PAGES PROLETARIENNES

mercredi 10 août 2016

COUP D'ETAT EN TURQUIE, LES SEPT SOEURS ET LE PETROLE FINANCIER

découpage impérialiste Sykes-Picot


Un petit rappel...

Le capitalisme n'en a toujours pas fini avec ses marchandages entre brigands impérialistes depuis 1914. En pleine Première Guerre mondiale, au moment même d'un des plus grands massacres de tous les temps à Verdun en France, le Britannique sir Mark Sykes et le Français François Georges-Picot négociaient « en secret » un accord qui prévoyait le démantèlement de l'empire ottoman après la guerre et le partage du monde arabe entre les deux Alliés dominant encore pour peu de temps le monde.

On doit encore à la grande révolution en Russie d'avoir dévoilé au monde ce « secret » entre brigands qui, jusque là se vantaient de défendre les droits des peuples1 ; le pouvoir bolchevique s'étant engagé à ses débuts de mettre à nu tous les mensonges diplomatiques.
Du XVIe au XIXe siècle, l’Empire ottoman avait contrôlé, de la Grèce au Levant et à l’Algérie, la majeure partie du bassin méditerranéen. Devenu l’“homme malade de l’Europe” aux débuts de l’expansion coloniale, l’Empire, qui contrôlait de plus en plus mal ses provinces lointaines, fut progressivement dépecé par les puissances. » En 1916, l’Empire ottoman finissant était l’allié de l’Allemagne, et les alliés français et britanniques, les deux principales puissances coloniales, rivaux historiques mais engagés ensemble dans la « grande guerre », pensent déjà à se partager les dépouilles alléchantes de la Sublime Porte.

« Le marchand doit précéder le soldat » (Bismark)

Les liens de l'Allemagne avec la Turquie sont très anciens depuis Frédérik II, mais c'est surtout avec Bismark qu'une politique coloniale ambitieuse a été définie. L'Allemagne ne possédant pas les moyens militaires et navals agit sur le plan de l'investissement industriel en direction du Moyen Orient, se rapprochant à la fin du XIX e siècle de la Sublime Porte, après la découverte de gisements pétrolifères, avec la construction du Chemin de fer Berlin-Bagdad pour lequel la Turquie était déjà entrée en négociations avec l'Allemagne dès 1893 (concession de la ligne Eskisehir-Konya) mais qui démarra réellement en 1903.
En pleine guerre, par l'accord secret des deux puissances rivales de l'Allemagne, chaque brigand se réserve une part des dépouilles de la grande Turquie. Les Français se réservent le Liban, la Syrie et la région de Mossoul, au nord de la Mésopotamie ; les Britanniques le reste de la Mésopotamie (Irak) et la Transjordanie. L'accord faisait suite à l'entrée en guerre de l'empire ottoman aux côtés de l'Allemagne et de l'Autriche-Hongrie. L'accord des brigands français et anglais préconisait de « détacher les Arabes des Turcs en facilitant la création d'un État arabe ou d'une confédération d'États arabes » sous l'autorité du prince Hussein. Tant que le traité n'était pas révélé, les deux puissances coloniales pouvaient attiser les nationalismes et faire des promesses d’indépendance tous azimuts aux peuples de la région, dans le but de les voir se soulever contre l’empire ottoman... comme aujourd'hui les mêmes rapaces invoquent le respect des droits de l'homme, tout en attisant les haines religieuses.
Les brigands anglais vont se montrer plus manoeuvriers que leurs concurrents français en envoyant sur place le Che Guevara de l'époque, l'espion-aventurier Laurence d'Arabie, qui s'est lié d'une amitié « particulière » avec le prince Fayçal Hussein2. A la suite des révélations du gouvernement bolchevique fin 1917 contre la diplomatie secrète, il n'est pas difficile à l'aventurier britannique de soulever et unifier les troupes arabes, qui font sauter la ligne de chemin de fer allemande et poussent jusqu'à Damas, prenant de cours les militaires français3.
Il n'est pas utile ici de revenir en détail sur ce moment lointain ni de lui conférer un cadre expliquatif aux soubresauts actuels des alliances impérialistes dans la région ou possibles revirements. Qu'il suffise de rappeler que les brigands français ont été les dindons de la farce en concédant Mossoul, gorgé de pétrole, à leurs compétiteurs britanniques... Quant aux indépendantistes arabes, ils devront se contenter de quelques miettes alors qu'en Syrie les Français materont toute velléité d'indépendance, loin des engagements du trouble héros Lawrence d'Arabie4.
La Seconde Guerre mondiale, remisant les anciennes puissances coloniales au second plan mais sans annihiler leur concurrence, montre à Yalta que la bourgeoisie américaine se réserve la meilleure part du gâteau (cf. le pacte du Quincy entre Roosevelt et Ibn Saoud), l'Arabie Saoudite donc et ses champs pétroliers. L'Angleterre doit se contenter de l'Irak et de l'Iran. Toujours plus vorace la bourgeoisie US grignotera la part anglaise lors de l'épisode rocambolesque du coup d'Etat de Mossadegh puis de la remise en selle du Shah, le tout orchestré par la CIA.

LA MYSTIFICATION DE LA CREATION D'ETATS INDEPENDANTS ABOUTIT A DES GENOCIDES
Rosa Luxemburg aura raison de démontrer que l'ère des libérations nationales était terminée, sans pouvoir mesurer les horreurs que le maintien de cette mystification allait entraîner. On croit découvrir un monde barbare et inusité avec les attentats répétitifs subis par les populations civiles un peu partout de nos jours, l'hémorragie ininterrompue de la population syrienne, masquant les rivalités impérialistes des donneurs de leçons humanitaires et croque-morts compatissants ; mais était-ce différent il y a plus d'un demi-siècle ? Face à une Turquie dont on assure qu'elle s'enfonce dans la barbarie islamique après le louche coup d'Etat qui permet à son despote de faire régner la terreur partout, y aurait-il un camp, un nationalisme même démocrate à défendre ? Par exemple les kurdes dont des anarchistes français ont pris fait et cause pour une « révolution kurde », imaginantdes femmes soldats libérées... car sans voile mais fusil en main5.
A une époque qui allait déboucher sur l'expansion des fascismes en vue de la reprise de la guerre mondiale, et comme sursaut face à la décadence de la Sublime Porte, le mouvement « jeune-turc » a été le premier parti nationaliste à accéder au pouvoir, à concevoir et à exécuter un programme d’extermination contre une partie de sa propre population préalablement exclue du corps social comme « ennemi intérieur ». Cette destruction a été conçue comme une condition nécessaire à la construction de l’Etat-nation turc. Et la préparation du massacre des Arméniens et des Grecs n'a ni été dénoncée par l'Allemagne ni par les Etats dits démocratiques occidentaux. La protestation ne vint que du mouvement socialiste. Bien avant 1915, des massacres par milliers ayant déjà lieu ; en janvier 1895, Jaurès s'était fait l'un des plus fervents défenseurs des Arméniens et contempteur de la politique pro-ottomane de la France, dictée surtout par des intérêts financiers. En novembre 1896 il avait dénoncé la politique d'ignorance du ministère Hanotaux et du tsar au nom de la real politik et des « affaires » des crimes turcs et kurdes contre les arméniens organisés par le Sultan : « Il est d'autant plus urgent que la démocratie française et en particulier le prolétariat socialiste interviennent dans la marche générale des affaires européennes que vraiment les gouvernements d'aujourd'hui ont manqué à tous leurs devoirs et ont attesté l'incapacité foncière de l'Europe actuelle, monarchique, capitaliste et bourgeoise, à accomplir sa fonction. Plus de cent mille créatures humaines ont été depuis deux ans massacrées, violées, torturées... ».
Le parti « jeune-turc » fait appel aux égorgeurs « professionnels » que sont les bandes nomades kurdes pour faire le sale boulot, secondé par des chefs kurdes tels que Koumadji Farso et Mehmet, dépeuplant toute une province. L’inventaire des principaux responsables de ce programme d'extermination, fonctionnaires civils et militaires ou notables locaux, permet d’affirmer que les personnes les plus lourdement impliquées dans ces violences de masse étaient souvent issues des cercles les plus marginaux et, des minorités originaires du Caucase, en particulier des Tcherkesses et des Tchétchènes, ainsi que de tribus kurdes nomades (plus rarement des villageois sédentaires).
TOUTE RESSEMBLANCE AVEC LA SITUATION ACTUELLE SERAIT-ELLE FORFUITE ?

Une journaliste a très justement remarqué qu'il faut se garder des analogies, ou des prétendus héritiers mais se méfier de l'utilisation de l'analogie justement. La dernière contestation en date, des lointains accords Picot-Sykes étant venue de Daech prétendant abattre la frontière entre la Syrie et l'Irak, avec l'idée d'unifier un monde musulman en s'appuyant sur le mythe d'un califat, et prise pour argent comptant par des gogos, il fallait rectifier :

«L’Etat islamique remet tout cela en cause aujourd’hui. Sa position consistant à dénoncer les accords Sykes-Picot comme un accord occidental et colonialiste est un peu facile. Cela participe d’une propagande anti-occidentale quelque peu ridicule et sans réel fondement. Mais ceux qui ne s’y trompent pas, ce sont bien les héritiers de Fayçal et d’Ibn Séoud, qui sont encore aujourd’hui les alliés des Occidentaux. Ces deux grandes familles ont fini par accepter, et ce, depuis longtemps, les frontières du Moyen-Orient dressées par Mark Sykes et François Georges-Picot. Ils savent en effet très bien que la volonté de l’EI de renégocier ces accords est un prétexte pour se débarrasser d’eux».

Très juste, mais qui veut se débarrasser de qui ? Voilà qui devient intéressant et où on verra ce que font les « sept soeurs » et « le pétrole financier », dont j'ai déjà eu l'occasion de vous entretenir sur ce blog. Laissons de côté pour l'instant le coup d'Etat en Turquie et son utilisation cynique par le despote Erdogan. Faisons un peu de géopolitique.

Contrairement au blog « Révolution ou Guerre », la bourgeoisie américaine n'est pas en difficulté majeure6. On peut même estimer qu'elle reste grandement maîtresse du jeu mondial. Mais pour expliquer la situation en Turquie on va voir que c'est très simple.
Première constatation : la Turquie n'a pas de pétrole et n'est qu'un pays à touristes.
Deuxième constatation : comme le nord de l'Irak, le Kurdistan est plein de pétrole.
Troisième constatation : depuis des années, à l'insu de nos pertinents observateurs maximalistes, les Etats-Unis militent pour créer un Kurdistan « indépendant », en tout cas une faction de la bourgeoisie américaine ; la création d'un Etat réunissant le nord de la Syrie et le Kurdistan permettrait par le couloir de la Syrie d'amener par pipe-line le pétrole en Méditerranée. Si les américains (comme on dit par facilité) parviennent à faire naître ce Kurdistan, c'est tout un pan de l'Anatolie, 20 millions de personnes, qui sortent de la Turquie ; au moins en 1918 l'Anatolie était-elle restée rattachée à la Turquie.
Plus important que le contrôle de la région pétrolière est le conflit géopolitique sous-jacent. La volonté de la principale puissance occidentale de fabriquer un Kurdistan "indépendant" vise à faire pièce à la Russie comme en Ukraine.
Affolé Erdogan est donc allé voir Poutine pour lui proposer le marché suivant : « je te laisse faire en Syrie mais tu m'aides à empêcher la constitution du Kurdistan » ! Erdogan veut sauvegarder ce qui reste de l'empire ottoman et Poutine freiner l'avancée...américaine. Il se fiche d'une Turquie homogène, ce qu'il veut c'est qu'elle empêche elle aussi la formation du Kurdistan.

Certes Erdogan a plutôt besoin d'un union nationale, islamique ou pas. Un pays fractionné dangereusement – on se souvient du cynisme de l'Etat turc dans le terrible drame minier, des trucages électoraux, d'une population en grande partie laïque et persuadée que le despote a organisé ou laissé faire des attentats attribués systématiquement aux kurdes aux mains pas si blanches qu'ils prétendent, une guérilla kurde incessante, les rebuffades de l'Europe, etc. - a besoin de l'invention d'une union nationale. Le national-islamisme est l'option toute trouvée. Non pas que la classe ouvrière turque et en général la population soit aussi bigote que celle des pays arabes, mais la conjonction d'un putsch qui a tiré sur la foule indistinctement (que Erdogan l'ait fabriqué ou pas, cela sent la CIA), d'attentats répétés et le rejet européen, permettent de gagner le nombre à l'union face à « l'ennemi extérieur ». Cette union forcée nécessité de mettre au pas les organisations qui se réclament du mouvement ouvrier, de terroriser et torturer les militants politiques oppositionnels, et, fin du fin, de proposer le retour de la peine de mort.
Tout cela n'est pas dû à une méchanceté intrinsèque d'Erdogan, bien que ce despote ne nous inspire aucune sympathie, du fait qu'il s'appuie pour son projet nationaliste sur les pires arriérations du moyen âge. C'est la situation géopolitique et en particulier les manœuvres souterraines américaines qui le poussent à réagir, même par une fuite en avant. En effet, comme l'Egypte, l'armada turque est membre de l'OTAN et donc rétribuée par la bourgeoisie US. Dangereux équilibrisme – Erdogan peut savoir  que c'est la CIA qui est à l'origine du putsch mais sans pouvoir le dénoncer – pour un pays sans sérieuses ressources industrielles quand la Russie n'a pas les mêmes moyens que les Américains de rétribuer son armée  ; cependant la Turquie sous Erdogan n'a certainement pas les moyens de tenir aussi longtemps que l'Iran intégriste, ce qui signifie que la guerre se rapproche dangereusement.
Guerre entre qui et qui? A vous de voir.

Poussons plus loin le raisonnement. La bourgeoisie américaine n'est pas unie non plus comme les attentats du 11 septembre 2011 ont fini par le révéler. Elle subit de violentes contradictions internes7, des convulsions un peu particulières qui échappent à certains qui font des communiqués généralistes. Prenons par le petit bout, par exemple la stratification de l'Irak : au nord les kurdes, au milieu les sunnites et en bas les chiites. La bourgeoisie américaine, une fraction, a donné le pouvoir aux chiites, les sunnites sont méprisés et considérés comme des citoyens de seconde zone. Daech provient du rang de ces sunnites qui ont été torturés pendant cinq ans par « l'administration américaine »8. Et paradoxalement je repose la question qui est derrière daech ?

Les « sept soeurs » : Esso, BP, Shell, Chevron, Texaco, Exxon Mobil, Gulf Oil. Même si certaines ont fusionné ces sept compagnies pétrolières, d'une même famille depuis 1914, représentent le capitalisme traditionnel, qui peut compter sur Trump le foldingue, mais capable de se calmer si le perchoir washingtonien lui revient. Cette faction des sept sœurs serait plutôt donc derrière Daech et les sunnites. A moins que ce ne soit la faction suivante du "pétrole financier" si l'on en croit Trump qui accuse la mère Clinton + Obama. En réalité cela remonte à plus loin. Al-Baghdadi et ses lieutenants ont été enfermés pendant cinq années à "camp Bucca" en Irak. Arrêté par l’armée américaine en 2004 (donc sous Bush) puis relâchés 5 ans après (donc sous Obama) avec plus d'un millier de terroristes salafistes; lors du départ des Américains d'Irak : à eux tous ils ont formé daech dont l'idéologie islamo-terroriste, sponsorisée mondialement comme axe du mal qui menacerait l'Occident, sert à cacher la raison des oppositions dans le "couloir syrien".
L'appui aux chiites viendrait plus de la fraction des modernes, du pétrole financier – un capitalisme de banksters - ces spéculateurs du pétrole stocké et jouant sur les fluctuations des cours en bourse, étant eux-mêmes une bourse à pétrole en quelque sorte. Or cette faction a ses origines à l'époque de la financiarisation sous Reagan et aurait atteint son rythme de croisière sous l'ère Clinton. Une telle partition entre anciens et modernes rois du pétrole serait une justification plus probable d'une réelle rivalité républicains/démocrates que les oppositions clownesques entre la mère Clinton et le farfelu à moumoute ; si tant est que les rivalités de cliques, sur la question du contrôle du pétrole mondial, recoupe simplement le clivage politique navrant et bête du cirque électoral américain. Néanmoins, dans le cas où la guerre viendra à être déclenchée, il est peu probable que la bourgeoisie US reste divisée... OU alors l'inédit renforcerait plus gravement le chaos.

L'accroissement des rivalités impérialistes de plus en plus intrinsèques à chaque Etat capitaliste et l'exhibition compassionnelle des réfugiés peuvent-ils favoriser la reprise de la lutte de classe ?
Incontestablement nous vivons une période de terreur, plus grave en ce moment en Turquie où des femmes et des hommes de toutes sortes sont battus et emprisonnés. En même temps le système nous exhibe les centaines et centaines de cadavres de réfugiés. Il les exhibe comme un trophée : voyez ce qu'il arrive si vous ne voulez pas les accueillir CHEZ VOUS ! La préposée à la démagogie humanitaro-gauchiste Emmanuelle Cosse, depuis son strapontin ministériel vient en effet de proposer un accueil à la carte. Et le système félicite aussi ses policiers qui font la chasse à ces réfugiés tout en les tançant sans vergogne (Le Monde par ex.) ou adouber les idiots qui font pire encore, ces no-borders, eux-mêmes sponsorisés et financés, qui posent aux sauveteurs... sans lendemain et sans se soucier du devenir de ces populations, ni de leur intégration sociétale, scolaire et sexuelle.
Nos attentats espacés mais fatalement inévitables comme le radote notre gentil premier commis d'Etat apparaîtraient presque secondaires...
Les problèmes cumulés – attentats, guerres, réfugiés, misère, humiliations répétées de la classe ouvrière – ne peuvent pas constituer pour l'heure un cocktail explosif. Pourtant c'est bien de ce creuset de contradictions que se déclanchent guerres ou révolutions. La question des réfugiés utilisée comme arme de chantage par Erdogan risque bien de mettre le feu aux poudres, pas spécialement dans un sens internationaliste. Mais seulement au niveau électoral et pour la vente des barbelés. Mais pas pour tout le monde.
Il apparaît que l'appétence d'Angélique Merkel pour un afflux massif repose en définitive sur une réalité tangible intra-muros Allemagne : celle de l'Est a été désertée. Depuis la chute du mur et après 2008 environ 50 000 personnes choisissent chaque année de se barrer des Länders de l'Est pour aller vivre à l'Ouest, où le taux de chômage est près de deux fois moins élevé. A travers l'Allemagne de l'Est, des centaines de milliers de logements sont aujourd'hui inoccupés. Le million de réfugiés n'est donc pas impossible à loger, malgré les protestations d'une aile de la bourgeoisie allemande plus « territoriale » mais au seul plan électoral. Et puis le bagage islamique des réfugiés n'est-il pas plus une garantie de paix sociale que ce syndicalisme ringard qui périclite ?
Les gros yeux de l'auguste mutter au petit Erdogan n'annoncent pas une grosse fâcherie, les deux compères ont trop besoin l'un de l'autre. Erdogan pour évacuer son surplus de main d'oeuvre et l'Etat teuton pour l'accès à la Méditerranée. Il existe une commune entente pour dispatcher les réfugiés sans qualification, afghans et divers moyen-orientaux vers les pays européens secondaires, comme la France...
Tout ça pour dire que si nous ne bougeons pas notre cul en France pour soutenir les milliers de travailleurs licenciés ou expulsés de leurs fonctions et remplacés par la masse des bigots du national-islamisme, pour dénoncer les violences inouïes des tortionnaires kakis du despote, la grosse vache allemande, elle, laissera faire.



