PAGES PROLETARIENNES

jeudi 22 octobre 2015

BIEN GAGNER SA VIE COMME DJIHADISTE

ou la Charia victorienne relookée

«La question sociale, la question de l’exploitation, de toutes les formes d’exploitation...exige une vision globale de l’humanité ». Madeleine Rebérioux

« Il est vrai que l'histoire n'est pas une science ». Antoine Prost

« L'assimilation n'est plus à la mode. Multiculturalisme et bilinguisme sont à la mode depuis les années soixante-dix. L'idée que l'on pourrait produire un brave petit anglais ou anglaise à partir d'un immigrant mal dégrossi est désormais considérée comme du pur chauvinisme, du racisme et de l'impérialisme culturel, voire du génocide culturel ».
Ibn Warraq « Pourquoi je ne suis pas musulman » (édité en Suisse en 1999).


La pensée libre devrait être étouffée mais elle réapparaît malgré les tonnes de leçons de morale du régime. On bavasse de tout et de rien, on sépare violences religieuses et violence intrinsèque à la loi du profit. On pense éliminer les problèmes races en rayant le terme du vocabulaire. On montre du doigt les déshérités comme s'ils étaient les responsables des défaillances et de l'incurie du système. Le passant lambda, le blogueur moyen, le commentateur au bas des articles des journalistes bourgeois, je le lis, je me fiche de ses opinions politiques. D'ailleurs ce n'est souvent pas l'expression d'une opinion politique, mais un sentiment, un désarroi, un appel au secours, un sentiment de solitude avec souvent les délires qu'inspire la solitude. Je me pose la question : est-ce la question importante par rapport à tel événement ou fait divers ? Après le suicide-meurtre (par le père) d'une famille surendettée dans le Nord, je lis cette remarque – incomplète et biaisée - et je trouve qu'elle va au fond de nos fantasmes et de nos questions sans réponse pour la période actuelle ; je n'ai en outre aucunement envie d'insulter cet anonyme. J'essaierai de lui répondre, quoique mes réponses soient déjà, triviales, dans le titre.

«le suicide c'est le sort réservé aux Français en mal d'existence. La priorité de nos gouvernances étant d'accueillir dignement ceux qui, dans un avenir proche, nous imposeront leurs us et coutumes ».

HISTOIRE ET CONQUETES RELIGIEUSES

L'analogie en histoire est toujours spécieuse, entachée de parti pris idéologique. Les événements peuvent se répéter deux fois mais jamais dans le même contexte. L'historien professionnel lui-même n'a pas un raisonnement différent du lecteur lambda. Il raisonne par analogie avec le présent, transférant au passé des modes d'explication qui peuvent convenir surtout au présent, mais pas forcément à l'avenir1. Mais les sociétés successives et civilisations demeurent comparables, heureusement, comparer fait partie de la réflexion et du discernement, de même qu'aucune société, aucune civilisation n'est éternelle. La forme nationale même démocratique, présentée comme une valeur refuge par ceux qu'on nomme nouveaux « phobiques » en tout genre, n'occupe que peu de temps dans l'histoire de l'humanité. Le mélange des peuples est une constante de l'Antiquité au Moyen âge. Au sommet des territoires conquis ou des royaumes ce ne sont même pas des autochtones (natifs du coin) qui disposent du pouvoir. Au Xe siècle, deux frères vikings sont rois de Sicile. Depuis le début du 19e siècle, un beau-frère de Napoléon, Bernadotte, est à l'origine de la lignée de l'actuel roi de Suède. On peut être viking et roi d'Italie, comme français et roi de Suède ! L'histoire n'a pas de patrie ni de lignée sanguine de souche ! Mais mais... les héritages culturels ressortent toujours.Ce qui n'empêche pas le multiculturalisme de contenir une partie de la solution de la fin des clivages nationaux bornés. Bien qu'il fasse parfois de justes constats de la déliquescence culturelle et éducative du « modèle français »2, A Finkielkraut est creux, il se choque de la phrase célèbre du parolier du groupe rock Grateful Dead : « Vous êtes terrifiés par vos propres enfants car ils sont nés dans un monde où vous serez à jamais immigrants »3. C'est un peu vrai, si l'on écarte la guimauve de gauche universelle et musicale, les prolétaires – qui ne sont pas tous spécialement immigrés ni issus de l'immigration – se vivent depuis leur origine de classe (pas leur identité, terme imbécile) comme « de passage », avec la peur du lendemain, de l'expulsion de leur logement, du suicide terrible, comme cette famille de 5 personnes dans le nord exécutée par le père pour cause de surendettement, où personne n'ira protester ou compatir comme les artistes pour les migrants. La vie de prolétaire est une vie d'immigration permanente, de nomade comme le dit le snob Attali. Rien n'est sûr sous le règne d'un salariat de plus en plus destructeur, où les premiers tombés, chômeurs et réfugiés refoulés, ne peuvent compter sur aucune solidarité, chacun restant sur sa motte castrale. Avec les chansonnettes religieuses pour lot de consolation.

Petit détour historique. Au septième siècle, les conquérants arabes de la Sicile fermèrent un certain nombre d'églises et de monastères, en tolérant l'ouverture de certains contre paiement d'un tribut. Ils se montrèrent tolérants alors que le christianisme semblait en voie de disparition.
Certains, tel l'émir Abdul Kassem Ali eurent l'intention de conquérir la Campanie et les Pouilles. Les villes italiennes s'enrichissaient alors des énormes butins collectés dans la Péninsule. Cette prospérité grandissante attira d'Afrique un grand nombre d'émigrants arabes. L'agriculture et le commerce s'épanouirent. En Sicile se développa la culture du coton, des grenadiers, des bananiers, des palmiers-dattiers et de la canne à sucre. Palerme devint une des plus grandes agglomérations d'Europe avec ses 350.000 habitants et ses 500 mosquées vers la fin du 8ème siècle. Sous une succession de princes arabes, la Sicile connut 27 ans de bonne administration. Les émirs arabes avaient pour habitude de réunir autour d'eux une foule d'astronomes,d'architectes, de savants et de poètes. Puis les discordes politiques intérieures entre clans africains contaminèrent la Sicile qui fût démembrée : « Alors la Sicile fut de nouveau la proie du désordre. Tout fut à recommencer. Mais, cette fois-ci, ce ne furent ni les Grecs, ni les Romains, ni les Byzantins, ni les Arabes qui rétablirent l'ordre et l'unité. Ceux qui firent se lever une nouvelle aube sur la Sicile, ce furent les Normands »4.
Poursuivons notre voyage possiblement analogique.Venus du bled de Hauteville-le-Guichard, dans la presqu'île du Cotentin, descendants des nombreux vikings qui avaient peuplé la France au Xe siècle, deux frangins de la famille Tancrède, Roger et Robert, s'avisèrent d'aller chercher fortune plus au sud. En pleine époque du Saint Empire germanique (n'y voyez aucun parallèle) ils réussirent à former une troupe de soudards pour aller combattre les Grecs d'abord, puis les princes italiens. Leurs rapines furent couronnées de succès grâce à l'étrier qui leur permettait de supporter une armure plus lourde. Robert devint rapidement comte des Pouilles puis invita Roger à le rejoindre. Les deux frangins se querellèrent immédiatement, le partage en deux de la Sicile ne mit pas fin à la lutte pour le pouvoir. Roger triompha, chassa son frère, et s'empressa de remettre la religion musulmane à sa place, secondaire :
« Roger employa les années qui suivirent à conquérir la partie méridionale de l'île à consolider les parties qu'il détenait déjà, en érigeant des châteaux forts à tous les points stratégiques. Il sut s'attirer la bienveillance des populations en faisant preuve de tolérance dans le domaine religieux et en traitant les chefs arabes avec magnanimité. Sa tolérance à l'égard de la religion musulmane ne l'empêcha pas de faire tout son possible pour restaurer le christianisme. Il fonda des évêchés, fit venir des moines d'outre-mer et entoura l'île d'une ceinture d'églises. (…) Son fils, Roger II, le premier Hauteville à porter le titre de roi de Sicile (…) plus qu'un guerrier intrépide : « … aimait l'art autant que la guerre et, outre les innombrables services qu'il rendit à la population, il fit traduire d'arabe en latin les écrits de Ptolémée, patronna la rédaction d'une géographie universelle, transféra les ossements de Virgile du Pausilippe au Castel del Ovo à Naples (…) « Si les Normands étaient des guerriers prodigieux, ils furent des bâtisseurs non moins extraordinaires. Leur domination fut marquée par la construction des châteaux, des églises et des cathédrales dont ils couvrirent l'île, autant que par les palais et villas qu'ils érigèrent dans le voisinage de leur capitale. Ces guerriers nordiques, encore à moitié barbares bien que chrétiens, firent irruption dans un des pays les plus civilisés du monde. Mais la stabilité et la prospérité qu'ils apportèrent avec eux permirent aux arts (…) de s'épanouir peut-être comme jamais auparavant »5.

On pourrait ainsi continuer longtemps jusqu'à notre époque, ce qui montrerait que le cadre national n'a été que provisoire dans la grande transhumance universelle, mais nous laisse dubitatif dans l'obstination de la bourgeoisie à maintenir ce cadre face à son échec à réinstaurer un fédéralisme moyenâgeux de type européen autarcique. Rien ne pourrait par conséquent nous empêcher de constater que la comparaison « analogique » serait mal venue avec nos guerriers terroristes actuels qui ne font pas du pillage une nécessité mais l'apologie du meurtre et du suicide religieux. Je montrerai à la fin que l'effondrement de l'islam sera sans doute bien plus important que celui du 6, leur appel d'air à l'ouverture des frontières aux millions de victimes des guerres capitalistes, n'est pas simplement de l'irresponsabilité, mais une manière de faire croire que le capitalisme pourrait être encore progressiste. Ces collabos d'un système qui s'étouffe dans sa décadence, ne sont pas du tout les annonciateurs d'un monde nouveau mais des prébendiers d'une caricature de l'internationalisme du prolétariat, lequel n'a jamais été l'apologie de la fuite des populations subissant les guerres, et s'échappant sans pouvoir les combattre ni politiquement ni socialement. Réduites à l'état de mendiants ou de maraudeurs ?
catholicisme, devenu réellement superfétatoire. Et que si tous les enchanteurs d'un islam tolérant, stalinisme recyclé, de Médiapart à Rue 89 et au pitre interchangeable Joffrin ne font que s'inspirer de la guimauve d'un historien d'extrême droite

CLASSES DANGEREUSES ET MIGRANTS


Dans son célèbre ouvrage – Classes laborieuses et classes dangereuses7 (1958) – Louis Chevalier commence par expliquer, ce qui lui vaudrait aujourd'hui le qualificatif de facho, que la prolifération des crimes s'explique surtout par l'arrivée massive de migrants qui viennent s'entasser dans les villes au 19e siècle. La population de Paris a fait plus que doubler en un demi-siècle sans que les possibilités de logements et d'emplois aient beaucoup évolué. Le nombre d'habitants était passé de 600 000 en 1800 à plus d'un million en 1850. Au contraire, l'ouvrage d'Engels, près d'un siècle plus tôt, qui s'était penché lui en temps réel sur les conditions déplorables de vie de la classe ouvrière pour en relever l'aspect révolutionnaire, ne s'était pas attaché à cet aspect « pathologique » dans le cours du développement du jeune capitalisme, les différentes formes du crime, comme maladie sociale, n'avait pas retenu particulièrement son attention, la seule véritable classe dangereuse, et pas un lumpenprolétariat de coupe-gorge, était la classe des fabriques et du salariat.

