PAGES PROLETARIENNES

vendredi 17 novembre 2017

DISPARITION DES OUVRIERS OU TRUCAGES STATISTIQUES ?


Les insanes de l'INSEE et leur nouveau camouflage de l'exploitation des prolétaires
« Nous sommes des ouvriers des temps modernes. Surdiplômés, certes, bien payés, mais des ouvriers quand même. » Juliette Bouzou (ex cadre bancaire devenue vitrailliste)
« Le procès de valorisation du capital a essentiellement pour but de produire des capitalistes et des travailleurs salariés ». Marx (Grundrisse, cité par Robin Goodfellow)
Les dernières estimations de l'INSEE sur une énième « disparition de la classe ouvrière » accumulent incohérences et inepties. Le titre général de leur dernière enquête est typiquement macronesque et sarkozien : « Depuis 1982, les ouvriers ont autant disparu que les fonctionnaires ont augmenté ». Pourquoi lier la baisse (qualifiée exagérément de « disparition » et radotage permanent de l'idéologie) du nombre d'une des catégories du prolétariat à l'augmentation du nombre des fonctionnaires ? Alors qu'il coule de source que les « destructions d'emploi » ne sont pas plus compensées par l'embauche de fonctionnaires - si longtemps adoubée comme variable d'ajustement anti-émeute - ni combattues par l'honnêteté patronale ! Cela pue en plus la stigmatisation d'une classe ouvrière en CDI quand de Macron à son idole Sarkozy la mise en danger permanente du statut de prolétaire est indispensable au capitalisme en crise, comme sa ghettoïsation à la campagne quand la ville ne doit plus être que l'habitat majeur du bobo et de l'immigré. Haussmann avait déjà commencé le boulot avec ses grands boulevards...
Nulle neutralité de la part de cet institut aux ordres : « sus aux fonctionnaires » c'est le vieux radotage de la droite bourgeoise si humble pourtant lors de chaque tuerie terroriste face à « nos » policiers et aux ramasseurs de crottes des services municipaux lorsque cette petite noblesse bourgeoise se pavane dans la rue, et si hargneuse si fifils n'a pas eu de bonnes notes de la part de ses profs gauchistes. Dans ces « infographies » de 30 années domine un crétinisme de bureaucrate à tampon. Certes, l'évolution de l'emploi en France de 1982 à 2014 par rapport au niveau de formation, à la répartition géographique révèle la paupérisation des zones rurales et industrielles, et l'inflation des emplois administratifs. D'abord qui dit paupérisation devrait s'interroger sur ses causes, et sur l'inflation des emplois administratifs mettre ce phénomène non pas simplement sur le plan du facteur désindustrialisation mais informatisation. Au même niveau, ras des pâquerettes nationales et de la sociologie hexagonale, certains combattent l'intox sur la disparition des « classes populaires »1.
En quoi en plus de 30 ans, le paysage de l'emploi en France a-t-il radicalement changé ? Encore un titre « neutre » et en gras : « Le grand recul de l'industrie et la victoire de l'administration ». Comme la féminisation de l'orthographe et la suppression du mot race, on invente des concepts vides : que signifie « victoire de l'administration » chez un crâne d'oeuf de l'INSEE ? Qu'il n'y a pas de crise économique ? Que tous les politiciens ne sont pas des menteurs ? Que le socialisme est encore au pouvoir et se moque du bon patronat privé ? Que, plus léninistes que Lénine, les anonymes ministres macronesques mènent une sévère lutte pour détruire « l'Etat bureaucratique », comme aurait dit Castoriadis, pour abolir la séparation dirigeant étatique et exécutant privé ?