NOTES:

1 Ce traité de brigands est révélé au public mondial le 23 novembre 1917 dans un article des Izvestia et de la Pravda et le 26 novembre 1917.
2 L'écrivain Patrick Grainville donne une description peu reluisante du personnage que les services secrets britanniques ont envoyé manipuler les arabes pour piller leurs matières premières, à la place des français et des allemands :
« ... Il se qualifie « d'escroc à succès » et « d'imposteur impie ». C'est un précipice qui s'ouvre au cœur du héros et de son épopée pour les scinder en deux parts irréconciliables. Un divorce entre l'action et la pensée. Car, dès le départ, Lawrence a deviné que les Britanniques veulent canaliser et contrôler le désir d'indépendance des Arabes, il ne croit donc au succès de sa mission que dans la brûlure de l'action. Pourtant, c'est un combattant clairvoyant, entouré de cheikhs tribaux truculents et divisés, plus amateurs de razzias que du ­fantasme de l'unité arabe. ­Certaines tribus partent pour la bataille avec leurs esclaves armés de dagues, en croupe des méharis. Lawrence admire leurs cuisses noires et musclées. D'autres se dénudent carrément dans l'assaut pour que leurs vêtements souillés n'infectent pas leurs blessures. Et Lawrence de savourer le spectacle des volées de ­jambes athlétiques et brunes. Son homosexualité n'est jamais avouée directement. Mais il chouchoute un couple de serviteurs juvéniles, amants l'un de l'autre, facétieux et transgressifs à souhait. Leurs foucades garçonnières agrémentent la ritournelle des tueries. Car on tue, on fouette, on torture à tout-va ! Lawrence, lui-même, exécute de trois balles un soldat fautif. Il en fait une description détaillée. Le fameux sadomasochisme du personnage n'est jamais revendiqué, il se déduit de la somme des souffrances infligées et endurées dans les déserts torrides parcourus par des méharistes coriaces et cruels ».
3Le Royaume-Uni s'était empressé d'écorner l'accord en installant des troupes à Mossoul en octobre 1918, s'emparant ainsi du reste des zones pétrolifères du futur Irak. En 1919, Londres parvient à faire voter une sorte de protectorat par la chambre iranienne.
4 Un auteur Pierre-Jean Luizard explique que ce marchandage secret sur le dos des peuples arabes sert aux djihadistes à dénoncer « la trahison des Occidentaux et l’impérialisme européen", argument de saltimbanques nationalistes étroits alors que les djihadistes incriminés ne sont eux-mêmes que des pions de tel ou tel impérialisme, pour un nouveau redécoupage régional ou un maintien du statu-quo d'un ensemble de nations artificielles.
5Lire dans la colonne de gauche de ce blog la notice : Kobanê ou pas Kobanê: LES ANARS VA-T-EN GUERRE!
6C'est une tendance assez simpliste du CCI et de ses groupes ou individus séparés à théoriser un affaiblissement constant des Etats-Unis.
7J'ai lu récemment une biographie consacrée au politicien de peu d'importance Montebourg, intéressante. Au niveau nationale les politiciens hexagonaux se comportent comme des gangsters avec menaces de mort à la clé. Pourquoi ne pas imaginer que, au niveau d'une puissance comme les Etats-Unis, le chantage et le terrorisme réciproque dans les classes dirigeantes peuvent atteindre des sommets. S'est-on gêné pour assassiner Kennedy et d'autres ?
8 «En Irak comme en Syrie, notamment à Tikrit et à Mossoul, l’armée n’hésite pas à utiliser l’artillerie lourde et à larguer des barils bourrés de TNT sur des quartiers d’habitation, des hôpitaux et des écoles. Le recours à ces méthodes fait basculer une population qui avait fait l’expérience des fameux conseils de réveil (*), des milices arabes sunnites armées et payées par les américains à partir de 2006 à condition qu’elles se retournent contre Al Qaïda. Cette population constate que, de l’aveu même du premier ministre Nouri Al-Maliki, les autorités de Bagdad contrôlées par une majorité chiite ne sont pas disposées à intégrer plus de 20% de ces miliciens sunnites, armés et payés par les américains, dans l’armée irakienne, condamnant l’immense majorité de ces combattants - qui avaient pourtant apporté une contribution essentielle à la lutte contre Al Qaïda en Irk - au chômage et à la marginalité (...) Outre ce sentiment d’exclusion et de marginalité, il existait un profond rejet du niveau de corruption spectaculaire... (...) L’exécution des organisateurs des pénuries et de divers trafics est d’ailleurs largement mise en scène sous l’égide de l’Etat islamique avec, notamment, des décapitations et des crucifixions (...) L’avancée de l’Etat islamique profite beaucoup de la «comunautarisation» de la scène politique irakienne, qui se traduit dans ces régions par un accord explicite entre certains dirigeants kurdes... et l’Etat islamique (...) A l’Etat islamique le rôle de mettre en déroute l’armée irakienne, en échange de quoi les peshmergas, les combattants kurdes, ne feront pas obstacle à l’entrée des troupes djihadistes à Mossoul(...).Surtout la coalition anti-daesch n’a strictement aucune perspective à offrir aux populations qui se sont ralliées à l’Etat islamique, ou bien qui se sont résignées à sa domination comme un moindre mal par rapport aux régimes oppressifs sous lesquels elles ont souffert en Irak et en Syrie».Pierre-Jean Luisard: «Le piège Daech, l’Etat islamique ou le retour de l’histoire» (ed La Découverte). Et lire le toujours intéressant général Desportes: http://www.lefigaro.fr/vox/monde/2016/08/12/31002-20160812ARTFIG00394-general-desportes-obama-n-a-pas-cree-daech-mais-les-etats-unis-sont-responsables.php

LE FAMEUX CONGRES DE 1903


Présentation : A ma connaissance le fameux II ème Congrès du POSDR (parti ouvrier social-démocrate de Russie) n'a jamais été traduit officiellement en français jusqu'à ce jour. Il y a une vingtaine d'années, nous en avions réalisé la traduction suivante, le camarade Bernard et moi, pour le bulletin interne du CCI en France. Bonne lecture pour les néophytes ignorantins ou la plupart des vieux machins francophones qui s'imaginent une variante de réunionite stalinienne ou l'invariance pieuse à la con des derniers bordiguiens. Vous allez être estomaqué de la façon, argumentée, au plus près des meilleurs textes marxistes, dont Martynov, mieux que Rosa (x), mouche Lénine sur sa dérive concernant l'importation « extérieure » de la conscience aux ouvriers. Les débats sont riches, passionnants, jamais on n'en eût de tels depuis. Et ils nous interpellent encore aujourd'hui à plus d'un siècle de distance ! (désolé pour les nombreuses coquilles, mais j'ai dû passer un temps énorme à récupérer le texte abîmé par les années et conservé sur disquette souple).



ORDRE DU JOUR DU IIème CONGRES du POSDR (1903)
(37 séances)

1. Constitution du congrès. Election du Bureau. Etablissement de la tenue du congrès et ODJ. Rapport du comité d'organisation et élection d'une commission de créance.
2. Place du Bund dans le POSDR.
3. Le programme du parti.
4. L'organe central du parti.
5. Rapports des délégués.
6. Organisation du parti.
7. Organisations territoriale et nationale.
8. Groupes particuliers dans le parti.
9. La question nationale.
10. Lutte économique et mouvement syndical.
11. Célébration du 1er mai.
12. Le congrès international socialiste à Amsterdam en 1904.
13. Manifestations et insurrections.
14. Terreur.
15. Problèmes internes du travail du parti:
(a) organisation de la propagande
(b) organisation de l'agitation
(c) organisation des publications du parti
(d) organisation et travail dans la paysannerie
(e) organisation du travail dans les forces armées
(f) organisation du travail parmi les étudiants
(g) organisation du travail parmi les sectes

16. Attitude du POSDR envers les "Socialistes-Révolutionnaires.
17. Attitude du POSDR envers les tendances libérales russes.
18. Election du Comité Central et de l'équipe éditoriale de l'Organce Central.
19. Election du conseil du parti.
20. Procédure de publication des résolutions du Congrès et de ses minutes, et aussi pour conférer leurs devoirs aux fonctionnaires et institutions élus par le congrès.


TENUE DU CONGRES


1. Le congrès se tiendra en deux sessions par jour: de 9 heures du matin à 13 heures et de 15 heures à 19 heures.
2. Aucun orateur ne pourra parler plus de dix minutes; les rapporteurs seront tenus à une demi-heure (avec des dérogations à cette règle possibles dans les cas exceptionnels); et les personnes introduisant des propositions raisonnables et des résolutions seront autorisées à ne pas excéder 20 minutes.
3. Personne ne sera autorisé à parler plus de trois fois sur chaque question: cette limitation n'inclut pas le discours du rapporteur qui ouvre la discussion.
4. Sur les questions relatives à la procédure en session, pas plus de deux orateurs ne seront autorisés "pour" et deux "contre" la motion.
5. Les minutes du Congrès seront compilées par les secrétaires avec l'aide du Bureau. Chaque session commencera par confirmer les minutes de la session précédente. Chaque orateur donne au Bureau, pas plus de deux heures après la fin d'une session, un sommaire de chacune de ses contributions.
6. Le vote se fait sur toutes les questions excepté sur l'élection des fonctionnaires.
7. Dans toutes les divisions (sections), sans exception, ne prennent part au vote que les membres en possession du vote décisionnel; ceux qui ont deux mandats ont deux votes.
8. Une motion est considérée adoptée si une majorité absolue de voix se dégage en sa faveur. Quand il n'y a pas de majorité absolue, un second vote a lieu, afin qu'une majorité relative tranche. En cas exceptionnels le congrès peut en référer à une commission.
9. Toutes les résolutions, à part celles relatives à des questions de forme, doivent parvenir écrites au Bureau.


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BUREAU DU CONGRES ET COMMISSIONS


Président : G.V.Plekhanov.
Vice-président : Lénine et Pavlovitch.
Secrétaire du Bureau : Fomin.
Commission de créance : Deutsch, Koltsov, Lénine, Sablina, Yudin.
Commission de programme : Akselrod, Yegorov, Lénine, Martynov, Plekhanov, Starover, Yudin.
Commission d'organisation : Lénine, Martov, Glebov, Yegorov, Popov.
Commission pour examiner les textes des contributions des délégués: Fomin, Zassoulichn Popov.
Commission pour considérer l'accord proposé avec le parti social-démocrate de Pologne et de Lituanie : Fomin, Martov, Yegorov, Plekhanov, Rusov.

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Le congrès discute du troisième sujet à l'ordre du jour : Le Programme du POSDR.

Martinov : Je propose que nous prenions parmi les différents projets de programme celui qui a été composé par Iskra et Zarya. Considérant la forme actuelle de la discussion, nous devrions d'abord considérer, "en bloc" (en français dans le texte), la section sur le programme général qui repose sur les principes, et qui en est le dépositaire. Quand nous discuterons de la section des "principes", une discussion générale devrait être suivie par une discussion sur les points séparés dans cette section, et, pour conclure, nous devrions prendre des amendements sur les points séparés de cette section des "principes".

Martov : Avant d'élire la commission pour le programme nous devrions faire une analyse générale du programme, et ensuite soumettre des amendements quand le projet sera discuté en commission.

Le congrès décide de prendre le programme de l'Iskra-Zarya comme base pour la discussion, et commence à discuter de sa section générale.

Martynov : La section du projet de programme de l'Iskra traite des principes par un trait qui les distingue de tous les autres programmes social-démocrate d'Europe. Dans tous ces programmes il est dit, d'une façon ou d'une autre, en stricte conformité avec les principes du Marxisme, que le développement de la société capitaliste crée nécessairement non seulement les conditions matérielles mais aussi les conditions spirituelles pour la réalisation du socialisme, c'est à dire, contribue au développement de la conscience de classe du prolétariat, intensifiant la lutte du prolétariat contre tout le système capitaliste.
Cette proposition n'est nulle part dans le projet de programme de l'Iskra.
Dans la partie sur les "principes" du programme Guesdiste, qui est très précisément rédigé, il est affirmé d'une façon générale seulement : "Considérant que la forme collective, dont les éléments matériels et intellectuels sont constitués par le développement même de la classe capitaliste, etc" (en français dans le texte).

Dans le programme autrichien de Hainfeld nous lisons : "Alors qu'au même moment sont créées les pré-conditions spirituelles et matérielles pour la forme de la propriété commune...", "le porteur de ce développement (historiquement nécessaire) ne peut être que la classe consciente le prolétariat, organisé en parti politique" (en allemand dans le texte).

Dans le programme d'Erfurt nous lisons : "Elle (c'est à dire la révolution sociale) ne peut être que le travail de la classe ouvrière...La lutte de la classe ouvrière contre l'exploitation capitaliste est inévitablement une lutte politique. La classe ouvrière ne peut négocier sa lutte économique et développer son organisation économique sans droits politiques. Elle ne peut pousser les moyens de production à la propriété sociale sans avoir conquis préalablement le pouvoir politique."

Dans ce paragraphe le contenu du concept "lutte de la classe ouvrière contre l'exploitation capitaliste" est défini. Il inclut à la fois la lutte trade-unioniste, qui requiert une lutte pour certains droits politiques, et la lutte pour l'émancipation économique, qui requiert la conquête du pouvoir politique. Il signifie ainsi la lutte pour le socialisme.

Dans le paragraphe suivant il est statué que la tâche du parti social-démocrate est précisément de développer cette tendance inévitable du prolétariat à combattre pour le socialisme. "A organiser cette lutte de la classe ouvrière, à l'unifier, à la rendre consciente et à expliquer son but nécessairement ultime - c'est la tâche du parti social-démocrate. La base de l'activité du parti est là, par conséquent, l'objectif de la lutte inévitablement politique du prolétariat".

Finalement, dans le plus récent programme (de Vienne) du parti social-démocrate autrichien nous lisons : "Au moment même où le prolétariat devient conscient qu'il doit contribuer à ce développement et le hâter, que la transformation des moyens de production en propriété sociale de tout le peuple doit être le but, et la conquêt du pouvoir politique les moyens, de son combat pour l'émancipation de la classe ouvrière".

Ainsi nous voyons que dans tous les programmes social-démocrates la mention est faite des pré-conditions spirituelles pour le socialisme, de l'inévitable tendance de la classe ouvrière à lutter pour le socialisme.

Il n'y a pas une telle proposition dans le projet de programme de l'Iskra.

A la place où, selon le sens du programme, les pré-conditions spirituelles du socialisme, le rôle actif du prolétariat, auraient dû être mentionnés, tout ce qui est dit est : "Le nombre et la cohésion des prolétaires s'accroissent et leur lutte contre les exploiteurs s'intensifie."

Mais il est clair que "la lutte des prolétaires contre leurs exploiteurs" ne recouvre pas le concept de "lutte de la classe ouvrière contre l'exploitation capitaliste". Tandis que cette dernière expression, utilisée dans le programme d'Erfurt, embrasse tout le contenu de la lutte de classe du prolétariat, l'expression précédente ne signifie, plutôt, que la forme élémentaire de cette lutte - la lutte syndicaliste. Le projet de programme statue plus que, par lui-même, le prolétariat s'engage inévitablement dans la lutte syndicaliste contre les capitalistes. Cette interprétation de ce passage est tout ce qui fonde que rien n'est dit nulle part dans le projet concernant le développement de la conscience de classe du prolétariat comme étant une conséquence inévitable du développement de la société capitaliste.

Comment pouvons-nous prendre en compte le fait que dans le projet de programme de l'Iskra nous ne trouvons aucune mention d'une proposition de principe, qui est mise en avant, d'une façon ou d'une autre, dans tous les programmes social-démocrates ?
Sans aucun doute nous voyons ici l'influence du récent combat contre le soi-disant économisme, et en particulier l'influence d'un argument de base théorique qui a été avancé pendant le combat du camarade Lénine, l'auteur du pamphlet "Que Faire?".
Observons et voyons quelle valeur scientifique possède cette thèse.
Le camarade Lénine écrit : "Le développement spontané du mouvement de la classe ouvrière le conduit au début à se soumettre à l'idéologie bourgeoise...pour le mouvement spontané de la classe ouvrière c'est le syndicalisme (...) et les moyens syndicalistes de l'idéologie d'asservissement des ouvriers à la bourgeoisie....L'histoire de tous les pays montre que par ses seules forces la classe ouvrière n'est capable que de développer une conscience syndicaliste, c'est à dire, la conviction de la nécessité de s'unir en syndicats, de négocier une lutte contre les patrons, d'obtenir du gouvernement diverses lois dont les ouvriers ont besoin", etc.

Voilà le modeste, ou plutôt le rôle négatif que le camarade Lénine assigne au prolétariat dans l'élaboration de sa propre idéologie socialiste. Selon cette vision, "il ne peut pas être question d'une idéologie indépendante entrainant la masse des ouvriers dans le processus de leur mouvement..." "La conscience social-démocrate ne peut être introduite que de l'extérieur... La théorie du socialisme a surgi des théories philosophique, historique et économique qui ont été élaborées par des représentants éduqués des classes possédantes, les intellectuels. De par leur statut social les fondateurs du socialisme scientifique moderne, Marx et Engels, appartiennent à l'intelligentsia bourgeoise..."

