PAGES PROLETARIENNES

jeudi 31 décembre 2015

LA BOURGEOISIE REGNE PAR SES CONDOLEANCES AUX BESTIAUX



« Si voter changeait quelque chose, il y aurait longtemps que ce serait interdit ». Coluche

Critique élogieuse du livre:  "Les citoyens ont de bonnes raisons de ne pas voter" de Thomas Amadieu et Nicolas Framont, le Bord de l'eau , Latresne (Gironde) collection Pour mieux comprendre , (octobre 2015)

Deux sociologues décryptent les causes de la montée de l'abstentionnisme en France et mettent en cause les institutions ainsi que la classe politique pendant que le Président présente encore ses condoléances pour une année de massacres. Le livre a rencontré un succès d'estime chez les fabricants d'opinion, sans doute l'attaquer de front lui eût trop rendu service. Lorsqu'un ouvrage est bien calibré, sans haine, sans parti-pris, sans ton vindicatif, et quelque peu dérangeant pour la doxa, ne vaut-il pas mieux jouer profil bas pour éviter des vagues, comme Anne Crignon dans son résumé pour l'Obs :
« Si les abstentionnistes sont bel et bien majoritairement issus des classes populaires, ouvriers, employés, lesquels représentent 60% de la population, l’étude d’Amadieu et Framont fait ressortir ceci: d’une élection à l’autre, les «aquoibonistes» alternent entre vote et abstention, ce qui démontre un choix : participer ou ne pas participer. La certitude que, de plus en plus, les élus ne représentent pas l’intérêt général est au coeur de ces désaffections. Après enquête, les sociologues leur donnent encore raison : l’action des gouvernements est tournée depuis 1983 (droite et gauche confondues donc) vers... 10% de la population française, une élite hétéroclite composée des grandes fortunes, des classes «aisées» et des gens d’influence, universitaires, journalistes de renom, figures du sport et du spectacle. Au XXIe siècle, les rois sont nus. C’est pour cela qu’ils sont si mal élus. »

La critique, plus qu'une dénonciation, dénude en grande partie la mystification de la démocratie représentative ; cette poulpe possède tant de ramifications que sa mise à nu reste toujours incomplète, j'en sais quelque chose avec mon livre « La croyance électorale ». On croit avoir épuisé le sujet mais il a tant acquis la prégnance d'une religion qu'il reste toujours un peu insaisissable. Le livre des deux sociologues s'il démonte bien le poids inégalitaire de l'argent dans le processus électoral n'aborde pas les différentes formes de l'encadrement électoral dans leur réglementation fallacieuse (proportionnelle, référendum, élections différées des sénateurs et des maires, etc.) qui, toutes, dessaisissent les électeurs de tout contrôle ; ni non plus le plus éloquent dans l'entourloupe, l'élu qui démissionne aussitôt pour refiler le poste à un inférieur du parti ou cet autre élu qui change de parti en cours de route...1

Plus que d'une analyse sur la mécanique oligarchique du système électoral bourgeois, et de ses divers rouages, les auteurs, qui sont des chercheurs scientifiques, font pourtant mieux que n'importe quelle brochure révolutionnaire pour l'abstention depuis celles des anars de la fin du XIX ème siècle.
Le livre est à lire en son entier parce que chaque phrase, chaque paragraphe a le poids de la vérité. Trois données actuelles sont évidentes désormais : les jeunes votent bien moins que les seniors, l'abstention n'est pas la marque d'un manque de civisme individuel ni indifférence politique. Plus intéressant à notre point de vue, réduisant à néant le mensonge médiatique d'une classe ouvrière acquise à l'oligarchie du FN, les abstentionnistes sont dans leur immense majorité des prolétaires, et la couche la plus importante de cette classe, celle « d'en bas » des salaires, alors que les cadres votent largement : « Il n'y a jamais eu de classe moyenne majoritaire en France. Les ouvriers et les employés représentent 60% de la population. Les membres de la classe populaire ont donc pour point commun d'appartenir à ces deux catégories socioprofessionnelles (PCS) qui dénotent un statut professionnel dominé hiérarchiquement, un plus faible niveau de diplôme ainsi que des revenus moyens ou bas au regard du reste de la population ».
Cinquième idée-force qui vient contrebattre aussi le discours dominant : « l'abstention n'est pas un signe d'individualisme », c'est le fruit d'une réflexion de classe dans les échanges de ses membres au boulot ou en famille, le fait de n'être pas inscrit sur les listes électorales mais nullement à cause de cette idée misérabiliste que « les citoyens de la classe populaire se désintéresseraient de la vie politique à cause de leurs difficultés quotidiennes » ; « les jeunes ne sont pas dépolitisés, ils sont simplement méfiants vis à vis du politique », « … ils ne conçoivent pas la démocratie comme limitée au vote ».