Contre d'autres têtes de cons prévisionnistes de la fin du travail ou même mieux de la fin du salariat, les insanes de l'INSEE constatent que « l'emploi a progressé presque partout, malheureusement pas au même rythme que la population active, le taux de chômage passant de 6,7% en 1982 jusqu'à plus de 10% en 2014 ». Mais le chômage, dans leurs étroits calculs, ne demeure que quantité négligeable non lié à la révolutionnaire et macronesque flexibilité. Le chômage de longue durée, plutôt du genre définitif, c'est pas la fin du travail PRESENT et la fin ACTUELLE du salariat pour ses malheureuses victimes? Et non cette pauvre spéculation imaginaire, l'hypothétique prévision moderniste enchanteresse d'un monde débarrassé du travail, animé par la seule abondance du supermarché reconverti en gratuité céleste, concitoyenniste et utopique bourgeoise?
De façon résiduelle et « sans surprise » le seul secteur qui « a chuté » (on se garde d'utiliser le terme destruction d'emploi ici) de l'ordre de 2,8 millions est le secteur industrie et agriculture, quoiqu'on ait constaté une légère hausse des cadres industriels ; quand les ouvriers industriels sont détruits il se trouve qu'on conserve les cadres industriels (DRH, licencieurs, reconvertisseurs en blabla, etc.). Miracle de la statistique, les ouvriers non qualifiés ne représenteraient plus que 8,4% des emplois !? Ce qui est pure hypothèse car peu de choses différencient souvent ouvriers qualifiés et non qualifiés et sur les chantiers du BTP la majorité est souvent composée de travailleurs migrants formés sur le tas et non comptabilisés. Il est précisé en outre que les professions intermédiaires comme les ouvriers qualifiés ou les secrétaires ont également fondu au rythme des fermetures d'usine, ce qui n'a déjà plus rien à voir avec le titre général de l'enquête ni ne relève de la responsabilité des « fonctionnaires ». L'Insee évoque sans rire les secteurs particulièrement touchés du textile, de l'automobile, quand au contraire les boulots de merde du bâtiment et du nettoyage ont « résisté », boulots adorés par les sans-papiers et leurs passeurs gauchistes.
LE GRAND REMPLACEMENT DES « FONCTIONS D'INTERMEDIATION »
Les emplois zigouillés ont été remplacés par un déplacement vers ce que l'Insee appelle les «fonctions d'intermédiation», c'est à dire les métiers du commerce inter-entreprises et de l'ensemble transports-logistique: environ 600.000 postes dans ce domaine ont été créés en quelque 32 ans (il n'est pas précisé sur les routiers sont tous polonais ou bulgares).
Il eût été choquant que dans la société de la marchandise aliénante les emplois dans le commerce n'augmentent point, tout comme les services de proximité où les africaines remplacent les portugaises de plus en plus). L'emploi non qualifié dans ces secteurs est même qualifié de «moteur» de l'emploi en France, ce qui est se ficher du peuple et du prolétariat, torchon en main. La « mercantilisation relative » (euphémisme des insanes pour valoriser la mercantilisation totale des rapports humains) a donné la part belle aux activités de distribution (on ne produit plus qu'en Chine et en France « on distribue »). La totalisation opérée ensuite est à pisser de rire quant à la bonne santé du capital français : l'embellie existe, tenez-vous bien, pour les métiers de la culture, « en incluant les salons de coiffure, boutiques telecom et tous les services, le gain global dans ces domaines est estimé à 2,2 millions d'emplois en plus. L'étude cite notamment les serveurs et employés de la restauration, ou encore les agents de sécurité ». Je ne fais que citer la fierté nationale d'accumuler des métiers de merde, mais empaquetés avec ceux, nobles, de la kultur !
FINANCIARISATION ET TECHNICITE ACCRUE DE L'ECONOMIE GLOBALE
Qu'en forme ampoulée elle est dite la putréfaction de l'idéologie de l'élite bourgeoise : « Signe de financiarisation et de la technicité accrue de l'économie globale, les métiers réservés aux «fonctions intellectuelles supérieures» ont aussi prospéré, la définition regroupant les métiers de la conception, de la recherche, des prestations intellectuelles et de la gestion. Les consultants et ingénieurs de tous domaines sont en effet 1,7 million de plus qu'au début des années 1980 ». Mais on va voir que ces ingénieurs ne sont plus tellement ingénieurs...