Si cela est vrai, si le prolétariat tend spontanément vers l'idéologie bourgeoise, si le socialisme se développe hors du prolétariat, alors l'extension du socialisme parmi les ouvriers doit prendre la forme d'une lutte entre l'idéologie du prolétariat et ses propres tendances spontanées, et le camarade Lénine tire cette conclusion : "Notre tâche, la tâche d'un social-démocrate, consiste dans la lutte contre la spontanéité, afin de détourner le mouvement de la classe ouvrière de cette tendance syndicaliste spontanée à aller sous l'aile de la bourgeoisie..."
Le camarade Lénine voit un antagonisme entre l'idéologie du prolétariat et la mission du prolétariat. J'observe un antagonisme entre la thèse de Lénine et celle qui a été exprimée en maintes occasions par Marx et Engels. Ecoutez ce que Marx dit "Le pouvoir de la philosophie" : "Dans la mesure où l'histoire va de l'avant, et avec elle que la lutte du prolétariat en assume clairement l'ébauche, ils (les socialistes) n'ont pas besoin de chercher la science dans leur esprit ; ils n'ont qu'à prendre note de ce qui se déroule sous leurs yeux et à en devenir les porte-paroles."
Engels, dans "Socialisme utopique et socialisme scientifique" parle même plus clairement : "Le socialisme moderne n'est rien que le réflexe en pensée de ce conflit actuel ( entre les forces productives et le mode de production), sa réflexion idéale d'abord dans l'esprit de la classe qui en souffre directement - la classe ouvrière...Le socialisme scientifique (est) l'expression théorique du mouvement prolétarien."
Dans le "18 brumaire" Marx met en avant une proposition générale concernant le rapport entre les idéologues de toute classe et la classe elle-même. "Ce que font les représentants (démocrates) de la petite-bourgeoisie est le fait que dans leur esprit ils ne vont pas au-delà des limites atteintes par cette dernière au cours de sa vie, ils ne vont pas au-delà par conséquent des mêmes tâches et solutions d'intérêt matériel et de la position sociale pratiquement par cette dernière. C'est en général le rapport des représentants politiques et littéraires d'une classe à la classe qu'ils représentent."
Voilà ce que disaient Marx et Engels. Mais le camarade Lénine nous assure que c'est "l'histoire de tous les pays qui le montre", etc.
Nous devons supposer, alors, que l'une des deux choses est vraie. D'un côté l'expérience de tous les pays va à l'encontre des mots que j'ai cité de Marx, ou le camarade Lénine a échoué à jeter la lumière sur cette expérience du point de vue de Marx. Je penche pour cette dernière vision. Ce que l'histoire de tous les pays me dit c'est que le socialisme moderne s'est élevé comme un produit du mouvement du prolétariat, et que "le développement spontané du mouvement de la classe ouvrière le conduit à être subordonné" non pas à l'idéologie bourgeoise mais au socialisme moderne scientifique. Afin de trouver confirmation de cette vision de l'histoire il est avant tout nécessaire de ne pas l'interpréter naïvement, ni de supposer que le prolétariat développerait son idéologie comme une toile d'araignée sur son propre dos.
Tout en polémiquant contre la vision de Proudhon selon qui les siècles précédant avaient été déterminés par la providence pour l'accomplissement de l'idée d'égalité, Marx néammoins ne trouvait pas possible de déclarer que cette idée était issue de la tête de Minerve : le rôle créatif de la génération présente, dans ce sens, est exprimé dans leur transformation des résultats achevés par les générations antérieures. "Les économistes", dit-il, "savent très bien que la chose réelle qui était pour l'un un produit fini, était pour l'autre matière première pour la nouvelle production". La même idée est exprimée par Engels dans son "Ludwig Feuerbach" : "Dans tous les domaines idéologiques la tradition représente une grande force conservatrice. Mais les transformations que ce matériel soutend surgissent des rapports sociaux, c'est à dire, depuis les rapports économiques des personnes qui exécutent ces transformations. Et là c'est suffisant."
Et ainsi, nous, les Marxistes, nous affirmons que le prolétariat a élaboré de façon indépendante sa propre idéologie socialiste ; mais par cela nous voulons dire que le prolétariat a transformé indépendamment l'idéologie empruntée par lui à ce qui l'environne, en accord avec ses propres intérêts de classe.
En devenant se distinguant comme classe particulière, séparé de la masse de la "démocratie", le prolétariat transforme au même moment la lutte initiale de la "démocratie" contre le système féodal en une nouvelle lutte, celle de la classe ouvrière contre le système bourgeois.
Quand nous traçons l'histoire de la montée du socialisme moderne nous pouvons aisément percevoir comment le prolétariat convertit la lutte économique et politique, les idées sociales et la perspective mondiale philosophique de la "démocratie" au début du 19ème siècle dans les éléments correspondant du mouvement socialiste moderne.
Pendant la Grande Revolution, la lutte éconmique de la "démocratie" a été une lutte du pauvre consommateur contre les privilèges, le monopole, l'usure et les barrières commerciales. Avec la séparation du prolétariat de la masse "démocratique", cette forme de lutte économique a été transformée en lutte du travail contre le capital. En Angleterre, le prmier quart du 19ème siècle a été rempli par la lutte du prolétariat pour la liberté de faire grève,, qui a été gagnée au moins en 1825. Alors vint la période de la formation des premirs "syndicats nationaux" (1825-1850). En France en 1831 la révolte des tisserands lyonnais s'enflamma, et en Allemagne en 1844 les tisserands de Silésie.
En parallèle avec cela, le prolétariat européen, qui avait antérieurement fonctionné comme arrière-garde de la bourgeoisie dans sa lutte politique contre l'aristocratie, en venait par expérience à la perception du besoin d'une lutte politique indépendante, dirigée contre toutes les classes dominantes. En Angleterre la réforme du Parlement en 1831, qui donnait à la bourgeoisie la prédominance sur les propriétaires terriens, fût gagnée avec l'aide du prolétariat, qui menaçait de refuser de payer leurs impôts.
Trompé par cette réforme et ulcéré par la loi sur les pauvres de 1834, le prolétariat rompit avec la moyenne bourgeoisie et, allié aux Radicaux, lança la lutte politique pour la Charte. C'était le premier pas dans le développement de la conscience politique du prolétariat, et il allait être bientôt suivi par un second. L'expérience postérieure montra au prolétariat combien la petite-bourgeoisie était inepte pour la lutte révolutionnaire décisive et combien étaient différents leurs intérêts économiques (le prolétariat revendiquait les 10 heures par jour, la petite-bourgeoisie revendiquait l'abrogation des lois sur le blé). Aussi, en 1843, une scission eût lieu dans le mouvement Chartiste, entre le prolétariat et la petite-bourgeoisie. Le prolétariat fît son second pas en avant et s'érigea en tant que parti politique indépendant, avec le mot d'ordre - "le pouvoir politique est notre moyen, la joie sociale notre fin".
La même chose se produisit en France. Dans la Révolution de Juillet le prolétariat avait encore aidé la bourgeoisie à obtenir le meilleur sur les propriétaires terriens. Leur trahison par la grande bourgeoisie flanqua au prolétariat une leçon, et le stimula à former une alliance avec la petite-bourgeoisie radicale. Dans la révolte à Paris en 1832, dans les révoltes à Lyon et Paris en 1834 et dans la révolte de 1839 le prolétariat se plaça en avant comme une force révolutionnaire, et ses chefs politiques étaient semi-radicaux, des sociétés semi-socialistes (Société des droits de l'homme, Société des Saisons). Mais cette alliance ne pouvait pas durer, par ailleurs. Les hauts et les bas de la Révolution de Février, et spécialement la révolte de juillet, ouvrirent les yeux du prolétariat à la vérité concernant la petite bourgeoisie. Le 10 décembre la Montagne fît sa dernière tentative pour agir indépendamment du prolétariat. Ce même jour les votes en faveur de Raspail et contre Ledru-Rollin furent, comme Marx l'a dit, "le premier acte par lequel le prolétariat, en tant que parti politique indépendant, se détacha du parti démocratique".
Cela était le processus initial du développement de la conscience politique du prolétariat. Alors que le prolétariat européen était en train de se séparer de la "démocratie" en tant que classe distincte, oeuvrant aux formes de sa propre lutte de classe économique et politique, ses parties avancées étaient en train de transformer les idées du socialisme bourgeois qu'ils avaient apprises en la nouvelle idée du communisme prolétarien révolutionnaire. Le socialisme comme problème, était, évidemment, apparu avant l'éruption de la force révolutionnaire du prolétariat, qui était capable de résoudre ce problème. L'extension rapide du socialisme comme idée était la conséquence inévitable de la contradiction entre la démocratie que la Grande Révolution avait promise et ce qui avait été produit. Mais jusqu'au prolétariat, le vrai porteur du socialisme, arrivé sur la scène de l'histoire, le socialisme était et était rattaché, d'un côté aux utopistes et de l'autre à la petite-bourgeoisie. Maintenant, cependant, avec les années 1830, le prolétariat levait la tête partout, et nous pouvons voir clairement comment, sous sa pression et avec sa participation les idées de socialisme commençèrent rapidement à changer de contenu. L'élaboration de cette transformation fût le fait de sociétés secrètes françaises, auxquelles des sociétés allemandes similaires étaient affiliées: Association pour la défense de la presse patriote et le Deutscher Bund zur Vertheidigung der Pressfreiheit firent place à la Société des Droits de l'Homme et au Bund der GeÂchten. Ils furent succédés par La Société des Saisons et le Bund der Gerechten. Cette série culmina dans la Ligue Communiste qui publia le Manifeste Communiste de Marx et Engels. Ces sociétés, qui étaient d'abord purement radicales, se remplirent graduellement de membres des rangs des artisans prolétarisés. En conséquence, leur caractère changea. D'une forme exclusivement conspiratrice ces sociétés furent transformées en sociétés pour la propagande ouverte, et les idées du radicalisme bourgeois et du socialisme petit-bourgeois qui avaient prédominées chez elle furent remplacées par les idées de la révolution sociale prolétarienne. Dans le Bund der GeÂchteten ces deux conceptions du monde étaient encore en conflit, dans les personnes de Venedey et Schuster: dans le Bund der Gerechten l'idée de révolution sociale obtint, au moins, l'expression claire dans les termes de Weitling. Encore sous l'impression que lui avait fait Weitling, Marx disait : "le prolétariat allemand est le théoricien du prolétariat européen, tout comme le prolétariat anglais est son économiste et le prolétariat français son politicien."
Ainsi, l'histoire de la première partie du 19ème siècle montre graphiquement comme le prolétariat accédant par l'expérience à une conscience de ses intérêts de classe, a transformé toutes les vieilles formes du mouvement démocratique en de nouvelles formes de mouvement de classe d'ouvriers. A l'époque où le Manifeste Communiste est apparu, les éléments du mouvement socialiste moderne - la lutte du travail contre le capital, la lutte politique du prolétariat sous son propre drapeau, et l'idée d'une révolution sociale - étaient déjà présents ; mais ces éléments qui sont apparus des différentes parties du prolétariat, n'ont jamais été unis. La lutte économique du prolétariat était isolée de la lutte sociale ; les syndicats en Angleterre, par exemple, portaient un regard réprobateur sur le mouvement chartiste. A leur tour les mouvements politiques du prolétariat ne s'unissaient cependant pas clairement avec l'idée d'une révolution sociale. Les idéaux sociaux des Chartistes et des soi-disant sociaux-démocrates en France étaient extrêmement vagues et confus. Les premiers rêvaient d'une nationalisation partielle de la terre, du développement des fermes à petite échelle, de l'aide de l'Etat aux associations de producteurs. Les autres fermentaient des notions peu claires à propos du "droit au travail" et "l'organisation du travail". Ils rêvaient d'accéder au socialisme côte à côte avec le système bourgeois et non sur ses ruines. Finalement, ces prolétaires qui n'avaient pas conscience de la nécessité d'une révolution sociale (les Weitlingiens) étaient incapables de lier cela à leur conscience de la nécessité d'une lutte politique. Ainsi, bien que les principaiux éléments du mouvement socialiste moderne étaient présents, ils n'avaient pas été coordonnés, etdu fait que cette tâche n'ait pas été accomplie, le prolétariat ne pût finalement se libérer de l'influence bourgeoise, ne pût marcher d'un pas ferme vers une émancipation complète.
De façon à couronner l'édifice du socialisme il était nécessaire d'unir ces éléments en un tout harmonieux et de donner au mouvement une base théorique. Ce grand travail fût accompli par les fondateurs du socialisme scientifique, Marx et Engels. Tout comme pour les éléments économiques politiques et sociaux du mouvement prolétarien, il y avait beaucoup de transformations aux formes correspondantes du mouvement radical démocratique, de même la plus haute superstructure idéologique du mouvement prolétarien, la théorie du socialisme scientifique, a été le résultat d'un travail de relecture des théories des philosophes bourgeois et des érudits. Mais, bien que l'élaboration des formes sus-mentionnées ait été le produit prédominant de l'expérience et de la pensée de plusieurs partis du prolétariat, la création de la théorie du socialisme scientifique présupposait un tel entrainement scientifique que seuls pouvaient posséder des intellectuels professionnels, des hommes issus des classes possédantes. Tels furent les créateurs du socialisme scientifique Marx et Engels. Cependant nous ne concédons pas que leur travail créatif soit dû à l'intelligentsia bourgeoise. De façon à accomplir la révolution dans une pensée sociale, ils devaient d'abord abandonner le point de vue du radicalisme bourgeois et prendre celui du prolétariat - et non pas quelque prolétariat abstrait, mais le prolétariat authentique de leur époque. En d'autres termes, ils étaient obligés en premier lieu de se mettre du côté du mouvement du prolétariat de façon idéologique et morale, qui avait déjà été formé par l'histoire. Leur grand travail révolutionnaire n'a pas été et n'aurait pas pu être le fruit d'une pensée plus ou moins liée à l'étude. Engels a dit dans Ludwig Feuerbach : "Quand il est question de faire des recherches sur les forces motrices qui, consciemment ou inconsciemment, se trouvent derrière les motivations des hommes dans leur action historique... ainsi, il n'est pas question tant des motivations d'individus bien qu'éminents que celles qui font bouger les masses, des peuples entiers, ou encore des classes entières de personnes, dans chaque peuple..."
Les biographies de Marx et d'Engels en portent clairement le témoignage. Elles nous montrent comment le mouvement révolutionnaire du prolétariat arracha Marx et Engels des rangs des démocrates bourgeois et leur donna une nouvelle direction dans leur pensée théorique. En 1843, ils étaient encore en grande partie des radicaux bourgeois avec une vision idéaliste du communisme en tant qu'abstraction dogmatique. Marx écrivit qu'à cette époque à Ruge : "je ne suis pas favorable à élever une quelconque bannière dogmatique... le communisme, en particulier, est une abstraction dogmatique... Nous voulons influencer nos contemporains, particulièrement nos contemporains allemands... En premier lieu, la religion, et à ses côtés la politique, sont les sujets qui forment le principal intérêt de l'Allemagne aujourd'hui. Nous devons les prendre, sous quelque forme qu'ils existent, comme notre point de départ et non pas les confronter avec quelque système pré-établi tel que, par exemple, Le Voyage en Icarie."
C'était la façon dont Marx et Engels raisonnaient à l'époque. Ils avaient besoin avant toute chose de trouver une force révolutionnaire qui renverserait le vieux système politique allemand. Mais déjà à l'époque la seule classe révolutionnaire était le prolétariat, et cela ils le découvrirent aussitôt qu'ils traversèrent la frontière de leur propre pays. Il était naturel que Marx dans sa quête révolutionnaire aille établir le contact avec le mouvement du prolétariat français, et Engels avec le mouvement anglais, avec le Chartisme. Engels participa même au mouvement chartiste, contribuant au Northern Star. Le résultat de ce contact fût qu'un profond et rapide changement prit place dans ses idées. Ainsi, déjà en 1845, ils publièrent La Sainte Famille, cette oeuvre dans laquelle ils posèrent les fondements du matérialisme économique et dans laquelle, à côté de cela, le point de vue prolétarien est clairement observable.
Ainsi l'histoire nous donne le droit de dire : premièrement, tout le socialisme moderne est le produit de la classe ouvrière, bien que les matériaux qui le constitue aient été précédemment créés par les démocrates bourgeois ; et deuxièmement, dans l'élaboration du socialisme moderne, les partis de la classe ouvrière qui différaient dans leur niveau de conscience sont arrivés en pratique, cherchant à tâtons, à des tâches séparées et des solutions que leur idéologues découvrirent, synthétisèrent et fondèrent théoriquement. Ces propositions sont d'une importance énorme. Elles contredisent les thèses placées en avant par le camarade Lénine dans son pamphlet Que Faire? Mais elles sont dérivées des fondements du marxisme, et elles sont formulées d'une façon ou d'une autre dans les programmes social-démocrates. Nous devrions de même leur donner une claire expression dans notre programme. A cet effet je propose que le passage que je cite du projet de programme soit remplacé par le suivant : "Le nombre, la cohésion et la conscience des prolétaires doivent augmenter et la lutte de masse des ouvriers contre l'exploitation doit s'intensifier."
Je ne parlerai pas maintenant à propos de mes autres amendements correspondants mais moins importants de cette question du programme ayant affaire avec les principes. Ici je noterai seulement que l'idée fondamentale que j'ai développée jusqu'ici est partagée par tous les camarades qui appartiennent à la même organisation que moi. Nous ne sommes cependant pas tous d'accord en ce qui concerne les conclusions à tirer de ces idées. Ainsi je ne parlerai que pour moi-même à partir de maintenant.
J'ai déjà dit que l'écart que j'ai montré du doigt dans le programme de l'Iskra est une réflexion sur la lutte récente contre la "spontanéité", l'"économisme" et l'"amateurisme". Maintenant je veux demander si cette considération pratique peut servir de justification pour un hiatus théorique comme celui-ci dans le programme ? Certainement pas. La formulation marxiste correcte de la question, que je propose, n'ouvre en aucune façon la porte à l'adoration de la spontanéité, de l'économisme ou de l'amateurisme.
Cela n'ouvre pas la porte au culte de la spontanéité. Quand nous disons que le socialisme moderne est en gros l'expression la plus complète et consciente de la tendance spontanée de la lutte de classe du prolétariat nous ne réduisons pas le rôle actif de la conscience et de la théorie dans notre mouvement mais, au contraire, nous l'élevons au plus haut niveau. C'est parce que nous sommes convaincus que le développement du prolétariat procède en accord avec les lois spontanées de la nature vers la réalisation de nos principes théoriques que nous soutenons ces principes fermement et résolument et que nous rejetons tout compromis théorique mettant en avant des considérations pratiques passagères. Il est étrange que j'ai à prouver aux éditeurs de l'Iskra ce que Beltov nous a prouvé. Il est étrange que je doive démontrer que le maximum de liberté, d'activité et d'initiative individuelle se trouvent là où il y a le maximum de nécessité. Afin de sauvegarder le mouvement du culte des modes momentanées de certaines couches du prolétariat ou de l'intelligentsia, la social-démocratie ne possède qu'un moyen : elle détermine son activité dans le sens des tendances générales de la lutte de la classe ouvrière toute entière.
Il ne semble pas que la formulation de la question que j'ai proposée, qui est normale dans le mouvement social-démocratique international, ouvre la porte à "l'économisme". Je sais et je l'ai déjà dit que toute forme particulière de la lutte de classe du prolétariat, prise en elle-même, séparée des autres formes de la lutte de classe du prolétariat, est incapable de libérer le prolétariat des influences bourgeoises. C'est pourquoi les partis bourgeois et les idéologues de la bourgeoisie essaient si durement de dissimuler le lien nécessaire entre la révolution sociale et la lutte politique et économique du prolétariat. Mais je n'affirme pas, évidemment, que le socialisme moderne s'exprime dans toute forme isolée de la lutte de classe du prolétariat, comme avec la lutte syndicale, prise dans son isolement. Au contraire, je dis que le socialisme scientifique est la synthèse et l'expression théoriquede toutes les formes de base de la lutte de classe du prolétariat. Cette formulation nous engage, naturellement, à résoudre la lutte contre toute tentative de borner le contenu et de réduire l'étendue du mouvement inévitable historiquement de tout le prolétariat.
Finalement, la formule que je propose, il me semble, ne peut pas servir de couverture au fédéralisme et à l'amateurisme local. Si le socialisme moderne synthétise les différentes formes du mouvement du prolétariat et ne reflète que sa tendance historique générale, alors il est évident que dès le départ l'organisation du parti social-démocratique doit être suffisamment centralisé pour assurer que les intérêts communs du mouvement social-démocratique dans son ensemble ait priorité sur les intérêts locaux en son sein. Ainsi, aucune considération pratique n'a fourni le terrain aux compilateurs du programme pour s'abstenir d'inclure la formulation généralement acceptée de la matière en question. Ils ont eu, cependant, évidemment une opinion différente : ils pensaient évidemment que la formulation généralement acceptée n'offrait pas une sauvegarde adéquate contre la spontanéité, l'économisme et l'amateurisme. Par conséquent ils nous ont donné leur propre formulation peu claire, qui peut être facilement interprétée dans le sens de la proposition défendue dans le pamphlet "Que Faire?", dans le sens d'un antagonisme entre la Social-Démocratie et le développement spontané du mouvement de la classe ouvrière. Qu'est-ce qui a été achevé en pratique par cette théorie du pamphlet de Lénine ? Elle offre certainement une arme très tranchante à utiliser contre les erreurs tactiques et les omissions mentionnées. Mais elle ouvre aussi la porte à d'autres dangereuses erreurs tactiques; elle ouvre une profonde fissure entre les éléments menant le mouvement et les masses de la classe ouvrière, entre l'activité d'un parti exclusif et la large lutte de la classe ouvrière.
Nous ne devons pas parler en termes hypothétiques concernant ces erreurs, depuis qu'elles se sont déjà révélées à une échelle suffisante, spécialement pendant l'année ou l'année et demie de l'éruption révolutionnaire en Russie qui avait commencé avec les événements de Mars.
Alors qu'antérieurement une trop faible attention avait été portée au développement théorique des éléments conduisant le mouvement, depuis lors nous avons commencé à négliger excessivement les moyens pour développer la conscience de larges cercles d'ouvriers. La littérature populaire et l'indépendance politique de couches comparativement étendues d'ouvriers ont été tenus en mépris, comme phénomènes qui auraient pour effet de vulgariser notre mouvement.
Alors qu'antérieurement le mouvement souffrait d'étroitesse "économique", il doit souffrir maintenant de dilution politique. Le renforcement de l'agitation politique et son élargissement au contenu ont été, naturellement, un très grand pas en avant. Mais, d'abord, par malchance, dans notre agitation politique nous avons commencé à forcer trop sur ce qui unit le prolétariat avec les autres éléments oppositionnels dans la société, et trop peu sur ce qui le distingue comme classe la plus révolutionnaire. Deuxièmement, notre agitation politique a, par malchance, commencé à être séparée de notre agitation sociale et économique. En lisant les proclamations et tracts produits au cours de cette période par le Comité de Kiev, et spécialement ceux produits par le "syndicat révolutionnaire du Sud" d'Odessa, il est souvent difficile de définir, ce qu'il y a en eux de spécifiquement social-démocratique, alors qu'ils pourraient tout juste avoir été produits par des radicaux politiques. Dans ces publications il y a évidemment quelque chose d'important dont il n'est pas donné une expression suffiusante. Cela était dû à cette grande défection où à cette même période les rapports provenaient de différentes parties de la Russie où les ouvriers des cercles de discussion perdaient l'intérêt dans les questions purement socialistes telles que, par exemple, la question de la plus-value, de la journée de travail, etc. On l'avait écrit dans l'Arbeiterstimme, et nous avons des lettres à ce sujet de Saratov et d'autres lieux.
Alors qu'antérieurement notre mouvement a souffert du désordre et de l'amateurisme, dans cette période, par contraste, il fût introduit, et accueilli avec sympathie, un plan d'organisation jacobin conspirateur, qui est essentiellement applicable non pas à un parti de classe du prolétariat, mais pour un parti radical se fondant lui-même sur une variété d'éléments révolutionnaires.
Sans aucun doute, dans la période en question le mouvement social-démocratique fera, tout entier, un très grand pas en avant comparé à celui que nous avons fait avant. Mais le mouvement social-démocratique a été pris aussi inconsciemment dans cette période par la croissance spontanée des forces révolutionnaires en Russie, et ainsi le pamphlet de Lénine reflète plus ou moins l'approche du moment particulier, qui aura besoin de se consacrer non à critiquer mais à construire une théorie et à souligner des perspectives positives.
Par chance, la vie elle-même contribue déjà aux corrections à nos critiques. Le parti Osvobojénié rapidement formé et les forces socialistes révolutionnaires nous ont contraint à rompre les relations avec eux pas seulement théoriquement mais tout autant en pratique. D'un autre côté, la largeur, la vague montante du mouvement révolutionnaire des masses de la classe ouvrière nous force une fois encore à essayer de renforcer nos liens avec ces masses. Et je dois admettre que l'Iskra a répondu avec une grande sensibilité à ces revendications de la vie, et que durant l'année passée elle s'est débarassée de plusieurs défections dont elle avait souffert pendant la période de la lutte contre l'économisme. Mais laissez-nous espérer que ce processus sera pris en charge de façon consistance jusqu'à la fin et qu'il sera consolidé dans une voie de principe.
Notre mouvemenbt a finalement émergé de son enfance. Il commence à se débarasser de ses mauvais côtés et de la tendance à faire des sauts. Pour cette raison je considère que notre programme de principe, aussi, ne devrait pas seulement mais peut être rendu libres des traces des extrêmismes passés. Il doit nous fournir une fondation durable pour toutes nos futures tactiques, et aussi qu'il doit être formulé aussi objectivement que les programmes des partis social-démocratiques d'Europe avancée.