LA POLITIQUE EST-ELLE UNE AFFAIRE DE SPECIALISTES ?
C'est ce que voudrait faire croire la bourgeoisie du haut de son mépris. Les auteurs démontrent que les incapables sont du côté des gouvernants et que du haut de leurs fauteuils en cuir ils ne peuvent nous prendre que pour des bestiaux à évacuer de leur vue comme les terroristes nous prennent pour des poux à éradiquer.

SOMMES-NOUS MANIPULES PAR LES PUISSANTS ?
A partir de la page 36 l'ouvrage devient passionnant, abordant des questions tues même par nos robustes minorités maximalistes marxistes, qui s'y connaissent autant en réglementations hiérarchiques que les partis bourgeois. Les constats sont égrenés impitoyablement, mettant à poil la trilogie jacobine :
  • L'institution scolaire joue en premier lieu un rôle décisif dans la dépossession des classes populaires... en postulant l'égalité des chances de tous, elle renforce les inégalités, et « lorsque les enfants de pauvres échouent, l'école leur affirme que c'est de leur faute car ils ont bénéficié des mêmes conditions que tous »2. Les enfants des cadres et des professions intellectuelles supérieures bénéficient d'un réel capital culturel eux. Cet argument de la dépossession des couches inférieures est à son tour utilisé pour justifier l'hypocrite processus de sélection : « Le sentiment d'infériorité, engendré par l'école, (serait) ensuite redoublé par un sentiment d'indifférence à l'égard de la vie publique au quotidien... la propension à s'intéresser à la vie publique diminue, les difficultés de la vie privée reprennent le dessus » (bis repetita).
  • Les classes dominées seraient particulièrement influençables mais dominées « parce que effectivement incompétentes politiquement », «  la politique est affaire de raisonnement froid et distancié, qui nécessite une compétence d'analyse – la montée en généralité – qui ne serait pas à la portée de tous ». En gros la même étroitesse d'esprit caractériserait cette masse de « salariés » comme la goujaterie jadis caractérisait selon les nobles les paysans.
  • Comme successeurs des curés - quoique ceux-ci dans leur « diversité » soient aussi convoqués par temps terroristes à donner aussi des leçons de morale – le système valorise le rôle des intellectuels, experts technocrates, universitaires et philosophes dits penseurs critiques.
ET SI LE PEUPLE ETAIT PLUS SAGE QUE LES ELITES ?