Au 21e siècle, si les prisons regorgent toujours des derniers arrivants sur le territoire, cela n'est pas dû au croupissement initial inévitable des premières urbanisations industrielles, mais un aspect de la collaboration des partis de gauche et des syndicats au maintien des inégalités en même temps que de l'impuissance des Etats nationaux à absorber les nouvelles populations, comme on le voit plus brutalement en ce moment.
A la veille de l'an 2000, deux auteurs, Stéphane Béaud et Michel Pialoux – Retour sur la condition ouvrière – avaient assez bien décrit le déboussolement des « proles  » des ouvriers immigrés déjà assimilés au salariat : « Cette fraction de classe particulière que constituent les enfants de l'immigration post-coloniale se retrouve « coincée » entre, d'un côté, un héritage ouvrier racorni, peu attirant, et, de l'autre, un héritage colonial à la foi mal connu d'eux et traumatisant ».
En réalité, depuis une quinzaine d'années, voire plus, l'héritage colonial ne fait plus que tapisserie, largement dépassé, voire sublimé par les exigences islamiques, qui sautent par-dessus l'héritage colonial tout en ne pouvant pas expliquer comment il se fait que Mahomet descende, comme nous tous, de l'homo-sapien. Mais, plus grave encore est le fait que les proles des ouvriers immigrés, en grande partie, n'ont plus l'occasion de « se prolétariser », comme nombre de proles « de souche »8
ni de trouver du travail à foison hors des services et du job de vigile très grand et musclé.

Le terme « classes dangereuses » aurait été inventé au mitan du 19e siècle par un certain A.Frégier, et adopté rapidement par la bourgeoisie anglaise pour qualifier les pauvres et les ouvriers qui, chacun à leur façon, menaçaient l'ordre social. Pour se protéger la société victorienne enfermait les deux catégories soit dans la prison soit dans la Workhouse. C'est au milieu des années 1970 que le stéréotype de classe dangereuse réapparaît, modernisé, sous celui de délinquants, de membres d'une underclass qui portent baggy et sweatshirts à capuche. La criminalité est donc encore le fait des déshérités mais pas des criminels en col blanc et autres banksters. En 2007, un rapport de la police britannique fournissait les caractéristiques typiques du détenu moyen au moment de son incarcération : 12% des détenus étaient sans abri, 31% étaient au chômage, et 40% n'avaient pas de diplôme officiel. Les détenus adultes hommes d'origine africaine ou antillaise purgent des peines d'incarcération qui sont 44% plus longues que celles des hommes blancs ; cette dernière estimation pouvait être considérée comme déformée par un sondeur antiraciste primaire car n'était pas précisé la nature du crime ni le niveau de socialisation du détenu9.

L'islam est présenté aujourd'hui comme la principale religion servant de couverture aux violences dans les faits divers comme dans les crimes des bandes armées terroristes au service d'un impérialisme ou d'un autre. En réalité toutes les religions ont été des vecteurs de guerre et le restent. En Inde les fanatiques hindouistes s'attaquent aux musulmans et aux chrétiens. En Birmanie, les bouddhistes persécutent la minorité musulmane des Rohingyas. La chrétienté bat certainement des records historiques dans le massacre des populations : croisades, conquêtes coloniales et dernièrement au Rwanda en 1994, des prêtres dirigeaient le génocide.
On jase sur un grand remplacement comme saloperie de l'extrême droite pour assurer (quoiqu'elle ait en partie raison) qu'on va vers une invasion et une islamisation totale des sociétés européennes, quand cette nouvelle « religion des pauvres » n'ira plus très loin et que la bourgeoisie veut surtout, à l'aire de la flexibilité chérie utiliser le drapeau islamique comme grand remplaçant... du stalinisme. Avant le « grand enfermement » religieux10, je vous propose de goûter encore, après avoir donc osé la comparaison avec les invasions normandes et sarrasines du Moyen âge, les us et coutumes de la charia... victorienne.

Plus que les lendemains du massacre de la Commune de Paris, plus que la longue période de réaction stalinienne des années 1930, la période victorienne peut présenter des ressemblances avec notre époque de retour du refoulé religieux et des porte-cierges de l'idéologie dominante de Obama à Hollande jusqu'aux petits séminaristes islamo-gauchistes. Ce n'est pas pour rien que le maximalisme issu de la gauche de la IIIème Internationale a soutenu depuis 1945 que le gauchisme (trotskismes et variétés d'anarchisme) était bourgeois. Sous couvert internationaliste il aura contribué à dissoudre toute spécificité de classe ouvrière, ce qui ne serait pas négatif en soi si cette classe se considérait en autarcie, ou n'avait été selon l'acception stalinienne qu'une compil de corporations, mais comme le prolétariat n'est pas une communauté, chevauche toutes les classes, lesquelles sont toutes susceptibles d'y tomber, mais il resteront historiquement des traîtres définitifs en ayant contribué derrière les puissants à saper sa confiance en soi. Ils se battent d'ailleurs au profit du pouvoir existant en dénonçant un pouvoir inexistant, qu'ils n'ont pas connu ni subi, le fascisme. Exactement comme les curés combattaient la laïcité sous le règne de la reine Victoria.

On présente l'époque victorienne comme totalement réactionnaire, ce qui est abusif. Cette époque coïncide avec la révolution industrielle et la nécessité de la mise « en ordres » de la société, affirmant la délimitation des classes sociales et surtout la nécessité de dompter la toute nouvelle classe ouvrière, qui avait les moyens de ne plus subir le knout comme les classes paysannes.
Il fallut mettre fin à l'ignoble « Bloody code » dans les premières décennies du 19e siècle, code sanguinaire et sans pitié qui ne différenciait aucunement entre les types de crimes ; tous, depuis le plus petit larcin jusqu'au meurtre, incluant les offenses au droit de propriété, étaient condamnés à la peine capitale. Un rapport de la Royal Commission en 1837 réduisit considérablement l'application erratique de la peine de mort. A la même époque l'industrialisation massive déplaça les populations de la campagne vers la ville. La dangerosité rurale primaire, des vagabonds et bandits de grand chemin, fût remplacée plus communément par des crimes urbains associés à une délinquance de classe ouvrière encore peu socialisée et pas organisée ; sans syndicats, il arrivait que pour tout dialogue des ouvriers tuent des patrons11.
La bourgeoisie et la noblesse victoriennes avaient l'impression que la criminalité augmentait, et justement la fin du « Bloody code » correspondait à la nécessité de hiérarchiser les condamnations plutôt que de pendre et torturer à tout va, pour éviter les émeutes d'une nouvelle classe vraiment dangereuses celle-là et moins facile à domestiquer que la paysannerie.

L'irrationalisme britannique reste légendaire. A côté de progrès indéniables, demeurent des lourdeurs idéologiques. Contrairement à la bourgeoisie française qui avait développé une police centralisée depuis 1789, ce n'est qu'en 1829 qu'est créée une police métropolitaine sous l'égide de Robert Peel. On avait considéré jusque là que créer des forces de police était une atteinte à la liberté individuelle ! Comme de nos jours, interdire aux migrants de venir en Angleterre serait anti-libéral, c'est pourquoi la bourgeoisie anglaise laisse le sale boulot à sa consoeur française.
Chaque réforme britannique s'accompagne du poison idéologique des classes exploiteuses. La création de la police se justifie donc face à une « classe criminelle », truands et ouvriers confondus12.
Bien avant le capitalisme musulman de l'Iran ou de l'Arabie Saoudite, le crime à l'époque victorienne est ce qui vient contrarier l' « ethos » protestant (cf. Max Weber). La mentalité capitaliste, sous couvert de la religion, devient sacrée : le travail rime avec le bon ordre, le crime (grève ou vol) est synonyme de désordre, donc la lutte de la classe exploitée est un blasphème.
Autre paradoxe britannique qui se retourna contre les classes dominantes, on pensait que l'exhibition de l'exécution publique des criminels servirait de leçon pour que chacun respecte le « bon ordre », au travail surtout13. Or, au contraire, à travers ce spectacle le criminel était élevé au rang de héros, idole des foules qui se déplaçaient en masse pour voir son exécution, non pour le siffler mais pour l'applaudir14. Dickens, qui avait assisté à des exécutions, décrit une fascination mêlée de répulsion. Or, ce que ne comprennent pas les auteurs ou historiens britanniques qui rapportent ce phénomène, c'est qu'il s'agit, un peu comme les premiers chrétiens face aux lions, d'une prise de conscience de classe primitive, qui, confusément, comprend qu'elle ne pourra pas tolérer longtemps le « bon ordre », que, à leur façon criminelle, les bandits condamnés – victimes finalement eux aussi – montrent que la violence est nécessaire, qu'il ne faut plus... se laisser faire. Et en même temps que le condamné, personnage devenu légendaire, était bien seul... et toujours condamné seul. Comme s'il valait mieux envisager que tous les prétendus « criminels » contre le « bon ordre » se liguent...15