Martov : Je suis stupéfié que toutes les considérations mises en avant par le camarade Martynov ne débouchent que sur rien de plus qu'une proposition d'insérer le mot "conscience" et de remplacer le mot "exploiteurs" par "exploitation". Je ne vois pas le lien entre un passage du livre de Lénine et l'absence du terme "conscience". Je n'ai rien contre le fait d'insérer ce mot. L'argument du camarade Martynov contre la phrase de Lénine est basé sur la confusion entre deux questions, qui sont situées à des niveaux différents. Les citations fournies par le camarade Martynov nous montrent qu'il en est ainsi. Par exemple, que dit Marx dans Le dix-huit Brumaire ? Il définit le rapport entre l'idéologie d'une classe particulière et la classe elle-même. Mais Marx ne dit rien sur le processus qui culmine dans l'élaboration par la classe ouvrière de cette conception du monde qui exprime les conditions de l'existence historique de la classe ouvrière.

Gorin : Nous connaissons deux sérieuses conceptions du processus historique : le matérialisme et l'idéalisme. Une combinaison des deux, sous forme éclectique, doit être considérée comme vulgaire. Nous devons aussi considérer comme vulgaire à la fois l'idéalisme et le matérialisme eux-mêmes considérés à l'état brut, de simples significations. Parmi nous, l'idéalisme vulgaire est représenté par la doctrine des Socialistes-Révolutionnaires, et le matérialisme vulgaire par l'économisme. Selon cette dernière conception, aucune idée, aucun individu, aucune conscience ne possède de signification. Le groupe Rabotcheye Dielo constitue un quatrième type - éclectique, mais approximativement proche de l'économisme. Le camarade Martynov - expérimenté dans les discussions sur l'économisme - se déclare hostile à cette conception, mais il ne fait que donner quelque chose comme une expression plus élégante de ce quatrième type. Je ne vais pas essayer de trouver pourquoi il a dû citer Marx, Engels, Kautsky et d'autres, sans cesse, en plusieurs langues (parmi lesquelles je crains qu'il n'ait pas relevé l'espagnol), quoique, voyez-vous, le facteur des idées ait été négligé. Ce ne sont que les termes économiques qui ont été utilisés : "exploiteurs", "exploitation", et il n'y avait pas de termes concernant quelque chose de différent. Pour boucher le trou, le camarade Martynov propose le mot "conscience". Alors il va pour le camarade Lénine sur le terrain où ce dernier attribue l'origine spontanée de l'idéologie indépendante du prolétariat. Il voit comme fausse la proposition du camarade Lénine selon laquelle l'élément conscient n'est introduit que par les intellectuels, et démontre qu'au contraire, les théories des intellectuels sont élaborées sous l'influence du prolétariat. Par conséquent il cherche à montrer que ces théories sont spontanées à l'origine. C'est un fait actuel, la question est simplement que ces théories ne tombent pas du ciel mais représentent une certaine induction d'un processus objectif. Je ne suis pas en train de dire ici comment je considère correcte la proposition du camarade Lénine. Cette question est trop complexe et a été trop peu analysée. Mais, en général, je pense que le vrai déroulement du processus a été défini. Le camarade Martynov lui-même ne soutient pas cette vision concernant l'indépendance du prolétariat, et il dit que le prolétariat, laissé à lui-même, tombe sous l'influence de la bourgeoisie. Par conséquent il masque involontairement que le prolétariat est incapable, sans influence des intellectuels, de s'élever au-dessus d'une opposition purement instinctive.

Lieber : Camarades, je suggère que le but de la question à l'ordre du jour ne consiste pas en quelques modifications du projet de programme mais appelle aussi quelques explications. Nous ne sommes pas tous suffisamment compétents pour élaborer un programme, mais touts nous avons, naturellement besoin d'avoir une conception claire et uniforme de ce que chaque point du programme signifie. C'est par une requête en faveur d'une telle explication que je m'adresse à vous. Dans le 3ème paragraphe de la 3ème page il est affirmé que "les social-démocrates des différents pays doivent assumer différentes tâches immédiate, à la fois parce que ce mode de production (capitaliste) ne s'est pas développé partout au même degré et parce que son développement dans les différents pays est en train de mûrir sous une variété de circonstances socio-politiques". Voici la question, est-ce que la situation sociale et politique est la même dans toutes les parties d'un pays, par exemple la Russie, où une partie, la Pologne nommément, a développé par le passé une voie différente, et aussi, est-ce que cette question peut être appliquée uniformément à tout le pays ? Plus loin, dans le même paragraphe, où il est mentionné les survivances des systèmes pré-capitalistes, de telles survivances comme vestiges du servage sont citées. Mais, par exemple, le prolétariat Juif doit combattre contre les survivances du système intermédiaire, etc. Ces survivances marquent d'une empreinte aigüe toute la lutte du prolétariat Juif. Ici aussi peut se poser la question, est-ce que la description générale de la Russie qui est donnée dans le paragraphe peut être prise comme applicable à toutes les parties du pays ? C'est la question à laquelle j'aimerais avoir une réponse.

Lyadov : Je prends la parole en réponse au camarade Lieber. Il demande une explication sur le point du programme qui parle de la nécessité d'une organisation spéciale de social-démocrates dans chaque pays différent. Je considère, en accord avec ce point, que le prolétariat Juif a le droit d'avoir une organisation indépendante, d'autant que les rapports mutuels entre les classes parmi les Juifs sont tout à fait différents de ce qu'ils sont dans le reste de la Russie. Je pense que nous ne pouvons pas être d'accord avec le camarade Lieber. Le système polituqe Russe est l'expression de tout le complexe de conditions économiques dans les différentes parties de la Russie. L'interrelation entre les classes parmi les Juifs est un des détails qui complète toute la physionomie de classe en Russie. Je pense que le prolétariat vivant partout en Russie souffre de la même manière des survivances des rapports pré-capitalistes, qui sont défendus par un et le même gouvernement. Tout le prolétariat a un ennemi commun, et ainsi la lutte contre cet ennemi doit être animée comme une lutte commune. Comme pour la prétendue lutte spéciale du prolétariat Juif contre une prétendue forme spéciale d'exploitation, je dois dire que littéralement cette même forme d'exploitation existe partout où nous trouvons la forme domestique d'industrie, le mode de production basé sur le travail manuel. La forme spéciale d'exploitation qui, selon le camarade Lieber, serait une particularité affectant seulement le prolétariat Juif, existe littéralement sous une forme identique dans les aires de Moscou, Vladimir et Pavlovo.

Après cela, le congrès procède à l'élection d'une commission de discussion du programme. Sont élus à cette commission :Plekhanov, Lénine, Akselrod, Starovern, Yudin, Martynov et Yegorov.

La session est close.

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NEUVIEME SESSION

(Présents : 42 délégués avec voix décisive et
8 personnes avec voix consultative)

Après avoir lu et approuvées les minutes de la quatrième session, le congrès continue sa discussion générale sur le programme.

Gorin : Je n'ai pas l'intention de critiquer le projet de programme qui nous a été présenté. Il donne une bonne formulation aux principes de la Social-Démocratie. Mais j'ai relevé des inexactitudes. Il est souhaitable que notre programme puisse se distinguer pas seulement par sa consistance de principe mais aussi par une rédaction valable, afin aussi pour ne pas prêter le flanc à la critique de légèreté. Dans le troisième paragraphe, je suggère que, au lieu des mots : "Sur la base des rapports de production capitalistes", nous mettions : "Sur la base de la prédominance des rapports de production capitalistes". Cette formulation sera plus appropriée comme description de la société bourgeoise d'aujourd'hui, dans laquelle la petite production a été maintenue. Dans le quatrième paragraphe, après les mots : "entreprises à grande échelle", j'aimerais ajouter : "et la croissance simultanée en quantité du capital social, qui rétrécit continuellement la sphère dans laquelle ce dernier peut être investi". "Le poids économique des grandes entreprises", pris en lui-même, est une cause nécessaire mais pas suffisante pour l'élimination des petits producteurs. Cela se produit de fait alors que la croissance simultanée de capital contraint les sphères où ce capital a été investi antérieurement, le forçant à envahir ces sphères qui sont occupées par la production à petite échelle.
Au quatrième paragraphe j'aimerais ajouter à la fin : "aux côtés de la la tendance directe vers ce qui cause la baisse constante des moyens de reproduction de la marchandise du force-de-travaiL". Après tout, la croissance du niveau d'exploitation dépend d'abord et avant tout de l'appauvrissement des moyens de subsistance des ouvriers.
En plus de cela, allant dans la même direction, il y a l'influence produite par la chute de la demande de force de travail, par rapport aux marchandises. Je suis d'accord avec la loi sur le relatif déclin de la demande de force de travail, reconnue dans ce paragraphe, pour autant que cela implique la croissance de l'armée industrielle de réserve comparée à "l'armée des champs", et pour autant que cette croissance est dépendante du fait que la force de travail comme telle est recrutée au moment de la production absolue, c'est à dire, quand les forces productives de la société sont tendues à l'extrême, et puis qu'une partie de cette force est mise en réserve quand la production chute au niveau déterminé par la demande sociale. Je propose de remettre mes amendements à la commission spéciale.

Martynov : Les camarades Martov et Gorin m'ont répondu. Le camarade Martov soutient la proposition que j'ai critiquée et le camarade Gorin a critiqué les propositions que j'ai mises en avant. Laissez-moi commencer par les objections du camarade Martov à ce que j'ai dit. D'abord, il déclare que j'ai volontairement interprété le passage du programme que j'ai cité dans le sens de la thèse proposée par le camarade Lénine dans le pamphlet Que Faire? IL dit que l'expression citée par moi devrait être comprise dans le sens large de lutte de classe du prolétariat, et pas dans le seul sens de la lutte syndicale, spécialement d'autant que, dans le programme, le mécontentement contre l'ordre existant est même attribué à l'ensemble du peuple travailleur. Je répondrai à cela. En premier lieu, l'insatisfaction de la petite bourgeoisie avec l'ordre existant peut n'avoir rien en commun avec la conscience de classe du prolétariat. En second lieu, mon interprétation n'est pas soutenue que part le passage que j'ai cité mais aussi par quelques autres passages dans le programme, sur lesquels je ne reviendrai pas maintenant.
Puis, le camarade Martov essaya de défendre la thèse du camarade Lénine. Il a essayé de se servir du passage que j'ai cité du dix-huit Brumaire dans l'esprit du camarade Lénine. IL a montré, sur la base des mots de Marx, que les intellectuels d'une classe particulière, peuvent, de par leur origine sociale, appartenir à une classe différente. Je ne discute pas cela, naturellement. Mais pourquoi le camarade Martov ne nous explique-t-il pas maintenant, si on prend la vision du camarade Lénine, qu'il est possible d'être d'accord avec la seconde partie de la phrase de Marx : "une classe sociale est conduite pratiquement aux mêmes conclusions que celles auxquelles les intellectuels sont conduit théoriquement"?
Puis le camarade Martov nous a dit que dans le pampphlet du camarade Lénine la question est considérée sur un plan différent de celui du programme. Chez ce dernier ce qui est expliqué est la tendance de la classe ouvrière, dans la forme interne du processus par lequel cette tendance est élaborée. Reconnaître que la classe ouvrière a une tendance inévitable vers le socialisme ne signifie pas dénier que cette tendance se réalise à travers l'influence de l'intelligentsia sur les masses de la classe ouvrière. Je suis d'accord avec çà. Mais je clame que le camarade Lénine décrit faussement le processus par lequel la tendance de la classe ouvrière vers le socialisme est élaborée. Afin de défendre la théorie du camarade Lénine, la camarade Martov doit d'abord la corriger. Il dit : dans les masses du prolétariat existent des tendances contradictoires vers le socialisme et vers l'idéologie bourgeoise, et l'intelligentsia bourgeoise effectue un choix artificiel entre ces tendances. J'affirme que même sous cette forme corrigée la thèse de Lénine est fausse. Dans le mouvement ouvrier en général il n'y a pas de tendance à l'idéologie bourgeoise. Il supporte l'empreinte bourgeoise pour autant qu'il ne s'est pas libéré de l'atmosphère bourgeoise dans laquelle il a grandi et s'est développé. Le camarade Lénine assure que le mouvement spontané de la classe ouvrière n'est pas celui qui rompt avec l'idéologie bourgeoise mais celui qui se soumet à l'idéologie bourgeoise.

Plekhanov : Je veux attirer l'attention de tous et du camarade Martynov en particulier, sur le fait qu'il a transposé l'argument sur un terrain sur lequel il est inefficace d'argumenter, un terrain sur lequel la controverse ne justifie pas l'effort improductif dépensé. L'observation qu'il a dirigée contre le programme vise une phrase de l'une des oeuvres de l'un des rédacteurs du projet de programme. Même si nous admettions que la phrase était malheureuse, cela ne ferait que démontrer que toutes nos autres idées sont excellentes. La méthode du camarade Martynov me rappelle la phrase d'un censeur qui déclarait : "Donnez-moi le Notre Père, permettez-moi d'en extraire une seule phrase et je vous prouve qu'il faudrait en pendre l'auteur." Tous les reproches dirigés contre cette phrase malencontreuse, et pas par le seul camarade Martynov mais par beaucoup d'autres, reposent sur une incompréhension. Le camarade Martynov cite les mots d'Engels : "Le socialisme scientifique est l'expression théorique du mouvement prolétarien." Le camarade Lénine lui aussi est d'accord avec Engels et s'il n'était pas d'accord avec lui, alors il faudrait effectivement le pendre. Mais les mots d'Engels ne formulent qu'une thèse générale. La question qui se pose est de savoir qui le premier en formule une traduction théorique ? Lénine n'a pas écrit un traité de philosophie de l'histoire mais un article polémique contre les "économistes" qui disaient : "Nous devons attendre de voir où la classe ouvrière arrivera par elle-même sans l'aide du "bacille révolutionnaire". Ce dernier se voyait interdire d'adresser le moindre mot aux travailleurs puisu'il est un "bacille révolutionnaire" et qu'il possède la conscience théorique. Mais si vous écartez le "bacille" il ne reste plus qu'une masse privée de conscience et à laquelle la conscience doit être apportée de l'extérieur. Si vous aviez voulu être justes avec Lénine et si vous aviez lu son ouvrage en entier vous auriez vu que c'est précisément ce qu'il dit. Ainsi, parlant de la lutte syndicale, il développe cette même idée qu'une large conscience socialiste ne peut être introduite que de l'extérieur des limites de la lutte directe pour l'amélioration des conditions de vente de la force de travail.