Les auteurs sont moins clairs à cet endroit n'évoquant que « certains » mouvements politiques pensent que : « le peuple serait au contraire doté d'une force morale, d'une capacité d'analyse plus fine que les dominants ». Ils ne parlent point du prolétariat mais qualifient cette thèse de populiste, ce qui est aussi réducteur pourtant que l'incompétence présumée des dominés ! Et de nous extraire le nommé Michéa, électron libre moqueur d'une extrême gauche détournée du « bon sens populaire ». Et de nous assurer qu'une étude américaine démontre que le fait d'avoir de hauts revenus favorise l'adoption de comportements malhonnêtes et égoïstes, ce dont personne ne doute, mais pour nous démontrer quoi en nageant dans la notion fumeuse de peuple ?
On frôle pourtant la vérité de la conscience de classe (pas de peuple) : « Parce qu'à l'abri du besoin, ils (les riches) ont moins besoin de liens sociaux pour survivre (le mot est trop fort!), et place donc plus facilement leur intérêt individuel avant les règles collectives ». Si c'est au fond pour nous dire que l'usage politique de la thèse populiste a des limites, on le savait déjà, et même que cela sous-tendait une allusion au FN 3; les auteurs ont l'honnêteté de retomber sur leur pied en soulignant que la « référence au peuple, la démagogie populiste quant au bon sens populaires est aussi le fait de tous les partis politiques, du genre : « Les français savent bien que... les réformes sont nécessaires... la dette doit être remboursée »4. Or, indépendamment des délires autistes des vrais populistes que sont tous les politiciens, existe une conscience de classe qui se reproduit par elle-même depuis plus de 150 ans que la classe ouvrière a fait son apparition, dont on ne s'abaissera pas à détailler les fondements naturels ici pour l'expliquer aux bourgeois ou même à ces auteurs académiques.
Quelles que soient les raisons invoquées par les uns ou les autres, le populisme dans son simplisme n'apparaît pas comme l'explication adéquate pour l'abstention. 

LA QUESTION DE LA REPRESENTATION

« Pour beaucoup, les élus de la république ne représentent pas l'intérêt général mais d'autres intérêts : les leurs, ceux de leurs pairs ou encore ceux des plus riches ou du «système ». Les auteurs semblent voguer encore, dans le chapitre du « tous pourris », dans le populisme, non ?
Non car ils nous engagent dans la compréhension – même à leur insu - des différences de classes :
  • l'appartenance des élus à une élite déconnectée des conditions de vie
  • l'appartenance sociale des élus, leur patrimoine et leurs revenus influencent directement leurs intérêts, leurs idées politiques et donc les choix qu'ils feront ;
  • les professions les plus représentées : les cadres et professions intellectuelles supérieures dominent largement (et aussi avocats et fonctionnaires... supérieurs.
Ils posent cette admirable question : « Pourquoi nos élus font-ils très majoritairement partis (sans e) des classes supérieures ? » ; réponse comique : « mieux vaut être riche pour devenir un élu de la république, et être élu permet de devenir riche ». Le constat serait presque subversif. Cet autre constat nous importe peu : « un militant de base ne peut pas devenir un élu » ; quand on choisit d'être un mouton de telle ou telle oligarchie, faut pas venir se plaindre de ne brouter que de l'herbe aux grands banquets.