La période victorienne est dominée par une Reine qu'on dit sévère, mais légère de la cuisse, quand tout est bouleversé en Europe, où se déroule au même moment un véritable printemps des peuples en lutte pour la démocratie, et qui va provoquer en Angleterre également l'éclosion des divers linéaments du mouvement ouvrier vers la maturité de classe confiante en elle-même : socialisme utopique, anarchisme, syndicalisme. La plupart des grands bâtiments modernes et fonctionnels de Londres sont bâtis au cours de la deuxième moitié du règne de Victoria. L'industrie et la conscience de classe progressent en dépit des querelles religieuses16.
Paradoxale période victorienne où cette reine porte 22 ans le deuil de son mari mais couche avec un domestique. Bernadette Soubirous voit la vierge à Lourdes en 1858. Les missionnaires contribuent au sale boulot des colonisateurs en Afrique. Le siècle voit le triomphe de la peinture religieuse, Ingres en France et préraphaélites en Angleterre. Les prussiens se révoltent contre les français au nom du roi et de dieu. C'est pourtant le siècle où progresse le plus vite l'esprit des Lumières, où la déchristianisation traverse surtout la classe ouvrière. La science remplace la religion et devient même une nouvelle religion, le scientisme, voué à décliner au siècle suivant. Napoléon avait déjà commencé à placer la religion aux ordres du pouvoir sécularisé ; sous le Concordat le catholicisme n'est plus considéré religion d'Etat17.
Le rom antisme perdure en la première moitié du dix-neuvième. Il était une réaction très religieuse, mystique face à l'échec des idéaux de la révolution française18. Pourtant, il a produit Saint-Simon, lequel quittant la sphère de l'individu en vient à critiquer les conséquences sociales de la révolution industrielle, et donc à jeter les linéaments du socialisme. La religion est historiquement défaite face à la perspective socialiste qui va s'affirmer désormais de plus en plus au plan social comme au plan politique. Comme l'a fort bien dit un auteur : « A force de chercher le chaînon manquant, le monde religieux s'est trouvé inquiété quant à la possibilité qu'Adam et Eve pouvaient être un peu plus poilus que la moyenne, marchaient à quatre pattes, et vivaient en haut d'un arbre en s'épouillant sans trop se poser de questions à propos d'un quelconque fruit de la connaissance ».

Après la défaite de la Commune de Paris, séparant l'Eglise de l'Etat, on retombe dans les bigoteries ; l'année 1873 est l'année des pèlerinages, liée au sursaut patriotique et religieux au lendemain de la défaite de 1870 mais plus encore à l'éradication de la population ouvrière de Paris par le massacre des Versaillais. La religion ne tient pas les ouvriers en odeur de sainteté, vieux traumatisme remontant aux premières « classes dangereuses » indistinctes19.

La loi de séparation de l'église et de l'Etat, déjà effective aux Etats-Unis à la fin du 18ème siècle, est plus significative dans la vieille Europe en 1905 ; elle est une grande étape dans l'histoire de l'humanité, alors qu'elle est encore très accommodante pour les religions officielles ; quand tant de sectes à notre époque pleurnichent pour être tolérées et financées, certaines y parvenant plus ou moins en étant présentes dans les rouages de l'Etat (cf. la scientologie en Amérique, mais aussi les Témoins de Jéhovah en France). La pudibonderie de la bourgeoisie anglaise, héritée de sa période charia victoria dans sa défense du voile musulman illustre tout à fait comme les Etats modernes, intégristes pétromonarchiques comme démocratiques oligarchiques ont besoin DES RELIGIONS et n'ont aucun scrupule à les financer. Le prolétariat était resté méfiant quant à l'application de cette loi, et il avait raison, mais savait qu'on ne peut en finir avec les religions qu'avec la fin du capitalisme, s'il n'est pas remplacé par un autre capitalisme20

Les confusionnistes à la Baubérot qui vantent la tolérance à l'égard de l'islam comme une fidélité à l'esprit de sa version cool et multiple de la loi de 1905, veulent absolument faire admettre que les religions sont éternelles et dans le fond démocratiques les unes avec les autres et si tolérantes qu'il faut encourager l'Etat à les entretenir. C'était à un poil près la position des politiciens les plus républicains au moment de l'affaire Dreyfus. Désirant ménager les puissances d'argent, ils avaient exploité comme dérivatif l'anticléricalisme, l'anticléricalisme scolaire. La bonne société catholique s'était discréditée avec la condamnation outrancière du bouc-émissaire Dreyfus, l'université laïque avait été obligée de recruter ses cadres enseignants chez des familles protestantes et juives. Comme aujourd'hui, dans le 9-3 en particulier il est de bon ton de recruter chez les familles musulmanes dont le fils a réussi à être diplômé, même s'il est salafiste21.

La science n'a pu supplanter la foi. Elle n'est qu'un outil mais par sa méthode, le doute permanent, elle a fini par faire plus progresser l'humanité que les religions avec leurs certitudes superstitieuses , hypocrites et excluantes.


POURQUOI DE NOMBREUSES FEMMES SE LAISSENT-ELLES EMBRIGADER DANS L'ISLAM SOFT OU HARD

On le sait et je vais le rappeler ici, la période victorienne est un sommet pour l'oppression de la femme dans un pays en pleine vague d'industrialisation, et toujours le même paradoxe avec cette période bâtarde – réactionnaire et progressiste – c'est à ce moment-là que va se poser la question d'une libération des femmes, à la fois de l'oppression sociale et mâle.
La comparaison nous saute encore inévitablement à la figure ; mais l'histoire n'est-elle pas un va et vient incessant à la réflexion entre le présent et le passé ? Un pays sans armée de grande puissance comme l'Allemagne a tout intérêt à utiliser une religion qui encadre mieux les ouvriers étrangers qu'il va surexploiter que n'importe quel vieux barnum syndical ; il y a d'autres moyens que les armes pour s'imposer au plan international, c'est pourquoi pour l'essentiel derrière Greenpeace il y a la bourgeoisie teutonne22.
Le port du voile comme celui de la burqa, si estimé en Angleterre et en Allemagne, n'est pas une fuite à l'égard du monde, mais une affirmation personnelle avant d'être communautaire ou politique, qui colle pleinement avec le libéralisme économique triomphant... sur des salaires au rabais et une flexibilité...nomade. Je l'ai déjà souvent remarquer : portez vous-même un voile ou un masque quelconque et vous verrez combien vous intriguez vos semblables, ce qui est le propre du carnaval – étonner – fonctionne à fond. La plupart j'en suis convaincu ne croient pas plus à Mahomet que je ne crois à Jésus Christ. L'apparition généralisée du voile en Europe occidentale n'est qu'un produit de marque. Depuis la fin des années 1970 les ados ne veulent porter que « de la marque » vestimentaire. C'est l'habit qui fait le moine, c'est le voile qui fait le jean. Le marquage commercial fonctionne avec l'impératif de l'imitation, pourquoi n'en serait-il pas de même avec le voile spectaculaire et tentaculaire ? Même si personne n'a osé encore le voile nike, il est divers, coloré, souvent érotiquement disposé laissant apparaître de beaux cheveux et des boucles de jais, sauf pour les moches et les pots à tabac. Le voile obéit donc plus à la dictature des marques qu'à la dictature du Coran. Il choque comme choquaient dans les sixties les jeans passés à la javel ou les premiers baggys des années 80. Il n'est pas uniquement le symbole de la servitude féminine, comme le rappelle Ibn Warraq (p.376), il est surtout symbole de possessivité d'une « marchandise » ; la femme au 21ème siècle ne reste-t-elle pas la plus essentielle marchandise de l'homme, qu'il la vête chez Dior ou à l'étal folklorique de la porte de Montreuil ?

Leur voilage tient plus du comportement anarchiste de défi que d'une sereine et profonde croyance qui, comme la sagesse, n'a ni besoin de provoquer ni de se faire valoir. C'est une mode et qui disparaîtra comme la mode islamique, comme la mode des casquettes ouvrières et des chapeaux haut de forme des bourgeois d'avant-guerre.
L'histoire de la plus vieille nation capitaliste – cf. l'article de Victor Hugo que j'ai reproduit dans mon message blog de juillet 2014 - l'Angleterre, montre comment la classe dominante peut alterner période de pruderie extrême et période de relâchement des mœurs. Autant aujourd'hui, la bourgeoisie britannique nous joue la farce du multiculturalisme – à Londres des policières portent le voile islamique et des quartiers entiers ressemblent à Islamabad – autant à l'époque victorienne l'irlandais était considéré comme un sous-genre humain (préjugé qui n'a pas non plus vraiment disparu pour les ex-colonisés en France), autant la femme n'était qu'un objet. Les femmes anglaises obtiennent le droit de vote en 1869, les françaises presque un siècle plus tard, mais dans les deux cas, cela ne changera rien à leur condition d'oppressions.

La condition féminine dans la société victorienne présente bien des aspects d'oppression comparable à la charia, mais le dépassement de cette condition de femme « désincarnée »23 (corps perçu comme abritant une âme pure et innocente comme un enfant) va nous permettre de comprendre que la femme musulmane peut aussi s'échapper de la prison religieuse comme la femme victorienne a pu s'échapper d'une société étouffante soutenue par une religion arriérée ; avec cette différence que, n'en déplaise aux bourgeoises féministes, c'est sous la pression et avec l'éclosion de la force ouvrière, et surtout des révolutions du début du 20e siècle que la question de l'émancipation politique des femmes, pas seulement des nanties pour leurs hobbies, sera véritablement posée, comme elle ne pouvait pas l'être avant.

C'est au cours de la vague de printemps des peuples de 1848 que les femmes commencent d'ailleurs à prendre la parole dans la rue, les associations et les journaux24. Le chemin sera encore long. Saint-Simon prêchait l'émancipation jumelle des prolétaires et des femmes depuis le début des années 180025. Contrairement aux interprétations ou aux lacunes des féministes bourgeoises, la question du vote des femmes est liée au mouvement ouvrier, lequel ne néglige jamais vraiment cette question. Même si l'Angleterre a précédé la France d'un siècle pour accorder le droit de vote aux femmes – ce qui n'avait nullement révolutionné le cas de la femme anglaise – la problématique redoutée par la plupart des ouvriers engagés dans le syndicalisme et le socialisme (la femme vote pour les curés) était une réalité, comme est une réalité l'autorité de l'imam chez les musulmanes, même pour les questions les plus intimes26. Cette opinion dominante chez les ouvriers électeurs depuis peu n'était pas réactionnaire parce que la plupart des femmes ne travaillaient pas encore et n'étaient pas au fait de la réalité sociale cloisonnée aux tâches ménagères ou de larbinage chez les bourgeois. Michelet, dans son cours au Collège de France en 1850 se fait l'écho de cette idée, accusant les femmes de l'échec de la République en incriminant « leurs liens avec les prêtres » ; mais comment interpréter cette prise de position puisqu'elles ne votaient pas... sauf celles qui portaient la culotte jusque dans l'urne (non encore isolée) !