Akimov : Je remets à la commission quelques corrections du projet de programme, et ce que je veux faire maintenant c'est expliquer les considérations générales qui m'ont guidées pour les mettre chacune en avant.
Je suis pleinement d'accord avec le camarade Martynov que la question dans le projet à propos de laquelle il a parlé reflète tout à fait les visions distinctes de Lénine sur l'idéologie anti-socialiste du prolétariat comme telle, et les conclusions qu'il en tire.
Je considère comme érronée la vision du camarade Plekhanov que la référence au petit livre de Lénine n'était pas fondée. On ne peut pas, a-t-il dit, critiquer un programme sur la base d'une phrase dans un livre par un des rédacteurs du programme. La phrase du camarade Lénine que Martynov a critiqué n'est pas une phrase isolée, elle expose l'idée fondamentale de Que Faire? , et cette idée, il me semble, trouve son expression dans le projet de programme. C'est une idée qui ne coïncide pas du tout avec ce que Plekhanov a écrit dans ses commentaires. Et je suis sûr que Plekhanov n'est pas d'accord avec Lénine. (Rires) Et je pense que le camarade Lénine lui-même ne refusera pas de confirmer c'est sa vision , et non pas un passage isolé, une phrase accidentelle. Voici, par exemple, un autre extrait du pamphlet Que Faire ? Notez cette affirmation que la théorie du socialisme scientifique "apparait tout à fait indépendamment du mouvement de la classe ouvrière". Non, naturellement, ce ne sont pas les grévistes qui ont élaboré la théorie du socialisme scientifique. (Rires)
Je ne suis pas d'accord avec le camarade Martynov qu'une ou deux corrections sont nécessaires dans le paragraphe du projet qui est mentionné. Il me semble qu'une idée fausse parcourt de façon consistance et concentrée la section des "principes" du projet, du début à la fin. Les conditions historiques sous lesquelles ce programme est apparu ont profondément marqué le document. C'était une période de puissante poussée du radicalisme politique dans toutes les régions de la société russe. Cela se reflétait dans le fait que les formes spécifiquement prolétariennes de la lutte poussaient de façon souterraine, le rôle d'autres couches de la population opprimée était surestimée dans notre parti, et les vraies méthodes de la lutte portèrent au devant non pas la classe elle-même mais son organisation, le parti, dans lequel, en conséquence, les traits de classe du parti et le caractère de masse de son activité étaient masqués et cachés.
Dans une discussion générale je ne peux pas mentionner toutes les corrections que j'ai l'intention de suggérer. J'en évoquerai quelques-unes, en les commentant à la lumière de ce que j'ai dit.
Le projet se demande si a lieu ou pas une aggravation absolue de la position de la classe ouvrière au fur et à mesure que le capitalisme se développe. Cette question est liée avec la question des méthodes de travail du parti. Dans les écrits de l'Europe de l'Ouest il a été dit que la "théorie de la paupérisation" allait à contre-courant des méthodes existantes d'agitation. Notre programme devrait donner une réponse tout à fait définitive à cette question, et par conséquent fournir au parti un principe d'orientation dans sa conduite de la lutte politique et économique du prolétariat. Dans le projet cette question est traitée évasivement, et, fondamentalement, dans le sens que le combat pour améliorer la position du prolétariat est une question d'intérêt secondaire pour le Parti et n'a d'intérêt que pour alimenter la conjoncture dans laquelle elle opére. Ainsi, dans ce point du programme apparait une tendance à séparer notre Parti et ses intérêts du prolétariat et des intérêts du prolétariat.
Cela apparait encore plus clairement dans le paragrap^he sur les tâches du Parti. Ici les concepts "Parti" et "prolétariat" sont complètement séparaés et opposés, le premier étant présenté comme un personnage collectif actif te le second comme un milieu passif sur lequel le Parti exerce son influence, parce que dans les propositions du projet le nom "Parti" apparait toujours comme le sujet et le nom "prolétariat" comme l'objet. (Rires)
De la même manière, le paragraphe sur la conquête du pouvoir politique a été formulé dans le même sens, comparé avace les programmes de tous les autres partis social-démocrates, comme ce peut être interprété, et comme cela est interprété actuellement par Plekhanov, pour signifier que le rôle l'organisation dirigeante est de reléguer à l'arrière la classe, conduisant à séparer la première de la dernière. Par conséquent, la formulation de nos tâches politiques est exactement la même que celle de la Narodnaya Volya.
Le point sur la couche non-prolétarienne de la population, s'il devait être effectif, transformerait notre Parti non en Parti du prolétariat mais en parti de toutes les couches opprimées et exploitées, c'est à dire, un parti qui ne serait ni révolutionnaire ni socialiste.
Par conséquent, toutes mes corrections ont pour but de remanier le véritable esprit du programme. Plusieurs d'entre elles sont sans importance si on les prend isolément, mais prises ensemble, si elles sont adoptées, apporteront de substantiels changements.

Martov : Je suis tout à fait incapable de comprendre où Akimov pourrait avoir perçu dans notre programme une tendance à minimiser l'importance du mouvement ouvrier. Est-ce que ce projet n'a pas été blâmé, au contraire, pour traiter trop peu dans sa section théorique des tâches détaillées pour le moment politique particulier en Russie, s'occupant principalement des tâches générales du mouvement mondial du prolétariat ? C'est une notion bizarre que de voir dans les affirmations des autres sections concernant le peuple travailleur une tendance à tirer dans le sens des Socialistes-Révolutionnaires. Ces derniers ont dit, au contraire, qu'ils accepteraient bien cet article de notre programme si, au lieu de : "le point de vue du prolétariat", nous avions écrit : "le point de vue du socialisme". Le caractère de classe du parti s'exprime assez clairement ici. Les mots "de la classe ouvrière" sont simplement utilisés afin d'empêcher la répétition du mot "prolétariat" deux fois dans la même phrase. Je ne sais pas ce qu'Akimov veut dire quand il dit que le programme reflète une attitude méprisante vis à vis de la lutte économique des ouvriers. Est-ce parce qu'il souhaite qu'au lieu de parler de la lutte pour le but économique commun de tout le mouvement ouvrier, la révolution sociale, nous parlions des tâches partiellesdes différents groupes du prolétariat ? Le passage qui a trait avec la soi-disante "théorie de la paupérisation" affirme les limites dans lesquelles il est concevable d'améliorer la position de la classe ouvrière sous le système capitaliste. Il montre que la tâche de cette lutte pour l'amélioration matérielle immédiate est de contrer les tendances à la dégradation du développement capitaliste, et la section du programme qui énumère les réformes d'usine fournit la meilleure réponse au reproche que nous ignorerions la lutte pour les améliorations immédiates.
Où Akimov a-t-il trouvé cette évidence que nous placerions des espoirs excessifs dans d'autres mouvements sociaux ? Ceux-ci ne sont mentionnés qu'à la fin du projet, où il est dit que nous devons soutenir tout mouvement oppositionnel et révolutionnaire contre la domination tsariste. Est-ce que le camarade Akimov est opposé à cela, peut-être ? S'il pense que l'Iskra a renoncé maintenant à la tâche d'agitation parmi toutes les couches de la population, alors il se trompe. Nous espérons, au contraire, que, avec le rétablissement du Parti, nous serons capable d'élargir la sphère de son influence ; et je ne désespére pas que les temps viendront où le camarade Akimov lui-même sera affecté par le Parti à la prise en charge de la propagande parmi ces fameux "maréchaux de la noblesse" au compte desquels l'Iskra était sujette à un reproche particulier.

Karsky : J'échoue complètement à comprendre comment le prolétariat par lui-même, la classe ouvrière dans sa lutte au jour le jour, dans la lutte pour ses intérêts immédiats, pourrait avoir réussi à créer le système philosophique harmonieux du socialisme scientifique, embrassant toute une philosophie du développement social. J'échoue complètement à comprendre comment une telle tâche pourrait être accopli par une section de la société dont le champ de vision est limité, enfermée dans certaines bornes, et n'embrassant pas toute la variété du phénomène social. C'est la position de la masse de la classe ouvrière, qui ne peut, par ses propres forces, sur la base de la familiarité avec sa propre position, créer la théorie du socialisme scientifique. Cette théorie ne pouvait être créée, à un certain stade du développement du capitalisme, que par un génie qui avait étudié et élucidé pour lui-même les lois gouvernant ce développement. Une telle révolution dans la philosophie sociale ne pouvait être accomplie que par quelqu'un qui partait du point de vue du prolétariat et qui au même moment était capable de construire son édifice sur une étude historique des conditions du capitalisme moderne. Dans ce sens, naturellement, la théorie du socialisme a été apportée à la classe ouvrière de l'extérieur. Et il est étrange d'entendre objecter contre cette vision. Mais il apparait que ceux qui sont en désaccord avec nous sont sous l'influence d'une certaine idée concernant "la spontanéité" et "les étapes". Naturellement, quiconque défend "la spontanéité" défend aussi l'idée d'élaboration spontanée de la théorie du socialisme, et vice versa.
Nous trouvons toujours une autre question en lien avec celle-ci, nommément, l'opposition du Parti à la classe ouvrière. Le camarade Akimov considère que le Parti ne doit pas se placer en avant de la classe ouvrière. Cette façon de poser la question me semble à la fois incorrecte et hors de propos. Hors de la classe ouvrière émerge une force consciente, militante, le Parti, qui est le porteur et le promoteur des idéaux socialistes et, comme tel, le Parti ne peut que se tenir plus haut que "la classe ouvrière", puisque la partie consciente de cette classe est le leader de la partie inconsciente ou consciente de façon inadéquate.
Je considère l'objection du camarade Akimov sur le troisième point, concernant la "théorie de la paupérisation" comme extrêmement significative. Cette théorie doit occuper une position centrale dans notre conception du monde socialiste.

Martynov : Le camarade Karsky dit que mon idée de la relation entre la classe ouvrière et l'idéologie socialiste était que la classe ouvrière par elle-même parviendrait à la théorie du socialisme scientifique. Je n'ai jamais rien dit de la sorte. J'ai seulement dit que différentes couches du prolétariat ont oeuvré indépendamment aux formes de la lutte de classe économique et politique et transformé les idées du socialisme bourgeois en idées communistes. Ce travail a été accompli, naturellement, pas par les ouvriers, mais par Marx et Engels et a consisté dans la transformation des théories philosophiques et sociales du passé dans la théorie du socialisme scientifique. Mais Marx et Engels ont été capables d'accomplir ce travail théorique seulement après avoir rompu avec le radicalisme et adopté le point de vue du prolétariat - en d'autres termes, en rejoignant le mouvement de cette classe.
Jusqu'à ce point nous sommes d'accord avec les vues du camarades Akimov. Mais nous en tirons des conclusions différentes. Je ne déni ni la théorie de la paupérisation ni la dictature du prolétariat. Je pense qu'on doit insister là-dessus. Plus loin, en faisant référence à moi, le camarade Akimov dit que la période qui a suivi la période de l'économisme a été marquée par une insuffisance majeure, à savoir le radicalisme politique. Nous ne sommes pas du tout dans le même esprit dans la façon dont nous voyons cette période. Le mouvement, il me semble, a fait alors un pas en avant, et l'a fait précisément parce qu'il a assumé une forme politique. Mais au même moment de grandes brêches sont apparues dans le mouvement : l'agitation politique était, en pratique, pauvrement reliée au socialisme ; trop d'insistance sur ce qui unissait nos uintérêts politiques avec ceux de l'opposition bourgeoise, et et peu sur ce qui nous distinguait d'elle.

Lange : propose que le programme soit voté "en bloc" et sa rédaction finale confiée à une commission.

Trotsky : propose que la liste des orateurs soit close.

Akimov : s'oppose catégoriquement à l'idée que le programme soit voté "en bloc".Si cela était fait le programme serait privé de toute signification. Il serait probable que chacun des délégués trouverait quelque point dans le projet de programme avec lequel ils ne seraient pas d'accord. En votant pour le programme comme un tout ils considèreraient que ce point particulier ne les engage pas.

Martov : se fait l'avocat du vote du programme en bloc après que des corrections aient été faites et qu'il ait été procédé au vote point par point.

Akimov : s'oppose à la fermeture de la liste des orateurs sur une question aussi importante que celle du programme.

Martov : ne voit aucun inconvénient à clore la liste des inscrits. Quand le programme reviendra de la commission la discussion recommencera, point par point.

Martynov : demande, en tant que rapporteur, à être autorisé à conclure son discours.

Martov : Le rapport du camarade Martynov traite seulement d'un amendement, et maintenant, alors que nous tenons une discussion générale, un discours de conclusion de sa part serait une plaisanterie. Il vaut mieux laisser le rapporteur faire son discours de conclusion à la fin du débat sur le programme.

Martynov : le discours de conclusion ne dépend pas du contenu du rapport, et les ordres du jour du congrès ne le limitent pas.

Bouckère : est contre la fermeture de la liste des inscrits. Lénine et Plekhanov sont sur la liste, et des délégués voudront probablement répondre à ce qu'ils diront.

Trotsky : je n'ai pas voulu parler d'une fermeture complète du débat. Lorsque le programme reviendra de la commission, le débat sera résumé, mais il aura alors un caractère plus planifié.

La proposition de Trotsky est adoptée et celle de Lange rejetée.

Plekhanov : La position du camarade Akimov sur la théorie de la paupérisation doit conduire logiquement et inévitablement à l'opportunisme. Selon la position du camarade Akimov, si je l'ai correctement compris (interruption d'Akimov : c'est çà, tu ne m'as pas compris"), la position de la classe ouvrière dans la société bourgeoise ne doit ni s'aggraver absolument ni s'aggraver relativement. Le camarade Akimov considère que même dans la société actuelle il est possible d'améliorer la position matérielle de tout le prolétariat, et que ces améliorations graduelles des conditions d'existence matérielle de la classe ouvrière pourraient conduire au socialisme.
De ces affirmations du camarade Akimov il s'ensuit logiquement le rejet de la "dépendance croissante du travail salarié au capital", de la "croissance du niveau d'exploitation". De tout ceci il découle logiquement le rejet de la croissance de l'inégalité sociale, de l'insécurité de l'existence, du chômage, etc. Actuellement, si le capitalisme moderne, l'existence de l'institution de la propriété privée, ne conduit pas à une détérioration relative, ou même absolue de la position des masses ouvrières, s'il ne conduit pas, d'un côté à la concentration du capital en plusieurs mains, et, de l'autre, à la prolétarisation des masses à une échelle toujours plus large, alors nous devons demander pourquoi un esprit de mécontentement, une humeur révolutionnaire, pourraient grandir dans la classe ouvrière, pourquoi la contradiction entre les classes devrait s'intensifier? Rejeter la théorie de la paupériation équivaut à accepter la théorie de l'opportunisme. Les économistes bourgeois écrivant dans l'esprit de Bastiat, tel que Giffen ou Leroy-Beaulieu et leurs élèves dans la lutte contre le socialisme révolutionnaire, argumentent d'abord et avant tout, dans le même sens que le camarade Akimov, c'est à dire, ils rejettent la théorie de la paupérisation dans la position des masses ouvrières, etc. Les écrivains bourgeois ont correctement compris l'importance de leur théorie. De l'autre côté, rejeter cette théorie a conduit Bernstein et ses partisants au Bernsteinisme et au Jauréisme, c'est à dire, à l'opportunisme. Vraiment, si la position de la classe ouvrière s'améliore graduellement, si une telle amélioration est du possible pour des masses de plus en plus étendues, alors, naturellement, les socialistes réformistes ont toutes les chances et tous les droits d'apparaitre comme de vrais porte-paroles et défenseurs des intérêts du prolétariat, et la social-démocratie révolutionnaire doit ranger sa tribune sous la bannière de l'opportunisme. Mais non, camarade Akimov, nous n'allons pas nous ranger sous cette bannière, la détérioration qui se développe constamment, à la fois relative et absolue, de la position des masses toujours plus larges du prolétariat, nous oblige à nous rallier sous la bannière de la social-démocratie révolutionnaire. Nous nous tenons et continuerons à nous tenir sous cette bannière.

Gorin : L'économisme comme tel a disparu de la scène. Mais il subsiste une tendance qui pourrait être appelée un rapport fédéraliste à l'économisme. Cette tendance est incapable de comprendre notre point de vue. Ses partisans ont compris l'affirmation qui a été faite que la social-démocratie s'élève indépendamment du mouvement de la classe ouvrière comme une assertion que nous aurions faite dans un sens métaphysique absolu, et par conséquent ils nous blâment. Ce que nous avons dit est lié à un fait, et n'exprime pas une quelconque philosophie sociale ou conception de l'histoire. Nous avons simplement dit que la social-démocratie russe était d'abord avant tout purement une doctrine importée, qui a antidaté la montée du mouvement ouvrier en Russie. Mais la social-démocratie russe n'est pas tombée du ciel. S'étant élevée comme doctrine populiste auprès d'autres doctrines révolutionnaires russes, elle a assumée sa forme social-démocrate sous la pression du mouvement ouvrier occidental et du socialisme scientifique occidental., et ce n'est que plus tard que la social-démocratie russe s'est rattachée pratiquement avec le mouvement ouvrier russe.
Il est important de se dissocier de la forme vulgaire de matérialisme qui fait dépendre de l'idéologie des révolutionnaires de circonstances externes comme signifiant leur dépendance à l'idéologie spontanée du prolétariat. Si ce ne sont pas des révolutionnaires vulgaires que nous avons à l'esprit, leur idéologie a été élaborée selon d'autres modèles. Je m'explique. L'homme moyen peut être assimilé à une personne à courte vue qui ne voit qu'un cercle étroit autour d'elle et juge le reste de l'espace par analogie avec son petit milieu environnant. Un homme doté d'un esprit exceptionnel à une longue vue, et voit toute chose dans l'espace plus ou moins également clairement. C'est pourquoi les hommes de génie peuvent rompre avec l'idéologie de leur propre classe et se placer du point de vue humain-universel, simplemnt influencés par les faits objectifs et les découvertes de la science. Les vrais intellectuels du prolétariat occupent une position médiane entre de tels hommes exceptionnels et la masse de l'humanité. Ils sont à une échelle considérable objectifs, mais éventuellement ce à quoi ils oeuvrent est une idéologie prolétarienne, pour autant que comme tels, à un certain niveau, ils se rapprochent économiquement du prolétariat. Le prolétariat "en masse" n'est pas capable de faire cela. Quelle serait la situation si le prolétariat était livré à lui-même ? Ce serait comme dans la situation qui existait à l'ère de la révolution bourgeoise. Les révolutionnaires bourgeois ne possédaient de théorie scientifique. Et cependant, le système bourgeois est apparu. Même sans intellectuels le prolétariat travaillerait, évidemment, pour la révolution sociale, mais seulement dans un sens instinctif.
Les entreprises à grande échelle se développent. Dans son combat pour surmonter les crises la bourgeoisie de toutes les branches fusionne en un simple syndicat, avec le monopole des prix pour les marchandises produites. L'échange et les rapports marchands entre capitalistes disparaissent. D'un autre côté, le syndicat des capitalistes confronte le syndicat de tous les ouvriers. La proportion entre les salaires et la plus value s'étend toujours et encore. La force de travail cesse d'être une marchandise. On comprend que le syndicat des capitalistes peut être remplacés par le syndicat des ouvriers. Le prolétariat pourrait rendre effectif le socialisme instinctivement, mais il n'aurait aucune théorie du socialisme. Le processus serait lent et plus douloureux que lorsqu'il est épaulé par les intellectuels révolutionnaires qui mettent en avant un but défini et prévoient ce vers quoi nous allons.

Lieber : Je suis aussi en désaccord avec l'idée exprimée par le camarade Lénine qui a été discutée ici. Je considère que, parmi les facteurs objectifs sous l'influence de quoi l'idéologie de l'intelligentsia social-démocrate - composée de personnes d'origine bourgeoise - est formée, le camarade Lénine sousestime l'influence de la psychologie prolétarienne. Mais comme je ne peut pas trouver trace de l'influence du camarade Lénine dans le projet qui nous a été présenté, je ne vais pas poursuivre sur ce sujet.
J'en viens à considérer deux endroits dans le projet où, il me semble, la ligne de démarcation n'est pas assez bien tracée entre notre point de vue sur le prolétariat et celui des "Socialistes-Révolutionnaires". Dans un passag il est dit que les social-démocrates doivent révéler au prolétariat "la contradiction entre les intérêts des exploiteurs et ceux des exploités". Dans la société capitaliste ce n'est pas que le prolétariat qui est exploité : ce qui distingue le prolétariat des autres couches exploitées c'est le caractère spécifique de l'exploitation dont il est le sujet. De plus, à la fin du même paragraphe il est dit : "Le Parti de la classe ouvrière, le parti social-démocrate, appellent dans ses rangs toutes les sections de la population ouvrière et exploitée, pour autant qu'elle se situe du point de vue du prolétariat". IL me semble que cette thèse peut donner lieu à des incompréhensions. Est-ce que des parties non-prolétariennes de la population, comme toutes les parties, peuvent actuellement aller vers le point de vue du prolétariat ? Je pense qu'elles ne pourront jamais. Naturellement, dans son combat pour son programme minimum le mouvement social-démocrate peut attirer la sympathie d'autres parties de la population, qui voient en lui le défenseur le plus résolu de la démocratie ; mais ce n'est que le prolétariat qui peut et veut combattre pour le programme maximum, pour le socialisme, et ce ne sont que des individus isolés des autres parties qui peuvent résolument venir sur le point de vue du prolétariat.

