PAGES PROLETARIENNES

lundi 27 août 2018

La dépossession humiliante (2)


    (De Malthus et du snobisme gauchiste)
« Le système capitaliste développe aussi les moyens (…) d’augmenter en apparence le nombre des travailleurs employés en remplaçant une force supérieure et plus chère par plusieurs forces inférieures et à bon marché, l’homme par la femme, l’adulte par l’adolescent et l’enfant, un Yankee par trois Chinois ».
MARX (LE CAPITAL)
« Faites des enfants !»
Michel Debré1(ministre gaulliste)
« L'extrême gauche a toujours été d'une mollesse désespérante . Toutes nos pertes lui sont imputables. Son éternel mot d'excuse – le petit nombre – n'est pas sérieux. Un homme tout seul peut faire face à une assemblée, en parlant pardessus les têtes ».
Blanqui (Lettre à Clemenceau 1879)

Remplacez trois chinois par trois migrants et vous aurez (presque) tout compris. Marx évoque l'immigration une seule fois dans « Le Capital » et dans les circonstances d'un capitalisme ascendant, sans commune mesure avec les flots de migrants et les millions de réfugiés qui végètent partout dans le monde depuis au moins un demi-siècle à cheval sur le XX ème et le XXI ème. Il y a un problème évident de surpopulation dans la plupart des plus grandes métropoles (mégapoles) du capitalisme moderne. On pense immédiatement à Malthus et à ses remèdes peu scientifiques pour endiguer la démographie galopante. A la différence des autres critiques de Malthus, qui s’intéressent à la fécondité, Marx s’attachera surtout à la mobilité de la population, qu’il analyse à travers le concept d’armée industrielle de réserve.
Mais dans le contenu, concernant l'armée industrielle, son analyse est plus fine et plus objective que tous ces ouvreurs de frontières à tout va qui se contentent d'ajouter comme soi-disant réponse et solution la phrase du Manifeste (texte de propagande politique et pas analyse aussi sérieuse et développée que Le Capital) que les ouvriers n'ont pas de patrie2. L'excellent Henri Mahler a fort bien décrit les ombres et contradictions chez Marx, et on ne peut lui imputer de ne pas avoir pris en compte les nouveautés des 20 ème et 21 ème siècle :
« On ne peut plus guère soutenir, comme Marx tendait encore à le faire en 1848, que la vocation révolutionnaire du prolétariat et la vocation communiste de la révolution dérivent de l’existence d’un prolétariat qui serait la dissolution en acte de la société bourgeoise, et d’affirmer que l’universalité de cette vocation est inscrite dans la privation de nationalité ou de patrie de ce même prolétariat.L’internationalisme ne peut être fondé sur une telle privation, si du moins on prend au sérieux le fait que, pas plus en ce début de XXIe siècle que durant le précédent, la mondialisation capitaliste n’efface les démarcations nationales et n’assèche les mouvements nationalistes. On pourrait d’ailleurs affirmer le contraire : en accroissant la concurrence entre travailleurs de différents pays et de différentes régions du monde, mais aussi entre les États dont le rôle n’a nullement décru avec la mondialisation, cette dernière stimule les pires passions nationalistes »3.


La question des migrations et des immigrations a toujours posé un problème au mouvement ouvrier. Il est de bon ton de laisser croire que ce mouvement a toujours été abstraitement internationaliste et que toutes les luttes étaient dénuées de revendications de clocher, voire d'intérêt « national » chez les social-démocrates de la II ème Internationale, parmi les syndicats puis plus tard chez nos « marxistes » staliniens :
« Dans le mouvement ouvrier, c’est sur les migrations que la contradiction apparaît. La majorité des partis et des syndicats se prononce pour la liberté d’émigrer ; la libre circulation est proclamée comme un droit. Les territoires neufs appellent les travailleurs d’Europe, et le départ vers l’Outre-mer fait avancer la cause prolétarienne d’autant que les ouvriers européens sont les porteurs du socialisme. En situation coloniale ou dans les sociétés d’immigration marquées par le racisme de couleur, la condition ouvrière repose sur la promotion, voire le monopole des ouvriers blancs ; les noirs, les jaunes, les chinois, les coolies sont voués au travail forcé ; la main-d’œuvre indigène est corvéable. Les mulâtres et, par nature donc, tous les métis sont éminemment suspects. C’est donc en colonie et en Amérique héritière de la colonisation, la proclamation d’un socialisme blanc. Il s’annonce aux congrès de l’Internationale en demandant des quotas d’immigration, le contrôle des entrées, la protection du travail (blanc) contre les briseurs de grèves et du salaire que sont notamment les Jaunes ou les colorés. Aux frontières, les barrières qui sont des barrières de couleur, sont mises en place aux États-Unis et plus encore en Australie »4.
La fable du « péril jaune » était vécue alors comme un péril migratoire, semblable à celui qui conduisit les États-Unis et le Canada à interdire l’immigration chinoise. La figure du « travailleur chinois » demeurait agitée comme une menace, tant par les libéraux que par les socialistes. Ce n'étaient que des arguments « populistes » destinés à justifier le protectionnisme économique.