Michelle Perrot transmet une explication qui va plus loin et décoiffera nos fémino-gauchistes : « le passage d'une conception familialiste du vote, qui faisait du père de famille le représentant « naturel » des siens (…) à une conception individualiste, selon laquelle le vote est un acte personnel, indépendant et potentiellement secret (secret entériné ultérieurement par l'obligation de l'isoloir, la loi de 1913 parachevant cette évolution juridique et symbolique)27. C'est George Sand la magnifique qui se gausse avant tout le monde des féministes bourgeoises (M.Perrot est très désagréable dans sa façon de rapporter l'attitude de George Sand) : « ...le refus de George Sand d'être la candidate (au Parlement) de « ces dames » n'est pas seulement répugnance de star à être manipulée – elles l'avaient officiellement choisie sans l'avoir consultée – mais adhésion à une conception différente et, à certains égards, plus moderne du droit de suffrage et de l'avenir de l' « individue »-femme. Sand fait de l'obtention des droits civils un préalable absolu. « Les femmes doivent-elles un jour participer à la vie politique ? Oui, un jour, je le crois avec vous, mais ce jour est-il proche ? Non, je ne le crois pas (…) La femme étant sous la tutelle et dans la dépendance de l'homme par le mariage, il est absolument impossible qu'elle présente des garanties d'indépendance politique, à moins de briser individuellement et au mépris des lois et des moeurs, cette tutelle que les moeurs et les lois consacrent ». « Il convient de ne pas commencer par où l'on doit finir ». « Quant à vous, femmes qui prétendez débuter par l'exercice des droits politiques (…), quel bizarre caprice vous pousse aux luttes parlementaires, vous qui ne pouvez pas seulement y apporter l'exercice de votre indépendance personnelle ? (…) Vous prétendez représenter quelque chose, quand vous n'êtes pas seulement la représentation de vous-mêmes ».

La question de l'émancipation des femmes, si elle apparaît secondaire pour la plus longue partie de l'histoire du mouvement ouvrier, c'est parce qu'elle relevait d'une question de type maximaliste, qui ne pourrait être réglée définitivement (comme le racisme) qu'après la destruction du mode de production capitaliste. Il ne faut pas oublier que c'est au tout début des années 1900, Pouget dans La Guerre sociale et Rosmer dans la Bataille syndicaliste qui se battent contre les attitudes rétrogrades au sein du mouvement ouvrier (contre les typos lyonnais en particulier) ; que c'est le jeune PCF qui présentent des femmes dans ses municipalités en se moquant de la légalité excluante des femmes prolétaires, comme des bourgeoises, mais qui ont toujours détenu le pouvoir vénal.

AUX ORIGINES DU MULTICULTURALISME MORALISTE ANTIRACISTE


Ces origines peuvent être multiples. Les uns diront que c'est Mai 68 qui a ouvert la voix (sensibilité droite caviar), les autres également (sensibilité gauche caviar). Disons que c'est un peu comme au début de la période victorienne, après une époque de chienlit, les Etats doivent se ressourcer avec une morale, et c'est tant mieux si cette morale dissout apparemment les classes.

Autrement on peut aussi évoquer l'époque où l'impérialisme américain bombardait joyeusement le Vietnam, où deux « révolutionnaires » ont montré leur souci de respecter les minorités, Lyndon Johnson et Richard Nixon :
« La politique d'affirmative action, c'est à dire de discrimination positive en faveur des minorités, a été introduite aux Etats-Unis en 1965 par le président démocrate Lyndon Johnson. Le but affiché était d'obtenir « non seulement l'égalité comme un droit et un principe, mais l'égalité comme un fait et un résultat ». A l'origine, il était entendu que les mesures d'aides particulières en faveur des minorités devaient être transitoires, le temps de leur permettre de rattraper la majorité. Le président républicain Richard Nixon introduisit ensuite une politique de quotas , notamment dans le système éducatif, destinée à protéger les minorités »28.
Toutes mesures que nous aurions qualifiées de type union nationale en temps réel, comme chez nous, en veille ou en temps de guerre où il n'y a plus qu'une nation sous le tas de cadavres des minorités diverses.

LE POGNON, LE GRADE ET LA RELIGION

La religion n'est plus simplement un opium du peuple, elle est comme l'opium, elle peut rapporter gros, elle est utile à la marche du système. Tout comme elle sert de carburant aux « minorités » « lésées », petits dealers de banlieue qui ne vont pas s'abaisser à travailler pour des salaires minables, grands dealers criminels des cartels de la drogue. La drogue et son commerce servent autant les armées démocratiques que celles qu'on nomment terroristes djihadistes. L'armée américaine a vu l'utilité de la circulation de la drogue au temps des massacres au Vietnam pour doper ses soldats, les achats d'armes par les gangs rivaux sont accessibles grâce à la vente de la drogue à l'échelle élargie.

Un autre élément doit nous interroger : si une société a tant besoin, dans toutes ses classes sociales, de consommer de la drogue (quelle qu'elle soit, même le pinard) c'est que le bon dieu n'est pas le bon dealer. On le dit à la marge, mais la croyance des voilées comme des djeuns n'apparaît pas très croyable lorsqu'on les croise aux rayons des supermarchés. Personne ne nous fera croire de plus que les engagés pour le djihad en Syrie y vont comme les brigades internationales allaient généreusement risquer leur vie contre le fascisme en Espagne ! Ils y vont pour deux choses : le galon et le pognon. Nos sans diplômes de banlieue, potaches réduits au rôle de livreur de pizzas ou de dealers hors classe bonne clientèle de la maison BMW, qui ne craint pas les paiements en liquide, sont donc eux aussi divisés en deux catégories : ceux qui réussissent dans le deal et ceux qui doivent se faire migrants guerriers. Entre les deux, les intellectuels fainéants – les curés de tout acabit, inventeurs des religions depuis les origines ont surtout inventé un moyen de faire travailler les autres à leur place – jouent les postiers et les pourvoyeurs de chair à canon.

Ce que je dis aux jeunes prolétaires désoeuvrés (je me fous de la nationalité ou pas) c'est ceci : l'islam radical s'exporte grâce aux pétrodollars de l'Arabie Saoudite, et vous êtes comme les collabos de Pétain à quelques mois de la libération, qui croyaient le règne de Hitler éternel, vous êtes perdus d'avance.
Sans diplômes, voués à des métiers de merde ici, vous aspirez à gagner du galon, quoique militariste et risqué pour votre longévité, et surtout à palper un argent facile dans une vie sans ennui consacrée au désir reptilien d'exploser ou gorger ses semblables, comme vous en avez rêvé dans la cour de classe primaire, OK, mais écoutez-moi.

Il y a eu un autre deal qui finira aussi mal que les petits deals de quartier, le « Pacte du Quincy » (lisez sur wikipédia), un fameux deal américano-saoudien :

« Le deal sous-tendant cette alliance pouvait se résumer de la manière suivante : le monopole américain sur le pétrole saoudien en contrepartie de la sécurité militaire assurée par les Etats-Unis. Il faut comprendre que se profile alors la Guerre froide et qu’il n’est pas question de permettre à l’Union soviétique de prendre pied dans la région qui contient les plus grandes réserves pétrolières avérées de la planète. A cet égard, les déclarations des responsables américains sont instructives dans la constante qu’elles révèlent par-delà les Administrations américaines. Comme le déclara en juin 1948, le secrétaire américain à la Défense de l’époque, John Forrestall : « L’Arabie doit désormais être considérée comme incluse dans la zone de défense de l’hémisphère occidental ». Avec le début de la Guerre froide, le nouveau président démocrate Harry Truman (1945-1952) se voulut plus explicite encore dans une lettre adressée à Ibn Saoud en date du 31 octobre 1950 : « Aucune menace contre votre royaume ne pourra survenir sans constituer un sujet de préoccupation immédiate pour les Etats-Unis ». Le changement d’Administration américaine avec le président républicain Dwight David Eishenhower (1952-1961) ne fit que confirmer ce grand deal. La « doctrine Ike » reposait plus que jamais sur l’idée cardinale selon laquelle on ne met pas en difficulté les alliés pétroliers du « Monde libre », ce qui revenait à leur assurer une sorte de garantie d’immunité, sinon d’impunité. C’est selon. Ces assurances américaines seront par la suite renouvelées par le président démocrate John Fitzgerald Kennedy (1961-1963) dans une lettre adressée à son successeur le roi Faysal, en date du 25 octobre 1963 : « Les Etats-Unis apportent leur soutien inconditionnel au maintien de l’intégrité territoriale de l’Arabie saoudite ». La base de cette alliance stratégique était encore résumée en ces termes à la fin des années 70 par Marshall Wylie, un diplomate américain : « Nous avons besoin de leur pétrole et eux de notre protection ». Cette alliance stratégique fut formalisée en ces termes par le président démocrate Jimmy Carter (1977-1981) dans son discours sur l’Etat de l’Union du 23 janvier 1980 : «Toute tentative, de la part de n'importe quelle puissance étrangère, de prendre le contrôle de la région du golfe Persique sera considérée comme une attaque contre les intérêts vitaux des Etats-Unis d'Amérique. Et cette attaque sera repoussée par tous les moyens nécessaires, y compris la force militaire ». On ne pouvait être plus clair. Le fait est qu’à l’époque, les Américains ne se préoccupaient pas véritablement du fait que le royaume saoudien n’était pas précisément un modèle de régime démocratique. Et ce, d’autant moins que les Etats-Unis allaient largement utiliser à leur profit les deux qualités essentielles faisant de ce royaume un partenaire stratégique indispensable, deux qualités qui se combinaient alors opportunément : la première résidait dans le fait que ce régime ultra-conservateur sur le plan politique et religieux était apparu en mesure de faire obstacle à la vague montante, dans les années 50-60, du « nationalisme arabe » à caractère républicain. Lequel s’exprima sous une forme résolument anti-colonialiste d’abord - notamment avec le panarabisme « socialisant » de Gamal Abdel Nasser en Egypte -, puis anti-impérialiste ensuite, ce qui ouvrait une « fenêtre d’opportunité » inespérée au développement de l’influence soviétique dans la région ».(lu sur Atlantico)


Ce pacte impérialiste devait se terminer récemment et a été renouvelé, avec un bémol, la fin du tout pétrole est prévue pour dans 53 ans. Les pétromonarchies le savent et prépareraient l'après-pétrole, nommé oecuméniquement et écolobobologiquement « transition énergétique en marche ». ON prévoit l'installation de quatre centrales nucléaire d'ici 2020, mais aussi aux Emirats la construction de la centrale solaire à concentration la plus grande du monde. Des Emirs appellent à faire des économies budgétaires déjà. On se marre. Le royaume des pétromonarchies, sans l'or noir, c'est le désert, le retour des chameaux à la place des limousines de rue. Des milliardaires assis sur le trottoir à moins qu'il n'aient déjà pris l'avion comme migrants « dans le besoin de sauver leur peau » vers leurs châteaux en Europe, en partant ils laisseront même à la poussière du temps la pierre noire. Personne ne pourra plus les sauver de la faillite, ni Mahomet ni l'ami américain. Et qui pourra payer nos petits soldat djihadistes et les faire monter en grade, même s'ils sont venus diplômés depuis l'Occident sacrilège qui risque encore de s'en tirer avec les vieilles ficelles du capitalisme rentier et bankable, à moins que le prolétariat en révolution n'ait commencé à faire fuir les immigrés capitalistes du CAC 40 vers les campings pour Bédouins ?
Enfin, face à mon interlocuteur anonyme, je tiens à lui dire que je ne crois pas possible une invasion ou un triomphe de l'islam, non à cause de tout ce qui lui est prêté en bien ou en mal, mais parce que le capitalisme est trop malade pour pouvoir compter dessus, à moins que ce soit pour une extrême onction.