Lénine : D'abord, je tiens à mentionner la façon extrêmement caractéristique avec laquelle le camarade Lieber confond un maréchal de la noblesse avec une partie du peuple travailleur et exploité. Cette confusion a été marquée dans tous les débats. Des épisodes isolés de notre controverse sont partout confondus les règles de nos principes de base. On ne peut écarter, comme le fait le camarade Lieber, la possibilité qu'une section (une ou l'autre) de la population travailleuse et exploitée vienne aux côtés du prolétariat. Il faut te rappeler qu'en 1852, concernant la révolte des paysans français, Marx écrivit (dans Le Dix-huit Brumaire) que la paysannerie agit parfois comme représentante du passé et quelquefois comme représentative du futur ; il est possible d'en référer nous seulement au préjudice du paysan, mais aussi à son jugement. Tu devrais aussi te rappeler que Marx disait que les Communards avaient tout à fait raison en déclarant que la cause de la Commune était tout autant la cause de la paysannerie. Je le répète, on ne peut pas douter que, sous certaines conditions, il n'y a pas d'impossibilité pour une section ou une autre du peuple travailleur de venir aux côtés du prolétariat. Ce qui importe est de définir correctement quelles en sont les conditions. Et la condition qui nous concerne est tout à fait précisément exprimée dans ces mots : "rejoindre le point de vue du prolétariat". Ce sont ces mots qui nous démarquent nous social-démocrates de façon déterminée de toutes tendances prétendues socialistes en général et des soi-disant Socialistes-Révolutionnaires en particulier.
J'en viens au passage contesté dans mon pamphlet Que Faire ? qui a sucité ici tant de controverses. Il semble d'ailleurs que toutes ces controverses ont si bien éclairé la question qu'il ne me reste que peu de choses à ajouter. Il est évident qu'on a confondu ici un épisode le la lutte contre l'économisme avec une présentation principielle d'une question théorique majeure, c'est à dire, la formation d'une idéologie. Par conséquent, cet épisode a été présenté d'une façon absolument fausse.
En soutien à cette dernière affirmation je peux en référer, primordialement, aux camarades Akimov et Martynov, qui ont parlé ici. Ils ont clarifié que c'était vraiment un épisode dans la lutte contre l'économisme. Ils ont exprimé des vues qui ont été déjà, et tout à fait honnêtement, décrites comme opportunistes. Ils ont tant fait pour "rejeter" la théorie de la paupérisation, pour "contester" la dictature du prolétariat, et même pour défendre la Erfüllungstheorie, comme l'a appelée le camarade Akimov. Pour parler vrai, je ne sais pas ce que çà signifie. Ce pourrait être ce que le camarade Akimov veut dire par AushËhlungstheorie - la "théorie par le vide" du capitalisme, c'est à dire une des plus populaires notions courantes de la théorie Bernsteinienne. Dans sa défense des vieilles bases de l'économisme, le camarade Akimov met en avant l'argument incroyablement bizarre que le mot "prolétariat" ne figure même pas une fois dans notre programme en tant que sujet. Tout au plus, s'exclame le camarade Akimov, ils laissent apparaître le prolétariat au niveau génitif. Et ainsi il apparait que le sujet est le cas le plus honorable, alors que le génitif prend la seconde place dans l'échelle d'honneur. Il reste à transmettre cette idée - par une commission spéciale, peut-être - au camarade Riazanov, afin qu'il puisse compléter sa première étude du travail sur les lettres de l'alphabet par une seconde, un traité sur les espèces...
En ce qui concerne les références directes à mon pamphlet Que Faire ? il ne m'est pas bien difficile de montrer à quel point elles sont isolées de leur contexte. On dit que Lénine ne mentionne pas les conflits de tendances, mais qu'il affirme catégoriquement que le mouvement de la classe ouvrière "tend" toujours à succomber à l'idéologie bourgeoise. Vraiment ? N'ai-je donc pas dit que le mouvement ouvrier était entrainé vers l'idéologie bourgeoise avec le concours bienveillant des Schulze-Delitzsch et de ses semblables ? Et que veut dire ici "ses semblables"? Personne d'autre que les économistes, personne d'autre que des gens qui affirmaient alors, par exemple, que la démocratie bourgeoise en Russie n'était qu'un fantôme. Aujourd'hui il est facile de bavarder à peu de frais sur le libéralisme et le radicalisme bourgeois quand les exemples sont apparents pour quiconque. Mais était-ce le cas auparavant ?
Lénine, dit-on, ne prend pas aucunement en compte le fait que les ouvriers, aussi, participent à la formation de l'idéologie. Vraiment ? Mais n'ai-je pas répété maintes et maintes fois que le manque d'ouvriers pleinement conscients, de dirigeants ouvriers, d'ouvriers révolutionnaires constituait précisément le plus grand défaut de notre mouvement ? N'ai-je pas dit que la formation de ces ouvriers révolutionnaires devait devenir notre objectif immédiat ? Est-ce qu'il n'est pas fait mention de l'importance du développement du mouvement professionnel et de la création d'une littérature professionnelle spécifique ? N'y a-til pas une lutte acharnée à mener ici conre toute tentative d'abaissser le niveau de conscience des masses, ou des ouvriers moyens ?
Pour conclure. Nous savons tous maintenant que les économistes ont tordu le bâton dans un sens. Pour redresser le bâton il a été nécessaire de le tordre dans l'autre sens, et c'est ce que j'ai fait. Je suis convaincu que le mouvement social-démocrate russe saura toujours redresser vigoureusement un bâton tordu par l'opportunisme sous toutes ses formes, et que notre bâton sera toujours, par conséquent, le plus droit et le plus propre à l'action.

Trotsky : Les idées les plus principielles concernant le projet de programme présenté par l'Iskra et Zarya ont été exprimées par les camarades Martynov et Akimov. Mais en ce qui concerne le premier il a déjà été dit que la portée de son adresse était disproportionnée avec ses conclusions finales. Avec les mots de Shchedrin, il nous a promis un bon carnage, mais, au lieu de cela nous avons mangé un siskin (?). La portée du propos du camarade Akimov était aussi très large, mais malheureusement cela n'était pas en lien avec le projet de programme. Ce n'est que sur un point que le camarade Akimov, d'une façon tout à fait claire et principelle, fait ressortir son opposition au projet en discussion. C'est sur la dictature du prolétariat. Ce qui est faux dans le projet, selon lui, c'est qu'il déplace de façon incorrecte le centre de gravité de la lutte au jour le jour à la dictature révolutionnaire, de la classe au parti... Qu'est-ce que cela signifie ? Le projet en discussion inclut un programme minimum, qui n'est pas plus petit, en termes de réformes demandées, que le programme minimum revendiqué par les autres partis social-démocrates. Mais les révolutionnaires social-démocrates, en combattant pour les réformes, sont les porteurs de leur réforme fondamentale - une réforme de l'esprit du prolétariat, se préparant pour la dictature révolutionnaire. Nous n'insisterons jamais avec assez de vigueur sur l'élément de la dictature prolétarienne, car les réformes elles-mêmes ne sont pas une création politique libre du prolétariat, mais des concessions faites au prolétariat par les classes dominantes, et faites uniquement sous la menace de la révolution sociale. Le camarade Akimov essaie de placer au même niveau le projet en discussion avec la position programmatique des Socialistes-Révolutionnaires. Cette charge peut être retournée contre lui au centuple. Ce sont les Socialistes-Révolutionnaires qui "changent le centre de gravité" de la révolution sociale, qu'ils décrivent comme un "fantastique saut", de la lutte au jour le jour qu'ils conçoivent comme une "ascension planifiée" vers le royaume du socialisme. Je pourrais fournir au camarade Akimov des citations valables pour son information. Il a peur de la dictature du prolétariat comme d'une action de Jacobin. Il oublie que cette dictature ne deviendra possible que lorsque le parti social-démocrate et la classe ouvrière - l'opposition de l'un à l'autre le préoccupe trop - seront devenu si proches qu'ils s'identifieront l'un à l'autre. La dictature du prolétariat ne sera pas une "prise du pouvoir" conspirative mais la règle politique de la classe ouvrière organisée, constituant la majorité de la nation. En rejetant cette dictature le camarade Akimov tombe dans le social-réformisme ordinaire.

Plekhanov : Le camarade Lieber se demandait s'il est possible pour toute couche sociale de se joindre en tant que telle aux côtés du prolétariat. Il mettait cela en avant comme une objection à ce que souligne notre programme. Mais le programme ne traite pas de cette question. Il en parle au conditionnel : nous, le Parti du prolétariat, invitons dans nos rangs toute autre couche de la population travailleuse pour autant qu'ils viennent sur notre point de vue. Le camarade Lieber pense que nous nous exprimons là avec une insuffisante précision. Mais le Manifeste Communiste dit la même chose : tout autre couche ne devient révolutionnaire que pour autant qu'elle rejoint le point de vue du prolétariat. Le camarade Lieber voudrait être plus orthodoxe que Marx lui-même. Cela arrive aux individus, mais le Parti traite traite avec le moins d'égards possible cela. Nous nous exprimons assez précisément pour démarquer notre vision de celle des Socialistes-Révolutionnaires, par exemple. Ces derniers veulent enrôler les paysans à leur côté, sans leur apporter le point de vue du prolétariat. Cela constitue la principale ligne de démarcation entre nous et les Socialistes-Révolutionnaires.
En ce qui concerne le camarade Akimov c'est ce que je relève. Il affirme que tout notre projet est pénétré de l'esprit de la phrase de Lénine tant de fois citée ici. Mais seul peut parler ainsi celui qui n'a pas compris ni cette phrase de Lénine ni notre projet. Actuellement, quelle est l'idée qui soutend notre programme ? Ce qui le soutend est l'idée fondamentale de la théorie historique de Marx, l'idée que le développement des forces productives détermine le développement des rapports de production, lesquels à leur tour déterminent tout le développement de la société. Qu'est-ce que la phrase de Lénine a à voir avec çà ? Tout le discours du camarade Akimov m'a étonné. Napoléon avait la manie de forcer ses maréchaux à rompre avec leurs épouses: certains lui cédaient bien qu'ils aimaient leurs femmes. Le camarade Akimov ressemble à Napoléon sous cet aspect - il veut - à tout prix - me faire divorcer avec Lénine. Mais je montrerai plus de caractère que les maréchaux de Napoléon. Je ne divorcerai pas avec Lénine et j'espère qu'il n'a pas l'intention de divorcer avec moi (Le camarade Lénine en riant secoue la tête).
Tournons-nous finalement vers le camarade Martynov. Il dit : le socialisme est l'oeuvre de tout le prolétariat, incluant sa section consciente, c'est à dire, explique-t-il, tous ceux qui sont venus à ses côtés. Si le camarade Martynov veut dire cela, je ne vois pas de raison de ne pas divorcer avec lui, et bien plus que de me séparer de Lénine. Avec cette formule le prolétariat est fait pour inclure aussi le bacille bien connu - et par conséquent il n'y a rien pour argumenter à ce propos. Il nous reste à demander au camarade Akimov de nous expliquer, au moins, dans quel cas nous devrions parler du prolétariat en général, et du bacille en particulier.

La session est terminée.


TRENTE-DEUXIEME SESSION
(Présents : 43 délégués avec 51 mandats, et 12 personnes avec voix consultative)

Le sujet de discussion suivant était les statuts organisationnels du Parti. La résolution servant d'introduction est lue : "Les statuts généraux du Parti lient toutes les sections du Parti, à l'exception des points qui sont stipulés dans des appendices spéciaux aux régles et définissant le rapport des sections aux Parti."

Posadovsky propose une formulation différente qui est adoptée (voir les Statuts du Parti).

Lieber : Je ne parlerai pas du fond de la question. La résolution ne peut pas être adoptée dans la mesure où il n'est pas possible d'adopter des points généraux sans savoir quelles exceptions seront adoptées par la suite.

Martov : Je ne comprend pas ce que veut dire le Camarade Lieber. Quand nous aurons voté la résolution, nous procéderons à la discussion de chaque point des statuts séparément, et nous les discuterons sur la base du seul principe que nous avons déjà adopté. Notre position de principe à été décidée et je pense qu'il serait plus commode pour le Bund de considérer d'abord l'ensemble des statuts du Parti, parce qu'il sera alors en mesure d'expliquer sa propre position de principe. Je rappellerais au camarade Lieber que notre principe organisationnel n'est pas la large autonomie mais la stricte centralisation.

Goldblatt : Les arguments de Martov sont faux, à la fois dans le contenu et dans la forme. Pour la forme, nous avons le droit de demander que nos statuts soient discutés au point 6 de l'ordre du jour, comme cela a déjà été décidé et pour ce qui est du contenu, il est important pour nous que la position du Bund soit claire et bien définie. On nous demande de diviser les statuts du Bund en sections et de faire correspondre ces sections séparées avec les points séparés des statuts généraux du Parti. Mais nous ne pouvons pas le faire dans la mesure où, dans nos statuts, il y a des points que l'on ne peut faire coïncider avec aucun point des statuts généraux du Parti. Si cette proposition est adoptée, alors nous devrons nous abstenir de participer à la discussion des statuts généraux du Parti jusqu'à ce que nos statuts aient été discutés.

Martov (point d'ordre) : Au nom de qui parle le Camarade Goldblatt ? Que devons-nous comprendre par "nous" ?

Akimov : Il me semble impossible qu'une telle question puisse être posée. Nous n'avons pas à faire à telle ou telle corporation mais à des délégués dont chacun, bien sûr, parle pour lui-même.

Martov : Si le Bund est d'accord avec Akimov, alors au nom de quel "nous" Goldblatt parle-t-il ?

Lieber : Cette interrogation ne devrait pas avoir sa place ici. Si le congrès le veut, alors, bien sûr, nous répondrons à cette question.

Plekhanov : La réponse de Lieber ne me satisfait pas. Si l'on ne peut pas poser de questions, cela revient à dire que l'hypothèse est juste. Qui donc est le "nous" au nom de qui parle le Bund ? Nous sommes anxieux de savoir cela parce que nous accordons une attention particulière à la délégation du Bund.

Le congrès demande au Bund de faire une déclaration sur cette question.

Lieber : Je continue à trouver tout cet incident déplacé. Mais, dans la mesure où on nous demande une réponse, nous en la donnerons. Nous demandons, et nous insistons pour, que nos statuts soient discutés d'abord, pas parce qu'ils constituent un amendement mais parce que nous nous basons sur des positions qui sont différentes en principe, et nous avons besoin d'être clairs sur l'attitude du congrès vis-à-vis des principes qui nous guident. Nous demandons depuis longtemps que les statuts du Bund soient discutés. Le congrès a rejeté cette requête. J'attire de nouveau l'attention du congrès sur l'attitude irrégulière adoptée vis-à-vis de notre demande. Je signale que nous ne présenterons des amendements que sur les statuts généraux.

Lange : Le Bund propose que nous reportions la discussion des statuts généraux du Parti. Cela ne pose pas de problème puisque nous ne connaissons pas le point de vue général à partir duquel nous devrons considérer les statuts particulier du Bund.

Trotsky : Nous ne cherchons pas à éviter une discussion sur les statuts du Bund. Nous dégageons une procédure pour la discussion. Nous devons décider sur les statuts généraux du parti et ensuite, à partir de là, déterminer la place du Bund dans le Parti. Le Parti n'existe pas pour le Bund, mais le Bund pour le Parti.

Yegorov : Je suis d'accord avec ce qu'a dit Lange. Mais il n'a pas compris ce que veut le Bund, étant donné que je considère que le Bund a tort. Nous ne voulons pas le moins du monde fragmenter les statuts du Bund. Nous les discuterons comme un tout, mais seulement après que nous ayons discuté des statuts du Parti.

Lieber : Je ne suis d'accord ni avec le camarade Yegorov, ni avec le camarade Trotsky. Je met en garde le congrès contre toute tentative d'interpréter nos paroles de façon malveillantes et tendancieuses ...

Le Président rappelle l'orateur à l'ordre.

Lieber (suite) : Je dis que l'interprétation de Trotsky n'est pas en conformité avec la vérité. On nous accuse de dire que le Parti existe pour le Bund. Ce n'est pas vrai. Nous défendons deux positions de principe différentes l'une de l'autre. On nous dit que le principe sur lequel la majorité se base est l'autonomie et ceux qui disent cela pensent qu'ils ont dit quelque chose. La question est alors, à qui veulent-ils appliquer l'autonomie ? Nous ne mettons pas en avant nos statuts comme quelque chose au-dessus des statuts du Parti mais comme quelque chose qui doit être discuté en premier quand nous discutons des statuts du Parti. Puisqu'il y a une différence de principe entre nous alors, si vous êtes des hommes de principe, vous clarifierez ces principes.

Lénine : Je ne sais pas s'il est justifié que je souligne devant le congrès quelque chose qui va de soi. Il est inouï que la partie vienne avant le tout.

La liste des orateurs est close.

Gorin : Je suis d'accord avec Trotsky et je pense que le Bund est d'accord avec lui aussi. Essentiellement, le Bund met en avant son propre projet de statuts du Parti. C'est une transgression de l'ordre du jour. Nous avons déjà un projet, dont nous discutons.

Lieber : je tiens à dire que nous prendrons part à la discussion sur les statuts, mais nous nous réservons le droit de parler, au moment opportun, des exceptions concernant le Bund.
Glebov, le rapporteur de la commission des statuts, dit que les votes en commission étaient tellement partagés que le premier article des statuts était présenté sous deux formulations différentes (voir les statuts et la résolution de Lénine).*

Yegorov dit que l'existence de deux tendances dans la définition du concept de "Parti" est devenue apparente. La formulation de Lénine étrécit rétrécit le concept, tandis que celle de Martov (voir les statuts) l'élargit au point d'ouvrir la porte au "démocratisme". Nous ne devons pas oublier que, même si nous sommes une organisation clandestine, nous sommes aussi liés au larges masses. Je crains qu'après avoir dit A nous ne devions dire B.

Axelrod : Je pense que nous devons faire une distinction entre les concepts de "Parti" et d'"organisation". Ces deux concepts sont confondus ici. Et la confusion est dangereuse. Laissez-moi rappeler les organisations strictement secrètes et centralisées du passé : Zemlya i Volya et Narodnaya Volya. Autour de Zemlya i Volya étaient groupés un grand nombre de gens qui n'appartenaient pas à l'organisation mais qui l'aidaient d'une façon ou d'une autre et qui étaient considérés comme des membres du parti. Narodnaya Volya était encore plus sélective mais avait le même principe. Ce principe devrait être encore plus strictement appliqué dans une organisation Social-démocrate. Et, en fait, prenons par exemple un professeur qui se considère comme social-démocrate et se déclare tel. Si nous adoptons la formule de Lénine, nous rejetterons une partie des membres qui, même s'ils ne peuvent pas être directement admis dans une organisation, sont cependant des membres du Parti. D'abord et avant tout, bien sûr, nous voulons créer une organisation des éléments les plus actifs du Parti, une organisation de révolutionnaires ; mais, dans la mesure où nous sommes le Parti d'une classe, nous devons faire attention de ne pas laisser hors des rangs du Parti des gens qui consciemment, même si peut-être pas très activement, s'associent à ce Parti.

Martov : La question que nous sommes en train de discuter est extrêmement importante. Plus nous voulons être des révolutionnaires, plus nous devons accorder une attention aiguë au point soulevé par le Camarade Axelrod. Nous sommes ceux qui donnent une expression consciente à un processus inconscient. L'organisation du Parti est l'engrenage qui met en mouvement le travail du Parti au sens où nous entendons ce mot. La question des droits et devoirs est réglée par l'idée : "voilà le travail que tu as à faire". Je n'ai pas peur d'une organisation "conspirative". Les droits d'un membre du Parti, selon notre projet, consistent à communiquer ses vues et désirs à l'attention du centre. Il y a un autre droit, former l'opinion publique, et plus les "conspirateurs" prendrons en compte cette opinion moins la question des "droits" présentera de dangers. Qu'il y ait beaucoup d'organisations : elles doivent s'accroître. Elles ne peuvent pas rejoindre l'organisation du Parti, mais le Parti ne peut pas continuer sans elles. Plus le titre de membre du Part sera répandu, mieux ce sera. Nous ne pourrions que nous réjouir si chaque gréviste, chaque manifestant, répondant de ses actions, pouvait se proclamer membre du Parti. Pour moi, une organisation conspirative n'a de sens que quand elle est entourée par un grand parti social-démocrate de la classe ouvrière.