La grande absente (diabolique?) de la vague migratoire est évidemment tenue sous la table par l'inquisition bourgeoise démocratique : la régulation des naissances qui avait tenu jusque là la Chine a volé en éclat, et parler de l'Afrique sur un tel thème vous vaut l'accusation de facho. D'une manière générale, il existe un consensus chez les économistes allemands concernant « la piètre employabilité des "réfugiés" », ce qui se traduit par un sous-emploi qui « devrait perdurer un certain nombre d’années ». Les migrants risquent ainsi de constituer un poids financier pendant longtemps. Les réfugiés syriens habituellement présentés comme étant qualifiés sont en réalité souvent originaires des régions rurales les plus pauvres de Syrie et « leur niveau de qualification est dramatiquement bas ». Ils sont issus de familles paysannes qui savent à peine lire et écrire, l’analphabétisme étant plus largement répandu parmi ces populations que dans le reste de la Syrie. Pour l’industrie allemande qui a besoin essentiellement d'ouvriers qualifiés, c'est une main d'œuvre inadaptée5. Marx n'était pas en désaccord avec Malthus sur l'inflation des naissances dans l'avenir. Il estimait qu'il fallait une quinzaine d'années pour former un prolétaire6. Il faudrait cinq à sept ans pour à un réfugié pour qu'il produise plus qu'il ne coûte à l'Etat. Le soudain appel, absolument pas humanitaire, de Angélique Merkel, à l'ouverture inopinée et toutes grandes des portes européennes aux migrants obéissait aux besoins urgents de l'industrie allemande du fait du dépeuplement de l'ex-RDA. Gabegie dans l'affolement puisque cet appel a créé un appel d'air de l'Afghanistan au continent africain, faisant rêver des millions de gens au soit disant Eldorado européen. En 2015 ce fût la ruée qui affola tout le monde, et où les gauchistes suivistes se firent les porte-voix de Merkel, et continuent de le faire avec la même impéritie et irresponsabilité. On disserta sur le facteur démographique, le vieillissement des populations. On joua de la lyre « L'immigration est une chance pour l'Europe », comme on aurait pu tout aussi bien clamer « L'enrichissement d'une minorité est une chance pour l'Europe ». La venue massive par bateaux ou par montagnes montraient des masses de gens harassés avec une majorité d'hommes et des femmes voilées. Peu importe le voie, pensait-on car il suffit de voir les films des débarquements de migrants à New York au début du XX ème siècle, la plupart des femmes étaient aussi voilées, quoique catholiques et juives ou protestantes. Mais le voile des années 2000 était surtout le drapeau d'une religion conquérante avec laquelle la bourgeoisie avait fait un deal, et qu'elle accueillit à bras ouvert car c'est par excellence la religion de la soumission. Le capitalisme a besoin de la religion, de toutes les religions comme l'épée de son fourreau. Pire encore, les vagues successives d'attentats terroristes en lien avec le culte musulman ont contribué à installer la terreur de tout ce qui est arabe et à stigmatiser des croyants étrangers aux mécanismes impérialistes qui guident les criminels terroristes et leurs financiers pachas du pétrole. L'islam est devenu la religion de l'argent d'une façon plus ostentatoire que ce qu'on prêtait naguère à la religion juive.
Dans cet imbroglio guerres-migrations massives-terrorismes, les données qui régissaient la question de l'immigration et la notion d'armée industrielle de réserve ont été sensiblement modifiées, même si certains gauchistes hurlent que cette notion ne recouvre pas les migrations.
D'une certaine manière la bourgeoisie paye à la fois la restriction des naissances dans les familles ouvrières européennes dans l'immédiat post 1945 ; on préférait faire seulement deux enfants pour éviter la misère des grandes familles. Comme elle paye également sa négation et son mépris du prolétariat depuis une trentaine d'années. A force de faire proclamer à ses larbins de plume la fin du prolétariat, non seulement elle a réussit à faire douter de lui-même celui-ci mais elle a tant ridiculisé du même coup le travail manuel que plus aucun « blanc » ne veut s'y résoudre, et par écho même le migrant de base ! Désespérant pour les bureaux d'embauche informatisés ! Alors l'immigré, musulman de surcroît est venu sauver ce prolétariat soumis auquel a toujours rêvé la bonne vieille bourgeoise annoblie. Elle peut dire un grand merci aux réformistes radicaux, hier trotskistes ou maoistes, cette extrême gauche salonnarde avec fausses barbes, qui n'a pour héritiers bâtards que ces pauvres blacks blocks ou médecins sans frontières et autres curés passeurs de migrants. Leur aveuglement feint sur les ravages du fascisme islamique n'a d'égal que leur prosélytisme pour la femme musulmane voilée, qui n'est au fond que le même snobisme que conchiait Claude Roy au temps des massacres de la « révolution culturelle » :
« Car, pendant que la Chine s'embrasait d'incendies allumés par ses dirigeants pompiers, de délires attisés par ses chefs infaillibles, acharnés à se disputer le pouvoir, tandis que des millions d'innocents et de dupes forcés pourrissaient dans les chaînes ou périssaient dans les tortures, une partie considérable de l'intelligentsia française, avec la légèreté du snobisme intellectuel, l'ignorance des mondains, le fanatisme des idéologues et l'art « grand chic » de la classique Trahison des clercs, étouffait les cris de la Chine martyrisée sous l'Hymne à la joie maoïste »7.
Les questionnements sont plus compliqués et ne trouvent pas une réponse automatique, hors de l'inquisition de l'Etat et de ses Torquemadas éditorialistes et suivistes. Néanmoins, dans le désordre mondial la bourgeoisie sait faire d'une faiblesse une force. Ce que j'appelle dépossession des idéaux généreux et internationalistes du projet communiste c'est le détournement de ceux-ci par les appareils dominants dans les diverses catégories de la morale régnante : antiracisme, interclassisme humanitaire, antifascisme comme explication au mal universel, "lutter contre tous les nationalismes" (dixit Macron et piller les sans défense les retraités) etc. On ne peut comprendre ce nœud de problème sans poser la question de la difficulté de réalisation du capital dans ce monde pléonasme « mondialisé ». Et balayer devant sa porte des clichés éculés, même dits d'obédience marxiste.


UN INTERNATIONALISME RAREMENT CONCRETISE DANS LA LUTTE DES PLACES

Ne pas être capable d'actualiser le marxisme en se contentant de répéter des formules abstraites, elles-mêmes dévitalisées pendant 50 ans par le stalinisme et le trotskisme ? c'est se vouer au reniement du rôle du prolétariat trop imparfait ou à la démoralisation politique8. Dans la décadence du capitalisme actuel, modulé et moralisé par les mafias financières et marqué par d'interminables et cruelles guerres localisées, Malthus semble l'avoir emporté sur l'analyse rationnelle de Marx, lequel ne donna jamais entièrement tort à ce même Malthus comme les piètres marxistes staliniens et gauchistes l'ont prétendu si longtemps.
« Des circonstances particulières favorisent l’accumulation tantôt dans telle branche d’industrie, tantôt dans telle autre. Dès que les profits y dépassent le taux moyen, des capitaux additionnels sont fortement attirés, la demande de travail s’en ressent, devient plus vive et fait monter les salaires. Leur hausse attire une plus grande partie de la classe salariée à la branche privilégiée, jusqu’à ce que celle-ci soit saturée de force ouvrière, mais, comme l’affluence des candidats continue, le salaire retombe bientôt à son niveau ordinaire ou descend plus bas encore. Alors l’immigration des ouvriers va non seulement cesser, mais faire place à leur émigration en d’autres branches d’industrie. Là l’économiste se flatte d’avoir surpris le mouvement social sur le fait. Il voit de ses propres yeux que l’accumulation du capital produit une hausse des salaires, cette hausse une augmentation des ouvriers, cette augmentation une baisse des salaires, et celle-ci enfin une diminution des ouvriers. Mais ce n’est après tout qu’une oscillation locale du marché de travail qu’il vient d’observer, oscillation produite par le mouvement de distribution des travailleurs entre les diverses sphères de placement du capital. Pendant les périodes de stagnation et d’activité moyenne, l’armée de réserve industrielle pèse sur l’armée active, pour en refréner les prétentions pendant la période de surproduction et de haute prospérité. C’est ainsi que la surpopulation relative, une fois devenue le pivot sur lequel tourne la loi de l’offre et la demande de travail, ne lui permet de fonctionner qu’entre des limites qui laissent assez de champ à l’activité d’exploitation et à l’esprit dominateur du capital »9.
Dans le Livre premier, 7e section, Marx démontre que sous les aléas de la crise, la composition organique du capital doit diminuer le capital variable (donc que le recours à l'armée industrielle de réserve, surtout immigrée de nos jours) n'est plus forcément nécessaire et qu'une régulation s'impose ; les syndicats ouvriers au XIX ème siècle exigeaient des quotas d'embauche des prolétaires immigrés, et cela n'était ni raciste ni nationaliste.