NOTES

1« ...notre lot à nous, hommes blancs d'Europe occidentale, intégrés à des groupes de très vieille culture. Or, comment nous, historiens, pourrions-nous nous aider, pour interpréter les démarches des hommes d'autrefois, d'une psychologie issue de l'observation des hommes du XXe siècle ? » Lucien Febvre. L'analogie est une faiblesse du marxisme vulgaire, mais aussi sa force. « Les essais d'ego-histoire, malgré tout leur intérêt, nus en apprennent moins sur les historiens que la lecture de leurs livres », Antoine Prost.
2Sa critique ne porte pas contre l'école...française, mais il s'acharne contre les jeunes arabes fouteurs de merde en classe. Or dans la période précédente à la réaction stalino-islamiste, l'école républicaine après la guerre de 45, n'avait pas cessé de reproduire les inégalités. Qu'aujourd'hui les jeunes « issus de l'immigration » la bafoue est tout à fait dans la continuité des cancres fils d'ouvriers des fifties et des sixties, et qu'ils se sabordent eux-mêmes en refusant d'apprendre le minimum est certes une double peine, mais qui s'en plaint dans la bourgeoisie ; sinon qui fera chauffeur routier, balayeur ou vigile ?
3cf. L'identité malheureuse, p.136. Finkielkraut apparaît comme un vieux ronchon et mal placé pour critiquer, puisqu'il soutient les colons israéliens.
4Benoist-Méchin : « Frédéric de Hohenstauffen ou le rêve excommunié » (ed académique Perrin 1980). Cette analyse dithyrambique d'un multiculturalisme fructueux au Moyen âge, pour partiellement vraie qu'elle soit, est grandement exagérée sous le règne du pillage et du commerce à main armée ! Il n'est pas étonnant qu'elle soit le fait d'un historien classé à l'extrême droite et ex-pétainiste, bien qu'avec de réelles qualités d'historien classique. L'extrême droite, comme le fascisme, a toujours eu des accointances fraternelles avec les régimes autoritaires qui gouvernent au nom de la superstition oligarchique. La tendance à idéaliser l'islam d'un âge d'or de l'Espagne mauresque date, selon Ibn Warraq, du prosélytisme des réfugiés juifs européens fraîchement arrivés en Europe occidentale au 19e siècle (p.291). ET lire p.328 le relativisme de l'apport de la civilisation islamique dans le chapitre : « La science grecque et la civilisation islamique » (« Pourquoi je ne suis pas musulman, ed L'âge d'homme, 1999).
5cf. Benoist-Méchin p.396 et suiv. Et NB : « les rois normands recrutèrent leurs ministres parmi tous les peuples du monde, mais plus spécialement parmi les arabes de Sicile ». R.Dati et N.Belkacem ne sont donc pas des exceptions !
6Baubérot, sociologue en vue dans les milieux islamologues, jette la confusion totale sur la laïcité et contribue à l'intox dominante faisant la laïcité un instrument de l'extrême droite (comme partout est ainsi ridiculisé le mouvement Pegida en Allemagne, avec fachos de service chargés de faire la déclaration régulière qui sert à ridiculiser un mouvement « contre l'islamisation » qui n'est ni intolérant ni fasciste ; l'intolérance est plutôt au pouvoir). « A force de centrer la laïcité sur l'identité de la France, on lui a permis de devenir un marqueur de la droite extrême » nous serine Jean Baubérot dans « Les 7 laïcités françaises » (2015). Pour tuer son chien, dire qu'il a la rage. L'identité de la France il s'en fout le prolétariat, sans nier les apports des diverses cultures ni leur hiérarchie – par ex. la société du XIXe siècle est incontestablement supérieure à celle du Xe siècle. Non ? - Invoquer à tout bout de champ les « fachos » sert à empêcher de réfléchir à la place d'un Etat irresponsable et qui a pour toute conscience le pognon ! La soit disante identité des ouvriers est une vision réductrice assez anti-marxiste – pourquoi Marx leur donnait-il pour tâche la dernière révolution universelle alors ? Madelaine Rébérioux refusait cette identité étriquée : « Elle revendique un regard spécifique de l’historien qui, contrairement aux organisations ouvrières, ne perçoit pas la classe ouvrière comme seule pourvoyeuse d’identité. Mieux, elle déclare: «Le concept de classe n’est pas le seul que nous ayons à mettre en oeuvre. Tout travailleur intègre d’autres dimensions que celles de sa classe. Il est membre d’une famille, il vit dans une collectivité locale; c’est un immigré de fraîche date, porteur d’une autre culture, ou il est inséré dans une région anciennement industrialisée ».Madeleine Rebérioux : de l'histoire ouvrière à l'histoire sociale
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7Dont le titre de deux classes bien séparées est communément interprété sans le et : classes laborieuses, classes dangereuses. Ce qui est une interprétation voire réduction politique pour un marxisme sommaire ou un libéralisme couard.
8La souche peut être immémoriale, mais par exemple l'auvergnat à Paris se pointe surtout vers 1900, et il est probablement de souche arabe, vu sa couleur de peau, et le fait que Charles Martel n'a pu arrêter les sarrazins qu'à Poitiers. Les vrais parisiens sur plusieurs générations sont très rares.
9Des détenus d'origine paysanne, plus frustres, sont susceptibles d'être plus barbares, non encore débarrassés de croyances tribales. Dans les îles comme la Réunion, les rixes et meurtres au couteau étaient plus fréquent qu'ailleurs il n'y a pas si longtemps, mais semblent rattrapés par le taux de criminalité en métropole désormais, à Paris comme à Marseille.
10Je n'ai pas trouvé le roman de Houellebecq ni intéressant ni convaincant ni capable de faire rayonner un espoir quelconque, ni comique. Au moins aussi sidérant que Charlie Hebdo.
11Ce qui sera encore le cas en Russie à a veille des deux révolutions qui ont débuté le 20 siècle !
12Comme de nos jours toute violence ouvrière est assimilée au terrorisme ou une grève à du « chantage » (blackmail).
13Sous Napoléon, environ 70% de la vie d'un homme étaient consacrés au travail. L'empereur estimait que l'ouvrier peut travailler tous les jours puisqu'il mange tous les jours. En 1900, ce n'est plus que 50% de la vie qui est mobilisée par le travail et de nos jours en France 14% ! Les loisirs, comme l'a dit Paul Yonnet, ont clairement une fonction de substitution à la religion. ET Mothé de dire : « la liberté est un temps d'achat » ! quand la publicité isole l'individu dans sa classe d'appartenance.
14Lire Jonathan Parry, « Crime – what is crime ? Norme et criminalité à 'aube de l'ère victorienne ». Comment esquiver le parallèle avec les tueurs Merah et Coulibaly ? Vedettes et références des banlieusards morveux, comme ce collégien qui tirant sur sa prof avec un pistolet à billes, hurlait : « Allahou Akhbar ! ». On a les héros qu'on mérite, mais il ne s'agit pas de bribes à la formation d'une classe mais d'un attrait pour l'engagement militaire et pour la pognon qui va avec.
15Or le mouvement ouvrier se démarque toujours en général des révoltes de la racaille au 19ème comme au 20ème. Les repris de justice forment en général de bons auxiliaires de police et dans les périodes de révolution le lumpen marche toujours avec la bourgeoisie. Les nazis recrutent leur premier personnel dans ces milieux interlopes. Lors de l'accident « du travail » de trois manouches, qui revenaient encagoulés d'un casse, qui se sont tués malheureusement au volant de leur voiture volée et qui a donné lieu à une émeute dans un bled nommé Moisans, aucun prolétaire ne s'est senti solidaire naturellement de ces milieux qui échouèrent dans leur chantage à la libération d'un des frères truands. Hélas cet épisode est venu confirmer que beaucoup de ceux que certains présentent comme de saints nomades ne peuvent vivre hors du capitalisme que par le brigandage, c'est à dire avec la même mentalité d'accaparement cynique que ledit système. Qu'il ne faudra pas qu'ils comptent sur la victoire de clocher de l'esprit multiculturaliste communautariste !
16Eclosion du chartisme (1838 à 1848). Fondation des TUC (trades union congress) années 1860.
17Sous Louis 18 (1814-1824) elle redevient provisoirement religion d'Etat. Les lois de 1881-2 visent à établir un enseignement laïc, et quelque peu antichrétien. Il faudra du temps pour remplacer tout le personnel religieux par des laïcs. Le mouvement est européen ; en Allemagne, il prend le nom de Kulturkampf (combat pour la culture), lancé par le ministre des cultes. Particulièrement rigoureuses seront les mesures contre les religieux : "Guerre aux moines!", dit Paul Bert, en 1880. Les républicains voient dans les congrégations religieuses, un état dans l'état, favorable au Vatican, conservateur, influent politiquement, socialement inutiles (à l'exception des religieuses hospitalières qui sont irremplaçables pour l'époque). En 1901 la loi bien connue sur les associations oblige les associations religieuses à soumettre une demande d'autorisation. Sur les 600 demandes déposées, aucune ne fut autorisée. C'est l'armée qui évacuera les moines de la Grande Chartreuse et quelques autres monastères. Les biens des congrégations sont liquidés par l'état, à bas prix.

