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lundi 29 mai 2017

LE PROLETARIAT PEUT-IL GERER LA SOCIETE (2) A Albi des ouvriers propriétaires de leur exploitation?

« Ma patronne m'a demandé de voter pour Macron, je lui ai dit merde ». Une caissière de supermarché
« Ce ne sont pas les ministres qui gouvernent, c'est le capitalisme ». Jean Jaurès


L'historique de la Verrerie ouvrière d'Albi se termine par un curieux constat de triomphe de l'union rêvée, pacifiste et béate du capital et du travail ; son raisonnement tient plus du délire que d'une argumentation rationnelle ; c'est la logique réformiste électorale du parti socialiste (d'époque) appliquée au système financier : en devenant actionnaires les ouvriers étaient en route pour subsumer le capital ! Or, le rédacteur, un peu inconscient de ce très vieil article a passé souvent plus de temps, par devers lui, à nous montrer ce qui clochait tellement et contrastait avec le collage du terme socialiste, déjà depuis 1848 une large partie du prolétariat avait compris que la coopération c'était du bidon, et une belle arnaque, pour ne pas dire la misère pour les ouvriers qui adhérèrent à cette idéologie plus propre au passé anarchiste anti-centralisateur et villageois. L'expérience coopérative, dans sa mise en route, lors de ses premiers pas s'avère une grosse arnaque intégrable par le capitalisme et dissolution lamentable du projet socialiste/communiste. Sauf si l'on prend pour imitation quelques expériences autogestionnaires dans la Russie de 1917 et dans l'Espagne de 1936, qui ont toutes révélées l'inanité de la théorie étroite et mercantile de l'autogestion anarchiste localiste, aussi apolitique – mais finalement récupérées comme à Albi, par l'Etat, qu'il nationalise ou favorise un partenariat d'actionnaires ouvriers. Notre rédacteur enthousiaste se base enfin sur Waldeck-Rousseau, un libéral intelligent qui a oeuvré intelligemment pour la bourgeoisie en légalisant les syndicats... c'est comme si moi je comptais sur Macron pour favoriser la dictature du prolétariat. S'ils rechignent au début, les syndicats, encore vraiment plutôt partie intégrante du mouvement ouvrier, il n'est guère étonnant déjà qu'ils succombent au charme vénéneux de la coopération... des classes. Les coopératives n'ont servi qu'à subsumer les supermarchés modernes et les syndicats actuels à subsumer la paix sociale et le maintien de la misère. Jaurès fait pitié lorsqu'il présente les syndicalistes comme l'élite ouvrière, ce sont déjà de fieffés arrivistes, et des fainéants, qui finissent souvent patrons de café ou directeur d'usine « autogérée » comme la verrerie d'Albi - mais par des administrateurs syndicaux, et encore « prolétaires » » comme le dit si bien le juge cité en cours de route, mais pour mieux les faire passer pour des amis du prolétariat. Cette histoire de gestion par les ouvriers eux-mêmes est un long mensonge déconcertant qui peut aligner sur la même place d'infamie bonimenteurs anarchistes, staliniens et trotskistes, qui tous à leurs époques nous ont enfumé avec pour projet le "contrôle ouvrier"  des entreprises par... les syndicalistes. Drôle de socialisme que celui qui imagine la vie économique gérée par des militants syndicaux gauchistes ou pas, heureusement la description des licenciements opérés dès la construction de la coopérative verrière cathare, nous prémunit contre toute illusion sur la confiance en des délégués « élus » du syndicat ou même «élus » des AG ; la notion d'élu devra d'ailleurs sauter tôt ou tard.
La coopérative d'Albi on s'en fiche complètement avec les drames du début du XX e siècle, l'affaire Dreyfus qui va préparer l'Union sacrée, la guerre mondiale et les bouleversements révolutionnaires en Russie rendent dérisoire le souvenir d'une micro arnaque socialiste locale et réformiste. La petite entreprise a subsisté jusqu'aux années 1980 sous l'aile du très capitaliste trust Saint Gobain, et passe en ce moment sous le derrière d'un fonds de pension américain.
Relire l'expérience malheureuse des ouvriers albigeois à la fin du 19e siècle, pris dans l'étau de l'impossibilité de recommencer une expérience aussi sanglante que celle de la Commune et laisser la bourgeoisie gouverner, nous intéresse cependant toujours par contre, parce qu'elle confirme la pourriture du mythe de la coopération capital-travail. Les ouvriers propriétaires de leur exploitation, quelle fable grimaçante, mais moins drôle que celle d'ouvriers actionnaires d'un syndicat-patron, pré-stalinien ! Un dicton prolétarien disait depuis toujours:"les patrons ont besoin des ouvriers mais les ouvriers n'ont pas besoin des patrons". Oui mais à condition de ne pas se placer sur le terrain économico-capitaliste des managers, mais à condition de poser la transformation de la société par une révolution politique et sociale. Cette dernière alternative avait été le choix général et dominant après la Première Guerre mondiale. Aujourd'hui, les prolétaires de telle entreprise en faillite ou lâchement abandonnée ne prétendent plus ni autogérer ni espérer une nationalisation, ils attendent un "repreneur"...