« Enfin, il y a des intervalles où les bouleversements techniques se font moins sentir, où l'accumulation se présente davantage comme un mouvement d'extension quantitative sur la nouvelle base technique une fois acquise. Alors, quelle que soit la composition actuelle du capital, la loi selon laquelle la demande de travail augmente dans la même proportion que le capital recommence plus ou moins à opérer. Mais, en même temps que le nombre des ouvriers attirés par le capital atteint son maximum, les produits deviennent si surabondants qu'au moindre obstacle dans leur écoulement le mécanisme social semble s'arrêter; la répulsion du travail par le capital opère tout d'un coup, sur la plus vaste échelle et de la manière la plus violente; le désarroi même impose aux capitalistes des efforts suprêmes pour économiser le travail. Des perfectionnements de détail graduellement accumulés se concentrent alors pour ainsi dire sous cette haute pression; ils s'incarnent dans des changements techniques qui révolutionnent la composition du capital sur toute la périphérie de grandes sphères de production. C'est ainsi que la guerre civile américaine poussa les filateurs anglais à peupler leurs ateliers de machines plus puissantes et à les dépeupler de travailleurs. Enfin, la durée de ces intervalles où l'accumulation favorise le plus la demande de travail se raccourcit progressivement. »

Contrairement à tous nos faux marxistes humanitaires (professionnels du tourisme humanitaire) cette analyse s’accompagne d’une identification des changements concrets dans le capital variable  qui n'impliquent pas automatiquement homogénéisation et unité du prolétariat. Le Capital du 19 ème siècle décompose l’armée industrielle de réserve en population flottante, stagnante, latente, tout en prenant en compte les processus d’intensification de la journée de travail, l’exode rural et les déplacements de la force de travail d’un secteur à l’autre, voire d’un pays à l’autre (cas de l’Irlande), la substitution de la main-d’œuvre féminine et enfantine à la main-d’œuvre masculine ; Marx dénonçait par après la dégradation physique, la malnutrition et la mortalité de la force de travail10. Comme Marx aurait dénoncé de nos jours les guerres de rapine impérialiste et les massacres inter-ethniques qui transforment des masses de population en hordes errantes.

La notion de surpopulation n'était que tendancielle. Elle est devenue une question mondiale préoccupante depuis les immenses famines du XX ème siècle. A l'époque du capitalisme ascendant, il résultait de l’augmentation du capital constant une surpopulation « relative » :

« Nous l’appelons relative, parce qu’elle provient non d’un accroissement positif de la population ouvrière qui dépasserait les limites de la richesse en voie d’accumulation, mais, au contraire, d’un accroissement accéléré du capital social qui lui permet de se passer d’une partie plus ou moins considérable de ses manouvriers. Comme cette surpopulation n’existe que par rapport aux besoins momentanés de l’exploitation capitaliste, elle peut s’enfler et se resserrer d’une manière subite ».

Cette surpopulation était majoritairement blanche dans les vieux pays européens, les noirs et les arabes restant cantonnés dans les zones colonisées. Les origines des migrants de souche blanche européenne11, à dominante catholique, permettaient une intégration à moyen terme, ce qui n'est plus le cas avec des populations de race noire et arabe, hommes majoritairement célibataires et entichés d'islam, frappés d'ostracisme de manière indirecte12, qui sont pourchassés s'ils répondent aux besoins du travail « au noir »13 et constituent par défaut des bandes ou bien sont confinés dans de nouveaux ghettos mobiles au centre de deux ou trois grandes villes, et qui alimentent les faits divers et la colère des extrêmes droites.

La première condition de la réalisation de l'accumulation primitive au 19 e siècle était relative à la spécificité de la marchandise travail. L’accumulation n’est possible que parce que la marchandise travail, au contraire des autres facteurs de production, qui ne sont pas renouvelables, a la faculté de se reproduire indéfiniment pourvu que l’on pourvoie à son entretien, point que Marx avait longuement développé dans la deuxième section du Capital (chapitres 6 et 7). L’accumulation capitaliste en phase ascendante supposait donc naturellement une main-d’œuvre de plus en plus abondante. La seconde condition portait sur la malléabilité de la force de travail, il faut d’une part que le travailleur ne se vende pas en une seule fois, qu’il n’aliène pas définitivement sa force de travail, d’autre part qu’il n’ait rien d’autre à vendre. Marx reprenait point par point Engels, qui avait longuement mis en évidence en 1844 la différence entre le prolétaire et l’esclave : « mais au lieu d’être vendu en une fois, il se vend à la journée, à la semaine, à l’année, et comme aucun propriétaire ne le vend à un autre, il est forcé de se vendre lui-même, n’étant l’esclave d’aucun propriétaire en particulier, mais de la classe capitaliste dans son ensemble ».

La bourgeoisie est bien plus à son avantage que dans le régime esclavagiste : elle n’a aucune obligation envers les ouvriers, n’ayant investi aucun capital ; l’ouvrier coûte donc moins cher qu’un esclave. Troisième condition, qu’il existe un certain degré de maturité du capitalisme, sinon le renforcement du capital constant au détriment du capital variable n’est guère possible, faute de progrès technique : « Cette marche singulière de l’industrie, que nous ne rencontrons à aucune époque antérieure de l’humanité, était également impossible dans la période d’enfance de la production capitaliste. Alors, le progrès technique étant lent et se généralisant plus lentement encore, les changements dans la composition du capital social se firent à peine sentir. (...) C’est seulement sous le régime de la grande industrie que la production d’un superflu de population devient un ressort régulier de la production des richesses ». La quatrième condition tient au rythme de reproduction de la force de travail. Marx approuve Malthus. Supposons qu’une nouvelle opportunité d’accumulation industrielle se dessine. Elle va déclencher une demande de travail … »14 .