18En Angleterre, Byron, Shelley, Wordsworth, et Coleridge. En Allemagne Schleiermacher. En France Chateaubriand.
19En notre époque de vogue du terrorisme islamique, la répression des grèves ouvrières par le meurtre est typique du gouvernement turc, pakistanais, et des diverses cliques de tueurs islamiques ; ce n'est pas pour rien qu'ils recrutent le lumpen venu d'Europe, véritablement haineux vis à vis des travailleurs... qu'ils n'ont jamais été.
20Voir mon article sur ce blog du 1er juillet 2014 : La Bible combat Shakespeare, reposant sur un admirable texte de Victor Hugo, un des plus lus de ma série sur les religions. Grâce à Victor Hugo, pas à votre modeste serviteur.
21Les chausse-trapes à rebondissement de l'IUT de Seine Saint Denis illustrent à souhait la hargne et les tensions ambiantes, mais ici la noble religiosité a remplacé l'anti-cléricalisme faux-cul des bourgeois de 1900 et le « bloc anti-religieux » de la gauche de la belle époque...
22Et derrière des ONG comme Médecins sans frontières, la CEE pour 20 à 25%.

23Elle ne possède ni droit de vote, ni droit de porter plainte, ne doit pas travailler ni disposer d'un compte bancaire. Les études universitaires sont tenues pour inutiles aux femmes, surtout le latin et le grec (sic. Les nouvelles lois de Belkacem en France 2015). Elle doit obéissance à son mari. Propriété de son époux, elle ne doit rien révéler de son corps aux autres hommes. A la plage elle doit se baigner tout habillée. Il est socialement acceptable pour son mari de fréquenter les prostituées. L'âge légal pour la mariage est 12 ans pour les filles et 14 ans pour les garçons. La vente d'épouse est une coutume ancienne. Le père choisit l'époux.
24George Sand lance « La Cause du peuple ». L'allemande Louise Otto, La Frauen-Zeitung » en avril 1848.
25Ils sont vraiment originaux ces saint-simoniens ! Un de ses dsicsiples , Prosper Enfantin (1796-1864) prêche légalité des sexes mais se comportait en patriarche dans son éphémère communauté socialiste à Ménilmontant. Il manifestait un intérêt pour l'Orient, prônant la recherche de la mère.
26Une anecdote personnelle : en vacances avec un couple d'amis dont la femme est musulmane et enceinte, je lui indique qu'elle n'est pas obligée de faire le ramadan pour un long voyage, elle me répond qu'elle suit les conseils de son imam, un barbu qui ne connaît probablement pas plus le métabolisme des femmes que le sexe des anges. J'aurais été vexé à la place de son mari, normalement premier confident dans un couple normal...
27Lire sur le web son génial article « 1848 : la révolution des femmes ». Elle se moque de la prétendue libération britannique : « ...il s'agit moins d'une construction anglo-saxonne du genre – il faut des femmes pour représenter des femmes – à l'oeuvre dans le futur suffragisme anglais que d'une vision encore relativement traditionnelle des choses ».
28Eric Dupin : « L'hystérie identitaire », Le cherche midi 2004. La bourgeoisie US est tolérante avec toutes les enclaves sectaires qui militent pour l'effacement des classes même en faisant des concessions à la religion nationaliste sur le terrain d'un vaste supermarché du religieux. En 1943 la Cour Suprême a donné raison aux Témoins de Jehovah qui refusent que leurs enfants saluent le drapeau américain (p.108 du livre de E.Dupin).


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Marxisme et histoire en France depuis la Deuxième Guerre mondiale 

(Partie I)

Par Guy Lemarchand

L’image aujourd’hui fréquemment présentée du climat intellectuel en France depuis les lendemains de la Deuxième Guerre mondiale jusqu’aux années 1970 est celle d’une prédominance écrasante du marxisme, en particulier dans le domaine des sciences humaines. Pour l’historiographie comme histoire de l’histoire, il s’agit en fait de savoir quelle a été l’étendue réelle de son influence sur les travaux historiques, comment cette domination, si elle existe, s’est manifestée et de quel marxisme l’on parle alors. Ainsi posées, ces questions constituent elles-mêmes un enjeu idéologique et même politique. En effet l’historiographie en France est encore assez peu développée. Elle n’a pris son essor comme recherche systématique que depuis les années 1975-1980. Cette situation facilite la persistance de vues schématiques inspirées par la polémique politique récente plus que par l’étude de la réalité des textes.


Deux thèmes sont encore largement établis chez les historiens français. C’est d’abord une confusion plus ou moins clairement exprimée entre marxisme et stalinisme. À dessein, je me réfère par exemple à un livre de la collection « Que sais-je » parce que ces ouvrages des Presses universitaires de France connaissent une grande diffusion, fondée à la fois sur la qualité de beaucoup d’entre eux, la commodité de leur présentation et le tirage élevé et les rééditions dont ils bénéficient. Rédigée par l’un des maîtres fondateurs de l’historiographie1, la première synthèse ample allant d’Hérodote à nos jours, courte mais dense, consacre, à propos du marxisme, à peu près autant de place à Staline qu’à Marx, Staline qui aurait écrit sur l’histoire un « véritable discours de la méthode », et elle ne marque pas de différence entre les deux auteurs. Le reste de la réflexion et de la recherche historique, « des pratiques multiples renouvelées », y est opposé et les travaux de l’école des Annales sont placés dans cette seconde catégorie ne se réclamant pas explicitement de Marx. Enfin, l’auteur suggère, sans le dire explicitement, que l’influence du marxisme a été fortement prédominante pendant plusieurs décennies après 1945. Un autre volume de « Que sais-je » consacré aux diverses orientations des historiens2 va plus loin et parle de « crise de l’histoire » dans les années 1960-1990, à cause de la querelle qui a sévi entre deux types d’historiens. D’un côté il y a eu ceux qui avaient « un engagement politique », à gauche, et ils ont donné une histoire politisée derrière laquelle le lecteur devine le marxisme agissant, tandis qu’en face se trouvaient les historiens restés conformes à « la tradition positiviste ». Ces derniers auraient refusé le manque d’objectivité, le dogmatisme et l’intolérance caractérisant le premier groupe. Mais l’histoire « partisane » aurait été très largement majoritaire pendant un moment, car les auteurs placent dedans la « nouvelle histoire » issue des Annales avec F. Braudel, J. Le Goff, etc. Il s’agit presque d’une version renouvelée du « complot marxiste », et ici la conspiration l’aurait emporté pendant longtemps. Comment donc est-on passé de cette vision soutenue par ses adversaires d’une histoire marxiste étroitement matérialiste, sectaire mais triomphante, à un état de l’historiographie française où les lignes de fracture anciennes ont presque disparu et où le débat ne porte plus guère sur la validité de l’interprétation marxiste de l’histoire ?

La situation au lendemain de la Seconde Guerre mondiale

  • 3 Charles-Victor Langlois, Charles Seignobos, Introduction aux études historiques, Paris, Hachette,18 (...)
  • 4 Guy Bourdé, Hervé Martin, Les écoles historiques, Paris, Seuil, 1983 ; Antoine Prost, Douze leçons (...)
  • 5 Louis Halphen, Introduction à l’histoire, Paris, Puf, 1946, rééd. 1949.
  • 6 Une figure représentative en est René Grousset, Figures de proue, Paris, Plon, 1950.
2Pourquoi partir de cette date ? C’est évidemment qu’elle forme un point de rupture, lié aux bouleversements matériels, politiques et intellectuels apportés par le conflit et l’occupation ennemie. Apparaît d’abord le maintien de la domination chez les historiens français du positivisme de l’école « méthodique », et également son épuisement. À la Libération, il tient encore la majeure partie du Collège de France, la quatrième section de l’École pratique des hautes études, la majorité des postes des universités et des conservations de musée dont les titulaires se font volontiers chercheurs d’histoire. Toutefois, depuis la fin du xixe siècle et la publication de l’ouvrage-code de cette orientation3, sa production a tendu à se scléroser, surtout dans l’entre-deux-guerres4. Si, comme l’a soutenu Antoine Prost, Lucien Febvre a caricaturé dans ses attaques la figure de Charles Seignobos, il n’en demeure pas moins qu’il a visé juste en ce qui concerne ses disciples et successeurs. Luttant contre les préjugés philosophiques, souvent spiritualistes et cléricaux, qui déformaient nombre de recherches, ils ont fini par tomber effectivement dans une véritable religion du document. Ainsi, dans un ouvrage au titre qui rappelle à l’évidence celui de Langlois et Seignobos, et dont la lecture était proposée aux étudiants débutants d’histoire vers 1950, l’un des maîtres de l’école, professeur à la Sorbonne, spécialiste réputé du Moyen Âge et codirecteur de la prestigieuse collection d’histoire universelle « Peuples et civilisations » (PUF) fondée en 1924 et qui continue jusqu’à aujourd’hui, écrit : « Il suffit de se laisser en quelque sorte porter par les documents lus l’un après l’autre, tels qu’ils s’offrent à nous, pour voir la chaîne des faits se reconstituer presque automatiquement »5. L’histoire des historiens est donc, pour L. Halphen, un reflet quasiment passif de la réalité, et non une construction intellectuelle. Isolant ce qu’ils appellent les « faits historiques », les positivistes retiennent de la totalité historique principalement le plus apparent, le politique, soit l’histoire des institutions, des administrations, des gouvernements et des gouvernants. Cette histoire s’attache avant tout aux « événements », grandes décisions, changements et épisodes de luttes diplomatiques, militaires et législatifs. Elle n’ignore pas l’économie mais elle l’isole du reste, en particulier du politique, et la traite comme un élément secondaire. Il s’agit bien d’un point de vue superficiel, qui se désintéresse du sort de la masse des hommes et verse fréquemment dans une vision où les grands hommes règlent l’histoire6. Par ailleurs, cherchant à demeurer au plus près du contenu littéral des documents, ces historiens tendent à abandonner la recherche des causes au profit, plus modestement, de celle des « conditions », c’est-à-dire des circonstances dans lesquelles les faits se sont produits. Cette impuissance intellectuelle volontaire a fait qu’ils n’ont pas su ni voulu pressentir la montée des périls en 1914, ou lors de la crise économique de 1929, ni en 1939.
3Quant à l’école des Annales, tout en restant minoritaire, depuis sa naissance en 1929, elle a renforcé ses positions. Marc Bloch est devenu professeur à la Sorbonne en 1936 jusqu’à sa radiation par Vichy en 1941, et son action et sa mort dans la Résistance contribuent au prestige de son orientation. Lucien Febvre est au Collège de France depuis 1933 et il reprend son enseignement en 1946. Les Annales d’histoire économique et sociale reparaissent en 1946 et modifient légèrement leur titre de façon à couvrir plus nettement tout le champ de la discipline en gardant les pistes ouvertes avant-guerre, Annales, Économies-Sociétés-Civilisations. Sans qu’il y ait de doctrine codifiée ni en 1946 ni en 1929, on peut relever quelques traits de leur orientation, en rapport éventuel avec la question du marxisme. Sur le plan formel, la revue utilise fréquemment vis-à-vis des travaux positivistes un ton acerbe qui tranche avec la pratique universitaire feutrée habituelle, à laquelle elle reproche d’étouffer les débats d’idées. Sur le fond, en privilégiant le récit des faits, les historiens traditionnels produisent, selon elle, un décalque du discours des rédacteurs des sources dépouillées et, en fait, épouseraient par là l’idéologie des auteurs des documents, les dominants. Les Annales, au contraire, insistent sur l’importance de l’économie et refusent l’explication de l’histoire par le politique. De même, l’accent est mis sur le rôle des masses et le poids des humbles dans la causalité historique. Cette inspiration retentit sur la méthode préconisée : l’« histoire-problème ». Il s’agit de prendre comme objet d’étude non pas une période découpée dans l’histoire d’une région ou d’un état envisagée sous tous ses aspects, mais de définir un thème de problématique et d’en saisir le développement sur une durée qui peut s’étendre sur plusieurs siècles, au-delà de l’opposition apparente entre les moments successifs ; et on retiendra de même un espace géographique pour l’analyse qui brise les frontières politiques et administratives. Telle la question du commerce et de la pénurie monétaire depuis le viie siècle et la formation en Occident de l’empire carolingien, jusqu’au xie siècle et l’apparition sur les ruines de la domination de Charlemagne des états européens fractionnés, ce qui rompt avec les cadres chronologiques et spatiaux du positivisme.
4Les historiens faisant ouvertement profession d’adhésion au marxisme sont encore, dans les années 1945, en nombre très réduit, et c’est probablement dans le secteur de l’étude de la Révolution française qu’on en trouve le plus, à l’exemple des maîtres qui avaient montré un penchant pour cette orientation : après Jaurès et son Histoire socialiste de la Révolution française (1901-1904), les deux titulaires de la chaire spécialisée de la Sorbonne : Albert Mathiez (1926-1932) et Georges Lefebvre (1937-1949). Il est vrai que, dans l’entre-deux-guerres, se déclarer proche du marxisme fait passer pour être sympathisant de l’URSS et du PCF qui se veulent les gardiens de la pensée de Marx et d’Engels. Il y a là un « engagement » dans la vie politique qui répugne à la majorité des chercheurs, même à ceux qui se font critiques vis-à-vis du positivisme. Joue également la méconnaissance matérielle vis-à-vis de l’œuvre des philosophes allemands. Elle n’est enseignée dans aucune institution, ni au lycée, ni à l’université en économie, en histoire ou en philosophie. Si on ne lit pas la langue allemande, et il s’agit d’un allemand difficile, l’accès aux écrits de Marx et Engels est restreint. Le Capital a été édité en français pour la seconde fois en 1930-1938 (éditions Costes), la première édition de 1872-1875 est devenue rare, et, selon les germanistes, comporte des erreurs et des lacunes. Il faut attendre 1950-1960 pour disposer d’une autre version plus satisfaisante (éditions sociales). Quant aux travaux d’histoire de Marx, La guerre civile en France, par exemple, ne connaît que trois à quatre éditions en 80 ans, malgré son intérêt pour l’histoire française. À défaut donc, on se reportera à la synthèse résumée de Staline de 1938, aussitôt traduite et republiée fréquemment, Matérialisme dialectique et matérialisme historique. Autre vulgarisateur éventuel du marxisme, A. Gramsci ne sera connu en France qu’à partir de 1970.