Mais attention, additif saignant ajouté au succès de la loi Travaille !, le rugissement insane contre les fonctionnaire s'abat comme hache de Damoclès sur infirmières, employé(e)s de bureaux, gestionnaires, archivistes, magasiniers, vigiles en CDI, gardiens d'immeuble, etc. :
« Mais le métier le plus «popularisé» pendant les années Mitterrand, Chirac, Sarkozy et Hollande, est bien celui de fonctionnaire, quel que soit son niveau de formation. Entre l'étatisation assumée, les décentralisations créatrices de doublons, et les crises économiques régulées par l'emploi public et «aidé», le secteur «administration et santé» s'est accru de 2,7 millions d'employés. La masse salariale de l'État n'a cessé d'enfler, avec une progression des effectifs de 0,6% par an sur la dernière décennie, soit deux fois plus vite que dans le privé! On pense irrémédiablement aux enfants des villages de province, ayant rejoint la fonction publique dans la «grande ville» la plus proche, comme le pressentait dès 1964 Jean Ferrat, avec une tendresse mélancolique dans sa chanson sur la «Montagne»: «leur vie? Ils seront flics ou fonctionnaires...».
La charge est quasi stalinienne et Ferrat passerait presque pour un barde macronien, et le règne des prédécesseurs de Macron pour un socialisme ininterrompu. Parce que l'Etat n'a pas besoin de flics, d'instituteurs, d'employés aux diverses gestions administratives et sociales ? Parce que ces millions de fonctionnaires sont inutiles ? Trop payés ? C'est la « masse salariale de l'Etat » qui n'a pas cessé d'enfler ou le capital qui est devenu de plus en plus improductif ? C'est qui qui a « enflé » ? La situation misérable des chômeurs et des petits salaires ou les salaires mirifiques des marionnettes du CAC 40, les retraites chapeaux des milliardaires patronaux, sans compter ces milliers et milliers de petits patrons qui roulent 4X4 ?
LES CADRES SONT PARTIS TRANSFORMER LES VILLES...
Les « enfants des villages de province ont été rejoindre la fonction publique » nous dit-on entre deux graphiques plus haut, mais peu après on nous renseigne ainsi : « L'économie paysanne en perdition, les cadres partis transformer les villes » !? Qui fait quoi dans la marche du capitalisme ? L'Etat engraisserait des fonctionnaires, des villageois ramèneraient leur fraise en ville, puis des cadres (d'où venus?) seraient « partis transformer les villes » ? Une variante de structuralisme aussi bêbête que celui de Françoise Parturier. L'analyse est strictement nationale bien entendu car il ne saurait y avoir d'ingérence de la compétition capitaliste mondiale dans l'étroit hexagone franchouillard, de même que le nuage de Tchernobyl s'était arrêté à nos frontières, par pur respect des convenances écologiques. Dans leur délire nos insanes précisent, sans se relire cette saillie : «  La géographie de l'emploi ne s'est pas trouvée fondamentalement modifiée, et il n'y a pas eu de réorganisation profonde de la carte de l'emploi. Mais par exemple, la chute de l'emploi ouvrier a été plus forte dans les grandes villes que dans les zones rurales, accentuant la précarisation des campagnes. En effet, les ouvriers agricoles ont stagné, car leur métier n'est pas délocalisable ». Pauvres ouvriers agricoles, contrairement aux ouvriers urbains ils ne peuvent même pas être délocalisables à merci, belle leçon de citoyenneté sociale. Comprenez que s'il n'y a plus d'embauche en ville les ouvriers de base peuvent rester dans leur foin à la campagne, et oubliez (ce serait un argument du FN que diable !) que les professions du BTP et de nounous sont occupées déjà pour la plupart par des prolétaires non nationaux et bien plus corvéables et exploitables (mais l'INSEE n'en dira rien). Principale leçon : plus le capital est improductif plus il a besoin de prolétaires soumis et sans défense.