À côté de l’intensification de l’exploitation, l’accumulation a une autre conséquence démographique majeure : pour accroître l’armée de réserve industrielle, le capitalisme peut disposer d’une offre de main-d’œuvre supplémentaire si la mobilité de la population est accrue. Marx est donc conduit à conceptualiser la mobilisation de la force de travail. On retrouve la question de la surpopulation relative : celle-ci se présente sous trois formes : flottante, latente, stagnante. Dans l’industrie moderne, la surpopulation est flottante, car elle varie au gré de la conjoncture, même si elle tend à croître du fait du progrès de cette forme de production par rapport à la manufacture ou au travail domestique, et même si le capital variable diminue au profit du capital constant. La surpopulation était « latente » en milieu rural alors qu'elle est devenue pression permanente avec les migrations désordonnées actuelles ; le mouvement d’exode rural ne se déclenchait que si des opportunités s’ouvraient en milieu urbain. La troisième composante, la surpopulation « stagnante », fait partie de l’armée industrielle active, et non de « réserve ». Autrement dit, il s’agit d’une main-d’œuvre employée, mais dont l’activité est très irrégulière et le salaire au niveau du minimum vital ; ce qui peut caractériser le migrant en général, taillable et corvéable à merci du fait de sa situation « irrégulière » et soumis, non prioritairement à la dénonciation de l'extrême droite mais otage des desideratas patronaux et préfectoraux de la démocratie antiraciste. La surpopulation stagnante était au 19 ème, selon Marx avant tout du « travail à domicile », dont les caractéristiques démographiques sont spécifiques et rappellent « la reproduction extraordinaire de certaines espèces animales faibles et constamment pourchassées ». En effet, elle s’alimente des ouvriers en « surnuméraire », elle ne cesse de se « reproduire elle-même sur une échelle progressive. Non seulement le chiffre des naissances et des décès y est très élevé, mais les diverses catégories de cette surpopulation à l’état stagnant s’accroissent actuellement en raison inverse du montant des salaires qui leur échoient, et par conséquent, des subsistances sur lesquelles elles végètent ». Invariance et validité de la description de Marx donc par delà les époques.

Indépendamment de cette typologie, l’analyse du prolétariat agricole anglais donna lieu à des pages pénétrantes, où se mêlent analyse historique, recours aux témoignages des observateurs, données statistiques sur les salaires et la malnutrition, enquêtes sociales de 1863, 1864 et 1865 sur le logement et la santé en milieu rural. On ne peut s'empêcher d'y retrouver la description de l'exploitation actuelle d'un prolétariat agricole migrant, cueilleurs de fruits ou nettoyeurs de patates, en Italie et en Espagne en particulier. Tout ce qui est relatif aux formes de la surpopulation relative dans deux comtés, le Worcestershire et le Lincolnshire, décrivait la contradiction liée au caractère saisonnier de l’agriculture. Hormis les pointes saisonnières, la main-d’œuvre y est excédentaire, aussi les fermiers renoncent-ils peu à peu à l’emploi de travailleurs à demeure, trop coûteux, au profit du recours à des bandes de dix à cinquante personnes, essentiellement des femmes et des enfants, placés sous la direction d’un gangmaster, et qui se louent de ferme en ferme. Ce système des bandes ne cesse de s’étendre, et les enquêtes rassemblent des témoignages de gros fermiers, très explicites sur l’intérêt qu’ils y trouvent. Marx avait certes bénéficié des remarquables enquêtes sociales conduites au milieu des années 1860 et publiées au moment où il rédige Le Capital, mais il opère une remarquable synthèse de ces faits, à partir du concept de surpopulation relative :
« Ce système qui, depuis ces dernières années, ne cesse de s’étendre, n’existe évidemment pas pour le bon plaisir du chef de bande. Il existe parce qu’il enrichit les gros fermiers et les propriétaires. Quant aux fermiers, il n’est pas de méthode plus ingénieuse pour maintenir son personnel de travailleurs bien au-dessous du niveau normal – tout en laissant toujours à sa disposition un supplément de bras applicable à chaque besogne extraordinaire – pour obtenir beaucoup de travail avec le moins d’argent possible, et pour rendre ‘superflus’ les adultes mâles. On ne s’étonnera plus, d’après les explications données, que le chômage plus ou moins long et fréquent de l’ouvrier agricole soit franchement avoué, et qu’en même temps « le système des bandes » soit déclaré « nécessaire », sous prétexte que les travailleurs mâles font défaut et qu’ils émigrent vers les villes. La terre du Lincolnshire nettoyée, ses cultivateurs souillés, voilà le pôle positif et le pôle négatif de la production capitaliste « .
Marx apparaît à nouveau toujours actuel. Il aurait pu ajouter que les bureaucraties obscures de Bruxelles, les passeurs gauchistes, et les gouvernements plutôt de gauche, aident les gros fermiers d'Italie et d'Espagne à s'enrichir.
« Le concept de surpopulation relative, on l’a vu, est étroitement lié au constat de l’exode rural et de l’urbanisation, qui eux-mêmes renvoient à la demande de travail dans l’industrie. Les travaux des démographes et historiens anglais confirment le constat de Marx que la croissance a été plus rapide en milieu urbain et industriel. Sur le long terme, par exemple entre 1700 et 1750, l’ensemble de l’Angleterre et du Pays de Galles a augmenté de 23 %, beaucoup moins que les régions industrielles : Lancashire (33 %), Warwickshire (28 %), West Riding du Yorkshire (26 %). À une échelle plus fine, entre 1751 et 1831, les comtés ruraux ont augmenté de 88 %, les comtés urbains de 129 %. Dans le Vale of Trent étudié par Chambers, entre 1764 et 1801 les 62 villages agricoles se sont accrus de 38,7 % contre 96,5 % pour les 40 villages industriels. Mais à vrai dire, la contribution de Marx n’est pas très originale, puisque précisément il s’appuie sur des sources publiques, en particulier les publications du Registrar General ».


Plus intéressant encore est ce que constate à son tour Marx dans le « vivier à travailleur manuel » ; il faut rappeler et Marx le notait aussi, que dans les familles ouvrières au 19 ème siècle, pour augmenter le salaire misérable de l'homme il fallait produire plusieurs enfants et mettre la femme au travail. Le tableau qui suit n'a pas grand chose à envier à la nouvelle « population stagnante », qui est présentée comme source de toutes les peurs quand elle n'est que la victime du système en totale gabegie et conviée à venir gonfler les ghettos de la misère dans l'impasse « Sans avenir ».