L’essor de l’influence du marxisme et ses ambiguïtés, 1950-1980

  • 7 Charles Samaran (dir.), L’histoire et ses méthodes, Paris, Gallimard, Pléiade, 1961.
5Cependant, en une dizaine d’années, entre 1950 et 1960, va se produire un véritable renversement du rapport des forces. Avec l’effacement relatif de l’histoire politique et de l’histoire des idées et la montée rapide de l’histoire économique et de l’étude des structures sociales, le positivisme disparaît presque. Il ne persiste nettement que dans l’histoire contemporaine avec les travaux sur les relations internationales impulsés par Pierre Renouvin. Encore que les conceptions de celui-ci avec, entre autres, la notion de « forces profondes », dépassent largement la vieille histoire diplomatique et événementielle. L’histoire de l’Antiquité, surtout celle de la Grèce et de Rome et non celle de l’Orient, reste aussi proche de la tradition, la nature des sources prédominantes, littéraires et épigraphiques, mettant l’accent sur le politique et le religieux. En 1961 paraît un ouvrage de synthèse méthodologique qui est probablement le dernier grand livre dans cette inspiration7.
  • 8 Marc Bloch, Apologie pour l’histoire ou métier d’historien, 1re éd., Paris, Armand Colin,1949 ; Luc (...)
  • 9 Marc Bloch, Caractères originaux de l’histoire rurale française, 1re édition, Oslo, H. Aschehoug, 1 (...)
  • 10 Jacques Le Goff, Pierre Nora (dir.), Faire de l’histoire, 3 vol., Paris, Gallimard, 1974 ; Jacques (...)
6Ces trois décennies sont au contraire celles du triomphe des Annales et du règne de la trilogie Annales-Braudel-Labrousse. Les Annales ESC sont alors la revue scientifique d’histoire la plus puissante et au rayonnement le plus fort, loin devant la Revue historique. Ayant plus de 3 000 abonnés, très diffusée à l’étranger, elle passe en 1968 de quatre numéros par an à six. Les historiens qui en sont proches tiennent les institutions essentielles. Au Collège de France, Fernand Braudel succède à Lucien Febvre (1949-1972), puis ce sera Emmanuel Le Roy-Ladurie (très proche de lui) succédera à ce dernier. Surtout, contre la Sorbonne en majorité alors réticente, est créée en 1947 la 6e section de l’École pratique des hautes études qui deviendra un organisme autonome, l’École des hautes études en sciences sociales en 1975, toujours dans l’orientation des Annales. De plus, c’est autour de 1950 que paraissent ou reparaissent les grands ouvrages des fondateurs de l’école qui font référence, à la fois les ouvrages de réflexion générale sur l’histoire et ses méthodes8 et les études de terrain qui ouvrent concrètement des pistes nouvelles9. En même temps, le champ de la discipline s’étend et on multiplie les objets de recherche dans l’inspiration des Annales. Ainsi, l’étude du milieu géographique et de son influence éventuelle sur la société analysée : Braudel consacre 250 pages à ce sujet sur 1 130 dans la deuxième édition de La Méditerranée… Les structures sociales sont aussi à l’ordre du jour, dans la lignée du livre de M. Bloch, La société féodale (1936-1940), qui est réédité en 1949. La démographie historique prend son essor au même moment avec la fondation de la revue de l’INED, Population, en 1946, qui s’ouvre aux articles sur le passé, et avec la création de la Société de démographie historique en 1963 qui publie à partir de 1965 les Annales de démographie historique. Puis, en 1967, est fondée, sous l’égide de F. Braudel, l’Association française des historiens économistes, qui se cherche d’abord une revue spécialisée, ne parvient pas à sauver la vieille Revue d’histoire économique et sociale moribonde et édite un bulletin ronéoté, en principe annuel. Enfin, le chantier de la mentalité et de la culture, dans la lignée des suggestions de Lucien Febvre, est ouvert avec le grand livre de Robert Mandrou, Introduction à la France moderne (Paris, 1961). Le courant se prolonge dans les années 1970, appelé « Nouvelle histoire », élargissant ses investigations sous l’influence en particulier de la sociologie et de l’ethnologie, comme en témoignent les deux livres de mise au point méthodologique qui paraissent alors10.
7Au même moment, le marxisme a considérablement renforcé son audience, quoique l’on ait du mal à distinguer alors ce qui relève de lui de ce qui revient aux Annales. Un homme, qui est à lui seul une institution en quelque sorte, Ernest Labrousse, fait la jonction entre les deux courants. Professeur d’histoire économique à la Sorbonne de 1946 à 1966, il est, entre autres, codirecteur avec Fernand Braudel de la grande collection novatrice Histoire économique et sociale de la France, parue en 1970-1980 (PUF), et il dirige des dizaines de thèses d’histoire moderne et contemporaine. Sans en être un collaborateur régulier, il a publié quelques articles dans les Annales. Il est le promoteur essentiel de l’introduction du quantitativisme fondé sur le dépouillement de sources sérielles chiffrées ou chiffrables comme les mercuriales de marchés, les rôles fiscaux ou les inventaires après décès. Mais, pour autant, il ne sépare pas économie et société et met au premier plan l’interaction continuelle entre elles, saisie en particulier à travers les concepts de structure et conjoncture. Comme M. Bloch, il utilise largement les notions de classe sociale et de contradiction entre les classes, mais, lui, se réfère parfois explicitement à Marx qu’il connaît incontestablement. Enfin, sous son impulsion est développé le secteur de l’histoire du mouvement ouvrier et fondée, en 1961, la revue Mouvement social. À côté de lui se multiplient les historiens ouvertement marxistes, de Claude Mossé ou Pierre Lévèque pour l’Antiquité, Claude Cahen ou Charles Parain pour le Moyen Âge, à Claude Mazauric, Michel Vovelle en histoire moderne, ou Jean Bouvier, Gilbert Badia, Claude Willard, Jean Bruhat ou Jean Ellenstein en histoire contemporaine.
8Ce changement dans le paysage offert par la discipline est lié à plusieurs séries de raisons qui montrent combien les historiens ne vivent pas dans des tours d’ivoire et sont sensibles à la période dans laquelle ils existent. Cause sociologique immédiate : le corps professionnel est à peu près entièrement renouvelé en une douzaine d’années par le départ à la retraite de ceux qui avaient été nommés avant ou pendant la guerre : il est remplacé par des hommes plus jeunes et portés à rompre avec les modes de pensée de l’entre-deux-guerres. Parmi les causes intellectuelles, ensuite, il y a l’influence des sciences humaines parallèles à l’histoire, en expansion rapide après 1945, qui fournissent aux historiens des méthodes et des concepts nouveaux et leur posent des questions auxquelles la tradition positiviste ne s’intéressait guère. Ainsi, l’économie avec les cycles, l’organisation du travail ou la croissance ; la sociologie avec les sondages, les interrelations ou la théorie générale de la société ; la géographie avec le système de cultures ou le réseau urbain… D’autre part, pour l’élaboration des statistiques, de nouveaux moyens de calcul sont inventés après 1960, les machines à calculer, la mécanographie avant l’ordinateur dont l’emploi s’accroît après 1980, tous instruments qui permettent l’étude de grandes masses de documents et d’hommes du passé et la quantification de nombreux éléments ainsi que l’établissement de corrélations entre les séries. Il y a également des causes politico-idéologiques pour expliquer ces changements dans l’histoire. Ont agi l’expérience de la Seconde Guerre mondiale et les tensions lors de la reconstruction d’après-guerre qui ont montré le poids essentiel de l’économie, en particulier celui de l’industrie pendant le conflit et l’intensité des luttes sociales liées à l’inflation et aux pénuries après 1945. Et dans la vie politique d’après la Libération pèsent fortement les forces populaires, comme en témoignent les résultats électoraux du PCF et de la SFIO et la puissance du syndicalisme, tandis que, comme acteur du combat antinazi, le prestige de l’URSS, pays qui se réclame de Marx, est au plus haut. Tout cela suscite évidemment un intérêt nouveau pour « les masses qui font l’histoire » et pour le marxisme. S’ajoutent des causes sociologiques : les années 1960 se situent au début de l’augmentation du nombre des historiens professionnels. Entre 1960 et mai 1968 sont créées 9 universités nouvelles hors de Paris ; par là accèdent au métier d’historien davantage d’enfants de catégories non bourgeoises. En même temps, les publications d’histoire des grands éditeurs et des universités de province se multiplient, et le lectorat d’histoire s’étend aux professeurs de collèges et de lycées, et aux étudiants.
  • 11 Collectif, L’histoire sociale, colloque de Saint Cloud 1965, Paris, Puf, 1967 ; coll., Ordres et cl (...)
  • 12 Guy Lemarchand, « Sur Marc Bloch », Cahiers d’Histoire. Revue d’histoire critique, 2000, n° 79.
9L’idée de domination marxiste n’en repose pas moins sur un amalgame abusif entre Annales et marxisme. Cependant, il est vrai qu’il y a une parenté entre les deux courants, déjà apparue avant 1939, et que renforce l’évolution depuis 1950. L’un et l’autre professent un certain matérialisme en ce sens que, non seulement ils s’attachent à développer la connaissance de l’économie, mais que, selon eux, l’histoire des mentalités ne peut être détachée de celle de l’économie et des techniques. Tous deux utilisent abondamment la notion de structure sociale et insistent sur son poids dans l’explication historique. Enfin, ils manifestent la même volonté d’élaborer une « histoire totale », c’est-à-dire d’appréhender et d’expliquer – et non pas seulement de décrire comme le faisaient les positivistes – le tout social dans l’ensemble de ses composantes. Ce rapprochement apparaît dans l’organisation des deux colloques d’« histoire sociale »11 qui sont marqués par un débat entre deux groupes informels : d’un côté les tenants des Annales et les marxistes, de l’autre des opposants divers, soit positivistes, soit d’orientation idéaliste. La première de ces réunions voit ainsi s’instaurer un dialogue contradictoire entre E. Labrousse, A. Soboul et R. Mousnier, et, à la seconde, des historiens de l’Antiquité, muets jusque-là, se rallient à la première tendance qui apparaît alors presque hégémonique12.
  • 13 Claude Ingerflom, « Moscou : Le procès des Annales », Annales ESC, 1982, 1.
  • 14 Annie Kriegel, « La grande pitié de l’histoire officielle », Nouvelle Critique, 1951, 26 ; Jacques (...)
10Néanmoins, il y a également des différences notables, voire des contradictions entre les deux courants. Les marxistes soviétiques, à l’époque de Brejnev, critiquent durement la « nouvelle histoire »13, lui reprochant un éclectisme croissant qui éloigne de l’essentiel, les contradictions de classe ; son objectivisme issu du positivisme lui ferait négliger l’étude des modes de l’exploitation, elle porterait une attention insuffisante au développement des forces productives ; pour tout dire, elle ignorerait Marx. En France, dès les années 1950, des historiens membres du PCF ont déjà vitupéré contre, selon eux, la trahison par les Annales d’après-guerre de ses premiers engagements, et ils stigmatisent son empirisme sans principe14. Mais après 1960, avec la déstalinisation, cette virulence intransigeante s’atténue, sans que certaines réserves persistent, en particulier à propos de l’apparente minimisation du politique qui choque surtout les historiens de la Révolution française et du xixe siècle, sensibles au poids des révolutions.
  • 15 Georges Duby, L’histoire continue, Paris, Odile Jacob, 1991.
  • 16 Georges Duby, La société du Mâconnais aux xie et xiie siècles, Paris, Armand Colin, 1953.
  • 17 Louis Althusser, Pour Marx, Paris, Maspéro, 1965 ; Louis Althusser, Etienne Balibar, Lire le Capital (...)
  • 18 Georges Henri Soutou, La guerre de 50 ans. Les relations Est-Ouest 1943-1990, Paris, Fayard, 2001.
11Mais les membres des Annales ne sont pas en reste. À cet égard, un témoignage semble bien exprimer l’opinion de la plupart d’entre eux : celui de G. Duby15, qui a publié dès 1953 une des premières thèses d’après-guerre dans l’esprit des Annales16. Il n’a pas connu Marx par une lecture directe de ses écrits mais par l’intermédiaire de L. Althusser17. Il dit avoir été séduit par les grands traits du modèle théorique de société fourni par Marx : l’importance de l’économie, les concepts de rapports de production, lutte de classes, idéologie. Il a « une dette immense » vis-à-vis du philosophe allemand ; toutefois, il ne se considère pas comme marxiste et refuse le systématisme rigide qu’il attribue à Marx et la détermination en dernière instance par l’économie. Il rejette donc toute « théorie » qui, pour lui, encadre le réel historique de manière toujours trop étroite. Sans doute la situation mondiale dans les années 1960 est-elle aussi pour quelque chose dans ces hésitations. Le rayonnement de l’URSS et du « camp socialiste » est renforcé par des victoires apparemment éclatantes : l’épopée des vaisseaux spatiaux à partir du vol planétaire de Gagarine en 1961 qui manifeste la réussite apparente de l’économie soviétique, l’élargissement considérable du « camp socialiste » avec l’entrée de nouveaux États, de Cuba en 1960 jusqu’à l’Éthiopie en 1978, et la victoire du Vietnam contre les états-Unis en 1975. Pourtant, dans le même temps, des signes inquiétants apparaissent aussi : des crises violentes à l’intérieur des États « socialistes » : Berlin, 1953, la Hongrie en 1956, la Tchécoslovaquie en 1968, la Pologne en 1956, 1970, 1975. La « révolution culturelle » bouleverse la Chine entre 1966 et 1972 et provoque une tension aiguë avec l’autre grand du socialisme, l’URSS. Une telle ambiguïté a de quoi troubler, d’autant plus que la polémique est échauffée par la « guerre froide » qui perdure de 1947 à 198518.
12[Suite de l’article dans Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, n° 121, à paraître]