Les constats ne sont pas nouveaux. Connaissant un peu l'histoire non pas du peuple mais du prolétariat, nos auteurs ne sont pas sans rappeler les études de ce bon Robert Michels qui avait démontré que même dans les partis se présentant comme les défenseurs de la classe ouvrière, « les dirigeants sont tous issus de la bourgeoisie » 5. Passons sur les descriptions et les chiffres sur l'enrichissement des élus, qui ne choque plus personne, pour nous intéresser à un paragraphe pas assez développé : « les limites du beau discours de la diversité ». On peut se demander si les auteurs ne se sont pas auto-censurés car il y avait beaucoup plus à dévoiler en particulier concernant la « préférence immigrée » ou l'immigré, mais seulement au plan électoral, a remplacé l'ouvrier sociologique, et où la leçon de morale antiraciste et identitaire a remplacé le discours anti-communiste, comme l'a bien illustré Pieter Lagrou :
« Depuis les années 1970, l'engagement individuel connaît une désaffection et laisse la place à des critères d'appartenance de type « identitaire » auxquels les critères du « commémorable » se sont adaptés. La victime ciblée malgré elle, pour son origine ethnique ou autre, a pris la place du héros. La commémoration est le reflet des préoccupations de la société qui commémore et non celle des commémorés » 6. La politique des dominants fonctionne tant et si bien sur des critères sentimentaux convenus – seuls accessibles au commun des bestiaux - que le top des retrouvailles de l'élite avec le vil peuple ne semble plus être que les périodes de condoléances à chaque épisode dégoulinant de sang du « djihad mondial » 7, permettant l'oubli de la politique par le chagrin et les larmes nationales. La politique n'est plus phénomène pour raisonnement rationnel également pour les bourgeois gauchistes, les vocables ne relèvent plus que d'un impressionnisme apolitique, de l'émotionnel: haine (pour le F.Haine), phobie (pour l'anti-islam), frères et soeurs qui remplacent camarades auprès de l'électorat voilé), etc.  Personne ne discute plus des programmes, puisque les plate-formes électorales des partis sont effectivement plates, y inclus celle du FN : « La différence se joue de plus en plus sur les sujets de société » (p.104).
Les auteurs ont choisi de se moquer du « nécessaire renouveau de la classe politique » dans des discours qui : « évoquent rarement l'appartenance sociale des élus ou leur importante richesse, mais préfèrent s'intéresser à trois variables : le sexe, l'âge et l'origine (…) aménagements cosmétiques (…) saupoudrant de quelques représentants de la « diversité ». La variable d'âge n'a que peu de pertinence tant pour les jeunes que pour les vieux. Par contre le personnel politique bourgeois dominant est très vieux, très ancien, attachés à ses privilèges, fiers cumulards.
Qui dit corruption dit complot, qui dit complot dit bestiaux qui ne comprennent rien. Or cette théorie, qualifiée immédiatement de populiste par le ministre et le gauchiste de base, est certes simpliste, permettant même des délires du niveau des Sages de Sion, permet de cacher une vérité... de classe : l'homophilie !