« À propos des bandes d’ouvriers agricoles qui se louent aux propriétaires terriens, Marx note que les villages d’où ces bandes sont originaires se caractérisent par une promiscuité sexuelle, un taux d’illégitimité très élevé (jusqu’à la moitié des naissances dans certains villages ; il cite Bilford dans le Worcestershire), souvent parmi des adolescentes de 13 ou 14 ans, illégitimité sans doute accompagnée d’avortement et d’infanticide, et enfin par un alcoolisme aggravé par la consommation de produits dérivés de l’opium, que les mères font absorber à leurs enfants. Les travaux des historiens anglais actuels confirment l’ampleur de l’illégitimité, la plus « démographique » des conséquences sociales du système des bandes, étant entendu qu’elle s’observait dans bien d’autres contextes, en particulier en milieu urbain. Mais ici encore ce fléau social était connu et Marx n’innove pas ».
Bien plus intéressant est le problème posé par un passage du chapitre 25 du Capital, où Marx emprunte un tableau au General Registrar, qui intègre les résultats du recensement de 1861 (tableau 1). Le constat du ralentissement de la population anglaise entre 1811 et 1861 ne donne lieu à pratiquement aucun commentaire spécifique, Marx citant immédiatement après le tableau toute une série de chiffres qui établissent l’accroissement beaucoup plus rapide du capital et de la richesse au cours de la même période, et concluant sur le contraste avec la pauvreté persistante de la classe ouvrière, qu’il dénonce véhémentement.
Mais il ne poursuit pas sa pensée. Essayons de compléter la démonstration en nous plaçant dans la logique du Capital. Il est certes tentant de supposer que le parallèle qu’il établit entre le progrès de la richesse et celui de la pauvreté renvoie, conformément à l’analyse de l’évolution de la composition organique du capital, à l’idée que le capital constant augmente plus vite que le capital variable. Mais si l’on part du constat du ralentissement du taux de croissance il faut au minimum, pour avancer dans l’analyse, décomposer ce dernier et s’interroger sur les taux de natalité et de mortalité. En supposant que le solde naturel est bien plus important que le solde migratoire, un ralentissement de la croissance totale peut résulter, soit d’une fécondité constante tandis que la mortalité augmente (traduisant une aggravation du niveau de vie), soit d’une diminution de la mortalité, compensée par une baisse encore plus rapide de la fécondité (ce qui suggère une amélioration du niveau de vie).
Puisque Marx pose que la misère ouvrière s’est accrue, cela implique que la mortalité a augmenté et que la fécondité a aussi augmenté ou au minimum qu’elle soit restée constante. En effet, en termes macro-économiques marxistes, la croissance du capital variable (la population) est plus lente que celle de l’accumulation du capital constant, la prolétarisation se généralise et au niveau microéconomique les ouvriers doivent augmenter leur fécondité pour compenser la baisse des salaires. On sait aujourd’hui que les taux de natalité et de mortalité sont effectivement restés stables au cours de la période. Nous sommes bien dans la première des deux hypothèses et la théorie éclaire donc la réalité.
Le solde migratoire joue donc ici le rôle du fait dérangeant qui perturbe la tranquillité du théoricien et ce constat a des implications importantes. D’abord, la difficulté à établir la preuve d’une construction théorique en l’absence de données appropriées. Marx n’avait évidemment pas celles-ci à sa disposition, mais il a voulu voir la démonstration de sa loi de population dans les seuls taux globaux d’accroissement intercensitaires, alors que dans sa logique même, la preuve dont il avait besoin impliquait au minimum de prendre en compte la dynamique démographique, au demeurant fort simple, des taux de natalité et de mortalité.
Il en résulte ensuite que le ralentissement ne s’explique pas par un changement dans la composition organique du capital, affectant la fécondité et la mortalité, mais par une émigration croissante, puisque les taux de natalité et de mortalité sont restés à peu près constants. Certes l’économie a continué à gouverner les comportements démographiques, la misère ayant été la cause de l’émigration, comme le montre la tragédie irlandaise : sur une population totale de 8 175 000 en 1841, la famine de 1846 fit près d’un million de morts et déclencha une émigration d’un million et demi d’Irlandais au cours de la famine, si bien qu’en 1851 l’Irlande comptait 1 623 000 personnes de moins qu’en 1841.
Mais l’implication idéologique majeure est que l’émigration offre une soupape aux crises du capitalisme, en réduisant l’armée industrielle de réserve. Marx anticipe l’objection et rétorque que le sort des « travailleurs restés en Irlande et délivrés de la surpopulation » ne s’est pas pour autant amélioré, car « la révolution agricole a marché au même pas que l’émigration. L’excès relatif de population s’est produit plus vite que sa diminution absolue » . Mais pourquoi n’a-t-il pas pris en compte les autres flux d’émigration outre-Atlantique, ceux partis d’Angleterre, alors qu’il analyse, on l’a vu, les crises du capitalisme anglais dans leur dimension internationale ? On peut penser que Marx a été conduit à sous-estimer l’importance de l’émigration à propos de l’Angleterre pour la raison évoquée au début de ce paragraphe, à savoir l’enjeu idéologique des crises. L’Angleterre étant justement le pays où le capitalisme industriel était le plus développé, cela fragilisait sa démonstration, alors que l’Irlande, comme d’ailleurs il le souligne à plusieurs reprises, était encore un pays rural et agricole. Notons la différence avec Malthus, qui pouvait au contraire s’appuyer sur l’émigration et arguer que c’était, pour l’Angleterre précisément, une fausse solution au problème de la misère : à long terme, la terre serait remplie à cause du principe de population, les places laissées libres étant immédiatement occupées.


Pourtant une autre critique doit être formulée, celle-ci indépendante du problème des preuves quantitatives dont ne disposait pas Marx. Il ne pouvait ignorer que le prolétariat n’était qu’en constitution et que l’Angleterre n’en était pas arrivée au face à face final, puisqu’au chapitre 32 du Livre I, il prédit que l’affrontement aura lieu à terme. Néanmoins il interprète les données globales sur la population de l’Angleterre et du Pays de Galles comme si d’ores et déjà elle ne se composait plus que d’ouvriers et de capitalistes. Un sérieux conflit de temporalités surgit : on ne peut pas interpréter des chiffres actuels en référence à une situation sociale future. Faute de logique d’autant plus surprenante que dans la Critique de l’économie politique, Marx insistait sur le fait que les chiffres devaient être ancrés dans la réalité sociale, et que ce penseur très soucieux de périodisation était d’accord avec Malthus pour penser que l’accroissement de la fécondité était une réponse bien trop lente aux besoins du capital, d’où la nécessité de recourir à des gisements de main-d’œuvre rurale.