Notes

1 Charles Olivier Carbonnel, L’historiographie, Paris, Puf, coll. Que sais-je ?, 1981.
2 Guy Thuillier, Jean Tulard, Les écoles historiques, Paris, Puf, coll. Que sais-je ?, 1990.
3 Charles-Victor Langlois, Charles Seignobos, Introduction aux études historiques, Paris, Hachette,1897, éd. Kimé, 1992.
4 Guy Bourdé, Hervé Martin, Les écoles historiques, Paris, Seuil, 1983 ; Antoine Prost, Douze leçons sur l’histoire, Seuil, Paris, 1996 ; Antoine Prost, « Seignobos revisité », xxe siècle, 1994, vol. 43, p. 100-118 ; Bertrand Muller, Lucien Febvre lecteur et critique, Paris, Albin Michel, 2003.
5 Louis Halphen, Introduction à l’histoire, Paris, Puf, 1946, rééd. 1949.
6 Une figure représentative en est René Grousset, Figures de proue, Paris, Plon, 1950.
7 Charles Samaran (dir.), L’histoire et ses méthodes, Paris, Gallimard, Pléiade, 1961.
8 Marc Bloch, Apologie pour l’histoire ou métier d’historien, 1re éd., Paris, Armand Colin,1949 ; Lucien Febvre, Combats pour l’histoire, Paris, Armand Colin, 1953.
9 Marc Bloch, Caractères originaux de l’histoire rurale française, 1re édition, Oslo, H. Aschehoug, 1931, 2e Paris, Armand Colin, 1952 ; Supplément, Paris 1956 ; Lucien Febvre, Le problème de l’incroyance au xvie siècle. La religion de Rabelais, 1re éd., Paris, Albin Michel, 1942, 2e éd., Paris, Albin Michel, 1947 ; Fernand Braudel, La Méditerranée et le monde méditerranéen au temps de Philippe II, 1re éd. Paris, Armand Colin, 1949, 2e éd. augmentée 2 vol., Paris, Armand Colin, 1966.
10 Jacques Le Goff, Pierre Nora (dir.), Faire de l’histoire, 3 vol., Paris, Gallimard, 1974 ; Jacques Le Goff, Roger Chartier, Jacques Revel (dir.), La Nouvelle histoire, Paris, Retz, 1978.
11 Collectif, L’histoire sociale, colloque de Saint Cloud 1965, Paris, Puf, 1967 ; coll., Ordres et classes, 2e colloque Saint Cloud 1967, Paris – La Haye, 1974.
12 Guy Lemarchand, « Sur Marc Bloch », Cahiers d’Histoire. Revue d’histoire critique, 2000, n° 79.
13 Claude Ingerflom, « Moscou : Le procès des Annales », Annales ESC, 1982, 1.
14 Annie Kriegel, « La grande pitié de l’histoire officielle », Nouvelle Critique, 1951, 26 ; Jacques Blot, « Le révisionnisme en histoire ou l’école des Annales », Nouvelle Critique, 1951, 30.
15 Georges Duby, L’histoire continue, Paris, Odile Jacob, 1991.
16 Georges Duby, La société du Mâconnais aux xie et xiie siècles, Paris, Armand Colin, 1953.
17 Louis Althusser, Pour Marx, Paris, Maspéro, 1965 ; Louis Althusser, Etienne Balibar, Lire le Capital, 2 vol. Paris, Maspéro, 1965, 2e éd. augmentée, Paris 1968.
18 Georges Henri Soutou, La guerre de 50 ans. Les relations Est-Ouest 1943-1990, Paris, Fayard, 2001.

Pour citer cet article

Référence papier

Guy Lemarchand, « Marxisme et histoire en France depuis la Deuxième Guerre mondiale (Partie I) », Cahiers d'histoire. Revue d'histoire critique, 120 | 2013, 171-180.