LES PROFESSIONS « INTELLECTUELLES » EN EXPANSION EN VILLE
Gommant l'expansion des services de l'immigration – deuxième composante de l'habitat urbain – nos insanes statisticiens sur commande s'émerveillent du corollaire à ce qu'ils ne nomment pas destructions d'emploi « non intellectuel » ; voici la masse des indignados : « ils constituent 25% des salariés des «pôles urbains de plus de 100.000 habitants. Une proportion qui grimpe jusqu'à 30% en Île-de-France ». Les insanes insistent alors sur la « disparition des ouvriers » - qui n'ont pourtant pas disparus après trois couches de graphiques, qui sont autant ces milliers de « manuels » toujours présents en ville, charpentiers comme nounou africaine ou serveur sans patrie – et pour se moquer pour une fois bien de la nouvelle petite bourgeoisie : « Combinée à la disparition des ouvriers, cette concentration progressive des cadres dans les grandes villes explique aisément la «gentrification» de certains quartiers, anciens faubourgs populaires transformés en repères de diplômés pleinement intégrés à l'économie mondialisée ».
LA NEGATION DE LA CLASSE OUVRIERE N'EST QUE SA PRECARISATION ET SA DISPERSION
Avec ces calculs d'apothicaire nos insanes statisticiens participent du camouflage de l'exploitation et du profit où à la honte de jeter dehors les prolétaires en surnombre, s'ajoute l'ostentation à mépriser ceux et celles qui ont travail stable (parce qu'ils sont forts en nombre mais hélas encore corporatisés et caporalisés par les bandits syndicaux), et s'ajoute pire encore la honte de ces patrons antiracistes qui spolient les « immigrés » des services culinaires et chiottes compris dans les villes gentrifiées où les bobos ont toute bonne conscience de se faire servir en ignorant ce qui se passe dans l'arrière cuisine.
L'argument « il n'y a plus d'ouvriers » ou « les ouvriers ne sont plus qu'une minorité », rabâchés depuis 30 ou 40 ans, ne vaut rien, pas plus que le « livre noir du communisme » n'a démontré que le communisme aurait fait des millions de victimes, quand c'est le capitalisme, et d'Etat, qui a produit camps de la mort et guerres mondiales. Dans sa première phase de développement, le capitalisme n'employait qu'une minorité d'ouvriers, cela ne l'a pas retenu de développer en nombre cette classe, plus de la fractionner ni de faire passer l'immense majorité des salariés et des chômeurs pour les faire passer pour des non-ouvriers, parce que le nom serait devenu plus intellectuel ! Par contre le capitalisme dit désormais « globalisé » (après mondialisé) en revenant à de petites unités de production signe sa régression, sa tentative de se raccrocher aux petites bouées entrepreneuriales, comme aux fictions d'indépendances régionalistes. Ce capitalisme faible est européen, et concerne les vieilles anciennes puissances réduites à végéter sous le bon vouloir des grands dominants.
Marx avait prévu dès 1857 le gonflement des classes moyennes mais aussi leur paupérisation. Il voyait très bien comment le mouvement du capital tendait à faire du bourgeois un personnage superflu, ce qu'a confirmé 50 ans de capitalisme d'Etat russe, de welfare state américain et de gestion nationalisée française. Le bourgeois de droite comme son homologue merdeux macronien voudrait se croire à nouveau un personnage important, mais bernique, le capital n'a plus besoin, dans l'élite, que de « fonctionnaires salariés » au service des anonymes actionnaires et des banksters.
PROLETARISATION OU MARGINALISATION DES CADRES ?