QU'EST-CE QUE L'HOMOPHILIE SOCIALE?

Rassurez-vous ce n'est pas une nouvelle homophobie, islamophobie ou haltérophilie, plutôt une sorte de... prolophobie 8: « Les grandes écoles forgent sociabilité et renvois d'ascenseur (…) Elles ont pour but de promouvoir la création de réseaux dont la constitution, pour un étudiant, est indispensable à sa future carrière (…) Etre camarade de « promo » n'a pas le même sens dans des formations démocratisées comme l'université, où les étudiants se parlent relativement peu, que dans les formations sélectives comme les grandes écoles. A HEC, l'administration encourage l'organisation de multiples soirées et week-ends d'intégration ».
Les auteurs s'éloignent ensuite du sujet – bizarres digressions dans le plan - pour nous décrire le pantouflage et le parisianisme, l'impuissance des élus et les marchés financiers tout puissants, abandonnant ce qui était esquissé avec le thème de l'homophilie : on ne se mélange pas entre classes différentes. Ils y reviennent pourtant au chapitre III « Blanc bonnet et bonnet blanc ? ». Il faut bien constater qu'il y a deux mondes différents et cloisonnés – bonnet rouge contre bonnet blanc ? - quand « le clivage gauche-droite a quasiment cessé d'exister » : « la grande majorité de la classe médiatique, politique et intellectuelle, ainsi que les artistes et tous ceux qui ont droit à la parole publique , ne cessent d'affirmer, tous les cinq ans, que le choix de la gauche ou de la droite sera déterminant pour l'avenir du pays... ». Suit une longue démonstration du fonctionnement du capitalisme aujourd'hui où l'Etat exploite les prolétaires au profit du privé tout en criant au « moins d'Etat ».
On en revient enfin à nouveau à l'homophilie qualifiée de « sociologie du vote » où la représentation politique est surtout l'expression des élites, les « relais d'opinion » ou « leaders d'opinion » tels que les qualifient leurs collègues US ; quant à l'expression des « citoyens ordinaires » elle est plus diluée, toutes catégories, dans les invectives et insultes entre millions d'internautes, que ne l'imaginent nos deux sociologues. Nouvelle digression, sans doute pour nous ramener à la réalité scientifique de l'exploitation économique (et pour ne pas en rester au niveau sentimental du populisme en colère) : « entre 2008 et 2011, le revenu annuel moyen des cadres supérieurs a augmenté de 1000 euros (alors que celui des employés a baissé de 500 euros, et celui des ouvriers de 230 euros ». La délimitation de ces cadres supérieurs n'est pas très claire et on nous dit que ce sont les 10 % les plus riches... alors que nombre de cadres intermédiaires descendent au niveau de vie de la classe inférieure et vont voter FN (20 % des cadres aux dernières élections).
On lance des séries de faux débats avec toute la palette de l'indignation surjouée pour distraire les bestiaux électeurs, tout en leur instillant que c'est trop compliqué pour qu'ils expriment un avis éclairé ou valable. Peine perdue : « ce qui ne marche globalement pas, en particulier dans les classes populaires, qui observent ces débats avec distance ».
Les auteurs sont un peu nunuches avec leur référence rébarbative aux « classes populaires », sans doute de peur de ne pas être édité en nommant l'hérétique et ringarde « classe ouvrière » ; mais leur démonstration déshabille très bien l'éloge bourgeois et gauchiste de la diversité et de l'antiracisme qui voilent si bien l'homophilie de classe bourgeoise :
« Sur la question des discriminations – un thème dont la gauche de gouvernement se fait traditionnellement la spécialiste – les différences ne sont pas non plus flagrantes. Chacun des deux grands partis partage une préférence pour la notion de « diversité », consistant à faire la promotion de la différence (sur la base essentiellement des critères de sexe et de la race) au détriment de l'égalité. C'est ce qu'a montré Walter Benn Michaels ; pour éviter de devoir réduire les inégalités sociales (particulièrement de revenu), les hommes politiques et les dirigeants des grandes entreprises préfèrent afficher la diversité de leur composition : tel conseil d'administration a une femme à sa tête, tel gouvernement a des ministres issus de la « diversité ». Bien évidemment, il ne s'agit pas de lutter réellement contre les discriminations mais, au contraire, d'en favoriser l'expression par le biais de discriminations « positives » à laquelle les élites sont converties ; notamment depuis que Sciences Po a mis en place des modalités de concours sur cette base. (…) La diversité, comme beaucoup de thèmes de société, sert d'écran de fumée pour éviter d'être contraint de réduire réellement les inégalités socio-économiques et de favoriser la représentation des classes populaires ». Nos auteurs qui abusent de ces termes idiots de classes populaires (pourquoi pas classes populistes pendant qu'ils y sont!) ratent une donnée fondamentale depuis l'invention de l'Europe flagorneuse des régions au-delà des patries : la théorie de la diversité est surtout un moyen de liquider tout réel internationalisme car diversité rime parfaitement avec nationalité, avec ou sans condoléances. De même que ce n'est pas exclusivement le chômage et sa menace perpétuelle qui fondent la réflexion dans la conscience de la classe prolétarienne, mais de plus en plus, face à une société ultra-consumériste et de règne du bazar et du folklore du tiers-monde, les questions du mode de vie.
Les auteurs se rattrapent pourtant superbement malgré des mailles dans leur raisonnement, ou en ne poussant pas au bout leurs constats, en particulier en relevant le jeu entre Valls « le fasciste » et ses colistiers « humanitaristes » de l'extrême gauche, dont la conflictualité « produit les effets recherchés » : « relancer la conflictualité sur les questions migratoires et d'intégration tout en faisant oublier la question sociale ».
Le chapitre IV est incontestablement le plus intéressant. Il analyse la composition et le mode de fonctionnement des divers partis bourgeois. La description est précise et rigoureuse, notamment concernant le FN ; puis le couperet tombe : tous ces partis sont irréformables.