Kostrov parle des deux tendances qui sont devenues apparentes dans l'interprétation du concept de "Parti" et du fait que l'organisation et le Parti ne sont pas la même chose. Il propose d'unir les deux formulations.

Posadovsky : Deux points de vue sur les tâches du Parti ont déjà été définies. L'une restreint l'étendue du Parti, l'autre l'élargit. Il est impossible de réduire la somme des membres du Parti à la somme des conspirateurs, mais l'expression "sous le contrôle" définit les relation internes du Parti de façon trop vague, et je propose qu'elle soit remplacée par l'expression "sous la direction de".

Karsky considère que la différence entre les formulations est très importante. La première formulation prive tout ceux qui ne participent pas personnellement et de façon directe à une organisation du Parti de la possibilité, non seulement de se considérer comme membre du Parti, mais aussi, ce qui est beaucoup plus important, d'aider du mieux de leurs capacités. La seconde formulation élimine cet inconvénient. Je la soutiens, mais je suis d'accord avec le Camarade Posadovsky sur le fait que les mots : "sous le contrôle de" doivent être remplacés par "sous la direction de".

Brouckère : En discutant du premier paragraphe des Statuts nous avons abordé une question de très grande importance - la question organisationnelle. Je ne suis pas d'accord avec les Statuts comme un tout ni avec l'ensemble de leur esprit. Je défends le type de système organisationnel sur lequel est construite l'organisation locale à laquelle j'appartiens - le Comité de Petersburg pour l'Union des Luttes - et j'aimerais qu'il soit appliqué aussi à la façon dont le Parti est organisé.
Cette année, le travail organisationnel a été l'une des tâches principales et, de mon point de vue, l'une des plus productives menées par le Comité. Vers la fin de l'année nous avions mis en place une forme d'organisation que nous considérons comme tout-à-fait bonne, et que je voudrais appeler parfaite n'était le fait que de nouveaux problèmes se sont posés à nous, comme il s'en pose à toute organisation vivante. Même avant la scission, le surgissement du mouvement révolutionnaire avait rendu chacun conscient du besoin de centralisation mais, tandis que la majorité des comités, ainsi qu'une des tendances du Comité de Petersburg, penchaient pour un type d'organisation conspiratif, comme Narodnaya Volya, nous défendions et défendons le droit de chaque membre actif de l'organisation d'influencer le travail du Comité, le droit, en lien avec ses devoirs, d'influencer directement ou indirectement les élections au Comité central et aux comités locaux. Nous pouvons maintenant dire que nous n'avons pas de membre sans droits, comme nous n'en avons pas sans devoirs. De même que les sympathisants qui, de temps à autre, nous rendent des services ne peuvent pas être considérés comme des membres, dans la mesure où dans notre Parti il ne peut y avoir que des membres actifs. A ces sympathisants nous accordons le droit de s'appeler des sociaux-démocrates et des sympathisants du Parti social-démocrate ; un droit dont, incidemment, nous ne pouvons les priver, et nous pouvons aussi leur accorder gracieusement le droit, que le Camarade Martov propose d'accorder à tous les membres du Parti comme leur droit exclusif, en dehors de l'administration du Parti - le droit d'exprimer leur opinion, et pas seulement de le faire en leur sein, mais aussi de la porter à l'attention du CC. Tout membre actif appartient à une structure ou à une autre de l'organisation (groupes, comités, etc), couvrant chaque forme de travail que chaque organisation a à mener.
L'expérience de cette année nous a convaincus que le droit d'influencer la conduite du Parti est un puissant moyen d'unité, excluant toute possibilité de mécontentement au sein de l'organisation et ainsi, toute possibilité de scission. Il élève l'intérêt pour le travail, conduit les gens vers la vie du Parti et développe toutes les forces actives. Ce n'est que quand on a ces droits que le Comité Central est le réel porte-parole des vues de tous les membres ouvriers et ainsi de toute l'organisation, et seulement alors qu'il agit en accord avec eux. La force d'une organisation ne réside pas seulement dans les devoirs qu'elle impose à ses membres mais aussi dans les droits qu'elle leur confère. Cela doit s'appliquer dans le Parti aussi. Tous ses membres actifs doivent avoir des droits ; des droits ne peuvent pas être accordés seulement aux membres actifs, les membres actifs ne peuvent pas être déconnectés de l'organisation. Cette connexion doit être régulée. Je suis donc pour cette formulation selon laquelle tous les membres doivent appartenir à une des organisations. Pour ce qui est du démocratisme il ne peut pas, bien sûr, en tant que tel, effrayer un social-démocrate conscient. Mais le Camarade Martov parle de "soit-disant démocratisme", chose d'inventée dans le feu de la polémique. Le démocratisme poussé à son terme idiot est bien sûr, comme toute chose poussée à l'absurde, une absurdité et donc un non-sens, comme le Camarade Martov l'a montré, et je suis d'accord avec lui là-dessus, mais je considère que le type d'organisation qu'il défend est aussi une fabrication fantastique et un non-sens.

Trotsky : J'ai peur que la formule de Lénine ne crée une organisation fictive, de celles qui donnent à leurs membres simplement une qualification mais ne servent pas comme moyen pour le travail de Parti. On aura créé une "organisation de combat", comme l'organisation de Tomsk, dont les statuts - que certains de nous ont lus -, le but, l'essence et la base ne seront pas une quelconque tâche pratique mais les statuts de l'organisation eux-mêmes.

Lénine parle brièvement en défense de sa formulation, soulignant en particulier qu'elle provoque un stimulus : "Organisez-vous !" On ne devrait pas supposer que les organisations du Parti doivent être composées seulement de révolutionnaires professionnels. Nous avons besoin des organisations les plus diverses, de tous types, niveaux et contours, en commençant par les extrêmement étroites et secrètes et en finissant par les très larges, libres, lose Organisationen. L'approbation par le Comité Central est une condition essentielle pour qu'une organisation de Parti soit considérée comme telle .

Lyadov considère qu'il est nécessaire d'ajouter l'exigence d'apporter un soutien matériel au Parti, car il trouve extrêmement important de spécifier dans ce sens, au moins, un signe que quelqu'un appartient à une organisation.

Lieber : je suis complètement d'accord avec les Camarades Axelrod et Martov. Ils ont posé la question correctement. Le Camarade Lénine n'a rien réfuté et rien prouvé. J'attire l'attention du congrès sur un point que personne n'a mentionné. Il y a des sociaux-démocrates qui acceptent le programme mais qui ne peuvent pas ou ne souhaitent pas rejoindre une organisation, car ils considèrent qu'ils peuvent être plus utiles en restant en dehors. Le Parti doit se servir de ces éléments, car leur aide est souvent substantielle. Le Camarade Lénine mélange la question de l'organisation et celle des personnes particulières. Notre tâche n'est pas simplement d'organiser une organisation, nous pouvons et devons organiser un Parti.

Popov : Après avoir écouté les interventions des Camarades Martov et Axelrod, je ne voulais pas dire quelque chose de plus sur la question mais maintenant, après l'intervention de Lénine qui, pour ce que j'ai observé, a troublé les camarades, j'ai décidé à nouveau de parler pour poser la question, une fois de plus, comme elle l'avait été par le Camarade Martov. Les deux projets diffèrent dans les mots suivants : le Camarade Lénine dit "participation personnelle" tandis que le camarade Martov dit "concours personnel". A la fois Lénine et Martov apprécient l'importance de la signification organisationnelle de ce point. Comme l'a dit le Camarade Martov, il a introduit ce point afin d'attirer dans le Parti ces éléments qui ne sont actuellement ni dedans ni dehors. Le Camarade Lénine poursuit, à ce qu'il dit, le même but. On lui dit : vous dessinez des limites trop étroites au Parti, le confondant avec une organisation secrète. Il répond : par ce moyen je donne un stimulus à l'organisation. Trotsky, prévoyant cela, dit : vous allez créer des organisations vides. Lénine répond : cela ne peut pas arriver parce que les organisations doivent être confirmées par le Comité Central. Le CC, comme "un esprit qui est présent partout et partout le même" [Lénine :"Une poigne !"] (1) ou bien, si le Camarade Lénine le souhaite, comme une poigne qui est présente partout, qui pénètre dans chaque coin, assigne une organisation à chacun, donne à chacun un travail à faire. Mais il y a des cercles très étendus qui prennent une part très active dans notre travail, mais ne peuvent pas rejoindre une organisation. Je ne parlerai pas du professeur du Camarade Axelrod ça ne vaut peut-être pas la peine de s'occuper de lui, mais nous devons nous préoccuper des étudiants dont parle Lieber et des très larges cercles d'ouvriers dont je veux parler. Partout, à Petersburg, comme à Nicolayev et Odessa, comme en témoignent les représentants de ces villes, il y a des douzaines d'ouvriers qui distribuent de la littérature et font de l'agitation orale, mais qui ne peuvent pas être membres d'une organisation. Ils peuvent être liés à une organisation mais ne peuvent pas être considérés comme membres. Et là est la grande différence entre nous dans notre compréhension même de ce que signifie appartenir à une organisation. Pour moi, un membre d'une organisation est quelqu'un qui prend la responsabilité de ses actes. Et si il prend cette responsabilité il doit aussi prendre part dans la discussion et les décisions des questions.

Strakhov : Premièrement, je dois dire que je ne peux être d'accord avec aucun camarade qui a simplement parlé pour expliquer les origines du soit-disant "démocratisme" par l'absence de contrôle sur les activités des organisations locales. A mon avis, les conditions de l'émergence du "démocratisme" étaient tout à fait différentes. De toute façon, pour ce qui est de Petersburg, ce qui doit être mis au premier plan ici est la non-admission dans l'organisation de l'Union d'ouvriers actifs dans l'organisation, le refus de les reconnaître comme membres et aussi, en lien avec ces tendances négatives de l'Union à ce moment, son incapacité de satisfaire les demandes présentées à lui par les ouvriers. Cependant, je ne peux pas parler de cela maintenant. Concernant la question de la qualité de membre qui a été soulevée, je dois dire que le camarade Martov me considère comme un partisan de sa résolution seulement sur la base d'une incompréhension. Je considère la formulation sur la qualité de membre, mise en avant par le camarade Martov, comme insatisfaisante. Le contrôle qu'il propose est impraticable. Comme je l'ai dit auparavant, à mon avis, le seul contrôle effectif et sérieux est celui qu'une organisation exerce sur ses membres. Sur cette question je suis d'accord avec le Camarade Lénine.
De façon générale, je voudrais observer qu'il me semble que les camarades ont parlé ici de deux choses différentes, comprenant la qualité de membre de deux façons différentes. Certains, je pense, comprennent les mots "membre du Parti" dans un sens étroit, comme un membre de l'organisation centrale du Parti. D'autres soutiennent une définition plus large, entendant par "membre du Parti" toute personne en général qui est d'accord avec le programme du Parti et a la volonté de l'aider. Bien que ne niant en aucune façon l'importance pratique de la première définition, je dois souligner l'importance de la seconde, la plus large. Le fait est que notre Parti, comme le Camarade Lénine l'a dit tout-à-fait justement dans son intervention, doit nécessairement inclure nombre d'organisations de types différents, allant de l'organisation centrale du Parti jusqu'aux syndicats qui rejoignent le Parti. Les membres de tout ces syndicats, qui acceptent le programme et entrent dans notre Parti, doivent être considérés comme membres du Parti. Une telle définition large de la qualité de membre du Parti me semble être très importante. Elle rend évident, aux yeux de tous, le fait qu'un Parti qui comprend des organisations ouvrières de toutes sortes est le réel défenseur de tous les intérêts bien compris des ouvriers. Cela devient apparent d'emblée à la masse des ouvriers et donc, de cette façon, on coupe l'herbe sous le pied des Zubatovites et autres défenseurs hypocrites des "vrais" intérêts ouvriers. Toute la question est celle-ci : voulons-nous rester une organisation conspirative ou bien voulons-nous créer un réel parti ouvrier ? Je suis pour la deuxième solution, et je propose que nous considérions comme membres du POSDR tout ceux qui travaillent dans une organisation qui est incluse dans le Parti.

Axelrod : Lénine a attaqué le point le plus faible de mon intervention. Mais j'ai délibérément choisi un exemple aussi extrême qu'un professeur qui accepte inconditionnellement notre programme, et même notre tactique, afin de démontrer le caractère exorbitant de la formule. Mais comment allons-nous agir vis-à-vis des groupes d'étude des jeunes gens révolutionnaires, et en général vis-à-vis des groupes qui acceptent pleinement le programme et la tactique du Parti, nous soumettre à la décision de son organisation centrale et déclarer qu'ils appartiennent au Parti ? Aucun décret, ni personne, ne peut leur interdire de s'appeler Sociaux-démocrates ou même de se considérer comme appartenant au Parti. Je suis en faveur d'une démarcation nette entre Parti et organisation, dans l'intérêt de cette dernière. On peut être un membre sincère et dévoué d'un parti Social-démocrate et cependant pas fait pour être membre d'une organisation de combat strictement centralisée composée de révolutionnaires professionnels. D'un autre côté, le Parti du prolétariat ne doit pas, pour cela, être réduit au confinement étroit d'une organisation conspirative qui devrait considérer des centaines et même des milliers de prolétaires conscients comme extérieurs au Parti, non membres de celui-ci. Comme il est formulé par Lénine, le paragraphe 1 contredit directement en principe la nature même et les buts du parti Social-démocrate du prolétariat. Mais je constate que je frappe à une porte ouverte puisque le camarade Lénine, avec ses cercles périphériques qui doivent être considérés comme appartenant à l'organisation du Parti, vient à ma rencontre. Il ne reste que le cas des individus, mais là aussi nous pourrons nous entendre.

Martynov : Nous assistons à quelque chose d'étrange. Les camarades qui parlent en défense de la résolution de Martov, qui élargit les limites de notre parti, se référent dans leurs arguments à la brochure de Lénine "Que faire ?". Ils affirment justement que, d'après cette brochure, notre organisation devrait être composée seulement de révolutionnaires professionnels. Si c'est ainsi, disent-ils, il n'y a pas de place dans l'organisation pour l'ensemble du Parti. L'auteur de "Que faire ?", qui veut par sa résolution réduire les limites du Parti, et qui a admis l'autre jour qu'il avait tordu la barre, nous assure maintenant qu'il ne conçoit pas l'organisation comme étant aussi étroite qu'il l'a indiqué dans sa brochure et que dans le Parti, de même que dans l'organisation des révolutionnaires professionnels, il y aura aussi de la place pour des lose Organisationen. Cela étant, il dit qu'il n'y a rien de terrible à réduire le Parti jusqu'aux limites de son organisation.
Evidemment, il ne serait pas difficile pour nous de provoquer un conflit à propos des frontières du Parti, si nous décidions de façon non-ambiguë quelle sorte d'organisation nous voulons avoir dans ce Parti. Une invraisemblable confusion de concepts s'est révélée parmi nous sur cette question. Certains ont dit ici que notre organisation doit être centralisée et clandestine (konspirativnaya) et, par conséquent, conspirative. Je dis qu'il n'y a pas de "par conséquent" à ce propos, que ces idées ne sont pas identiques, même si le mot konspiratsiya, dérivé du français, est utilisé à la fois comme synonyme de "conspiration" et aussi dans le sens d'activité "clandestine".
Bien que reconnaissant que notre organisation doit être centralisée et extrêmement clandestine, je dis en même temps qu'elle doit être différente en principe et fondamentalement, d'une organisation conspirative. Ces deux types d'organisation présupposent des bases de classe complètement différentes. Le type conspiratif ne peut pas être prolétarien, mais doit être un parti radical, se basant sur des éléments démocratiques divers, sujets aux modes politiques variables et changeantes. Notre Parti est basé sur le prolétariat, sur une classe ayant une tendance historique définie. Dans la mesure où les conspirateurs ne sont pas soutenus par une masse, unie par des tendances uniformes et durables, et sont liés à quelques personnes dans leur activité, ils agissent secrètement, dans le dos de ceux dont ils défendent les intérêts et utilisent les modes changeantes de ces franges pour des combinaisons politiques arbitraires. Une organisation révolutionnaire social-démocrate est une autre affaire. Elle est simplement le porte-parole conscient du mouvement de classe du prolétariat. Elle n'agit pas dans le dos du prolétariat mais simplement le guide, l'aidant à devenir conscient de ses intérêts et de combattre pour ceux-ci de façon consciente et délibérée.
En conséquence, l'organisation sociale-démocrate des révolutionnaires professionnels (dans les comité central et locaux), à la différence d'une organisation conspirative, doit être organiquement liée aux masses, et en particulier aux masses prolétariennes, par tout un réseau d'organisations plus ou moins larges, un tissu plus ou moins serré. Je le répète, l'organisation social-démocrate doit toujours être strictement centralisée et, sous les conditions politiques de la Russie, elle doit être strictement clandestine, mais sa nature même ne peut jamais être conspirative. Si nous reconnaissons ce principe sans aucune ambiguïté, il ne devrait pas être difficile pour nous de régler la question des limites de notre Parti.

Akimov : Je suis d'accord avec ce qu'a dit le Camarade Martov et j'espère que cela ne lui causera aucun tort. Je suis d'accord avec la formule présentée par Martov non pas parce qu'elle définit exactement les relations que je désire voir exister entre le Parti et l'organisation, mais simplement parce qu'elle fait un pas en avant sur le chemin d'une solution correcte du problème.

La session est close.

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* Résolution de Lénine : "Est membre du POSDR celui qui accepte son programme et soutient le Parti par une participation personnelle dans l'une des organisations du Parti."