Le nombre des cadres a en effet doublé, en ville. Ce phénomène n'a pas la même signification qu'on lui attribue généralement d'un relèvement du niveau culturel ou d'un bon ascenseur social. Cette promotion est à son tour frappée de malédiction. Ils sont pour la plupart tous bientôt inquiétés par l'avenir (tiens un questionnement très ouvrier?), ils sont vieux pour l'entreprise dès 45 piges. Se rendent-ils compte qu'ils sont prolétarisés dès lors ? Non pas vraiment, ou alors c'est en toute fin de carrière, et au placard, qu'ils commencent à se rendre compte qu'on les a traités comme de vulgaires prolétaires manuels. En attendant, ils s'indignent et se laissent séduire par les âneries gauchistes comme la « citoyenneté dans l'entreprise », la « tentation de l'artisanat ». Leur propre monde, factice et m'as-tu-vu – le monde des cadres – les insupportent. Et je complète avec cette enquête du Figaro : « D’abord à cause d’un phénomène massif, durable et maintenant mieux compris: l’ennui et la perte de sens au travail. De plus en plus d’employés perçoivent désormais leur poste comme un bullshit job ou « job à la con », tel que théorisé en 2013 par l’anthropologue américain David Graeber, et s’y ennuient profondément. En cause ? La répétitivité des tâches, l’absence de créativité et le manque de résultats concrets, griefs les plus redondants. La généralisation de l’ordinateur au travail, à partir du milieu des années 1980, a modifié profondément les rythmes et la productivité, contrebalançant un pouvoir de calcul foudroyant par des normes et des procédures de contrôle (« processes ») toujours plus strictes ».
L'enquête interroge ensuite une cadre dégoûtée qui insiste justement sur la croissante « inhumanité du travail » que la révolution macroniste n'a surtout pas pour but d'abolir ; arrivée chez BNP Paribas au début des années 90, elle a vu son travail se transformer sous l’effet de la dématérialisation des tâches. « Désormais, la quasi-totalité du travail d’un banquier s’effectue devant un ordinateur », explique-t-elle. « Le contact humain est réduit à sa portion congrue, et même la production écrite tend à disparaitre. » Conséquence supplémentaire, les relations au travail changent et tendent à se détériorer : le client n’est plus devant soi mais à des milliers de kilomètres, le collègue situé un étage au-dessus se contente de communiquer par mail, etc. Dans cet environnement, certains s’adaptent ou ne perçoivent pas d’aliénation particulière ; d’autres ne tiennent plus en place ».
« Les emplois classiques qui rebutent certains des jeunes reconvertis. Pour Edouard, 27 ans, il a suffi de deux ans en finance à Londres pour comprendre qu’il aurait plus d’impact, et de gratification, en restaurant des voitures anciennes ; un marché d’ailleurs particulièrement en forme, ce qui est assez rare pour s’y intéresser. Car dans des économies occidentales faisant du sur-place depuis quelques années, l’entreprise se fige, comme les carrières. Dans son livre la Révolte des premiers de la classe sur le phénomène de reconversion, Jean-Laurent Cassely cite le spécialiste Denis Monneuse, qui a calculé que le salaire d’un cadre est aujourd’hui en moyenne 2,7 fois celui d’un ouvrier, alors que le rapport était de 1 à 4 dans les années 1960. Une banalisation progressive, et un sentiment de déclassement social relatif que certains ressentent amèrement. « Nous sommes des ouvriers des temps modernes », confie Juliette Bouzou. « Surdiplômés, certes, bien payés, mais des ouvriers quand même. »
Une autre enquête, plus intéressante que celle, orientée et frauduleuse, de nos insanes de l'INSEE, soulignait que, en France, 6 millions de personnes manquent de travail. Les plus touchés: les jeunes, les seniors, les descendants d'immigrés mais surtout, et quel que soit l'âge, les «peu qualifiés»: ils représentent 5,9 points des 10,3% de chômage dans l'Hexagone (au sens du BIT). Malgré la création en 1984 d'un régime spécifique de solidarité et les modifications des indemnisations des chômeurs depuis les années 1990, environ un demandeur d'emploi sur deux ne touche pas d'allocations chômage et plus d'un tiers vit sous le seuil de pauvreté. Il ne s'agit donc pas du tout d'une disparition de la classe ouvrière mais de sa paupérisation, ce qui est révoltant et ne relève pas de la froideur des chiffres.