LA PREMIERE VERITABLE CRITIQUE DU FRONT NATIONAL

Pas vraiment du côté des cercles maximalistes, autrement lucides sur la nature de ce parti bourgeois que les gauchistes hystériques, mais pour un large public si. Au niveau de « l'offre politique », face à une gauche radicale (dite) devenue élitiste – il eût été convenable d'ajouter « moraliste » - si l'on peut comprendre le vote contestataire pour le FN, il ne faudrait pas que ses électeurs le prennent pour une véritable roue de secours ou le miroir enfin trouvé de leurs préoccupations ; il pue non le fascisme mais la petite bourgeoisie plouc et le népotisme ridicule : « … sa rhétorique ouvriériste ne doit pas faire oublier qu'il est avant tout un parti de commerçants, d'artisans et de chefs d'entreprise, contrôlé par une famille et désormais en vois d'énarquisation ». Ses buts institutionnels ne sont en rien différents de ses autres concurrents, comme les ont définis deux de leurs collègues : « un article de Katz et Mair - « L'émergence du parti cartel » - dans lequel ils montrent que les partis ne cherchent plus à attirer en masse des sympathisants mais simplement à s'assurer des ressources de l'Etat pour permettre la survie de l'équipe dirigeante ». Paf dans le mille, c'est leur but à tous, de Washington à Téhéran quand Daech n'est qu'un petit arriviste. Tous ces partis technocrates déploient un « clientélisme oligarchique » et les bestiaux peuvent continuer casque sur la tête à écouter barrir la grosse Adèle à la caisse du supermarché. Nos auteurs n'osent pas le dire mais la gouvernance moderne telle qu'ils la décrivent tient du fascisme sublimé : « 'la réalité' est une politique économiste clientéliste en faveur des 10% les plus riches »9. Ils n'ont plus qu'à recopier le célèbre sociologue Michels avec sa « loi d'airain de l'oligarchie » qui démontre que toutes les directions de parti sont constituées inévitablement de plus en plus de bourgeois, et que cette « professionnalisation de la politique est une dérive très ancienne ». Pour eux en tout cas elle semble nouvelle quand, nous, en 68, avions prétendu nous emparer de la politique pour la séparer du fric. La gauche bourgeoise était morte cette année-là même si on nous l'a ressorti de la naphtaline avec le chimiste Mitterrand ; mais nous sommes contents que des tit'jeunes sociologues lui administrent encore une raclée : « être de gauche est devenu une valeur conforme aux pratiques d'une certaine partie des classes supérieures, mais non plus une idéologie porteuse d'un projet majoritaire ».
Revenons à la famille Le Pen, après les tribulations souvent mal informées de nos auteurs en milieu gauchiste – il est vrai que les extrèmes se côtoient dans la même bêtise : « Le Front national a toujours été un parti dynastique, tenu depuis sa création en 1972, par un membre de la riche famille Le Pen ». Autre constat dérangeant pour les journalistes gauchistes qui méprisent la classe ouvrière (et font partie des 10 % de profiteurs nationaux) : « Traditionnellement, le Front national rencontre ses succès dans le Sud de la France, auprès d'une population de petits commerçants et d'artisans ». Même s'il a abandonné le volet libéral de sa plate-forme électoral, et que, dans le Nord, des couches populaires plus proches du lumpen que de la classe ouvrière le soutiennent : « les ouvriers s'orientent davantage vers l'abstention que vers le Front national. Il y a d'ailleurs, indéniablement une forme de mépris de classe à associer systématiquement les ouvriers au Front national ». 
 
QUELLES ALTERNATIVES ?