Ceci nous conduit au vaste débat idéologique autour de la qualité du pronostic de Marx : la société capitaliste est-elle ou non caractérisée par un mouvement inéluctable de paupérisation menant à son effondrement ? Pour ce qui est des faits démographiques en tout cas, à partir de 1860, la mortalité et la fécondité ont entamé un mouvement irréversible de baisse, preuve de l’élévation du niveau de vie. La mortalité a diminué, on le sait, sous l’effet d’une amélioration de l’alimentation résultant de la révolution agricole et d’un recul concomitant de la virulence des épidémies. D’autre part, Marx, qui pourtant vivait à Londres, où la propagande néo-malthusienne commençait à se développer, passa à côté de cette réalité émergente, la baisse de la fécondité dans les classes moyennes.
Tout sépare Malthus de Marx : la démarche même de la pensée, ondoyante chez l’un, structurée chez l’autre, la construction théorique, le rôle politique enfin. Une chose leur est commune : l’un et l’autre ont proposé une véritable loi de population. Ou plutôt il se sont tous deux fermement situés au niveau théorique, Malthus croyant à l’universalité dans le temps et dans l’espace du principe de population, Marx posant l’existence de lois de population spécifiques de chaque mode de production et s’attachant exclusivement à celle du capitalisme.


Comment lire ce que Marx a écrit sur la population ? Il faut certes vérifier la cohérence de la construction théorique, qui relève de l’économie politique – puisque la loi de population est celle d’un mode de production – en s’attachant plus particulièrement à ses concepts centraux, ceux de demande de travail et de plus-value. Il faut aussi intégrer la dimension socio-démographique des idées de Marx, à vrai dire inspirées d’Engels. Il faut simultanément intégrer la dimension socio-démographique des idées de Marx, à vrai dire inspirées d’Engels. L’analyse de la misère ouvrière comme facteur d’une nuptialité précoce et d’une fécondité élevée est une première contribution. La reconnaissance des diverses formes de mobilité et en particulier de l’ampleur de l’exode rural, en est une autre. La morbidité, la malnutrition et la mortalité en milieu ouvrier en sont une troisième. Or si l’économiste propose une loi de population du capitalisme, celle-ci doit rendre compte de l’ensemble des comportements socio-démographiques, ceux des capitalistes, des ouvriers, des autres classes sociales, fussent-elles condamnées à disparaître. Mais si la qualité du sociologue des classes ouvrières est incontestable, Marx dit très peu de choses sur les comportements démographiques des autres classes sociales. Ce qui, par ricochet, prive de vérification expérimentale sa construction théorique. Finalement, faute d’avoir distingué ce qui était spécifique de la classe ouvrière et ce qui concernait l’ensemble de la population, Marx sociologue n’a pas su ou voulu relativiser les implications théoriques de ses notations très concrètes en matière de fécondité, de nuptialité, de mortalité et de migrations. Alors qu’il relie magistralement l’analyse du fonctionnement concret du capitalisme anglais des années 1860 à la théorie de l’accumulation du capital, que le concept de surpopulation relative est opératoire pour analyser le fonctionnement du marché du travail, qu’enfin les données démographiques propres à la condition ouvrière sont convaincantes, le constat démographique global relatif à cette même Angleterre des années 1860 le met en difficulté pour la raison déjà évoquée : on ne peut utiliser des données portant sur l’ensemble de la population, en les interprétant comme si elles étaient pertinentes à une seule classe sociale. Le besoin de justifier la prédiction l’a emporté ici sur l’analyse sociologique.
Revenons à notre question initiale : pourquoi Marx a-t-il une attitude aussi ambivalente à l’égard de Malthus ? Il lui reconnaît en effet un réel mérite théorique, tout en lui reprochant de prôner la mesure doctrinale qui est cohérente avec la contribution théorique. Lecteur attentif de Malthus, il reprend point par point son argumentation, le crédite d’avoir perçu le risque d’une surproduction générale et de n’avoir pas cherché à « cacher les contradictions de la production bourgeoise »  En 1852, dans une lettre à Joseph Weydemeyer, journaliste.... Contrairement à l’optimisme des « économistes vulgaires », tels Jean-Baptiste Say avec la sacro-sainte loi des débouchés, ou Frédéric Bastiat avec sa théorie de l’harmonie des intérêts, Malthus, à travers la mise en garde contre un risque d’insuffisance de la demande effective, avait effectivement sapé définitivement l’optimisme libéral relatif au devenir du capitalisme. Keynes, qui partageait d’ailleurs cet avis, avait, on l’a noté, proclamé Malthus le premier des économistes de Cambridge, pour avoir, contre Ricardo, prédit le risque d’une crise générale liée à une insuffisance de la demande effective.
Mais Marx rejette fermement la conclusion de Malthus : ce n’est pas en augmentant les classes improductives que les crises seront évitées. La réponse à la première question relève finalement du débat idéologique. Du point de vue de la doctrine sociale, Malthus plaide, de manière très moderne, en faveur d’une société plutôt composée de classes moyennes, ce qui permettrait de maximiser la demande effective. C’est l’industrie qui permet à long terme, en tant que source principale de la demande de travail, d’améliorer le bien-être et de résoudre le problème social grâce à une généralisation de la contrainte prudente. Elle stimule la croissance démographique sans pour autant induire une aggravation des conditions de vie dans la population. À court terme, la régulation se fait par les fluctuations du niveau de vie et de la nuptialité, qui varient l’un et l’autre avec la demande de travail. Marx voit bien l’enjeu politique : « Malthus admet la production bourgeoise pour autant qu’elle n’est pas révolutionnaire, qu’elle n’est pas une force historique, mais qu’elle crée une base matérielle plus large et plus commode pour l’ancienne société ». Effectivement, s’il existe une solution aux crises du capitalisme du côté de la consommation, si en dépit du processus d’accumulation, les stocks issus d’une production de masse à faible prix peuvent s’écouler sur les marchés grâce à la consommation de classes moyennes, alors les contradictions du capitalisme sont désamorcées. Marx ne pouvait donc que vivement combattre Malthus sur ce point. Il ne fut pas le seul à percevoir le danger : l’hostilité de Clara Zetkin et de Rosa Luxembourg au néo-malthusianisme relève de la même logique.