La génération du baby boom entre en retraite, mais de plus en plus tard, et alors que les jeunes qui arrivent sur le marché du travail sont à la fois un peu plus nombreux que ces dernières années, mais aussi plus qualifiés. «Même si la proportion de diplômés du supérieur parmi les jeunes s'est stabilisée depuis 2005», nuance le rapport. Avec le développement du numérique et de l'automatisation, l'emploi va, sans aucun doute, se polariser. Cela signifie qu'il y aura plus de postes peu qualifiés et plus de postes très qualifiés, avec le risque que les employés «intermédiaires» se déclassent et concurrence le travail des peu qualifiés. Selon une étude qui a fait grand bruit, celle d'Osborne et Frey, 47% des emplois seraient menacés de destruction à moyen terme par la robotisation. Un chiffre toutefois largement relativisé, notamment par l'OCDE, qui a récemment chiffré les risques d'extinction de certains emplois à 9% et celui de profondes modifications d'autres emplois à 20% ». Evoquer la disparition ou la destruction d'emplois comme planifiée ou agitée comme tsunami inévitable, sert à accroître la peur du lendemain (Babeuf) et à terroriser pour empêcher de croire une lutte possible contre l'escroquerie de la globalisation modernisatrice. Cadres n'attendez pas le retraite pour comprendre que vous êtes désormais aussi des prolétaires !
L'avenir de vos enfants c'est mort aussi. L'apprentissage en France est une farce de longue durée et
qui reste opaque et inutile. Le débat sur les 35 heures s'est éternisé et n'aura été qu'un gadget pour salariés « garantis ». Les CDD sont de plus en plus courts. Cadre tu es aussi superflu dans l'entreprise dans le moyen terme que l'inqualifiable manuel que tu vois passer derrière ta cage vitrée. Et la solution n'est pas dans l'artisanat individualiste et borné.
S'il fallait que la classe ouvrière repense le travail, par elle-même, et pas via la prétention de tous ces pitres de spécialistes en stratégies sociologiques et propositions macronesques, ce n'est pas avec l'intox sur les méfaits de la « modernisation numérique » mais en posant le problème de la réorganisation de la société après avoir foutu en l'air la bourgeoisie et ses « fonctionnaires salariés », je précise bien, du haut, ministres, députés, chefs syndicalistes, patrons et collabos de la petite hiérarchie. En attendant, guerres, désindustrialisations, délocalisations, destructions d'emplois et immigrations de masse, perpétuent de manière routinière un chômage de masse.

CADRES REJOIGNEZ SANS CRAINTE LES PROLETAIRES DANS LEUR COMBAT POUR FICHER EN L'AIR LE CAPITALISME !


1Le géographe Christophe Guilluy, révélé par Fractures françaises (Flammarion, 2013) et par La France périphérique. Comment on a sacrifié les classes populaires (2014), s'inspire indirectement et faiblement du marxisme par ses remarques sur les mutations des classes populaires où il réfute plusieurs idées reçues sur la banlieue. Son nouvel ouvrage, Le Crépuscule de la France d'en haut (Flammarion). Selon ce « géopgraphes » la baisse de la proportion d'ouvriers est réelle, mais elle s'est accompagnée d'une augmentation de la proportion d'employés. Les catégories populaires - qui comprennent aussi les petits agriculteurs - n'ont donc en rien disparu. Elles sont simplement moins visibles, puisqu'elles vivent loin des grands centres urbains où se concentrent décideurs publics et privés. Si l'on considère l'ensemble du territoire national, la part des catégories populaires dans la population française est restée à peu près stable depuis un demi-siècle. Le problème social et politique majeur du pays c'est que, pour la première fois depuis la révolution industrielle, la majeure partie des catégories populaires ne vit plus là où se crée la richesse. Or, Christophe Guilluy l'affirme: les catégories sociales qui soutiennent la mondialisation sont trop peu nombreuses pour que leur projet de société continue à s'imposer longtemps encore à la France périphérique. Il ne nous dit pas lui non plus quel pourrait être un projet de société de ces « classes populaires » alors qu'elles n'en ont même pas plus loin que l'horizon du supermarché.