C'est en Italie vingt ans plus tard que, non seulement les syndicats confirment comme partout ailleurs qu'ils sont devenus des instruments du capital, mais que même s'ils se déguisent sous le nom de « conseil d'usine » - dans la théorie de Gramsci – et qu'ils confirment leur vocation localiste à « avoir du pouvoir dans l'usine », c'est qu'ils n'ont pas vocation à renverser l'Etat bourgeois. A une échelle plus large et plus violente que l'expérience d'Albi, l'occupation des usines dans le Nord de l'Italie en 1920 a brièvement fait croire à nouveau que c'était le but que devaient se fixer les prolétaires : gérer leur usine et non pas se battre au plan politique pour à terme renverser l'Etat. Philippe Bourrinet nous résume bien l'enjeu à travers la polémique Gramsci/Bordiga.

« L'ambiguïté dans la confrontation Gramsci/Bordiga tenait dans la définition même du terme de «conseil d'usine». Il pouvait être autant défini comme un organe de gestion que comme un comité de lutte spontané et illégal. Et Gramsci de souligner la supériorité de ce qu'il appelle « conseil d'usine », à la différence des syndicats toujours liés à la légalité bourgeoise : « Du fait de sa spontanéité révolutionnaire, le conseil tend à déchaîner à tout moment la guerre de classe (…) Le syndicat, en tant que responsable solidaire de la légalité, tend à universaliser et à perpétuer cette légalité ». Dans sa confrontation avec Gramsci, Bordiga soulignait l'impuissance d'un conseil d'usine, directement lié à l'entreprise : « Quand le conseil sort de la légalité, le patron, au moyen des gardes royaux le fait (…) sortir de l'usine et alors les ouvriers viennent au syndicat, à la Bourse du travail ». Au cours de l'occupation des usines du Piémont à la Lombardie, en septembre 1920, les conseils constitués, surtout à Turin, ne quittent jamais les postes de travail pour gagner la rue. Avec l'aide des quelques ouvriers restés « à leur poste », ils organisent la production de manière autonome. Ce qu'ils font avec une grande fierté. Pendant un bref laps de temps, l'idéal gramscien productiviste semble se réaliser. Le syndicat qui « organise les ouvriers non comme producteurs, mais comme salariés », sort de la scène. L'objection faite par Gramsci à Tasca, à savoir que le conseil « tend, dans ses formes supérieures, à traduire la configuration prolétarienne de l'appareil de production et d'échange créé par le capitalisme aux fins du profit », semble « validée ». Les ouvriers prouvent qu'ils peuvent produire dans les « règles de l'art », poussés par l'amour du « travail bien fait », sans surveillance des contremaîtres et poussés par une discipline « librement consentie ». Bons soldats de la production, les ouvriers ne s'approprient même pas la survaleur (plus-value) puisque, au terme des occupations, après avoir vainement tenté de vendre leur production, ils la remettent au patron. L'occupation des usines en Italie du Nord fut l'acmé du mouvement prolétarien en Italie, son sommet et le début de son déclin (…) Lorsque, au cours de l'été 1920, les demandes répétées d'augmentations salariales sont rejetées par les industriels, le syndicat des métallos (et non le conseil d'usine!) décida, en représailles, de saboter la production et d'occuper l'usine en réponse à un violent lock-out patronal  (…) Avec l'évacuation des usines par les ouvriers, l'enthousiasme « spontanéiste » de Gramsci se dégonfla comme une baudruche. Comme n'avait cessé de le répéter Bordiga, l'heure était venue non d'occuper les usines et de se laisser occuper par leur gestion, mais de former des partis communistes, en vue de mettre fin à l'exploitation capitaliste » 1.


SUITE ...

Les députés socialistes font leur entrée au milieu d'un vacarme effroyable. Applaudissements, sifflets et cornets à bouquin font une terrible cacophonie ; des rixes s'engagent.
M.Pelletan préside, assisté de M.Millerand.
  • « Citoyens..., » commence M.Jaurès, mais le tumulte l'empêche de continuer.
    On crie « Conspuez Jaurès ! » et « Démission ! ».
M.Millerand s'adresse au commissaire de police M.Orsini : « Le bureau vous fait l'honneur de vous demander, lui dit-il ». - « Monsieur, répond le commissaire, je vous fais l'honneur de vous dire que je connais mon devoir ».
M.Pelletan s'écrie à son tour : « Faites donc expulser les dix siffleurs qui sont là ».
  • « De quel droit me parlez-vous ainsi ? Répond M.Orsini. »
    La bagarre devient générale.
    « Puisque vous êtes impuissants, reprend le commissaire, à maintenir l'ordre dans la salle, je déclare la réunion dissoute ».
    Les gendarmes envahissent la salle. Un gendarme y pénètre même à cheval. Un député, M.Chauvin, est arrêté.