ROSA LUXEMBURG OPPOSEE AU CONTROLE DES NAISSANCES


En 1913, au Congrès de Berlin, elles s’opposèrent aux thèses anarcho-syndicalistes, qui prônaient la « grève des ventres » pour ne pas donner à la bourgeoisie de la chair à canon, à travail et à plaisir. L’intérêt des communistes était radicalement opposé à cette stratégie : plus le prolétariat était nombreux, plus son potentiel révolutionnaire était élevé. Mais la même année 1913, Lénine publie le 16 juin dans la Pravda un article souvent cité dont l’argumentation est sensiblement différente et qui est particulièrement intéressant pour notre propos. D’abord il réitère l’hostilité « absolue » des communistes au néo-malthusianisme. Mais pour autant, « cela ne nous empêche pas d’exiger un changement complet des lois interdisant l’avortement ou la diffusion d’ouvrages de médecine ayant trait aux moyens anticonceptionnels. Ces lois sont une hypocrisie des classes dirigeantes ». Lénine affirme ensuite que cette position se justifie au nom des « droits démocratiques élémentaires des citoyens et des citoyennes ». L’ambiguïté doctrinale est extrême. Si on se place dans la ligne des analyses du Capital, la révolution prolétarienne doit en effet inéluctablement résulter des contradictions économiques du capitalisme, alors que les arguments « démocratiques » de Lénine sont un plaidoyer clairement destiné aux classes moyennes. Mais tandis que Clara Zetkin et Rosa Luxembourg, qui s’adressaient au contraire aux ouvriers, étaient tout naturellement fidèles à l’orthodoxie marxienne, se ranger aux côtés des néo-malthusiens, comme le fait Lénine, ne fût-ce que pour des raisons purement tactiques, était plus périlleux. Car à l’évidence le risque lié à la diffusion de la contraception est celui de la dérive social-démocrate : des ouvriers moins nombreux à offrir leur main-d’œuvre pourraient négocier de meilleurs salaires, améliorer leur niveau de vie et à terme s’embourgeoiser. Aussi Lénine est-il obligé d’ajouter que « les ouvriers conscients mèneront toujours la lutte la plus impitoyable contre les tentatives d’insuffler cette théorie réactionnaire et lâche à la classe la plus avancée de la société contemporaine, à celle qui est la plus forte, la mieux préparée à la grande transformation ». En d’autres termes, la prise en compte de la superstructure, ici la législation sur la contraception et l’avortement, oblige à passer au niveau du combat idéologique pour préserver les chances de la révolution prolétarienne. La prédiction purement économique de l'effondrement du capitalisme passerait-elle par la non résolution des migrations massives annoncées comme aussi certaines et prolongées que l'éclipse du soleil ?
Il ne sera pas répondu pour le moment dans cet article. Nous préférons conclure sur l'aveuglement gêné aux entournures de tous ceux qui nient les impossibilités et les problèmes graves posés par ces fuites de populations vers les pays dits riches mais forteresses d'injustices pour les classes d'en bas qui y vivent depuis longtemps. Pour l'instant il n'y a aucune solution à un problème insoluble dans le capitalisme pourri.


LES FAUX-CULS GAUCHISTES et L'ARGENT MUSULMAN

Le soutien caritatif et le ramdam des diverses officines gauchistes et assocs anarchistes ont pour but de leur éviter de dénoncer les guerres du pétrole entre compétiteurs affilés aux grandes puissances et parce que c'est trop compliqué (qui est vraiment daech?). Les militants dits d'extrême gauche ne réfléchissent pas et obéissent aux clichés des pires partis bourgeois menteurs. Mais comme le phénomène migratoire finit par être répétitif et odieux, les secouristes humanitaires finissent par se ridiculiser eux-mêmes comme instruments des invisibles passeurs et des magnats de l'agriculture.
Libération, qui est la tête pensante de cette noria d'imbéciles, déforme systématiquement et de façon simpliste toute réflexion ou réorientation. Ainsi quand il est annoncé que : Sahra Wagenknecht, la co-présidente du groupe parlementaire de Die Linke au Bundestag, lancera le 4 septembre «Aufstehen», un parti pour en finir avec la «bonne conscience de gauche sur la culture de l’accueil».
Libération, qui a oublié les agressions sexuelles multiples à Cologne (et le fait que la bourgeoisie méprise les besoins sexuels des hommes immigrés comme de la classe ouvrière autochtone), titre : « Allemagne : l'égérie de la gauche radicale penche à l'extrême droite sur les migrants ». La co-présidente n'a pourtant pour but que de râcler des voix en milieu ouvrier qui vote de plus en plus pour l'Afd, avec un argument électoral (mais aussi marxiste!) : «Plus de migrants économiques, cela signifie plus de concurrence pour les bas salaires dans le secteur de l’emploi.»
Un paysage politique en mutation... déplore Libération :

« Que cherche Sahra Wagenknecht ? Elle est consciente que Die Linke ne cesse de perdre des voix au profit de l’AfD, surtout dans l’est de l’Allemagne. Qu’il ne parvient pas, lors des élections fédérales, à passer la barre des 10%. Elle constate enfin que ces nouveaux mouvements citoyens dont s’inspire Aufstehen parviennent à séduire en ratissant large. Elle a vu avec intérêt Jean-Luc Mélenchon récolter 19% des voix lors de la dernière présidentielle française. Ainsi tente-t-elle d’attirer des sympathisants à coups de punchlines percutante s: «Les lobbyistes ont beaucoup d’argent, nous avons des gens.» Il n'est pas dit qui sont les lobbyistes.

La pantalonnade de la « pensée unique » de l'inquisition européenne dominante confine à la caricature du pouvoir politique avec l'inculpation de Salvini :

Matteo Salvini poursuivi en justice pour séquestration de migrants

ItalieLe Parquet d’Agrigente met en accusation le ministre de l’Intérieur, qui a refusé le débarquement de migrants en Sicile.