Programme du parti ouvrier social democrate adopté au Second Congrès du Parti

Le développement de l'échange a établi des liens si proches entre tous les peuples du monde civilisé que le mouvement de la grande libération du prolétariat doit avoir, et a été en fait long à le devenir, un caractère international.
En ce qui nous concerne, formant un des détachements de la grande armée mondiale du prolétariat, les social-démocrates russes poursuivent le même but ultime vers lequel tendent les social-démocrates de tous les autres pays.
Ce but ultime est déterminé par la nature actuelle de la société bourgeoise et la façon dont elle se développe.
La principale caractéristique de cette société est la production de marchandises sur la base des rapports de production capitalistes, dans laquelle la partie la plus considérable et importante des moyens de production et de l'échange des marchandises appartient à la classe des personnes la plus petite numériquement, quand la majorité écrasante de la population est consitituée de prolétaires et de semi-prolétaires qui doivent de par leur situation économique d'un côté continuellement et périodiquement vendre leur force de travail, c'est à dire, devenir des ouvriers salariés pour les capitalistes, et créer par leur travail, du profit pour les plus hautes classes de la société.
La sphère dans laquelle prévalent les rapports de production capitalistes s'étend toujours plus largement, proportionnellement au constant perfectionnement de la technique, à la croissance du poids économique d'entreprises à grande échelle, comme résultat de l'expulsion des petits producteurs indépendants, en transformant certains en prolétaires, comprimant le rôle de ceux qui restent dans la vie sociale et économique, et à la place en les assujetissant plus ou moins complètement , d'une façon plus ou moins évidente et plus ou moins sévère sous la dépendance du capital.
Le même progrès technique rend les entrepreneurs capables de se servir à une toujours plus grande étendue du travail des enfants et des femmes dans le procès de production et de circulation des marchandises. Ensuite, d'un autre côté, il mène à un relatif rétrécissement de la demande de travail humain vivant des entrepreneurs, la demande de force de travail passe au second plan derrière la marchandise, avec comme résultat la dépendance du travail salarié de la croissance du capital et du degré auquel il est exploité qui va croissant.
Cet état des affaires des pays de la bourgeoisie, et la rivalité mutuelle entre ces pays sur le marché mondial, qui croît continuellement de façon plus intense, leur crée même plus de difficulté pour trouver des débouchés pour les marchandises qui sont produites en quantités sans cesse croissantes.
La sur-production, qui manifeste de façon plus ou moins aigüe les crises industrielles, qui sont suivies par des périodes plus ou moins prologées de stagnation industrielle, constitue une conséquence inévitable du développement des forces productives dans la société bourgeoise. Les crises et les périodes de stagnation industrielle à leur tour ruinent davantage les petits producteurs, acroissent même plus la dépendance du travail salarié au capital, et conduisent plus rapidement à une détérioration relative (et quelques fois aussi absolue) de la position de la classe ouvrière .
Ainsi, le perfetcionnement technique, qui signifie productivité accrue du travail et croissance de la richesse sociale, implique, dans la société bourgeoise, une plus grande inégalité sociale, un élargissement du gouffre entre ceux qui ont et ceux qui n'ont pas, et un accroissement de la précarité de l'existence, le chômage, et toutes autres sortes de privation pour des sections toujours plus larges des masses ouvrières.
Mais comme toutes ces contradictions, qui sont inhérentes à la société bourgeoise, croissent et se développent, et aussi le mécontentement du peuple travailleur grandit et des masses exploitées par l'ordre des choses dominant, le nombre et la cohésion du prolétariat se développent, et la lutte entre le prolétariat et ses exploiteurs s'intensifie. Au même moment, le perfectionnement technique, la concentration des moyens de production et d'échange et la socialisation du procès du travail dans les entreprises capitalistes, crée à une toujours plus grande vitesse les conditions matérielles pour remplacer les rapports de production capitalistes par les socialistes - c'est à dire, pour la révolution sociale qui est le but ultime de toute l'activité du mouvement social-démocrate international, en tant qu'expression consciente du mouvement de classe du prolétariat.
En substituant la propriété sociale à la place de la propriété privée des moyens de production et d'échange, et en introduisant l'organisation planifiée du processus de la production sociale, afin d'assurer le bien-être et le complet développement de tous les membres de la société, la révolution sociale du prolétariat abolira la division de la société en classe, et par conséquent libèrera toute l'humanité opprimée, jusqu'à ce qu'elle mette fin à toute forme d'exploitation d'une partie de la société par une autre.
La dictature du prolétariat est une condition indispensable pour cette révolution sociale, c'est à dire, la conquête par le prolétariat d'un tel pouvoir politique qui sera capable de supprimer toute résistance des exploiteurs.
Mettant en avant lui-même la tâche de rendre apte le prolétariat à remplir sa grande mission historique, le mouvement social-démocrate international organise le prolétariat en un parti politique indépendant opposé à tous les autres partis bourgeois, orientant toutes les manifestations de sa lutte de classe, exposant avant lui la contradiction irréconciliable d'intérêts entre exploiteurs et exploités, et lui expliquant la signification historique, et les pré-conditions nécessaires pour la révolution sociale imminente. En même temps il révèle à tout le reste des masses travailleuses exploitées l'aspect sans espoir de leur position dans la société capitaliste et la nécessité de la révolution sociale par égard pour leur propre libération du joug du capital. Le parti de la classe ouvrière, le parti social-démocrate, fait appel aux rangs de toutes les sections de la population travailleuse exploitée, afin qu'elle se joigne au point de vue du prolétariat.
Dans le sens de parvenir au même but ultime, qui est conditionné par la domination du mode de production capitaliste dans le monde civilisé, les social-démocrates des différents pays doivent prendre en charge les différentes tâches immédiates, à la fois parce que ce mode de production ne s'est pas développé partout au même degré et parce que son développement dans les différents pays vient à maturité sous une variété de circonstances socio-politiques.
En Russie, où le capitalisme est déjà devenu le mode de production dominant, il y a encore de nombreuses survivances du vieil ordre pré-capitaliste, qui était basé sur l'esclavage des masses travailleuses par les propriétaires terriens, l'Etat ou le souverain. Retardant le progès économique sur une grande étendue, ces survivances inhibent un développement complet de la lutte de classe du prolétariat, et contribuent au maintien et à la consolidation des formes les plus barbares d'exploitation de plusieurs millions de paysans par l'Etat et les classes possédantes, et maintiennent le peuple dans l'ignorance, privé de droits.
La plus importante de ces survivances et le plus puissant rempart de cette barbarie est l'autocratie tsariste. Par nature elle est hostile à tout progrès social et ne peut être que l'ennemi le plus malveillant contre le combat du prolétariat pour la liberté.

Par conséquent, le parti ouvrier social-démocrate de Russie présente comme sa tâche politique la plus immédiate le renversement de l'autocratie tsariste et son remplacement par une république démocratique dont la constitution garantirait :

1. La souveraineté du peuple - c'est à dire, la concentration du pouvoir d'Etat suprême dans les mains d'une assemblée législative composée de représentants du peuple et formant une simple chambre.
2. Suffrage universel, égal et direct pour les élections à la fois à l'Assemblée législative et aux organes locaux d'auto-gouvernement, pour tous les citoyens et toutes les citoyennes qui ont atteint l'âge de 20 ans ; scrution secret aux élections : droit de chaque votant d'être élu dans tout corps représentatif ; assemblées parlementaires bi-annuelles ; paiemnt des représentants du peuple.
3. Extensibilité de l'auto-gouvernement local ; auto-gouvernement pour toutes les localités qui se distinguent par des conditions spéciales par respect pour leur mode de vie ou les coutumes de la population.
4. Inviolabilité de la personne et du domicile.
5. Liberté sans restriction de conscience, de parole, de publication et de réunion, liberté de faire grève et liberté de s'associer.
6. Liberté de voyager et de se livrer à toute occupation.
7. Abolition des états sociaux, et complè!te égalité des droits pour tous les citoyens, indépendamment du sexe, de la religion, de la race et de la nationalité.
8. Droit pour la population de recvoir une éducation dans leur langue maternelle, d'être assurée de disposer des écoles nécessaires dans ce but, aux frais de l'Etat et des organes d'auto-gouvernement; le droit pour chaque citoyen de s'exprimer dans les réunions dans sa propre langue; l'usage de la langue maternelle sur une base égale avec celle du langage de l'Etat dans toutes les institutions étatiques, publiques et locales.
9. Droit à l'autodétermination pour toutes les nations incluses dans les limites de l'Etat.
10. Droit pour toute personne de poursuivre tout officiel devant un jury, par les canaux habituels.
11. Juges élus par le peuple.
12. Remplacement de l'armée par l'armement universel du peuple.
13. Séparation de l'Eglise et de l'Etat et l'école de l'Eglise.
14. Enseignement libre, obligatoire et général de tous les enfants, des deux sexes jusqu'à l'âge de 16 ans : les enfants pauvres seront alimentés, vêtus et dotés de livres aux frais de l'Etat.

Comme conditions fondamentale pour la démocratisation de nos finances étatiques, le POSDR en appelle à l'abolition de toutes les taxes indirectes et à l'établissement d'une taxe progressive sur le revenu et l'héritage.

Dans l'uintérêt de sauvegarder la classe ouvrière de la dégradation physique et morale, et aussi afin de développer sa capacité pour la lutte pour la liberté, le Parti en appelle :

1. à la limitation de la journée de travail à 8 heures sur une journée de 24 heures, pour tous les travailleurs salariés.
2. à la disposition légale d'une période de repos hebdomadaire, continue et d'une durée minimale de 42 heures, pour les travailleurs salariés des deux sexes, dans toutes les branches de l'économie.
3. Une proscription totale des heures supplémentaires.
4. Interdiction du travail de nuit (entre 9 heures du soir et 6 heures du matin) dans toutes les branches de l'économie, à l'exception de celles où il est absolument nécessaire et permis par les facteurs techniques qui sont endossés par les organisations des ouvriers.
5. il est interdit aux employeurs d'utiliser le travail d'enfant en âge scolaire (jusqu'à 16 ans), et limitation de la journée de travail des adolescents (16-18) à six heures.
6. Interdiction du travail féminin dans toutes les branches où c'est nuisible pour l'organisme féminin; les femmes doivent disposer d'un congé de travail de quatre semaines avant la naissance de l'enfant et de six semaines après, avec paiement du salaire correspondant au taux usuel au cours de cette période.
7. Construction en lien avec toutes les usines et autres entreprises où travaillent des femmes pour les crêches pour bébés et jeunes enfants; décharger de travail les femmes qui nourrissent leurs bébés, à des intervalles de pas plus de trois heures, pour des périodes de pas moins d'une demie heure.
8. Assurance étatique des ouvriers face à la vieillesse et face à toute perte partielle de la capacité de travail, financée par un fond spécial qui sera levé par une taxe spéciale sur les capitalistes.
9. Interdiction du paiement des salaires en nature ; paiement des salaires à la semaine et en liquide à verser dans le cas de tous les accords pour l'emploi des travailleurs sans exception.


10. Il est interdit aux employeurs d'opérer des déductions sur les salaires pour toute raison et indépendamment de l'intention (amendes, travail de détective, etc).
11. Nomination d'un nombre adéquat d'inspecteurs d'usines dans toutes les branches de l'économie, et extension de la portée de la supervision par les inspecteurs de fabriques de toutes les entreprises employant des travailleurs salariés, y inclus les entreprises gouvernementales (le travail des domestiques doit être aussi soumis à cette supervision); nomination de femmes inspecteurs pour ces branches où sont employées les femmes; participation des représentants élus des ouvriers, payés par l'Etat, en vérifiant la mise en pratique de la législation d'usine, et aussi en établissant des taux de salaires et par l'acceptation ou le rejet du matériel ou du travail accompli.
12. La supervision par les organes d'auto-gouvernement local, avec participation de représentants élus des ouvriers, des conditions sanitaires des habitations assignées aux travailleurs par leurs patrons, associés avec les arrangements internes de ces habitations et les termes pour lequelles elles sont louées - avec l'idée de sauvegarder les ouvriers salariés de l'interférence des patrons dans leur vie et leur activité en tant que personne privées et citoyens.
3. Etablisement d'inspections à proprement parler organisées pour la santé dans toutes les entreprises employant sous contrat de travail, toute l'organisation médico-sanitaire doit être totalement indépendante des patrons ; l'aide médicale gratuite pour les ouvriers aux frais des patrons, avec continuité de la paye pendant la maladie.
14. La violation par les patrons des lois pour la protection du travail doit être considérée comme une offense criminelle.
15. Etablissement dans toutes les branches de l'économie de tribunaux industriels, composés d'un nombre égal de représentants des ouvriers et des patrons.
16. Les organes d'auto-gouvernement local doivent être responsables de la mise en place de bureaux (embauche) pour aménager l'emploi des ouvriers, à la fois local et pour les nouveaux arrivants, dans toutes les branches de la production, avec la participation dans le fonctionnement de ces bureaux de représentants des organisations des ouvriers.

Afin d'éliminer les survivances du servage qui pèse comme un fardeau directement sur les paysans, et dans l'intérêt du libre développement de la lutte de classe à la campagne, le Parti revendique, d'abord et avant tout:

1. Annulation du remboursement des loyers payés à crédit, et aussi de tout autre forme d'obligation imposée aujourd'hui aux paysans en tant que taxe foncière.
2. Rappel de toutes les lois qui restreignent la liberté des paysans à disposer de leurs terres.
3. Retour de la somme d'argent extorquée aux paysans comme remboursement et loyers payés à crédit; confuiscation, à cet effet, des propriétés de l'Eglise et des monastères et aussi de l'apanage des terres de la couronne et de celles appartenant aux membres de la famille impériale; imposition d'une taxe spéciele sur les domaines des membres de la noblesse foncière qui ont bénéficié d'emprunts de remboursement; l'argent récolté de cette façon devra être payé à un fond public pour les besoins culturels et les besoins d'assistance des communautés rurales.
4. Etablissement de comités paysans : (a) pour la restauration des communautés rurales (par l'expropriation ou, dans le cas où la terre a changé de propriétaire, par l'acquisition par l'Etat aux frais des larges strates de la noblesse) des terres qui ont été réduites et enlevées aux paysans quand le servage a été aboli et qui maintenant servent aux propriétaires terriens comme moyen de garder les paysans en servitude; (b) pour donner la propriété de ces terres aux paysans dans le Caucase sur lesqulles ils avaient travaillé en tant que serfs-journaliers temporaires, khizani et etc; (c) pour rejeter les survivances des rapports de servage qui sont encore intacts dans l'Oural, dans l'Altaï, dans l'ouest du territoire et dans d'autres parties du pays.
5. Accordant aux cours de justice le droit de réduire massivement les loyers élevés et de déclarer nulle et non valide toute transaction impliquant la servitude.

En essayant d'atteindre ces buts immédiats, le POSDR soutient tout mouvement oppositionnel et révolutionnaire dirigé contre l'ordre politique et social dominant en Russie, alors qu'en même temps il rejette résolument toute proposition de réforme qui soit liée avec n'importe quelle forme d'expansion ou de renforcement de la tutelle de la police et de la bureaucratie officielle sur les classes laborieuses.
Pour sa part, le POSDR est fermement convaincu que la réalisation complète, cohérente et durable des changements politiques et sociaux mentionnés, n'est accessible qu'à travers le renversement de l'autocratie et la convocation d'une Assemblée constitutante élue librement par tout le peuple.



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Règles organisationnelles du POSDR, adoptées au second congrès du Parti


Résolution. Les règles générales du Parti sont fixées pour toutes les sections du Parti. Des exceptions sont définies dans des appendices spéciaux aux règles.

REGLES


1. Est membre du POSDR celui qui accepte le programme du Parti, soutient financièrement le Parti , et s'engage à une assistance personnelle régulière sous la direction de l'une de ses organisations.
2. L'organe suprême du Parti est le Congrès du Parti. Il est convoqué (si possible, au moins tous les deux ans) par le Conseil du Parti. Le Conseil du Parti peut convoquer un Congrès si celui-ci est demandé par des organisations du Parti regroupant la moitié des votes au congrès. Un congrès est considéré comme valide si y sont représentées les organisations qui ensemble sont habilitées à représenter plus de la moitié des votes.
3. Sont habilités à la représentation au congrès :
(a) le Conseil du Parti ;
(b) le Comité Central ;
(c) l'Organce Central ;
(d) tous les comités locaux qui n'appartiennent pas à des associations spéciales :
(e) les autres organisations qui sur les mêmes positions que les comités.
(f) toutes les associations de comités reconnues par le Parti. Chacune des organisations mentionnées doit être représentée au congrès par un simple délégué, avec deux votes, et le Conseil du Parti par tous ses membres, chacun avec un vote.

La représentation des associations doit être définie par des règles spéciales.

Note 1. Le droit d'être représenté n'est permis que par les organisations qui ont été reconnues au moins un an avant le congrès.
Note 2. Le comité central a le pouvoir d'inviter à participer au congrès, avec voix consultative, les délégués des organisations qui ne remplissent pas les conditions de la note 1.

4. Le congrès nomme les cinq membres du Conseil du Parti, le Comité Central, et l'équipe de rédaction de l'organe central.

5. Le Conseil du parti est nommé par l'équipe de rédaction de l'organe central et le comité central, qui envoie deux membres de chacun au conseil : les membres du conseil en état d'arrestation doivent être remplacés par les corps qui les ont nommés ; le cinquième membre doit être remplacé par le conseil lui-même.
Le conseil du parti est la plus haute institution du parti. Sa tâche est d'accorder et de coordonner l'activité du comité central et de l'équipe de rédaction de l'organe central, et de représenter le parti dans les échanges avec les autres parties. Le conseil du parti de reconstituer le comité central et l'équipe de rédaction de l'organe central le cas échéant si tous les membres de l'un ou l'autre de ces corps se trouvent hors d'agir.
Le Conseil organise des réunions chaque fois que cela est requis par un des centres du parti, c'est àd dire, l'organe central ou le comité central, ou par deux membres du conseil.

6. Le comité central organise les comités, les associations de comités et toutes les autres institutions du parti, et dirige leurs activités; il organise et conduit les entreprises d'importance pour tout le parti; il répartit les forces du parti et les ressources, et a la charge de la trésorerie centrale du parti; il examine les conflits à la fois entre et dans les différentes institutions du parti, et en général coordonne et dirige toute l'activité pratique du parti.
Note. Les membres du comité central ne peuvent être en même temps membres de tout autre organisation du parti, excepté le conseil du parti.

7. L'équipe de rédaction de l'organe central est responsable de la direction idéologique du parti.

8. Toutes les organisations appartenant au parti ne prenne en charge de façon autonome que le travail concernant spécialement et exclusivement la sphère de l'activité du parti pour laquelle elles sont nommées.

9. Excepté les organisations mises en place par le congrès du parti, toutes les autres organisations du parti sont soumises à l'approbation du comité central. Toutes les décisions du comité central sont applicables par toutes les organisations du parti, lesquelles sont aussi obligées à contribuer financièrement, par une somme fixée par le comité central, à la trésorerie centrale du parti.

10. Tous les membres du parti, et quiconque a un rapport de loyauté avec le parti, ont le droit de demander que toute déclaration soumise par lui soit placée, avant le comité central ou l'équipe de rédaction de l'organe central, ou le congrès du parti.

11. Toute organisation du parti doit fournir à la fois au comité central et à l'équipe de rédaction de l'organe central toute information concernant tous les aspects de son activité et de tous ses membres.

12. Toutes les organisations du parti et tous les corps constitués du parti prennent les décisions par le simple vote majoritaire, et ont le droit de coopter des membres. Pour coopter des membres ou les expulser, une majorité des deux tiers est nécessaire, à moins qu'il n'y ait une objection raisonnable. Appel peut être fait au conseil du parti concernant toute décision organisationnelle sur la cooptation ou l'expulsion de membres.
La cooptation de nouveaux membres au comité central et à l'équipe rédactionnelle de l'organe central nécessite un vote unanime. Dans les cas où la cooptation au comité central ou à l'équipe de rédaction de l'organe central n'est pas approuvée unanimement, la question peut être soumise au conseil du parti, et, dans le cas d'une cassation par le conseil de la décision prise par le corps concerné, cele doit être décidé par un simple vote majoritaire.
Le comité central et l'équipe de rédaction de l'organe central doivent s'informer mutuellement des nouveaux membres nouvellement cooptés.

13. La Ligue des social-démocrates révolutionnaires russes à l'étranger, comme seule organisation du POSDR hors de Russie, a pour tâche d'assumer la propagande et l'agitation à l'étranger et d'aider aussi le mouvement en Russie. La Ligue a tous les droits possédés par les comités, excepté celui concernant le soutien au mouvement en Russie à travers les personnes et groupes nommés spécialement nommés par le comité central.


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Principales résolutions

adoptées au second congrès du POSDR


- Sur la place du Bund dans le parti.
- Sur l'organe central du parti (résolution des membres du groupe Ioujny Rabotchy et autres)
- Sur les organisations territoriales.
- Sur les organisations locales.
- Sur le travail parmi les sectes.
- Quel témoignage donner sous interrogatoire policier.
- Sur l'attitude envers les Libéraux (animés par Starover)
- Sur l'attitude envers les Libéraux (animés par Plekhanov)
- Sur les Socialistes-Révolutionnaires.
- Sur les manifestations.
- Sur la lutte syndicale.
- Sur les pogromes contre les Juifs.
- Sur les shop stewards.
- Sur la présentation de la propagande.
- Sur l'attitude envers la jeunesse étudiante.
- Sur le congrès d'Amsterdam.
- Sur les publications du parti.


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Sur la question de la "conscience extérieure", Lénine fait une réponse qui révèle sa gêne face à la réplique de Rosa, après celle de Martynov, dans le fameux un pas en avant où c'est Lénine qui fait... un pas en arrière (si si relisez!)
lire ici:
marxists.org|Par tiaf@marxists.org