* * *
Le soir M.Jaurès prit la parole à l'hôtel Boyer :

« Nos adversaires, s'écrie-t-il, prétendent que j'ai perdu votre confiance. Pourquoi donc s'opiniâtrent-ils à empêcher une réunion où pourrait se vérifier leur calomnie ? Si je vous ai trahis, si je n'ai annoncé que des ruines, moi qui ai fait tout ce que j'ai pu pour vous, ils avaient beau jeu pour m'accabler. Ils pouvaient venir se dresser devant moi, et m'accuser ! Ils n'ont point osé, parce qu'ils savaient qu'il sortirait alors de ma bouche une parole vengeresse, et de la vôtre une parole de confiance.
« Mais je n'avais pas besoin de cette parole. Elle était écrite d'avance dans ma conscience, dans la conscience de ce que j'ai fait pour la mériter. Depuis trois années, vous le savez, je n'ai pas réservé un jour, pas une heure pour ma satisfaction personnelle. Je vous ai donné tout mon temps, tout mon cœur, et ma vie tout entière.
« Aussi, je n'avais pas besoin d'une formule de confiance de votre part. Votre confiance, je l'ai sentie dans vos serrements de main, je l'ai lue dans vos regards, je l'ai entendue dans vos acclamations. Et nos ennemis auront beau disperser nos réunions, ils auront beau lâcher contre nous une poignée de pauvres ouvriers domestiqués, corrompus ou égarés, ils ne dissoudront pas du moins la communion des sentiments qui nous lie ensemble : nous n'avons qu'une pensée, qu'un cœur, qu'une volonté, et il n'y a pas de police qui puisse dissoudre cette réunion-là ! »

      M.Jaurès explique ensuite le plan « conçu visiblement par l'opportunisme capitaliste ». S'il s'acharne sur Carmaux, c'est parce que sa population limitée à trois ou quatre mille hommes, lui offre plus de facilités que les grands centres socialistes. C'est aussi parce qu'il est représenté à Carmaux par deux complices puissants, le grand mineur Reille et le grand verrier Rességuier. Le premier, qui s'avouait monarchiste, et le second, qui se prétend républicain, se sont dit qu'il leur fallait s'unir contre le péril commun ; l'un s'est rapproché de la République, l'autre s'est rapproché encore de la réaction. A la même heure, partout le même rapprochement s'est opéré, partout les deux éléments autrefois distincts se sont confondus pour livrer la même bataille.

« Et vous le voyez ici, poursuit l'orateur, chercher à multiplier les procès, les renvois. Ils voudraient vous effrayer, briser vos courages, par la crainte du chômage, de la misère, de la faim. Mais ils ne réussiront pas, car toute la France ouvrière vous soutiendra, et puis, vous serez aussi avisés qu'ils seront violents. Quel enseignement ! Ces hommes si riches et si puissants, qui peuvent faire manquer de pain vos femmes et vos enfants, ne peuvent contraindre ces mêmes prolétaires dont ils disposent, à partager leurs opinions. Et voilà bien pour eux la pire défaite !
« J'y pensais tout à l'heure en voyant une poignée d'ouvriers injurier d'autres ouvriers comme eux, leurs camarades et leurs frères. Il y avait, sans doute, parmi ces insulteurs des hommes qui, jadis, avant d'être vaincus par la misère, s'avouaient des nôtres. Quel mérite a le patronat dans ce recrutement apparent et mensonger, et combien de temps pourra-t-il compter sur de telles adhésions ? Où les trouvera-t-il demain ? Mais toi,, Rességuier, qui as brisé ton syndicat pour ne rencontre aucune volonté en obstacle à la tienne, toi qui a demandé à tes renégats de nous siffler pour toi, c'est toi, maintenant, qui es leur débiter, c'est toi qui as besoin d'eux !
« Et quand tu voudras désormais les commander, qui te dit que ton ouvrier ne relèvera pas la tête pour te répondre : « J'ai sifflé pour toi, il faut maintenant que tu paies pour moi ! »
« Oui, la classe capitaliste est condamnée à disparaître ou à succomber. Car, de deux choses l'une : ou elle laissera au peuple toute liberté, et il s'en servira pour instituer pacifiquement un ordre social nouveau ; ou elle essaiera de grouper autour d'elle, par la menace, par la peur, par la famine, quelques légions d'esclaves, et les légions d'esclaves se transforment fatalement en des légions de révoltés !
« C'est par elle-même que le peuple apprend tous les jours quel est le problème à résoudre. Jusqu'ici, il a cru qu'il suffisait de changer le nom de son gouvernement, de découronner des rois, et voici qu'il s'est aperçu qu'en changeant les titres, il n'a pas changé la réalité du gouvernement.
« En effet, ce ne sont pas les ministres qui gouvernent, c'est le capitalisme. Ici, c'est Reille, c'est Rességuier ; ailleurs, c'est Schneider ; ailleurs, un autre. Les gouvernements qui passent ne font qu'exécuter la volonté des véritables maîtres qui demeurent, de ceux qui possèdent la propriété et le capital. ».

    1. - Les dissidents.

