « la bof génération », en affirmant : « Ils ne connaissent pas Priscilla, et Nov-18 appartient pour eux à une histoire lointaine ». L’année précédente, à la question « Quel est l’élément de l’histoire de France qui vous fait le plus impression, qui soulève en vous le plus d’émotion ? », seuls 3 % des huit cents vieux de 58 à 65 ans interrogés répondaient « Nov 18 », loin derrière la seconde guerre mondiale (19 %), la Révolution de 1789 (18 %) et même la Commune (4 %), 32,7 % seulement auraient été heureux d’un nouveau Nov 18, contre 40,6 % que cette perspective mécontentait.
Nov 18, fin de partie ? Ceux qui l’affirmaient usaient peut-être d’une lorgnette à courte vue. Ils n’avaient retenu de Nov que la turbulence des blocages, le Castaner nouveau et les déjections des
médias selon qui il fallait en finir avec le « Vieux Monde » pour satisfaire les aspirations du grand nombre de jeunes CDD. Pourtant ces aspirations elles-mêmes demeuraient : tacitement ou explicitement exprimées, elles étaient certes, en matière de mœurs, plus libérales que libertaires et, quant aux conditions de travail et de retraite, plus réformistes que révolutionnaires. Or, si les vieux se montraient à ce point attachés aux thèmes qu’estimaient aussi les syndicalistes, c’est que sans doute cette dichotomie même, « vieux prolétaires/syndicalistes », cette opposition trop tranchée, le « conflit de classes », n’étaient pas la meilleure entrée pour saisir les tensions majeures de la société. C’est pourtant pareille vulgate que l’on retrouve d’abondance aujourd’hui.