Les auteurs sont très lucides sur les causes non tant de l'abstention (on s'en fout, c'est même un faux problème pour les bourgeois qui s'en accommodent sans complexe) que sur l'état du mouvement ouvrier : « des salariés atomisés géographiquement et mis en concurrence », éclatement entre unités de production, l'entreprise qui n'est plus un lieu de discussion : « On tend à être davantage seul au travail, ce qui a des conséquences sur l'image que l'on a de soi et de sa catégorie sociale (la référence à la classe ouvrière diminue, et tout le monde tend à se dire membre de la « classe moyenne ») mais aussi à sa capacité à s'organiser sur son lieu de travail ». Quant à s'organiser au niveau politique, moins borné que la syndicalisation, il est impossible pour la majorité des prolétaires vu les horaires délirants (et nos auteurs l'oublient, l'éloignement du travail) quand sont surreprésentés dans les partis pourris, employés du public, profs et cadres...
Le temps sur le lieu d'exploitation est si décalé qu'il accroît encore cette solitude sur laquelle prospère les élites dirigeantes. La plupart des couches de « salariés » de l'ouvrier au cadre moyen ne voient comme avenir que le cri de Munch.
Les auteurs brossent enfin rapidement les recettes offertes par la bourgeoisie pour un éventuel repêchage des bestiaux :
  • la démocratie participative : on se souvient des meetings présidentiels de S.Royal assise sagement en coin et prenant des notes des bestiaux au micro ;
  • les consultations citoyennes : autour d'un verre dans l'appart d'un bobo parisien ;
  • les conseils de quartier, figuratifs et non décisionnaires, les bestiaux sont contents d'avoir eu le micro trois minutes10 ;
  • l'uberisation politique par la décharge internet : no comment
  • les marginaux zadistes, etc.
Devant le ridicule de toutes ces alternatives bourgeoises et petites bourgeoises, les auteurs ne baissent pas les bras, et frôlent le maximalisme marxiste : « Cependant, il nous semble tout à fait vain de considérer qu'il est possible de restaurer la démocratie sans bouleverser profondément la société, notamment ses structures socio-économiques ». Malheureusement ils reprennent des solutions, telles que la révocabilité immédiate des élus, qui dépendent étroitement seulement d'une révolution prolétarienne11. Ils s'égarent enfin sur des espoirs désormais frelatés sur les cliques Syrisa et Podemos, avant-dernières crottes du clientélisme oligarchique.
Il reste beaucoup à attendre d'une révolution violente, pas de discours prometteur pour un prolétariat qui raserait gratis. Leur bouquin reste indéniablement un sacré bon outil de travail pour tout militant maximaliste digne de ce nom.




Extraits pour les fauchés ici :

Mais Contretemps ne saisit pas le suc de l'ouvrage et ne cite que ce qui pourrait arranger la démocratie bourgeoise.

ET interview des Inrocks : http://www.lesinrocks.com/2015/12/03/actualite/labstention-des-classes-populaires-est-tout-%C3%A0-fait-logique-11791601/