Pour les fêtes d'inauguration de la verrerie, des anarchistes albigeois avaient prié M. Fernand Pelloutier, secrétaire général de la Fédération des Bourses du Travail, de parler au meeting.
Grand émoi au syndicat des Verriers : une réunion spéciale fut tenue par les administrateurs de la Verrerie et la commission de la fête. M.Pelloutier était anarchiste ! Devait-on aussi inviter Jean Grave, qui avait envoyé des subsides pendant la grève ? Devait-on laisser parler Pelloutier, qui faisait partie du comité d'organisation de Paris ? Voilà des questions bien embarrassantes pour des révolutionnaires devenus organisateurs, pour des grévistes devenus administrateurs ! La première réunion n'eut pas de résultats ; une seconde réunion tenue le lendemain, donna gain de cause aux « partisans de l'ordre ».
Ce qui n'empêcha pas les anarchistes de venir à Albi et de se renseigner auprès des mécontents. Et ceux-ci leur dirent que le « citoyen Baudot gouvernait » à sa guise le chantier de la verrerie et y édictait les règlements les plus tyranniques 2. Pour y travailler, on était obligé d'être membre du Syndicat et de faire de la « politique socialiste » ; c'est à dire d'accepter les contributions pécuniaires que pouvait voter le Syndicat, pour les campagnes électorales.
Les administrateurs du syndicat se seraient laissé imposer, pour le logement du personnel administratif, une contribution qui coûterait 65.000 francs3 et sur laquelle il fallait verser des avances, alors qu'ils ignoraient si le Comité pouvait recueillir assez d'argent, pour que la fabrication pût commencer en novembre. Le règlement du chantier, élaboré M.Baudot était applicable à tous, disait-on, sauf à lui. Enfin les verriers auraient ignoré complètement les statuts de la société et les actes du Comité d'action, et à toute demande d'explication il leur était répondu : « L'intérêt de la verrerie exige le silence ! ».
De retour à Paris, M.Pelloutier saisit le Comité de la question. Le Comité trouva excessif le règlement du chantier, et vota les deux résolutions suivantes, la première pour être ajoutée aux statuts, la seconde pour être notifiée aux administrateurs : « 1e Aucun employé ou ouvrier de la verrerie ne pourra être congédié à raison de ses opinions politiques ; 2e le Comité émet le vœu que les fonctionnaires et le personnel de la verrerie ouvrières n'oublient jamais les principes de communauté, de solidarité et de liberté politique, qui doivent animer des socialistes. »
M.Pelloutier devenait gênant ; certains ouvriers anarchistes de la verrerie, encouragés par lui, se montraient arrogants vis à vis du Conseil d'administration. M. Hamelin, membre du Comité d'action de Paris et en même temps administrateur de la verrerie, écrivait au syndicat des verriers d'Albi : « Surveillez les anarchistes de la verrerie ouvrière ; nous nous chargeons du Comité d'action... ».
Le Conseil d'administration réunit aussitôt le syndicat (8 et 9 décembre) et fit voter par 40 voix contre 264 la mise à pied de quatre ouvriers (article 6 du règlement) : MM.Léon Valette, Etienne Guegnot, Guéritat et Victor Sirven. Cette mise à pied était limitée à une période de huit jours.
Le lendemain les ouvriers sommés de quitter le chantier refusèrent de s'incliner devant cette injonction et firent signer par quarante neuf de leurs camarades une protestation.
Le syndicat se réunit de nouveau le 12 décembre. Le renvoi des récalcitrants fut voté par appel nominal, et non au bulletin secret, ainsi que le voulait le règlement.
« Réfléchissez bien, dit M.Baudot avant le vote, car nous reconnaîtrons ceux qui, en votant le renvoi, veulent la prospérité de la verrerie, et ceux qui, en votant contre, veulent sa chute ».
Il y eût 117 voix pour le renvoi, 21 contre et 16 abstentions. 60 ouvriers quittèrent la salle au moment du vote et refusèrent d'y prendre part.
Les renvoyés adressèrent alors la lettre suivante au Libertaire.

Albi, le 14 décembre 1896.

Camarades,

On vient de nous frapper quatre de renvoi pour avoir, prétend-on, violé le règlement intérieur de l'usine. Nous vous rappelons, en passant, camarades, que c'est également au sujet de règlement intéreur de la verrerie Rességuier qu'a éclaté la fameuse grève de Carmaux. En effet, Baudot fut frappé par Rességuier pour avoir manqué plusieurs jours sans autorisation. Ce fut le prétexte dont on se servit contre lui. Eh bien ! Aujourd'hui, ce même Baudot et ses collègues, administrateurs de la verrerie ouvrière, se servent du même motif pour nous frapper, quatre d'abord ; d'autres suivront sans doute.
Nous allons maintenant vous dire pourquoi et comment nous tombons sous le coup du règlement intérieur de l'usine.
Pour avoir demandé des comptes sur la gestion de l'usine, le camarade Guegnot (Etienne) s'est vu frappé d'une mise à pied de huit jours.
Pour avoir dit que le conseil d'administration coûtait trop cher (soixante-cinq mille francs), et que l'on aurait pu dépenser moins pour cela, et d'ajouter l'argent pour mettre les fours en activité, le camarade Valette (Léon) : huit jours de mise à pied.
Pour avoir déclaré que le règlement était applicable à tous et que, quand Baudot arrivait en retard, on ne lui faisait pas d'observation, tandis qu'à d'autres, pour dix minutes de retard, on leur mettait une heure en bas, le camarade Sirven (Victor) : huit jours de mise à pied.
Pour avoir exprimé l'opinion qu'on voulait inféoder la verrerie ouvrière à un parti politique et que le syndicat, en tant que syndicat, s'ingérait trop dans la direction de l'usine, le camarade Guéritat (père de cinq enfants) : mise à pied de 8 jours.
Guéritat et Guegnot, n'ayant pas tenu compte de cette décision et ayant continué leur travail (quel crime!), cette circonstance a amené le renvoi immédiat de ces deux ouvriers.
Quant à Sirven et Valette qui, indisposés, ne s'étaient pas présentés sur le chantier, il fut, en même temps, décidé que s'ils ne se conformaient pas à la mesure prise contre eux, ils subiraient le même sort ; or, ce matin, s'étant présentés pour travailler, on leur signifia leur renvoi et qu'ils ne faisaient plus partie de l'usine.