dimanche 12 novembre 2017

L'usine de rien : un navet qui ne vaut rien


Dans son cycle "les écrans documentaires", patronnés par trois perroquets lycéens, un quidam de la municipalité de ma banlieue Front de Gauche nous a bassiné en introduction avec un long couplet antiraciste à propos d'un fait divers. C'est l'ordinaire du vieux jus stalinien et trotskien lorsqu'il est question de lutte de classe, on trouve toujours des gadgets pour troubler les questions fondamentales : antifascisme de salon, obsession de Trump, antiracisme, écriture féministe, pinçage de fesses, et j'en passe. Le pitch du cinéma municipal mentait carrément : une histoire de reprise de l'usine de fabrique d'ascenseurs en autogestion par des ouvriers délocalisés, d'une durée d'une heure (non 3 heures!). Archi faux, au départ ce n'était pas un nouveau nanar sur l'autogestion nullarde à la Onfray ou FA, mais, pour les deux tiers une très bonne exposition de la situation des ouvriers frappés par la fermeture de leur lieu de travail, huis clos certes mais assez bien vu sur les magouilles des cadres et leur perversité pour acheter les futurs chômeurs avec des primes différenciées dans des entretiens individuels. Il n'y a pas reprise de l'usine, comme le croit le plumitif de Libération – ce qui ne signifie rien – par les ouvriers, mais occupation et désarroi. Ce désarroi n'est même pas le souci du collectif de bobos réalisateurs qui s'en fichent comme du lieutenant-colonel Otelo de Carvalho, ils aiment les barbus sales et dépenaillés qui discourent sur n'importe quoi.
Les querelles des ouvriers soupçonneux entre eux, leur honte du chacun pour soi, mais aussi leurs réactions violentes et leurs moqueries des patrons voyous sonnaient juste ; pour les deux tiers du film le tableau avait été étonnamment juste. Les petits bonheurs de la vie privée font contraste avec le monde en perdition du travail, mais cette vie reste limitée à la panne de libido à l'aurore (le chômage c'est du bromure) et aux soldes du samedi. Mais soudain tout déraille, les comédiens-ouvriers sont éjectés au profit d'un conclave de phraseurs (parodie de l'impuissance des intellos modernistes?) ; le seul lien avec le groupe d'acteurs précédents n'étant plus que le vieux chauve à tête de clochard en bataille, qui apparaissait en arrière plan sans qu'on sache qui l'avait invité, et qui bafouille en gros plan au milieu des vieux machins qui parlent d'on ne sait quoi. Le film de rien s'avère brusquement n'être que le scénario-magma méprisant et délirant d'un collectif d'intellectuels portugais modernistes, bourrés ou ayant trop kiffé (on a choisi de représenter la plupart des ouvriers comme laids et avec des têtes de marginaux ou de clochards et de ridiculiser ces ouvriers « ringards » qui « s'accrochent » à leur boulot de merde). Pauvres intellos merdiques, cinéastes de série B, qui connaissent que dalle de la classe ouvrière, ni aux ruses des syndicats gouvernementaux et encore moins des indispensables partis de classe. Qui végètent dans la lune moderniste et sans GPS pour se repérer dans leur brouillard fictionnel.