Les juges, ces suppôts des financiers, et des roitelets de l'or musulman, s'érigent en défenseurs des pauvres migrants contre les fachos du gouvernement. On est en plein délire orwellien, pensera notre lecteur lambda. Pas du tout, le pouvoir n'est jamais où l'on croit. L'Italie a l'habitude avec ses mafias. On se souvient que le roi déposé naguère comme un vulgaire fonctionnaire cet âne de Mussolini. On est en plein vaudeville :

« «Les juges m’ont donné une médaille, ils peuvent m’arrêter mais ils n’arrêteront pas le changement, qu’ils viennent me chercher, je les attends avec de la grappa!» C’est par ces mots que Matteo Salvini, le ministre de l’Intérieur et vice-premier ministre italien, a réagi à sa mise sous enquête, samedi, par le Parquet d’Agrigente pour avoir interdit le débarquement dans le port de Catane de 177 migrants repêchés en mer Méditerranée par les gardes-côtes du navire italien Diciotti. Ceux-ci ont finalement pu débarquer, et devraient être accueillis en partie par l’Irlande, l’Albanie et le Vatican. Les magistrats reprochent au grand manitou de la Ligue d’avoir agi de façon arbitraire en empêchant d’abord un navire militaire – les gardes-côtes ayant rang de militaires – de jeter l’ancre dans un port italien. Puis d’avoir séquestré les migrants en leur interdisant de descendre à terre. Ils le soupçonnent aussi d’avoir violé les lois sur l’immigration, qui établissent qu’aucune décision ne peut être prise avant que la personne ait été identifiée et qu’elle ait présenté une demande d’asile ou de protection humanitaire. (…) À toutes ces accusations pourrait s’en ajouter une autre: celle de non-assistance à personne en danger, les gardes-côtes ayant à plusieurs reprises demandé l’autorisation de faire descendre les migrants à terre en raison «d’une situation extrêmement critique à bord».

L'ONU, qui a besoin de l'argent musulman, est venu contredire la décision de justice concernant l'affaire de la crèche Baby Loup où une voilée provocatrice avait été heureusement licenciée. Le monde entier assiste à l'halali contre les prêtres pédophiles mais personne n'ose élever une remarque contre cette autre religion pédophile qui autorise le mariage des fillettes dès 12 ans. Connerie de religion et religion de la connerie. L'ONU est nue sans argent musulman, pardon pétrolier. Après le mémorable combat névrotique entre Booba et Kaaris, le duel parano entre Deschamps et Dugarry, verra-ton enfin un gouvernement unitaire Le Pen/Besancenot ?

Un quotidien a questionné, sans rire courant août : auriez-vous envie d'être membre d'un parti politique ? Je vous laisse supposer vers quoi a penché la quantité de réponses... négatives !


NOTES

1On se souvient de cet appel lancinant à la radio de Tintin ministre du général De Gaulle. Ce qu'on ne savait pas c'est qu'il avait fait déporter des centaines d'enfants réunionnais pour repeupler la Creuse. Le Capital a toujours besoin d'importer une population productive et reste prêt à voler des enfants. Depuis Adam Smith, les économistes sont traditionnellement des grands défenseurs de l’arrivée de migrants sur le marché du travail, mais peu regardants sur le matériel réquisitionné de force.
2Or, l'argumentation du Manifeste qui suit est plus nuancée et quelque peu énigmatique pour les esprits simplistes gauchistes parce que Marx refuse tout universalisme abstrait : « « Comme le prolétariat doit en premier lieu conquérir le pouvoir politique, s’ériger en classe nationale (édition de 1848) ou en classe dirigeante de la nation (édition de 1888), se constituer lui-même en nation, il est encore par-là national, quoique nullement au sens où l’entend la bourgeoisie ». Lire cette analyse approfondie : http://www.contretemps.eu/les-proletaires-nont-pas-de-patrie-linternationalisme-vu-du-manifeste-du-parti-communiste/ . Et cette remarque judicieuse : « En tout cas, quoi que dise ou laisse entendre Marx dans le Manifeste, force est d’admettre que, dans le cadre des sociétés existantes, l’appartenance de classe n’abolit pas l’appartenance nationale et que les travailleurs ont bien une nationalité, comprise non pas au simple sens de sa définition juridique et encore moins au sens d’une identité substantielle, mais comme construction historique et sociale18. Cette construction a culminé avec celle des États-nation : des États de classe qui ne sont pas naturellement voués à clore l’histoire des pouvoirs publics. Mais cette construction s’est, depuis le XIXe siècle, intensifiée sous l’effet à la fois des conquêtes sociales propres à chaque pays et de la mise en concurrence des prolétariats nationaux ».

3http://www.contretemps.eu/les-proletaires-nont-pas-de-patrie-linternationalisme-vu-du-manifeste-du-parti-communiste/ . J'ai signalé l'intérêt de lire son livre « Convoiter l'impossible » dans mon propre ouvrage « Dans quel « Etat » est la révolution ?'.
6 Marx dit, citant Malthus : « les habitudes de prudence dans les rapports matrimoniaux, si elles étaient poussées trop loin parmi la classe ouvrière d’un pays dépendant surtout des manufactures et du commerce, porteraient préjudice à ce pays… Par la nature même de la population, une demande particulière ne peut pas amener sur le marché un surcroît de travailleurs avant un laps de seize ou de dix-huit ans et la conversion du revenu en capital par la voie de l’épargne peut s’effectuer beaucoup plus vite. Un pays est donc toujours exposé à ce que son fonds de salaire croisse plus rapidement que sa population ». 
7Les années Mao en France, avant, pendant et après 68 de François Hourmant, p.149. (Odile Jacob, 2018)
8Le trotskiste impénitent et communautariste Enzo Traverso, qui veut immortaliser les faussaires trotskiens de feu la Quatrième internationale, a théorisé la démoralisation des plus grands, sans rien y comprendre (cf.Mélancolie de gauche) y mêlant l'immense Blanqui qui aurait été démoralisé par la « répétition des défaites » ; or rien n'est plus faux, jusqu'au bout Blanqui reste le flamboyant Blanqui, même dans sa lettre à Clemenceau, même dans les textes « L 'éternité par les astres », et dans « Fatal, fatalisme, fatalité ». Blanqui n'est point le rigide sanguinaire caricaturé par tant d'ennemis, il élabore en permanence, sans négliger de renier les idées vieillies. Lire : http://revueperiode.net/un-texte-inedit-dauguste-blanqui-fatal-fatalisme-fatalite/
9 Le Capital – Livre premier, Le développement de la production capitaliste, VII° section : Accumulation du capital, Chapitre XXV : Loi générale de l’accumulation capitaliste I. Livre III Production croissante d’une surpopulation relative ou d’une armée industrielle de réserve
11Caucasien, disent les sites de rencontres pour ne pas être taxés d'homophobie, racisme et autres ismes.
12Le simple fait d'énoncer ce constat vaut les foudres de l'inquisition antiraciste. Le terme race est d'ailleurs depuis peu interdit d'usage par la Constitution de la bourgeoisie hypocrite et arrogante. Quiconque veut vraiment s'exprimer politiquement ne peut le faire que dans le domaine privé, comme en Russie sous Staline et Brejnev. 
13Si nécessaire dans le Capital décadent (dixit Berlusconi).
14« Ibid