VALETTE (Léon), avenue de Carmaux à Albi, GUEGNOT (Etienne), rue Castelnaux à Albi, GUERITAT, rue de Carmaux, 84, à Albi, SIRVEN (Victor)

Les dissidents réussirent à intéresser à leur cause les bureaux de la plupart des syndicats ouvriers d'Albi : les chapeliers, les diverses sections du bâtiment ainsi que le cercle socialiste. Une démarche fut faite, mais inutilement, auprès de l'administration de la verrerie, et voici l'ordre du jour voté par les syndicats, dont quelques considérants valent d'être cités :

Considérant que la décision du Conseil d'administration de la Verrerie ouvrière, frappant quatre travailleurs de cette verrerie, est une vraie condamnation à mort pour les citoyens Guérita,Guégnot, Valette et Sirven ; que cette condamnation a été demandée et appliquée par celui et ceux pour lesquels, à l'ombre d'un principe, ces camarades ont tant souffert ;

Considérant qu'il ne serait pas humain de ne tenir aucun compte des souffrances endurées par tous les verriers d'Albi ; que, de plus, parmi ces quatre camarades, il s'en trouve un, père de cinq enfants en bas âge ;
Il est indispensable, au point de vue socialiste, comme au point de vue humanitaire, de savoir quelquefois s'agiter au sein des groupements ;
L'assemblée demande à l'administration de la verrerie de bien vouloir réintégrer purement et simplement les quatre ouvriers Guéritat, Guegnot, Valette et Sirven.

* * *
L'assemblée générale des actionnaires de la Verrerie votait elle-même un ordre du jour de clémence en faveur des quatre expulsés.
« L'Assemblée générale des actionnaires de la Verrerie ouvrière, dans sa séance du 16 janvier 1897, délibère :
« A l'occasion de la reprise du travail des anciens affamés de Rességuier, dans une usine construite par le Prolétariat tout entier, il ne doit plus y avoir aucune trace des divisions passées, et tous ceux qui ont lutté contre cet exploiteur doivent trouver place à l'atelier social.
Néanmoins, l'assemblée reconnaît qu'on ne peut arriver à aucun résultat s'il n'y a pas d'organisation et de discipline dans une œuvre commune.
En conséquence, elle déclare que les citoyens Guéritat, Guegnot, Sirven et Léon Valette reprendront leur place au travail au milieu de leurs camarades, aussitôt qu'ils auront pris l'engagement, en assemblée générale, du personnel de l'usine :
1° De faire leur devoir comme tous les autres travailleurs de la Verrerie ouvrière ;
2° De reconnaître le Conseil d'administration régulièrement nominé d'après les statuts ;
3° De se soumettre aux règlements qui seront élaborés et votés en assemblée générale du personnel de l'usine.

* * *
Enfin, contre leurs anciens camarades, les quatre renvoyés faisaient appel aux tribunaux. Et le juge de paix d'Albi leur donna raison, par un jugement très discuté, condamnant le président du Conseil d'administration de la verrerie à payer à chacun des intéressés la somme de cinq cent francs, à titre de dommages-intérêts.
Notons les étranges considérants de ce jugement :

« Attendu que nous ne devons pas perdre de vue la position des parties les unes vis à vis des autres ;
Attendu que nous ne devons pas oublier qu'avant d'être choisis comme administrateurs, les administrateurs étaient ouvriers comme les autres ; qu'aujourd'hui administrateurs, ils redeviendront ouvriers demain, et qu'ils partagent, en tout et pour tout, les sentiments de leurs camarades ;
Attendu que, dans la situation particulière dans laquelle on se trouve, nous ne devons pas oublier que l'administrateur n'est pas autre chose qu'un ouvrier, qui n'est, comme on veut bien l'appeler, que le « copain » des autres ouvriers ; qu'il a partagé les mêmes illusions que ces derniers pouvaient avoir ; qu'ils se sont bercés du même espoir, en un mot qu'ils ont été pendant tout le temps de la grève ouvriers grévistes ensemble, exigeant les mêmes revendications ; que, par voie de suite, et malgré les changements survenus, ils croient à tort ou à raison avoir conservé les mêmes relations ;
Attendu, en conséquence, que l'administrateur ne peut pas exiger de son camarade et de son copain plus de déférence, puisqu'ils sont censés se trouver sur le même pied, que l'un et l'autre sont toujours ouvriers ;
Attendu que si nous étions en présence d'un patron ordinaire, nous nous trouverions dans une assez grande perplexité ; j'aurais à réfléchir et j'hésiterais grandement ; a priori, je ne crains pas de le dire, mon avis serait même qu'il faut pencher la balance du côté de l'administrateur et rejeter purement et simplement cette demande de dommages comme n'étant nullement justifiée ; mais aujourd'hui il ne saurait en être ainsi... ».