Avec les quelques bases préliminaires d'une compréhension du fonctionnement de la conscience de classe naturelle chez des ouvriers fort bien campée par les acteurs – face à l'attaque économique inopinée du patronat - on était en droit d'attendre que s'élève l'action vers une réelle réflexion marxiste, comme le laisse à penser un discours plaqué sur une séquence d'images d'usines vides (sans l'humour maoïste involontaire de Godard), radotant certes sur une crise qui ouvre la voie à un monde sans travail, CQFD ; voire assister à d'autres discussions entre ces mêmes ouvriers posant plus largement la question de l'extension de la lutte... et pas du tout cette baleine vide d'autogestion. Au lieu de quoi, ils deviennent soudain des pantins délirants devant un brasero ou des pitres inconsistants fouillant dans les tiroirs de l'usine morte, puis disparaissent de l'écran au profit d'un barbu boutonneux qui débite un discours inaudible débile (et en français!?) entouré de vieilles femmes et de pépères qui s'interpellent on ne sait trop sur quoi et pour quoi, mais disent n'importe quoi. Le film est fichu. Et nous les spectateurs floués dans nos espoirs de voir un film politique honnête au milieu de l'océan des fictions nullardes et des docus haineux anti-bolcheviques.

Salué en début d'année par tous les esthètes de la presse (qui imaginaient un nouveau perroquet à la Godard)1, ce film raté n'est qu'une nullité, qui se prétend sabotage organisé (de toute pensée cohérente?) par un groupe de bobos finalement très méprisants pour la classe ouvrière limitée à ses seules réactions « tripales », et ensuite, gommée simplement du scénario pour laisser place à des discoureurs complètement neuneus, vieux et sales qui l'examinent comme d'impuissants pions sans intérêt à la manière de n'importe quel manager ou observateurs d'insectes . C'est morne, bête et confus. J'ai beaucoup d'admiration pour le niveau des discussions des ouvriers portugais à l'époque de la révolution des oeillets, ainsi que pour la prestation des acteurs autochtones jusqu'au deux tiers du film, pas du tout pour l'immigré fayot, mais castrer ainsi la dynamique de la lutte et de la conscience de classe, cela s'appelle du sabotage nihiliste. Ne touchez plus au prolétariat crétins cinémateurs !
Clarinda, ouvrière depuis l'âge de 14 ans, a conclu : « les films portugais, vraiment nuls, ça vaut rien ». Un film de rien en tout cas et qui vaut... rien.



1Voici ce qu'écrivait Télérama (organe TV catho) : « Tout en croyant à une farce, on voit cette Usine de rien prendre de la force. Le rien que produit l’usine devient néant incommensurable dans une réflexion sur l’absurdité de tout le système capitaliste. Embarqués dans des discussions sans fin, les personnages défont et refont le monde d’aujourd’hui. Des hypothèses sur l’avenir sont lancées, comme celle, étonnante, qui prédit une société divisée en trois classes : la stratosphère (où les gens planeront en comptant leurs millions), le niveau des gens juste assez riches pour consommer (et faire marcher l’usine), et puis les égouts, où sera rejeté le reste de la population… ». Les gauchistes des Inrockuptibles écrivaient eux : « Bien que clairement rangé du côté des ouvriers, le film est politiquement très fin, montrant les partisans de l'autogestion, ceux qui s'estiment collectivement incapables de faire tourner l'usine sans le concours de cadres comptables, ceux qui n'ont pas le luxe de se perdre en palabres ou en grève trop longue parce que leur urgence est de faire croûter leurs mômes... ». Ce n'est pas du tout ce qui en ressort à cause du magma de propos invraisemblables et inopinés du cercle des vieux qui surgit au deux tiers du film et ne vient pas poser du tout des bases de réflexions de classe. Non ce film n'est ni fin ni du côté des ouvriers, IL LES MEPRISE!