1Ni non plus, au niveau local, une sélection par l'argent entérinée par la loi ; pour briguer un mandat municipal , le candidat doit payer de sa poche, comme le notent p54 les auteurs. Contrairement à la bienveillante propaganda, les maires « si proches du peuple », sont souvent les pires magouilleurs.
2C'est faux comme l'a montré Bourdieu, et c'est pourquoi tant d'ouvriers haïssent les enseignants, qui en plus posent à leurs représentants politiques ou aux donneurs de leçon d'antiracisme...
3Plus démagogue que les démagogues, M. Le Pen assure que « le peuple est supérieur aux élites parce qu'il se méfie de l'immigration »..
4Page 92, ils signalent la même démagogie avec l'usage aléatoire de la lutte contre le chômage, comme Leclerc lutte contre les prix : « Au nom de la lutte contre le chômage, il s'agit en fait de soutenir les grands groupes privés en creusant la dette publique et en réduisant les protections sociales des salariés »
5Y inclus chez les particules gauchistes (les auteurs reviennent plus loin sur les désarrois de Poutou au NPA), et j'ajoute idem chez les « minorités » ultra-gauches ou maximalistes, une pléthore de profs du supérieur occupaient ou ont toujours squattés les postes des CC ; il est vrai qu'ils payent en général de généreuses cotisations, dont je ne pouvais pas m'acquitter moi même lorsque je fus dans un de ces CC, ce qui me valut des dénigrements dans les couloirs. Je ne pouvais pas payer plus, point à la ligne. Je ne peux m'empêcher de penser que, comme dans le cas de l'église de scientologie, dans tous les divers organismes politiques, vous devez apporter une contribution financière en rapport avec votre position, si celle-ci est « élevée ».
6Pieter Lagrou « Mémoires patriotiques et occupation nazie », ed complexe CNRS 2003. Il faut noter que le "camp musulman" dans sa "diversité" assume souvent sans honte ses massacres; Erdogan est le premier chef d'Etat moderne à s'être flatté publiquement d'avoir fait tuer 3000 kurdes (alors que les chefs d'Etat occidentaux eux, plus discrets, ont souvent fait tuer un plus grand nombre de gens) et qu'il n'y a pas de quoi s'en vanter. Les potes des assassins du Bataclan répondaient dernièrement à l'interrogation d'un journaliste - "mais ils ont aussi tués des musulmans? - réponse: ce sont des dégâts collatéraux et qu'est-ce qui prouve que c'étaient des bons musulmans? Le cynisme moderne de l'esprit capitaliste moderne et décadent dans toute sa hideur.
7La Bataille socialiste « Site d'éducation, d' informations et de ressources documentaires pour le marxisme vivant etc. », publie l'histrion Y.Coleman, bouche bée comme tous les inutiles depuis un mois, qui se prend pour le roi du monde antiraciste et présente ses condoléances aux victimes (qui s'en foutent et de la solidarité de l'histrion plus encore) et aux proches comme s'il était le président Hollande. Incapable de la moindre idée originale ce stalinien dégénéré en démocrate apolitique est bien dans l'air du temps. Il compile un tas de textes d'ânes intellectuels pour « stimuler la réflexion », sortir des discours automates et des « appels abstraits à la guerre de classe ». Rue de Solférino on n'attend plus qu'il vienne signer sa carte d'adhérent.
8En sociologie, l'homophilie est un discours déterministe qui dit qu'on a tendance à s'associer à des gens avec lesquels on partage des formes de complémentarité liée à la langue, au sexe, au niveau culturel ou à l'ethnicité... Dans l'étude de l'amitié comme processus social, on a longtemps pensé que les gens évoluaient dans leur amitié par sexe, même milieu géographique, social, etc.
9Les camarades « antifascistes » de la diversité du résidu du PCF en font désormais partie, sans honte : « Le Parisien rapporte samedi que l’édile Didier Paillard, élu depuis 2004, a obtenu du conseil municipal une augmentation de 16 % de ses émoluments, qui passeront de 4 574 à 5 295 euros bruts par mois. Sa première adjointe Florence Haye passera de 1 957 à 4 477 euros (+129 %) et son adjoint au sport, Bally Bagayoko, de 1 577 à 3 183 euros (+102 %).
En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/politique/article/2015/12/19/a-saint-denis-l-augmentation-des-indemnites-de-certains-elus-passe-mal_4835304_823448.html#1LQKraLBu7ImGAzQ.99

10On est entré dans l'ère du syndrome de Nimby, acronyme de 'not in my backyard' (« pas dans mon jardin », le groupe de quartier ou l'assoc (cette merde à histrionnes) est organisé afin de protester pour son intérêt propre, en cherchant à éloigner des installations polluantes ou un aéroport (sic) de chez lui, sans considérer l'intérêt général. Le triomphe du fédéralisme proudhonien quoi !
11Après la révolution, je proposerai aussi l'interdiction du cumul des mandats dans le parti communiste, car le cumul était un mode de vie quand le CCI était nombreux, avec pour argument « trop de peu de camarades ont les capacités pour écrire ou réfléchir » … de façon suiviste .