    1. - Période de crise : 1896-1897-1898

Le 11 juillet 1896, avait lieu l'assemblée des actionnaires de la Verrerie ouvrière.
Afin de réunir la somme nécessaire à l'entreprise, il avait été émis, pour une somme de 500.000 francs, des tickets de souscription à 20 centimes, donnant droit à l'entrée gratuite aux conférences organisées par les orateurs du parti socialiste et au tirage d'une tombola d'ailleurs non autorisée.
(…) A la fin de l'année 1896, les difficultés étaient toujours pressantes, l'argent rentrait lentement et se trouvait dépensé d'avance. En décembre, l'usine était achevée, et l'on pût commencer la fabrication, si le manque de fonds n'avait encore paralysé les efforts des verriers.
Le Conseil d'administration décida alors de négocier un emprunt auprès du Sous-Comptoir des entrepreneurs. Le notaire de la verrerie, M. Frézouls, se rendit à Paris pour toucher les fonds de l'emprunt consenti par le Sous-Comptoir ; mais on lui objecta que le Conseil d'administration n'était nommé d'après les statuts que pour six mois, et que, personne n'étant plus responsable, l'établissement financier refusait de réaliser l'emprunt. (…) L'assemblée à lieu : elle réunit quatre mille membres, presque tous hostiles. Plus de cinq cent femmes sont venues pour voter contre l'emprunt. Les orateurs hostiles à l'emprunt sont acclamés et ceux qui sont favorables sont obligés de quitter la tribune sous les huées.
Cependant M. Hamelin affronte la tempête. Il fait le récit de la lutte entreprise par les verriers et par le prolétariat entier. (…) La partie était gagnée et la verrerie sauvée du désastre immédiat. (…) Les verriers se réjouissaient trop tôt. Leur dur temps d'épreuve n'avait pas encore pris fin. (…)
Le 13 mai 1897, M.Jaurès disait, dans une conférence à Toulouse :
« Où en est donc la Verrerie ?
La situation est bonne au point de vue industriel et commercial ; d'abord parce que le capital étant presque en entier la propriété du prolétariat, pas n'est besoin de fournir des dividendes, qui pèsent sur les industries concurrentes. En second lieu, Rességuier, en chassant les militants, a chassé l'élite de ses producteurs. Au point de vue de la vente, la situation est bonne également : la clientèle d'un établissement nouveau ne se crée pas en un jour, et la Verrerie a débuté à l'époque où les marchés sont connus. Pourtant voici déjà pour la vente, des chiffres exacts, accusant les progrès accomplis (…)
Mais où est la cause des difficultés, où se trouve la cause des souffrances subies par ces braves verriers ? Au début, la verrerie n'avait pas de capital de roulement : le prolétariat avait versé 250.000 francs pendant la grève, il lui était difficile de faire de nouveaux sacrifices immédiats (…) Eh bien, le moment est venu de mettre un terme à cette situation difficile. Les organisations ouvrières de Paris ont décidé, pour le capital de roulement, d'émettre 100.000 francs d'obligations, par 20.000 obligations de 5 francs chacune. Dès maintenant, il est certain que plus de la moitié des obligations vont être prises par les organisations ouvrières de Paris, et que les autres le seront dans la région. La Verrerie sera ainsi munie de son outillage complet ».

* * *
En réalité la situation des verriers était des plus misérables. (…) Un pasteur d'Albi, M.Jolibois, écrivait à son tour qu'après avoir longtemps hésité, il était de son devoir de « crier famine et de demander du secours » pour les verriers. Il signalait des « hommes jeunes, ne demandant qu'à travailler, réduits à toutes sortes d'expédients pour se procurer quelque menue monnaie, destinée à faire vivre, ou plutôt à empêcher de mourir de faim leurs nombreuses familles ». (…)
M.Jaurès était lui-même forcé de reconnaître que la situation n'était pas réjouissante. Il paraissait même désespérer dans un article intitulé « Cloche d'alarme », publié par la Dépêche de Toulouse. « J'ai hâte, disait-il, de sonner de nouveau la cloche d'alarme pour la Verrerie ouvrière. Je l'ai déjà dit ici. Elle traverse une crise redoutable, la plus redoutable qu'elle ait encore traversée. C'est péniblement que le prolétariat, épuisé par les grèves, par les dépenses électorales, a pu réunir les capitaux nécessaires à la construction de la Verrerie. Il lui a manqué , dès la première heure, un fonds de roulement. Et ainsi, en attendant que les bouteilles fabriquées soient vendues et payées, les ouvriers verriers sont condamnés à traverser une période terrible. Ils travaillent sans salaire, et je ne sais s'ils pourront supporter longtemps la situation qu'ils soutiennent avec héroïsme. Le prolétariat laissera-t-il ainsi sombrer cette grande œuvre ? Permettra-t-il au capital qui lui la guette de s'en emparer et de triompher isolément d'un désastre ouvrier ?
(…) A la suite de l'assemblée générale du 18 décembre 1897, quarante-cinq ouvriers verriers avaient abandonné la verrerie, et lui avaient intenté un procès réclamant leur part contributive dans les 44.000 francs du fonds de grève, qui avait été versé à la caisse de l'usine.
Cet exode laissa un peu plus de travail aux ouvriers, trop nombreux pour les deux fours en fonctionnement.
Les quarante-cinq ouvriers qui faisaient ce procès à la verrerie ouvrière, s'employèrent dans les verreries de Carmaux, Montluçon, Rive-de-Gier, Masnières et Frais-Marais (Nord), Bordeaux, Vals-la-Bégude (Ardèche) et Saint-Etienne. Ils basèrent leur réclamation sur les considérants suivants :
« Attendu que les assignés (Charpentier, trésorier de la grève et directeur de l'usine, Bruyas, trésorier-adjoint de la grève et Bernard, président du Conseil d'administration de la Verrerie) de concert entre eux, et sans l'assentiment des grévistes intéressés, ont détourné de leur véritable destination la majeure partie des fonds reçus et l'ont employée notamment à la constitution de la société anonyme de la Verrerie ouvrière d'Albi, au capital de 500.000 francs, divisé en 5000 actions de 100 francs. (…)

    1. - La réussite (1899) – Conclusion.

Cependant la situation s'améliorait de jour en jour et l'année 1899 ouvrait la liste des années heureuses. (…)
Les salaires étaient portés simplement pour mémoire, chaque ouvrier ayant fait don à la verrerie d'une partie de ses salaires abandonnés, dans les moments de crise, et n'ayant conservé aucun recours contre l'administration de l'usine, pour éviter à celle-ci de ruineux procès. Il était cependant convenu que les premiers bénéfices réalisés devaient servir à solder cette dette d'honneur. Au 31 décembre 1899, il était dû de ce chef 43.124 francs aux ouvriers. (…)
Nous avons longuement insisté sur cet essai nouveau de coopération, parce que l'exemple ainsi indiqué n'a pas tardé à être imité. Les syndicats, qui s'étaient montrés jusqu'ici le plus rebelles à l'idée de la coopération, se sont lancés avec entrain dans la voie qui leur était indiquée par cete exemple.
C'est la Bourse du Travail de Paris, qui fonde une société à capital variable sous le nom de Société des ouvrier, dont le but est d'arriver pratiquement à la socialisation des moyens de production. Des ouvriers capitalistes ! Allons donc ? C'est ainsi cependant. Leur Société, organisée conformément à la loi, est constituée au capital de 1000 francs, divisé en cinquante parts de 20 francs, libérables par quart. D'ailleurs le nombre des associés et l'importance du capital sont extensibles à l'infini.
« A l'heure actuelle, disait M. Baumé, secrétaire de l'Union de syndicats de la Seine, l'ouvrier n'a pour se défendre contre le capitaliste qu'une arme : la grève, qui est un moyen d'action insuffisant. Nous avons résolu d'en employer un autre qui consiste à porter la lutte contre le capitalisme, chez le capitaliste lui-même.
« Nous invitons les travailleurs à placer dans notre société leurs économies, au lieu de les déposer à la Caisse d'Epargne. Ces fonds, accumulés, seront employés à l'achat d'actions de vastes entreprises industrielles (mines, établissements métallurgiques, industries diverses) dont les ouvriers font la prospérité. La Société des ouvriers deviendra aisni copropriétaire des ces entreprises ; ce qui lui permettra de concourir sûrement à l'amélioration du sort des ouvriers, dont elle sera mandataire.

* * *

C'est chez les employés des omnibus que la coopération exerce également son influence. Le syndicat s'efforce de créer une société coopérative pour l'exploitation des ligne sde pénétration. Déjà les capitaux sont trouvés. Il ne s'agit plus que d'obtenir les concessions.
En 1919, expire le monopole de la Compagnie des omnibus, et depuis quatre ans pas une concession ne lui a été accordée, pendant que plus de trente lignes de pénétration ont été concédées à son exclusion. Les employés espèrent pouvoir obtenir quelques-unes des nouvelles concessions, montrer par leur exploitation ce dont ils sont capables, et recueillir, en 1910, la succession de la Compagnie des omnibus elle-même. (…) Après trente ans, la Société financière serait dépossédée de tous ses droits de propriété, qui reviendraient alors à la coopérative. Mais même au cas impossible où, les intérêts n'ayant pas été versés, la Société financière se substituerait à elle, cette société devrait continuer les conditions de salaires fixées par les ouvriers et verser l'excédent de ses bénéfices dans la caisse du syndicat ouvrier.
Et le représentant de la Société financière disait à une assemblée des employés d'omnibus : « On verra l'application de cette heureuse formule de M. Waldeck-Rousseau : « Il faut que le capital travaille et que le travail possède ! »
* * *
Enfin les ouvriers du gaz songent, eux aussi, à devenir propriétaires de leur exploitation par la coopération. Il leur faut deux millions d'abord, dot le dixième à verser est de deux cent mille francs. ( …) A la réunion où fut discuté le sujet, M. Claverie, secrétaire du Syndicat, terminait l'exposé de son projet par ces mots : « Voulez-vous, oui ou non, de votre émancipation pour 25 fr. ? ».
Et il essayait de calmer les appréhensions de ses camarades épouvantés en songeant à la lourde responsabilité qu'ils allaient assumer :
Que risque—t-on ? Rien.
Si la combinaison n'est pas agréée par la ville, on aura fait 25b francs d'économie, puisque les fonds seront intégralement remboursés, et voilà tout !

* * *
Ainsi le succès de la vaste entreprise de la verrerie d'Albi donnait aux ouvriers syndiqués l'idée de se lancer dans la coopération. D'ailleurs le projet de M. Waldeck-Rousseau, qui amende la loi de 1884, est orienté dans cette nouvelle direction.
Après la destinée malheureuse des sociétés coopératives de 1848, la masse ouvrière s'était écartée de la coopération, dont elle n'avait vu que les dangers, sans s'apercevoir que la coopération n'est dangereuse que si elle n'est pas établie sur la discipline de l'atelier et sur la force du capital. Le succès d'Albi modifia ces opinions des ouvriers, et les voilà devenus des apôtres de la coopération, dont ils avaient tant médit. Les chefs socialistes eux-mêmes sont devenus de fervents coopérateurs !
La construction de la verrerie d'Albi marque donc une étape dans la tactique de ceux qui cherchent à s'émanciper. Révolutionnaires jusqu'ici, la plupart d'entre eux semblent devoir délaisser les moyens violents dont ils ont reconnu l'inanité, pour la voie coopérative où ils voient la possibilité du succès.
Et c'est pourquoi nous avons analysé longuement la création et le fonctionnement de la verrerie ouvrière, qui, selon nous, indique une voie nouvelle dans les destinées de ce que l'on est convenu d'appeler « le prolétariat ».

Le Directeur-Gérant : LEOPOLD MABILLEAU





NOTES

1http://www.left-dis.nl/f/GramscismeEtBordigisme.pdf
2Le Conseil d'administration de la Verrerie ouvrière rappelle à tout le personnel employé à la construction de l'usine que, pour assurer la réussite de l'oeuvre que le prolétariat édifie pour les victimes de Rességuier, il est urgent que toutes les bonnes volontés se manifestent dans l'exécution du travail. Devant la lourde responsabilité qui incombe au Conseil d'administration pour mener à bien la construction définitive de la Verrerie ouvrière, il ne saurait trop engager les « camarades » à faire tous leurs efforts pour entretenir la bonne harmonie dans le travail. Le Conseil recommande en outre le respect entre tout le personnel, et croit de son devoir de lui rappeler qu'il se doit mutuellement appui et solidarité et que, travaillant à une œuvre commune qui doit lui donner l'abri et l'indépendance, les efforts doivent être communs et continus pour la réussite. Le Conseil espère que chacun, comprenant l'importance de cette entreprise sociale, lui facilitera sa tâche et qu'il n'aura à sévir contre aucun camarade dans les cas prévus par ledit règlement ; mais néanmoins, il prévient tous les intéressés qu'il n'hésitera pas à intervenir avec toute l'énergie nécessaire pour réprimer tous les abus qui porteraient atteinte et entraveraient le bon fonctionnement de l'oeuvre.

REGLEMENT

ART 1er . - Tous les ouvriers doivent prendre leur travail et ne le quitter qu'aux heures indiquées.
ART 2. - Tous les ouvriers doivent tenir compte des observations qui leur sont faites par les syndics et les membres du Conseil d'administration et exécuter les ordres qui leur seront donnés par MM les conducteurs de travaux. Tout refus et toute insulte de leur part les rendraient passibles pour la première fois d'une mise à pied de un à huit jours ; en cas de récidive, renvoi.
ART3. - Tout ouvrier pris en état d'ivresse sur le chantier sera remplacé dans son travail. En cas de récidive, il sera mis à pied pour une période de un à huit jours.
ART 4. - Tous ceux qui provoqueraient des querelles sur le chantier seront mis à pied de un à huit jours ; en cas de récidive, renvoyés.
ART 5 . - Tout ouvrier qui se rendra coupable de vol dans l'usine, soit d'outils, de bois ou d'autres matériaux de quelque nature que ce soit, sera immédiatement renvoyé.
ART 6. - Tout ouvrier qui, par indiscipline, mauvaise volonté ou par toute autre manœuvre, cherchera à entraver le bon fonctionnement de l'usine sera une première fois mis à pied de un à huit jours ; en cas de récidive, renvoyé.

Lu et approuvé en assemblée générale du syndicat des anciens ouvriers verriers et similaires de Carmaux à Albi, séance du 2 avril 1896.
ARTICLE ADDITIONNE. - Tout ouvrier, qui quittera le travail pour un motif quelconque, ne pourra le reprendre que le lendemain. Tous ceux qui arriveront en retard de plus de cinq minutes perdront une demi-heure.
« Et voilà, disait l'ouvrier, qui a transcrit ces articles, le règlement établi par des socialistes qui préconisaient des idées d'émancipation ! ». Et il ajoutait avec ironie : « Ce règlement ne concerne pas Baudot ».

3Ce chifrre, fort exagéré, n'était en réalité que de 30.000 francs.
4Le syndicat se composait de 230 membres.